Comment faire l’histoire immédiate de la guerre russe en Ukraine ? Entretien avec Michel Goya

Comment faire l’histoire immédiate de la guerre russe en Ukraine ? Entretien avec M. Goya

Par Gabrielle Gros, Michel Goya – publié le 8 octobre 2023 

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Michel Goya est un militaire et historien français. Colonel à la retraite des troupes de marine, consultant LCI sur la guerre Ukraine. Il analyse au jour le jour le conflit en Ukraine. Spécialisé dans l’innovation militaire qu’il a enseigné à Sciences Po et à l’École Pratique des Hautes Études, il est très visible dans les médias. Auteur de nombreux ouvrages dont « Sous le feu – la mort comme hypothèse de travail » et « Le temps des guépards : la guerre mondiale de la France », publiés chez Tallandier en 2014 et 2022. Son nouvel ouvrage, « L’ours et le renard – Histoire immédiate de la guerre en Ukraine » publié chez Perrin en 2023 a été un travail de longue haleine réalisé avec Jean Lopez, directeur de la rédaction de Guerres & Histoire et du Mook De la guerre.
Gabrielle Gros est étudiante en Master d’Histoire Relations Internationales Sécurité Défense à l’Institut Catholique de Lille.

Sur la guerre en Ukraine, quelles sont les trois principales idées fausses qui traînent à tort dans le débat public ? Quels outils pour minimiser les erreurs stratégiques et leurs impacts ? Comment la guerre en Ukraine a-t-elle changé l’Union européenne ? Quelle possible nouvelle tournure du conflit à l’approche des élections américaines ? Voici quelques-unes des questions posées par G. Gros à M. Goya à l’occasion de la publication de son nouvel ouvrage co-signé avec J. Lopez « L’ours et le renard » (Perrin, 2023) pour le Diploweb.com.

Gabrielle Gros (G. G. ) : Sur la guerre en Ukraine, selon vous quelles sont les trois principales idées fausses qui traînent à tort dans le débat public ?

Michel Goya (M. G. ) : La première idée fausse est que la guerre de positions est un retour aux méthodes de la Première Guerre mondiale. Je fais moi-même souvent cette comparaison parce qu’elle parle justement au public, mais elle est fausse. Il y a guerre de positions dès que la guerre de mouvement ne permet pas d’obtenir de décision stratégique et que les deux adversaires ont encore des moyens de continuer le combat. Le meilleur moyen de faire face à la puissance de feu des armes à tir direct modernes consister à se protéger, dans le milieu urbain mais aussi dans les fortifications de campagne. Cela a été le cas sur tous les fronts de la Seconde Guerre mondiale à partir de 1941, mais aussi pendant la guerre de Corée (1950-1953) ou encore la guerre entre l’Iran et l’Irak dans les années 1980.

La deuxième idée fausse est qu’il s’agit d’une guerre de nouveau type à cause de l’omniprésence des drones ou du numérique. En fait, l’art de la guerre industrielle après une révolution de 1850 à 1950 n’a guère évolué dans sa forme, malgré l’apparition de moyens techniques nouveaux. Les structures et les méthodes n’ont guère changées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Si le général Patton, le célèbre commandant de la 3e armée américaine en Europe en 1945, était ramené du passé pour commander les forces ukrainiennes, il s’adapterait très vite à la situation, beaucoup plus en tout cas que si on le ramenait 78 ans en arrière, en 1867. L’immense majorité des équipements majeurs qui sont utilisés en Ukraine ont été conçus entre 1960 et 1990. Cette guerre n’est donc pas une révolution militaire.

 
Michel Goya
Michel Goya co-signe avec Jean Lopez L’ours et le renard – Histoire immédiate de la guerre en Ukraine, éd. Perrin

La troisième idée fausse est que l’armée russe est la mieux équipée du monde ou du moins du conflit. Classée parmi les plus grandes puissances militaires mondiales notamment en raison de son budget, de ses effectifs et de son arsenal nucléaire, l’armée russe s’est en réalité révélée mal préparée au cours de cette guerre. Une grande partie de son équipement hérité de l’âge d’or militaire soviétique est obsolète et une faiblesse structurelle de l’armée en partie liée à la qualité de son encadrement pose problème. Sur le papier, la Russie dispose d’une supériorité en nombre dans les espaces vides – mer, air, espace et cyber – comme solides mais, concrètement, la qualité tactique des pièces d’artilleries ukrainiennes par exemple lui donne l’avantage sur l’artillerie russe bien que cette dernière possède davantage de pièces. De plus l’aide militaire, notamment américaine, est venue renforcer le niveau de compétitivité de l’armée ukrainienne et de facto baisser celui de la Russie.

G.G. : Le but de ce nouvel ouvrage, « L’ours et le renard » (Perrin, 2023) que vous avez développé avec Jean Lopez est de « mettre de l’ordre dans la masse d’information relative aux combats », plus globalement face à la multiplication des sources ouvertes. Quels outils aujourd’hui, demain, pour éviter ou du moins minimiser l’impact des erreurs stratégiques et de renseignement ?

M.G.  : Il faut du travail et de la rigueur dans l’application de méthodes assez proches dans le domaine du renseignement comme celui de la recherche. Les sources ouvertes permettent de disposer d’une masse considérable d’informations, qu’il est déjà en soi difficile de collecter en particulier dans un contexte de guerre. Il faut ensuite évaluer, très classiquement, la valeur de la source, souvent en fonction de la valeur des renseignements précédents, et de la vraisemblance des informations, si possible en recoupant avec d’autres sources. C’est là qu’intervient vraiment l’expertise militaire, en permettant de mieux et plus rapidement distinguer l’utile et le vraisemblable de ce qui ne l’est pas, voire relève de la pure propagande. On a, je crois, suffisamment d’informations pour avoir une image un peu juste des opérations militaires. Il faut également garder à l’esprit les biais de réflexion de ceux dont on parle, leurs ambitions stratégiques, ce qu’ils sont prêts à sacrifier, etc. Quant aux prévisions, elles sont évidemment extrêmement difficiles puisqu’on se trouve dans un domaine dialectique et donc très complexe. Ce qui fait l’expert par rapport au néophyte et plus encore par rapport au militant, c’est d’avoir une majorité de prévisions justes. Dans le cas de l’Ukraine il est par exemple difficile d’évaluer les pertes car il s’agit d’une information stratégique pour l’adversaire que les armées et les gouvernements évitent donc de dévoiler voire tentent de calomnier.

G.G. : Au vu de votre expérience dans ce domaine, quel est votre message essentiel sur l’innovation militaire concernant ce conflit ?

M.G.  : Nous ne sommes plus dans la Seconde Guerre mondiale, où on pouvait concevoir un équipement majeur – un nouveau char ou un nouvel avion de chasse par exemple – en un ou deux ans. Désormais les matériels majeurs sont les mêmes d’un bout à l’autre d’un conflit même de plusieurs années et l’évolution technique s’effectue plutôt par des petits objets à conception rapide, logiciels et machines volantes pour l’essentiel, et des adaptations des gros.

Dans ce cadre-là les Ukrainiens bénéficient d’une plus grande intégration de la société dans leur armée que les Russes, notamment par l’arrivée sous les armes de civils mobilisés disposant de compétences techniques et d’un autre regard sur les choses que les militaires de carrière, surtout ceux formés à l’école soviétique. Ils sont une grande source d’innovations techniques mais aussi de méthodes ou de structures. L’évolution qualitative de l’artillerie ukrainienne, avec des pièces d’artillerie très diverses et toutes plus ou moins anciennes mais beaucoup plus rapides, précises et efficaces dans les gestions des feux qu’au début de la guerre est le parfait exemple de cette capacité d’innovation par le bas associée à l’effet d’apprentissage. C’est une progression rendue également possible par un taux de pertes faible par rapport à d’autres armes, comme l’infanterie qui a beaucoup plus de mal à évoluer.

Reste ensuite à diffuser les idées nouvelles horizontalement par les réseaux d’amis ou le voisinage opérationnel, ce qui n’était pas forcément le cas dans les armées de style soviétique, et verticalement par le biais de structures dédiées à charge de standardiser les meilleures pratiques. Dans tous ces champs, les Ukrainiens sont supérieurs aux Russes, qui innovent et progressent, mais plus lentement.

