Le ministre des Armées confirme la commande du porte-avions de nouvelle génération en 2025

Le ministre des Armées confirme la commande du porte-avions de nouvelle génération en 2025


Dévoilé le 11 octobre, le projet de loi de finances pour l’exercice 2025 prévoit de porter le montant des crédits de la mission « Défense » à 50,54 milliards d’euros [soit + 3,3 milliards], conformément à la trajectoire financière définie par la Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30. Et cela dans un contexte marqué par une dégradation significative des finances publiques, doublée par une situation politique incertaine, ce qui aura des incidences sur le débat budgétaire à l’Assemblée nationale.

Quoi qu’il en soit, le ministère des Armées est l’un des rares à échapper à la cure d’austérité qui s’annonce. Ce qui peut engendrer de l’incompréhension parmi une partie de l’opinion publique… Le ministre, Sébastien Lecornu, en est d’ailleurs conscient, en affirmant qu’il avait un « devoir vis-à-vis des contribuables, citoyens et électeurs » en faisant en sorte que cet argent « soit bien employé ».

Mais, ce 14 octobre, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, M. Lecornu a soutenu que le ministère des Armées avait déjà payé son écot au redressement des finances publiques.

« On a [eu] des dividendes de la paix qui ont été emmenés un peu loin dans les années 2000 et dont on voit bien que les effets ont été durables sur nos capacités militaires. […] On avait, globalement, pendant vingt ans, une richesse nationale qui avait augmenté de plus de 50 % et des dépenses militaires mondiales qui avaient augmenté de 18 % pendant que nos dépenses militaires nationales diminuaient de 17 % », ce qui s’est traduit par la suppression de 54 000 postes, d’un régiment de l’armée de Terre sur deux et de 11 bases aériennes. Et le ministre de relever également que la Marine nationale avait « 311 000 tonnes d’acier à la mer dans les années 1980 » contre 287’000 tonnes en 2019.

Pour le moment, le ministère des Armées n’a pas publié le détail des livraisons et des commandes prévues en 2025. Mais devant les députés de la commission de la Défense, M. Lecornu en a donné les grandes lignes.

Ainsi, sans entrer dans les détails, un effort plus important que prévu sera fait sur les munitions dites complexes, avec une enveloppe de 1,9 milliard d’euros [+ 27 %, soit 400 millions d’euros de plus par rapport à l’exercice 2024] et il est question de renforcer les capacités permettant d’éviter un « contournement par le bas de la dissuasion ». L’espace bénéficiera d’un investissement de 870 millions d’euros [soit + 15 %] tandis que le renseignement et le cyber verront encore leurs crédits progresser [environ 13 % de plus]. Enfin, il s’agira d’accélérer le développement d’armes à énergie dirigée ainsi que les moyens relatifs aux grands fonds marins.

Mais le « gros » morceau reste encore le porte-avions de nouvelle génération [PA NG] puisque, a annoncé M. Lecornu, le ministère des Armées notifiera sa commande aux industriels l’an prochain.

« L’année 2025 sera celle de la passation de commande du porte-avions de nouvelle génération », a simplement lâché M. Lecornu.

Jusqu’à présent, cette échéance était incertaine. Et probablement qu’elle suscitera quelques commentaires négatifs [le ministre en a eu un avant goût en commission…], d’autant plus que l’investissement prévu devrait s’élever à « une dizaine de milliards d’euros », selon le dernier numéro de Cols Bleus, le magazine de la Marine nationale.

En réalité, le programme de PA NG a en quelque sorte déjà commencé étant donné que, en avril, la commande des « prestations à longs délais d’approvisionnement » ont été notifiées à MO-Porte-avions [la coentreprise de Naval Group et des Chantiers de l’Atlantique] ainsi qu’à TechnicAtome.

« Les prestations concernent la propulsion nucléaire du navire, à savoir : les chaufferies, les enceintes de confinement et la conversion énergie vapeur », avait alors expliqué la Direction générale de l’armement [DGA].

Pour le moment, le programme PA NG est dans sa phase d’avant-projet détaillé, celle-ci devant s’achever avant la fin de l’année 2025. Ce n’est qu’une fois que le dossier de lancement et de réalisation sera prêt que les contrats de développement et de production pourront être notifiés.

Selon Cols Bleus, le PA NG sera « le plus grand navire militaire jamais construit en Europe ». Et pour cause : il affichera finalement un déplacement de 80 000 tonnes [soit 5 000 de plus par rapport à ce qui avait initialement été envisagé] pour une longueur de 310 mètres. De telles dimensions supposent de lancer un chantier colossal à la base navale de Toulon, l’objectif étant de gagner 10 à 15 hectares sur la rade pour y construire des quais et un bassin dédié à ce futur navire.

PLF 2025 : le budget des armées parmi les rescapés

PLF 2025 : le budget des armées parmi les rescapés

– Forces opérations Blog – publié le

Chose promise, chose due : le gouvernement Barnier n’a pas touché à la trajectoire budgétaire des armées dans le projet de loi de finances pour 2025 dévoilé aujourd’hui. Sauf écueil parlementaire, les crédits alloués à la défense bondiront de 3,3 Md€ l’an prochain conformément à la loi de programmation militaire 2024-2030. 

Les dépenses militaires ont survécu à la vague d’austérité actée dans le PLF 2025. Quand d’autres devront se serrer la ceinture pour participer au redressement des comptes publics, les armées verront leurs crédits grimper à 50,54 Md€. De quoi fournir aux armées « les moyens de se moderniser et de préparer l’avenir pour répondre à leurs missions dans un contexte international dégradé et incertain », pointe un document publié ce soir par Bercy. 

De ce budget record, 10,6 Md€ viendront alimenter les grands programmes d’armement. Soit une hausse de 16% ou (1,5 Md€) par rapport à la loi de finances initiale 2024. Les ressources allouées au maintien en condition opérationnelle augmentent à nouveau sensiblement pour atteindre 5,9 Md€, contre 5,7 Md€ cette année.  

« Enfin, une partie de ces crédits permettra au ministère des armées de faire face à ses nombreux engagements internationaux, dans un monde marqué par un regain de violence (guerre en Ukraine, situation au Proche et Moyen Orient…) ». Un dixième de la manne sera consacrée au fonctionnement et aux activités opérationnelles, quand 1% est fléché vers les OPEX et MISSINT. Il faudra attendre la semaine prochaine et le lancement d’un cycle d’auditions pour mieux chiffrer les efforts proposés pour chaque programme.

Le document prévoit par ailleurs de renforcer les effectifs à hauteur de 700 nouveaux postes « afin de répondre aux enjeux de transformation des armées », dont 70 au profit de la Direction des applications militaire du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA-DAM). Ici aussi, la cible inscrite dans la LPM est respectée à la lettre.

L’horizon est pour l’instant dégagé, mais d’âpres discussions parlementaires sont attendues au cours des prochaines semaines. De même, l’étendue des coupes budgétaires n’est pas totalement arrêtée, car le gouvernement compte bien proposer « au cours des débats, par amendements, des économies budgétaires supplémentaires à hauteur de 5 Md€ sur les budgets ministériels, permettant d’atteindre une cible de déficit public de -5,0 % sur laquelle il s’est engagé pour 2025, et une baisse de la dépense publique primaire en volume ».

La défense de l’effort de défense pour le gouvernement Barnier

La défense de l’effort de défense pour le gouvernement Barnier

par – Forces opérations Blog – publié le

L’effort envers les armées françaises est nécessaire et sera poursuivi, a défendu hier le nouveau Premier ministre Michel Barnier lors de sa déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale.

« Face à ces conflits, face à l’instabilité persistante et grave tout autour de nous, face à toutes les menaces hybrides, l’effort de défense est évidemment nécessaire et doit être poursuivi », déclarait Michel Barnier dans une sortie concise mais à première vue encourageante sur la trajectoire budgétaire des armées. 

« Poursuivre cet effort de défense et de solidarité, c’est aussi exprimer la reconnaissance de la nation aux militaires en pensant aux 26 000 hommes et femmes déployés sur tous les théâtres d’opérations (…) C’est le sens de la loi de programmation militaire pour les années 2024-2030 que nous mettrons en œuvre », poursuivait-il sans davantage de détails. Adoptée l’an dernier, cette LPM dite « de transformation » établit à 400 Md€ le besoin en ressources budgétaires sur sept ans, un socle financier d’emblée considéré comme un minimum.

Finalement publiés le 19 septembre, les plafonds de dépenses proposés par le gouvernement précédent fixent à 50,5 Md€ les crédits alloués à la mission Défense pour l’an prochain. Soit une hausse de 3,3 Md€ conforme à la trajectoire inscrite dans la LPM. De quoi garantir la poursuite d’un réarmement et d’un développement de l’investissement militaire qui « s’inscrivent dans la situation internationale et les différentes menaces auxquelles le pays doit faire face ». 

« À la suite de la loi de programmation militaire 2024-2030, le plafond prévisionnel des dépenses du ministère des Armées augmenterait en 2025. Cet investissement supplémentaire assurerait les dépenses d’investissement et les commandes de matériel nécessaires à la modernisation de nos armées », complète un texte désormais caduc. 

Si les signaux positifs se succèdent, le couperet de la dette reste omniprésent. Le nouveau gouvernement s’y est engagé, il compte ramener le déficit à 5% en 2025 et sous la barre des 3% en 2029. Estimée à plus de 40 Md€, l’économie exigée proviendrait pour deux-tiers d’une réduction des dépenses. Le reste sera généré par de nouveaux impôts. « Ce sera très difficile », concède Michel Barnier. Le PLF devrait être adopté le 10 octobre en Conseil des ministres en vue d’une discussion engagée le 21 octobre pour la première partie du texte, le 5 novembre pour la seconde.

Un programme Super-Rafale s’impose-t-il aujourd’hui, entre le Rafale F5 et le SCAF ? 2/2

Un programme Super-Rafale s’impose-t-il aujourd’hui, entre le Rafale F5 et le SCAF ? 2/2

 

Dans la première partie de cet article, nous avons montré qu’un programme Super-Rafale, un appareil de 5ᵉ génération venant s’insérer en 2035, entre le Rafale F5 en 2030, et le SCAF en 2045, répondait à de nombreux besoins, allant de la gestion du risque industriel et militaire entourant le programme Européen, à l’assurance de préserver l’efficacité de la dissuasion française, tout en sécurisant la présence de la BITD française, sur le marché des avions de combat export, sur la période 2035-2045.

Deux questions subsistent encore à ce stade de l’analyse. La première concerne le programme Super-Rafale lui-même, pour en tracer les grandes lignes, sur la base des objectifs établis précédemment.

La seconde, elle, porte sur le nerf de la guerre, le financement d’un tel programme, alors que tous savent à quel point le budget des armées françaises est aujourd’hui contraint, et n’offre aucune flexibilité pour y intégrer un programme aussi majeur, que celui concernant le développement d’un nouvel avion de combat.

 

Seconde partie d’un article en deux parties. La première partie est consultable ici.

Sommaire

Que serait le Portrait-Robot du programme Super-Rafale ?

Sans chercher, bien évidemment, à dessiner ce que pourrait être ce Super-Rafale, les objectifs et contextes, auparavant établis, permettent cependant de faire un véritable portrait-robot du programme lui-même, pour en délimiter certains aspects clés.

Un véritable chasseur de 5ᵉ génération

D’abord, le Super-Rafale devra se démarquer du Rafale F5, en se dotant de certaines des capacités qui, aujourd’hui, font que le F-35 lui est systématiquement préféré, lors de compétitions internationales. Pour cela, il sera indispensable de pleinement ancrer le Super-Rafale, dans la 5ᵉ génération des avions de combat.

F-35A
Un programme Super-Rafale s’impose-t-il aujourd’hui, entre le Rafale F5 et le SCAF ? 2/2 14

La caractéristique clé, autour de cette classification à géométrie variable, n’est autre que la furtivité sectorielle, concentrée sur les secteurs avant et arrière. Contrairement au SCAF, qui aura une furtivité globale, celle-ci permet de réduire la portée des radars ennemis, uniquement lorsque les appareils se dirigent vers eux, ou s’en éloignent directement, comme pour le F-35.

La furtivité d’un Super-Rafale n’aura toutefois certainement pas besoin d’atteindre celle du F-35, pour être efficace. En effet, un écart d’un facteur 10, entre une surface équivalente radar (SER) de 0,1 m² et de 0,01 m², ne représente qu’une dizaine de km d’écart en termes de détection face à des radars modernes. En outre, l’arrivée prévue des radars basse fréquence, du multistatisme et des radars passifs, tendra à réduire l’efficacité absolue de la furtivité au combat, tout au moins, au-delà d’un certain seuil.

  Or, les contraintes de conception, pour réduire la SER d’un avion, augmentent avec l’objectif visé, de manière géométrique. Dès lors, la furtivité visée par le Super-Rafale, devra viser le point précis faisant la synthèse entre efficacité opérationnelle, maintenabilité, couts et contraintes.

La fusion de données est également une des composantes définissant la 5ᵉ génération des avions de combat. Toutefois, dans ce domaine, les industriels français pourront s’appuyer sur le Rafale F5, qui en sera déjà largement dotée, raison pour laquelle, d’ailleurs, ce standard ne sera pas rétrocompatible, puisqu’il nécessitera un câblage entièrement transformé de l’appareil, pour assurer le transport de volumes de données très supérieurs à ceux actuellement employés.

