La Russie met à l’eau un nouveau sous-marin nucléaire, équipé du missile hypersonique Zircon
Le Perm, cinquième sous-marin nucléaire de la classe Yasen-M, devrait rejoindre la marine russe l’année prochaine. C’est un actif stratégique pour le Kremlin, qui cherche à maintenir la présence de sa flotte dans l’océan mondial malgré la guerre en Ukraine.
Pendant que tous les regards sont tournés vers les plaines d’Ukraine et que l’industrie de guerre russe tourne à plein régime pour abreuver le front en chars, blindés et canons d’artillerie, la Russie poursuit le renouvellement de sa flotte de sous-marins à propulsion nucléaire, actifs stratégiques pour le Kremlin face à l’US Navy et aux marines de l’Otan. Ce jeudi 28 mars, le cinquième sous-marin d’attaque de classe Yasen-M, baptisé Perm, a été mis à l’eau à Sevmash, le seul chantier naval russe qui produit encore de nouveaux sous-marins nucléaires, dans la ville portuaire de Severodvinsk, devant la mer Blanche et à proximité du cercle arctique. Il devrait être admis au service actif au sein de la flotte du Pacifique l’année prochaine après plusieurs mois d’essais à quai et en mer.
Les Yasen-M, dont la première unité, le Kazan, a été commissionnée en 2021, sont suivis de près par les marines occidentales, car ils symbolisent une nouvelle génération de navires, beaucoup plus modernes, discrets et plus redoutablement armés que les précédents sous-marins nucléaires russes issus de la fin de la période soviétique et qui constituent encore une large part de la flotte russe. «Les Yasen et Yasen-M représentent un risque important pour les forces occidentales. La combinaison de leur silence et de leurs capacités de frappe à longue portée pose un défi inédit aux défenseurs occidentaux, tant sur mer que sur terre», écrivait dans une note dès 2021 le prestigieux RUSI (Royal United Services Institute), plus vieux think tank britannique.
Missile hypersonique Zircon
En 2018, déjà, le département d’État américain avait reconnu qu’il n’était pas parvenu, pendant plusieurs semaines, à détecter le Severodvinsk lors de sa première mission dans l’océan Atlantique. Et encore, il ne s’agissait que du seul et unique exemplaire de la classe Yasen, simple étape transitoire vers la classe Yasen-M, redessinée et équipée d’un réacteur nucléaire de quatrième génération qui rend le bâtiment encore plus discret. Depuis, la presse américaine qualifie souvent ces sous-marins de «cauchemar» de l’Otan.
Le Perm, mis à l’eau ce jeudi, ajoute une innovation supplémentaire. «Je voudrais souligner qu’il est devenu le premier sous-marin polyvalent armé de missiles de croisière hypersoniques Zircon», a ainsi précisé le président russe Vladimir Poutine qui assistait en vidéoconférence au lancement du navire. Le Zircon est une nouvelle génération de missile dévoilée par la Russie en 2018 : si ses performances réelles restent sujettes à caution, il est, sur le papier du moins, le premier missile de croisière hypersonique au monde, c’est-à-dire offrant une vitesse maximale supérieure à Mach 5 – les autorités russes évoquent au moins Mach 8, soit près de 10.000 km/h – avec en plus des capacités manoeuvrantes. Le Zircon peut être tiré depuis des navires de surface (par exemple les nouvelles frégates Gorchkov ), des sous-marins et sans doute à terme des batteries terrestres, à l’image du missile supersonique Onyx qu’il complète. Conçu d’abord comme un missile antinavire, il existe aussi en version de frappe au sol et dispose d’une portée d’un millier de kilomètres.