La guerre a fait évoluer les pays européens, en déniaisant certains sur le retour des politiques de puissance agressives de grandes puissances et la menace russe en particulier.

G.G. : Vous parlez notamment de l’instrumentalisation de l’ordre international qui a lieu – dans les deux camps – mais aussi de l’évolution concrète qu’a eu cette guerre sur les collaborations politico-militaires, d’après vous comment cette guerre russe en Ukraine a-t-elle changée l’Union européenne ?

M.G.  : La guerre en Ukraine a évidemment fait évoluer l’Union européenne dans un champ militaire où elle traditionnellement mal à l’aise. Personne n’aurait jamais imaginé avant-guerre que l’on verrait l’UE, en tant qu’organisation, fournir des armes à un pays en guerre. Mais la guerre a surtout fait évoluer les pays européens, en déniaisant certains sur le retour des politiques de puissance agressives de grandes puissances et la menace russe en particulier. Ce choc psychologique à l’échelon politique en décalage avec les prises de conscience beaucoup plus anciennes des militaires, et ce réflexe sécuritaire bénéficie cependant beaucoup plus à l’Alliance atlantique qu’à l’Union européenne, dont pourtant l’article 42.7 [1] du traité de Lisbonne est plus contraignant pour les membres de l’UE en cas de conflit que le fameux article 5 de l’OTAN. En cas de problème majeur, on fait plus confiance à l’OTAN et donc aux États-Unis qu’à l’UE. Il est vrai que si les États européens avaient fait le même effort de défense que les États-Unis, on n’aurait aucunement besoin de faire appel à ces derniers. Bref, cette guerre est surtout l’occasion de montrer combien l’Union européenne est nue, et volontairement nue, en matière de défense. Nonobstant le front d’opposition à la Russie se révèle davantage occidental que mondial et l’Union européenne par ruissellement apparaît plus soudée, du moins idéologiquement.

G.G. : La guerre n’avait pas disparu pour les Européens, pour autant elle n’était plus visible. Quelles réflexions voyez-vous ou espérez-vous voir émerger dans le débat stratégique à court et à long terme alors que la guerre redevient visible en Europe géographique ?

M.G.  : J’ai effectivement le souvenir des guerres d’ex-Yougoslavie dans les années 1990, dans lesquelles j’ai été, comme beaucoup de militaires, plongé à plusieurs reprises. Et la France a mené également de nombreuses guerres contre des États et des organisations armées depuis soixante ans, mais à très petite échelle. Là, on se trouve devant un conflit interétatique à grande échelle et qui relève quasiment de la guerre totale, du moins pour l’Ukraine qui lutte pour sa survie en tant qu’État indépendant.

Ce n’était pas totalement impossible de le prévoir. Les forces armées françaises se sont préoccupées de leur capacité de mener des opérations dites de haute intensité, c’est-à-dire à la fois très importantes en volume et en violence, dès 2014 et le spectacle des combats dans le Donbass, avec en particulier les interventions russes d’août 2014 et février 2015. Mais, outre que l’on continuait à réduire les crédits de Défense malgré le spectacle de la guerre en Ukraine, on se concentrait surtout sur la guerre contre les organisations djihadistes [2]. Comme souvent, c’est bien plus la vision des choses que toutes les réflexions qu’il y a pu avoir précédemment qui font avancer d’un coup. Dans l’immédiat, le spectacle de la guerre en Ukraine est surtout un révélateur des faiblesses et lacunes que nous avons accumulées avec le temps. Nous avons par exemple tellement réduit nos forces terrestres que l’armée de Terre française de 1990 se débrouillerait mieux que celle de 2023 en cas de conflit majeur. En fait, deux visions s’opposent : celle qui demande à ce qu’on se prépare vraiment à un conflit de haute intensité en Europe géographique, soit comme acteur, soit comme soutien, à la manière de ce que l’on faisait pendant la Guerre froide et celle qui considère qu’un tel scénario est très improbable et que nos intérêts à défendre militairement sont hors d’Europe.

Tout le processus de formation proposé aux Ukrainiens, mais aussi à nos propres troupes, doit être alimenté par le retour d’expérience du front ukrainien.

G.G. : L’Occident a beaucoup investi dans la formation du personnel militaire ukrainien ainsi que dans l’organisation de son armée, en lien avec la métaphore de l’ours et du renard qui inspire le titre de votre livre, quelles conséquences si l’Ukraine continue de renforcer son poids stratégique ?

M.G.  : L’armée ukrainienne est désormais l’armée européenne la plus puissante et la plus expérimentée. Il y a bien plus de soldats ayant connu le feu dans cette armée que dans tous les pays de l’Union européenne réunis. Je suis donc toujours étonné de voir par exemple, des unités ukrainiennes formées par des instructeurs allemands, dont la première consigne en opération extérieure est d’éviter à tout prix le combat. J’ai l’impression qu’en fait il devrait s’agir de formation mutuelle, les armées occidentales faisant profiter de leurs infrastructures de formation à l’abri des combats et de leurs savoir-faire maîtrisés, par exemple dans les techniques d’état-major, mais en coopération avec des cadres ukrainiens venant du front apportant leur expérience aux recrues comme aux Occidentaux. Pour le dire autrement tout le processus de formation proposé aux Ukrainiens, mais aussi à nos propres troupes, doit être alimenté par le retour d’expérience du front ukrainien.

A un niveau stratégique, et avec l’effort de défense réalisé par certains pays comme la Pologne, il est clair que le centre de gravité militaire européen est en train de basculer de l’Europe atlantique à l’Europe de l’Est. Il reste à savoir pour la France si on veut se connecter à cet effort est-européen, comme par exemple l’Allemagne envisageant de déployer 4 000 soldats en Lituanie ou si on préfère d’autres horizons.

G.G. : Votre constat est que la Russie mise sur la lassitude d’un Occident largement soutenu par les États-Unis. Alors que la guerre dure et que les élections américaines se rapprochent, est-il plausible que le conflit prenne une tout autre tournure ?

M.G.  : Un dessin très connu du caricaturiste Jean-Louis Forain montre un poilu de la Grande Guerre se demandant si l’« arrière » allait tenir sous la pression de la guerre. Il est intéressant d’ailleurs de noter que ce dessin date de janvier 1915, c’est-à-dire encore au tout début de l’épreuve.

 
Jean-Louis Forain, « Pourvu qu’ils tiennent », caricature, « L’Opinion », 9 janvier 1915
Source : L’Opinion, 9 janvier 1915.

Pour vaincre, il faut faire craquer l’armée ennemie et si cela s’avère difficile, on attaque aussi son arrière, sa société et son État, en espérant que l’effondrement viendra d’abord de ce côté-là. Cette pression arrière s’exerce des deux côtés dans cette guerre russo-ukrainienne avec cette particularité que l’arrière ukrainien est double : il y a certes la société ukrainienne, dont on ne voit pas bien pour l’instant ce qui pourrait la faire craquer, mais il y a aussi les pays occidentaux dont l’aide est essentielle à l’Ukraine. Que cette aide, et singulièrement celle des États-Unis, se tarisse et tout l’effort de guerre ukrainien se trouvera très compromis, comme lors des précédents du Sud-Vietnam en 1975 et même de l’Afghanistan en 2021. Pour les Russes l’opinion publique occidentale est donc un centre de gravité clausewitzien qu’il faut « travailler » par toutes les formes possibles d’influence, de la menace d’un hiver rigoureux jusqu’au messages pacifistes. Mais pour l’instant, et c’est peut-être une surprise pour Moscou, le soutien des opinions publiques résiste bien. Tous les esprits se tournent évidemment vers la prochaine élection présidentielle américaine (novembre 2024), avec en particulier l’hypothèse que Donald Trump revienne à la Maison-Blanche. On craint que Trump mette fin à l’aide américaine à l’Ukraine, mais en fait on n’en sait rien. On a pour l’instant le choix entre l’aide américaine assurée pour plusieurs années et une aide sûre jusqu’à une bonne partie de 2025 avec l’inertie institutionnelle américaine et une grande incertitude ensuite. Mais il n’est pas certain que l’arrière russe, très différent, soit beaucoup plus solide. Il est simplement plus opaque.

