Au 9e RSAM, des maintenanciers du ciel sur la voie de l’opérationnalisation

Au 9e RSAM, des maintenanciers du ciel sur la voie de l’opérationnalisation

– Forces opérations Blog – publié le

Pas à pas, le 9e régiment de soutien aéromobile (9e RSAM) de Montauban progresse dans son objectif de « militarisation ». De la préparation opérationnelle au recrutement en passant par les matériels, les défis à relever ne manquent pas pour ce maillon essentiel de la chaîne de maintenance des hélicoptères de l’armée de Terre.

Les défis de la militarisation

De la Nouvelle-Calédonie au Tchad et du porte-hélicoptères amphibie Mistral à l’exercice Baltops, le 9e RSAM est sur tous les fronts depuis le 1er janvier 2024 et son intégration au sein de la 4e brigade d’aérocombat (4e BAC). Un cycle soutenu et une illustration par le terrain de la transition engagée vers un soutien opérationnel renforcé au profit de l’ensemble de l’aviation légère de l’armée de Terre (ALAT), bascule rendue nécessaire par le retour des conflits de haute intensité. 

Illustré par une présence dans le dernier défilé aérien du 14 juillet, ce rapprochement avec la 4e BAC est une réponse parmi d’autres au besoin d’autonomisation de la maintenance inscrit dans les réflexions d’une « armée de Terre de combat », explique le colonel Thibaut Ravel, chef de corps du 9e RSAM depuis l’été dernier. « Nous sommes dans une logique de montée en puissance liée à l’intégration dans la brigade, dont la manoeuvre doit pouvoir être suivie par le régiment », poursuit-il à l’occasion des 70 ans de l’ALAT

Traduit en vocabulaire de maintenancier, cette militarisation « revient à évoluer d’une base de soutien des matériels à un régiment du matériel », nous glisse le colonel Ravel. Pour ses 500 maintenanciers du ciel, il s’agit tout d’abord de continuer à développer l’expérience opérationnelle au gré des déploiements et des exercices. Plutôt que d’assurer un soutien essentiellement à distance, le 9e RSAM est désormais un « joueur » parmi d’autres. Il est donc soumis aux mêmes contraintes de rusticité et devient, de par sa singularité, une cible de choix pour l’adversaire désirant gripper la chaîne de soutien française. 

S’il participe activement à une préparation opérationnelle durcie, le 9e RSAM n’a pas vocation à suivre les hélicoptères dans leurs missions de transport ou de destruction de l’adversaire sur ses arrières. Il sera plutôt déployé selon le besoin par le groupement de soutien divisionnaire ou de théâtre vers les trains de combat des groupes aéromobiles. Il pourra continuer de miser sur son atout principal : la flotte de cinq avions à décollage court Pilatus PC-6 qu’il est le seul à opérer au sein de l’armée de Terre. 

Après deux éditions absorbées par des manoeuvres de plus grande ampleur, l’exercice Baccarat revient cette année et sera un test majeur pour le régiment. Il y déploiera pour la première fois un centre opération complet, manoeuvre déjà expérimentée sous forme d’embryon en 2022 lors de l’exercice Manticore. Ce CO commandera une escadrille de maintenance et une section approvisionnement, soit 70 personnels présents à Mailly-le-Camp avec un objectif en tête : éprouver les savoir-faire et le dispositif au profit de l’autonomie des régiments d’hélicoptères de combat. 

Le défi des ressources humaines ensuite, avec une population également appelée à « se militariser ». Le seul segment logistique aura vu son contingent de 20 militaires du rang quadrupler en l’espace de trois ans. Le 9e RSAM est aujourd’hui composé à 50% de personnel militaire. Demain, ils représenteront 70% de l’effectif. Ce sont autant de départs à la retraite à compenser par l’engagement de spécialistes en treillis. Un enjeu de taille dans une région où la présence de plusieurs géants de l’aéronautique ajoute un surplus de pression aux aléas de recrutement et de fidélisation auxquels sont continuellement confrontées les armées. 

Bête de somme du 9e RSAM, le PC-6 sert au convoyage de pièces, mais pas seulement.

Des PC-6 modifiés en attendant un successeur

Se rapprocher de la première ligne implique, enfin, des efforts à court et à plus long termes sur le segment capacitaire. Ce sont des perceptions d’équipements et armements individuels, du matériel de vie en campagne mais aussi des investissements dans les outils de maintenance et les infrastructures associées. C’est aussi une attention apportée à l’avenir du vecteur signature du 9e RSAM, un PC-6 en service depuis les années 1990. 

Régulièrement rénové, le PC-6 sort de plus de 10 années d’engagement opérationnel en Mauritanie puis parmi les pays du Sahel relevant de l’opération Barkhane. « Il aura permis d’apporter un appui précieux à la manoeuvre aéroterrestre », observe le colonel Ravel. Rustique, capable de décoller et d’atterrir sur des pistes sommaires, adapté au milieu abrasif sahélien, il aura facilité le transport de fret et de pièces détachées mais pas seulement. Le chef tactique et ses transmissions également, l’autorisant à commander sa manoeuvre depuis les airs en bénéficiant d’une plus grande autonomie et sans toucher au potentiel des hélicoptères.

Le PC-6 est également capable d’emporter des opérateurs spécialisés, à commencer par les spécialistes du renseignement d’origine image (ROIM) du 2e régiment de hussards ou ceux du renseignement d’origine électromagnétique (ROEM) du 54e régiment de transmissions. Deux exemples de synergies qui ont prématurément démontré l’intérêt de réunir le renseignement et l’aérocombat au sein du nouveau Commandement des actions dans la profondeur et du renseignement (CAPR). Et son éventail d’applications s’étend jusqu’au largage de petits colis à basse altitude voire à l’évacuation de blessés assis, un scénario étudié durant la crise sanitaire mais finalement écarté au profit de la médicalisation des hélicoptères Caïman.

Après une décennie dans le ciel africain, il en ressort de nombreux retours d’expérience et certaines « fragilités ». « Certes l’avion n’est plus projeté, mais il se prépare aux combats futurs », indique le colonel Ravel. Une nouvelle refonte est en cours sur trois axes. Hormis quelques évolutions sur l’avionique, les PC-6 français disposeront d’ici peu d’un poste radio PR4G et d’un kit de blindage à demeure, de quoi « mieux sécuriser l’équipage et le fret ou les passagers » et plus particulièrement lors des phases d’approche.

Ce chantier est en cours. Deux des cinq avions ont été transformés. Le reste de la flotte suivra d’ici à l’été 2025. Après 30 années de bons et loyaux services, se pose dès maintenant la question de sa succession. Le PC-6 est néanmoins destiné à prendre sa retraite. Non seulement il commence à dater malgré les refontes successives, mais l’avionneur suisse Pilatus a aussi annoncé l’arrêt de la production de pièces de rechange en 2020 tout en conservant un stock pour 10 ans. 

Le potentiel des appareils français s’étalant jusqu’entre 2032 et 2035, il reste moins d’une décennie pour déboucher sur un successeur. Attendu dans la prochaine loi de programmation militaire, celui-ci ce situe au confluent de plusieurs besoins. Celui du 9e RSAM bien entendu, mais aussi celui d’une armée de Terre ayant besoin de faire sauter davantage ses parachutistes avec des moyens patrimoniaux. Combinée au souhait de l’ALAT de pouvoir transporter de plus grandes pièces, la réflexion aboutit à une expression de besoin de l’état-major de l’armée de Terre portant sur « quatre, cinq avions » d’une capacité supérieure à celle du PC-6 et disponibles sur étagère. De quoi faire sauter la 11e brigade parachutiste et certaines unités du Commandement des actions spéciales terre (CAST) tout en pérennisant et en fluidifiant la logistique de l’ALAT. Et un projet qui, à l’instar des autres efforts consentis, permettra au 9e RSAM de continuer à appliquer sa devise : dépasser l’horizon.