Deux autres caractéristiques ont été évoquées pour la 5ᵉ génération, bien qu’elles en aient ensuite disparu, pour permettre au F-35 de l’intégrer, car il n’est doté de ni l’une, ni l’autre. La première est la Super-croisière, qui permet à un chasseur de conserver une vitesse supersonique en palier, sans employer la post-combustion, très gourmande en carburant. Le F-22 et le Gripen E/F sont dotés de super-croisière, et le Typhoon, le Rafale, le J-20 et le Su-57, sont censés pouvoir y parvenir également.

Su-57 missile R74
Un programme Super-Rafale s’impose-t-il aujourd’hui, entre le Rafale F5 et le SCAF ? 2/2 15

La seconde est la super-manoeuvrabilité, à savoir la capacité à évoluer en dehors du régime de vol de l’avion de combat. Cela suppose, en règle générale, l’utilisation de la poussée vectorielle, et des surfaces de contrôle agrandies, parfois soufflées. Aujourd’hui, seuls deux avions de combat peuvent revendiquer le qualificatif de super-manœuvrabilité, le F-22 américain, et le Su-57 russe.

Le fait est, dans le cas du Super-Rafale, si la super-croisière apporterait incontestablement une importante plus-value, l’intérêt de la super-manoeuvrabilité tendrait à s’étioler, l’appareil étant conçu pour opérer avec des drones de combat, réduisant considérablement les chances que l’appareil soit engagé directement dans un combat tournoyant.

Plus de 50 % des technologies issues du Rafale F5 et 35 % du programme SCAF, pour réduire les couts et les risques

Le Super-Rafale se définit comme un avion de génération intermédiaire, entre le Rafale F5 et le SCAF. Cette qualification se retrouve également dans son calendrier de conception (2025-2035 ?), et dans ses missions, à cheval entre le Rafale traditionnel, et le SCAF de 6ᵉ génération.

Ce faisant, et sachant que l’appareil devra être conçu sous contraintes budgétaires, il conviendra d’employer, autant que possible, des technologies provenant de l’un ou l’autre des programmes le bordant.

NGF du programme SCAF
Un programme Super-Rafale s’impose-t-il aujourd’hui, entre le Rafale F5 et le SCAF ? 2/2 16

Idéalement, le Rafale étant déjà reconnu comme un appareil fiable et efficace, avec un parc installé qui flirtera ou dépassera les 600 avions de combat dans le monde en 2035, l’emploi d’une majorité de composants et de technologies provenant du Rafale F5, serait une plus-value opérationnelle et commerciale pour ce nouveau chasseur.

Ceci permettrait, en effet, de réduire les risques industriels, et les efforts de transition des forces aériennes opérant déjà le chasseur français, et désireuses de se porter acquéreuses du nouvel appareil.

À l’autre bout du spectre, viennent les technologies destinées au SCAF, notamment celles qui porteront sur l’engagement coopératif, le cloud de combat et l’utilisation des drones. En effet, plus le Super-Rafale embarquera ces technologies destinées au SCAF, développées par l’industrie de défense française, plus la transition ascendante vers SCAF des utilisateurs de Super-Rafale, sera simplifiée, y compris pour les armées françaises. Par ailleurs, l’utilisation de ces technologies SCAF, permettra d’anticiper des retours d’expérience précoces, pour en évaluer le bon réglage, à bord et autour du NGF.

Une partie technologique centrale, concernera des développements spécifiques au Super-Rafale. Concrètement, il s’agira, ici, de répondre aux besoins propres au programme, s’il y en a, mais aussi de palier les conséquences de la coopération européenne autour de SCAF, concernant l’évolution des compétences et savoir-faire des industriels français, qui en seront privés en raison de ce partage.

turboreacteur m88
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Bien évidemment, pour réduire les couts, les délais et les risques, il conviendrait de diminuer, autant que possible, cette partie spécifique, de sorte qu’idéalement, le découpage technologique du Super-Rafale serait composé de 50 % de technologies Rafale F5, de 35 % de technologies SCAF, et de 15 % de technologies spécifiques.

Cette décomposition pourrait se considérer comme scalaire. Ainsi, dans le cas des turboréacteurs de l’appareil, la simple transposition du M88 du Rafale pourrait s’avérer insuffisante pour un avion qui risque de prendre quelques tonnes vis-à-vis de son prédécesseur. Or, le nouveau turboréacteur du SCAF, lui, ne sera pas entièrement développé, à ce moment-là.

Toutefois, à ce moment-là, il est probable que Safran aura déjà bien avancer sur les briques technologiques du SCAF, concernant les parties chaudes. Ce faisant, il pourrait, sans grand risque, concevoir un moteur Intermediate, poussant 7,5-8/12-13 tonnes, pour garantir la supercroisière du super-Rafale, tout en reprenant les briques technologiques du m88, lorsque cela sera possible.

Outre la furtivité, la création d’un turboréacteur de génération intermédiaire, mais aussi des évolutions du radar RBE-2 et du système d’autodéfense SPECTRA, capterons probablement l’essentiel du budget de R&D de ce programme, qui s’appuiera, à son lancement, sur les munitions et les drones des deux programmes le bordant.

Un système de systèmes organisé autour des drones de combat et de l’engagement coopératif, en particulier avec le Rafale

D’un point de vue opérationnel, le Super-Rafale divergera du Rafale F5, par sa capacité à mettre en œuvre des systèmes déportés, directement au-dessus de l’espace aérienne contesté, notamment grâce à la furtivité.

Drone de combat Neuron Rafale Dassault Aviation
Un programme Super-Rafale s’impose-t-il aujourd’hui, entre le Rafale F5 et le SCAF ? 2/2 18

Pour cela, le Super-Rafale devra être capable de contrôler différents modèles de systèmes déportés, y compris le drone de combat qui est actuellement développé pour le Rafale F5, ainsi que les Remote Carrier du SCAF.

Il devra, aussi, disposer de systèmes de communication avancés, et d’une capacité de traitement des données en provenance de ses propres capteurs, ainsi que de ceux de ses drones, des appareils de soutien, et des Rafale F4/F5 opérant avec lui, et ainsi devenir, une véritable plateforme de combat.

Dès lors, comme SCAF, le Super-Rafale devra être conçu comme un système de systèmes, le terme systèmes prenant ici une définition scalaire élargie, puisque pouvant représenter un programme à part entière, comme le Rafale ou le SCAF. Il devra également, à des fins de compatibilité, employer un cloud de combat pouvant communiquer avec celui du SCAF, ainsi qu’un vaste champ de méthodes d’engagements coopératifs.

Toutefois, le Super-Rafale devra également être apte à opérer aux côtés de Rafale, en particulier en soutien de ces appareils, et devra donc disposer des mêmes attributs opérationnels que celui-ci, en emportant des armements et en mettant sa furtivité, voire sa vitesse, au service des autres appareils.

Un nouvel avion de combat naval, pour l’échéance 2035

Enfin, et c’est essentiel, le Super-Rafale devra être un chasseur embarqué, susceptible d’opérer, au besoin, à bord du Charles de Gaulle, et pas uniquement à bord du PANG. Cette caractéristique permettra, en effet, de remplacer les Rafale M livrés en 2001 et 2002, qui ne pourront rester en parc jusqu’en 2045 et l’arrivée du SCAF, et devront être remplacés, au plus tard, autour de 2035.

Rafale M à l'appontage sur le Charles de Gaulle
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En outre, la Marine nationale n’exclut pas, aujourd’hui, de pouvoir prolonger le Charles de Gaulle au-delà de 2038, date actuellement prévue pour l’entrée en service du PANG. Il faudra cependant attendre la prochaine IPER du porte-avions, prévue pour 2027, pour déterminer si le porte-avions pourra soutenir une nouvelle recharge de ses réacteurs, en 2028, et ainsi être prolongé de 10 ans à compter de 2038, dotant la Marine Nationale de deux porte-avions, le temps, peut-être d’en construire un nouveau.

Un Super-Rafale M, aux caractéristiques embarquées proches de celles du Rafale F5, permettrait, en outre, d’imaginer la conception d’un second porte-avions français, plus léger et moins cher que le PANG, pouvant, lui, susciter de l’intérêt sur la scène internationale, pour en accroitre la soutenabilité budgétaire.

Reste que, pour être efficace, un Super-Rafale M devra, très certainement, être un appareil biplace, le délai sur ce programme étant certainement trop court, pour imaginer pouvoir efficacement confier à un unique pilote, la charge du contrôle d’un ou plusieurs drones de combat, sans l’assistance d’un officier systèmes d’armes. Cela suppose aussi qu’au moins un des drones d’accompagnement actuellement en conception, loyal Wingmen ou Remote Carrier, puisse opérer à partir du porte-avions, d’une manière ou d’une autre.

Quels marchés et quel modèle de financements pour le Super-Rafale ?

Maintenant que nous avons une vision de ce que pourrait être le Super-Rafale, nous sommes en mesure d’en déterminer le marché adressable, pour les armées françaises comme internationales, mais aussi, et surtout, d’aborder l’épineux problème du financement d’un tel programme.

Remplacer les Rafale F1 et F2 de l’Armée de l’air et de l’espace et de l’aéronautique navale françaises, en proposant les appareils sur le second marché

En France, d’abord, ou l’appareil devra très certainement remplacer les 12 Rafale livrés à la Marine nationale entre 2001 et 2002, au standard F1, et qui, bien qu’ils aient été modernisés au standard F3, arrivent aujourd’hui au bout du potentiel de leur cellule. Cette transformation permettrait notamment à la Marine nationale d’entamer la dronisation de sa flotte de chasse concomitamment à celle de l’Armée de l’Air, sachant que l’Aéronavale est souvent en première ligne, en cas de tensions.

Rafale F3R Marine
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Le Super-Rafale pourrait, également, remplacer les 32 Rafale livrés à l’Armée de l’air (25 Rafale B, 7 Rafale C) et 16 Rafale M livrés à la Marine nationale dans la seconde tranche, de 2004 à 2008, des appareils qui auront, alors 27 à 31 ans de service, et qui auront entre 37 et 41 ans de service, lorsque le SCAF entrera en service.

Ces avions, moins usés que le F1 M, pourraient servir de produits d’appels pour la vente de Super-Rafale, notamment en proposant des flottes de transition, dans l’attente de la livraison des premiers appareils. Cette technique s’est montrée très efficace en Grèce, et est activement réclamée par d’autres clients potentiels du Rafale aujourd’hui, dont la Colombie.

Enfin, au besoin, et selon les circonstances, le Super-Rafale pourrait remplacer tout ou partie des 59 Rafale de la Tranche 3, livrés de 2008 à 2013, voire compléter l’inventaire des deux forces aériennes françaises, si le programme SCAF venait à prendre du retard, ou si les tensions internationales devaient croitre, et obliger l’Armée de l’air et l’aéronavale, à renforcer leurs capacités dans le domaine des appareils furtifs et de l’engagement coopératif.

Compléter et étendre les forces aériennes utilisatrices du Rafale F4/5

Le second marché adressable concerne les forces aériennes qui exploitent, ou exploiteront alors, le Rafale. Rappelons, à ce titre, que le Rafale a déjà été choisi par 7 forces aériennes internationales, pour plus de 300 appareils commandés, et que le marché à venir, atteint un potentiel de 324 appareils supplémentaires.

Rafale croatie
Un programme Super-Rafale s’impose-t-il aujourd’hui, entre le Rafale F5 et le SCAF ? 2/2 21

Le Super-Rafale, par sa proximité avec le Rafale, mais aussi par son positionnement pleinement ancré dans la 5ᵉ génération, pourrait ainsi séduire un grand nombre de ces forces aériennes, en particulier celles pour qui Washington a interdit la livraison de F-35A.

D’autres clients pourraient d’ailleurs émerger à cette occasion, notamment en Amérique du Sud, au Moyen-Orient et en Asie, précisément face aux conditions drastiques imposées par les États-Unis autour du F-35, et ce, même si, à ce moment-là, les règles entourant les autorisations d’exportation du chasseur américain, venaient à s’assouplir, ce d’autant que le Super-Rafale aurait l’avantage d’être à la fois bimoteur, pleinement ancré dans la 5ᵉ Generation, et totalement ITAR free, ce qui constituent de sérieux avantages concurrentiels, et opérationnels.

Au total, donc, ce serait de 60 à 119 Super-Rafale, qui pourraient être commandées par les forces aériennes françaises, ainsi que plusieurs centaines d’autres, potentiellement, par les forces aériennes étrangères, sur une période s’étalant de 2035 à 2050.

Ce faisant, l’activité industrielle, et le marché export maitrisé par Dassault, seraient préservés, et l’avionneur français disposerait même d’une alternative en catalogue, si un partenaire du SCAF venait à s’opposer à une exportation du chasseur européen, scénario ouvertement redouté par la BITD française.

Un fonds d’investissement mixte pour le financement de la R&D du programme

Reste, évidemment, la difficile question du financement du développement de l’appareil. Comme évoqué en introduction, il semble hors de question, aujourd’hui tout du moins, d’espérer pouvoir libérer les crédits nécessaires au développement de ce programme, soit 1,5 à 2 Md€ par an, sur 10 ans, à compter de 2025, dans le cadre de la planification budgétaire actuelle.