G.G. : Il est bien sûr impossible de prévoir l’issue du conflit. Néanmoins d’ici six mois quels sont les points d’attention à suivre ?

M.G.  : Il faut voir comment les deux camps s’organisent pour une guerre de plusieurs années. On se trouve peut-être dans un moment « 1917 » ou en situation de crise schumpetérienne, si on préfère une métaphore économique. Les moyens engagés ne permettent plus d’obtenir d’effets stratégiques importants, il faut donc en avoir beaucoup plus pour espérer gagner la guerre mais surtout innover. Il y a deux batailles à mener, celle de l’industrie afin de disposer de beaucoup plus de puissance de feu, le seul moyen de casser des lignes fortifiées, et celle des méthodes de combat, le tout dans un contexte économique difficile, surtout pour les Ukrainiens, et un contexte politique tendu. En résumé, on assistera peut-être à une accalmie des opérations de conquête terrestre, assez stériles de part et d’autre, mais aussi à une augmentation en proportion des opérations de raids et de frappes qui permettent de donner des coups et d’offrir de petites victoires lorsqu’elles réussissent. Pendant ce temps on travaillera beaucoup en arrière, pour pouvoir relancer des opérations offensives plus efficaces au printemps 2024. Ce sont les seules qui peuvent être décisives, et elles le seront peut-être à ce moment-là.

Copyright Octobre 2024-Goya-Gros/Diploweb.com


Plus

Michel Goya et Jean Lopez, «  L’ours et le renard – Histoire immédiate de la guerre en Ukraine », Perrin, 2023.

Depuis février 2022, chacun d’entre nous est bombardé d’informations sur la guerre en Ukraine. Des informations hachées, parcellaires, souvent contradictoires, dans lesquelles on ne sait comment démêler le vrai du faux. Depuis son début, Michel Goya et Jean Lopez se concentrent sur ce conflit, le premier en tant que chroniqueur militaire pour une chaîne d’information continue, le second comme spécialiste de l’histoire militaire russe et soviétique. Tous deux ont décidé d’entamer un dialogue de plusieurs mois, en échangeant informations et analyses. L’ours et le renard est le résultat de ce long et passionnant échange au jour le jour. Précédés d’une indispensable introduction sur l’histoire longue de la relation russo-ukrainienne, cinq chapitres nous font pénétrer au cœur des combats, relevant les surprises (et elles n’ont pas manqué !), les forces les faiblesses, les bévues, les révélations et les nouveautés apportées par ce conflit qui a déjà fait plus de 350 000 victimes et mis le monde, et singulièrement l’Europe, sens dessus dessous. C’est littéralement les clés d’une Histoire qui se fait sous nos yeux que livrent Michel Goya et Jean Lopez, forts de leurs expériences complémentaires. Cet ouvrage est indispensable non seulement aux amateurs d’histoire militaire mais à tout citoyen désireux de comprendre l’énorme embrasement qui se produit à l’est et dont chacun craint que des flammèches viennent jusqu’à nous.

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Frappes sur Israël et Gaza (7 octobre 2023)

 

LE POINT SUR LA SITUATION – Des milliers de roquettes ont été tirées sur Israël, tandis que des dizaines d’otages israéliens auraient été amenés dans la bande de Gaza.

Correspondant à Jérusalem

Samedi matin, Israël s’est réveillé en état de sidération, au son des sirènes et des détonations du Dôme de Fer. Le Hamas venait de déclencher une vaste opération sur son sol, impliquant des troupes appuyées par les tirs de milliers de roquettes. Le dernier bilan fait état d’au moins 250 morts et plus de 1000 blessés du côté des Israéliens, et de 232 morts côté palestinien.

Dans la soirée, la situation restait confuse. Dans un briefing à la presse internationale, le lieutenant-colonel Richard Hecht, porte-parole de l’armée israélienne, a confirmé que «des centaines» d’infiltrés se trouvaient encore en territoire israélien à la nuit tombée, et que des combats étaient toujours en cours en «22 endroits». Selon lui, ces combats ont notamment lieu dans les camps militaires de Zekim et de Rahim, à proximité du passage d’Erez, ainsi que dans plusieurs Kiboutz et des villes israéliennes proches de la bande de Gaza : Kfar Aza, Beri, Nahal Oz, Magen et Sderot.

Déclenchement de l’opération «Epée de feu»

À 10h34, heure locale, l’armée israélienne a annoncé le déclenchement de l’opération «Épée de feu», précisant que «des dizaines d’avions de chasse étaient en train de frapper plusieurs cibles de l’organisation terroriste du Hamas dans la bande de Gaza.» Les frappes se poursuivaient dans la soirée, notamment sur des cibles de haute valeur, abritant potentiellement de hauts responsables du Hamas. Filmées depuis Gaza, des vidéos montrent de lourds nuages de fumée s’élever au-dessus des immeubles.

Le lieutenant-colonel Hecht indiquait dans la matinée que l’armée était en état de «préparation à la guerre». Il a confirmé que le ministre de la Défense Yoav Gallant, lequel parle plus simplement de «guerre», avait approuvé la mobilisation des réservistes. «C’est une matinée sévère et difficile. Nous sommes conscients de la gravité de la situation, a-t-il reconnu. Nous allons réagir avec le timing qui nous semble approprié.» Il a précisé que l’armée «gardait un œil sur la frontière nord, avec le Liban, et sur la Judée et la Samarie (la Cisjordanie occupée, NDLR).» Deux régions où la situation est particulièrement tendue en ce moment.

Les images de l'incursion armée du Hamas en Israël

Une trentaine d’Israéliens pris en otage

Mais c’est le Hamas qui, prenant totalement son ennemi par surprise, a déclenché les hostilités. Samedi matin, à l’aube, le mouvement islamiste a lancé l’opération «inondation d’Al Aqsa». Alors que plus de 3000 roquettes étaient tirées depuis la bande de Gaza, des miliciens ont ouvert des brèches dans la barrière de sécurité qui entoure la bande de Gaza. Après quoi, à moto ou en pick-up, ils sont entrés en Israël. Certains sont même passés par la mer. Aucun chiffre officiel n’a été révélé, mais 163 Israéliens auraient été pris en otage, dont des femmes et des enfants, selon i24News. Des vidéos montrent d’incroyables images de miliciens du Hamas pénétrant à l’aube dans un Kibboutz endormi, d’autres, de véhicules blindés israéliens ramenés dans la bande de Gaza ; d’autres encore, des guerriers du Hamas circulant à pick-up dans la ville de Sderot et tirant au fusil-mitrailleur sur une voiture de la police israélienne. On peut aussi voir des corps de soldats israéliens, visiblement surpris dans leur base et abattus en plein sommeil. Sur une photo, on voit le cadavre d’un homme en caleçon, qui n’a apparemment eu que le temps d’enfiler son gilet pare-balles et de mettre son casque sur la tête, avant de tomber. Si ces images sont avérées, elles confirmeront que l’effet de surprise a été total pour l’armée israélienne et les services de renseignement.

Pour quelle raison le Hamas a-t-il décidé de frapper maintenant ? Est-ce un hasard du calendrier ? Cette attaque a été déclenchée au lendemain du cinquantième anniversaire de la guerre de Yom Kippour. En 1973, Israël avait été totalement pris par surprise et les Israéliens en gardent un souvenir traumatisant. La situation était pourtant relativement calme dans la bande de Gaza depuis une semaine. Après une quinzaine de jours de tensions et de heurts à la frontière, il semblait que le Hamas avait décidé de calmer le jeu. Toujours est-il que le choix du jour de l’attaque, un matin de Shabbat, à la fin de la longue semaine de fête de Soukkot, ne doit sans doute rien au hasard.

Dès l’annonce de l’attaque, les habitants de la bande de Gaza se sont préparés à la réponse de l’armée israélienne. «Nous avons tous peur, explique un Gazaoui. Personne ne s’y attendait. Tout le monde est allé acheter de la nourriture, des médicaments, et maintenant on reste chez nous. Si l’Égypte ouvre le passage de Kerem Shalom, je partirai me réfugier avec ma femme et mes enfants.»

