Vous avez dit : International Security Force For Ukraine ?

par Blablachars – publié le 12 mars 2025
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Au lendemain de la réunion à Paris des chefs d’état-major des armées (CEMA), les « garanties de sécurité » occidentales à l’Ukraine restent floues selon les termes employés par plusieurs médias. Parmi le « panel d’options » évoqué par le CEMA français figure la possible constitution d’une « International Security Force for Ukraine » selon les termes d’un « responsable militaire français. » Une telle force serait à dominante franco-britannique, stationnée dans un pays de l’Otan, à proximité de l’Ukraine, pour pouvoir s’y déployer rapidement si nécessaire. La création d’une telle force et son possible engagement en Ukraine ne manquent pas de soulever plusieurs interrogations relatives à sa composition, son stationnement et les moyens dont elle pourrait disposer.
Sur le plan politique, l’ossature franco-britannique de cette force est quasiment imposée par le refus de la Pologne, de l’Italie et de l’Allemagne de participer à une telle force, la privant de moyens conséquents dont un certain nombre de blindés qui pourraient se révéler fort utiles dans cet environnement. La position allemande illustrée par les propos d’Eva Högl, commissaire parlementaire aux forces armées, pour laquelle il est « prématuré » d’évoquer l’envoi de troupes en Ukraine pour la surveillance d’un futur cessez le feu est probablement motivée par des considérations de politique intérieure. Elle écarte aussi la perspective d’un engagement de la Bundeswehr, actuellement incapable d’envisager une telle opération au vu de situation actuelle. En effet, selon le Financial Times, une recrue sur quatre quitte l’armée six mois après son engagement, plaçant la Bundeswehr à un point de rupture et l’éloignant de son objectif de compter 203 000 soldats en 2031.
Motivées par l’attitude attentiste ou opposée de plusieurs pays, c’est donc avec le Royaume-Uni que la France pourrait constituer cette force, hypothèse séduisante sur le plan politique, la coopération militaire entre les deux pays n’ayant cessé de croitre depuis la signature du Traité de Lancaster House en 2010. Cependant, l’aspect éminemment politique d’une telle éventualité ne doit pas masquer la réalité des faits et la situation dans laquelle se trouve l’armée britannique aujourd’hui. Les récentes annonces de Keir Stramer qui souhaite porter à partir de 2027, les dépenses de défense à 2,5% du PIB, pour leur permettre d’atteindre 3% dans un avenir plus lointain, ne suffisent pas à faire oublier les années de disette budgétaire et de réduction drastique des effectifs. L’augmentation annuelle du budget de la Défense de 16,1 milliards d’euros prévue par le Premier Ministre Britannique a d’ailleurs été rapidement revue à la baisse par le Secrétaire d’Etat à la Défense, John Healey qui a précisé dans un entretien à la BBC que la véritable somme serait voisine de 7 milliards d’euros en tenant compte de l’inflation. Quelle que soit la décision finale, l’armée britannique doit également composer avec son atrophie actuelle, résultat de plusieurs années de réduction d’effectifs pour arriver aujourd’hui à un effectif voisin de 74 000 soldats, légérement supérieur à l’objectif de 72.500 hommes fixé par la revue intégrée de 2021, alors que la Revue Nationale de Stratégie de Sécurité de 2015 avait fixé à 82.000 soldats le format minimum de l’armée de terre. Sur le plan des équipements la situation de l’armée britannique n’est guère plus brillante comme l’illustrent les difficultés du programme Ajax dont les premiers exemplaires commencent seulement à équiper les unités, quinze ans après le lancement du programme. Les revers rencontrés dans le développement de l’engin blindé ont d’ailleurs motivé Londres à prolonger la vie opérationnelle du Warrior jusqu’à 2030, alors que sa modernisation avait été abandonnée en 2021. Selon le chiffre officiel, l’armée britannique dispose encore de 213 chars Challenger 2 dont 148 doivent être portés au standard Challenger 3 par Rheinmetall BAE Systems Land (RBSL) pour équiper la 3ème Division. Cette unité qui est la principale force déployable de l’armée britannique comprend deux régiments de chars d’active (Royal Tank Regiment et Queen’s Royal Hussars) équipés chacun de 56 Challenger 2. Ces chiffres pourraient cependant cacher une réalité légérement différente, puisque selon plusieurs médias britanniques, seuls 20 à 25 chars seraient aujourd’hui opérationnels, confrontant les tankistes locaux à une des pires crises de leur histoire. Ce chiffre tout comme celui de la vingtaine d’obusiers de 155mm AS-90 opérationnels (sur 89) rendent le déploiement d’une force britannique en Ukraine totalement irréaliste, symbole d’une capacité de réaction dont la restauration nécessitera de longues années et des investissements importants.