RAfale maintenance
Un programme Super-Rafale s’impose-t-il aujourd’hui, entre le Rafale F5 et le SCAF ? 2/2 22

Il est donc nécessaire, pour un tel programme, de se tourner vers un modèle de financement alternatif, hors LPM. Plusieurs modèles existent, dont la Capsule de Développement des Programmes de Défense, évoquée dans un précédent article.

Celle-ci s’articule autour d’une société d’investissement d’économie mixte, pouvant faire appel à l’épargne des particuliers, notamment au travers d’une offre de type assurance-vie, portant l’investissement auprès de l’état, des armées et des industriels, et disposant, en retour, d’une côte-part prélevée sur la vente des appareils et sur les recettes fiscales et sociales, engendrées par l’activité économique générées par l’exécution de ces contrats.

Ce faisant, l’état conserve une partie des recettes sociales et fiscales sur une activité qui n’aurait pas existé sans cet investissement, tout en ayant la possibilité d’acquérir de nouveaux appareils, entièrement produits en France, sans avoir eu à en financer le développement.

Les industriels, eux, peuvent developper un nouvel appareil, de génération intermédiaire, pour enrichir leur catalogue export, sur un calendrier raccourcie, tout en développant des savoir-faire dont ils ont été privés par SCAF.

Enfin, ce programme fait baisser la pression sur le programme SCAF lui-même, notamment sur son calendrier, voire sur le partage industriel, ou sur certains aspects de tension, comme la version navale.

SCAF Remote carrier
Un programme Super-Rafale s’impose-t-il aujourd’hui, entre le Rafale F5 et le SCAF ? 2/2 23

Notons au passage, que si les besoins totaux de financement atteignent autour 20 Md€, un tel mécanisme, avec un retour budgétaire en circuit court, permettra d’en diminuer les besoins nets de financement, autour de 10 Md€, le reste étant produit par le retour budgétaire lui-même.

Ainsi, une participation de l’état à hauteur de 25 %, et des industriels, sur une même base, permettrait de réduire l’appel extérieur à 5 Md€, pour une activité industrielle et économique dépassant les 100 Md€, et pouvant largement dépasser les 200 Md€ en intégrant l’export, pour les seuls appareils.

Les prix des appareils évoluant avec l’inflation, un objectif de rentabilité à inflation + 1,5 %, pourrait être atteint par une cote-part sur la vente des appareils, inférieure à 4 %, ou 2,5 % étendue à l’ensemble de l’enveloppe commerciale (avions, pièces, soutien). Ce qui reste parfaitement acceptable du point de vue commercial.

Quant au financement des appareils eux-mêmes, pour les forces aériennes françaises, il reposerait sur ce même mécanisme de captation du retour budgétaire, avec l’objectif de plus d’un avion exporté par avion commandé par la France, pour atteindre une empreinte budgétaire positive ou nulle.

Conclusion

On le voit, un programme Super-Rafale, venant se loger entre le Rafale F5 et le SCAF, offrirait de nombreuses plus-values pour les armées et les industries de défense aéronautiques françaises, que ce soit sur le plan opérationnel, commercial ou technologique.

Il permettrait, notamment, de réduire très sensiblement les conséquences des risques entourant le programme SCAF, et par conséquent, de faire baisser la pression autour de ce programme européen. Ceci en améliorerait les chances de succès, dans un contexte international dans lequel un tel appareil, et son système de combat, apporteraient des atouts indéniables, face à l’évolution des menaces.

Ligne d'assemblage Dassault Aviation Merignac Rafale
Un programme Super-Rafale s’impose-t-il aujourd’hui, entre le Rafale F5 et le SCAF ? 2/2 24

En outre, si la LPM actuelle ne permet pas d’assurer le financement du développement d’un Super-Rafale aujourd’hui, des modèles alternatifs de financement, efficaces et sécurisés, peuvent être appliqués, pour y parvenir, et ainsi, assurer une transition souple et efficace, du Rafale F5 au SCAF.

Reste à voir si la situation politique particulièrement tendue en France, qui amène, aujourd’hui, les gouvernants actuels et futurs, à des positions conservatoires et parfois radicales, permettra l’émergence d’une telle solution, prenant à contre-pieds, il est vrai, de nombreux paradigmes ayant toujours l’aval de nombreux décisionnaires dans ce domaine ?

Le fait est, sans le Super-Rafale, la France, ses armées et son industrie aéronautique, dépendront pleinement du bon déroulement du SCAF, ce qui peut, en fait, représenter une faiblesse exploitable dans les négociations à son sujet, notamment par les pays qui, eux, se sont, ou se seront, d’ici là, déjà tournés vers le F-35 a et B américain.

Article du 19 aout en version intégrale jusqu’au 2 octobre 2024

Il manque 95 avions de chasse à l’Armée de l’Air et de l’Espace, et 12 à l’Aéronautique Navale française.

Il manque 95 avions de chasse à l’Armée de l’Air et de l’Espace, et 12 à l’Aéronautique Navale française.

Depuis la fin de la guerre froide, la flotte de chasse de l’Armée de l’air et de l’Espace, a été divisé par trois, passant de plus de 600 Mirage F1, Mirage 2000 et Jaguar, à moins de 200 Rafale et Mirage 2000D et -5F. La flotte de l’Aéronautique navale a, elle aussi, subi une sévère cure d’amaigrissement, passant de 80 Super-Étendard, F-8 Crusader et Étendard IVP, a seulement 40 Rafale M.

Cette réduction de format a souvent été critiquée, par les spécialistes du sujet, ainsi que par certains parlementaires, et même, plus récemment et de manière plus feutrée, par les états-majors eux-mêmes. Ainsi, l’Armée de l’Air et de l’Espace estime, publiquement, qu’il lui faudrait « au moins », 225 avions de combat, pour répondre à son contrat opérationnel.

Toutefois, le format optimal de la chasse française semble, aujourd’hui, davantage une question de négociations politiques et budgétaires, que le résultat d’un raisonnement objectif, face aux besoins auxquels l’Armée de l’Air et l’Aéronavale doivent être en mesure de répondre.

Dans cet article, nous tenterons de mener ce raisonnement, et de déterminer quel serait ce format, nécessaire et suffisant, pour permettre à la chasse française, de remplir pleinement et efficacement ses missions présentes et à venir. Comme nous le verrons, le format actuel apparait très sous-estimé.

Sommaire

Le format de la flotte de chasse française aujourd’hui, son origine et son contrat opérationnel

Ce format, justement, quel est-il, et d’où vient-il ? Aujourd’hui, le LPM 2024-2030 vise à amener la flotte de chasse française à 225 avions de combat, avec 185 chasseurs pour l’Armée de l’Air et de l’Espace, et 40 pour l’Aéronautique navale.

Armée de l'air et de l'Espace Rafale Mirage 2000D
Il manque 95 avions de chasse à l’Armée de l’Air et de l’Espace, et 12 à l’Aéronautique Navale française.

Ce format a été fixé par la Revue Stratégique 2022, elle-même reprenant ce format de la Revue Stratégique 2018, qui servit de support à la création de la LPM 2029-2025 précédente. Là encore, ce n’est pas la Revue Stratégique 2018 qui fixa ce format, puisqu’elle avait pour consigne de reprendre l’ensemble des formats des forces, définis par le Livre Blanc de 2013.

C’est, en effet, ce Livre Blanc qui établit, pour la première fois, ce format à 225 avions de combat, avec la répartition 185/40 entre l’AAE et la Marine nationale. Pour arriver à ce résultat, les concepteurs de ce Livre Blanc, qui avaient pour ligne directrice de réduire autant que possible le format des forces armées françaises, fixèrent un contrat opérationnel relativement simple aux deux forces aériennes.

Pour l’AAE, il fallait être en mesure de garantir la projection de 15 avions de combat, y compris sur des bases distantes, comme ce fut le cas au Niger et en Jordanie, pour soutenir les forces françaises et alliées, déployées dans le Sahel ou en Irak et en Syrie. En outre, l’AEE devait assurer la disponibilité de la composante aérienne de la dissuasion française, avec deux escadrons équipés de Rafale. La Marine nationale, elle, devait permettre d’armer de 18 chasseurs le porte-avions Charles de Gaulle, pour deux déploiements de deux mois par an.

Cette réduction des formats permettait, par ailleurs, de réduire sensiblement les besoins de formation et d’entrainement des équipages, ainsi que les stocks de munitions, d’autant que la principale menace conventionnelle alors envisagée, concernait des conflits dissymétriques, en Afrique ou au Moyen-Orient, avec une menace très réduite sur les appareils eux-mêmes, et une pression opérationnelle relativement réduite pour les forces déployées.

La pression opérationnelle sur la chasse française depuis 2014, sensiblement supérieure à celle estimée par le Livre Blanc 2013

Bien évidemment, cette pression opérationnelle, depuis 2013, n’a absolument pas respecté la planification du Livre Blanc. L’Armée de l’Air et de l’Espace a ainsi dû, à plusieurs reprises, déployer vingt à trente appareils de combat en missions extérieures, y compris en Europe. Le porte-avions, quant à lui, a souvent largement dépassé les quatre mois de mer par an prévus, avec un record de 8 mois à la mer pour l’année 2019, avant son IPER.

RAfale Gripen AAE
Il manque 95 avions de chasse à l’Armée de l’Air et de l’Espace, et 12 à l’Aéronautique Navale française

Si les armées françaises ont largement allégé leur dispositif en Afrique ces dernières années, le dispositif au Levant, lui, reste inchangé, alors que l’évolution des tensions, et des guerres, en Europe et dans le Pacifique, ont amené à de nouveaux déploiements particulièrement gourmands en potentiel de vol des appareils comme des équipages.

À ce sujet, justement, il est apparu que les appareils déployés, tendaient à consommer beaucoup plus rapidement leur potentiel de vol, par rapport aux appareils employés en France pour les missions d’entraînement et de Police du Ciel, d’un facteur allant de 2 à 3.

Comme tous les avions, civils ou militaires, les avions de chasse doivent respecter une procédure de maintenance très stricte, ponctuée de grandes visites, au bout d’un certain nombre d’heures de vol, durant lesquelles les appareils sont presque entièrement démontés et rassemblés, pour en garantir le bon fonctionnement à venir.

De fait, ces grandes visites rendent indisponibles chaque appareil pour plusieurs mois, et sont d’autant plus rapprochées, que les appareils volent beaucoup, en particulier en déploiement extérieur, et lors des missions opérationnelles.

40 avions de chasse promis par la France à l’OTAN, en cas de tensions ou de conflit

Si la pression opérationnelle a considérablement évolué ces dernières années, la guerre en Ukraine, et les fortes tensions entre l’OTAN et la Russie, ont amené à réviser le paramètre clé, au cœur de la construction même du format nécessaire et suffisante, de la flotte de chasse française.

RAfale F-35A
Il manque 95 avions de chasse à l’Armée de l’Air et de l’Espace, et 12 à l’Aéronautique Navale française

En effet, la France s’est engagée, depuis son retour dans le Commandement intégré de l’OTAN, à fournir à l’Alliance, en cas de conflit, 40 avions de chasse prêts au combat. Cet engagement n’est pas nouveau, mais les évolutions géopolitiques récentes, en ont fait évoluer le statut.

Celui-ci est passé d’un engagement important, mais très peu probable, à un engagement tout aussi important, mais dont la probabilité nécessite, désormais, de l’intégrer dans la planification opérationnelle française, comme valeur de référence au cœur de ce format, en lieu et place de la projection de 15 appareils du Livre Blanc 2013, et des Revues stratégiques de 2018 et 2022.

En d’autres termes, là où l’Armée de l’Air devait garantir la disponibilité de deux escadrons stratégiques, soit vingt avions de combat, et de 15 avions de combat en projection, avec un potentiel de vol, c’est-à-dire le nombre d’heures de vol restant jusqu’à la prochaine grande visite, suffisant pour soutenir l’activité, elle doit dorénavant faire de même pour deux escadrons stratégiques, et 40 avions de combat tactiques, passant donc de 35 à 60 avions de chasse prêts au combat à tout instant.

Il manque 95 avions de chasse à l’Armée de l’Air et de l’Espace

De fait, la disponibilité d’une flotte de 60 chasseurs, disposants de plus de 50 % de leur potentiel de vol, à tout instant, cela entraine une flotte de deux fois plus d’appareils, soit 120 chasseurs, ayant un potentiel de vol de 50 % ou moins, sachant que les appareils déployés et/ou en situation opérationnelle, consomment leur potentiel de vol, deux fois plus vite, qu’en France, pour les missions d’entrainement et de Police du Ciel.

Mirage 2000-5F
Il manque 95 avions de chasse à l’Armée de l’Air et de l’Espace, et 12 à l’Aéronautique Navale française.

En outre, pour garantir la disponibilité permanente de 60 avions de combat à potentiel de vol suffisant, il est aussi nécessaire d’avoir, en permanence, 60 appareils en maintenance, notamment en grande visite, pour assurer le flux et la rotation des appareils.

Au total, donc, il est nécessaire que la flotte de chasse de l’Armée de l’Air et de l’Espace, atteignent les 240 appareils. Remarquez qu’en appliquant ce même raisonnement aux 35 appareils du Livre Blanc, on arrive à 180 avions de combat, très proche des 185 visés aujourd’hui.

Toutefois, deux facteurs doivent désormais être pris en compte, pour garantir l’efficacité et la disponibilité optimale de la flotte de chasse française. Le premier est le prélèvement sur la flotte de chasse lié à la modernisation des appareils. En moyenne, un avion de combat passe par une phase de modernisation majeure tous les huit ans, alors que chaque modernisation l’immobilise pendant six mois.