Israël, Gaza : le nombre des victimes de la guerre ne cesse d’augmenter

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Israël et la bande de Gaza sont de nouveau « en guerre » samedi 7 octobre après le déclenchement d’une offensive militaire surprise du Hamas. En début d’après-midi, le bilan des morts de part et d’autre dépasse plusieurs dizaines et les blessés se comptent par centaines. Le Hamas revendique aussi des « otages ».

 

La Croix (avec AFP) – publié

https://www.la-croix.com/international/Israel-Gaza-nombre-victimes-guerre-cesse-daugmenter-2023-10-07-1201285918


Israël et la bande de Gaza sont de nouveau en guerre samedi après le déclenchement d’une offensive militaire surprise du Hamas, qui a tiré des milliers de roquettes, infiltré des combattants en territoire israélien et dit avoir capturé des Israéliens. «Nous sommes en guerre, il ne s’agit pas d’une simple opération ou d’un cycle de violence, mais bien d’une guerre», a déclaré le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, dans un message vidéo.

En début d’après-midi, le bilan des morts de part et d’autre dépasse plusieurs dizaines et les blessés se comptent par centaines. Dans la ville israélienne de Sdérot, un journaliste de l’AFP a vu les corps d’au moins huit civils gisant dans des rues.

Appel aux dons de sang

40 personnes au moins ont été tuées côté israélien, selon le Magen David Adom, équivalent israélien de la Croix-Rouge, qui a lancé un appel aux dons de sang, le ministère de la santé faisant état de «779 blessés» hospitalisés.

En réplique à cette attaque, l’armée israélienne a déclenché à son tour dans la matinée des opérations armées à Gaza sous le nom de « Sabre d’acier ». «Des dizaines d’avions de chasse sont actuellement en train de frapper des cibles de l’organisation terroriste Hamas dans la bande de Gaza», a indiqué l’armée dans un communiqué. «Nos forces combattent désormais sur le terrain» et la mobilisation de milliers de réservistes a été approuvée, a déclaré le lieutenant-colonel Richard Hecht, porte-parole de l’armée israélienne.

Dans la bande de Gaza, au moins 9 personnes ont été tuées, selon des journalistes de l’AFP ayant vu leur corps à l’hôpital ou lors de funérailles. Le ministère de la santé du Hamas affirmait, lui, recenser déjà à Gaza « 198 morts et 1.610 personnes souffrant de divers types de blessures » en milieu d’après-midi.

Interrogés par des médias israéliens, des habitants de zones proches de la bande de Gaza demandent une protection renforcée de l’armée. Le journal israélien Times of Israel relaie le témoignage d’une femme enceinte, vivant dans le kibboutz Soufa (à quelques kilomètres de la bande de Gaza): «Envoyez de l’aide s’il-vous-plait». Times of Israël la cite en précisant qu’elle parle depuis un abri sécurisé où elle se trouve avec ses proches dont un enfant : «Ils tirent sur notre maison, ils essaient d’enfoncer la porte de la pièce sécurisée».

Prises d’otages civils

Par ailleurs, la branche armée du Hamas revendique avoir «capturé plusieurs soldats ennemis». Elle a diffusé une vidéo montrant au moins trois hommes en tenue civile manifestement apeurés, détenus par une escouade de personnes armées aux visages floutés. Les Brigades al-Qods, la branche militaire du Jihad islamique palestinien, déclarent elles aussi détenir « nombreux soldats » israéliens.

L’armée israélienne n’a pas communiqué sur ces déclarations. Sur les réseaux sociaux, des vidéos qui n’ont pu être authentifiées montrent d’autres personnes détenues par des hommes armés, et les dépouilles de civils ou d’individus en uniformes militaires.

Dès le matin, des centaines de civils ont fui leurs maisons dans le nord-est de la bande de Gaza pour s’éloigner de la frontière avec Israël, et certains ont trouvé refuge dans des écoles de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), selon un correspondant de l’AFP.

Cette énième flambée de violence éclate au dernier jour des fêtes juives de Souccot en Israël, alors que le pays vit au ralenti et que de nombreux pèlerins et touristes ont afflué en cette période de vacances scolaires.

Elle survient aussi cinquante ans et un jour après le début de la guerre israélo-arabe de 1973 qui avait entraîné la mort de 2 600 Israéliens et au moins 9 500 morts et disparus côté arabe en trois semaines de combat.

50 ans après la guerre du Kippour, le Hamas défie Israël sur son sol

50 ans après la guerre du Kippour, le Hamas défie Israël sur son sol

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par Philippe Chapleau – Ligne de défense – publié le 7 octobre 2023

https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/archive/2023/10/07/50%C2%A0ans-apres-la-guerre-du-kippour-le-hamas-defie-israel-sur-24158.html


50 ans après le déclenchement de la guerre du Kippour (6-25 octobre 1973), le Hamas a défié Israël sur son propre sol.

Son attaque surprise lancée samedi (jour de shabbat) à l’aube contre les agglomérations du sud de l’État hébreu n’est pas sans rappeler, militairement, celle du 6 octobre 1973 par sa soudaineté, sa violence mais aussi par son issue fatale aux assaillants (Syriens et Egyptiens avaient été écrasés en quelques jours).

Elle soulève des questions déjà posées après la contre-offensive décisive (l’opération Gazelle) et la victoire israéliennes d’il y a 50 ans.

Tsahal et les services de renseignement israéliens n’ont-ils rien vu venir ? C’est visiblement le cas puisque les forces israéliennes ont été bousculées à l’aube par des assaillants moins bien armés mais décidés. Outre le dogme de l’invincibilité de l’armée, c’est aussi celui de l’infaillibilité des services de renseignement qui en a pris un coup. L’incapacité des services spécialisés israéliens à anticiper l’attaque et l’inefficacité de la technologie de pointe mise en œuvre pour scruter les mouvements terrestres, aériens, souterrains et navals du Hamas sont patentes. Même la collecte des signaux faibles semble avoir échoué. Pour sa part, le Hamas affirme avoir réussi à brouiller les systèmes israéliens de surveillance et de communication

Combien de tués ? Certes on sera loin des plus de 3 000 tués israéliens de la guerre du Kippour, mais les pertes tant civiles que militaires sont déjà lourdes. Une partie des unités déployées par Tsahal le long de la frontière ont été massacrées, leurs cantonnements pris d’assaut, leurs blindés neutralisés dont certains « à l’ukrainienne » (lors de lâchers d’obus de mortier par drone). 100 morts israéliens et près de 300 tués palestiniens, selon les premiers décomptes. Le bilan ne pourra malheureusement que s’alourdir, en particulier dans les rangs palestiniens puisque la riposte d’Israël s’annonce sans pitié. 

Politiquement, quel sera la portée de cette attaque? La société israélienne, déjà sous pression et divisée, risque d’abord de sombrer dans le doute et d’être victime d’une réelle déstabilisation, comme en 1973. Mais l’effet final pourrait être inverse, la forçant à une union d’une part derrière ses chefs militaires et politiques et d’autre part face au Hamas et à ceux qui le soutiennent, de l’Autorité palestinienne au régime de Téhéran.

Tigré, une guerre cachée

Tigré, une guerre cachée

par  Théodore Rayane (*) – Esprit Surcouf – publié le 6 octobre 2023
Étudiant en relations internationales

https://espritsurcouf.fr/humeurs_tigre-une-guerre-cachee_theodore-rayane/


Nous avons classé cet article dans la rubrique « Humeurs ». Non pas parce que l’auteur y déverse sa grogne. Mais parce qu’on y sent l’indignation qu’il éprouve
– et que nous partageons – face tout autant à ce conflit meurtrier qu’au quasi silence qui l’a recouvert. Il est vrai que la presse a très peu parlé de cette guerre civile, et il est vrai que peu de Français sauraient l’expliquer.

L’histoire de l’Éthiopie est très ancienne, ce qui lui vaut d’avoir sans doute le titre du plus ancien « Etat » d’Afrique. Officiellement connue sous le nom de République fédérale démocratique d’Ethiopie, pays de la Corne d’Afrique de 1,1 million de kilomètres carrés, l’Ethiopie est le deuxième pays le plus peuplé du continent africain, abritant une population de 120 millions d’habitants. Elle est connue pour ses grands plateaux, qui ont vu le premier noyau identitaire du pays se former avec le mélange ethno-culturel des populations du royaume de Saba et celles des plateaux éthiopiens.

