Syrie : l’ouverture d’un nouveau front par Washington/Ankara/Tel Aviv/Kiev contre l’axe Russie/Syrie/Iran au détriment de la sécurité européenne

Syrie : l’ouverture d’un nouveau front par Washington/Ankara/Tel Aviv/Kiev contre l’axe Russie/Syrie/Iran au détriment de la sécurité européenne

par Pierre-Emmanuel THomann* – CF2R – NOTE D’ACTUALITÉ N°664 / décembre 2024

*Docteur en géopolitique

Une alliance de terroristes islamistes dont le noyau est le groupe Hayat Tahrir al-Sham (HTS) en provenance d’Idlib, refuge pour les anciens djihadistes de Daesh[1], ont lancé une offensive en Syrie et conquis la ville d’Alep. Derrière ces djihadistes, il y a les intérêts géopolitiques des puissances : avant tout Ankara (soutien à HTS), mais aussi Tel-Aviv[2] et Washington[3] qui utilisent des proxys islamistes depuis 2011 pour provoquer un changement de régime en Syrie.

Derrière cette nouvelle offensive djihadiste, les rivalités géopolitiques entre puissances aboutissent à des objectifs variés. Pour Washington, le bénéfice de cette opération vise avant tout à ouvrir un nouveau front contre la Russie, pour tenter de ralentir la défaite inéluctable en Ukraine, mais aussi au Proche-Orient contre l’Iran. L’objectif est également d’accroître la conflictualité avec la Russie et ses alliés, pour torpiller l’objectif annoncé par Donald Trump de résoudre les conflits en cours.

Washington est responsable de l’affaiblissement de la Syrie par sa politique de sanctions, avec son occupation – avec les Kurdes – d’une partie du territoire au nord-est du pays et sa base militaire d’Al Tanf, au sud. Les États-Unis ont aussi pour objectif d’orienter l’expansionnisme turc vers les zones d’intérêt de la Russie en Syrie, au Caucase et en Asie centrale. La Turquie occupe une large bande de territoire syrien le long de sa frontière avec Damas, et cherche à élargir sa zone de contrôle contre les Kurdes. Tel-Aviv, soutenu par Washington, bombarde la Syrie depuis des années pour affaiblir la partie du pays loyale à Bachar el Assad, mais aussi le Hezbollah, d’où ses bombardements récents au Liban. L’objectif de Tel Aviv est d’affaiblir l’axe chiite Iran/Syrie/Liban. 

En toile de fond des crises multiples en Ukraine, en Géorgie (tentative de coup d’État en cours), à Gaza (épuration ethnique par Israël), au Liban (offensive de Tsahal), et maintenant en Syrie, c’est la lutte pour nouvel ordre géopolitique mondial qui s’exprime, tournant la page de l’ancien ordre spatial unipolaire américain.

La multiplication des conflits au Proche-Orient, dans le Caucase, en Ukraine et dans les Balkans, malgré leurs spécificités régionales, font partie d’un même théâtre mondial et sont situés dans les zones de confrontation géopolitique entre grandes puissances. Les États-Unis, dans le cadre de leur stratégie d’encerclement de la Russie, cherchent à provoquer la surextension de Moscou, doctrine explicitement préconisée par la Rand Corporation[4] afin que la Russie soit obligée de faire face à différentes menaces sur différents théâtres.

Tout conflit, ancien ou récent, est désormais aspiré dans cette lutte pour le contrôle des espaces géopolitiques entre les États-Unis, la Russie, la Chine et les puissances secondaires.  Au-delà des conflits autour des territoires et des populations, l’enjeu est la nouvelle architecture du système international : la Russie, l’Iran et la Chine, les autres États membres des BRICS et de l’Organisation de Shangaï (OCS) font la promotion d’un monde multipolaire qui s’oppose à celui que défendent les États-Unis, Israël et leurs alliés (OTAN-UE) qui cherchent à en torpiller l’émergence et, a minima, ralentir la mutation vers un nouvel ordre mondial plus équilibré. La Turquie, membre de l’OTAN, mais refusant les sanctions contre la Russie, joue sa propre carte entre les regroupements antagonistes.

L’obstacle principal a une résolution des crises multiples est donc de nature systémique, et tant qu’un nouvel ordre géopolitique plus multipolaire ne sera pas accepté par les États-Unis et leurs supplétifs de l’OTAN/UE, le conflit mondial s’élargira à de nouveaux théâtres et s’envenimera jusqu’au seuil d’une troisième guerre mondiale. 

Cette nouvelle offensive djihadiste en Syrie a été facilitée par les attaques de l’armée israélienne au Liban et en Syrie, pour affaiblir le Hezbollah depuis plusieurs semaines. Le groupe djihadiste HTS est l’héritier de Jabhat al-Nusra, sous-groupe d’Al-Qaïda qui avait fusionné avec l’État islamique mais s’en est détaché en 2014.