Crédits image : 9e RSAM

Cour des comptes : La disponibilité des aéronefs militaires s’améliore… mais pas assez au vu des moyens engagés

Cour des comptes : La disponibilité des aéronefs militaires s’améliore… mais pas assez au vu des moyens engagés


En 2018, la disponibilité de certaines flottes d’aéronefs étant encore très insuffisante au regard des contraintes et de l’activité opérationnelle, le ministère des Armées prit le taureau par les cornes en lançant une vaste réforme du Maintien en condition opérationnelle Aéronautique [MCO Aéro], sur la base des recommandations faites par l’ingénieur général hors classe de l’armement Christian Chabbert.

L’une des mesures prises consista à remplacer la Structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère de la Défense [SIMMAD] par la Direction de la Maintenance aéronautiques [DMAé]. Placé sous l’autorité directe du chef d’état-major des armées [CEMA], cet organisme est désormais chargé d’élaborer et de mettre en œuvre des stratégies en matière de MCO Aéro, afin d’accroître la disponibilité des aéronefs à un coût maîtrisé.

Pour cela, la DMAé a entrepris de simplifier le MCO en confiant tous les marchés relatifs à la maintenance d’un flotte d’aéronefs à un prestataire unique tout en lui assignant des objectifs de disponibilité, dans le cadre de contrats dits « verticalisés ».

Cette réforme a-t-elle produit les effets escomptés ? Les chiffres relatifs à la disponibilité technique des aéronefs étant désormais confidentiels, comme, d’ailleurs, les indicateurs sur l’activité des forces que l’on pouvait trouver dans les « bleus budgétaires » [c’est-à-dire les projets annuels de performance], il est compliqué de se faire une idée.

À moins de se contenter de quelques ordres de grandeur concernant certaines flottes. Ainsi, l’an passé, le général Stéphane Mille, alors chef d’état-major de l’armée de l’Air & de l’Espace [CEMAAE] avait confié, lors d’une audition parlementaire, que la disponibilité de l’aviation de chasse [Rafale et Mirage 2000] avait « globalement » augmenté de 3 % en 2023 tandis que celle des autres flottes [avions de transport, hélicoptères et drones] accusait une « légère baisse ».

Dans un référé publié ce 10 septembre, et bien que n’étant pas autorisée à rendre publics les taux de disponibilité des aéronefs, la Cour des comptes a donné un aperçu des résultats obtenus par le ministère des Armées en matière de MCO Aéro entre 2018 et 2023.

Ainsi, si elle dit avoir « observé à l’occasion de son contrôle une amélioration de la performance du MCO aéronautique, qui se traduit par une meilleure disponibilité de plusieurs flottes stratégiques d’aéronefs depuis 2018 », la Cour des comptes estime cependant que ces progrès, « réalisés au prix d’un accroissement significatif des moyens budgétaires » [4,7 milliards d’euros en 2022, ndlr], sont « insuffisants au regard des besoins opérationnels » étant donné que les volumes d’heures de vol et les indicateurs de performances des documents budgétaires » demeurent encore, « chaque année, en deçà des objectifs fixés par les armées ».

L’enquête menée par la Cour des comptes ne remet pas en cause les contrats verticalisés. En revanche, elle souligne qu’il existe des « marges de progrès importantes en matière de productivité et de compétitivité » au sein du Service industriel de l’aéronautique [SIAé].

Rattaché à l’armée de l’Air & de l’Espace, le SIAé est le « garant de l’autonomie de la France sur le MCO Aéronautique », en apportant une « logique de performance industrielle grâce à des méthodes innovantes », explique le ministère des Armées.

Certes, les Cour des comptes reconnaît que le SIAé a engagé des actions afin d’améliorer sa performance… Pour autant, poursuit-elle, « ses ateliers restent souvent engorgés par les flottes d’aéronefs les plus problématiques ». Et d’ajouter : « La production stagne depuis 2018 malgré l’augmentation des effectifs » tandis qu’il « n’existe pas d’indicateur fiable permettant de mesurer [sa] productivité. En outre, « peu de synergies ont été développées entre ses cinq ateliers [*], dont les pratiques restent hétérogènes ».

Selon le ministère des Armées, le SIAé emploie 5000 personnes [dont 83 % de personnels civils] et recrute plus de 400 opérateurs, techniciens et ingénieures tous les ans.

Parmi les mesures qu’elle préconise, la Cour des comptes soutient que la « transformation » du SIAé doit se poursuivre en prenant modèle sur « la réorganisation et les évolutions managériales menées à bien dans les centres d’essais de la DGA », lesquels « sont notamment parvenus à mutualiser leurs fonctions support et augmenter leurs heures productives ».

Par ailleurs, la Cour des comptes a également évoqué les difficultés du projet BRASIDAS. Confié en 2018 par la Direction générale de l’armement [DGA] à Sopra Steria, il doit permettre de réunir toutes les informations sur les activités de maintenance sur les différentes flottes d’aéronefs au sein d’un seul système d’informations [il en existait alors plus de 80]. Un audit de ce projet est d’ailleurs actuellement mené par le Contrôle général des armées.

« La Cour a constaté que la réalisation de la première étape de BRASIDAS accusait déjà un retard de deux ans par rapport au calendrier initial et se heurtait à des difficultés importantes, notamment liées à la reprise des données de certaines flottes et à la maturité du principal composant technique de la solution », lit-on dans le référé. Aussi recommande-t-elle de tirer toutes les conséquences sur la conduite de ce projet une fois que l’audit dont il fait l’objet sera terminé.

[*] Ateliers industriels de l’aéronautique [AIA]

Avord : le colonel Xavier Rival, nouveau commandant de la BA 702 Georges Madon

Avord : le colonel Xavier Rival, nouveau commandant de la BA 702 Georges Madon

 

Un nouveau commandant pour la base militaire d’Avord. Le colonel Xavier Rival vient de prendre ses fonctions pour une période de deux ans environ. La base aérienne d’Avord est le premier employeur du Cher avec 2.400 personnes.

La colonel Xavier Rival a pris le commandement de la base d'Avord à la fin du mois d'août
La colonel Xavier Rival a pris le commandement de la base d’Avord à la fin du mois d’août – Armée de l’air et de l’espace

Un nouveau commandant pour la base militaire d’Avord vient de prendre ses fonctions. L’occasion d’évoquer avec le colonel Xavier Rival le rôle stratégique de la base du Cher. En plus de former des pilotes pour l’aviation de transport, la base aérienne 702 d’Avord abrite l’arme nucléaire. Quatre avions radar Awacs y sont stationnés également. Sans oublier un escadron de défense sol-air mobilisé notamment dans le cadre du conflit en Ukraine.

Des dizaines de personnels de la base participent ainsi constamment à des missions internationales. Créée en 1912, la base d’Avord héberge un grand nombre de composantes de l’armée de l’air. « On participe à la mission de dissuasion nucléaire, à la protection de l’espace aérien national« , rappelle le nouveau commandant de la base, le colonel Xavier Rival. La base d’Avord est capable de mettre en œuvre des systèmes de défense sol-air pour protéger des évènements en France mais aussi à l’étranger, en opération extérieure. « On est capable d’accueillir des avions de combat sous très faible préavis. On peut aussi acheminer des munitions par voie aérienne.« 

 Le lieutenant Mohdé a déjà effectué onze mois en mission en Roumanie dans le cadre du déploiement de l'OTAN
Le lieutenant Mohdé a déjà effectué onze mois en mission en Roumanie dans le cadre du déploiement de l’OTAN © Radio France – Michel Benoît

Plus de 110 millions d’euros ont été investis pour agrandir la piste et moderniser les installations. Se pose maintenant la question du remplacement des avions radars Awacs vieillissants et des avions Xingu utilisés pour la formation des pilotes de transport.