Du côté français, la situation est certes meilleure mais l’absence d’une véritable composante blindée mécanisée pourrait constituer un obstacle sérieux à la réalisation de ce projet. Outre les difficultés inhérentes au terrain et l’existence de nombreux obstacles favorisant l’utilisation d’engins chenillés, ceux-ci conférerait en outre un caractère plus dissuasif à cette force, engagée dans la résolution d’un conflit qui a vu la mise en œuvre de nombreux engins blindés chenillés. Pouvant être déployée pour garantir l’observation d’un cessez le feu temporaire, cette force pourrait être confrontée à des actions de provocation, menées par l’une des deux parties en vue de discréditer l’adversaire mais aussi l’action internationale. Une telle hypothèse placerait les équipages dans des situations qui nécessiteraient une protection accrue face à des menaces de nature et d’intensité aléatoires. Dans ce domaine, les enseignements du conflit ukrainien montrent qu’en dépit des destructions subies, les blindés occidentaux fournis à Kiev ont préservé leurs équipages des effets des attaque subies, grâce à leur conception et leur fabrication. En dehors de cette mission d’interposition la « International Security Force for Ukraine » pourrait être déployée en réponse à une nouvelle agression russe, scénario qui impliquerait donc un engagement face à des moyens blindés, contre lesquels les seuls engins du segment médian pourraient ne pas faire le poids en dépit de leurs qualités et des compétences de nos soldats. Ces dernières ne seraient sans doute pas suffisantes pour compenser l’inaptitude au combat de haute intensité de ces engins, liée à leur conception placée sous le signe de la projection et de la mobilité stratégique. L’acheminement de cette force stationnée à proximité de l’Ukraine serait également source de problème, au regard des difficultés de déplacement des convois militaires en Europe, comme Blablachars l’a évoqué lundi soir sur France 2. Au-delà, des possibles difficultés que rencontrerait la mise en action de cette hypothétique force, il est fort probable que la participation française se traduirait par l’engagement d’un volume aussi significatif que possible de chars Leclerc, à l’instar de ce qui avait été fait au Kosovo et au Sud-Liban, dans un environnement très différent.
En évoquant ce possible déploiement, Blablachars ne peut s’empêcher d’avoir une pensée émue pour les partisans d’un « geste fort »qui en septembre 2022 prônaient le transfert de 50 Leclerc à l’Ukraine. Cette initiative (quasi suicidaire pour notre Cavalerie blindée) qui ne fut heureusement pas suivie d’effet aurait eu le mérite de nous priver aujourd’hui d’un quart de nos chars en parc et de pratiquement la moitié de nos chars disponibles. Avec les 25 Challenger 2 britanniques à nos côtés, cette force serait plus symbolique qu’efficace et surtout quasiment incapable de réagir efficacement à une dégradation significative de la situation. Il est donc heureux que les initiateurs de ce geste fort n’aient pas trouvé l’écho espéré, restant depuis cette date, comme ces dernières années, étonnamment silencieux sur la faiblesse de notre segment de décision.
Les jours qui viennent seront déterminants pour la résolution du conflit en cours, qui pourrait mettre fin à un affrontement dont le côté technologique fait parfois oublier qu’il se déroule à hauteur d’homme avec tout ce que cela comporte. La constitution d’une force adéquate destinée à garantir le respect des dispositions adoptées pourrait nous placer en face des conséquences des choix effectués depuis plusieurs années, qui ont fait de l’armée de terre un roi nu, ne possédant que peu de moyens adaptés à une intervention en haute intensité sur un terrain difficile et truffé d’obstacles de toute nature. Il reste à espérer que l’évocation de création de cette force et son hypothétique déploiement puissent initier un véritable changement dans des mentalités encore tournées vers des opérations lointaines, désormais remplacées par des préoccupations plus continentales, nécessitant des moyens adaptés.