La réduction des délais de développement des armes aéronautiques russes : implications géopolitiques et militaires

La réduction des délais de développement des armes aéronautiques russes : implications géopolitiques et militaires

par Giuseppe GAGLIANO – CF2R – notes juillet 2024

https://cf2r.org/actualite/la-reduction-des-delais-de-developpement-des-armes-aeronautiques-russes-implications-geopolitiques-et-militaires/


Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). Membre du comité des conseillers scientifiques internationaux du CF2R.

Un récent article intitulé « Améliorer l’organisation de l’interaction entre le département des armements de la VKS et les entreprises industrielles pour accomplir les tâches de l’ordre de défense de l’État dans des conditions d’utilisation intensive du combat de l’aviation », publié dans la revue russe Военная мысль (Pensée militaire) expose d’importants changements dans l’approche du développement et de la production d’armes et d’équipements militaires dans le domaine aéronautique, dictés par les nécessités apparues lors de la guerre actuelle en Ukraine.

Les auteurs de l’article, le général de Corps d’Armée Yuri Grekhov et le colonel Vladimir Ivanchura, décrivent les mesures adoptées au cours du conflit pour répondre aux besoins en matière d’approvisionnement en armes et de gestion des pertes d’avions, soulignant comment ces facteurs ont nécessité une révision des approches établies pour garantir la mise en œuvre la défense de l’État russe.

Selon les auteurs, la guerre en Ukraine a mis en évidence la nécessité de mettre en œuvre des mesures d’urgence pour maintenir la fonctionnalité et les ressources opérationnelles des avions, en plus de satisfaire aux exigences en matière d’approvisionnement en armes. Cette situation a conduit à une révision significative des approches traditionnelles. Une procédure temporaire pour la réalisation des travaux de recherche et développement (R&D) a été introduite, permettant de réduire drastiquement la durée du cycle de développement de nouveaux modèles d’armes et d’équipements. La procédure temporaire a entraîné une réduction du nombre de tests requis avant qu’un produit n’entre en production de masse.

Comme l’expliquent Grekhov et Ivanchura, cette modification a réduit le temps nécessaire pour achever l’ensemble du cycle de création d’armes et d’équipements militaires de 6/10 ans à seulement 18 mois/2 ans. Cette approche accélérée a été rendue possible en réduisant le nombre minimum de tests nécessaires et en se concentrant sur ceux qui permettent de valider concrètement les caractéristiques de combat du produit.

L’article souligne également que le nombre de tests pour les armes aéronautiques de série – dont la production implique désormais l’utilisation de composants nationaux en remplacement de ceux importés – a été considérablement réduit. Seuls les tests essentiels pour confirmer les caractéristiques opérationnelles restent inchangés. Cette décision a permis de renoncer à une partie significative des tests traditionnels, en particulier pour les produits destinés aux réserves militaires et aux matériaux de consommation, bien avant l’expiration de leur durée de service et de stockage.

L’article de Grekhov et Ivanchura donne un aperçu clair des nouvelles procédures adoptées pour faire face aux défis imposés par la guerre en Ukraine. La réduction drastique des délais de développement des armes aéronautiques représente un changement significatif qui pourrait avoir un impact durable sur les capacités militaires et la préparation opérationnelle des Forces aérospatiales russes, mais constitue également un indicateur utile pour toutes les forces armées d’autres nations, qui pourraient se retrouver engagées dans des conflits prolongés de haute intensité.

À titre d’exemple, selon le canal Telegram « DD Geopolitics », l’armée russe aurait récemment déployé un nouveau système radar mobile dénommé Irbis, permettant de localiser et d’identifier les positions de tir ennemies jusqu’à une distance de 150 kilomètres.

La réduction des délais de développement des nouvelles armes aéronautiques russes est une réponse directe aux besoins opérationnels dictés par le conflit en Ukraine. Ce changement a des implications géopolitiques significatives. La capacité de la Russie à accélérer le processus de développement et de production d’armes pourrait modifier les équilibres militaires dans la région et au-delà. Une force aérienne mise à jour et équipée plus rapidement accroît la préparation et l’efficacité des opérations militaires russes, rendant plus difficile pour les forces adverses de prévoir et de contrer les menaces. De plus, la réduction de la dépendance aux composants importés renforce l’autonomie industrielle de la Russie, atténuant les effets des sanctions internationales et des blocages commerciaux.  Cette approche non seulement améliore la résilience de la défense russe, mais pourrait également stimuler des innovations technologiques susceptibles d’être exportées, élargissant l’influence économique et militaire de la Russie.

Pour sa part, l’Ukraine a également démontré des capacités d’adaptation et d’innovation remarquables, avec le soutien des techniciens militaires et des industries des nations membres de l’OTAN. Elle a su développer rapidement de nouveaux drones et intégrer sur les avions de conception russo-soviétique – Mig 29, Sukhoi Su-27 et Su-24 –des bombes et missiles occidentaux, réduisant les temps d’intégration nécessaires, qui prenaient plusieurs années en temps de paix.

Ce dynamisme technologique est emblématique de la guerre moderne, où la rapidité de développement et d’adaptation des armes peut déterminer l’issue des conflits.

En résumé, la guerre en Ukraine a catalysé un changement significatif dans les délais de développement des armes aéronautiques russes, avec des implications géopolitiques pouvant redéfinir les équilibres de pouvoir au niveau régional et mondial. La capacité d’accélérer les cycles de développement militaire offre à Moscou un avantage stratégique, tandis que la résilience et l’innovation de l’Ukraine, soutenues par l’OTAN, montrent comment la coopération internationale peut influencer de manière décisive les dynamiques d’un conflit.

Face au SCAF, l’Angleterre dévoile son avion de chasse du futur

Face au SCAF, l’Angleterre dévoile son avion de chasse du futur

Par Jean-Baptiste Leroux –  Publié le 24 juillet 2024

L'Angleterre a dévoilé la maquette de son avion de chasse du futur, concurrent du SCAF. Capture d'écran X

C’est à l’occasion du Salon aéronautique de Farnboroug, que le Royaume-Uni a dévoilé son avion de chasse du futur. Développé par BAE Systems, Leonardo et Mitsubischi Heanvy Industrie, cet appareil est le concurrent direct du SCAF européen.

Lors du prestigieux Salon aéronautique international de Farnborough, le Royaume-Uni a dévoilé une maquette grandeur nature de son futur avion de chasse de sixième génération. Cette présentation, orchestrée par BAE Systems, marque une étape importante dans le développement du Global Combat Air Programme (GCAP), en partenariat avec l’Italie et le Japon. Ce projet ambitieux vise à concurrencer le Système de Combat Aérien du Futur (SCAF) mené par Airbus et Dassault.

Un modèle technologique avancé

La maquette présentée par BAE Systems, en collaboration avec Leonardo et Mitsubishi Heavy Industries, représente d’après le quotidien Les Echos, une avancée significative dans le domaine de l’aviation militaire. Le modèle, imposant et futuriste, illustre les progrès réalisés dans la conception et le design de cet avion de combat révolutionnaire. L’avion de chasse de sixième génération sera équipé des technologies les plus avancées, incluant des capacités de furtivité améliorées, une intelligence artificielle intégrée pour assister le pilote, et des systèmes de capteurs sophistiqués pour une conscience situationnelle optimale. Ce modèle vise également à être hautement modulaire, permettant des mises à jour et des améliorations rapides en réponse aux évolutions technologiques et tactiques.

L’objectif est de faire voler le premier prototype de cet avion de chasse dès 2035. Bien que le projet en soit encore à ses débuts, les ingénieurs des trois pays collaborent étroitement pour harmoniser leurs exigences et assurer la faisabilité de ce calendrier.

Un partenariat stratégique et complexe

Le GCAP représente une collaboration stratégique entre le Royaume-Uni, l’Italie et le Japon, visant à maintenir leur suprématie technologique dans le domaine de la défense aérienne. Cependant, cette alliance pose également des défis en termes de financement et de répartition des responsabilités industrielles. En décembre 2022, les trois pays ont signé un mémorandum d’accord pour développer ensemble ce système de combat aérien. Transformé en traité intergouvernemental en décembre 2023, cet accord scelle leur engagement à long terme. Actuellement, chaque entreprise travaille avec des budgets nationaux, mobilisant des centaines d’ingénieurs pour avancer sur le projet. À la fin de 2024, près de 2000 salariés de Leonardo seront dédiés à ce programme, aux côtés de 1700 collaborateurs de BAE Systems.

Malgré l’enthousiasme autour du projet, le financement officiel n’a pas encore été confirmé par les gouvernements. Le Premier ministre britannique, Keir Starmer, a réaffirmé l’importance de ce programme pour le maintien de la supériorité technologique du Royaume-Uni. Toutefois, il a également initié une revue stratégique de la défense dont les résultats sont attendus pour le second semestre 2025, laissant planer une incertitude sur le futur financement.