 Quatre avions radars AWACS sont rattachés à la base aérienne d'Avord
Quatre avions radars AWACS sont rattachés à la base aérienne d’Avord – Armée de l’air et de l’espace

Depuis deux ans en effet, la base aérienne d’Avord envoie en Roumanie des systèmes Mamba, des missiles sol-air déployés dans le cadre des forces de l’Otan. Le lieutenant Mohdé a déjà effectué 11 mois en mission là-bas comme responsable de la maintenance de ces stations de défense : « Là-bas, on est tout le temps en alerte. C’est une veille opérationnelle. Ici, on s’entraîne, là-bas on est dans le concret. L’armée, c’est une vocation pour moi car je recherchais un métier d’action. Partir à l’étranger, servir sa nation plutôt que de la voir nous servir, forcément c’est un objectif en tant que personnel militaire. Cela donne du sens à mon engagement. »

La Grèce décide de refuser le cadeau empoisonné des Etats-Unis : 62 blindés M2 Bradley gratuits et voici pourquoi

La Grèce décide de refuser le cadeau empoisonné des Etats-Unis : 62 blindés M2 Bradley gratuits et voici pourquoi


La Grèce décide de refuser le cadeau empoisonné des Etats-Unis : 62 blindés M2 Bradley gratuits et voici pourquoi
La Grèce décide de refuser le cadeau empoisonné des Etats-Unis : 62 blindés M2 Bradley gratuits et voici pourquoi

L’armée grecque rejette les blindés Bradley offerts par les États-Unis.

L’armée grecque a décidé de refuser une offre des États-Unis portant sur la livraison de véhicules de combat d’infanterie Bradley. Initialement, cette proposition semblait être une aubaine pour la Grèce, qui cherchait à remplacer ses anciens blindés de conception soviétique. Toutefois, après une évaluation approfondie, Athènes a jugé que les coûts associés à la remise en état des véhicules surpassaient largement les bénéfices potentiels.

62 M2 Bradley offerts : Un cadeau empoisonné

Le refus grec s’inscrit dans un contexte de renouvellement de l’arsenal militaire où la Grèce avait déjà commencé à remplacer ses vieux BMP-1A1 par des VCI « Marder » allemands. Lorsque les États-Unis ont proposé 62 Bradley dans le cadre du programme « Excess Defense Articles » et ont offert de vendre 102 autres unités, l’offre semblait avantageuse. Cependant, l’analyse a révélé que les coûts de rénovation et de mise à niveau des Bradley étaient prohibitifs, dépassant les capacités financières et logistiques grecques.

Selon la SIMMT, le parc « hors ligne » des véhicules en dotation au sein des forces françaises a été divisé par deux

Selon la SIMMT, le parc « hors ligne » des véhicules en dotation au sein des forces françaises a été divisé par deux

https://www.opex360.com/2024/08/05/selon-la-simmt-le-parc-hors-ligne-des-vehicules-en-dotation-au-sein-des-forces-francaises-a-ete-divise-par-deux/


En 2006, l’armée de Terre mit en place une « Politique d’emploi et de gestion des parcs » [PEGP] afin d’optimiser l’utilisation de ses véhicules tout en rationalisant leur Maintien en condition opérationnelle [MCO] afin de trouver des marges de manœuvre budgétaires. Ce modèle était organisé selon quatre « pôles », à savoir « Entraînement », « Alerte », « Service permanent » et « Gestion », ce dernier concernant l’ensemble des matériels nécessitant des réparations ou devant subir un entretien programmé.

Puis, dans le cadre du plan stratégique « Au contact » élaboré par le général Jean-Pierre Bosser, alors chef d’état-major de l’armée de Terre, il fut décidé de procéder autrement avec la « politique de gestion des parcs au contact » [PAC], l’idée étant d’augmenter la dotation des régiments afin de faciliter leur préparation opérationnelle.

Désormais, il existe deux « familles » de parcs : le Parc en exploitation opérationnelle [PEO] et le Parc en immobilisation technique [PIT]. Connaître de la taille du second par rapport au premier permettrait d’avoir une idée de la disponibilité technique [DT] des matériels de l’armée de Terre, et partant, de son activité.

Or, cette donnée n’est plus publique et ne figure même plus dans les documents budgétaires publiés par le ministère de l’Économie et des Finances, comme les rapports annuels de performances ou encore les projets annuels de performances. Aussi, il est désormais impossible de vérifier si les mesures prises pour améliorer le MCO ont produit des effets.

Ayant passé quatre années à la tête de la Structure Intégrée du Maintien en condition opérationnelle des Matériels Terrestres [SIMMT], chargée de l’entretien de l’ensemble des véhicules du ministère des Armées, le général Christian Jouslin de Noray vient de donner quelques indications, à l’heure où il doit passer le relais au général Richard Ohnet.

« La maintenance terrestre répond aujourd’hui avec brio aux attentes des armées, directions et services. Pourtant les vents contraires ne l’ont pas épargnée. Elle a notamment dû affronter la crise sanitaire, la dégradation des flux mondiaux d’approvisionnement, le retrait du Sahel et la guerre en Ukraine », a d’abord tenu à rappeler le général Jouslin de Noray, dans un message diffusé le 1er août.

Malgré ces difficultés, les « résultats obtenus sont éloquents », a-t-il continué. Au point que, selon lui, la « disponibilité technique permet à nos forces de s’entraîner et de s’engager en opérations, à bon niveau et à coût maîtrisé », avec notamment un « parc hors ligne » qui a été « divisé par deux ». Faut-il comprendre que les véhicules passent désormais moins de temps en réparation que par le passé ?

Plusieurs raisons peuvent expliquer ce résultat. Ainsi, pour la seule armée de Terre, la mise en service progressive des véhicules issus du programme SCORPION [blindés multirôles Griffon et Serval, engin blindé de reconnaissance et de combat Jaguar] ainsi que le remplacement du véhicule léger tout-terrain P4 par l’ACMAT VT4 en font partie. La fin des opérations au Sahel, très éprouvantes pour les matériels, également.

Mais à ces éléments conjoncturels s’ajoutent des considérations structurelles. Ainsi, le général Jouslin de Noray a mis en avant la « transformation numérique » de la SIMMT, avec l’entrée en service et la « modularisation » du système d’information « SIMAT », décrit comme étant un « véritable système d’armes du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres [MCO-T] ». Utilisé par les trois armées, il permet de connaître, en temps réel, l’état du parc, la disponibilité technique des matériels et de suivre l’évolution des réparations de ceux qui sont immobilisés.

« Nous disposons d’un des seuls systèmes d’information de l’État interfacé avec les systèmes d’information logistique de l’industrie privée. SIMAT finances a été développé de manière exemplaire, en moins d’un an. Des robots assistants administratifs nous appuient désormais et nous soulagent de nombreuses tâches chronophages », a souligné le général Jouslin de Noray.

« La numérisation des ateliers est aujourd’hui une réalité », s’est-il en outre félicité, en citant les apports de l’intelligence artificielle [avec, par exemple, le projet RORA – Reconnaissance d’Objet Rapide par intelligence] ainsi que ceux de la maintenance prédictive. « L’impression 3D [polymère et métallique], après avoir été résolument apprivoisée, tant dans ses aspects technologiques qu’organisationnels, passe actuellement à l’échelle », a-t-il relevé.

Par ailleurs, la SIMMT a également revu ses stratégies en matière de soutien, afin de « répondre au nouveau contrat opérationnel de nos armées », ce qui s’est traduit par la notification de « marchés novateurs et audacieux », censés engendrer « des gains de disponibilité et d’économies », a précisé son désormais ancien directeur central. Un effort a aussi été fait en matière de simplification des procédures et « l’ingénierie de la chaîne approvisionnement » a pris « un nouvel essor pour enclencher la constitution des stocks nécessaires », a-t-il conclu.

L’armée de Terre se dote d’un « Commandement de l’Appui et de la Logistique de Théâtre »

L’armée de Terre se dote d’un « Commandement de l’Appui et de la Logistique de Théâtre »


Selon son nouveau plan stratégique, élaboré en 2023, l’armée de Terre entend se doter de quatre commandements « Alpha », qui, placés sous l’autorité du Commandement des forces terrestres [CFOT], sont censés représenter les « artères vitales qui irriguent la stratégie militaire » et assurer une « cohésion sans faille au sein des forces armées ».