Il est donc nécessaire d’ajouter, aux 240 avions de combat précédent, une flotte équivalente à un seizième de son format, pour absorber ce prélèvement, soit 15 avions, pour un total de 255 chasseurs.

Ligne d'assemblage Dassault Aviation Merignac Rafale
Il manque 95 avions de chasse à l’Armée de l’Air et de l’Espace, et 12 à l’Aéronautique Navale française

Enfin, le risque de guerre ne pouvant être ignoré, il convient de donner, aux forces aériennes, une capacité d’absorption minimale de l’attrition, par accident ou au combat, d’autant que les appareils sont susceptibles de voler dans des conditions plus difficiles, les exposant notamment au risque aviaire de manière bien plus significative.

Dans la mesure où il s’agit, là, de la seule valeur « subjective » de cette démonstration, nous prendrons un coefficient de réserve le plus réduit possible, eu égard au risque, ainsi qu’aux délais de remplacement des appareils, soit 10 %, amenant le format nécessaire et suffisant de la flotte de chasse de l’Armée de l’Air et de l’Espace à 280,5 appareils, que nous arrondirons à 280.

Dès lors, il manque bien, de manière objective, 280-185 = 95 avions de combat à la flotte de chasse de l’Armée de l’Air, pour satisfaire à ses engagements vis-à-vis de l’OTAN, tout en assurant le reste de son contrat opérationnel.

Notons au passage que dans cette hypothèse, le déploiement des avions de combat en Afrique et au Moyen-Orient, n’est pas intégré, de manière simultanée, ce qui suppose qu’en cas de déploiement pour l’OTAN, l’AAE devra retirer l’ensemble de ses moyens de tous ces théâtres.

Par extension, il manque aussi 12 Rafale M à l’aéronautique navale française

Il serait tentant d’employer le même raisonnement pour conclure que le format de la flotte de chasse embarquée française devrait être amenée à 89 avions de chasse. Toutefois, avec un unique porte-avions, la Marine nationale ne peut pas garantir la permanence du dispositif aéronaval français, ce qui suppose de reprendre le raisonnement.

Rafale M à l'appontage sur le Charles de Gaulle
. 1Il manque 95 avions de chasse à l’Armée de l’Air et de l’Espace, et 12 à l’Aéronautique Navale française

Ainsi, en admettant que la Marine nationale doive garantir le déploiement de 18 Rafale M à bord du Charles de Gaulle, pour des missions de deux mois, avec une période de régénération de deux mois, la surconsommation du potentiel de vol en mission opérationnelle, est compensée, dans le format, par le retrait de la zone de mission de deux mois du porte-avions.

Dès lors, là où un appareil déployé à potentiel supérieur à 50 % pour l’AAE, entrainait la présence de deux appareils au potentiel inférieur à 50 % en métropole, il n’y aura qu’un appareil inférieur à 50 % par appareil supérieur à 50 % déployé, dans le cas de la Marine nationale. À cela, s’ajoute aussi, un demi-appareil en maintenance, puisque l’autre moitié du temps, le porte-avions ne sera pas déployé.

De fait, pour garantir le déploiement de 18 chasseurs Rafale M à bord du Charles de Gaulle par rotation du porte-avions en zone opérationnelle de 2 mois, il faut 2×18 + 9 = 45 avions Rafale M dans l’inventaire de la Marine nationale. En ajoutant le prélèvement pour modernisation, soit 1/16ᵉ, puis la gestion de l’attrition de 10 %, cette flotte atteint 52 appareils, soit 12 chasseurs supplémentaires, vis-à-vis de la flotte de 40 appareils actuellement en parc.

Notons que lorsque le PANG entrera en service, ce nombre montera à 70 appareils, pour garantir la présence de 24 appareils de combat, de la même manière, à bord du porte-avions.

En revanche, si la flotte de porte-avions devait passer à deux, pour garantir en permanence une flotte embarquée de 24 chasseurs, une flotte de 112 chasseurs serait nécessaire et suffisante, en appliquant, cette fois, strictement le même raisonnement que pour l’AAE.

15 ans et 20 Md€ pour redonner à la Chasse française, son format optimal

Sur la base de ce raisonnement, il manquerait donc 95 avions de combat pour l’Armée de l’Air, soit trois escadrons de 20 appareils, le reste étant en maintenance et réserve, ainsi que 12 chasseurs et une flottille de neuf appareils, pour l’Aéronautique navale. Or, une telle progression, même étalée sur 15 ans, représenterait un investissement et une transformation des armées considérables, sur cette période.

RAfale maintenance
Il manque 95 avions de chasse à l’Armée de l’Air et de l’Espace, et 12 à l’Aéronautique Navale française

Cela suppose la commande 112 chasseurs supplémentaires, soit 1 Md€ par an pendant quinze ans, pour 7,5 appareils supplémentaires par an, y compris les équipements et munitions nécessaires à leur mise en œuvre. Cela nécessiterait, également, très probablement une nouvelle augmentation des cadences de production de Rafale de Dassault Aviation, pour passer de trois à quatre appareils produits chaque mois, afin de répondre à ce besoin supplémentaire.

Surtout, cela suppose de recruter et de former les effectifs nécessaires pour former ces escadrons et flottille, pour les équipages comme pour assurer la maintenance des appareils, et pour soutenir l’activité de l’ensemble de ces effectifs supplémentaires, le tout représentant de 5 à 6000 militaires supplémentaires.

Il faudra, enfin, positionner ces effectifs et ces appareils, ce qui pourrait nécessiter l’activation d’une nouvelle base aérienne de chasse, et peut-être d’une base aéronavale, ou, tout du moins, de relocaliser une ou deux flottilles, sur une autre base que Landivisiau.

On peut estimer l’investissement initial nécessaire à la mise en place de ces nouvelles infrastructures, l’adaptation des infrastructures existantes, et le recrutement et la formation initiale du personnel supplémentaire nécessaire, autour de 5 Md€, et le surinvestissement annuel nécessaire, entre 1 et 2 Md€.

Conclusion

On le voit, le format actuel de la flotte de chasse française, qu’il s’agisse de l’Armée de l’Air et de l’Espace, comme de l’Aéronautique navale, est très inférieur au format nécessaire pour répondre aux engagements de la France, vis-à-vis de l’OTAN, ou, tout simplement, pour assurer la sécurité aérienne du pays et de ses intérêts, considérant qu’une flotte de 40 avions de chasse opérationnels, et 18 chasseurs à bord du Charles de Gaulle, sont les stricts minimums pour être en mesure de le faire.

char Leclerc France
Il manque 95 avions de chasse à l’Armée de l’Air et de l’Espace, et 12 à l’Aéronautique Navale française

Le format actuel, visé par la LPM 2024-2030, a été défini en 2013, lors de la rédaction du Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité Nationale, avant même la capture de l’Ukraine et l’attaque du Donbass par la Russie, avant le déclenchement de l’opération Serval au Mali, avant la seconde guerre du haut Karabagh, avant les menaces appuyées de Pékin sur Taïwan, et avant la guerre en Ukraine, et l’ensemble de ses conséquences directes et induites, en Europe, au Moyen-Orient et dans le Pacifique.

En dépit de ces nombreux événements qui se sont déroulés ces dix dernières années, jamais ce format n’a été re-évalué, comme c’est aussi le cas du format de la flotte de char de l’Armée de terre, ou de celui des frégates et des sous-marins d’attaque de la Marine nationale.

Certes, amener la flotte de chasse française, au format requis de 332 appareils, nécessiterait des crédits importants, qui seront difficiles à mobiliser (tout en moins en appliquant le modèle actuel), et des effectifs au moins aussi ardus à recruter. Toutefois, il semble évident, dorénavant, que le format hérité de 2013, n’est plus en accord ni avec la menace, ni avec le contrat opérationnel des forces aériennes françaises.

Il est certainement nécessaire, dès lors, de mener une réflexion objective sur l’ensemble des formats des armées françaises, hérités de ce livre blanc sans plus aucun rapport avec la réalité des menaces, pour construire la programmation militaire nationale, et non plus construire la programmation militaire sur des contraintes budgétaires, pour en déduire les menaces pouvant être contenues. Question de méthode, probablement…

Article du 7 aout en version intégrale jusqu’au 21 septembre 2024

Pourquoi le budget défense 2025 devra respecter la loi de programmation militaire

Pourquoi le budget défense 2025 devra respecter la loi de programmation militaire

OPINION – Nouveau gouvernement, nouvelles priorités, nouvelles orientations économiques ? Alors que le budget du ministère des Armées doit augmenter de 3,3 milliards d’euros en 2025, le groupe de réflexions Mars* rappelle que l’investissement de défense est rentable sur le plan économique, social, fiscal ainsi que pour le commerce extérieur et l’innovation (Recherche & Développement).

« une politique économique avisée de la part du prochain gouvernement français, alors que les pays européens vivent sous la menace de la Russie, devrait commencer par investir massivement dans des capacités industrielles de défense souveraines » (Le groupe Mars)
« une politique économique avisée de la part du prochain gouvernement français, alors que les pays européens vivent sous la menace de la Russie, devrait commencer par investir massivement dans des capacités industrielles de défense souveraines » (Le groupe Mars) (Crédits : PHILIPPE WOJAZER)

L’un des enjeux de la nomination d’un nouveau gouvernement réside dans sa capacité à décider de mesures nouvelles conformes à des orientations politiques rencontrant le soutien d’une majorité de parlementaires des deux chambres. Au terme d’une cinquantaine de jours d’impasse, on semble s’orienter vers un gouvernement de droite avec le soutien sans participation de la droite de la droite. Ce qui s’appelle une victoire du « front républicain »… belle manœuvre Mon général !

Le monde de la défense garde un souvenir amer de l’expérience passée, pour ne pas dire du passif, du dernier gouvernement de droite (Fillon). Avec la perte de 20% des effectifs, la trop fameuse RGPP a eu l’effet d’une guerre d’attrition sur les moyens consacrés à nos armées, sans les avantages de l’aguerrissement. C’est essentiellement ce qui explique pourquoi la France est montrée du doigt pour son manque de solidarité à l’égard de l’Ukraine. Mais la vérité est qu’elle manque cruellement de moyens militaires depuis les coupes subies jusqu’en 2012, voire 2015. La vigilance est donc de mise.

Un rééquipement urgent

En matière de défense, chacun sait en effet que la reconduction à l’identique du budget 2024 aurait pour effet de renoncer à « franchir la marche » à 3,3 milliards d’euros prévue à l’article 4 de la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2024-2030 adoptée il y a un an. Fâcheux pour une deuxième année d’exécution. Certes, notre pays n’est pas en première ligne dans les conflits majeurs en cours dans le monde, mais si l’on admet que l’époque a changé et que ce changement est durable, il convient d’en tirer les conséquences en termes militaires. Notre pays a besoin d’équiper son armée à un rythme accéléré. Tel est l’enjeu du budget de la défense à adopter cet automne.

La bonne nouvelle dans ce contexte sombre, c’est que l’investissement de défense est rentable. Cela est admis dorénavant depuis quelques années par la littérature économique (1) même si les analyses divergent sur le délai du retour sur investissement (interrogé sur le sujet, un logiciel d’IA générative donne la fourchette de 0,6 à 1,2 de retour sur un an).

Sur le plan de l’économie politique, il paraît en effet possible de dégager un certain consensus qui pourrait se résumer en une quinzaine de constats objectifs.