Rivalité avec le programme SCAF

Le GCAP se positionne comme un concurrent direct du SCAF, le projet européen piloté par Airbus et Dassault en partenariat avec la France, l’Allemagne et l’Espagne. Les deux programmes visent à développer des avions de chasse de nouvelle génération pour 2035-2045, chacun apportant ses innovations et ses stratégies uniques. Le SCAF et le GCAP représentent deux visions concurrentes de l’avenir des avions de combat. Alors que le SCAF se concentre sur une interopérabilité accrue et l’intégration de systèmes de drones et de cloud de combat, le GCAP met l’accent sur une approche modulaire et une collaboration étroite entre des partenaires non européens.

Malgré cette compétition, des voix au sein de l’industrie, comme chez Airbus, plaident pour une certaine convergence technologique à terme, afin de réduire les coûts et d’assurer l’interopérabilité des systèmes de défense. Cette perspective pourrait ouvrir la voie à des collaborations futures, malgré les rivalités actuelles.


*Jean-Baptiste Le Roux est journaliste. Il travaille également pour Radio Notre Dame, en charge du site web. Il a travaillé pour Jalons, Causeur et Valeurs Actuelles avec Basile de Koch avant de rejoindre Economie Matin, à sa création, en mai 2012. Il est diplômé de l’Institut européen de journalisme (IEJ) et membre de l’Association des Journalistes de Défense. Il publie de temps en temps dans la presse économique spécialisée.

La justice ayant débouté l’allemand TKMS, Naval Group va pouvoir livrer quatre sous-marins aux Pays-Bas

La justice ayant débouté l’allemand TKMS, Naval Group va pouvoir livrer quatre sous-marins aux Pays-Bas

https://www.opex360.com/2024/07/24/la-justice-ayant-deboute-lallemand-tkms-naval-group-va-pouvoir-livrer-quatre-sous-marins-aux-pays-bas/


Le 15 mars derniers, le ministère néerlandais de la Défense annonça qu’il confierait au tandem formé par le français Naval Group et IHC Royal le soin de construire et de livrer quatre sous-marins Orka [ou Black Sword Barracuda] à la Marine royale des Pays-Bas [Koninklijke Marine], dans le cadre d’un marché évalué à au moins 2,5 milliards d’euros.

En proposant une version à propulsion « classique » du sous-marin nucléaire d’attaque [SNA] Barracuda, Naval Group venait donc de réussir un grand coup, qui plus est susceptible d’ouvrir la voie à de prochains contrats sous d’autres latitudes, comme par exemple au Canada, voire en Pologne. Ce succès était d’autant plus remarquable que les deux autres soumissionnaires à l’appel d’offres néerlandais, à savoir Damen [associé au suédois Kockums] et l’allemand ThyssenKrupp Marine Systems [TKMS] avaient de bonnes cartes en main pour espérer l’emporter.

Mais le ministère néerlandais de la Défense estima que la proposition faite par Naval Group et Royal IHC était, de loin, la plus compétitive, non seulement pour la construction des quatre sous-marins mais aussi pour leur maintien en condition opérationnelle [MCO]. En outre, les intérêts industriels des Pays-Bas étaient préservés.

« Ils ont réussi à proposer une offre équilibrée, polyvalente et réaliste. L’industrie néerlandaise a également un rôle important à jouer, condition importante dans le processus d’attribution », avait résumé Christophe van der Maat, alors secrétaire d’État à la Défense.

Pour autant, Damen et TKMS ne s’avouèrent pas vaincus. Mais l’un et l’autre adoptèrent une approche différente pour contester cette décision. Le premier s’est appuyé sur la presse pour faire connaître ses récriminations. Et cela afin de convaincre une majorité de députés à s’opposer au choix de Naval Group quand il serait soumis au Parlement. Mais ces efforts auront été vains : la décision du ministère néerlandais de la Défense en faveur de l’industriel français ayant été largement approuvée par la Chambre des représentants, le 11 juin dernier.

Cependant, il restait encore un écueil à surmonter. En effet, en avril, TKMS avait contesté le choix de Naval Group en déposant un recours devant la justice. Selon l’industriel allemand, le ministère néerlandais de la Défense n’aurait pas respecté les règles de la procédure qu’il avait fixées, notamment en choisissant un sous-marin « sur mesure » et non « prêt à l’emploi ».

Mais, une fois encore, cette démarche n’aura pas abouti. En effet, ce 24 juillet, le ministère néerlandais de la Défense a fait savoir que le recours de TKMS venait d’être rejeté par le tribunal de La Haye, sans donner plus de détails sur son verdict.

Désormais, la voie est libre pour notifier officiellement le contrat des sous-marins « Orka ». Ce qui devrait être fait après l’été, c’est à dire après la signature de deux accord : l’un entre les gouvernements néerlandais et français, l’autre entre le minsitère néerlandais de l’Économie et Naval Group afin de garantir l’implication de l’industrie locale dans ce programme.

Par la suite, Naval Group aura dix ans pour livrer à la Koninklijke Marine les deux premiers sous-marins [l’Orka et le Zwaardvis] à partir de l’entrée en vigueur du contrat. Les deux autres, le Barracuda et le Tijgerhaa étant attendus un peu plus tard.

Civil War par michel Goya

Civil War

par michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 17 juillet 2024

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Il s’en est donc fallu de quelques centimètres que l’histoire des États-Unis bifurque et donc par contrecoup aussi un peu celle du reste du monde. A 137 mètres, un tireur moyen armé d’un fusil AR-15 ne peut normalement pas rater une cible de la corpulence de Donald Trump, surtout peu mobile devant un pupitre. Thomas Matthew Crooks est pourtant parvenu à réaliser ce double exploit ce samedi 13 juillet à 18h00 locale à Butler (Pennsylvanie) : parvenir à tirer sur un ancien président des États-Unis à nouveau candidat et parvenir à le rater à aussi courte portée.

L’anomalie comme opium des complotistes

Comme toute chose surprenante en politique ces deux anomalies sont évidemment à l’origine de deux théories complotistes contradictoires qui ont circulé immédiatement après les faits. La première, que l’on retrouve évidemment du côté des gens très hostiles à Trump décrit un candidat organisant lui-même son agression afin de booster sa popularité, à la manière de Nelson Hayward, ce personnage de la série Columbo (S03E03)…qui en profitait aussi au passage pour éliminer un adjoint gênant. La seconde, étrangement plutôt parmi les partisans de Trump, où en France les amis de la Russie ce qui revient un peu au même, est que l’« État profond américain » a voulu se débarrasser de ce révolutionnaire acharné à le détruire. On a même vu le tireur dans un publicité de 2022 financé par le fonds d’investissement Black Rock, c’est dire.

Tout cela ne présente pas grand intérêt, sinon comme symptôme d’une tension particulière. Les pseudo-attentats ont peut-être existé depuis toujours. C’était même une spécialité russo-soviétique justifiant répressions diverses, purges ou effectivement tremplin électoral pour Vladimir Poutine, alors peu connu, mais élu triomphalement à la présidence après les attentats d’août-septembre 1999 organisés par le FSB à Moscou. Les tentatives d’assassinats contre soi sont en revanche beaucoup plus complexes à organiser parce qu’il faut bien prendre un peu de risque pour que cela ait l’air crédible, mais surtout éviter que l’enquête du Columbo ou du journaliste local ne révèle un pot aux roses qui pour le coup s’avérera désastreux politiquement et même judiciairement. Dangereux et délicat à manier donc. On se souvient de l’imbroglio de l’« attentat de l’observatoire » dans la nuit du 15 au 16 octobre 1959 à Paris contre François Mitterrand, alors sénateur. Ce fut une affaire assez minable dont on ne sait pas encore très bien qui a manipulé qui, mais qui a fait très mal à l’image de Mitterrand au lieu de la renforcer comme celui-ci l’espérait. En dehors de cette affaire rocambolesque, je ne connais aucun cas réel d’auto-attentat.

Les assassinats organisés de citoyens de son propre pays par l’État ou ses services de manière autonome sont évidemment plus courants, et c’est là encore plutôt une spécialité russe depuis quelques années. C’est toutefois assez rare dans les démocraties, ne serait-ce que parce que les capacités d’investigation et de révélation du complot sont plus importantes qu’ailleurs. Mais ce n’est pas impossible. Pour rester aux États-Unis, l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy le 22 novembre 1963 est sans aucun doute celui qui a donné naissance à la plus grande littérature et le plus grand nombre d’organisations suspectes, depuis la CIA, jusqu’aux anticastristes, en passant par la mafia de Chicago, l’Union soviétique, le complexe militaro-industriel et même le vice-président Johnson. Peut-être. Rappelons simplement que comme dans le cas de l’auto-attentat, on n’a pas droit à l’erreur dans ce genre d’exercice sous peine de retours politiques dévastateurs, au moins en démocratie. On s’efforce donc, sans certitude absolue, de faire en sorte que cela réussisse. En clair et pour revenir à l’attentat de Butler, on ne confie pas ce genre de mission à un gamin de vingt ans, un âge où aux États-Unis on a le droit d’acheter des armes mais pas de l’alcool, plutôt instable et par ailleurs mauvais tireur selon ses camarades du Clairton Sportsmen’s Club.