Piqûre de rappel

Dans son histoire plus contemporaine, l’Éthiopie a focalisé l’attention lorsqu’elle a connu une effroyable crise humanitaire en 1984-1985, entrainant la mort de 1,2 million d’habitants. Deux famines ont décimé la population à quelques semaines d’intervalles, ce qui a provoqué l’émoi international et l’engagement de plusieurs États pour porter du secours, la France, la Grande-Bretagne et le Canada notamment.

Après ce douloureux chapitre, l’Éthiopie s’est distinguée par son important dynamisme économique. Avec une croissance de 9,6% par an entre 2010 et 2020, ce pays d’Afrique de l’Est a réussi en quelques années à changer son économie principalement agricole en une « puissance manufacturière ».

Par ailleurs, la Banque Asiatique d’Investissement dans les Infrastructures (BAII), proposée et soutenue par la Chine lors de son lancement en janvier 2016, a joué un rôle significatif dans ce pays d’Afrique de l’Est. Elle a financé des projets de connectivité régionale avec la construction du chemin de fer électrique reliant la capitale éthiopienne à Djibouti, voie de transit importante pour le commerce. Elle a aussi accordé des financements pour la construction d’infrastructures dans le secteur hydroélectrique. Le grand barrage de la Renaissance en est l’exemple. Il s’étendra sur une zone de près de 1874 kilomètres carrés et aura une capacité de stockage de 74 milliards de mètres cubes d’eau. Encore en construction, il sera le plus grand barrage hydroélectrique d’Afrique avant l’horizon 2030.

Abiy Ahmed, 1er ministre de la République fédérale
démocratique d’Ethiopie ; photo DR

Depuis 2018, l’Ethiopie est dirigée par Abiy Ahmed. Ce dernier a été lauréat du prix Nobel de la paix 2019, pour ses actions visant à résoudre le conflit entre l’Ethiopie et l’Erythrée. Il incarne un renouveau dans la classe politique car, entre 1991 et 2018, les Tigréens (résidents du nord de l’Éthiopie, de religion orthodoxe) ont dominé la vie politique éthiopienne. Toutefois, après avoir été bienfaiteur, il a été pointé du doigt par la communauté internationale, en raison d’une guerre peu médiatisée, voire oubliée, qui a éclaté au Tigré (au nord du pays) et qui s’est déroulée de novembre 2020 à novembre 2022.

A l’instar de l’ex-Yougoslavie composée de plusieurs populations, l’Éthiopie regroupe 80 groupes ethniques distincts aux dialectes variés. Mais la langue n’est pas la seule différence : un tiers des Éthiopiens est musulman et quasiment la moitié est chrétienne orthodoxe. Pour concilier les identités culturelles et les conserver, l’Ethiopie est régie depuis 1995 en plusieurs région-Etats, c’est une République fédérale. Toutefois, l’arrivée d’Abiy Ahmed au pouvoir a fait chanceler le « rêve du fédéralisme ethno-linguistique éthiopien », car l’homme a une vision unitaire du pays. En 2020, il accuse les gouverneurs de la région du Tigré d’avoir commandité quelques mois plus tôt l’attaque de bases militaires. Il annule les élections régionales de 2020, provoquant le mécontentement des Tigréens. Ces derniers organisent leur propre mode de scrutin, attisant encore plus les tensions pré-existantes.

Le 3 novembre 2020, les affrontements commencent, les frictions ethniques ne vont que s’intensifier, la guerre va durer deux ans.

Manque de médiatisation et catastrophe humanitaire

Le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU a « dressé un tableau très sombre » du conflit éthiopien, mais la presse internationale n’a pas suivi. Il est vrai que l’opinion publique internationale est peu informée des problématiques africaines : seulement 6 à 9% du volume total du contenu des médias occidentaux concerne l’Afrique.

Les différents groupes armés et le contexte de tension continuel ont fait obstacle au travail journalistique. Les quelques vidéos auxquelles a eu accès la communauté internationale avaient pour auteurs des organisations politiques de l’un ou l’autre camp, et étaient donc gorgées de propagande. Toute vérification d’informations était par ailleurs prohibée par les autorités locales. À cela s’ajoute que durant le conflit, le Tigré a été largement privé d’électricité et de télécommunications. Il était très difficile pour la presse internationale d’accéder sur place. Selon le Comité de Protection des Journalistes (CPJ), entre novembre 2020 et août 2022, 63 journalistes ont été arrêtés. Le CPJ dénonce également les longues détentions injustifiées de journalistes n’ayant aucune inculpation.  

Ce manque de médiatisation a caché une colossale tragédie humanitaire. Pour montrer sa force, le gouvernement d’Abiy Ahmed a coupé la possibilité aux Tigréens d’avoir accès à des médicaments, à de la nourriture et à du carburant. Le pays a compté 22 millions de personnes nécessitant une aide humanitaire urgente. Le médiateur de l’Union Africaine, l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo, a fait état de 600 000 morts depuis le début du conflit.

La torture et les viols ont été des armes exploitées sans mesure, tout comme les exactions. En janvier 2021, à Mahabere Dego, la 25ème division de l’armée gouvernementale éthiopienne a massacré 75 personnes au bord d’une falaise, alors qu’elles ne représentaient aucun danger.  Les combats ont été d’une extrême violence, tout comme les répercussions sur les civils. Lorsque le FPLT (Front Populaire pour la Libération du Tigré) a attaqué en décembre 2021 la frontière Afar, ce furent des combats à l’arme lourde qui provoquèrent l’exode de plus de 400 000 civils Afars. On estime que deux millions d’éthiopiens sont aujourd’hui déplacés, la majorité ayant fui vers le Soudan voisin. Le gouvernement éthiopien utilisait des drones de combat, l’un d’eux a frappé un camp de réfugiés dans le nord-ouest du Tigré. L’International Crisis Group (ICG) et Amnesty International (AI) décrivent le conflit en Éthiopie comme « l’un des plus meurtriers au monde ».

Et maintenant

Le 2 novembre 2022, à Prétoria, en Afrique du Sud, un accord de cessation des hostilités a été signé entre le gouvernement fédéral d’Éthiopie et les autorités rebelles du Tigré. Il mettait un terme à deux ans d’un conflit meurtrier. Cet accord stipule une « cessation des hostilités » tant directes qu’indirectes, incluant les guerres par procuration, et un « désarmement méthodique ».

L’accord de cessation des hostilités est signé par Redwan Hussein, représentant le gouvernement éthiopien, et Getachew Reda, au nom du FPLT. Photo DR

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Il devait mener à des négociations aboutissant à un accord de paix. Mais la paix n’est toujours pas signée, même si le Parlement éthiopien, le 22 mars 2023, a retiré le FPLT de la liste des entités terroristes. L’accord entérinait implicitement la capitulation du Front Populaire de Libération du Tigré. Son seul levier politique était sa force armée, il en est désormais dépourvu. Aussi la région est-elle assujettie aux velléités territoriales et politiques d’Abiy Ahmed (1er ministre éthiopien), d’Issayas Afewerki (président de l’Erythrée) et de l’élite Amhara (groupe ethnique situé dans le centre-nord du pays).

Les Tigréens se sentent lésés. Les tensions restent vives. Human Rights Watch, organisation internationale non gouvernementale, a indiqué que les autorités locales et les forces Amhara continuent à procéder à des expulsions de civils dans le nord de l’Ethiopie. Les colonels Demeke Zewdu et Belay Ayalew sont les principaux responsables de la détention arbitraire, de la torture et des expulsions forcées des Tigréens. Le nettoyage ethnique ne s’interrompt pas. S’ajoute à cela des détentions massives, dans conditions très précaires occasionnant beaucoup de morts du côté des Tigréens. Par ailleurs, le gouvernement éthiopien n’a pas montré grand intérêt à juger les responsables de massacres, ce qui amène les civils à se faire justice par leurs propres moyens, n’arrangeant pas le processus vers la paix.