Ainsi, depuis le début de cette année, le Commandement des Actions Spéciales Terre [CAST], le Commandement des Actions dans la Profondeur et du Renseignement [CAPR] et le Commandement de l’Appui Terrestre Numérique et Cyber [CATNC] ont vu le jour. Il ne manquait plus que le quatrième, à savoir le Commandement de l’Appui et de la Logistique de Théâtre [CALT]. Or, celui-ci a officiellement été créé le 1er juillet, à l’occasion d’une prise d’armes organisée à Lille.

Comme le dit l’adage militaire, « les amateurs s’intéressent à la stratégie, les professionnels parlent de logistique ». D’où l’importance de ce nouveau commandement, d’autant plus que l’exercice interarmées de préparation à la haute intensité Orion a mis en lumière quelques insuffisances dans ce domaine.

« Nous avons été alertés sur le fait que dans le domaine terrestre, la profondeur logistique, à travers notamment la question du dimensionnement et de la modernisation de la flotte de camions tactiques, constitue également un point d’attention important », ont ainsi récemment relevé les ex-députés Benoît Bordat et Michaël Taverne, dans un rapport sur le retour d’expérience [RETEX] de l’exercice Orion.

En outre, le Maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres [MCO-T] doit également faire face à des défis majeurs, faute, pour le moment, de pouvoir s’appuyer sur une « épaisseur logistique » suffisante.

« Il n’est pas d’armée qui combatte bien sans une logistique calibrée à son besoin », a d’ailleurs souligné le général Pierre Schill, le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], via LinkedIn. Aussi, le CALT « a la mission de la préparer à cette tâche essentielle ».

Pour cela, ce quatrième commandement « Alpha » s’appuiera sur trois brigades, à savoir la B.LOG [logistique, qui réunit les unités du train et le Régiment médical], la BMAI [maintenance, qui regroupe notamment les six régiments du matériel] et la BGEN [génie]. Selon les explications données par le général Schill, en opérations, « sa responsabilité s’étendra sur la zone arrière de la division dans des domaines aussi variés que le mouvement-ravitaillement, le maintien en condition opérationnelle du matériel terrestre, le soutien santé, le soutien du combattant, le soutien au stationnement de la force, etc. »

« La modernité de l’armée de Terre impose de disposer d’une logistique robuste, renforcée et performante. Or, depuis une trentaine d’années, celle-ci a longtemps été construite selon une logique de corps expéditionnaires ramassés aux moyens logistiques et de soutien parfois comptés et dispersés », a fait valoir le CEMAT. Aussi, la transformation qu’il a initiée « appelle à un rééquilibrage profond en faveur de nos armes de soutien ». Pour lui, cette évolution est « indispensable » pour pouvoir déployer durablement sur un théâtre extérieur un corps d’armée d’ici 2030.

L’armée de Terre confirme le contenu de la rénovation à mi-vie de seulement 42 hélicoptères d’attaque Tigre

L’armée de Terre confirme le contenu de la rénovation à mi-vie de seulement 42 hélicoptères d’attaque Tigre

https://www.opex360.com/2024/06/19/larmee-de-terre-confirme-le-contenu-de-la-renovation-a-mi-vie-de-seulement-42-helicopteres-dattaque-tigre/


« Nous apprenons du champ de bataille, notamment en Ukraine, que la reconnaissance aérienne a fondamentalement changé. Les capteurs et les armes montés sur divers drones sont plus omniprésents et moins coûteux que jamais. […] En examinant le programme FARA à la lumière des nouveaux développements technologiques, de l’évolution du champ de bataille et des projections budgétaires actuelles, il a été estimé que les capacités accrues qu’il offrait pourraient être obtenues de manière plus abordable et plus efficace en s’appuyant sur une combinaison » de différents moyens, comme les drones et les moyens spatiaux », fit alors valoir l’US Army.

Faut-il pour autant en conclure que la guerre en Ukraine a sonné le glas pour l’hélicoptère de reconnaissance et d’attaque ? En tout cas, le ministère allemand de la Défense a décidé d’accélérer le remplacement des Tigre de la Bundeswehr par des appareils d’attaque plus légers, en l’occurrence 62 H145M, dont certains auront des capacités de lutte antichar.

Seulement, cette décision a eu des répercussions en France et en Espagne, deux pays avec lesquels l’Allemagne était censée établir une coopération pour le développement du standard 3 du Tigre. Celui-ci était ambitieux puisqu’il prévoyait d’intégrer à cet hélicoptère le système de visée Strix NG, de nouveaux systèmes de navigation, la suite avionique FlytX, un dispositif d’autoprotection dérivé du CATS-150, des terminaux Micro TMA pour le guidage des missiles air-sol et de drones, le casque à viseur intégré TopOwl Digital Display, etc.

Côté français, il était aussi question de permettre aux Tigre de l’Aviation légère de l’armée de Terre [ALAT] d’emporter des missiles Akeron LP [ex-missile haut de trame].

En mars 2022, les contrats relatifs au standard 3 du Tigre furent notifiés aux industriels concernés, via l’Organisation Conjointe de Coopération en matière d’Armement [OCCAr], sans attendre l’Allemagne. Sauf que l’ambition de départ fut réduite puisqu’il n’était plus question que de moderniser 42 Tigre sur les 67 en dotation au sein de l’ALAT.

Puis, l’année suivante, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, expliqua devant les parlementaires qu’il fallait « réinterroger le modèle » des évolutions du Tigre, à la lumière des enseignements tirés des combats en Ukraine. Finalement, la Loi de programmation miliaire [LPM] 2024-30 rendit son verdict : le standard 3 allait être abandonné au profit d’une modernisation à mi-vie beaucoup plus modeste.

Étant donné que le tableau capacitaire de la LPM indique que l’ALAT disposera de 67 Tigre en 2030 [de même qu’en 2035], on pouvait penser que tous ces hélicoptères seraient concernés par cette rénovation à mi-vie, désormais désignée Mk2+ [ou RMV Tigre]. Or, à l’occasion du salon de l’armement aéroterrestre EuroSatory 2024, l’armée de Terre a précisé que seulement 42 appareils allaient être modernisés. Que deviendront les 25 autres ?

« Le programme de rénovation mi-vie de l’hélicoptère de reconnaissance et d’attaque Tigre […] est destiné à prolonger le service opérationnel du Tigre au-delà de 2050 tout en l’adaptant à la réalité du champ de bataille futur. Il est mené en coopération avec l’Espagne et prévoit la rénovation de 42 hélicoptères Tigre de l’ALAT », est-il en effet avancé dans un dossier de presse diffusé par l’armée de Terre.

Toujours conduit par l’intermédiaire de l’OCCAr, ce programme est mené en coopération avec l’Espagne, avec la participation d’Airbus Helicopters, Thales et Safran Electronics & Defense.

Parmi les évolutions prévues, l’armée de Terre cite la refonte de l’avionique, avec notamment l’ajout du SICS ALAT [Système d’information du combat Scorpion], l’intégration du poste radio CONTACT, la possibilité d’utiliser le système de géolocalisation par satellite européen Galileo [en plus du GPS américain] et la « capacité de coopération drones-hélicoptères [MUM-T] ».

Dans un entretien accordé à Air & Cosmos, le 13 juin, le commandant de l’ALAT, le général Pierre Meyer, a expliqué que la « rénovation mi-vie telle qu’envisagée à ce stade doit permettre des améliorations en portée de détection, de missile, de débattement du canon ». Et d’ajouter : « Le Tigre devrait comporter aussi une part d’évolutivité, afin d’intégrer plus rapidement et sans des chantiers importants des innovations qu’on voit poindre, en matière de connectivité, de spectre des munitions, et pour permettre la coopération drone-hélicoptère tellement importante ».