Avec Thomas Matthew Crooks on est effectivement loin assez loin de simplement Lee Harvey Oswald, mais bien plus proche de tous les presque toujours illuminés qui ont assassiné quatre présidents des États-Unis et essayé 17 fois de la faire sans réussir, ce qui au passage donne quand même une bonne moyenne pour 46 POTUS. Quant aux assassinats et tentatives d’assassinats de candidats à la présidence ou des personnalités politiques majeures, elles sont singulièrement nombreuses. Et pour tous ceux qui sont passés à l’acte, combien y ont songé mais n’ont pu passer à l’acte comme Travis Bickle, le héros de Taxi Driver car ils n’ont pas trouvé de faille dans le dispositif de sécurité ?

4,86 grammes de politique

Thomas M. Crooks, a, lui, pu accéder à la célébrité morbide, car il a trouvé une faille dans le dispositif, certes assez incroyable mais tout à fait possible dans le monde réel et non fantasmé des complotistes.

Un dispositif de sécurité comprend au moins deux cercles de protection. Le premier est très proche afin d’empêcher les attaques à très courte portée et protéger la cible si ces attaques ont quand même lieu puis procéder à l’évacuation, les soins éventuels, etc. Un deuxième cercle vise à protéger la cible des tireurs à quelques centaines de mètres de portée, mais aussi de possibles attaques de drones. Après reconnaissance des lieux, tous les emplacements de tir possibles sont soit occupés, soit lorsque c’est possible barricadés ou entravés, soit, au minimum, surveillés à vue directe ou par drone. On peut inclure aussi un troisième cercle plus large face aux menaces à plus longue portée, des mortiers par exemple, et surveiller les approches. Ce réseau de surveillance est doublé d’un dispositif de filtrage et de fouilles ou, pour faire simple, plus on s’approche de la cible et plus on doit être léger, à pied et sans moyen de dissimuler des objets lourds.

Après le quadrillage et l’occupation rationnelle du terrain, le point clé réside dans la coordination de tous les agents de sécurité dans le secteur, souvent issus de services différents. C’est là que le bât blesse le plus souvent. Il y a normalement un poste de commandement qui gère toutes les unités impliquées, avec un réseau de communication simple et parfois unique. Si les choses sont bien organisées tout le monde sait ce que font les autres et où. Cela n’a visiblement pas été complètement le cas à Butler où Crooks a pu assez facilement grimper sur un toit non surveillé avec un fusil. Il n’a même pas eu besoin d’actionner à distance l’explosif qu’il avait placé dans sa voiture, sans doute pour attirer l’attention des forces de sécurité. Plusieurs témoins l’ont fatalement vu ramper sur le toit et ont averti des policiers plusieurs minutes avant l’attaque. Il est possible aussi que l’équipe d’antisniping à proximité de Donald Trump l’ait vu également lorsqu’il s’est mis en position de tir, mais c’est là qu’intervient la deuxième faille après le trou dans le dispositif : faute de coordination tout le monde, des policiers dans la foule ou des antisnipers, se demandait probablement s’il ne s’agissait pas de collègues.

Ce flottement a laissé suffisamment de temps à Crooks pour tirer plusieurs coups, et heureusement l’AR-15 vendu dans le commerce ne permet normalement pas de tirer en rafale. Crooks a raté sa cible. Cela tient parfois à peu de choses. Je suis devenu bon tireur seulement après avoir admis qu’étant droitier je devais quand même tirer en gaucher parce que mon œil directeur était le gauche. Peut-être était-ce le cas. Il était en tout cas certainement très stressé parce qu’il voulait tuer, ce qui n’est jamais anodin, et savait qu’il allait probablement mourir à l’issue, ce qui l’est encore moins. La vision n’est alors plus la même et si on ajoute surtout de fortes pulsations cardiaques, avec le stress et l’effort fourni pour grimper sur le toit, ramper et se mettre très vite en position, on conçoit que la qualité du tir sera réduite par rapport à une situation normale au champ de tir, où rappelons-le, il était déjà médiocre. Crooks s’est apparemment compliqué également la tâche en visant la tête au lieu du corps, cible bien sûr plus petite et par ailleurs plus susceptible de bouger. Une balle de 5,56 mm, 2,6 grammes en 22 LR ou 4,86 en calibre OTAN, parcourt 137 mètres entre 1/3 et 1/6e de seconde. C’est court mais c’est suffisant pour une tête de bouger un peu et voir ainsi la balle frôler une oreille au lieu de toucher le front.

On notera la stupeur du public et bien sûr de Trump lui-même au moment des tirs. Le bruit des 5,56 est assez faible, surtout s’il s’agit du calibre 22LR, assez loin en tout cas de l’imagerie véhiculée par l’emploi des fusils d’assaut dans les films, et on peut aisément le confondre avec d’autres claquements, comme des ballons (et là on pense évidemment au discours de Reagan à Berlin en 1987). On rappellera aussi que ce bruit est d’abord une onde de Mach autour du projectile et donc directement sur la cible, rejoint en une demi-seconde par celui de la détonation de départ à 137 m de là. Très difficile alors de comprendre ce qui se passe sauf à voir des gens touchés autour de soi ou des impacts dans le sol ou des murs. Et même alors, un très rapide 5,56 ou tout autre petit calibre, peut traverser des chairs sans provoquer de choc. On peut être touché sans bouger si aucun élément dur, une plaque de protection, un casque ou un objet quelconque mais aussi simplement son ossature, n’est frappé et si c’est le cas, on partira en arrière si c’est en haut (ce que l’on voit toujours dans les films) et on chutera en avant si c’est dans les jambes tandis qu’on se cassera en deux et on tombera sur place si c’est dans le ventre. Trump ne bouge pas à cause du choc mais à cause de la douleur de l’éraflure de l’oreille.

Derrière lui, hormis les gardes du corps qui comprennent très vite, le public est dans l’expectative dans la situation de tension-incompréhension où on ne sait pas quoi faire et où on obéit immédiatement aux ordres, ou on imite ceux qui font quelque chose s’il n’y a pas d’ordre. C’est ce qui se passe lorsque quelqu’un crie « il a un fusil », en voyant simplement le tireur et que les agents de sécurité hurlent « à terre ! ». À ce moment-là, la menace est terminée puisque Crooks a déjà été repéré et abattu tout de suite par des tireurs d’élite.

Donald Trump réagit bien à l’attaque, sort vite de sa stupeur et a l’intelligence de parler tout de suite avec un ordre-slogan simple « Fight ! » qui dans ce contexte-là résonne dans une foule qui n’attend que ça et répond avec force « USA ! ». L’exploitation instinctive de l’agression par Trump est, il faut bien l’admettre, remarquable, ce qui donne l’impression qu’il est capable de résister à la pression – une qualité nécessaire, mais non suffisante, à un bon président. Appuyée par l’intelligence de placement du photographe Evan Vucci, la scène donne même naissance à une photo destinée à être iconique, à l’image de celle du mont Suribachi à Iwo Jima en 1945, et inestimable pour la popularité de Trump. Crooks voulait abattre Donald Trump, il l’a renforcé.

Trump est immédiatement transporté à l’hôpital de Butler à 17 km de là, dont il ressort très vite pour rejoindre la convention républicaine à Milwaukee (Wisconsin) où il est évidemment acclamé. Les croyants fans de Trump invoquent évidement la main de Dieu pour ce qu’ils considèrent comme un miracle et un signe. Cela signifierait donc que Dieu n’avait pas grand-chose à faire au même moment de Corcy Comperator tué par une balle perdue alors qu’il protégeait ses filles de son corps. La plupart de ces croyants politico-chrétiens étant également « pro-guns », ils oublient aussi que Dieu n’aurait pas eu à intervenir avec une législation « normale » de contrôle des armes.

Minutemen ou super-vilains ?

Les assassinats ou les tentatives d’assassinats politiques sont donc nombreux dans l’histoire des États-Unis, mais le plus étonnant est peut-être qu’il n’y en ait pas plus dans ce pays qui conjugue le culte de l’action individuelle et plus d’armes à feu que d’habitants. Nous sommes dans un pays qui a, dès sa naissance, mis en avant les Minutemen, ces citoyens capables de prendre les armes dans la minute pour défendre la Patrie et la liberté, alors que l’armée régulière permanente était longtemps interdite, car soupçonnée d’être l’instrument potentiel de la tyrannie. Dans cette conception où on se méfie plus de l’État que d’ennemis extérieurs, le monopole légitime de la force n’est pas attribué au gouvernement mais aux citoyens.

Quand on conjugue le culte du héros individuel et des centaines de millions d’armes à feu – dont au moins 11 millions d’AR-15 (certains parlent de 25 millions) et bien d’autres armes tout aussi dangereuses – on peut s’attendre à ce que certains se sentent investis d’une mission, sacrée ou pas, malgré la mort presque assurée au bout. Il y a en eu ainsi 38 en 2023 à s’être lancé dans des fusillades de masse provoquant 288 morts ou blessés, avec une préférence pour les écoles ou les supermarchés. Certains ont une conception plus politique de leur action, comme John Wilkes Booth lançant « Sic semper tyrannis » (« ainsi en est-il toujours des tyrans ») après avoir tiré sur Abraham Lincoln, une phrase attribuée à Brutus après l’assassinat de César et devise de l’État de Virginie.