  • Il n’existe pas d’effort de défense (exprimé en % PIB) optimal absolu, mais des optima relatifs en fonction de la réalité de la menace et de la taille du pays ; à ce titre, l’objectif otanien de 2% est très inférieur aux normes de la guerre froide, quand l’OTAN exigeait au moins 3%. Cela n’a donc aucun sens de comparer le taux d’effort actuel avec ce qu’il était à une autre période, ni de comparer le taux d’effort entre pays de tailles très différentes. Ce n’est pas un indicateur pertinent, ni en termes économiques, ni même en termes d’efficacité.
  • La politique industrielle de l’armement (lorsqu’il en existe une) intéresse exclusivement le moyen et le long terme économique parce qu’elle est sous-tendue par une volonté politique de souveraineté et d’autonomie stratégique. Sa définition échappe largement au domaine d’interprétation du calcul traditionnel de rentabilité économique, en raison notamment de la longueur des immobilisations qu’elle utilise, très supérieure à l’horizon de la majorité des investissements commerciaux privés. Le choix du développement des industriels d’armement se présente donc aujourd’hui comme un choix pour l’avenir dont la responsabilité globale revient aux autorités publiques, même si sa réalisation fait intervenir pour moitié des centres de décision privés. Cela rend inadaptés les raisonnements en termes de coûts d’opportunité par rapport aux autres investissements industriels.
  • L’achat d’équipement sur étagère à l’étranger a pour premier effet macroéconomique d’augmenter les importations. Cet effet négatif peut être partiellement équilibré par des compensations industrielles locales, mais ces « offsets » ont surtout pour conséquence de renchérir le coût des équipements importés et donc de dégrader la balance commerciale. On rappellera que, par fierté d’une autonomie retrouvée, la France refuse depuis au moins 40 ans de demander des compensations industrielles contrairement à sa pratique sous la IVe République, pratique toujours en cours, malgré les codes européens de bonne conduite, de la part de la plupart de nos partenaires européens avec, pour certains, la volonté d’avoir surtout des compensations bien plus que des équipements.
  • L’achat d’équipements militaires auprès des industriels nationaux (BITD) permet de maîtriser la balance commerciale et d’être souverain à condition que la chaîne de valeur reste très majoritairement nationale de bout en bout. Si ce n’est pas le cas, toute « fuite » hors du circuit économique national diminue l’effet multiplicateur potentiel et fragilise l’objectif de demeurer souverain sur le long terme. Or des études microéconomiques récentes ont montré à quel point cette chaîne de valeur était intégrée au niveau européen, ce que des instruments tels que le fonds européen de défense encourage. Cela va des composants les plus modestes jusqu’à des sous-ensembles majeurs tels que les moteurs diesel et les boîtes de vitesse.
  • A ce titre, le modèle de l’arsenal (2) apparaît le plus efficace en termes macroéconomiques, à condition que les coûts de production soient maîtrisés, ce qui suppose, en l’absence de compétition, une régulation publique forte au niveau microéconomique sur la formation des prix. A cet égard, le modèle américain d’arsenal national privé mérite d’être rappelé.Pour les États-Unis, le libre échange ne s’applique qu’aux autres. Ils ont parfaitement raison : il n’existe pas de marché de l’équipement de défense, pas de libre concurrence, pas de libre formation des prix, un client unique, une interdiction d’exportation de principe (pour un contrôle politique des exceptions), des barrières considérables à l’entrée de nouveaux fournisseurs, etc. Il n’y a dans le monde que la Commission européenne pour croire à l’existence d’un marché intérieur de défense.
  • L’impact économique de l’effort de défense n’est pas le même selon que la priorité est donnée à la formation de capital fixe ou de… capital humain : l’effet multiplicateur des rémunérations n’est pas établi au niveau national, même si son rôle pour les économies locales est évident. Il en va différemment de l’effort d’armement. L’investissement de défense comprend en effet plusieurs composantes : la formation de capital fixe sous la forme de capacités industrielles, la formation du capital humain nécessaire à la conception et à l’entretien des équipements, la recherche technologique.

Dépenses de défense : quel impact économique ?

En revanche, considérer l’équipement de combat lui-même comme un investissement est contestable en termes économiques car difficile à amortir et à assurer dans la mesure où sa durée de vie est impossible à déterminer à l’avance. Qui sait si tel Rafale durera 50 ans dans les inventaires sous différentes configurations ou disparaîtra dans l’année par accident ou par fait de guerre ? Par conséquent l’impact économique de l’investissement de défense est d’autant plus fort qu’il touche les trois composantes précédemment citées ; s’il ne concerne que la production d’équipements déjà développés (et à plus forte raison de consommables tels que les munitions), l’impact est nul, voire négatif. Et effectivement, acheter des chars sur étagère à l’étranger (comme le fait la Pologne) n’est pas un investissement au sens économique : c’est une consommation intermédiaire qui capte une dépense publique qui serait sans doute plus utile ailleurs.

  • Investir dans l’armement ne vise pas à produire un effet économique direct (contrairement à la plupart des investissements civils), mais à délivrer durablement (investir dans l’armement et dans l’industrie nationale d’armement, c’est s’assurer une capacité autonome et sur le long terme d’accéder aux systèmes nécessaires pour notre défense) un bien collectif – la défense – sans lequel le reste des activités économiques et humaines ne peut pas avoir lieu sereinement. L’utilité en matière de défense est cependant une notion ambiguë, car il est très difficile de chiffrer le gain économique dû à une défense efficace, c’est-à-dire assurant la sauvegarde de la nation, la sécurité de ses habitants et la protection de ses intérêts vitaux. La guerre en Ukraine, avec un coût de la reconstruction évalué entre 500 et 600 milliards d’euros (soit quatre années du PIB ukrainien d’avant-guerre) permet d’estimer le gain économique d’une dissuasion efficace. En extrapolant ces chiffres à la France, la comparaison est vertigineuse : une dépense annuelle de défense de 50 milliards d’euros permet ainsi « d’économiser » plus de 10.000 milliards d’euros, soit un retour sur investissement de deux cents contre un : imbattable !
  • Il ne serait pas tout à fait exact d’affirmer que l’achat de « produits de défense » matures (pour employer la terminologie de l’UE) à l’industrie nationale n’ait aucun intérêt économique : cela permet au moins d’éponger les coûts fixes et donc d’améliorer potentiellement la capacité d’autofinancement afin de faciliter à l’industriel l’investissement sur fonds propres dans le développement de nouveaux produits et de nouvelles capacités.
  • Les exportations permettent aussi de préserver une base industrielle au service des armées sans que cela ne requière un effort budgétaire national équivalent. Elles contribuent ainsi de manière significative à la finalité première de cette base : participer à la politique d’autonomie stratégique. L’exportation de « produits de défense » (qui sont aussi de plus en plus des services) contribue également autant aux économies d’échelle qu’à l’équilibre de la balance commerciale, dont on sait aujourd’hui à quel point elle est en déficit en dépit d’un excédent croissant des transferts de matériel de guerre (3). Difficile de nier cet impact macroéconomique dans le cas de la France. On aimerait que l’industrie française de la transition énergétique soit aussi performante.
  • L’innovation technique est en effet inhérente à l’investissement de défense, car les armées recherchent toujours l’efficacité opérationnelle, c’est-à-dire la supériorité sur tous les champs de confrontation potentiels. Or, comme le montre la guerre en Ukraine, cette supériorité ne vient de la « masse » que parce que le rapport de force technologique est équilibré : une rupture technologique pourrait déséquilibrer le rapport de force d’un côté ou de l’autre. C’est pourquoi l’investissement de défense comporte une forte intensité en innovations, le plus souvent plus forte que la plupart des investissements civils. C’est aussi pourquoi certains risques en matière de recherche ne peuvent être assumés que par la puissance publique, du fait de leur faible probabilité de rentabilité à court terme. C’est ainsi que la plupart des ruptures technologiques développées dans la Silicon Valley ont pour origine le financement de programmes de défense par le Pentagone. Une exception toutefois qui n’en est pas une, tant le domaine spatial est d’intérêt dual : le programme (civil) Apollo a été, dans les années soixante, la matrice de la révolution industrielle informatique, mais il s’agissait en réalité moins de poser le pied sur la Lune que de combler le « missile gap » apparu depuis le lancement de Spoutnik en 1957.

La R&D militaire tire l’innovation

Pendant longtemps on a supposé que la R&D militaire induisait un effet d’éviction à l’égard de la R&D civile, tant publique que privée ; mais, comme le remarque Renaud Bellais (4), la chute des budgets militaires n’a pas induit d’augmentation de l’effort civil de recherche. Il apparaît en fait que la R&D militaire représente plus un complément qu’un concurrent de son équivalent civil. Le plus souvent les projets civils ont beaucoup de mal à trouver des appuis. Le budget civil de R&D trouve bien peu de défenseurs face à ceux qui cherchent par tous les moyens à réduire la pression fiscale ; et les projets civils doivent prouver leur « retour sur investissement » (à l’instar des investissements privés). Un tel contexte ne laisse qu’une faible marge de manœuvre et tend à exclure tout financement pour des projets à haut risque ou trop éloignés d’une commercialisation rapide.

  • L’exemple des hélicoptères montre que les relations dynamiques entre l’aéronautique militaire et civile résultent moins de retombées technologiques du militaire au civil que du nombre élevé des utilisations conjointes de mêmes techniques, voire des possibilités offertes de construire quasi simultanément des versions militaires et civiles des mêmes modèles (ex. Super PUMA). Cette facilité offerte à l’industrie aérospatiale a pour conséquence économique pour les entreprises de réaliser une certaine péréquation entre les résultats des branches civiles et militaires.
  • L’investissement de défense permet en outre de maintenir et développer un tissu industriel performant alimentant des emplois de qualité dans des territoires ruraux ou en reconversion : il concourt de fait à l’aménagement du territoire, ce qui économise de la dépense sociale.
  • Au-delà de la R&D, il nous faut veiller plus que jamais à la protection et à la transmission de nos savoir-faire, même ceux qui sont considérés comme les plus traditionnels et les plus rustiques. A défaut, le risque de perte de compétences et de savoir-faire n’épargnera aucune filière.
  • L’investissement de défense, dès lors qu’il s’inscrit dans une perspective politique de maintien d’une autonomie stratégique, obéit à une programmation de moyen terme, voire dans l’idéal à une planification de long terme, qui s’accommode très mal des à-coups d’une politique budgétaire de court terme, qu’il s’agisse de relancer la demande en anticipant les commandes ou au contraire de freiner le rythme des acquisitions, incompatible avec une saine gestion des capacités industrielles.
  • Enfin, sauf à exonérer de taxes et de cotisations les fournisseurs de la défense, le retour fiscal et social de la dépense de défense à chaque étape de la chaîne de valeur permet au bout « d’un certain temps » (fonction des caractéristiques du circuit économique en cause) à la puissance publique de rentrer dans ses frais. Un euro dépensé rapporte à terme un euro en rentrées fiscales et sociales, voire davantage. Cela signifie que, loin d’être un pur centre de coût, l’investissement de défense est surtout un centre de profit qui non seulement tire l’innovation technologique, mais permet aussi de financer d’autres priorités politiques économiquement moins rentables : la transition énergétique par exemple, dont le contenu technologique est beaucoup moins intense et la contribution à la balance commerciale beaucoup moins favorable.

C’est pourquoi une politique économique avisée de la part du prochain gouvernement français, alors que les pays européens vivent sous la menace de la Russie, devrait commencer par investir massivement dans des capacités industrielles de défense souveraines. L’effet multiplicateur et le retour fiscal garantiraient rapidement un retour sur investissement permettant d’investir dans d’autres priorités, notamment la formation, la santé et la transition énergétique, toujours dans une perspective souveraine. Il ne faut pas inverser l’ordre des priorités.


1 : Les travaux de l’observatoire économique de la défense (OED) ont sans doute été précurseurs à partir d’avril 2017 avec la publication d’une première étude dans le n°91 de la publication EcoDef (Oudot, 2017), suivie et confirmée par une analyse de la chaire économique de l’IHEDN en mai 2020 (Belin & Malizard, 2020) ; le groupe MARS n’a pas été pour rien dans la diffusion de ces travaux à partir du printemps 2020 : cf. https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/l-investissement-dans-la-defense-rapporte-plus-que-ce-qu-il-coute-846190.html

2/ Cf. https://www.latribune.fr/opinions/arsenal-arsenal-est-ce-que-j-ai-une-gueule-d-arsenal-1-2-989552.html ; https://www.latribune.fr/opinions/arsenal-arsenal-est-ce-que-j-ai-une-gueule-d-arsenal-2-2-989696.html

3/ Les exportations de matériel de guerre génèrent près d’un quart des exportations françaises et entretiennent 75 000 emplois directs et indirects.

4/ BELLAIS Renaud, « Armement et dépenses publiques, quels enjeux pour l’analyse robinsonienne ? », Innovations, 2001/2 (no 14), p. 139-158 https://www.cairn.info/revue-innovations-2001-2-page-139.htm

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* Le groupe Mars, constitué d’une trentaine de personnalités françaises issues d’horizons différents, des secteurs public et privé et du monde universitaire, se mobilise pour produire des analyses relatives aux enjeux concernant les intérêts stratégiques relatifs à l’industrie de défense et de sécurité et les choix technologiques et industriels qui sont à la base de la souveraineté de la France.

La trajectoire budgétaire des armées provisoirement maintenue

par

Pas de statu quo pour le budget des armées mais une hausse conforme à la trajectoire inscrite dans la nouvelle loi de programmation militaire. Du moins, pour l’instant, car la situation financière de la France, jugée « catastrophique » par plusieurs sénateurs, pourrait forcer le prochain gouvernement à revoir la copie.  

Le budget 2025 des Armées s’en sort jusqu’à présent plutôt bien, confirment des documents perçus ce lundi par la commission des Finances du Sénat. Entre la loi de finances pour 2024 et le plafond de dépenses pour 2025 envoyé fin août par le Premier ministre, les dépenses militaires augmentent de 3,3 Md€ l’an prochain pour plafonner à 50,5 Md€ hors pensions. Soit une hausse fidèle à l’objectif fixé dans la LPM 2024-2030. 

D’autres pâtissent néanmoins de la volonté de gel budgétaire prônée par le gouvernement démissionnaire. L’enveloppe consacrée au travail et à l’emploi recule ainsi de 2,3 Md€. Celles de l’aide publique au développement et du plan de relance baissent de 1,3 Md€ et 1,2 Md€. Plusieurs lignes budgétaires sont figées, dont celle allouée à la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ». 

Si l’équilibre présenté s’avère bénéfique aux armées, celui-ci demeure aussi provisoire qu’instable. « Une nouvelle fois, les nouvelles ne sont pas bonnes », martelait hier le président de la commission des Finances, le sénateur Claude Raynal (PS) lors d’une conférence de presse. Les dépenses « dérivent dangereusement » quand les recettes se réduisent, l’équation se soldant par « une dégradation historique des comptes de la nation », pointait à son tour Jean-François Husson, sénateur LR et rapporteur général de la commission des Finances. 

