LPM : une occasion de repenser en profondeur l’action du ministère des Armées
Par Philippe Chapleau – Lignes de défense, publié le 05/02/2018
http://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/archive/2018/02/05/lpm-19025.html
Ce jeudi, Florence Parly, ministre des Armées, présentera aux députés de la commission de la défense le projet de loi de programmation militaire (LPM).
En amont de cette présentation et des futurs débats sur la LPM, j’ai demandé à Alexandre Papaemmanuel, chef du pôle Défense nationale du think tank, L’Hétairie et Maitre de conférences à Sciences Po Paris, d’apporter son éclairage personnel sur cette question. Il a déjà publié deux contributions sur ce thème:
– « Ministère des Armées: un budget sans défense », https://www.lhetairie.fr/single-post/budget-defense
– « Des malfaçons de la Revue stratégique à une Loi de programmation militaire sous tension », https://www.lhetairie.fr/single-post/revue-strategique
Voici sa contribution pour Lignes de défense ; elle est intitulée :
« Les indispensables exigences de la future Loi de programmation militaire : l’ambition des choix’.
Avec le vote de la future loi de programmation militaire (LPM), une nouvelle séquence budgétaire démarre pour le ministère des Armées. Féru de planification et d’anticipation, il est en effet le seul à bénéficier d’une vision budgétaire sur six ans à travers cet exercice de la LPM. Cela est inhérent à son activité, qui lui impose de programmer l’ensemble de ses moyens, mais aussi à l’importance de son budget dans celui de la Nation.
Il est d’ailleurs de coutume qu’un exercice prospectif – un livre blanc ou une Revue stratégique pour la présidence Macron – définisse l’ambition pour les prochaines années et, de ce fait, constitue la donnée d’entrée de l’exercice budgétaire programmatique. De sa qualité dépend l’entier dispositif budgétaire qui en découlera. Mais, rédigée en un temps record, la Revue stratégique sollicitée par Emmanuel Macron a ouvert toutes les portes, les fenêtres et même les velux de la maison Armée, pour ne se couper d’aucun besoin opérationnel, pour ne pas prendre le « risque » d’opérer des choix pourtant nécessaires. Il revient donc – de manière anormale – à la LPM de les fermer. Cependant la tâche est rendue quasi impossible par au moins trois facteurs cumulatifs qui découlent de cette absence de choix effectués par la Revue stratégique :
• En premier lieu, les points de vue entre tenants de la rigueur budgétaire et ceux militant pour un renouvellement des équipements des Armées sont-ils conciliables ? En particulier, sont-ils conciliables lors d’un débat budgétaire ? Or, les Armées ont ouvert une lutte financière sans relâche et sans concessions avec Bercy pour qui les finances publiques sont depuis trop longtemps sous la contrainte de celles-ci.
• Par ailleurs, le défi pour la prochaine LPM est de réussir une délicate alchimie, celle d’un intenable « en-même-temps » budgétaire et stratégique : en effet, comment instituer la « dissuasion » en enjeu majeur et en même temps instituer la « protection » de notre territoire national en nécessité primordiale ? Reconnaître dans la fonction « connaissance et anticipation » une priorité et en même temps ériger l’« intervention » en obligation ? Promouvoir une « autonomie stratégique » en même temps soluble dans une dynamique de « coopération » ?
• Enfin, derrière la LPM se cachent des questions aussi essentielles pour le format des Armées de demain que la dissuasion nucléaire, le poids de la masse salariale des Armées, le renouvellement d’équipements à bout de souffle, mais aussi le lancement de nouveaux programmes ou l’effort en R&T pour préparer l’avenir.
Certes, le budget des Armées augmente mais cette augmentation est-elle au service d’une réelle ambition politique, d’une stratégie clairement définie ou n’est-elle qu’une concession sans priorisation ni hiérarchie pour satisfaire l’ensemble des demandes des Armées exsangues entre RGPP et surchauffe opérationnelle mais fortement appuyées par l’opinion publique ? Au demeurant, l’atteinte des 50 milliards d’euros de Budget pour les Armées en 2025 appelle une hausse linéaire de 2,2 milliards par an dès 2018 ; mais le Gouvernement propose de décaler cet effort annuel en visant plutôt 3 milliards sur 2023-2025. « Demain c’est loin » pour les Armées et, pour l’heure, la trajectoire proposée par l’exécutif ne permettra d’atteindre que 1,85% du PIB en 2022.
D’une manière générale, la LPM qui vient devra donc permettre de déceler le rôle et la place que souhaite donner l’exécutif aux Armées dans son exercice du pouvoir.
Les Armées face à un mur capacitaire : dégager des moyens importants pour une LPM de remontée en puissance.
On l’aura compris, la séquence budgétaire qui s’ouvre est cruciale car, passée la crise liée à la démission du précèdent CEMA pour des questions budgétaires, ces six derniers mois ont eu pour objectif de crédibiliser la trajectoire budgétaire ambitieuse vers les 50milliars d’euros annuels visés en 2025 (2% de la richesse nationale).
Si la précédente LPM, héritée du quinquennat Hollande, a comblé de nombreux trous capacitaires et peut être qualifiée de LPM de commandes (ALSR, CERES, MUSIS,…), la prochaine devient de facto une LPM de livraisons de matériel. Le ministère des Armées aura donc besoin de ressources supplémentaires.