Photo : EMA

La maintenance dans une opération d’envergure, enjeu majeur de l’économie de guerre (III de III)

La maintenance dans une opération d’envergure, enjeu majeur de l’économie de guerre (III de III)


Par le Chef d’escadron Thomas Arnal, officier de l’arme du Matériel et Ecole de guerre – Terre – Partie III : se donner les moyens d’une « industrie prête à la guerre »

Disposer d’une économie de guerre pour soutenir une opération d’envergure implique le renforcement d’un secteur économique structurant pour la France. Pour l’armée de Terre, il s’agit de saisir l’opportunité du contexte actuel pour retrouver l’épaisseur logistique indispensable pour répondre aux enjeux de défense actuels.


Economie de défense et défense de l’économie française

La BITD française est un maillage industriel d’environ neuf grands groupes et plus de quatre mille PME, dont quatre-cent-cinquante considérées comme stratégiques. Elle représente deux cent mille emplois de haute technicité, et 15 G€ de chiffre d’affaire (hors MCO). Avec jusqu’à 7% des emplois industriels de certaines régions, elle est l’un des rares secteurs avec l’aéronautique à contribuer positivement à la balance commerciale de la France (en 2018, l’export de la BITD représentait 6,9 G€, soit 20% des exportations françaises)1.

L’impact économique du secteur défense se mesure sur l’ensemble du territoire français à partir d’externalités (effets sur l’activité, l’emploi, la recherche et le développement). La BITD contribue activement au maintien de l’activité dans les zones industrielles sous-dotées et a remplacé des sites militaires fermés lors des réorganisations géographiques successives de la défense.

Il est estimé que chaque milliard d’euros investi dans la BITD génère deux milliards supplémentaires en activité (PIB) au bout de dix ans. De plus, les dépenses publiques n’évincent pas les investissements de recherche et développement (R&D) privés2. L’effet multiplicateur de cet investissement est supérieur à celui des dépenses de fonctionnement de l’Etat (qui sont de la consommation, sans retombée sur la productivité privée). L’effort en équipements militaires et en R&D concentre ainsi 80% de l’investissement public français. L’aspect national de la production de défense renforce encore cet effet, en ce sens que la BITD externalise davantage sa R&D vers des entreprises françaises (82%) que les entreprises privées (52%).

Enfin, le suivi et le pilotage de la BITD par la DGA témoignent du contrôle étatique et de la protection de la vie économique du secteur. La prise de conscience politique et l’expertise industrielle historique de notre pays sont des atouts à valoriser pour renforcer un secteur stratégique, source d’emploi et de croissance économique.


Remettre l’Etat au cœur d’un secteur stratégique

Au-delà des réquisitions, le SGA travaille sur la priorisation de la livraison de biens et services au bénéfice des forces armées3. Il s’agit de pouvoir ordonner à un partenaire contractuel de l’Etat de l’approvisionner par priorité sur tout autre engagement. Cette mesure s’inspire de la législation américaine dite DPAS pour « Defence Priorities and Allocations System »4.

Le régime de contrôle des entreprises de fourniture de matériels de guerre est également en étude de modernisation. La DAJ préconise la clarification des prérogatives des commissaires du gouvernement siégeant dans les entreprises liées à l’Etat par un marché relatif aux matériels de guerre (contrôle de la stratégie d’entreprise et mise en œuvre éventuelle de priorisation ou réquisition). Enfin, le SGA souhaite renforcer les prérogatives de contrôle de l’Etat dans le cadre des marchés publics, exclus du droit européen. Il s’agit d’éviter de soumettre ces marchés à des règles trop contraignantes. Cela peut également passer par l’extension des obligations liées aux enquêtes de coûts à ces marchés (transparence notamment). En effet, l’absence de mise en concurrence au sein de la BITD conduit régulièrement à une dérive de prix contraignante.

Pour le MCO-T, ces enjeux sont primordiaux pour commander et constituer dans la durée les stocks nécessaires au soutien d’une opération d’envergure.

Plusieurs autres pistes sont étudiées par la SIMMT, telles que :

  • la standardisation de sous-ensembles pour plusieurs types de matériels majeurs. Le passage à l’échelle SOR – HEM impose en effet la priorisation de la soutenabilité sur le respect exhaustif du cahier des charges. A titre d’exemples, on notera qu’entre 1945 et 1985, les Etats-Unis sont passés de vingt-sept châssis de camions de transports à un seul pour des dizaines de matériels différents. Idem, en 2010, l’Allemagne disposait de trois familles de moteurs différents pour équiper une dizaine de familles de matériels majeurs, quand la France en avait sept pour équiper le même volume de parcs différents.
  • Ou encore la prise en compte de l’évolution constante d’un matériel plutôt que l’acquisition de nouveaux parcs à échéance régulière. L’exemple du char T72 russe mérite à cet égard d’être étudié. Ce matériel est en évolution constante depuis 1973. Pensé pour une production de masse à des coûts maîtrisés par la planification, il permet d’ajouter la masse à l’innovation permise par les matériels plus récents. Pour la France, la conservation du VAB (matériel emblématique et connu de tous les militaires français, y compris nos réservistes) est une piste intéressante dans ce sens.


Saisir la réalité d’une opération d’envergure

Pour l’armée de Terre, le retour de la guerre en Europe doit se traduire par des moyens à la hauteur de la réalité de la menace. Dans le cadre de son ambition 2030, la SIMMT s’est fixé l’objectif d’une « industrie prête à la guerre ». Cela passe par une coordination des capacités industrielles au niveau ministériel et une contractualisation des évolutions nécessaires au soutien d’une opération d’envergure. Mais surtout, il s’agit de reconstituer des stocks étatiques au plus vite. En contexte budgétaire tendu, l’armée de Terre arbitre depuis des années entre l’activité des forces terrestres (le potentiel d’entraînement soutenable) et la constitution de stocks logistiques.

L’engagement opérationnel expéditionnaire mené depuis des décennies déterminait jusqu’à présent la priorité de l’activité. Après les récents désengagements militaires d’Afrique et l’affirmation d’une ambition HEM comme nation-cadre, l’armée de Terre doit s’adapter afin d’assurer une transition du modèle de l’opération expéditionnaire vers une logique de confrontation entre puissances étatiques. Ce changement d’échelle des menaces impose une anticipation, notamment logistique, ce qui nécessite des ressources financières plus élevées sur le temps long pour garantir le respect du contrat opérationnel fixé aux forces terrestres.

En raison de décennies de fragilisation de l’industrie française, l’épaisseur logistique de l’armée de Terre ne pourra être reconstituée qu’à force d’efforts s’inscrivant dans la durée, tandis que, parallèlement, les citoyens français doivent être davantage sensibilisés sur l’attractivité d’un secteur économique en pointe et dont la performance est reconnue à travers le monde.


Notes de bas de page : 

1 DGA – Développer la BITD française et européenne : https://www.defense.gouv.fr/dga/nos-missions/developper-bitd-francaise-europeenne
2 Chaire EcoDef de l’IHEDN : Impact économique de la défense (27/05/2020) : Impact économique de la défense – Chaire Économie de défense – IHEDN (ecodef-ihedn.fr).
3 Partie normative de la LPM : réquisitions ; BITD (note n°0001D22013106 ARM/SGA/DAJ du 21/07/2022).
4 NDLR : cette législation est associée au « Defense Production Act » établi en pleine guerre froide en 1950 et a été amendée pour la dernière fois en 2014. Elle est actuellement en cours de révision au sein du Bureau of Industry and Security du Département du Commerce >>> https://www.bis.doc.gov/index.php/other-areas/strategic-industries-and-economic-security-sies/defense-priorities-a-allocations-system-program-dpas ; https://www.bis.doc.gov/index.php/documents/federal-register-notices-1/3446-clarif-and-updates-dpas-proposed-ruleaj15-as-pub-ofr-272024/file

 

Photo : contrôle des stocks de missiles moyenne portée au dépôt de munitions du camp de Cincu en Roumanie dans le cadre de la mission AIGLE © CABCEMACOM (photo diffusée en ligne le 30 mai 2023 >>> https://www.defense.gouv.fr/terre/actualites/roumanie-service-interarmees-munitions-au-coeur-du-soutien-operationnel)

La maintenance dans une opération d’envergure, enjeu majeur de l’économie de guerre (II de III)

La maintenance dans une opération d’envergure, enjeu majeur de l’économie de guerre (II de III)



Par le Chef d’escadron Thomas Arnal, officier de l’arme du Matériel et Ecole de guerre – Terre –  Partie II :  de la prise de conscience au changement de paradigme

Pour participer au développement de l’économie de guerre, le MCO-T a déjà identifié des blocages structurels et bénéficie de premières actions prometteuses grâce à un volontarisme législatif et à l’innovation technologique.

