Atouts et vulnérabilités de la future loi de programmation militaire 2019-2025 (2/2)

Atouts et vulnérabilités de la future loi de programmation militaire 2019-2025 (2/2)

Libre Propos de Michel Cabirol – La Tribune, posté le samedi 10/02/2018

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Les cinq graves vulnérabilités qui pèsent sur la future loi de programmation militaire (2/2)

Les budgétaires du ministère des Armées vont devoir s’équiper de piolets et de crampons pour respirer l’air des sommets. Car pour atteindre le pic de 50 milliards d’euros et donc les fameux 2% du PIB en 2025, le budget des Armées devra être augmenté de trois milliards d’euros par an sur trois ans (2023-2025). Une trajectoire financière inédite. (Crédits : POOL New)

Le retour de la poudre de Perlimpinpin ? Possible avec la loi de programmation militaire qui se termine au-delà du quinquennat d’Emmanuel Macron en 2025. D’autant que la trajectoire financière se cabre très fort en fin de LPM (2023-2025).

La future loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 est-elle aussi sincère que la présente l’Elysée et le ministère des Armées. Son exécution sera le seul juge. Faut-il rappeler que la trajectoire financière des précédentes LPM n’a jamais été respectée. Au-delà de ce constat, on peut d’ores et déjà pointer trois très graves menaces qui pèsent sur la sincérité de la LPM 2019-2025 … Même si cette dernière consacre néanmoins une remontée en puissance de l’effort de défense de la France. Du moins au niveau des promesses. Ce qui n’est déjà pas si mal.

 

1/ Une LPM qui finit après le quinquennat d’Emmanuel Macron

Première vulnérabilité, et non des moindres, la loi de programmation militaire se termine au-delà du quinquennat d’Emmanuel Macron en 2025. Et c’est cette année-là que l’effort de défense atteindra les fameux 2% du PIB. Cela n’engage bien sûr qu’Emmanuel Macron et son gouvernement mais certainement pas le prochain président… à moins que les Français votent à nouveau en 2023 en faveur de l’actuel Chef de l’Etat pour qu’il rempile à l’Elysée. Pour l’heure, cette promesse des 2% en 2025 est très clairement de la « poudre de Perlimpinpin », une expression utilisée en mai 2017 par Emmanuel Macron alors en campagne, lorsqu’il évoquait le programme de Marine Le Pen. A suivre…

2/ Une hausse des crédits vertigineuse en fin de LPM

La LPM 2019-2025 prévoit sur une période de sept ans des besoins à hauteur de 295 milliards d’euros, couverts de manière ferme jusqu’en 2023 (198 milliards d’euros de crédits budgétaires). Pour atteindre un effort de défense à 2% du PIB – l’objectif affiché par Emmanuel Macron -, la trajectoire financière se cabre très fort en fin de LPM (2023-2025). Entre 2019 et 2022, la hausse des crédits de la mission Défense est programmée à hauteur de 1,7 milliard d’euros. En 2022, le budget du ministère des Armées atteindra alors 41 milliards d’euros (hors pensions).

C’est donc après 2022 que les budgétaires du ministère vont devoir s’équiper de piolets et de crampons pour respirer l’air des sommets. Car pour atteindre le pic de 50 milliards d’euros et donc les fameux 2% du PIB en 2025, le budget des Armées devra être augmenté de trois milliards d’euros par an sur trois ans (2023-2025). Une trajectoire financière inédite, qui exigera une volonté politique sans faille et une guérilla féroce face à Bercy. Le ministère de l’Action et des Comptes publics aura d’ailleurs son mot à dire dès 2021. « Les ressources pour les armées 2024 et 2025 seront précisées lors d’une actualisation prévue en 2021 », qui prendra en compte « la situation macroéconomique à cette date, dans l’objectif de porter l’effort national de défense à 2% du PIB en 2025 », a expliqué jeudi le ministère des Armées.

3/ Trois théâtres d’opérations extérieures, est-ce sincère?

Le débat sur le nombre des théâtres d’opération extérieure (OPEX) sur lesquels les armées peuvent s’engager simultanément a été l’une des sources de conflits entre les armées et le gouvernement. Durant le quinquennat de François Hollande, la multiplication des OPEX a été à l’origine de la surchauffe des armées. Ce débat a été clos par le ministère des Armées. Ce sera trois au maximum (contre deux à trois dans le Livre blanc de 2013). Or l’armée française intervient déjà au Sahel (Barkhane), au Levant (Chammal) et au Liban (FINUL) comme l’a rappelé tout récemment Emmanuel Macron lors de ses vœux aux armées. Il y a peu de temps encore  le Centrafrique était considéré comme une OPEX à part entière.