Il ne faut pas oublier que la Syrie, la Russie, le Hezbollah, et l’Iran avaient réussi à empêcher les djihadistes sunnites d’Al-Qaïda – soutenus par Washington, Londres, Paris, Tel Aviv, Ankara, Ryad, Doha et Amman – de prendre Damas et avaient aussi combattu l’État islamique. Aujourd’hui, nous assistons à une réactivation des terroristes pour relancer l’objectif de changement de régime. Toutefois, dans le monde arabe, l’Égypte[5] et l’Irak vont cette fois-ci soutenir la Syrie de Bachar el Assad.

Rappelons-nous le soutien de la CIA, non seulement aux djihadistes afghans[6], mais aussi aux bandéristes néonazis contre l’URSS pendant la Guerre froide[7]. Souvenons-nous de la stratégie de tension de la CIA, soupçonnée d’avoir organisé des attentats ayant tué des civils en Europe, afin d’entretenir les populations dans la peur du communisme, toujours dans le contexte de la Guerre froide[8]. Plus récemment, rappelons les changements de régimes organisés en ex-Yougoslavie, en Irak, en Libye et en Syrie[9], à l’occasion desquels Washington, Londres et leurs alliés, ont soutenu des mouvements islamistes. Enfin, souvenons-nous que depuis 2014, les extrémistes ukrainiens se considérant comme les héritiers de Stepan Bandera, mais aussi des mercenaires étrangers néonazis, ont servi de supplétifs pour atteindre les objectifs géopolitiques de Washington et Londres.

Au final, Washington (Grand Occident), Tel Aviv (Grand Israël), Ankara (panturquisme) et Kiev (nation antirusse) continuent de soutenir les terroristes sunnites pour atteindre leurs objectifs géopolitiques respectifs.

Washington en soutenant militairement les deux pivots, Israël (contre l’Iran) et l’Ukraine (contre la Russie), a pour objectif géopolitique de torpiller l’émergence du monde multipolaire et déstabilise l’Europe et le Proche Orient. La politique de terreur exercée par Washington (sabotage de Nord Stream) et son soutien aux djihadistes au Proche-Orient et aux extrémistes bandéristes et néonazis en Ukraine, est destinée à menacer et contraindre tout État qui serait tenté de s’émanciper de la tutelle américaine et de rejoindre le projet géopolitique multipolaire. 

Washington, Tel Aviv et Ankara sont donc des régimes qui pratiquent le terrorisme d’État et menacent à nouveau la sécurité européenne. Ce n’est pas nouveau, la guerre en Irak en 2003 promue par les néoconservateurs adeptes du suprémacisme américano-israélien, a abouti à la montée en puissance de l’État islamique. Ces États sont co-responsables des crises migratoires de ces dernières années et des attentats islamistes en France. Leurs tentatives de changement de régime en Syrie, depuis 2011, avec leurs proxys islamistes (soutenus par Londres et aussi malheureusement aussi par Paris) demeurent jusqu’à aujourd’hui infructueuses.

On l’a dit, les Etats-Unis et la Turquie occupent le territoire syrien depuis des années, ce qui leur permet d’entretenir des djihadistes pour leurs objectifs de déstabilisation, et aujourd’hui ouvrir un nouveau front.

Pour éviter que la Syrie ne tombe aux mains des djihadistes, et préserver la sécurité de l’Europe mais aussi de toute l’Eurasie, il est dans l’intérêt de la France que Bachar el Assad, la Russie et l’Iran réussissent à éliminer ces djihadistes. Si un régime islamiste parvenait à se hisser au pouvoir à Damas, une nouvelle crise migratoire surgirait et les attentats islamistes sur le sol européen seraient facilités.

 

 


[1] https://www.fabricebalanche.com/syrie/lemirat-islamique-didleb/

[2] https://mayenneaujourdhui.com/2024/11/30/le-role-disrael-dans-le-retour-du-terrorisme-en-syrie/

[3] Ömer Özkizilcik, Uniting the Syrian Opposition the Components of the National Army and the Implications of the Unification. Ce rapport de 2019 souligne le soutien militaire de Washington à l’opposition à la Syrie de Bachar el Assad, et notamment sa composante turque, sous le prétexte de combattre Daesh (https://www.setav.org/en/assets/uploads/2019/10/A54En.pdf).

[4] https://www.rand.org/pubs/research_briefs/RB10014.html

[5] https://french.ahram.org.eg/NewsContent/1/130/57427/Egypte/Politique/L%E2%80%99Egypte-souligne-son-soutien-;-l%E2%80%99Etat-syrien-et-;.aspx

[6] https://www.monde-diplomatique.fr/2016/02/SOUCHON/54701

[7] ttps://mronline.org/2022/09/14/ukraine/

[8] https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-nos-vies-connectees/20110501.RUE2092/quand-l-otan-tuait-des-civils-en-europe-pour-lutter-contre-l-urss.html

[9] https://cf2r.org/actualite/revelation-des-plans-secrets-de-la-cia-pour-la-destabilisation-de-la-syrie/

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.