 

Un changement de paradigme qui s’impose

La volonté politique d’entrer en économie de guerre est freinée par les difficultés structurelles de la BITD : frilosité des investisseurs et défaut d’attractivité du secteur. En mai 2023, une commission sénatoriale a publié un rapport d’information sur ce sujet1. Les entreprises du secteur défense y déplorent un accès au financement bancaire compliqué, mais difficilement quantifiable. Techniquement, les banques n’ont pas d’obligation à motiver un refus. Si une justification est apportée, celle-ci repose souvent sur des arguments financiers (structure bilancielle de l’entreprise, viabilité ou rentabilité du projet, etc.). Pour autant, il faut concéder que les cycles industriels sont aujourd’hui difficilement compatibles avec l’horizon financier du capital-investissement. Certains groupes bancaires (HSBC par exemple) rejettent purement et simplement le domaine de la défense de leur politique d’investissement. Dans le secteur public, la banque européenne d’investissement (BEI) ne finance plus les munitions, matériels et infrastructures militaires. Une décision qui ne découle ni du droit primaire, ni du droit dérivé, ni même des statuts de la BEI.

Ces difficultés touchent principalement les petites et moyennes entreprises (PME), ainsi que les opérations d’export. Cette frilosité s’étend par ricochet à d’autres secteurs, tels les assureurs refusant de couvrir certaines entreprises, les développeurs d’assurer la maintenance de sites internet, ou encore les bailleurs immobiliers de louer des bureaux. Ces situations marginales semblent révéler une tendance de fond, qui assimile industrie de défense et activités controversées par deux aspects : la conformité et la réputation. La multiplication de règles et normes dans le domaine de la défense – sans compter les exigences environnementales et sociales – poussent les financeurs à la « sur-conformité » et au refus. Le risque lié à la réputation pousse par ailleurs les investisseurs à imposer une politique restrictive vis-à-vis des entreprises de défense. Le déclin d’attractivité engendré a fragilisé le consensus de l’utilité sociale d’une BITD robuste et souveraine, tout en repoussant les jeunes talents français vers d’autres secteurs ou vers l’étranger.

Les rapporteurs de l’information parlementaire proposent quatre axes pour réduire ces difficultés structurelles :

  • établir un diagnostic (bilans annuels à organiser) ;
  • encourager les banques à s’engager au côté de la BITD, notamment en imposant la justification des refus de financement, en développant la communication interne sur l’importance du secteur défense pour l’économie nationale, ou encore en allégeant les procédures de vérification ;
  • développer le volontarisme au niveau européen par la révision de la « doctrine » de la BEI, la vigilance interministérielle sur les projets de textes potentiellement contraignants pour la BITD, etc.
  • renforcer l’accompagnement public des entreprises de la BITD avec le référencement des surtranspositions de textes européens contraignantes2, l’accompagnement financier pour certains marchés, la constitution de fonds d’investissement privés dans le secteur de la défense, voire la création de référents défense régionaux dans le secteur bancaire.

 

Le dépoussiérage en cours du concept de réquisition

La réquisition militaire est liée au concept d’économie de guerre. Le code de la défense précise « qu’en cas de mobilisation de l’armée de terre, le ministre de la défense détermine la date à laquelle commence, l’obligation de fournir les prestations nécessaires pour suppléer à l’insuffisance des moyens ordinaires de l’armée de terre »3. Ces réquisitions sont limitées par le cadre militaire et ne peuvent être ordonnées qu’à défaut de tout autre moyen adéquat disponible.

En juillet 2022, la direction des affaires juridiques (DAJ) du secrétariat général pour l’administration (SGA) avait proposé la rénovation du régime de réquisitions, qui date de 1959, d’où le décret sur le sujet adopté en mars dernier. En effet, les conditions de mise en œuvre peuvent gagner en simplification (réécriture synthétique), en proportionnalité (subsidiarité entre réquisition et commande publique), en clarification (cas d’usage : menace pour la sécurité nationale ou pour ses intérêts) et en portée (biens, services ou personnes concernés, neutralisation des droits de grève et de retrait, principe de rétribution après une réquisition)4.

Pour le MCO-T, la réquisition peut concerner du personnel, des matériels, des infrastructures, de l’outillage ou des moyens de stockage pour combler les manques patrimoniaux (pour équiper la division HEM, renforcer le territoire national et compléter les moyens de la BITD). Un dispositif d’intelligence économique renforcé permettrait la cartographie des réquisitions potentielles en cas de crise. Actuellement, il s’agit d’une surveillance conjointe SIMMT/DGA de la BITD et de leurs principaux fournisseurs. Pour la DGA, cette tâche est dévolue au service des affaires industrielles et de l’intelligence économique (S2IE). A la lumière du manque de profondeur logistique constaté, l’actualisation du concept de réquisition va donc dans le sens de l’économie de guerre.

 

Les travaux de la SIMMT avec la BITD

Le MCO constitue une source importante de financement et d’activités sur le long terme pour la BITD. La stratégie de soutien d’un programme d’armement définit un effort dans la durée pour l’industriel. Ainsi, la constitution de stocks de rechanges par la commande publique participe au renforcement des entreprises, permet l’entretien de compétences industrielles et contribue à la résilience industrielle française. L’absence de commandes régulières d’un rechange peut à l’inverse conduire à son obsolescence par perte de savoir-faire, de stock ou de matières premières.

La crise du COVID a permis de prendre conscience des faiblesses industrielles de la France. Cet épisode a révélé les fragilités de nos entreprises : tensions et perte de compétences faute de commandes, concurrence extra-européenne agressive avec la question de l’extraterritorialité du droit américain par exemple (la norme ITAR – International Traffic in Arms Regulation – autorisant Washington à s’opposer à l’exportation d’un système d’armes contenant au moins un composant américain), cyber-menaces, besoins d’une cartographie détaillée des fournisseurs et importance des stocks5. Cependant, la BITD terrestre a pu être partiellement renforcée par des commandes massives de pièces de rechange par la SIMMT, qui a ensuite imposé un droit de regard sur le dimensionnement des chaînes d’approvisionnement des entreprises6.

Au-delà de ces travaux d’intelligence économique, d’autres actions ont été initiées. La SIMMT se tourne vers l’innovation technologique pour optimiser les activités de maintenance et limiter la dépendance à des stocks indisponibles immédiatement. Parmi les pistes prometteuses, la maintenance prédictive, c’est-à-dire l’analyse par une intelligence artificielle des données collectées, permet de suivre l’évolution de l’état du matériel et de détecter pannes et casses avant qu’elles ne surviennent. Mais aussi, l’impression 3D : la SIMMT a ainsi développé avec la DGA la fabrication additive de rechanges en polymère. L’impression métallique, déjà opérationnelle dans d’autres forces armées alliées, permet un changement d’échelle, tout en constituant un atout pour limiter les empreintes logistique et écologique d’une force déployée. La rémunération de la propriété intellectuelle des entreprises est prise en compte, notamment par un système de block chain.