La catastrophe humanitaire que connaît le pays a poussé l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) à livrer, en août dernier, plus de 17 tonnes de fournitures médicales d’urgence à destination de 70 000 bénéficiaires dans les structures hospitalières et de santé de 9 zones de la région. L’OMS et la Société de la Croix-Rouge éthiopienne ont également fourni à la région d’Ahmara des kits de traumatologie et de chirurgie d’urgence.

Des massacres sans commune mesure et des violences sexuelles en quantité titanesque se sont produits durant la guerre du Tigré, montrant l’absence totale d’une once d’humanité, a relevé le Secrétaire d’Etat américain Antony Blinken. Un Etat fracturé, des populations hétérogènes complètement chamboulées, après deux décennies où la croissance économique éthiopienne était fulgurante, la guerre a cassé la dynamique de développement du pays et a ravivé les haines.

(*) Théodore Rayane, étudiant à l’ILERI (Institut Libre des Études en Relations Internationales), membre de l’association « ILERI Défense », est passionné par la géopolitique, et les cultures et histoires des peuples.

Crise au Niger : les soldats français amorcent leur retrait «dans la semaine»

Crise au Niger : les soldats français amorcent leur retrait «dans la semaine»


CARTE – Suite au coup d’État du 26 juillet, Emmanuel Macron avait annoncé que le retrait des 1400 militaires français aurait lieu «d’ici la fin de l’année».

Les troupes françaises déployées au Niger vont amorcer leur retrait du pays «dans la semaine», dans un contexte de relations toujours tendues avec le régime militaire issu du coup d’État du 26 juillet, selon l’état-major des armées. «Nous allons lancer l’opération de désengagement dans la semaine, en bon ordre, en sécurité et en coordination avec les Nigériens», a indiqué l’état-major.

Le président français Emmanuel Macron avait annoncé le 24 septembre la fin de la coopération militaire avec le Niger et le départ progressif des 1400 militaires français présents dans le pays sahélien, «d’ici la fin de l’année», se conformant ainsi à la volonté des nouvelles autorités ayant renversé le président Mohamed Bazoum, qui ont dénoncé les accords de défense liant Niamey à Paris.

«Nous ferons ce qui est planifié, cela se déroulera conformément à la planification», assure l’état-major français, alors que le régime militaire a accusé la France de ne pas être «dans une logique de quitter le Niger» et semble peu encline à laisser manœuvrer librement les militaires en partance.

 

Quelque 1000 soldats et aviateurs français sont déployés sur la base aérienne française de Niamey et 400 à Ouallam et Ayorou (nord-ouest), aux côtés des Nigériens, dans la zone dite des «trois frontières» entre le Niger, le Burkina Faso et le Mali, sanctuaire du groupe État islamique.

Les militaires déployés sur les bases avancées devraient être les premiers à se désengager. Un schéma similaire à celui du Mali, où le retrait français avait commencé par les trois emprises les plus au nord du pays.

«Nous prenons les dispositions pour assurer la sécurité des gens engagés dans la manœuvre», a précisé l’état-major, en particulier sur la route qui relie les bases avancées à la capitale, ce qui pourrait nécessiter un appui aérien, sur fond de dégradation sécuritaire dans le pays après plusieurs attaques ayant fait des dizaines de morts.

Opération logistique complexe

L’opération s’annonce complexe : le Niger servait depuis 2013 de plateforme de transit pour les opérations antiterroristes menées au Mali, avant de devenir le cœur du dispositif français dans la région après le retrait forcé des troupes françaises du Mali et du Burkina Faso, depuis l’été 2022.

Pour les militaires, ce retrait exigé par la junte met fin à une situation incertaine depuis deux mois, avec des ravitaillements aléatoires et des manifestations antifrançaises régulièrement organisées devant leurs portes à Niamey.

À Niamey, l’enceinte française, située au sein d’une emprise nigérienne, accueille des centaines de bureaux en préfabriqués, des hangars et abris modulaires pour les aéronefs, des tentes sur la base de vie, des cabines de pilotage pour les drones, des bulldozers du génie…

Après la conclusion d’un partenariat de combat à la demande du Niger, la France avait étoffé sa présence dans la capitale avec des blindés et des hélicoptères, venus renforcer les cinq drones Reaper et au moins trois avions de chasse.

Les destinations des matériels ne sont pas encore arrêtées et plusieurs options sont évoquées : le territoire national en priorité, le Tchad voisin qui accueille l’état-major des forces françaises au Sahel, ou encore d’autres théâtres.

120 millions d’euros d’aide publique au Niger en 2022

Les militaires n’ont pas d’autre choix que d’utiliser la voie terrestre, soit par le Bénin – une option que refuse le régime militaire nigérien – soit vers le Tchad, ce qui impliquerait ensuite d’acheminer les containers rentrant en France vers le port de Douala, au Cameroun, selon une source proche du dossier.

L’option d’un pont aérien semble compromise pour l’heure car jusqu’à nouvel ordre, les Nigériens interdisent le survol de leur territoire par des avions français. Au Mali, le désengagement avait mobilisé 400 logisticiens envoyés en renfort. Pour le démantèlement de Gao, la plus grande emprise française du pays, 6000 containers avaient été nécessaires.

Paris, qui ne reconnaît pas les nouvelles autorités, a limité la délivrance de visa pour les Nigériens et mis fin à sa coopération dans le pays, un des plus pauvres au monde. Le Niger a bénéficié en 2022 de 120 millions d’euros d’aide publique au développement de la part de la France et fait actuellement l’objet de sanctions de la part de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) depuis fin juillet.

Défaite !

Défaite !

par Michael BRENNER -CF2R – publié en septembre 2023

https://cf2r.org/tribune/defaite/

Professeur émérite d’affaires internationales à l’Université de Pittsburgh et membre du Center for Transatlantic Relations à SAIS/Johns Hopkins. Michael Brenner a été directeur du programme de relations internationales et d’études mondiales à l’université du Texas. Il a également travaillé au Foreign Service Institute, au ministère américain de la Défense et à Westinghouse. Il est l’auteur de nombreux livres et articles portant sur la politique étrangère américaine, la théorie des relations internationales, l’économie politique internationale et la sécurité nationale.

 

 

Caesar, EFA et robots de déminage: victoire commerciale française en Ukraine mais la guerre n’est pas gagnée

Caesar, EFA et robots de déminage: victoire commerciale française en Ukraine mais la guerre n’est pas gagnée

 

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par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 30 septembre 2023

https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/


La visite à Kiev de Sébastien Lecornu et d’une délégation d’industriels de la Défense français, jeudi, s’est soldée par la signature de plusieurs contrats et accords. A Kiev, le ministre français venu défendre des partenariats avec des industriels ukrainiens, a rencontré le ministre Oleksandr Kamychine, chargé des industries stratégiques (photo ci-dessus. Les photos de ce post sont de moi), et Rustem Umerov, le nouveau ministre de la Défense. 

Sa visite a précédé l’ouverture par le président Zelensky du premier forum international consacré à l’industrie de la défense, qui veut attirer des fabricants étrangers capables de produire des armes en Ukraine et de lui « construire un arsenal » face à la Russie. « Nous sommes intéressés par la localisation de la production des équipements nécessaires à notre défense et des systèmes de défense avancés utilisés par nos soldats », a résumé Zelensky dans son discours d’introduction, diffusé ce samedi.

Voici la liste  des accords et contrats signés vendredi (c’est moi qui souligne):
Coopération DGA / DPA
La direction générale pour l’armement (DGA) et son homologue ukrainienne, la Defense Procurement Agency (DPA) ont signé un accord pour favoriser la coopération en matière d’armement entre les deux pays.

Coopération industrielle
Le GICAT a signé deux accords, avec les Ministère de la Défense et Ministères de l’Industrie Stratégique ukrainiens sur le développement de la coopération en matière d’industrie de défense entre la France et l’Ukraine.