Dans le long cycle des Princes d’Ambre, le romancier Roger Zelazny décrit l’affrontement entre des puissants mondialisés (en l’occurrence plutôt universalisés) et des modestes qui ont le pouvoir, dit du Logrus, de faire venir à eux tout ce qu’ils veulent. Des individus qui peuvent faire venir à eux facilement des armes de guerre disposent d’un super-pouvoir d’autant plus puissant qu’ils agissent désormais dans un contexte hypermédiatisé qui va amplifier les effets de leurs actes. Que l’on songe simplement à l’impact considérable en France des frères Kouachi et Amédy Coulibaly en janvier 2015, amenant quelques jours plus tard 44 chefs d’État à Paris et des millions de Français dans les rues après une émotion immense.

Que l’on songe aussi à ce qui se passerait en France, s’il y avait plusieurs millions de Kalachnikovs, même bridées au coup par coup, en circulation presque libre et non en passant par des réseaux criminels. On peut imaginer que beaucoup d’attaques que l’on parvient à maintenir au niveau- incompressible – de l’arme blanche, comme encore avant-hier contre un soldat français Gare de l’Est à Paris, se feraient au fusil d’assaut. Outre la menace jihadiste ou celle de tous ceux qui en veulent à la France, on peut imaginer aussi des possibilités terribles pour les groupuscules radicaux, type Action directe ou Charles Martel pour des bords opposés dans les années 1970-1980 mais dotés d’un arsenal militaire. Pour autant, on peut encore croire qu’il n’y a pas en France un quart de la population considérant la violence mortelle venant des citoyens eux-mêmes comme légitime pour sauver le pays, comme c’est le cas actuellement aux États-Unis selon un sondage du Public Religion Research Institute, avec même une proportion d’un tiers chez les électeurs républicains, ceux-là mêmes qui viennent de la subir à Butler et paradoxalement par un des leurs.

Les individus seuls lourdement armés sont donc des super-héros potentiels, du moins dans la croyance libertaire américaine, alors que dans les faits ce sont presque toujours des super-vilains. En 2006-2007, une série crossover de l’univers Marvel imaginait que l’État décide d’obliger tous les individus dotés de super-pouvoirs de servir le gouvernement au lieu d’agir individuellement. En clair, il s’agissait de rétablir le monopole de l’État sur l’usage de la force selon la description de Max Weber. Cette décision entraînait une scission entre les héros, les rebelles au gouvernement mais passionnément patriotes étant dirigés par Captain America, le plus vieux de tous les super-héros américains puisque né en 1917, incarnation de la great generation blanche et probablement électeur républicain. Captain America finit par être assassiné dans cette histoire par des gens qui veulent réellement instaurer une dictature aux États-Unis. Et c’est là que se situe toute l’ambiguïté de Butler, des gens d’un même camp pouvant simultanément voir en Donald Trump un champion de la liberté et un potentiel dictateur à éliminer, au risque de déclencher une guerre larvée des Minutemen de l’Amérique profonde contre le pouvoir jugé totalitaire d’un État mondialisé. La série Marvel s’appelait Civil War et cette idée de guerre civile, reprise entre autres dans un film récent, se promène dans le conscient collectif américain.  

Japon. Les exercices entre forces armées japonaises et françaises se développent

Japon. Les exercices entre forces armées japonaises et françaises se développent

La mission française Pégase 2024 a fait escale au Japon ce week-end. De nouveaux exercices entre les forces armées japonaises et françaises sont à prévoir dans le but de « protéger les intérêts des Français qui vivent dans cette région ».

L’armée de l’air française arrive sur la base de Hyakuri au Japon.
L’armée de l’air française arrive sur la base de Hyakuri au Japon. | JOHANN FLEURI

 Si les intérêts du Japon sont menacés, ceux de la France le sont aussi , indique le Général de brigade aérienne Guillaume Thomas et commandant de la mission Pégase 2024. Cette mission diplomatique qui cherche à appuyer la stratégie de défense de la France en Indopacifique a fait escale sur la base de la Force aérienne d’autodéfense japonaise de Hyakuri, dans la préfecture d’Ibaraki au Nord-Est de Tokyo. L’armée de l’Air et de l’Espace (AEE) était au Japon vendredi et samedi dernier avant de repartir vers l’Australie.

C’est la seconde année consécutive que l’AEE vient au Japon. Cette fois, l’effectif est plus important (220 personnes) et l’AEE est arrivée avec deux Rafale (A400M, A330MRTT).  D’autres exercices sont à prévoir dans le but de protéger les intérêts des Français qui vivent dans cette région, notamment en Nouvelle-Calédonie, a précisé le Général de division aérienne Philippe Adam. Il s’agit d’améliorer nos capacités à agir ensemble. 

Cet exercice intervient deux mois après la rencontre d’Emmanuel Macron et du Premier ministre japonais Fumio Kishida ; à Paris ; durant laquelle ont démarré les négociations d’un accord qui ouvrirait la voie à davantage d’exercices et d’entraînements entre les forces armées des deux pays. La France est le quatrième pays avec lequel le Japon cherche à conclure l’un de ces accords.  Nous espérons accueillir prochainement des avions japonais en France , s’enthousiasme le Général Thomas.

Tokyo booste son arsenal

Le gouvernement japonais continue de booster son arsenal militaire. À Okinawa, une nouvelle base de forces d’autodéfense a ouvert en mars 2023 sur la petite île d’Ishigaki, malgré la protestation locale. En mai, le Japon a annoncé une nouvelle hausse de 20 % de son budget Défense pour l’année fiscale 2024 soit un total d’1, 6 % de son PIB avec la volonté de passer à 2 % d’ici quelques années.

Jeudi dernier, Fumio Kishida a rappelé, lors du discours d’ouverture du Palm10 qu’il copréside, que,  dans l’environnement de plus en plus complexe qui entoure la région, le Japon élèverait ses relations avec les pays insulaires du Pacifique à un nouveau niveau  et qu’ils devraient  avancer ensemble  vers l’avenir, soulignant le soutien ferme de l’archipel à la  stratégie 2050  du Forum des îles des Pacifiques.

L’archipel japonais qui vient de signer un accord de défense avec les Philippines, met également la dernière main à son projet d’exportation de missiles Patriot produits dans le pays vers les États-Unis : il s’agira de la première exportation japonaise d’équipements de défense depuis l’assouplissement des restrictions sur les exportations d’armes.

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« C’est un grand déshonneur pour la France de livrer ses amis à ses ennemis » : le calvaire des derniers auxiliaires afghans abandonnés par Paris

« C’est un grand déshonneur pour la France de livrer ses amis à ses ennemis » : le calvaire des derniers auxiliaires afghans abandonnés par Paris

Plus de 1 000 afghans ont été embauchés par l’armée française lors de son intervention en Afghanistan. Mais malgré les promesses de l’État, plusieurs d’entre eux n’ont pas été évacués en France, et regrettent leur engagement aux côtés de l’OTAN.

Par Benjamin Laurent – Géo – Publié le 16/07/2024

https://www.geo.fr/geopolitique/c-est-un-grand-deshonneur-pour-la-france-de-livrer-ses-amis-a-ses-ennemis-le-calvaire-des-derniers-auxiliaires-afghans-abandonnes-par-paris-221248


 Si je retourne maintenant dans mon village, les talibans vont se saisir de moi et me kidnapper ou me tuer”. C’est ainsi que Sayed* nous raconte son quotidien, constitué de changements fréquents de cachette pour échapper aux combattants islamistes qui contrôlent l’Afghanistan.

Son crime ? Avoir travaillé comme auxiliaire de l’armée française, déployée pendant plus d’une décennie dans le pays d’Asie centrale aux côtés de ses alliés. Les forces de Paris ont employé des centaines d’afghans comme lui, luttant pour débarrasser leur pays des talibans ou simplement obtenir de quoi nourrir leur famille. Mais trois ans après la chute de Kaboul et le retour au pouvoir du régime islamiste, plusieurs d’entre eux attendent encore une évacuation qui n’est jamais venue.

Une vie sous la menace des talibans

En 2001, la France envoie ses troupes en Afghanistan après le renversement éclair des talibans par les États-Unis, dans le sillage des attentats du 11 septembre. Paris recrute alors au fil des années 1 067 « personnels civils de recrutement local », ou PCRL ; autrement dit des interprètes, chauffeurs, cuisiniers, ou encore des gardes, qui vont épauler les forces françaises sur le terrain.

Mais le retrait français survenu en 2012 place ces auxiliaires dans une situation délicate, alors que leur statut de collaborateur avec les pays de l’OTAN pousse les talibans à les menacer de représailles. S’engage alors un long bras de fer entre les autorités françaises et des associations, collectifs d’avocats, journalistes ou encore personnalités politiques qui tentent d’obtenir leur rapatriement en France. Une décision du Conseil d’État ouvre en 2019 la possibilité d’accorder un visa pour les PCRL dans le cadre de la protection fonctionnelle, autrement dit la protection due à une personne en danger des suites de son emploi par une administration française.

Car la menace est bien avérée. Le porte-parole des talibans Zabihullah Mujahid résumait en 2014 auprès de Vice News en des termes très clairs ce qui arriverait aux interprètes des armées occidentales : ils doivent être « ciblés et exécutés comme les soldats étrangers et les occupants étrangers. Ils seront mis à mort ».