Selon une note de la Direction générale du Trésor datée de juillet, le déficit public atteindrait désormais les 5,6% du PIB en 2024, contre 5,1% auparavant. Il atteindrait 6,2% en 2025, soit 60 Md€ ou une augmentation de 50% de la dérive par rapport à début 2024. Ces chiffres « établissent la poursuite en 2024 et pour les années à venir, évidemment sous réserve qu’il n’y ait pas de mesures correctrices, de la dégradation des finances publiques que nous constatons déjà depuis 2023 », constate Claude Raynal.

« On ne peut pas sans arrêt bidouiller », poursuit Claude Raynal tout en invitant « un gouvernement sérieux » à se mettre au travail « pour redresser la situation dont il va hériter ». Entre une réduction des dépenses ou une hausse des recettes, les sénateurs privilégient la prudence sur la marche à suivre mais seront forces de proposition lorsque le temps des discussions parlementaires sera venu. La partie ne fait donc que commencer et, malgré un contexte sécuritaire dégradé et la nécessité de continuer à renforcer l’outil de défense, le prochain round pourrait s’avérer autrement plus corsé.

Une révision de la dissuasion française s’imposera-t-elle dès 2025 ?

Une révision de la dissuasion française s’imposera-t-elle dès 2025 ?

 

Par Fabrice Wolf – Méta Défense – publié le

La dissuasion française constitue, aujourd’hui, l’un des piliers de la posture de défense du pays, tout en conférant à Paris son autonomie stratégique lui garantissant une liberté de position et de ton rare, y compris dans le camp occidental.

Son incontestable efficacité, depuis 1964, sera préservée, pour les quatre décennies à venir, par la modernisation de ses deux composantes stratégiques, avec l’arrivée du nouveau missile de croisière supersonique aéroporté ASN4G, dès 2035, et l’entrée en service des nouveaux sous-marins nucléaires lanceurs d’engins SNLE 3G, à cette même échéance.

C’est, tout du moins, ainsi que la Loi de Programmation Militaire 2024-2030, présente le sujet, qui va consacrer plus de 50 Md€ à cette mission sur son exécution, avec l’objectif de remplacer, presque à l’identique et à partir de 2035, les moyens actuels, par des capacités largement modernisées, donc plus efficaces.

Toutefois, ces dernières années, les menaces pouvant viser, potentiellement, la France, comme ses intérêts vitaux, censées protéger par la dissuasion nationale, ont considérablement évoluer, dans leur nature, leur origine et leur volume.

Alors que de nombreuses voix s’élèvent, outre-Manche comme outre-Atlantique, appelant à une révision profonde et rapide des postures de dissuasion britanniques et américaines, pour répondre à ces évolutions, il est, peut-être, nécessaire de faire de même en France, sans attendre la fin de la LPM en cours, pour transformer l’outil au cœur de la sécurité stratégique du pays, et de ses intérêts vitaux.

Sommaire

  1. La dissuasion française, sa modernisation et le principe de stricte nécessité
  2. L’apparition de nouvelles menaces change les données de l’équation stratégique française
  3. L’émergence de nouvelles menaces stratégiques non nucléaires doit également être considérée et traitée
  4. De nombreuses voix appellent à l’extension et la transformation de la dissuasion américaine
  5. La modernisation itérative de la dissuasion française pour 2035 répond-elle à la réalité de l’évolution de la menace ?
  6. Conclusion

La dissuasion française, sa modernisation et le principe de stricte nécessité

Bâtie sur le principe de stricte nécessité, la dissuasion française a pour fonction de donner aux autorités du pays, les moyens nécessaires et suffisants, pour s’intégrer efficacement dans le discours stratégique mondial, et ce, de manière strictement autonome, tout en assurant la sécurité et l’intégrité du pays.

 

Rafale M armé d'un missile ASMPA nucléaire au catapultage
La FaNu permet à la France de déployer des missiles nucléaires ASMPA à partir de Rafale M embarqués sur le porte-avions Charles de Gaulle. Toutefois, avec un unique porte-avions, la Marine nationale ne peut deployer cette capacité que 50 % du temps, au mieux.

Celle-ci se décompose, aujourd’hui, en deux forces aux capacités complémentaires. La première est la Force aérienne stratégique, forte de deux escadrons de chasse équipés de chasseurs Rafale et d’une cinquantaine de missiles nucléaires supersoniques ASMPA-R, d’une portée de plus de 500 km, et transportant une tête nucléaire TNA de 100 à 300 kilotonnes.

À cette capacité mise en œuvre par l’Armée de l’air, s’ajoute, ponctuellement, la Force Aéronavale Nucléaire, ou FaNu, permettant à des Rafale M de la flottille 12F, de mettre en œuvre ce même missile ASMPA-R, à partir du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle.

La seconde est la Force Océanique Stratégique, disposant de quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, ou SNLE, de la classe le Triomphant. Celle-ci conserve, à chaque instant, un de ces navires à la mer, pour évoluer caché dans les profondeurs océaniques, et lancer, à la demande présidentielle, ses 16 missiles balistiques M51.3, d’une portée de 10.000 km, et transportant chacun 6 à 10 têtes nucléaires à trajectoire indépendante TNO de 100 kt.

Ensemble, ces deux capacités confèrent aux autorités françaises en vaste champ opérationnel et lexical stratégique, la composante aérienne formant la force visible pour répondre aux déploiements de forces ou à la menace d’un adversaire potentiel, et la composante sous-marine, en assurant l’adversaire d’une destruction presque complète, s’il venait à frapper la France ou ses intérêts vitaux, et ce, même si la France était elle-même frappée massivement par des armes nucléaires.

FOST SNLE Le terrible classe Le triomphant
Avec quatre SNLE classe Le Triomphant, la France dispose en permance d’un navire en patrouille, susceptible de déclencher un tir nucléaire stratégique de riposte contre un pays ayant attaqué le Pays, y compris avec des armes nucléaires stratégiques.

Contrairement à ce qui est parfois avancé, la dissuasion française est aujourd’hui correctement dimensionnée, et certainement efficace, pour contenir la menace d’un pays comme la Russie, et ce, en dépit d’un nombre beaucoup plus important de vecteurs et de têtes nucléaires pour Moscou.

En outre, cette dissuasion, face à la Russie, toujours, est également suffisante pour être étendue à d’autres pays européens alliés, le cas échéant. Son efficacité est, en effet, liée à sa capacité de destruction chez l’adversaire, et non au périmètre qu’elle protège, même si, dans ce domaine, la perception de la détermination française pour protéger ses alliés, y compris en assumant le risque nucléaire, joue également un rôle déterminant.

De fait, aujourd’hui, la dissuasion française remplie pleinement, et parfaitement sa mission, et peut même, le cas échéant, le faire sur un périmètre plus étendu. C’est la raison pour laquelle, dans le cadre de la LPM 2024-2030, sa modernisation, avec l’arrivée du missile ASN4G pour remplacer l’ASMPA-R, et du SNLE 3G pour remplacer les SNLE classe Triomphant, est prévue à partir de 2035, avec un périmètre strictement identique.

L’apparition de nouvelles menaces change les données de l’équation stratégique française

Toutefois, ces dernières années, sont apparues de nouvelles menaces, susceptibles de profondément bouleverser l’équilibre stratégique sur lequel est aujourd’hui bâtie la dissuasion française, et qui est transposé, au travers de la LPM 2024-2030, dans la dissuasion NG française, à partir de 2035.

ICBM KN-22 Pyonguang
première présentation publique du missile ICBM KN-22 à Pyongyang en 2020

Ainsi, alors que la menace stratégique pouvant viser la France et ses intérêts vitaux, jusqu’à présent, était avant tout constituée par l’arsenal stratégique russe, d’autres pays, aujourd’hui, se sont dotés de moyens comparables, susceptibles d’atteindre la France, ses territoires ultramarins ou ses intérêts.

C’est en particulier le cas de la Corée du Nord, qui a développé un missile ICBM pouvant atteindre l’Europe, le Hwasong-15, d’une portée de 13.000 km, et qui pourrait, prochainement, être doté de têtes nucléaires à trajectoire indépendante MIRV.

L’Iran, pour sa part, dispose déjà de missiles balistiques susceptibles d’atteindre le sol européen, avec le Shahab-5 d’une portée estimée au-delà de 4500 km. Si le pays ne dispose pas, pour l’heure, d’un arsenal nucléaire, plusieurs services de renseignement, y compris le Mossad israélien, estiment que Téhéran ne serait plus qu’à quelques mois de pouvoir s’en doter.

Dans les deux cas, ces pays pourraient enregistrer, dans les mois et années à venir, des progrès substantiels dans leurs programmes nucléaires et balistiques, avec une aide technologique possible venue de Russie, en échange du soutien de Téhéran et Pyongyang à l’effort militaire russe contre l’Ukraine.

Bombardier Tu-160M
Les forces aériennes stratégiques russes disposeront d’une cinquantaine de bombardiers supersoniques à très long rayon d’action Tu-160M et M2 d’ici à 2040.

La Russie, justement, développe et modernise rapidement son arsenal nucléaire, avec l’entrée en service de nouveaux vecteurs, comme les SNLE de la classe Boreï, les bombardiers stratégiques Tu-160M et les ICBM RS-28 Sarmat, équipés du planeur hypersonique Avangard.

Surtout, les armées russes se dotent très rapidement de nouvelles capacités nucléaires non stratégiques, qu’il s’agisse de missiles balistiques à courte et moyenne portée, ou de missiles de croisières super ou hypersoniques, tous pouvant alternativement être équipés de charges militaires conventionnelles ou nucléaires.

Enfin, la Chine produit un effort sans équivalent, pour accroitre et étendre ses capacités de frappe nucléaire, son arsenal devant être triplé d’ici à 2035, pour atteindre 1000 vecteurs opérationnels.

DF41 ICBM Chine
le missile balsitique ICBM DF41 chinois représente un immense progrès vis-à-vis des DF-5 à carburant liquide en silo, employés jusqu’à présent.

Pékin se dote, notamment, de capacités stratégiques renouvelées, avec le nouveau missile ICBM à carburant solide DF-41, qui existe en version mobile et en silos, et le missile SLBM JL-3 qui arme les nouveaux SNLE Type 09IV chinois. Comme Moscou, toutefois, les forces chinoises s’équipent aussi d’un nombre croissant de vecteurs à plus courte portée, et d’une puissance de destruction non stratégique, à vocation conventionnelle ou nucléaire.

L’émergence de nouvelles menaces stratégiques non nucléaires doit également être considérée et traitée

À ces nouvelles menaces stratégiques nucléaires, pouvant directement menacer la France et ses intérêts vitaux, s’ajoutent, également, de nouvelles capacités au potentiel de destruction stratégique, mais armées de charges conventionnelles et/ou faiblement létales.

L’exemple le plus célèbre, pour illustrer ces nouvelles menaces, est l’arrivée des drones d’attaque à longue portée, mis en évidence avec les drones Shahed-136 iraniens et Geran-2 russes, employés par les forces de Moscou pour frapper les installations civiles clés en Ukraine.

Drone d'attaque Shahed 136 en Ukraine
Les drones d’attaque, comme le Shahed 136 iraniens, se sont montrés très efficaces pour frapper les infrastructures civiles ukrainiennes.

Bien que vulnérables et transportant une charge militaire relativement réduite, ces drones disposent de deux atouts les transformants en menace potentiellement stratégique, pour un pays comme la France.

D’abord, leur portée, pouvant dépasser les 2000 km aujourd’hui, probablement davantage demain, leur permet d’atteindre des cibles très distantes, pour mener des frappes destructrices contre les infrastructures civiles d’un pays, comme le réseau de communication, le réseau de transport, les réserves de carburant, les capacités industrielles et énergétiques, voire les centres de commandement et de coordination militaires et civils, y compris politiques.

Or, au-delà de la possibilité d’atteindre dans la profondeur des infrastructures clés, cette portée augmente, au carré, le nombre d’infrastructures potentiellement ciblées, rendant leur protection presque impossible par des moyens antidrones classiques. Ainsi, si un drone d’une portée de 500 km peut atteindre, potentiellement, les cibles présentes sur 200.000 km² du territoire adverse, une portée de 1000 km, porte cette surface à 800.000 km².

Surtout, ces drones sont relativement simples et rapides à concevoir et à construire, et ils sont peu onéreux. Ainsi, un drone de la famille Geran-2, serait produit pour 2 à 3 millions de roubles en Russie, soit 20 à 30 k$. Ce faisant, une flotte de 5000 de ces drones, susceptibles de saturer, endommager ou détruire la plupart des grandes infrastructures d’un pays comme la France, peut-être construire en une année, et pour à peine 150 m$.

Usine drones d'attaque Geranium-2
La Russie prévoit de construire plus de 8000 Geran-2, version russe modifiée du Shahed 136, sur la seule année 2024.

Ainsi, certains pays hostiles ou sous influence, peuvent se doter, à moindres frais, et sur des courts délais, de capacités de frappes au potentiel de destruction quasi stratégique, contre un pays très développé, qu’il serait presque impossible de contrer, et ce, sans même devoir franchir le seuil nucléaire.

Cette capacité, et d’autres comme les armes à impulsion électromagnétique, les attaques cyber, voire les moyens chimiques ou biologiques, peuvent engendrer, à relativement court terme, un profond bouleversement de la menace stratégique susceptible de viser, potentiellement, la France, contre laquelle la dissuasion, dans son format actuel, et tel que prévu dans les décennies à venir, pourrait ne pas suffire.

