Défense européenne : effort de guerre, budgets… le plan européen à 800 milliards d’euros de l’Europe suffira-t-il face à la menace russe ?
En s’alignant sur Moscou pour régler la guerre en Ukraine, Donald Trump bouleverse les alliances. L’Europe est forcée de se réarmer mais son plan à 800 milliards d’euros suffira-t-il ? La France, qui envisage de continuer à muscler son budget de la Défense, doit réfléchir à l’évolution de son armée et se préparer aux choix douloureux qu’impose une économie de guerre.
Après la spectaculaire volte-face de Donald Trump qui se range désormais aux arguments de Moscou contre Kiev dans la guerre en Ukraine et, ce faisant, bouleverse les alliances entre les États-Unis et ses alliées forgées depuis la Seconde Guerre mondiale, l’Europe est au pied du mur.
L’Union européenne et le Royaume-Uni doivent s’organiser urgemment pour poursuivre l’aide militaire à l’Ukraine et compenser – si c’est possible – celle des États-Unis mise sur pause par Donald Trump, et, surtout, bâtir cette Europe de la Défense pour laquelle Emmanuel Macron plaide depuis 2017, mais qui joue l’arlésienne depuis des décennies. Cette fois, les Européens n’ont plus le choix et vont devoir concrétiser en acte « l’économie de guerre » qu’ils appelaient de leurs vœux au moment de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Un plan européen « ReArm » à 800 milliards d’euros
Cela passe en premier lieu par une capacité à se réarmer et à financer ce réarmement. La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a ainsi dévoilé mardi un plan pour « réarmer l’Europe » qui doit lui permettre de mobiliser près de 800 milliards d’euros pour sa défense – dont 150 milliards de prêts à disposition des 27 – et fournir une aide immédiate à l’Ukraine.
« Le moment est venu pour l’Europe. Et nous sommes prêts à nous renforcer », a dit Ursula Von der Leyen, ancienne ministre de la Défense allemande. Mais au-delà des prêts, le premier « pilier » de ce plan baptisé « ReArm » repose essentiellement sur les dépenses nationales dans chaque État membre, que la Commission européenne veut faciliter. Ainsi, la présidente de la Commission a confirmé sa volonté d’encourager les États à dépenser plus pour leur défense, sans être contraints par les règles budgétaires qui les obligent à limiter leur déficit public à 3 % de leur Produit intérieur brut (PIB).
Cette dérogation aux règles de Maastricht résonne agréablement aux oreilles de la France, qui doit maintenir sa dissuasion nucléaire – la seule de l’UE – et a rehaussé fortement son budget de la Défense ces dernières années.
La France doit-elle aller à 3 ou 3,5 % du PIB ?
Dans le dernier projet de loi de finances des Armées 2025, l’augmentation de l’effort de la Nation pour la Défense a acté une hausse de +3,3 milliards d’euros, portant la mission Défense à 50,5 milliards d’euros hors pensions. Le budget des armées augmente ainsi de 56 % sur la période entre 2017 et 2025. Les crédits votés dans la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 se montent à 413 milliards d’euros.
Faut-il aller plus loin ? Presque tous les pays de l’OTAN ont augmenté leurs dépenses militaires en 2024, une majorité atteignant l’objectif fixé en 2014 d’accorder 2 % de leur PIB à la Défense, objectif qui n’était atteint que par 11 des 30 États de l’organisation en 2023. La France est à 2,06 % du PIB.
« Depuis trois ans, les Russes dépensent 10 % de leur PIB dans la défense. On doit donc préparer la suite, en fixant un objectif autour de 3, 3,5 % du PIB », a déclaré Emmanuel Macron au Figaro le 2 mars, rajoutant qu’il voulait remettre sur le métier la LPM. « On devra réviser à la hausse. La question, c’est : est-ce qu’on aura besoin de plus de financements nationaux ? Comment on mobilise mieux les financements européens ? »

« Les Américains représentent 30 % de l’OTAN. Cela va nous prendre dix ans pour nous désensibiliser, en investissant massivement au niveau national et européen », analysait encore Emmanuel Macron.
Reste une question capitale : aller à 3 ou 3,5 % du PIB de dépenses militaires – soit 70 milliards d’euros par an – changerait-il réellement la donne ? Les équipements militaires possèdent des technologies toujours plus avancées et forcément très coûteuses ; la hausse du coût des équipements est donc plus rapide que les budgets, ce qui conduit à jouer sur les quantités.
L’autre écueil est que « l’industrie de défense française demeure dans une logique d’arsenal, très dépendante de l’État, et manque de souplesse », expliquait au Figaro Élie Tenenbaum, directeur du Centre des Études de Sécurité de l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI). Un investissement sûr et dans la durée est donc indispensable. Ce qui n’empêche pas la France d’avoir été le 2e pays exportateur d’armes majeures dans le monde derrière les États-Unis entre 2019 et 2023 et de voir certains de ses champions tricolores afficher de très bons résultats comme Dassault, concepteur du Rafale, qui a annoncé un chiffre d’affaires de 6,2 milliards d’euros en 2024 contre 4,8 milliards d’euros en 2023.
Des choix douloureux pour financer l’effort
Mais la question clé en cas de désengagement des États-Unis et même s’il y a plus d’argent consacré à la Défense est de savoir s’il faut changer le modèle d’organisation des Armées françaises : passer d’un modèle d’armée complète, multitâche, mais de taille réduite et limitée – certains parlent d’un corps expéditionnaire ou d’une armée « bonsaï » – à une armée plus spécialisée sur certaines menaces seulement alors que la guerre en Ukraine a mis en évidence le retour de la guerre à haute intensité et la guerre hybride avec une forte dimension cyber…
Enfin, la hausse des budgets militaires imposera de faire des choix douloureux, des arbitrages politiquement sensibles et explosifs entre dépenses de défense et dépenses sociales pour être réellement en économie de guerre…
Un débat qui concerne tous les pays européens, le Danemark envisage de reculer l’âge de départ à la retraite de 67 à 70 ans pour, entre autres, financer la défense du pays. Une telle option serait volcanique en France, d’où d’autres idées pour trouver de l’argent comme mobiliser une partie de l’épargne des Français ou lancer un grand emprunt national.