Qader Daoudzai, interprète des forces françaises entre 2010 et 2012, a ainsi été tué lors d’un attentat au sein d’un bureau de vote en 2018, alors qu’il allait demander un visa déjà refusé en 2015. Abdul Basir, cuisinier pour l’armée française entre 2008 et 2013, est assassiné en juin 2021 après trois refus de visa, laissant derrière lui 5 enfants.

Quelques jours plus tôt, les talibans expliquaient que les afghans qui ont travaillé avec l’étranger « ne cour[ai]ent aucun danger de notre part […] dès lors qu’ils abandonneront les rangs de l’ennemi, ils redeviendront des Afghans ordinaires dans leur patrie et ne devraient pas avoir peur ».

Des alliés de la France laissés sur le terrain

L’assassinat d’Abdul Basir a lieu en parallèle de la reconquête éclair du pouvoir par les talibans durant le printemps et l’été 2021, suite aux accords de Doha prévoyant un retrait des forces de l’OTAN après deux décennies. Cette offensive pousse les pays occidentaux à organiser une évacuation précipitée de leurs troupes et de dizaines de milliers d’afghans avant le mois de septembre. On trouve parmi eux des personnels d’ambassade, journalistes, diplomates, membres du gouvernement, ainsi que de nombreux auxiliaires qui ont soutenu l’effort de guerre.

Mais l’évacuation est loin d’emmener tous les alliés occidentaux en sûreté. Le 16 août 2021, Emmanuel Macron souligne pourtant le rôle crucial qu’ont eu ces auxiliaires sur le terrain. « C’est notre devoir et notre dignité de protéger ceux qui nous aident : interprètes, chauffeurs, cuisiniers et tant d’autres », revendique-t-il, affirmant en parallèle que « plusieurs dizaines de personnes sont encore sur place qui ont aidé l’armée française et pour lesquelles nous restons pleinement mobilisées ».

Malgré cette annonce forte, tous et toutes ne seront pas évacués – loin de là. Selon le ministère des Affaires Étrangères en décembre 2022, si 228 PCRL ont été rapatriés entre 2013 et 2018, l’opération Apagan, durant laquelle la France organise l’évacuation de « près de 3 000 personnes dont une centaine de civils français » au cours de l’été 2021, n’emporte en tout et pour tout que 31 PCRL avec leurs familles. Ce même ministère note que 126 autres anciens PCRL ont depuis été exfiltrés entre septembre 2021 et décembre 2022.

Des centaines de PCRL ne sont donc pas inclus dans ces chiffres, pour de multiples raisons qui contribuent à brouiller un peu plus le dossier : « Des PCRL qui ont servi différentes armées ont pu être relocalisés par un autre pays, par exemple les États-Unis ou l’armée britannique », souligne Maître Magali Guadalupe Miranda, avocate membre du Collectif de défense des personnels civils de recrutement local fondé en 2015.

« Il est aussi possible que des personnes qui ont dû fuir ont finalement été pris en compte dans les chiffres de l’asile et qui de ce fait n’ont pas formulé de demande de visa », souligne l’avocate. D’autres ont tout simplement disparu lors de leur fuite vers l’étranger, sans qu’on sache ce qu’il a pu advenir d’eux.

Un long, difficile et coûteux exil vers la France

Mais pour ceux qui ont dû rester sur place, la situation sécuritaire sans cesse dégradée les pousse à fuir le pays, une tâche très complexe depuis la chute de Kaboul. Le premier obstacle des auxiliaires consiste à sortir du pays en direction du Pakistan ou de l’Iran, États dans lesquels les ambassades françaises peuvent les convoquer pour étudier leur demande de visa.

« Il est très difficile pour un afghan d’obtenir un visa » pour quitter l’Afghanistan dans un délai satisfaisant, souligne cependant Quentin Müller, journaliste qui, dans son livre Tarjuman. Enquête sur une trahison française, écrit avec Brice Andlauer et publié en 2019, dénonçait déjà la politique française envers les PCRL. D’autant que posséder un passeport en règle est également de plus en plus compliqué pour des personnes traquées par le gouvernement.

Or, les délais imposés par les ambassades en cas de convocation doivent être respectés à tout prix, pointe le journaliste : « C’est écrit noir sur blanc que si vous n’êtes pas au rendez-vous, on conclut que vous n’êtes pas intéressé de venir et qu’il n’y aura pas de chance ».

Il faut donc débourser de fortes sommes pour faciliter l’obtention de son visa vers Islamabad ou Téhéran auprès des autorités corrompues avant de fuir dans ces pays, où il s’agit ensuite de subsister en attendant pendant des mois que la France étudie le dossier. L’Iran et le Pakistan, qui abritent à eux deux des millions d’afghans, ont cependant durci leur position sur le sort des réfugiés sur leurs terres, avec l’expulsion par Islamabad de centaines de milliers d’afghans demandant l’asile en 2023.

Zahir* fait partie de ceux qui ont pu, malgré tous ces obstacles, obtenir un visa et s’installer en France, après qu’il ait assuré entre 2006 et 2007 la sécurité des forces armées françaises. « Je suis reconnaissant de l’attention exceptionnelle du gouvernement pour finaliser mon dossier et faciliter mon intégration dans la société française », nous précise-t-il : arrivé en Iran en juillet 2022, il est convoqué à l’ambassade le 16 novembre de la même année et a pu s’installer en France en août 2023.

Mais sa famille est toujours bloquée en Afghanistan, attendant que Zahir parvienne à la rapatrier. « Elle se trouve dans une situation précaire qui menace sa vie », alerte ce dernier. « Elle ne peut pas rester au même endroit en Afghanistan, elle doit constamment changer d’adresse à cause des problèmes de sécurité ».

Mais les coûts engendrés par l’exil empêchent pour le moment tout rapatriement de ses proches : « j’ai payé très cher pour que toute ma famille puisse avoir des passeports, j’ai contracté des dettes pour cela, et, maintenant, je n’ai plus d’argent pour la faire venir », regrette Zahir.

Des dossiers bloqués malgré le danger taliban

Tous n’ont pas été aussi chanceux que Zahir, comme le constate amèrement Hossain*. Ce dernier est réfugié en Iran dans l’attente d’un visa qui ne vient pas, alors que sa famille est encore en Afghanistan. « De 2011 à 2013, j’ai été employé par la société de logistique Agility France en tant que chef d’équipe du service de sécurité de la gendarmerie française«  dans une province afghane, nous raconte-t-il.

Arrivé en Iran, il obtient un rendez-vous à l’ambassade à Téhéran en juin 2023, sans obtenir de réponse de celle-ci par la suite. Sa demande de visa via un recours en urgence a été rejetée, tandis que la procédure suit encore son cours au tribunal.

Le risque d’expulsion d’Hossain vers un pays où les autorités cherchent à le tuer n’est pas une menace suffisante, comme le juge le ministère de l’Intérieur.  GEO

« Je suis très triste, très inquiet, et je ne comprends pas pourquoi le gouvernement français n’a pas tenu les promesses qu’il avait faites à ses employés et pourquoi il nous a laissés au bord du chemin », regrette ce dernier.

Contactés avant et après les élections législatives au sujet d’Hossain, l’ambassade de France à Téhéran et le ministère de l’Intérieur n’ont pas répondu à GEO, tandis que le ministère des Affaires étrangères a indiqué qu’il ne donnerait pas suite à notre sollicitation. Le ministère des Armées, contacté après les élections, n’a pas encore apporté de réponse au sujet d’Hossain.

« Ce qui est fou, c’est le manque de cohérence entre les annonces lors de la prise de pouvoir des talibans et la prise en charge des auxiliaires », souligne maître Zoé Guilbaud, qui a traité de plusieurs dossiers d’auxiliaires, comme celui d’Hossain.

La faute à une « volonté de ne pas accueillir d’avantages de PCRL », dénonce Nicolas Delhopital, directeur de l’association Famille France-Humanité, mobilisée depuis des années pour défendre les auxiliaires. « La situation est très proche des Harkis qu’on a laissés en rase campagne », souligne pour sa part Nathalie Goulet, sénatrice de l’Orne, impliquée sur le dossier depuis des années.

Mais le système qui permet d’accorder, ou non, un visa à ces auxiliaires est opaque et atténue les efforts des acteurs engagés pour tenter de les rapatrier. « Les ambassades ne prennent pas toutes seules les décisions en matière de visa asile, c’est la direction de l’Asile rattachée au ministère de l’intérieur qui va examiner les demandes et donner un avis favorable ou non », pointe ainsi Zoé Guilbaud.

Le ministère des Armées, en tant qu’ancien employeur de ces auxiliaires, joue également un rôle, comme dans les demandes de protection fonctionnelle. L’imbrication de plusieurs administrations, l’existence de plusieurs procédures pour obtenir un visa et le mutisme des différents ministères impliqués complexifie d’autant plus chaque dossier. On peut cependant distinguer une tendance générale selon maître Zoé Guilbaud : « On amène de plus en plus de preuves, de plus en plus d’éléments, mais plus ça va, moins ça suffit ».