De nombreuses voix appellent à l’extension et la transformation de la dissuasion américaine

Si les questions portant sur la dissuasion, sont très rarement débattues sur la scène publique en France, en particulier par les militaires et les Think Tank qui travaillent pour le ministère des Armées, ce n’est pas le cas, bien au contraire, aux États-Unis.

SSBN CLasse Columbia US Navy
L’US Navy prévoit de n’acquerir que 12 SSBN de la classe Columbia. Un nombre jugé très insuffisant par la Heritage Foundation, qui préconise un retour à 16 navires, comme pendant la guerre froide.

Ainsi, le think tank conservateur américain Heritage Foundation, vient de publier une analyse stratégique pour anticiper la nouvelle Nuclear Posture Review (NPR), qui doit être rédigée et débattue en 2025, par la nouvelle administration américaine, qui sortira des urnes en novembre 2024.

Comme évoqué ici, la Heritage Foundation porte un regard critique sur le renouvellement, entamé aujourd’hui presque à l’identique des moyens de la dissuasion américaine, avec le développement de l’ICBM Sentinel, du bombardier stratégique B-21 Raider, ainsi que du nouveau SSBN classe Columbia, alors même que la menace, elle, a considérablement évoluée, en volume comme en nature, ces dix dernières années.

Sans surprise, la principale préoccupation du think tank américain, concerne la montée en puissance très rapide des moyens de frappe nucléaire chinois, venant déstabiliser le statu quo russo-américain hérité de la guerre froide.

Toutefois, là aussi, les analystes américains pointent la transformation des moyens stratégiques et nucléaires non stratégiques russes, et l’émergence de nouvelles menaces avérées (ICBM nord coréens), ou en devenir (programme nucléaire iranien), avec le risque d’une propagation rapide des armes nucléaires dans les décennies à venir.

silos missiles chine
La construction de plusieurs centaines de silos pour missiles ICBM a été observée en Chine

Pour répondre à ces menaces, et bien que d’obédience républicaine, donc proche de Donald Trump, dont le programme Défense demeure très incertain, la Heritage Foundation préconise l’augmentation rapide des moyens de dissuasion américains, avec le retour à une flotte de SNLE à 16 navires, le développement d’une version mobile de l’ICBM Sentinel, et l’augmentation du nombre de B-21 Raider.

Surtout, elle préconise le développement et le déploiement rapide de capacités nucléaires non stratégiques, notamment en Europe, pour contenir l’émergence de ce type de menaces sur les théâtres européens, Pacifiques et, potentiellement, moyen-oriental.

La modernisation itérative de la dissuasion française pour 2035 répond-elle à la réalité de l’évolution de la menace ?

Les arguments avancés par le Think Tank américain, pour appeler à une révision de la dissuasion américaine, dans son format comme dans sa composition, se transposent, évidemment, à la dissuasion française, elle aussi visant une modernisation itérative, des moyens dont elle dispose aujourd’hui.

Ainsi, même si elle intégrera probablement, à l’avenir, des drones de combat de type Loyal Wingmen furtifs pour accompagner les missions Poker, la composante aérienne de la dissuasion française demeurera armée d’un missile sol-air à moyenne portée et forte puissance, comme l’ASMPA-R aujourd’hui, mis en œuvre par des avions de combat tactiques Rafale, comme aujourd’hui, et soutenus par des avions de chasse d’escorte et des appareils de soutien, tanker et Awacs, comme aujourd’hui.

Rafale B missile ASMPA
Le missile nucléaire supersonique ASMPA-R (Rénové) sera remplacé, à partir de 2035, par le missile ASN4G, qui pourrait être doté d’un planeur hypersonique.

En outre, si les équipements seront beaucoup plus modernes, et performants, le nombre d’appareils, de missiles, et de têtes nucléaires, ne semble pas destiner à évoluer, alors que la répartition de la menace, elle, est appelée à sensiblement s’étendre.

De même, la force océanique stratégique à venir, prévoit toujours de s’appuyer sur 4 SNLE, permettant de disposer d’un navire en patrouille à tout instant, d’un navire en alerte à 24 heures, d’un navire à l’entrainement, mobilisable en quelques semaines, et d’un navire en maintenance.

Pourtant, l’arrivée de la Chine dans l’équation stratégique mondiale, et, dans une moindre mesure, de la Corée du Nord, obligera la FOST à diviser ses moyens, pour contenir simultanément ces menaces à la limite de la portée de ses missiles, notamment en déployant, au besoin, un SNLE dans une zone de patrouille mieux adaptée.

En outre, la montée en puissance des flottes sous-marines russes et chinoises, en particulièrement des flottes de sous-marins nucléaires d’attaque ou lance-missiles, SSN et SSGN, viendra accroitre le risque de compromission de l’unique navire en patrouille français, ce d’autant que le nombre de drones de patrouille sous-marine, conçus précisément pour accroitre les opportunités de détection, va nécessairement bondir dans les années à venir.

SNLE 3G Naval Group
Le conception et la construction des 4 SNLE 3G, destinés à remplacer, à partir de 2035, les SNLE classe le Triomphant, sera le chantier industriel et technologique le plus complexe réalisé en France dans les dix années à venir.

Enfin, l’absence de capacités de frappes de basse intensité, dites « Low Yield » en anglais, et de « de frappe nucléaire non stratégique », dans la nomenclature russe et en chinois, pourrait considérablement affaiblir la posture dissuasive française dans les années à venir, qu’il s’agisse de répondre à ce type de déploiement visible, de la part d’un adversaire potentiel, voire de contenir, au besoin, la menace de frappes stratégiques non nucléaires, par l’intermédiaire d’une flotte massive de drones d’attaque, à la portée budgétaire et technologique d’un grand nombre de pays.

Conclusion

On le voit, si la dissuasion française a rempli parfaitement son rôle, jusqu’à aujourd’hui, la trajectoire retenue, pour son évolution, dans les décennies à venir, bénéficierait, très certainement, d’une nouvelle analyse, prenant en considération, non pas le simple remplacement des moyens existants par des équipements plus modernes et performants, mais aussi la transformation qui est à l’œuvre, concernant la menace stratégique dans le monde.

Cet exercice permettrait, sans le moindre doute, de bâtir une vision plus actuelle sur la réalité des menaces, et leur évolution prévisible dans les années et décennies à venir, et ferait émerger une dissuasion française plus homogène, plus résiliente, et donc plus efficace, pour y faire face.

Enfin, cette démarche bénéficierait certainement d’une exposition publique, certes maitrisée pour préserver la nécessaire confidentialité là où elle est requise, mais qui permettrait de mieux cerner la construction de cette dissuasion, les moyens qui lui sont alloués, et donc, l’effort budgétaire et technologique demandé aux concitoyens, pour s’en doter, et pour assurer la sécurité du pays, comme de ses intérêts vitaux.

Faute de quoi, la France pourrait se voir doter, à l’avenir, d’une dissuasion, certes technologiquement très performante, mais incapable d’assurer efficacement sa mission dans sa globalité, avec, à la clé, des risques existentiels non maitrisés sur le pays, lui-même.

Article du 31 juillet, en version intégrale jusqu’au 6 septembre 2024

À quoi ressembleraient les armées françaises avec 3 % de PIB ?

À quoi ressembleraient les armées françaises avec 3 % de PIB ?

« Il faut amener l’effort de défense pour les armées françaises à 3 % du PIB, comme pendant la guerre froide ! » Cette phrase, vous l’avez certainement entendue ces derniers mois, si vous suivez l’actualité défense française ou européenne.

En effet, les évolutions de la menace, en particulier en Europe, et même concernant la dissuasion nucléaire, jettent le doute sur la pertinence du seuil des 2 % visé par la LPM 2024-2030, qui semble incapable de donner aux armées les moyens nécessaires pour accomplir raisonnablement leurs missions à venir.

Comme c’est souvent le cas, ce type de certitudes s’appuie davantage sur un puissant ressenti, ainsi que sur certains raccourcis historiques, économiques, sociaux et même militaires, que sur une analyse construite de l’hypothèse.

Alors, à quoi pourraient ressembler les Armées françaises, si celles-ci venaient, effectivement, à disposer d’un budget équivalent à 3 % du PIB du pays ? Cette hypothèse est-elle efficace pour répondre aux menaces ? Surtout, est-elle réaliste et applicable, face aux nombreux défis et aux contraintes auxquelles les armées doivent répondre ?

Sommaire

L’évolution de l’effort de défense français de la Guerre Froide aux bénéfices de la Paix

De 1950 à 1970, les dépenses de défense de la France, représentaient, en moyenne, 5 % de la richesse produite chaque année par le pays. Ce taux, très élevé, s’explique par l’action conjuguée de la guerre Froide et de la menace soviétique, particulièrement pressante sur cette période, mais également par les deux guerres coloniales auxquelles elles ont participé, en Indochine puis en Algérie.

Mirage IV
Le Mirage IV a porté la composante aérienne de la Dissuasion frnaçaise de 1964 à 2005

Surtout, sur la même période, le pays s’est reconstruit des conséquences de la Seconde Guerre mondiale et de l’occupation allemande, avec un très important effort de réindustrialisation et dans certains domaines technologiques, dont le nucléaire, ce qui transforma profondément l’économie du pays.

Ainsi, le PIB par habitant en France est passé de 10 500 à presque 16 000 $ sur la décennie 1960-1970. Le PIB du pays, quant à lui, est aussi passé de 15 Md$ en 1950 à 126 Md$ en 1970, pour s’envoler à 1060 Md$ en 1990, et 2650 Md$ en 2022. Même compensé de l’inflation, on comprend les raisons qui obligeaient la France à consacrer de tels pourcentages à son effort de défense jusqu’en 1970, et une partie des raisons ayant entrainé la baisse de cet effort, à partir de 1980.

Difficile, dans ces conditions, de comparer l’effort de défense en 1970 de 3,06 %, et celui qui est consacré aujourd’hui à cette même fonction par le pays, tant les contextes économiques, sociaux, politiques, industriels, technologiques et même internationaux, sont sans comparaison avec ce qu’ils étaient alors.

Les limites du seuil à 2 % du PIB pour l’effort de défense français

Pour autant, les armées en reconstruction, avec un effort de défense autour de 2%, apparaissent bien inadaptées pour répondre aux enjeux sécuritaires qui se dessinent, en particulier depuis la transformation de l’économie et de la société russe, mettant les armées et l’industrie de défense, au cœur de l’action de l’état.

SNLE Triomphant
Le SNLE Triomphant doit rester indétectable pour assurer sa mission de dissuasion

Et pour cause, avec un effort de défense à 2 % PIB, la dissuasion française ne pourra s’appuyer que sur 4 SNLE et deux escadrons de bombardement stratégique, l’Armée de Terre sur une forte opérationnelle terrestre forte de seulement 77 000 militaires d’active, renforcé, il est vrai, par une grande partie des 80 000 gardes nationaux.

Cette force est armée d’uniquement 200 chars de combat, 600 véhicules de combat d’infanterie et à peine plus d’une centaine de systèmes d’artillerie, et 10 à 20 lance-roquettes à longue portée, soit bien moins que ce que produit l’industrie de défense russe en une seule année.

La Marine nationale n’est pas mieux lotie, avec son unique porte-avions, une aberration opérationnelle, ses six sous-marins d’attaque, ses trois porte-hélicoptères dont un servant de navire école, et sa quinzaine de frégates de premier rang, pour un pays dont la métropole a trois façades maritimes, et qui a la plus grande zone économique exclusive repartie sur tous les océans de la planète.

L’Armée de l’Air et de l’Espace, enfin, a dû ramener sa chasse à 185 appareils, dont une trentaine sont consacrées à la seule mission nucléaire, une cinquantaine d’avions de transport tactique et stratégique, une quinzaine d’avions ravitailleurs et quatre Awacs, moins de dix batteries antiaériennes et antimissiles à longue portée. Elle ne dispose même plus d’appareils d’entrainement à hautes performances, pour la formation de ses pilotes de chasse, et l’entrainement des pilotes et abonnés dans les escadrons.

Rafale Armée de l'Air
Avec seulement 185 avions de combat, l’Armée de l’Air et de l’Espace ne dispose pas du format nécessaire pour soutenir, sur la durée, un conflit de haute intensité.

La défense étant un exercice relatif, il convient de comparer ce format des armées françaises à 2 % PIB, fortes de 208 000 hommes, avec les armées russes, disposant d’un budget de 110 Md$ équivalent à 10 % du PIB, fortes de 1,5 million d’hommes, alignant 12 SNLE, plus de 500 missiles stratégiques ICBM, une centaine de bombardiers stratégiques, 2500 à 3500 chars, 5000 véhicules de combat blindés et d’infanterie, plus de 2000 canons automoteur et lance-roquettes, 300 batteries antiaériennes à longue portée, et un millier d’avions de combat.

Certes, la France n’est pas seule pour s’opposer à la menace russe en Europe, et beaucoup de pays produisent d’importants efforts pour rééquilibrer le rapport de force défavorable. Pour autant, les armées françaises disposent, en Europe, de moyens détenus, à part par elles, uniquement par l’allié américain, voire par les britanniques dans certains cas.

Quelles pourraient être les armées françaises si la France consacrait 3 % au budget des armées.

Dans ce contexte, porter l’effort de défense à 3 %, permettrait-il de rétablir un rapport de force favorable, face à la menace russe et mondiale, en Europe et ailleurs ? Ce serait, comme nous le verrons, probablement le cas.

