Bercy va-t-il être le fossoyeur de la loi de programmation militaire ?

Bercy va-t-il être le fossoyeur de la loi de programmation militaire ?

Par Michel Cabirol, le 17/12/2017 / La Tribune

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Crédits Charles Platiau

 

Alors que la France est en guerre et des soldats en opération, Bercy souhaite limiter les dépenses des armées (Crédits : Charles Platiau)

 

La loi de programmation des finances publiques, notamment l’article 14, va sérieusement limiter les marges de manœuvres budgétaires, et donc les investissements, du ministère des Armées. L’article 14 va vider de sa substance la prochaine loi de programmation militaire. Le président de la commission de défense de l’Assemblée nationale, Jean-Jacques Bridey, a mis en garde sur les conséquences de cet article sur la Défense.

La France est en guerre. Bercy, lui, mène sa guerre contre le budget des Armées. Avec très certainement la complicité de l’Elysée et surtout d’une majorité parlementaire très inexpérimentée, le ministre chargé des Finances Gérald Darmanin a réussi à gagner une bataille décisive face aux militaires. Dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques, votée dans la nuit de vendredi à samedi, Bercy dispose désormais d’une arme de dissuasion massive avec l’article 14 pour empêcher les armées d’investir pour la défense de la France quand bon lui semblera. Cet article pourra être utilisé comme une arme pour vider de sa substance la prochaine loi de programmation militaire et pour apurer d’un coup de sécateur les reports de charge portés par le ministère des Armées.

Très clairement, c’est désormais Bercy qui va décider par exemple du renouvellement ou non de la dissuasion nucléaire sous le seul prisme budgétaire. C’est ce qu’a expliqué le président de la commission de défense de l’Assemblée nationale, Jean-Jacques Bridey: « Alors que la mesure est censée être vertueuse du point de vue des finances publiques, le plafonnement trop rigide des restes à payer (engagements budgétaires pris par l’Etat, ndlr) pourrait empêcher la réalisation d’économies d’échelle dans le cadre de commandes globales« . Un comble…

« Par exemple quand il s’agira d’engager une commande groupée pour nos quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins garants de la sécurité nationale, il est évident que le prix demandé par nos industriels ne sera pas le même s’il s’agit de procéder à quatre commandes étalées dans le temps ou un seul marché groupé », a-t-il précisé.

Jean-Jacques Bridey contre l’article 14

Que dit l’article 14? Il pose le principe « de stabilisation du montant des restes à payer (engagements) de l’État pour chacune des années 2018 à 2022, par rapport au niveau atteint en 2017″. Un principe de bon sens, mais dont le ministère des Armées aurait dû être exempté au regard de son poids stratégique (renouvellement des équipements liés à la dissuasion, défense antimissile, renseignement…). Au 31 décembre 2016, les engagements pris par l’Etat – les désormais fameux restes à payer – s’élevaient à 106,8 milliards d’euros, dont 47% provenant de la mission Défense (50 milliards d’euros, dont 35 milliards pour les équipements militaires).

L’article 14 a donc fait grincer les dents, y compris jusque chez les députés de la majorité. Et pas des moindres. Ainsi, pour Jean-Jacques Bridey, il présente ni plus ni moins « un risque sérieux de remise en question de nos ambitions stratégiques telles qu’elles ont été élaborées de façon consensuelle dans la revue stratégique et telles que nous aurons à les traduire dans nos débats de la programmation militaire ». Pour autant, la majorité l’a votée en dépit de la mise en garde du président de la commission de défense de l’Assemblée nationale…

Dans un tweet daté du samedi 16 décembre, le député Les Républicains François Cornut-Gentille, rapporteur spécial sur le budget des Armées (préparation de l’avenir), a estimé pour sa part que c’était un « cinglant camouflet infligé cette nuit (dans la nuit de vendredi à samedi, ndlr) par Bercy au ministère des Armées, via  la loi de programmation des finances publiques : la majorité LREM (La République en Marche, ndlr) a privé la future loi de programmation militaire de tout levier budgétaire ».

Le Sénat était contre

Le Sénat a adopté en séance deux amendements qui prévoient que la stabilisation des « restes à payer » ne s’applique pas aux dépenses du ministère des armées, à l’exclusion de celles portées par la mission Anciens combattants. Présentés par plusieurs membres du groupe Les Républicains, ces deux amendements ont recueilli un avis favorable du rapporteur général de la commission des finances mais défavorable du gouvernement. Mais à l’Assemblée nationale, les députés ont à leur tour dans la nuit de vendredi à samedi adopté un nouvel amendement présenté par le gouvernement réintégrant le ministère des Armées dans le plafonnement des « restes à payer« . Jean-Jacques Bridey n’a pas voté cet amendement.

C’est François Cornut-Gentille, qui avait révélé, fin octobre lors de la discussion budgétaire, la portée « insidieuse » de l’article 14 gelant les restes à payer pour les années à venir au montant de celui de 2017. « Dans ces conditions, la modernisation des équipements militaires au cœur de la prochaine loi de programmation militaire risque d’être sérieusement mise à mal, avait fait observer le député Les Républicains. En effet, les équipements militaires obéissent à une logique pluriannuelle incompatible avec le couperet de l’article 14″.

Que va faire Florence Parly?

Avec cette épée de Damoclès, le ministère des Armées va avoir ses marges de manœuvre limitées, notamment pour lancer de nouveaux programmes. Interrogée début novembre lors de la discussion budgétaire sur la portée de l’article 14, la ministre des Armées Florence Parly avait estimé qu’il est « évident que si cet article devait être appliqué de manière unilatérale au seul ministère des Armées, ce serait évidemment un frein majeur à la modernisation des équipements des armées« .

Dans ces conditions, Florence Parly, soucieuse de défendre la future loi de programmation militaire, avait assuré qu’elle serait « extrêmement attentive à ce que ce ne soit pas le cas et que la capacité d’engagement de notre ministère, dont les programmes d’équipement par construction s’étalent sur plusieurs années, soit préservée ».

Pourquoi 50 milliards d’euros de restes à payer pour la défense

Sur les 50 milliards de dépenses à venir des armées (contre 44,8 milliards en 2013), près de 36 milliards d’euros sont destinés pour le seul programme 146 (Équipement des forces) en raison des délais très longs de réalisation des programmes d’armement, qui s’étalent sur des dizaines d’années. Ces « restes à payer » concernent d’ailleurs pour plus de 70 % les engagements pris sur le programme 146. En outre, 9,4 milliards sont aussi d’ores et déjà figés pour le programme 178 (Préparation et emploi des forces). Les « restes à payer » de ce programme ont bondi de 41 % entre 2013 et 2016 (6,43 milliards en 2013).