Daesh
L’illusion d’une chute
par Roxane Droneau (*) – Esprit Surcouf – publié le 24 mars 2023
https://espritsurcouf.fr/securite_daesh-l-illusion-d-une-chute_par_roxane-droneau_n210-240323/
Etudiante en Sciences Politiques
Le 9 février 2023, Nicolas de Rivière, représentant permanent de la France auprès des Nations Unies, a alerté le Conseil de sécurité sur la menace que représente encore Daesh pour de nombreux pays. À travers cet article, l’auteure justifie cette mise en garde.
.
Daesh trouve son origine dans la guerre d’Irak de 2003, lorsque les USA ont envahi ce pays, y bousculant le paysage politique : chute de Saddam Hussein, mise en place d’un nouveau gouvernement chiite. Ce qui a fortement déplu aux sunnites, une partie d’entre eux s’organisant en groupes armés. Par la suite, ces différents groupes se sont unis pour former « L’État islamique en Irak et au Levant », devenu par la suite l’État islamique, appelé aussi Daesh.
La puissance de cette organisation n’a cessé de s’accroître au fil du temps, jusqu’à devenir une menace sécuritaire majeure pour de nombreuses régions du monde. Pour la réduire, une coalition internationale composée de 22 pays, menée par les États-Unis, est intervenu en 2014. Il a fallu plusieurs années de combats pour que l’organisation djihadiste perde ses territoires et que chute son Califat. En 2017, l’Irak a annoncé son succès face à l’État islamique. En 2019, a été célébrée la libération des territoires occupés syriens. La victoire contre Daesh semble totale. Pourtant, la coalition internationale est toujours à l’œuvre (la France y est toujours présente avec son opération Chammal).
L’ascension de l’Etat islamique
Pour expliquer la montée en puissance de l’État islamique (EI), trois facteurs sont à prendre en compte.
Le premier est la stratégie de restitution du pouvoir aux chefs de tribu, de clans, et aux autorités religieuses des villes conquises par l’organisation. En échange de cela, les détenteurs du pouvoir local prêtaient allégeance à Daesh, brandissaient leur drapeau et obéissaient à leurs mœurs.
Le deuxième facteur expliquant la réussite locale du groupe est le fait qu’il s’est substitué à l’État dans des territoires se sentant abandonnés. Daesh ne se contentait pas uniquement de restituer le pouvoir, il instaurait une autorité étatique. Cela s’articulait par l’investissement des ressources à des fins sociales comme l’éducation, le soutien aux miséreux ou encore les soins médicaux.
Enfin, le dernier facteur est celui de la propagande diffusée en continu sur les réseaux sociaux à travers le monde. Grâce à celle-ci, les djihadistes propagent leurs idées de manière incontrôlable. Une communication qui a participé à l’accroissement de la puissance de Daesh par la création des corps de “combattants étrangers” dont le nombre s’est élevé jusqu’à 12 000 volontaires venus de 50 pays entre 2011 à 2014.
.
L’illusion d’une chute
En 2019, le monde assiste officiellement à la « chute de Daesh ». Pourtant, les attaques persistent à l’échelle régionale et internationale, avec les “cellules” de l’État islamique.
Si l’Irak et la Syrie ont officiellement vaincu Daesh, il n’en reste pas moins que les deux pays sont encore sujets à de nombreuses attaques. En février 2023, 53 personnes ont perdu la vie en Syrie lors d’une attaque revendiquée par Daesh. Les installations militaires syriennes sont fréquemment sujettes à des attaques de la part de l’EI. En Irak, la menace de l’organisation pèse toujours le pays, le groupe conserve sa capacité à s’y déployer et attaque principalement les forces kurdes, les installations militaires et pétrolières.
Daesh reste donc une menace très importante pour ces deux pays, mais aussi pour la région, notamment en Afghanistan, aujourd’hui aux mains des talibans. Ils sont régulièrement la cible de l’État islamique, avec l’attentat-suicide du 11 janvier 2023, faisant 5 morts ou encore celui de mai 2022 qui a coûté la vie à 12 personnes.
Mais comment Daesh peut-il continuer à être une menace ? Tout d’abord, il est important de se rappeler que l’État islamique dispose de ressources financières conséquentes. Selon un rapport du Centre de ressources pour la prévention des radicalités sociales, les djihadistes détiendraient 85 millions d’euros. Ce butin est le résultat des trafics, pétrole, tabac, esclavagisme, mais aussi des rançons perçues après les enlèvements couramment pratiqués par l’EI.
De plus, la perte de ses territoires a paradoxalement joué en faveur de Daesh. La chute du califat a permis au groupe de se libérer d’un grand nombre de tâches, comme celles de la protection de la population et du territoire, lui permettant ainsi de se concentrer sur l’aspect stratégique et tactique. Aujourd’hui, l’État islamique est plus opérationnel et libre dans ses actions. Selon un rapport de l’ONU, les rangs de Daesh sont encore composés de 15 000 soldats sur les territoires syriens et irakiens. Des effectifs qui sont amenés à s’accroître avec l’évasion de combattants des prisons kurdes, comme en janvier 2022 à la prison de Ghwayran, à Hassaké en Syrie.
Pour comprendre la menace que représente encore Daesh, notre regard ne doit pas se tourner uniquement vers le Moyen-Orient, mais aussi vers l’Afrique et l’Asie, où de nombreuses cellules de l’État islamique sont présentes. Elles correspondent à des groupes terroristes ayant fait allégeance à Daesh, leur permettant d’obtenir le statut de “province” de l’État islamique. Une stratégie grâce à laquelle Daesh peut jouer un rôle interne notamment, par la nomination des dirigeants du groupe. Aujourd’hui, on recense la présence de ces cellules dans plus d’une vingtaine de pays, comme aux Philippines, en Indonésie, en Egypte, en Turquie ou encore en Somalie.
.
.
Daesh, la peur d’un redéploiement
Ainsi, si Daesh a faibli en Syrie et en Irak, elle a su se régénérer par l’internationalisation de son organisation, son idéologie et le développement de ses cellules. Son avenir est sujet à de nombreuses interrogations, en particulier sur le degré de menace qu’elle représente pour la zone du Moyen-Orient, mais aussi pour les autres continents abritant les “cellules”.
Pour certains chercheurs, comme Marc Hecker et Élie Tenenbaum, auteurs du livre « La guerre de vingt ans : djihadisme et contre-terrorisme au XXIe siècle », l’État islamique demeurera une nuisance persistante pour l’Irak et la Syrie, ainsi que pour les autres pays. D’autres, tel que Abdelasiem El Difraoui, politologue, spécialiste du monde arabe et du djihadisme, considèrent que Daesh redeviendra une menace majeure pour la sécurité régionale.
La peur entourant la question de l’avenir de Daesh est celle d’assister à un renouveau net du groupe en raison d’un événement géopolitique majeur. Ce que l’on a pu voir avec Al-Qaïda, qui a connu une nouvelle montée en puissance lors des printemps arabes de 2011. Une crainte que de nombreuses personnes partagent, comme le général Paul LaCamera, haut dignitaire militaire américain qui a déclaré “ils (Daesh) attendent le bon moment pour réapparaître”.
La lutte contre l’État islamique n’est pas un enjeu du passé.
(*) Roxane Droneau est étudiante en première année de master en Sciences Politiques, spécialisée sur les questions de conflictualités et de médiation. Dans le cadre de ses études, elle rédige un mémoire portant sur le lien entre l’instabilité politique et l’implantation de l’Islam radical et du terrorisme en Somalie. |