Ces procédures de plus en plus complexes ne concernent pas qu’Hossain : « une vingtaine de personnes attend un visa dans les pays limitrophes », estime Abdul Razeq Adeel, interprète entre 2001 et 2014 et fondateur de l’Association des Anciens Interprètes Afghans de l’Armée Française, qui a aidé à mettre la lumière sur cette affaire depuis son arrivée en France en 2016.

Un retour forcé en Afghanistan

Hossain et d’autres pourraient malheureusement connaître le même sort que celui de Sayed. Ce dernier a travaillé comme garde dans une base aérienne de l’OTAN entre 2006 et 2007, un emploi qui lui vaut une médaille de la défense nationale. « Après que les talibans ont pris le contrôle de l’État afghan, j’ai fui en Iran en juillet 2022 », résume-t-il à GEO.

Les états de service de Sayed lui ont valu une récompense attribuée au nom du ministère de la Défense.  GEO

Il tente là-bas de faire valoir ses droits pour obtenir un visa qui lui permettrait d’accéder à la France. « En octobre 2022, mon avocate a reçu un mail de l’ambassade [de France à Téhéran] informant que j’avais un rendez-vous le 16 novembre 2022 pour un entretien. À la fin de l’entretien, l’ambassade m’a dit d’attendre deux ou trois mois leur décision », explique Sayed.

Sans réponse de l’ambassade à Téhéran au sujet du visa, Sayed lance une procédure via le tribunal administratif de Nantes, qui fait la jurisprudence en matière de visa. S’ensuit un refus en août 2023, validé par une décision de ce même tribunal en avril 2024 après contestation par Sayed, puis une procédure d’appel encore en cours.

Une autre demande auprès du ministère des Armées dans le cadre de la protection fonctionnelle en mars 2022 est restée lettre morte. La saisie du tribunal administratif de Paris en urgence et au fond n’aboutit pas non plus : la procédure en urgence a été refusée au motif que Sayed a également demandé un visa auprès des autorités iraniennes, tandis qu’une date d’audience pour la procédure au fond n’a toujours pas été fixée.

La décision du tribunal administratif de Nantes justifie son refus en arguant qu' »il n’est ni établi ni même allégué qu’il [Sayed] ferait l’objet de menaces directes en Iran où il réside depuis 2022″. Son retour dans un pays contrôlé par les talibans n’est pas non plus une justification suffisante : « Si le requérant soutient qu’il est retourné en Afghanistan, et fait part de menaces qu’il aurait subies et d’attaques à l’encontre de ses biens personnels, il n’apporte pas d’éléments suffisamment circonstanciés de nature à établir qu’il serait exposé dans son pays de résidence à des risques sérieux de persécutions ou de traitements inhumains et dégradants », mentionne ainsi le compte rendu.

Comme pour Hossain, la qualité de PCRL de Sayed n’entraîne pas de menace suffisamment avérée, malgré les déclarations des talibans comme leurs actions.  GEO

Abdul Basir n’était pas non plus en danger, selon la justice française. « Le juge a considéré qu’il n’y avait pas de menaces, que les preuves apportées à l’appui étaient fausses. Et aujourd’hui, voilà où l’on en est », dénonçait son avocat William O’Rorke auprès du Figaro en 2021.

Malgré le danger, Sayed a finalement dû quitter l’Iran en désespoir de cause : « Mon visa iranien était expiré et je devais emprunter de l’argent pour continuer à rester en Iran. Et comme j’ai deux enfants handicapés qui sont dans un état très grave et qu’ils avaient besoin de leur père, je suis retourné en Afghanistan », regrette-t-il.

La fille de Sayed, pour laquelle il a dû retourner en Afghanistan.   GEO


« Je dois régulièrement changer de cachette, je vais d’une ville à l’autre, mais je reste en contact avec ma famille. Elle se sent très mal, elle a peur », alerte Sayed.

C’est un grand déshonneur pour la France de livrer ses amis à ses ennemis qui veulent les tuer […] Il suffirait que ceux qui refusent nos visas viennent un jour, ne serait-ce qu’un jour en Afghanistan, et ils comprendraient que nous vivons dans la peur pour nos vies et celles de nos familles. Ils comprendraient à quel point tout est difficile pour nous.

GEO a de nouveau contacté l’ambassade ainsi que les ministères de l’Intérieur et des Affaires Étrangères pour évoquer le cas de Sayed, sans réponse.

La différence de traitement entre ces trois dossiers de PCRL est stupéfiante. Contacté en octobre 2022 au sujet des cas d’Hossain, Sayed et Zahir, un employé de l’ambassade de Téhéran indiquait alors : « après vérification, ces personnes n’apparaissent pas sur les listes des personnes à évacuer ». Pourquoi seul Zahir a-t-il finalement pu bénéficier d’un visa, alors que Sayed, arrivé en même temps en Iran et convoqué le même jour à l’ambassade, a dû retourner en Afghanistan, et qu’Hossain attend toujours le sésame vers la France ?

Un scandale qui n’a pas abouti

Sayed n’est par ailleurs pas le seul à avoir été trahi par les autorités. Yusefi, un autre PCRL réfugié en Iran, a été reconduit à la frontière avec l’Afghanistan en décembre 2023, malgré les révélations de Quentin Müller et Marianne, après avoir vendu tous ses biens pour se rendre au rendez-vous fixé par l’ambassade à Téhéran pour étudier son cas.

Et les auxiliaires français ne sont qu’une catégorie parmi tous ceux qui ont servi aux côtés des troupes occidentales. Ghulam*, un membre de la police nationale afghane d’ordre public, a suivi une formation militaire de six mois à Saint-Astier. Après la chute de Kaboul, il a tenté de quitter l’Afghanistan, sans succès, et reste coincé sous le joug des talibans.

Ma vie n’est pas en sécurité ici, il n’y a ni science ni culture. Les filles ne sont pas autorisées à étudier. J’espère trouver un endroit sûr où mes enfants pourront profiter de la vie que Dieu leur a donnée.

Si tous ces cas pointent bien vers une responsabilité de l’État dans l’abandon de ses alliés sur le terrain, l’affaire n’a pas eu la moindre conséquence politique. La sénatrice Nathalie Goulet, impliquée sur le dossier depuis des années, a demandé en 2021 la création d’une commission d’enquête afin, entre autres, « d’éclairer le Sénat sur les critères qui ont permis l’octroi des visas et les motifs des refus ». Sa demande n’a pas abouti, et le changement de gouvernement suite aux élections législatives de 2024 risque de faire disparaître certains des acteurs qui ont contribué à ces décisions.

Ghulam a été formé aux côtés d’autres policiers afghans en Dordogne en 2014.   GEO

Mais malgré les décisions françaises impactant durement leurs conditions de vie, pour beaucoup d’anciens auxiliaires, la rupture avec leur pays de naissance est définitive. « Si je réussis à repartir, je ne pourrai jamais revenir », affirme Sayed. « Mes enfants sont dans une situation terrible, il faut que je les aide à avoir un avenir. Et j’ai beaucoup trop souffert en Afghanistan« .

Hossain, lui, serait prêt à rentrer rendre visite à sa famille, s’il est pour lui possible de revenir un jour dans un Afghanistan au système politique changé. En attendant, il ne peut que contempler ce qu’infligent les maîtres du pays à leur propre population, et regretter : « L’exemple que donnent les talibans en Afghanistan, c’est celui d’une marche vers l’obscurité ».

*Les prénoms ont été modifiés.

UN CHOIX PAS TOUT A FAIT NEUTRE

UN CHOIX PAS TOUT A FAIT NEUTRE

 

– 11 juillet 2024

https://blablachars.blogspot.com/2024/07/un-choix-pas-tout-fait-neutre.html


On a appris cette semaine quelques détails intéressants sur le choix norvégien en faveur du Leopard 2A8, annoncé en février 2023. Alors que les militaires norvégiens avaient choisi le K2 sud-coréen après plusieurs mois d’évaluation, les militaires norvégiens avaient choisi le K2 sud-coréen, c’est finalement son concurrent allemand qui a été sélectionné par les responsables politiques du pays. Derrière cette distorsion, se cacherait un certain nombre d’arguments allemands visant à favoriser le blindé allemand.

On ne connait pas les détails exacts de ces tractations au cours desquels plusieurs sujets sensibles auraient été abordés comme le pétrole et le gaz ou le coût des programmes associés et la présence de la marine allemande au large des côtes norvégiennes.

Le résultat de ce qui ressemble à une vaste tambouille dans laquelle l’avis des militaires n’a pas été pris en compte, a débouché sur la sélection du Leopard 2, qui serait trop lourd pour être déployé dans les zones les plus septentrionales du pays, où se trouvent les frontières finlandaises et russes, objets des mesures de surveillance des états de la région et de l’OTAN. En dépit de leur caractère très surprenant, ces informations si elles étaient confirmées, démontrent que le choix d’un char de combat est un acte éminemment politique, caractéristique qui peut paraître choquante pour les utilisateurs. Cet aspect politique demeure néanmoins essentiel pour une opération liant deux pays pour plusieurs décennies comme on a pu déjà avec la décision allemande du 24 janvier 2023.

