UE. Aurons-nous les neurones et les tripes pour défendre nos intérêts spécifiques ?

UE. Aurons-nous les neurones et les tripes pour défendre nos intérêts spécifiques ?

Le drapeau européen est composé de 12 étoiles jaunes sur fond bleu – Crédits : vojtechvlk / iStock

Par Pierre Verluise – Diploweb – publieé le 15 février 2025

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Pierre Verluise, docteur en Géopolitique, Fondateur du Diploweb.com. Chercheur associé à la FRS. Auteur, co-auteur ou directeur d’une trentaine de livres. Producteur de trois Masterclass sur Udemy : « Les fondamentaux de la puissance » ; « Pourquoi les données numériques sont-elles géopolitiques ? » par Kévin Limonier ; « C’était quoi l’URSS ? » par Jean-Robert Raviot.

Vers une entente entre Donald Trump et Vladimir Poutine pour mettre fin à la guerre en Ukraine ? Après un échange téléphonique mercredi 12 février 2025 entre les deux dirigeants et une rencontre annoncée en Arabie saoudite, l’Union européenne court le risque d’être évincée de la table des négociations sur la fin de la guerre en Ukraine. Pierre Verluise, docteur en géopolitique et directeur de Diploweb.com, analyse les conséquences de cette situation inédite dans laquelle se retrouve aujourd’hui l’Union européenne. Propos recueillis par Ewen Menuge pour Ouest-France, publié le 14 février 2025 sous le titre : Guerre en Ukraine : après l’appel entre Trump et Poutine, l’UE est « face à ses responsabilités. » Et le Secrétaire américain à la Défense, Pete Hegset a sidéré les pays de l’UE en annonçant un changement majeur dans la politique étrangère et de défense des Etats-Unis en endossant la position du Kremlin sur plusieurs points clefs tout en ouvrant la voie à de nouvelles sanctions pour déstabiliser l’économie russe.

Ouest-France : Est-ce la première fois que l’Union européenne est mise de côté dans les relations entre l’Occident et la Russie ?

Pierre Verluise (P. V. : À ma connaissance, c’est la première fois que les États-Unis donnent l’impression aussi explicitement de passer au-dessus de l’Union européenne pour s’adresser à la Russie. Mais Moscou a souvent enjambé ou instrumentalisé l’UE pour s’adresser d’abord aux États-Unis. L’objectif de la Russie est de passer des accords avec des États-Unis car, d’une part, Vladimir Poutine méprise l’Union européenne et, d’autre part, discuter avec Washington est l’occasion pour la Russie de se mettre dans la position d’une grande puissance. Ici, les États-Unis, en s’adressant directement à la Russie, flattent le Kremlin.

Le Kremlin doit actuellement passer un excellent moment, parce qu’on voit bien que les Européens sont comme un lapin dans les phares d’une voiture.

Ouest-France : L’Union européenne a-t-elle les capacités de se passer des États-Unis ?

P. V. : Pour l’instant, militairement, l’Europe ne le peut pas. Il faut déjà prendre acte de cette réalité. D’autant plus que nous parlons de l’Union européenne au singulier, mais que celle-ci est plurielle : il y a surtout 27 États membres, dont 23 sont aussi membres de l’Otan. Ces pays ne sont pas tous sur la même ligne, donc il leur faudra se mettre d’accord. Or, au sein de chacun de ces pays, les opinions divergent sur la question et cette actualité s’entrechoque avec d’autres problématiques politiques internes. Après la relance de la guerre en Ukraine le 24 février 2022, l’UE s’est mise d’accord sur ce qui se passait et a mis en œuvre des politiques en quelques jours. Donc oui, il y a eu une montée en charge de la capacité de l’Union européenne, mais elle s’est faite avec l’appui des États-Unis et du Royaume-Uni.

Il est certain que le Kremlin doit actuellement passer un excellent moment, parce qu’on voit bien que les Européens sont comme un lapin dans les phares d’une voiture : tétanisés, sidérés.

UE. Aurons-nous les neurones et les tripes pour défendre nos intérêts spécifiques ?
Pierre Verluise
Docteur en géopolitique, fondateur du Diploweb.com
Verluise

Ouest-France : L’UE ne se préparait-elle pas à ce scénario depuis le début de la guerre ?

P. V. : Plusieurs experts s’y attendaient et l’actualité semble donner raison à ceux qui disent depuis longtemps que l’UE doit se prendre en charge. Les Européens sont maintenant face à leurs responsabilités. Les États-Unis vont très probablement vouloir leur tordre le bras pour les obliger à augmenter davantage leurs dépenses de défense… en achetant américain.

La question est de savoir si le choix le plus pertinent pour les Européens est d’acheter massivement américain ? Depuis la relance de la guerre russe en Ukraine, les Européens ont-ils été suffisamment malins pour se doter d’une véritable industrie européenne de l’armement, qui serait pour l’essentiel autonome des États-Unis ? La réponse est non.

Ouest-France : Quels sont les leviers à actionner par l’UE pour sortir de cette situation ?

P. V. : Déjà avoir véritablement une politique de puissance. Il sera intéressant d’observer dans les prochains mois comment les pays de l’Union européenne vont réagir dans leur choix d’achat d’armement. Mais la puissance de l’Union européenne, ce n’est pas seulement ses capacités militaires, c’est aussi sa dynamique démographique – qui est en voie d’affaiblissement depuis quatre décennies. C’est encore sa compétitivité, qui devient insuffisante.

Il faut espérer que ce discours des États-Unis génère une prise de conscience de la part des pays de l’Union européenne. Soit maintenant l’UE se laisse prendre de panique et se fait manipuler par la Russie et les États-Unis, soit l’UE tire le constat que c’est la fin d’une époque et qu’il faut se réinventer. Et formuler une analyse du monde qui ne soit ni naïve à l’égard de la Russie de Poutine, ni naïve à l’égard des États-Unis de Trump. [1]

Aurons-nous les neurones et les tripes pour défendre nos intérêts spécifiques ?
Réorienter l’UE, c’est comme faire virer un paquebot, ça prend beaucoup de temps. Il faut définir rapidement des trajectoires pour arriver à des résultats dans les 6 mois, et prétendre véritablement à une autonomie stratégique d’ici deux ans.


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À Munich, le 14 février 2025, le vice-président des États-Unis n’a pas vraiment parlé de sécurité — et n’a évoqué l’Ukraine, Poutine ou la Russie qu’en passant
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Persuadé que « la principale menace [pour l’Europe vienne] de l’intérieur », ciblant les élites politiques et souhaitant faire sauter les cordons sanitaires érigés contre l’extrême droite en Allemagne, J. D. Vance a articulé pour la première fois la vision maximaliste de la Maison-Blanche de Donald Trump pour le continent : un changement de régime.


Publié dans Ouest-France le 14 février 2025 sous le titre : Guerre en Ukraine : après l’appel entre Trump et Poutine, l’UE est « face à ses responsabilités. »