Le Zircon, jugé par les autorités russes impossible à intercepter, est donc au cœur de la stratégie du Kremlin qui entend bâtir une dissuasion conventionnelle en complément de sa traditionnelle dissuasion nucléaire. Des rumeurs venues d’experts ukrainiens et rapportés par la presse américaine ont fait état de son utilisation pour la première fois en février 2024 en Ukraine, ce qui n’a pas été confirmé officiellement ni par Kiev ni par Moscou. Dans le conflit en Ukraine, un autre nouveau missile hypersonique, le Kinjal, tiré depuis les airs, a été utilisé plus massivement par les Russes : en août, l’armée ukrainienne affirmait avoir intercepté 25% d’entre eux, un chiffre bien supérieur à celui de l’interception des missiles balistiques plus classiques comme l’Iskander-M (moins de 5%).
Les performances réelles du Zircon sont donc à prendre avec les réserves d’usage tant les données relatives à ce type d’armements stratégiques sont nimbées de secret. Ce nouveau missile représente malgré tout une inquiétude supplémentaire pour les marines occidentales et renforce indubitablement l’arsenal des Yasen-M, qui comptait surtout jusque-là sur les missiles de la famille Kalibr, moins rapides et moins véloces. «Le missile de croisière Kalibr, dans sa version de frappe au sol, a donné des résultats mitigés en Ukraine, avec un taux d’interception élevé», confirme une source militaire française au Figaro. Si le Perm est le premier Yasen-M à être compatible dès sa mise en service avec le Zircon, ses prédécesseurs devraient l’être aussi à l’avenir. «Les seuls tirs documentés du Zircon ont d’ailleurs été réalisés par le Yasen, qui a servi de navire-laboratoire, et les quatre autres Yasen-M devraient passer en ’retrofit’ pour l’emporter», explique au Figaro Benjamin Gravisse, spécialiste de la marine russe, auteur du blog de référence Red Samovar.
Route maritime du Nord
La mise à l’eau du Perm confirme enfin que le renouvellement de la flotte de sous-marins stratégiques russes s’accélère, ce que l’on observe depuis 2021. Alors que la construction des Yasen-M a commencé dès 2009 et que la première guerre en Ukraine (2014-2015) a représenté une gageure pour les chantiers navals russes en termes de substitution aux importations, un rythme de croisière a été trouvé depuis cinq ans. En 2026, cinq Yasen-M auront été mis en service en cinq ans. Dans le même temps, cinq sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de nouvelle génération, Boreï-A, chargés de la dissuasion nucléaire, devraient rejoindre la flotte russe. Soit un rythme soutenu de près de deux sous-marins nucléaires par an. Ce n’est pas anecdotique : sans compter qu’il s’agit de navires complexes à propulsion nucléaire, ce sont aussi d’imposants bâtiments (14.000 tonnes pour les Yasen et même 24.000 pour les Boreï).
La marine, parent pauvre de la modernisation des forces armées russes depuis 20 ans, connaît une exception : tous les efforts financiers et industriels ont été concentrés dans la construction de nouveaux sous-marins nucléaires, un chantier prioritaire pour le Kremlin. Dans son discours, Vladimir Poutine a mis en avant cette «composante stratégique» de la marine afin, notamment, de «protéger les intérêts nationaux dans diverses zones de l’océan mondial, y compris dans la zone Arctique qui, dans le contexte d’intensification de la concurrence mondiale, acquiert une très grande importance». Les sous-marins nucléaires russes, basés à la fois dans la flotte du Nord et dans celle du Pacifique, sont déployés aux deux bouts de la fameuse «route maritime du Nord» traversant l’Arctique, que cite également Vladimir Poutine.
Pour la Russie, l’accès à l’océan mondial ne passe plus seulement par l’accès aux mers chaudes, qui est l’un des enjeux stratégiques de la guerre en Ukraine, mais aussi par les eaux plus froides que convoitent en même temps Américains et Chinois. Lors d’une conférence à Mourmansk, mercredi, sur l’Arctique, Vladimir Poutine a jugé «sérieux» les plans de Trump qui veut récupérer le Groenland où son vice-président J.D. Vance est en visite ce vendredi malgré la polémique qu’il suscite. «Les pays de l’Otan considèrent de plus en plus le Grand Nord comme un tremplin pour d’éventuels conflits», a assuré le président russe, qui a annoncé un renforcement des capacités militaires russes dans cette région.