Dans le domaine des ressources humaines, la création de la réserve industrielle de défense (RID) en octobre 2023 va également dans le sens de l’économie de guerre. Ce système permet de renforcer l’industrie d’armement en cas de crise majeure. L’objectif fixé pour 2030 est d’atteindre trois mille RID. Ces réservistes ont vocation à être déployés au sein des entreprises de la BITD, du service industriel de l’aéronautique (SIAé), du service de la maintenance industrielle terrestre (SMITer), du service logistique de la marine (SLM) ou du service interarmées des munitions (SIMu).


Notes de bas de page : 

 1 Voir : Renseignement et prospective : garder un temps d’avance, conserver une industrie de défense solide et innovante >>> https://www.senat.fr/rap/r22-637/r22-637-syn.pdf.
NDLR : « [On] parle (…) de « surtransposition » pour désigner [un] différentiel proprement national à la règle européenne, différentiel susceptible de créer une distorsion concurrentielle qui porte préjudice aux opérateurs économiques français » >>> Voir sur ce sujet le rapport d’information n° 614 (2017-2018) du Sénat déposé le 28 juin 2018 et intitulé « La surtransposition du droit européen en droit français : un frein pour la compétitivité des entreprises » (https://www.senat.fr/rap/r17-614/r17-6141.html)
3 Article L2221-2 du Code de la défense.
4 Partie normative de la LPM : réquisitions ; BITD (note n°0001D22013106 ARM/SGA/DAJ du 21/07/2022).
5
Article OPEX360.com du 18/11/2020 : https://www.opex360.com/2020/11/18/le-terme-de-stock-est-aujourdhui-presque-un-gros-mot-deplore-le-chef-detat-major-de-larmee-de-terre/
6 Rapport d’information de la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée Nationale sur la préparation à la haute intensité du 17/02/2022 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_def/l15b5054_rapport-information#

 

Photo : innovation technologique du MCO-Terre Lab avec l’introduction de la réalité augmentée depuis 2020 dans les 6e et 8e Régiments du matériel avec le système Dedal et les lunettes Holo-Dedal © armée de Terre, photo diffusée en ligne le 24 mai 2022 (https://www.defense.gouv.fr/terre/linnovation-a-lheure-numerisation/au-service-maintenance)

La maintenance dans une opération d’envergure, enjeu majeur de l’économie de guerre (I de III)

La maintenance dans une opération d’envergure, enjeu majeur de l’économie de guerre (I de III)

Par le Chef d’escadron Thomas Arnal – OPS – publié le 15 avril 2024

https://operationnels.com/2024/04/15/la-maintenance-dans-une-operation-denvergure-enjeu-majeur-de-leconomie-de-guerre-i-de-iii/

Par le Chef d’escadron Thomas Arnal, officier de l’arme du Matériel et Ecole de guerre – Terre –  Partie I :

 

Le constat d’un manque de profondeur logistique

Le commandant Thomas Arnal est saint-cyrien (promotion CES Francoville) et officier de l’arme du Matériel. Il a servi successivement au 3e régiment du Matériel, au 2e régiment de parachutistes d’Infanterie de marine, au 8e puis au 6e régiment du Matériel. Il a été projeté au Tchad, au Mali et au Liban. Affecté en 2020 au centre opérationnel de la Structure Intégrée du Maintien en condition opérationnelle des Matériels Terrestres (SIMMT), il a développé les échanges et la coordination avec les industriels de défense pour le soutien MCO-T des opérations et de l’hypothèse d’un engagement majeur.

Dans cet article rédigé dans le cadre de la formation qu’il effectue actuellement au sein de l’Ecole de guerre-Terre et que nous diffusons en trois parties, il décrit la fragilisation du niveau de soutien nécessaire à la conduite d’une opération d’envergure contre un ennemi à parité et le « manque d’épaisseur logistique de l’armée de Terre ». Ainsi, « la maintenance des matériels militaires en constitue un des aspects essentiels pour hausser la disponibilité des équipements majeurs et régénérer pour pallier l’attrition. Composante essentielle d’une économie de guerre, la constitution de stocks de pièces et l’anticipation des montées en cadence doivent être initiées dès maintenant et soutenues dans la durée par un effort financier à la hauteur de l’enjeu. »

Une stratégie que le gouvernement français a commencé à mettre en œuvre sous l’appellation générale d’« économie de guerre » depuis près de deux ans – avec en particulier le décret récemment adopté « relatif à la sécurité des approvisionnements des forces armées et des formations rattachées »1 – et dont les initiatives commencent à porter leurs fruits, si l’on en juge par exemple par le triplement des cadences de production chez Nexter (pour le canon Caesar) ou Dassault Aviation (pour le Rafale).

De nombreux événements récents ont mis en exergue le manque de profondeur logistique de l’armée de Terre, qu’il s’agisse de la crise du COVID, de l’exercice de montée en puissance de l’armée de Terre (MEPAT) organisé en mai 2022, de notre projection de force en Roumanie, de l’exercice ORION 2023, ou encore des désengagements successifs du continent africain. Le domaine du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (MCO-T) – que l’on peut définir comme étant une sous-fonction logistique ayant pour but la conservation ou le rétablissement du fonctionnement nominal d’un matériel et incluant l’entretien et la réparation des matériels, l’approvisionnement, la livraison et la distribution des rechanges, la récupération et l’évacuation des chutes tactiques et techniques amies, ainsi que l’élimination de certains matériels – est de fait particulièrement concerné.

Dans le cadre d’une opération d’envergure, il s’agit de relever l’ambition opérationnelle fixée pour 2027 : la constitution, la projection et l’entretien dans la durée d’une division (avec ses appuis et soutiens) en trente jours. Pour rappel, l’opération d’envergure, encore récemment décrite comme hypothèse d’engagement majeur (HEM), définit un engagement terrestre volumineux (niveau division, voire au-delà) en coalition internationale face à un ennemi à parité. Un tel scénario est caractérisé par une forte attrition (matérielle et humaine) lors des phases de combat de haute intensité.

Après des décennies de réductions budgétaires et de politique logistique de flux plutôt que de stock, il semble difficile sur le court terme de satisfaire cette ambition. Pour autant, les crises multiples auxquelles le pays est confronté ont fait réémerger le concept d’économie de guerre. En juin 2022, le Président Macron expliquait que la France et l’Union européenne étaient entrées dans « une économie de guerre dans laquelle (…) nous allons durablement devoir nous organiser »2. Cette déclaration appelait au renforcement de l’industrie de défense tant française qu’européenne au regard des besoins militaires accrus mis en lumière par la guerre russo-ukrainienne. Cette prise de conscience politique fait écho au constat logistique fait par l’armée de Terre.

L’économie de guerre désigne une situation dans laquelle l’appareil productif national est dédié en priorité aux besoins de la guerre, possiblement par prélèvement autoritaire (réquisitions, livraisons obligatoires, etc.). Dans ce contexte, le MCO-T est déterminant, car il permet d’agir sur l’endurance industrielle, indispensable au soutien d’une opération d’envergure sur la durée.

 

I – Le constat d’un manque de profondeur logistique

Le MCO-T fait face à trois défis : générer la force, la soutenir et la régénérer :

• La génération de force implique de nombreuses actions : identifier les matériels à projeter, les affecter aux unités concernées, remonter la disponibilité des parcs, constituer les stocks de pièces de rechange et éventuellement une réserve de maintenance, regrouper les ressources, contrôler/réparer les matériels avant leur projection, désigner et équiper les maintenanciers projetés sur le théâtre (outillage technique notamment).

• Le soutien de l’engagement consiste à réparer les matériels indisponibles (pannes techniques et destructions par l’ennemi) dans les différentes zones d’opération. Cela concerne également le remplacement des matériels endommagés par des matériels en bon état en provenance de la zone arrière (réserve de maintenance de théâtre).

• La régénération de la force est un défi industriel national qui se joue principalement sur le territoire national. Il englobe les actions de production, de réparation lourde et d’acheminements (boucles arrière et avant). Elle concerne des acteurs tant étatiques que privés et relève directement de la Base industrielle technologique de défense (BITD) et de l’économie de guerre.

