L’armée française forcée de respecter les 35 heures par l’UE: ce qu’il faut comprendre de la polémique
EXPLIQUEZ-NOUS – L’armée française crie au scandale depuis un arrêt de la cour de justice européenne jeudi dernier, qui affirme que les militaires, quand ils ne sont pas en mission, sont des travailleurs comme les autres.
Cet arrêt a mis le feu aux poudres, dans l’armée, mais aussi dans toute la classe politique française. Cette décision de justice va obliger la France à soumettre les militaires qui ne sont pas en mission, aux même horaires de travail que les autres travailleurs. C’est-à-dire en France: 35 heures.
Et ça, ça ne passe pas : un militaire peut avoir à mourir pour son pays. « Qui peut penser que c’est un travailleur comme un autre ? », avancent les opposants.
Emmanuel Macron en tête, qui a déclaré qu’il tiendrait jusqu’au bout pour défendre le statut spécifique de l’armée française. Edouard Philippe s’est fendu d’une tribune virulente dans Le Monde. Il dénonce cet arrêt qui touche à la souveraineté de la France.
Pourquoi la cour de justice européenne a pris cette décision?
La cour a été saisie par la République slovène à propos du paiement de jour de garde d’un sous-officier. Et dans sa décision, elle distingue le temps des missions militaires et de leur préparation ; et le temps hors mission : celui des services d’administration, d’entretien, de réparation, de santé, et de maintien de l’ordre.
Les militaires qui pratiquent ces activités plus classiques doivent donc, selon elle, être soumis au même droit du travail que les autres travailleurs. Et cette décision de la Cour de justice européenne, comme toutes les autres, s’applique à la France.
Mais aujourd’hui, quel est le temps de travail d’un militaire français ?
Il ne se décompte pas. Un militaire de l’armée française, qu’il soit soldat ou jardinier de l’armée, est censée être disponible « en tout temps et en tous lieux », c’est l’expression consacrée. C’est inscrit dans leur statut. C’est même une valeur constitutionnelle.
Alors évidemment, dans la réalité, ils travaillent à peu près autant que les autres, ni plus, ni moins, en dehors des missions évidemment. Mais l’armée a pleinement la main sur leur temps de travail.
D’ailleurs, quand les 35 heures ont été instaurées en France, l’armée n’a pas été concernée. Nos militaires doivent être disponibles tout le temps ; mais ils ont des contreparties. Ils ont 45 jours de permission par an, ils peuvent prendre une retraite pleine après 17 ans de carrière.
Et puis, ils ne perçoivent pas de salaire mais touchent une solde ; ils n’ont pas de congé mais des permissions. Tout ça forme un équilibre qu’il faudrait entièrement revoir si cette décision s’applique.
Si le temps des missions et de leur préparation est exclu de cette décision : pourquoi est-ce que cet arrêt inquiète autant ?
D’abord pour des questions de souveraineté. Le traité de l’Union européenne le rappelle: la sécurité nationale est de la seule compétence des États membres. Mais est-ce que le mécanicien, ou l’aide soignante de l’hôpital militaire relève de la sécurité nationale, c’est toute la question.
Autre point d’inquiétude, et pas des moindres : appliquer de nouvelles règles du travail à l’armée couterait très cher et désorganiserait l’armée. Il suffit de regarder les conséquences de l’application des 35 heures à l’hôpital, ce sont des années de mises en place et des coûts pharamineux.
Et puis ça créerait une armée à 2 vitesses: ceux qui sont en mission, et les autres. Alors qu’aujourd’hui, l’armée, c’est un seul corps. Et un seul état d’esprit.
Et pour finir, ça rendrait notre armée vulnérable face à nos ennemis, car on n’imagine pas les soldats de Daesh, ou les talibans, qu’ils soient au front ou à l’arrière, être, eux, aux 35 heures.
Par ailleurs, l’armée est très utile aussi dans des contextes qui ne relèvent pas de la sécurité nationale. Par exemple, on s’est servi de l’armée pour créer des hôpitaux de campagne au début de la crise sanitaire.
La semaine dernière, en moins de 24 heures, l’armée française a fait appareiller un avion avec de l’oxygène pour la Tunisie qui avait appelé au secours. Ce statut spécifique les rend très réactifs et donc très efficaces.
Y a-t-il des recours contre cette décision de justice européenne?
Juridiquement, il n’y a aucun recours possible. Politiquement, la France est très isolée dans ce combat: l’Allemagne par exemple applique déjà cette directive. Mais l’armée allemande, avec son histoire, n’a rien à voir avec l’armée française.
Florence Parly, la ministre des Armées, a affirmé mardi devant les parlementaires qu’il n’était pas question d’appliquer cette directive, et que s’il fallait pour ça faire évoluer le droit, ce serait fait. N’oublions pas que dans quelques mois, la France va présider l’Union européenne.
En attendant, cette décision est un revers pour la France. Et le droit fait loi. Il n’est donc pas du tout certain qu’on réussisse à éviter de mettre en place cette directive.