Artillerie
Fourniture de 6 systèmes d’artillerie supplémentaires. Au-delà des canons Caesar déjà fournis, que ce soit au titre des cessions par l’armée françaises (18) ou au titre des acquisitions par le ministère ukrainien directement auprès de KNDS (12), KNDS va fournir 6 canons Caesar supplémentaires.
MCO (maintien en conditions opérationnelles) des systèmes Caesar fournis. Le MCO des systèmes CAESAR est d’ores et déjà assuré par KNDS via un flux de pièces de rechanges. Par ailleurs, KNDS a signé un accord avec une société ukrainienne pour assurer le MCO des Caesar dans la durée sur le territoire ukrainien, comprenant la production de pièces localement. Cet accord prend également en compte le MCO des AMX 10 cédés par l’Armée de Terre.

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Véhicules terrestres
Intégration d’armements : La société KNDS a signé un accord avec une société industrielle ukrainienne pour l’intégration en Ukraine d’armements sur les véhicules des Forces Armées Ukrainiennes.
MCO des véhicules fournis : ARQUUS, fabriquant de VAB (Véhicules de l’avant blindé), s’est engagé, au travers d’un accord signé avec une société ukrainienne, à soutenir les véhicules cédés par les Armées françaises – notamment à travers de la production locale de pièces – et à étudier la mise en place d’un partenariat avec des entreprises ukrainiennes afin de produire des VAB neufs dans le pays.
Fabrication additive : La société Vistory a signé un accord avec une société ukrainienne pour des solutions de fabrication additive de pièces de rechange. Ce sujet est très prometteur pour autonomiser les Ukrainiens, y compris potentiellement pour déployer des solutions mobiles de fabrication de pièces de rechange sur le théâtre d’opérations.
Fourniture d’engins amphibie : La société CEFA va fournir 8 engins amphibie qui permettent le franchissement de cours d’eau.

Drones
Drones Delair : Au-delà du premier contrat de drones, et dont les premiers exemplaires sont en cours de livraison auprès des Ukrainiens, la société Delair a signé un nouveau contrat avec le MOD ukrainien pour la fourniture de drones supplémentaires, ainsi qu’un accord portant sur la maintenance des drones livrés et ouvrant la voie à une production locale.
Partenariats industriels : les sociétés Thales d’une part et Turgis & Gaillard d’autre part ont chacune signé un accord avec des sociétés ukrainiennes pour co-développer des drones, avec comme perspective une fabrication locale de drones.

Déminage
L’entreprise CEFA a signé un contrat pour la fourniture de 8 premiers robots SDZ de déminage. C’est un moins qu’espéré (10 unités) mais le résultat témoigne de la confiance des Ukrainiens dans ce matériel. 

Quelques remarques personnelles:

Ces bons résultats et ses bonnes perspectives sont dus aux efforts conjoints des équipementiers français, du ministère des Armées et du GICAT qui a organisé du 18 au 20 septembre, à Kiev, un premier séminaire de coopération industrielle franco-ukrainien. 

En termes de fournitures, on notera les drones Delair (type non spécifié), les 6 Caesar supplémentaires mais surtout les 8 robots de déminage SDZ de l’entreprise CEFA (deux livrables à l’armée de Terre française pourraient être déviés vers l’Ukraine). En matière de déminage, la France s’avère malgré tout en retrait d’autres pays dont les entreprises spécialisées ont capté une partie du marché il y a déjà plusieurs mois (je reviendrai sur ce sujet dans un prochain post).

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Cette même entreprise va aussi livrer 8 EFA (engins de franchissement de l’avant. Photo ci-dessus prise lors d’Orion 4); ces systèmes d’occasion issus de l’ex-parc du génie pourront être livrés très rapidement. 

Léo Péria-Peigné : « L’armée allemande a une stratégie claire, contrairement à la France »

Léo Péria-Peigné : « L’armée allemande a une stratégie claire, contrairement à la France »

 

par Léo PÉRIA-PEIGNÉ, interviewé par Clément Daniez pour L’Express– IFRI _ publié le 29 septembre 2023

https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/leo-peria-peigne-larmee-allemande-une-strategie-claire-contrairement


La montée en puissance de l’armée allemande rebat les cartes en Europe, explique Léo Péria-Peigné, qui vient de publier une étude sur le sujet pour l’Ifri.

Laissée en déshérence pendant des années, l’armée allemande, la Bundeswehr, remonte en puissance. La décision a été prise juste après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, un événement menant, pour l’Allemagne, à un nécessaire « changement d’époque » (« Zeitenwende »), comme l’a qualifié le chancelier Olaf Scholz. Grâce à un fonds de 100 milliards d’euros, Berlin multiplie les commandes, dans le cadre d’un programme de rééquipement destiné à en faire la « première armée d’Europe ».

Dans un rapport invitant la France à mieux appréhender la révolution en cours de l’autre côté du Rhin – « La Bundeswehr face au Zeitenwende » –, Elie Tenenbaum et Léo Péria-Peigné, du centre des études de sécurité de l’Institut français des relations internationales (Ifri), auscultent la transformation de l’outil militaire allemand. « L’Allemagne a un but stratégique unique et clair, quand la France, elle, court trois lièvres à la fois : être une alliée crédible en Europe, ne pas lâcher sa présence en Afrique et être présente dans l’espace indo-pacifique », explique Léo Péria-Peigné à L’Express. Entretien.

L’Express : Le gouvernement allemand a annoncé qu’il disposerait bientôt de la première armée d’Europe. En prend-elle vraiment le chemin ? 

Oui, mais pas de la façon dont on l’imagine d’un premier abord. La Pologne est l’autre pays qui a l’ambition d’être la première armée de terre d’Europe. Mais elle pense d’abord à elle-même, alors que l’Allemagne ambitionne cela de manière européenne. Elle se dote de moyens de commandements, de communications, de supports logistiques, qui vont permettre à d’autres nations de brancher leur armée sur ce système, pour amplifier les synergies dans le cadre de l’Otan. L’Allemagne pourrait ainsi devenir la première, en devenant la base d’une « armée européenne », pas forcément en nombre de chars. 

Beaucoup d’experts, en Allemagne, soulignent que les 100 milliards du fonds spécial serviront surtout à combler les retards accumulés… 

 Oui, un peu comme l’augmentation du budget pour la France selon sa loi de programmation militaire (LPM, 413 milliards d’euros de 2024 à 2030). Le fonds de 100 milliards est un plan de restauration, pour faire fonctionner ce qui existe et redensifier certaines capacités perdues. Ils ne dureront que quelques années, mais permettront d’atteindre l’objectif de l’équivalent de 2% du PIB consacré à la défense, comme le préconise l’OTAN. L’idée est ensuite qu’en 2027, les 2% seront assurés par le seul budget, sans un fonds complémentaire. Pour le prochain gouvernement allemand, il faudra cependant que ce soit politiquement acceptable. Pour cela, il faudra que le « Zeitenwende » atteigne les consciences. 

Jusqu’à quand la Bundeswehr va-t-elle rester « à sec », avec très peu de disponibilité de matériel, comme la dit le chef de son armée de terre ? 

La situation s’améliore déjà et cela devrait continuer. Par exemple, il y avait un gros problème de disponibilité dans la marine allemande, lié à l’encombrement des chantiers navals civils. En 2017, aucun des six sous-marins allemands n’était disponible. La marine a acheté des infrastructures existantes qui lui sont maintenant dédiées pour résoudre ce problème. Les améliorations vont s’amplifier, mais jusqu’à un certain seuil. Car il faut que les ressources humaines suivent. Il faut des spécialistes et des volontaires pour utiliser les nouveaux équipements. 

L’Allemagne n’ayant plus le service militaire, elle doit attirer des talents, des jeunes, avec des compétences de plus en plus pointues. Dans un pays plus vieillissant – bien plus que la France –, c’est déjà un problème. A cela s’ajoute le fait que le marché du travail civil est plus attractif. Si les Allemands n’arrivent pas attirer de nouveaux soldats, l’effet de la revitalisation restera limité. Il y a un travail à mener pour rendre la fonction militaire plus attirante pour les jeunes. 

Pourquoi ce Zeitenwende renforcent-ils plus le partenariat de l’Allemagne avec les Etats-Unis qu’avec la France ? 