Ces trois défis se fondent sur plusieurs constats : le retour d’expérience (RETEX) des exercices récents MEPAT 2022 et ORION 2023, ainsi que sur l’écart entre la facture logistique d’une « division engagement majeur » et l’état réel des stocks détenus.

 

MEPAT : le retour d’une véritable planification de la montée en puissance

L’Etat-major de l’armée de Terre (EMAT) a organisé en mai 2022 une simulation de la manœuvre de montée en puissance de l’armée de Terre (MEPAT) pour répondre au défi d’un engagement majeur. Le scénario faisait de la France la nation cadre d’une coalition. Le RETEX démontre un défaut de profondeur logistique, accentué par des fragilités capacitaires. Cela se traduit par une armée de Terre à la fois limitée par un format strictement adapté à la gestion de crise, par des stratégies d’externalisation notamment en matière d’acheminement stratégique, (c’est-à-dire l’ensemble des actions de transport entre le territoire national et le théâtre d’opération) et la concurrence économique internationale en situation de crise (rareté des ressources et prédations).

L’enjeu principal de la MEPAT est la réactivité. L’armée de Terre doit disposer au bon moment des bonnes ressources en quantité suffisante, ce qui implique anticipation et souplesse. Pour le MCO-T, les stratégies de soutien actuelles semblent trop rigides pour remplir cet objectif (format, délais, volume financier alloué). Les procédures dérogatoires et les contrats de soutien doivent donc gagner en souplesse. Les mécanismes actuels de mobilisation et de réquisition ne sont en outre pas assez performants. Pourtant, le recours impératif à des moyens extérieurs est l’un des premiers enseignements du wargame.

Enfin, la MEPAT est subordonnée à la remontée de la disponibilité technique des matériels. Cela implique une remontée en puissance préalable de la base industrielle et technologique de défense (BITD). Mais elle ne vit pas au même rythme que l’armée de Terre. La réactivité est donc un des enjeux de l’économie de guerre. Il s’agit de constituer des stocks préalables et de réaliser des réquisitions planifiées. Cette anticipation ne doit pas attendre le « top départ » d’une montée en puissance à six mois au déclenchement d’une crise.

C’est pourquoi le nouveau référentiel opérationnel (NRO) fixé par la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 établit un délai de trente jours pour déployer une division à horizon 2027. L’armée de Terre doit donc disposer de leviers successifs pour chaque étape de ce scénario. Chaque levier serait caractérisé par des budgets dédiés, des commandes industrielles, des réquisitions de moyens privés et par l’abaissement de blocages juridiques ou administratifs propres au « temps de paix ». Le travail du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) sur les stades de défense (STADEF) va dans ce sens.

 

ORION 2023 : un rééquilibrage entre soutien et besoins opérationnels à revisiter

Concrétisation d’un entraînement d’envergure, l’exercice ORION fut l’un des évènements majeurs de 2023 pour l’armée de Terre. Il visait plusieurs objectifs : entraînement des forces terrestres, intégration de nations alliées, démonstration capacitaire dissuasive et établissement d’une « photographie instantanée » de nos capacités opérationnelles. S’il a confirmé la pertinence du modèle complet de l’armée de Terre, ORION en a aussi illustré certaines insuffisances capacitaires. Ces fragilités entraînent une autonomie limitée et une dépendance envers les nations alliées. Elles sont à même de fragiliser l’ambition nationale d’assumer le rôle de cadre dans un engagement en coalition.

ORION a également démontré les limites de la politique des parcs et des stratégies actuelles de soutien des matériels terrestres. La logique de densification des parcs régimentaires initiée en 2020 va dans le sens de l’ambition haute intensité. Le choix français d’une armée de Terre « échantillonnaire » permet en théorie de disposer d’une base de départ polyvalente avant une phase de massification par montée en puissance (sous réserve de délais, de financement et d’atouts industriels préalables).

Pour autant, les matériels majeurs du segment de décision (VBCI et char LECLERC) sont contraints par des impératifs liés aux marchés de soutien en service (MSS), ce qui implique le maintien d’un parc d’entraînement (PE) conséquent. Le principe du PE est de fournir aux unités en préparation opérationnelle dans les camps de manœuvre des matériels majeurs dédiés afin de conserver le potentiel de leurs propres matériels régimentaires. Ces marchés s’avèrent rigides dans l’anticipation de la consommation annuelle.

Pour l’armée de Terre, il s’agit donc de revoir ces stratégies et de définir l’équilibre entre socle de soutien industriel, niveaux des stocks et évolution du besoin en potentiels. Illustration de la limitation actuelle des ressources, la phase 4 d’ORION a non seulement vu le déploiement de vingt-trois XL et quarante-cinq VBCI, soit quatre fois moins que l’effectif théorique d’une division blindée, mais il faut garder à l’esprit que ledit déploiement des XL pendant deux semaines a à lui-seul représenté 40% des heures de potentiel annuel prévues en métropole par la Loi de programmation militaire (trois mille deux-cent-vingt-cinq heures sur huit mille).

Enfin, ORION a souligné l’impératif de consolider les données logistiques en haute intensité. Les limites de l’exercice n’ont pas permis l’emploi massif des ressources « consommables » d’une division (notamment les pièces de rechange pour le MCO-T). Pour autant, cet exercice a confirmé la nécessité de réévaluer les lois de consommation, ainsi que de constituer une base de données unique, partagée et accessible. Celle-ci est primordiale pour la constitution de stocks logistiques adaptés à une opération d’envergure.

 

L’état des stocks face à la « facture logistique » d’une division HEM

En avril 2023, la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT) a mené un exercice de planification avec les acteurs étatiques et privés (notamment les entreprises ARQUUS, NEXTER, THALES et NSE) du MCO-T. Il s’agissait d’une réflexion commune sur la montée en puissance industrielle nécessaire à un conflit de haute intensité, sur le scénario de la MEPAT.

Ces travaux mettent en lumière des stocks limités à la gestion de crise et difficiles à reconstituer. Sans entrer dans le détail de données classifiées, les taux de réalisation des stocks nécessaires à une division à une opération d’envergure, donc calculés à partir du contrat opérationnel fixé à l’armée de Terre, demeurent faibles. La reconstitution de stocks pour le MCO-T représente un effort élevé sur les plans budgétaires et logistiques. Cet investissement permettrait pourtant d’augmenter la capacité de production de la BITD et de gagner des délais sur la MEPAT en cas d’opération d’envergure. Ces besoins demeurent semble-t-il sous financés à ce stade par la LPM 2024-2030.

Au-delà du coût, les délais de production semblent également incompatibles avec l’ambition opérationnelle fixée pour 2027. Dans l’éventualité d’un déblocage en urgence de budgets dédiés, les délais de constitution des stocks s’avèreraient à ce jour inadaptés à l’objectif de projection en trente jours. Les délais de constitution de lots de rechanges de projection (LRP) par les industriels se comptent en effet en mois, un minimum de deux années étant généralement de mise et ce, sans compter avec les aléas dûs aux obsolescences de rechanges ou aux éventuels problèmes d’approvisionnement côté fournisseurs.

La BITD terrestre, actuellement structurée pour répondre aux justes besoins de la situation opérationnelle de référence (SOR), ne semble pas en mesure de soutenir une opération d’envergure, et encore moins dans la durée. Ce constat posé, il est intéressant d’étudier les premières mesures concrètes permettant potentiellement de dépasser ce blocage et de façonner une industrie de défense « prête à la guerre ».


Notes de bas de page :

1 Décret n° 2024-278 du 28 mars 2024 >>> https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000049339435

2 Voir par exemple : article du Monde du 13/06/2022 : « Economie de guerre » : Emmanuel Macron demande une réévaluation de la loi de programmation militaire.

Photo © formation des rames pendant Orion 2023, armée de Terre, 16 février 2023 (https://www.defense.gouv.fr/operations/actualites/orion-2023-montee-puissance-unites.