Pour le ministre belge de la Défense, la proposition française sur les Rafale est « trop belle pour être vraie »
par Laurent Lagneau, le 28-12-2017 – Zone militaire
Rafale-20161219 Photo État-major des armées
« Le lobbying tourne à plein régime, c’est clair », a commenté Steven Vandeput, le ministre belge de la Défense, au sujet du programme ACCap (Air Combat Capability), qui vise à moderniser l’aviation de combat de la Belgique avec l’achat de 34 nouveaux avions.
Deux constructeurs ont répondu à l’appel d’offres lancé par Bruxelles : Lockheed-Martin pour le F-35A et le consortium Eurofighter (BAE Systems, Airbus, Leonardo). La France a choisi une autre approche, en proposant un « partenariat stratégique » à la Belgique, reposant sur la livraison de 34 Rafale. Ce qui a déplu à M. Vandeput…
Ces dernières semaines, chacun défend sa candidature, en faisant assaut de propositions industrielles. En 2015, l’ambassadeur américain en poste à Bruxelles avait critiqué la faiblesse des dépenses militaires belges, en faisant mine de s’interroger sur la « fiabilité » de la Belgique au sein de l’Otan… Deux ans plus tard, le ton a changé.
Ainsi, fin novembre, le chargé d’Affaires de l’ambassade des Etats-Unis, Matthew Lussenhop, a salué l’engagement des forces belges au sein de l’Otan et de la coalition anti-jihadiste, en mettant en avant leur réputation « de savoir se dépasser ». Et, au passage, il n’a pas manqué de souligner « la relation historique » qui lie Bruxelles à Washington ainsi que les « bénéfices » que pourrait tirer l’industrie aérospatiale belge d’un achat du F-35A.
De l’avion de Lockheed-Martin, il en aussi été question lors de la rencontre, le 5 décembre, entre le Premier ministre belge, Charles Michel, et le chef de la diplomatie américaine, Rex Tillerson.
De son côté, le consortium Eurofighter n’est pas en reste. Le lendemain, il a précisé son offre industrielle dans le cas où la Belgique choisirait le « Typhoon ».
« Notre proposition contient bien plus qu’un simple soutien et une garantie de croissance pour le secteur belge de l’aérospatial et de la défense. Elle représente pour la Belgique une magnifique occasion d’avoir véritablement voix au chapitre et de participer activement au développement futur de l’Eurofighter. À terme, cette participation lui ouvrira également les portes des autres programmes d’avions de combat de prochaine génération en Europe, aux côtés des principales entreprises aérospatiales et de défense du continent », a ainsi expliqué Anthony Gregory, le directeur de la campagne de promotion du Typhoon en Belgique pour BAE Systems.
Quant à la France, elle a aussi fait valoir ses arguments, via une « carte blanche » donnée par les quotidiens De Tijd et Le Soir à Florence Parly, sa ministre des Armées. Une occasion pour souligner que le partenariat proposé par Paris prévoit « une centaine de projets industriels ou technologiques pour un montant de 4 milliards d’euros. » Soit une compensation de plus de 100% du montant du contrat prévu pour l’achat de 34 avions de combat.
Mais, d’après De Tijd, la proposition française irait encore plus loin puisqu’il serait en effet question de 20 milliards d’euros de retombées économiques pour la Belgique sur 20 ans et du maintien de 5.000 emplois à haute valeur technologique.
« Ce retour économique généreux est aussi la raison du non-respect de la procédure RFGP [l’appel d’offres, ndlr] », écrit le quotidien flamand. « Ces compensations économiques iraient à hauteur de 55% en Flandre et de 45% en Wallonie. Avec cela, les Français jouent sur les sensibilités politiques et les relations de pouvoir économique en Belgique », observe-t-il.
Seulement, M. Vandeput n’en démord pas. « L’offre française est trop belle pour être vraie », a-t-il estimé, le 27 décembre. Mais visiblement, le gouvernement belge n’est pas de cet avis étant donné que, selon Les Échos, il a « envoyé ses émissaires négocier avec Paris, la France travaillant à définir une offre complète. »
Le ministre belge avait déjà estimé que la proposition française n’était pas recevable juridiquement puisque faite en-dehors de l’appel d’offres ACCap. Mais le conseil des ministres restreint (le kern) ne s’était pas montré aussi catégorique en décidant de maintenir le Rafale dans la course, dans l’attente d’obtenir d’autres avis juridiques.
« Cela concerne la politique européenne de la Défense, cela vaut la peine de regarder ce qui est concrètement proposé, mais cela doit pouvoir rentrer dans les conditions du marché. Si les obstacles juridiques sont trop importants, on restera dans le cadre de la procédure », avait alors expliqué Didier Reynders, le chef de la diplomatie belge.