Le Zeitenwende va servir à renforcer non seulement le partenariat avec les USA, très important pour l’Allemagne [achat de nombreux appareils américains, en particulier des avions et des hélicoptères], très attachée à l’Otan. Mais il va aussi lui servir à renforcer son partenariat avec l’Europe, plus qu’avec la France. Pour une raison très importante : si, en Europe, l’Allemagne est le principal partenaire de la France, l’inverse n’est pas vrai. Son principal partenaire, ce sont les Pays-Bas. A l’heure actuelle, les trois brigades qui composent l’armée de terre néerlandaise sont intégrées dans les trois divisions de l’armée allemande.  

L’Allemagne développe des partenariats avec d’autre pays européens pour les intégrer dans son modèle de force et constituer une plateforme commune. D’autres pourraient se monter avec la Hongrie, ou au niveau des différentes armées de la Baltique, en particulier les marines. Celui lui vaut certaines critiques, à Paris, comme quoi l’Allemagne fournit les fonctions non-combattantes pour envoyer les autres Européens sur le front à leur place.   Mais la France pourrait tenter de faire la même chose avec la Belgique, comme elle a commencé à le faire avec son partenariat stratégique sur les capacités motorisées CaMo. Une unité luxembourgeoise pourrait aussi être intégré au sein des divisions françaises. 

En quoi, les deux pays veulent se constituer deux armées différentes ? 

L’armée française se perçoit comme une armée d’emploi, qui peut faire la guerre et intervenir là où on a besoin d’elle, même loin. Après la fin de l’URSS et la réunification, l’Allemagne s’est lancée elle aussi dans une logique d’interventions internationales, comme en Afghanistan, mais cela n’a pas vraiment bien marché. Depuis, elle est revenue à sa culture d’armée d’avant la chute du mur : une armée conventionnelle, qui doit maintenir un niveau de puissance suffisant pour dissuader tout agresseur potentiel, axé sur la haute intensité. La France, elle court trois lièvres à la fois : être un allié crédible en Europe, ne pas lâcher sa présence en Afrique et être présent en Indopacifique, avec un budget en grande partie consacré à la dissuasion nucléaire. La LPM a acté cette absence de choix.  

Peut-on être sûr que les deux grands programmes franco-allemands phare, le SCAF (l’avion du futur) et le MGCS (le char du futur), se feront ? 

Ces projets ont été lancés pour des raisons politiques et avancent lentement et de manière chaotique. Mais ils ont du mal à avancer sur le plan militaire et industriel. Les armées ne veulent pas la même chose. Concernant le SCAF, les Français veulent qu’il puisse atterrir sur un porte-avion et porter les futurs missiles nucléaires ASM4G. Les Allemands ne sont pas forcément prêts à payer pour ces capacités-là, dont ils se fichent. Sur le plan industriel, Airbus et Dassault, en plus d’être rivaux, se détestent, car Airbus a essayé de racheter Dassault au début des années 2000. 

Du côté du MGCS, le projet devait associer le français Nexter, très bon dans la fabrication de canons, et KMW, le concepteur de la caisse du Leopard 2. Mais le Bundestag a exigé qu’on ajoute Rheinmetall, une entreprise de défense beaucoup plus grosse que les deux autres. Or KMW craint de se faire racheter par Rheinmetall, dont le canon de 130 est en concurrence avec celui de 140 de Nexter pour équiper le MGCS…. 

Que faudrait-il faire pour relancer un partenariat franco-allemand dans la défense ? 

Il faudrait que les structures qui existent soient revitalisées et qu’on leur redonne une pertinence. Qu’on sache ce qu’on pourrait faire de la brigade franco-allemande. Pour la Marine, il y avait la Force navale Franco-Allemande (FNFA), une structure d’entrainement commun, tombée en désuétude.

[…]

> Lire l’interview intégrale sur le site de L’Express (réservé aux abonnés)

Un sous-marin nucléaire d’attaque français fait une escale remarquée en Norvège

Un sous-marin nucléaire d’attaque français fait une escale remarquée en Norvège

 

https://www.opex360.com/2023/09/27/un-sous-marin-nucleaire-dattaque-francais-fait-une-escale-remarquee-en-norvege/


 

Ainsi, en est-il avec le SNA Suffren, récemment admis au service actif. Ces derniers mois, on a pu suivre son déploiement en Méditerranée, au sein du groupe aéronaval formé autour du porte-avions Charles de Gaulle, ainsi que, plus récemment, son périple dans l’océan Indien, avec une escale médiatisée aux Émirats arabes unis et sa participation, au côté de la frégate multimissions [FREMM] Languedoc, à plusieurs manoeuvres navales, dont l’exercice Varuna 23.2, organisé par la marine indienne. En prime, des photographies le montrant avec son hangar de pont amovible [qui permet au Commando Hubert d’utiliser ses Propulseurs sous-marin de 3e génération – PSM3G, ndlr] ont été publiées.

Mais, le 26 septembre, ce n’est pas le Suffren qui a fait l’objet d’une communication de la part de la Marine nationale [ou, plus précisément, de l’État-major des armées]… mais l’un des trois derniers SNA de la classe Rubis encore en service au sein de la Force océanique stratégique [FOST].

« Les déploiements réguliers des bâtiments de la Marine nationale dans le grand Nord revêtent un caractère stratégique du fait des enjeux géopolitiques et environnementaux de cette zone. Ils garantissent à la France une capacité d’intervention et d’appréciation autonome de la situation », a en effet expliqué l’EMA, dans un commentaire accompagnant plusieurs photographies d’un SNA et d’un Bâtiment de soutien et d’assistance métropolitain [BSAM].

« Déployés en eaux glaciales, BSAM et SNA témoignent par leur endurance et leurs performances, de la capacité de la Marine nationale à se déployer sur toutes les mers du monde », a enchéri la Marine nationale, sans plus de précision.

Étant donné que l’on peut voir le pavillon norvégien au niveau du kiosque du SNA, il est facile d’en déduire que les deux navires français ont fait une escale en Norvège, plus précisément à Tromsø [nord de la Norvège]. Ce qu’a confirmé la presse locale, selon laquelle la présence d’un sous-marin nucléaire français dans cette base navale est « inédite ».

 

« Le sous-marin nucléaire français a accosté la semaine dernière dans le port de Grøtsund, juste au nord de la ville de Tromsø. C’est la première fois qu’un sous-marin français visite ce port », a en effet avancé le journal indépendant novégien High North News, qui a identifié le BSAM comme étant la « Garonne ». Or, jusqu’à présent, et dans le cadre de l’Otan, les SNA américains et, dans une moindre mesure, britanniques, étaient les seuls à régulièrement faire escale dans cette partie de la Norvège.

Si le nom du SNA envoyé à Tromsø n’a pas été précisé, les photographies publiées par l’État-major des armées suggèrent qu’il s’agit de l’Améthyste. Du moins, c’est ce qu’indique le numéro de coque [ou « pennant number »] S605, que l’on devine sur l’une d’entre elles. D’ailleurs, ce détail peut intriguer étant donné que la Marine nationale a récemment décidé d’effacer les marques de ses navires afin de compliquer leur identification.

À noter que la présence du SNA français dans les eaux norvégiennes coïncide avec celle du porte-avions britannique HMS Queen Elizabeth, dans le cadre de l’opération Firedrake. D’ailleurs, pour High North News, il n’est pas impossible que le SNA et le BSAM Garonne fassent partie, « du côté français », des « unités participantes » à ce déploiement du navire de la Royal Navy, laquelle semble avoir quelques soucis de disponibilité avec ses sous-marins d’attaque.

Quoi qu’il en soit, durant la Guerre Froide, le Grand Nord était stratégiquement important pour les deux blocs qui se faisaient face. Et c’est sans doute encore plus le cas actuellement… dans la mesure où la compétition stratégique a été relancée, tandis que les dérèglements climatiques ouvrent de nouvelles perspectives économiques qui ne laissent pas indifférents les États de la région… et même ceux qui en sont éloignés géographiquement, comme la Chine.

En tout cas, résume le Centre d’études stratégiques de la Marine, « le Grand Nord est toujours d’une importance capitale pour la dissuasion nucléaire de la Russie et des États-Unis. Les patrouilles des forces sous-marines y sont nombreuses, ce qui génère une compétition sur l’accès aux fonds marins, notamment pour la dilution des sous-marins. »