La Chine défie l’Alliance Atlantique en Biélorussie

La Chine défie l’Alliance Atlantique en Biélorussie

par Franck Alexandre –  RFI Lignes de défense – Publié le


Lundi dernier, la Chine et la Biélorussie ont débuté des exercices militaires conjoints. Ces manœuvres se déroulent à quelques kilomètres de la frontière avec l’Europe. Des exercices militaires atypiques et que l’Otan interprète comme une menace. Jeudi, dans son communiqué final, l’Alliance réunie à Washington s’est inquiétée du soutien apporté par Pékin à Minsk et son allié russe en guerre contre l’Ukraine.

Maréchal Dong Jun, ministre chinois de la Défense nationale à Singapour le 31 mai 2024.
Maréchal Dong Jun, ministre chinois de la Défense nationale à Singapour le 31 mai 2024. © Wikimedia Commons.org

C’est le cadeau de la Chine pour les 75 ans de l’Alliance Atlantique. « Un déploiement militaire aux marches de l’Europe, pour répondre aux nouveaux défis mondiaux », indique le ministère chinois de la Défense. Officiellement, il ne s’agit que d’un exercice antiterroriste. Mais l’Otan, réuni à Washington, a immédiatement envoyé un avertissement à Pékin. Et la réaction chinoise ne s’est pas fait attendre, pointe le correspond de RFI à Pékin, Stéphane Lagarde : « Oui, officiellement, ces manœuvres antiterroristes sont des exercices de routine qui n’ont rien à voir avec le sommet de Washington ». Le porte-parole de la diplomatie chinoise a été interrogé sur ce sujet. Voici ce qu’il a répondu aux journalistes : « ces échanges entrent dans le cadre de la coopération militaire normale entre la Chine et la Biélorussie. Il ne vise aucun pays en particulier ».

« Mais tout le monde note évidemment la concordance de calendrier. Et on note aussi que ces opérations, baptisées ‘l’assaut du faucon’, durent quand même 11 jours. Donc c’est long. Elles ont été accompagnées, côté biélorusse, d’une large propagande avec photo du débarquement des troupes chinoises au sol, accueillies chaleureusement selon Pékin. On parle de plus d’une centaine d’hommes côté chinois, c’est essentiellement symbolique. Mais Pékin n’a pas donné de détails en revanche concernant les matériels et les unités de l’armée populaire de libération impliquées dans ces exercices, alors qu’habituellement, les journaux nationalistes ici aiment quand la Chine bombent le torse et n’hésitent pas à le raconter.  Reste que ces exercices se déroulent près de la ville de Brest, en Biélorussie, nous sommes là, à 40 km de la frontière polonaise. Cette formation conjointe vise à renforcer les capacités de coordination des troupes participantes, a aussi indiqué le ministère chinois de la Défense dans un communiqué ».

Pékin évoque une ingérence de l’Otan

Sauf que ces manœuvres inédites, et c’est ce qui irrite l’Otan, ont tout d’un entrainement à la guerre de haute intensité : avec des opérations de nuit, des franchissements de cours d’eau et des simulations de combat en zone urbaine. Pékin démontre ainsi, sa capacité à projeter des forces sur des théâtres extérieurs et à proximité de l’Ukraine. L’Otan accuse Pékin de jouer un rôle déterminant dans ce conflit au travers d’un soutien sans limite apporté à l’industrie de guerre russe. C’est une ingérence occidentale, rétorque la diplomatie chinoise, nous dit Stéphane Lagarde : « Oui, la diplomatie chinoise a aussitôt ressorti une rhétorique maintes fois utilisée dans ce bras de fer avec l’OTAN. Elle parle de mentalité digne de la guerre froide, d’ennemis imaginaires, de tensions provoquées par l’OTAN qui risque de mener à la confrontation. Des mots, là aussi accompagnés d’exercices conjoints. Pékin et Moscou ont annoncé vendredi le début de manœuvres navales et aériennes dans le sud de la Chine. Ça va durer un mois. Pékin tire également à boulets rouges, via ces médias et l’armée des internautes, sur ce qui est qualifié ici d’ingérence de l’OTAN de l’Asie avec le rapprochement Japon / Corée du Sud / Washington qui ne plaît pas du tout, mais alors pas du tout à la Chine ».

Et la Chine, multiplie les signalements stratégiques et défie les alliances, y compris à l’Ouest, comme pour démontrer que du Pacifique à l’Atlantique, ses intérêts et ses frontières n’ont aujourd’hui plus de limites

L’Otan monte au créneau, à défaut de monter au front

L’Otan monte au créneau, à défaut de monter au front

                                                                                    Photo Nato

Des avions F-16, des batteries de défense antiaérienne, une « trajectoire irréversible » vers l’adhésion: les pays de l’Otan ont multiplié mercredi les gages d’un soutien renforcé à l’Ukraine, lors d’un 75e sommet historique marqué par les incertitudes politiques, notamment aux Etats-Unis.

Pour voir l’intégralité de la Déclaration du Sommet de Washington publiée par les chefs d’État et de gouvernement des pays membres de l’OTAN à l’issue de la réunion du Conseil de l’Atlantique Nord qui s’est tenue tenue à Washington le 10 juillet 2024, cliquer ici.

On notera l’établissement du « programme OTAN de formation et d’assistance à la sécurité en faveur de l’Ukraine (NSATU) afin de coordonner les livraisons d’équipements militaires ainsi que les activités de formation militaire organisées par les Alliés et leurs partenaires. Ce programme vise à inscrire dans la durée l’assistance à la sécurité fournie à l’Ukraine, garantissant ainsi un soutien renforcé, prévisible et cohérent. Le NSATU, qui opérera dans les pays de l’Alliance, aidera l’Ukraine à assurer sa défense dans le respect de la Charte des Nations Unies. Le NSATU ne fera pas de l’OTAN une partie au conflit au sens du droit international. Il soutiendra la transformation des forces de défense et de sécurité ukrainiennes, facilitant la poursuite de l’intégration du pays dans l’OTAN ». On notera que mercredi soir, le DoD a annoncé la nomination du général (deux étoiles) Steven G. Behmer au poste d’adjoint au commandant du Security Assistance Group – Ukraine, installé à Wiesbaden, en Allemagne.

On notera aussi:
– « la création du Centre OTAN-Ukraine d’analyse, d’entraînement et de formation (JATEC), qui servira à déterminer et à exploiter les enseignements à tirer de la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine et permettra à l’Ukraine de gagner en interopérabilité avec l’OTAN »,
– et la décision du secrétaire général de nommer un(e) haut(e) représentant(e) de l’OTAN en Ukraine.

Les points 25, 26 et 27 de la Déclaration porte sur le rôle de la Chine. La Chine « joue désormais un rôle déterminant dans la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine », précise le texte otanien qui appelle Pékin, « en sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU (..) à cesser de soutenir matériellement et politiquement l’effort de guerre russe ».
« La RPC continue de faire peser des défis systémiques sur la sécurité euro-atlantique. Nous constatons que la RPC est à l’origine d’incessantes activités cyber et hybrides malveillantes, y compris d’activités de désinformation », poursuit la Déclaration.
La Chine a exprimé dès ce jeudi son « vif mécontentement » et dénoncé un communiqué de l’Otan « empreint d’une mentalité digne de la Guerre froide et d’une rhétorique belliqueuse », selon un communiqué du porte-parole de la mission chinoise auprès de l’Union européenne (UE). « L’Otan devrait cesser de faire du tapage sur une soi-disant menace chinoise, cesser d’inciter à la confrontation et à la rivalité, et contribuer davantage à la paix et à la stabilité dans le monde », a-t-il souligné, dénonçant des propos « remplis » de « calomnies ».

Extension de la lutte

L’Otan a par ailleurs annoncé une réunion « avec les dirigeants de l’Australie, du Japon, de la Nouvelle-Zélande et de la République de Corée et ceux de l’Union européenne pour parler des défis de sécurité communs et des domaines de coopération ». Au travers de ces partenariats, l’Otan entend « favoriser la sécurité et la stabilité au Moyen-Orient et en Afrique, et contribuer ainsi à la paix et à la prospérité ».