Car la fin de cycle d’un grand nombre de nos matériels militaires hérités de la Guerre froide constitue un défi de taille. En réponse, le Livre Blanc précédent et la Loi de Programmation associée avaient défini un modèle d’Armée 2025 décliné en cible capacitaire et donc en équipements et matériels. Et rien n’indique dans la récente Revue Stratégique que le nouveau Président de la République ait modifié ces ambitions.
De même des choix structurants sont nécessaires pour l’avenir de la dissuasion nucléaire. Ainsi, la modernisation de la composante aéroportée de la dissuasion supposera-t-elle dans un premier temps le remplacement d’ici 2025 des avions ravitailleurs. S’ouvre également le chantier de la modernisation de la flotte d’avions de combat ainsi que de la flotte océanique, laquelle se concrétisera notamment par la mise en service du sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) de troisième génération.
Tous ces efforts porteront les crédits alloués à la dissuasion de 3,9 milliards d’euros en 2017 à 6 milliards d’euros en 2025. De fait, l’autonomie stratégique induit des coûts qui réduisent d’autant la valeur de l’ambition des 2% du PIB consacrés au budget des Armées. Et plus qu’une ambition politique affirmée ou une remontée en puissance assumée, ces 2% sont un investissement découlant de notre posture de puissance nucléaire.
Par conséquent, cette bosse d’investissement aura, à n’en pas douter, un effet d’éviction au détriment d’autres budgets pourtant eux aussi indispensables à nos armées. Celles-ci devront faire plus avec plus, mais l’effort consenti suffira-t-il pour franchir le mur capacitaire annoncé ?
D’autant que, dans le cadre de la Loi de programmation des finances publiques, votée le 15 décembre dernier, Bercy a gagné une nouvelle manche face au ministère des Armées qui augure d’un avenir compliqué, de débats renouvelés à chaque loi de finances.
En effet, l’article 14 a introduit un mécanisme de régulation des « restes à payer » sur la mission « Défense » : il suppose que le ministère des Armées devra couvrir en priorité ses engagements passés encore non payés avant de procéder à de nouveaux engagements. A un moment crucial d’investissement à cause du renouvellement du matériel, il réduit la marge du ministère qui ne pourra engager que ce qui a été commandé depuis longtemps. Or les restes à payer ankylosent l’architecture budgétaire et entament les hausses de budget annoncées : sur les 34Md€ du budget 2018, 16,9Md€ seront ponctionnés pour payer des engagements passés. Sur le seul Programme Equipement des Forces (P146), les restes à payer devraient atteindre 35,7Md€ fin 2017 et l’enveloppe 2018 du programme servira à 85% à couvrir des engagements antérieurs.
En définitive, cette clause permettra à Bercy de s’opposer aux investissements du ministère des Armées en arguant d’une nécessaire maîtrise du report de charges.
Ne pas oublier que les Armées sont avant tout composées… de militaires.
Après de nombreux engagements opérationnels, l’effort doit également être humain. Comme le souligne la ministre des Armées, cette LPM doit « être à hauteur d’homme » c’est-à-dire se concentrer sur les personnels des Armées, panser les plaies héritées d’un emploi opérationnel tendu, penser les carrières des militaires, favoriser les renouvellements de contrats, fidéliser les ressources, notamment les plus rares comme celles dans le domaine du Cyber. Il convient donc de moderniser les infrastructures d’accueil, les conditions de mobilité mais aussi les temps d’entrainement. La régénération de forces concerne avant tout le facteur humain.
Et si les programmes du haut du spectre au fort écho médiatique permettront d’arracher le consensus des Armées, cette LPM devra aussi se concentrer sur la couche médiane des matériels militaires, c’est-à-dire sur les moyens moins glamour qui soutiennent les opérations. Ces moyens sont indispensables et le défi de leur disponibilité opérationnelle devient désormais crucial.
Cette LPM doit enfin également être innovante et se projeter sur le temps long c’est-à-dire au-delà de la régénération et de la modernisation. Il faut penser et équiper les Forces pour leur permettre d’aborder de nouvelles frontières de confrontation que sont le Cyber, l’Espace et renforcer la fonction stratégique Connaissance & Anticipation pour permettre à la France de disposer des moyens de son autonomie stratégique.
Vigilance sur une trajectoire budgétaire en demi-teinte.
Mars, dieu de la Guerre est aussi dieu du Printemps. Espérons des lendemains qui chantent ! En raison des carences de la Revue stratégique, la prochaine LPM doit être une opportunité pour repenser en profondeur l’action du ministère des Armées.
Le débat de la LPM au Parlement doit désormais être celui de la concertation plus que de la confrontation pour réformer l’action du ministère des Armées. Céder à l’ensemble des demandes légitimes des militaires ne doit pas revenir à acheter la paix en se dispensant de définir la place que doivent occuper les militaires dans l’exercice de la puissance : sont-ils de simple outil ou bien de véritables acteurs de notre défense nationale ?
Le budget de la Défense cristallise de nombreux enjeux mais nécessite une adhésion de chacune des parties prenantes, politiques, militaires et industrielles. Ce budget doit servir une ambition impulsée par le haut. Le président l’a rappelé lors de ses vœux aux Armées : « Je vous donne donc des moyens mais en même temps, ce sera pour vous plus de responsabilités ». Il est vrai que cette hausse des moyens qui s’annonce comme historique « oblige ». Toutefois, elle n’oblige moins les militaires que ceux dont on attend qu’ils proposent une vision stratégique du rôle des Armées, ceux qui doivent penser la politique de puissance Française, ceux qui, quotidiennement, ajustent Hard et Soft Power pour que la voix de la France résonne en Europe et dans le monde.