Cette décision ne permet plus au Chef de l’Etat d’ouvrir le cas échéant un nouveau front. En théorie, bien sûr… Car les armées sauront faire pour se lancer en solo ou en coopération sur un nouveau théâtre. Limiter les théâtres opérationnels à trois a surtout permis au ministère de contenir les dépenses d’équipements. Ainsi, l’Hôtel de Brienne va donc augmenter très faiblement le nombre d’avions de combat engagés dans les OPEX : 14 contre 12 avions prévus actuellement dans le cadre du Livre blanc de 2013. Pourtant l’état-major des Armées a dû engager au plus fort des combats plus de 20 avions en OPEX.

Le ministère des Armées assume complètement ce choix et souhaite pérenniser l’action des forces armées sur un théâtre d’opération de façon durable. C’est pour cela qu’il préfère élever le taux de disponibilité des équipements plutôt que d’en acquérir de nouveaux. C’est frapper au coin du bon sens… à condition que la réforme de l’organisation du maintien en condition opérationnelle  (MCO) porte rapidement ses fruits. La pression va être énorme sur la nouvelle Direction de la maintenance aéronautique (DMAé)… même si la LPM ne fixe – étonnamment – aucun objectif chiffré dans le cadre du redressement du taux de disponibilité des matériels. Un échec entraînerait une nouvelle surchauffe des moyens des forces armées à l’image notamment de l’armée de l’Air. Ce pari est l’une des clés de la réussite de cette LPM.

Florence Parly y met les moyens. La future LPM consacre un effort financier significatif à l’entretien programmé du matériel (EPM) qui doit permettre un relèvement important des taux de disponibilité des équipements des forces armées (22 milliards d’euros sur 2019-23, soit 4,4 milliards d’euros par an en moyenne, pour une programmation prévisionnelle de 35 milliards d’euros sur la période de la LPM 2019-2025). Cela représente un effort financier de plus de 1 milliard d’euros par an en moyenne par rapport à la LPM précédente.

4/ L’innovation au bord de la route

C’est l’une des très grosse déception de cette LPM. 1 milliard d’euros pour le soutien à l’innovation (études amont), c’est peu, beaucoup trop peu. D’autant plus que le ministère des Armées prévoit 1 milliard d’euros… en 2022 (contre 730 en 2018). Le minimum du minimum aurait été d’atteindre 1,5 milliard d’euros. Selon nos informations, l’état-major aurait freiné la hausse des crédits d’innovation.

Dans un monde où les ruptures technologiques se multiplient, la France ne se met pas en position de gagner la guerre du futur. Elle se gagne pourtant dès aujourd’hui en mettant de l’argent, beaucoup d’argent – le nerf de la guerre. Florence Parly aurait pu incarner cette volonté de doter les armées de matériels disruptifs à l’horizon 2030. Il n’est pas encore trop tard. Mais il faut aller vite après une LPM 2014-2019 de survie.

Seule exception à ce constat désopilant, la France poursuit son effort dans le domaine de la cyberdéfense. Ainsi, 1 500 postes supplémentaires vont être créés dans la cyberdéfense et l’action numérique sur la période 2019-2025. Il est prévu de porter à 4 000 le nombre de combattants cyber (contre 3 000 aujourd’hui). En outre, ces derniers feront l’objet d’une protection judiciaire particulière (excuse pénale pour des faits commis dans l’exercice de leur action potentiellement répréhensibles).

5/ Les armées paieront le surcoût des OPEX

C’était pourtant l’une des promesses du candidat Macron. Dans son discours du 18 mars 2017, il avait été très clair sur le financement des surcoûts des OPEX (opérations extérieures): « Nous devons augmenter notre effort de défense. Je propose donc de porter les ressources de la défense à 2% de la richesse nationale, mesurée en termes de Produit Intérieur Brut, en 2025. C’est un objectif très ambitieux : si on tient compte des hypothèses actuelles de croissance du Produit Intérieur Brut dans les prochaines années, ce budget atteindra, hors pensions et hors surcoûts OPEX (opérations extérieures, ndlr), plus de cinquante milliard d’euros en 2025, contre 32 en 2017 (en fait, 32,7 milliards, ndlr)« .

Aujourd’hui, la LPM 2019-2025 prévoit de porter progressivement la provision OPEX et MISSINT (missions intérieures) au niveau de 1,1 milliard d’euros en 2020, comme La Tribune l’avait annoncé. La « sincérisation«  du budget des Armées se fait donc contre les militaires. D’autant que, selon nos informations, Matignon aurait déjà verbalement averti l’Hôtel de Brienne que le ministère des Armées paiera en 2018 les surcoûts jusqu’à 1,1 milliard d’euros. Soit bien au-delà de la provision des 650 millions d’euros de la loi de finances 2018.