Un engagement à aider durablement l’Ukraine

Cette Déclaration comporte aussi un « Engagement à aider durablement l’Ukraine à assurer sa sécurité » dont voici le texte intégral (c’est moi qui souligne):
« Aujourd’hui, nous affirmons notre indéfectible attachement à l’Ukraine, qui, pour rester un État souverain, démocratique et indépendant, a besoin de notre aide sur le long terme. Depuis le début de la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine, les Alliés apportent à cette dernière un soutien politique et une aide économique, militaire, financière et humanitaire d’une ampleur inédite, l’assistance militaire se chiffrant à quelque 40 milliards d’euros par an. Les Alliés mettent en outre à disposition leur capacité industrielle de défense pour répondre aux besoins de l’Ukraine. Tous ces efforts portent leurs fruits en permettant aux Ukrainiens de se défendre efficacement et de faire payer chèrement à la Russie ses agissements.
Nous sommes déterminés à aider l’Ukraine à mettre en place des forces capables de vaincre l’agresseur russe aujourd’hui et de le dissuader de commettre une nouvelle agression demain. À cet effet, nous comptons dégager une enveloppe de base d’au moins 40 milliards d’euros pour l’année à venir, et maintenir ensuite l’assistance à la sécurité à un niveau soutenable, pour que l’Ukraine l’emporte ; il sera tenu compte de ses besoins, de nos procédures budgétaires respectives et des accords de sécurité bilatéraux que des Alliés ont conclus avec le pays. Les chefs d’État et de gouvernement réexamineront les contributions des Alliés lors des prochains sommets de l’OTAN, à commencer par celui qui se tiendra en 2025 à La Haye.
Notre engagement porte sur la fourniture d’une assistance et d’équipements militaires à l’Ukraine et sur la formation des militaires ukrainiens, et couvre donc notamment :
– l’achat d’équipements militaires pour l’Ukraine ;
– les dons en nature au profit du pays ;
– le coût du transport des équipements militaires destinés à l’Ukraine, de leur maintenance et de la logistique ;
– le coût de la formation des militaires ukrainiens ;
– les coûts opérationnels relatifs à la fourniture d’une assistance militaire à l’Ukraine ;
– les investissements dans les infrastructures de défense et l’industrie de défense du pays ainsi que le soutien dont elles ont besoin ;
– toutes les contributions aux fonds d’affectation spéciale OTAN pour l’Ukraine, notamment sous la forme de moyens non létaux.
Toutes les aides apportées par les Alliés à l’Ukraine relevant des catégories précitées seront comptabilisées, qu’elles soient fournies par l’intermédiaire de l’OTAN, à titre bilatéral, à titre multilatéral ou de toute autre manière. Soucieux d’assurer un partage équitable des charges, les Alliés s’attacheront à contribuer chacun de manière proportionnelle à la concrétisation du présent engagement, en tenant compte notamment de leur part dans le PIB global de l’Alliance.
Deux fois par an, les Alliés informeront l’OTAN de l’assistance qu’ils auront fournie à l’Ukraine en vertu du présent engagement. Leur premier compte rendu inclura les contributions mises à disposition à compter du 1er janvier 2024. Le secrétaire général se fondera sur ces informations pour établir un récapitulatif de toutes les contributions déclarées par les Alliés.
En plus de fournir l’assistance militaire couverte par le présent engagement, les Alliés entendent continuer d’apporter à l’Ukraine un soutien politique et une aide économique, financière et humanitaire. »

Guerre au Nord Kivu : rapport de l’ONU sur un conflit oublié

Guerre au Nord Kivu : rapport de l’ONU sur un conflit oublié

par Revue Conflits – publié le 10 juillet 2024

https://www.revueconflits.com/guerre-au-nord-kivu-lonu-eclaire-un-conflit-tres-meurtrier/


Le rapport final du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo révèle une aggravation continue de la situation sécuritaire et humanitaire dans l’est du pays. Ce document des Nations unies met en lumière l’intensification des violences et équilibre les responsabilités des différents acteurs.

Guerre oubliée alors qu’elle engendre des millions de déplacements et des milliers de morts, la guerre qui sévit au Nord Kivu est de nouveau sous les feux des projecteurs avec un rapport de l’ONU publié le 8 juillet. Entretien avec Fleury Venance Agou sur les enseignements de ce rapport.

Fleury Venance Agou est doctorant en intelligence économique (Université de Bangui, Centrafrique). Propos recueillis par la rédaction

Comment évolue la situation au Nord Kivu ?

La situation au Nord-Kivu est chaotique. Le rapport souligne que les Forces démocratiques alliées (ADF), groupe armé opérant à la fois en RDC et en Ouganda, ont intensifié leurs attaques, dont les civils constituent les principales victimes.

Les affrontements entre le Mouvement du 23 mars (M23) et les Forces de défense rwandaises (RDF) contre les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et leurs alliés locaux, se sont également aggravés, entraînant la conquête de nouvelles zones stratégiques par le M23. Selon le rapport, cette situation a provoqué le déplacement de près de 1,7 million de personnes au Nord-Kivu et environ 500 000 personnes supplémentaires vers le Sud-Kivu. Ces millions de personnes vivent dans le dénuement le plus total.

Quelles responsabilités le rapport attribue-t-il à chacun des acteurs  ?

En 2023, les ADF ont été responsables de “plus de 1 000 décès, principalement des civils”. Les ADF est “le groupe armé commettant le plus grand nombre de meurtres en RDC” cette année-là. Leur stratégie consiste à éviter les forces de sécurité et à cibler les civils, en représailles aux opérations militaires menées contre eux. Ils ont également établi des réseaux de collaborateurs, en utilisant des détenus pour recruter et organiser des soutiens.

Le Rwanda est lui directement impliqué par le soutien qu’il apporte au M23. Les Forces de défense rwandaises (RDF) ont non seulement appuyé le M23 dans ses opérations militaires, mais ont aussi été accusées de participer directement aux combats et de contribuer à l’instabilité régionale. Selon le rapport, “le M23 et le RDF ont continué de punir les civils perçus comme ayant collaboré avec des groupes armés ennemis, en particulier parmi la population hutu perçue comme associée aux FDLR ou Nyatura, sous forme d’exécutions, de tortures, de destructions de villages, de pillages ou de détentions arbitraires”.

En République démocratique du Congo, les Forces armées de la RDC (FARDC) sont impliquées dans des affrontements violents avec le M23 et les RDF. Malgré leur rôle dans la défense du territoire, les FARDC ont été critiquées pour leurs abus et erreurs, notamment dans l’utilisation excessive de l’artillerie lourde, qui a causé des victimes civiles. Les FARDC ont aussi souvent utilisé des groupes armés locaux sous la bannière “Wazalendo” comme proxies, compliquant davantage la situation sécuritaire. Ces groupes ont mené des opérations conjointes, mais les Wazalendo, souvent hors de contrôle, se sont livrés à des pillages en toute impunité dans des villes comme Goma. Constitués de milices locales, ces derniers se sont multipliés en réponse à l’insécurité. Ils commettent de graves violations des droits de l’homme, y compris des enlèvements, des “extorsions, des pillages, des détentions illégales, des tortures, des viols et des meurtres”. Les Wazalendo ont prospéré dans une économie de guerre violente, imposant des taxes illégales pour financer leurs activités.

Enfin, divers groupes armés locaux, prétendant protéger la population, ont commis des abus tels que des meurtres, des enlèvements et des taxations illégales. Ces groupes manipulent les dynamiques locales pour légitimer leurs actions, galvanisant ainsi les tensions et violences régionales.

Carte des grands lacs.
Conflits

Le rapport raconte que Félix Tshisekedi a une position litigieuse sur la mobilisation des enfants soldats ?

Le rapport souligne en effet les responsabilités de plusieurs acteurs dans l’utilisation d’enfants soldats, y compris la position litigieuse du Président Félix Tshisekedi.

Il a été rapporté que Tshisekedi a justifié l’utilisation d’enfants soldats en utilisant des arguments de “force majeure”, bien que cela contrevienne aux engagements légaux de la RDC de libérer tous les enfants de moins de 18 ans des groupes armés.

Le recrutement d’enfants soldats est un phénomène courant dans de nombreux pays africains, motivé par l’insécurité chronique et le manque de ressources. Les enfants sont souvent enrôlés en raison de la vulnérabilité de leurs familles face à l’insécurité et à la rareté des ressources. En RDC, l’intensification du conflit a vu une augmentation significative du recrutement d’enfants par des groupes armés comme le M23 et les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR).

Le rapport fait des recommandations à chacun des acteurs impliqués. Quelles sont-elles ?

Pour le gouvernement de la RDC, il est recommandé d’enquêter sur l’utilisation d’armes explosives, y compris les explosifs transportés par drones, et de s’abstenir de les utiliser dans les zones peuplées. Il est également conseillé de cesser toute collaboration avec les groupes armés, en particulier les Forces démocratiques de libération du Rwanda-Forces combattantes abacunguzi (FDLR-FOCA), et de démanteler les réseaux des ADF dans les prisons.

Concernant l’utilisation d’enfants soldats, le rapport recommande au gouvernement de la RDC de mettre en œuvre la législation nationale de 2009 (Loi n° 09/001) en enquêtant et en poursuivant tous les individus responsables du recrutement, de la formation et de l’utilisation d’enfants soldats, et de prendre des mesures immédiates pour assurer leur libération.

Le gouvernement rwandais se voit recommander de retirer ses forces armées et son armement de la RDC, et de veiller à ce que la Raffinerie d’Or de Gasabo (GGR) se conforme aux directives de diligence raisonnable, notamment en vérifiant l’origine de l’or.

Enfin, le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda doivent cesser toute collaboration avec les groupes armés actifs en RDC et enquêter et poursuivre les individus et les réseaux impliqués dans la contrebande d’or.

Que peut-on attendre de la communauté internationale ?

Reste à voir comment la communauté internationale réagira. Jusque-là, la responsabilité du Rwanda était surtout médiatisée – responsabilité qui n’est pas niée par ce rapport au demeurant. Désormais, chaque acteur fait l’objet de recommandations claires et précises. Cependant, la situation est très incertaine, dans un contexte où les prises de parole des autorités nationales sont de plus en plus virulentes. En définitive, il n’est pas certain que les grands acteurs internationaux, dont les regards sont braqués sur l’Ukraine et le Moyen Orient, n’aient ni les moyens ni la volonté de s’immiscer dans ce bourbier.