Ainsi, les évolutions de format des armées, en passant de 2 à 3% du PIB, seraient bien plus sensibles qu’elles ne le furent en passant de 1,5 à 2 %, de 2016 à 2024. En effet, à l’issue de cette première hausse, qui permit avant tout de ramener les armées à un point d’équilibre budgétaire sur le format qui est le leur, les forces françaises respectent toujours les volumes visés par le Livre Blanc de 2013, que ce soit en termes d’hommes, de blindés, d’avions et de navires.

Armées françaises Leclerc
La LPM 2024-2030 ne prévoit ni de remplacer le char Leclerc, ni d’augmenter les 200 exemplaires devant être modernisés, dans l’attente du MGCS qui devrait arriver au delà de 2040.

À l’inverse, passer à 3 %, permettrait de s’appuyer sur l’ensemble des investissements de fonctionnement et de développement déjà couverts par le passage à 2 %, pour consacrer les efforts, précisément, à une évolution de format sensible. Car, avec un PIB 2023 de 2650 Md€, un effort de défense à 3 % permettrait au budget des armées de passer de 47 Md€ à presque 80 Md€, soit une plus-value de 30 Md€.

Une dissuasion française à nouveau dimensionnée pour contenir la menace russe

Face à la menace russe, et la possible réorganisation de la dissuasion européenne, un budget défense à 80 Md€, permettrait d’augmenter sensiblement le potentiel opérationnel de la dissuasion française, en passant notamment de 4 à 6 SNLE.

Avec 6 SNLE, la Marine nationale pourrait, en effet, maintenir en permanence deux navires à la mer, et un troisième en alerte à 24 heures, sur une durée illimitée, contre un navire en patrouille, et un en alerte aujourd’hui.

Or, la montée en puissance de la flotte sous-marine russe, mais également l’arrivée aussi massive qu’inévitable de drones sous-marins de surveillance, augmenteront, dans les années à venir, le risque qu’un SNLE à la mer puisse être compromis, donc incapable d’assurer sa mission de dissuasion.

Or, si un sous-marin nucléaire lanceur d’engins à la mer a, admettons, 1 % de se faire détecter lors de sa patrouille par ces nouveaux moyens, un risque que l’on peut juger relativement faible, cela signifie également que la posture de dissuasion française, donc européenne, serait menacée 3,5 jours par an. Il suffirait à l’adversaire d’être un minimum patient, pour éliminer potentiellement ce risque.

Iskander-M Russe
La dissuasion française doit disposer d’un système équivalent au système balistique sol-sol à courte portée Iskander-M pour disposer de l’ensemble du vocabulaire requis pour le dialogue de dissuasion avec Moscou.

Avec 2 navires à la mer, le risque que les deux navires soient, simultanément, compromis, ne représente plus que 0,01 % du temps, soit à peine 1 jour tous les trente ans. Le rapport au temps, ici, pour une crise qui se déroule sur plusieurs mois, voire une ou deux années, plaide effectivement, dans ce contexte, pour une flotte à 6 SNLE, plutôt que 4.

Au-delà de la flotte océanique stratégique, la posture de dissuasion française pourrait voir sa composante aérienne passer de 2 à 3 escadrons, et de doter à nouveau l’Armée de Terre de régiments dotés de missiles balistiques à courte portée et capacités nucléaires, pour répondre à la menace des Iskander-M russe.

Enfin, il conviendrait de permettre aux missiles de croisière navals, le MdCN et son futur remplaçant, de transporter, au besoin, une tête nucléaire, là encore, pour se doter de capacités en miroir de celles en service en Russie, et ainsi disposer d’un vocabulaire de dissuasion aussi fourni que peut l’être celui de Moscou.

Une nouvelle division blindée pour l’Armée de Terre

L’Armée de terre serait, en bien des domaines, celle qui bénéficierait le plus d’un passage à un effort de défens à 3 % PIB. Elle pourrait, ainsi, se doter d’une troisième division organique qui, pour le coup, serait conçue comme une division blindée, avec une brigade blindée de rupture, deux brigades d’infanterie mécanisée, et une brigade de soutien, soit une force de 40 000 hommes, 350 chars de combat, 700 véhicules de combat d’infanterie et blindés de combat et de reconnaissance, 1500 blindés multirôles Griffon et Serval, une centaine de tubes de 155 mm, autant de mortiers et de pièces de DCA mobiles, ainsi que quarante hélicoptères.

Division blindée france
L’Armée de Terre ne dispose que de deux brigades lourdes, disposant d’un régiment de chars.

Conçue spécifiquement pour être employée en Europe orientale face à un adversaire symétrique, cette division pourrait être très majoritairement constituée de régiments de Garde nationaux, ou de conscrits choisis (ce qui sera abordé plus bas), pour répondre à un risque de très haute intensité, mais dont la probabilité demeure faible.

En outre, une brigade mécanisée supplémentaire, elle aussi composée majoritairement de gardes nationaux et de conscrits choisis, serait intégrée à chaque division existante, avec l’objectif de renforcer la masse de ces divisions, et surtout d’assurer les capacités de rotation des forces et des matériels, au niveau organique de la division, avec des forces déjà intégrées.

En procédant ainsi, la Force Opérationnelle Terrestre serait doublée, pour atteindre 150 000 hommes, mais verrait certains de ses moyens tripler, comme les chars de combat et l’artillerie. Certains nouveaux moyens pourraient également rejoindre les brigades de l’Armée de terre, comme, on peut l’espérer, dans le domaine de la défense antiaérienne et des drones.

Permanence du Groupe aéronaval et des flottilles d’action navale de la Marine nationale

La Marine nationale verrait sensiblement ses moyens augmenter, sans atteindre une évolution aussi importante que celle de l’Armée de Terre. Elle recevrait, ainsi, deux sous-marins nucléaires d’attaque supplémentaires, sans qu’il soit vraiment possible, cependant, d’aller au-delà, eu égard à la difficulté de créer des tranches nucléaires dans les équipages, d’autant que 2 SNLE supplémentaires ont été évoqués précédemment.

PANG Marine Nationale
La Marine nationale n’aura qu’un unique porte-avions nucléaire de nouvelle génération, ce qui pose de serieux problèmes quant à la disponibilité du groupe aéronaval.

Pour renforcer la flotte sous-marine, face à la trentaine de sous-marins nucléaires russes, et autant de sous-marins conventionnels, celle-ci se verrait dotée d’une flottille de sous-marins conventionnels et/ou de drones sous-marins de grande taille. Ces navires devront assurer la protection des arsenaux, de la base sous-marine stratégique de l’ile-longue, et éventuellement de certains territoires ultramarins, et ainsi libérer la flotte de SNA de ces tâches.

La flotte de surface, elle, verrait ses capacités s’étendre, notamment avec l’entrée en service de deux porte-avions légers, des navires de 40 000 tonnes à propulsion conventionnelle, destinés à assurer la permanence opérationnelle du groupe aéronavale aux côtés du porte-avions nucléaire, sans avoir les couts de ce dernier, et ayant l’immense avantage de pouvoir être potentiellement exportés.

La flottille de frégates serait, elle aussi, étendue, avec deux frégates antiaériennes et cinq frégates anti-sous-marines supplémentaires, ainsi que 11 corvettes lourdes ou frégates légères, pour remplacer les frégates de surveillance et les frégates légères furtives. La flotte de patrouilleurs et d’OPV, elle, demeurerait inchangée.

Doublement de la chasse et de la défense antimissile de l’Armée de l’Air et de l’Espace

L’Armée de l’air et de l’Espace pourrait, enfin, retrouver un format suffisant pour s’engager dans un conflit de haute intensité, avec une douzaine d’escadrons de chasse tactique, en plus des trois escadrons de chasse stratégiques déjà abordés, soit 240 chasseurs tactiques pour un total de 300 avions de combat, contre 185 aujourd’hui.

Rafale Neuron
L’acquisition de drones de combat et de remote carrier est indispensable pour permettre à l’Armée de l’Air et à la MArine nationale d’évoluer dans des espaces contestés.

Ces escadrons pourront, en outre, recevoir le futur drone de combat du Rafale F5, probablement 200 à 300 exemplaires, et plusieurs centaines de drones aéroportés légers Remote Carrier, pour disposer d’une importante capacité de suppression des défenses adverses.

La flotte de transport et de soutien, elle aussi, croitrait conséquemment, avec une flotte de transport amenée à 60 appareils contre 45, 25 avions ravitailleurs contre 15, et 6 avions Awacs contre 4. La flotte d’hélicoptères, notamment pour les missions SAR, évoluerait proportionnellement à la flotte de chasse.

La défense antiaérienne et antimissile pourrait être renforcée, notamment pour pouvoir, le cas échéant, mettre en œuvre un bouclier antimissile sur un large périmètre, alors que les défenses antiaériennes à courte et moyenne portée évolueraient proportionnellement aux besoins, c’est-à-dire à l’évolution de la menace, et du nombre de bases et de sites à protéger.

Enfin, dans le domaine spatial, l’AAE pourrait se voir doter de satellites de reconnaissance et de communication supplémentaires, tant pour en étendre la couverture que pour couvrir le risque d’attrition.

40 000 militaires d’active, 40 000 gardes nationaux et 80 000 conscrits sélectionnés supplémentaires, pour 28 Md€ de surinvestissements par an

la mise en œuvre de l’ensemble de ces évolutions, nécessiteraient un profond changement dans le format des armées. Celles-ci devront, en effet, recruter 40 000 militaires d’active supplémentaires pour atteindre les 250 000 hommes et femmes en 2035. Ces militaires formeront essentiellement les cadres des nouvelles unités, et capacités ainsi créées, en particulier au sein de l’Armée de terre, et permettront de renforcer certaines capacités exclusivement aux mains des militaires d’active, comme en matière de dissuasion.

Recrutement armées françaises
Le recrutement et la fidelisation des effectifs est un défi pour toutes les armées occidentales.

L’essentiel de l’évolution du format, quant à lui, s’appuierait sur une nouvelle augmentation de la réserve opérationnelle, qui passerait des 80 000 visés par la LPM 2024-2030, à 120 000 Gardes nationaux en 2035, mais aussi par la mise en place, comme dans les pays scandinaves, d’une conscription obligatoire sélective, n’intégrant que 10 % d’une classe d’âge, soit 80 000 jeunes par an.

La mise en œuvre de ce format nécessiterait au minimum 10 ans, probablement 15, en particulier pour ne pas venir sur-dimensionner inutilement les capacités de l’industrie de défense française, et que son format de sortie, corresponde effectivement aux besoins de renouvellement des équipements des armées, et du marché international potentiellement adressable.

En matière de surcouts, étalés sur 10 ans, les couts d’acquisition des équipements représentent entre 16 et 18 Md€ annuels linéarisées, les couts de maintenance et d’entrainement 5 à 6 Md€ à termes, et les surcouts concernant les ressources humaines, 7 à 9 Md€, pour un total de 28 Md€ (en euro 2024), à 35 Md€ (en euro 2035 probables), soit dans le périmètre budgétaire libéré par le passage à un effort de défense à 3 % PIB.

Des défis difficiles à relever pour atteindre ces objectifs

On le voit, passer à un effort de défense à 3 % PIB, induirait une évolution de format très sensible des armées françaises, avec parfois des capacités multipliées par deux, comme dans le cas de la FOT, de la flotte de chasse, ou du potentiel aéronaval.

Haute intensité Leclerc
Pour accroitre les capacités opérationnelles, il sera indispensable d’accoitre sensiblement les effectifs, donc de relever le défi RH des armées.

Pour autant, la mise en œuvre d’un tel objectif, se heurte à de nombreuses difficultés et obstacles, qui ne peuvent être ignorés, et qui sont loin d’avoir des solutions évidentes.

L’écueil des ressources humaines et le retour à une conscription obligatoire sélective

Le premier, et certainement le plus important, n’est autre que les grandes difficultés que rencontrent les armées, aujourd’hui, pour attirer des candidats satisfaisants, pour armer l’ensemble des postes disponibles, alors que le format est restreint. Dans ce contexte, comment imaginer pouvoir recruter les 40 000 militaires d’actives, et les plus de 100 000 réservistes d’active indispensables à la mise en place du nouveau format ?

L’obstacle est, certes, de taille, mais il n’est pas sans solution. En premier lieu, le passage à 3 % PIB libère davantage de crédits qu’employés par le changement de format. Les crédits supplémentaires, de l’ordre de 3 Md€/an, peuvent être employés pour accroitre l’attractivité de la fonction militaire.

En second lieu, une telle transformation des armées françaises, et les acquisitions de matériels qui seront annoncées, engendreront une attractivité renforcée de la fonction militaire, mais aussi de nombreuses occasions de communiquer sur l’évolution du risque international, et la nécessité de participer à l’effort de défense. Ce type de message, dans ce type de contexte, a souvent fait émerger de nombreuses vocations par le passé.

Recrutement Armée de terre
L’évolution du format des armées permettra de multiplier les supports de communication pour améliorer le recrutement.

Enfin, l’hypothèse retenue, ici, est de s’appuyer sur un retour à la conscription, une mesure probablement indispensable pour répondre aux enjeux. Cependant, il ne s’agirait pas de remettre en œuvre le service militaire tel qu’il était connu, en France, par le passé, mais de s’appuyer sur un service militaire obligatoire, mais sélectif, comme mis en oeuvre, avec succès, dans les pays scandinaves depuis plusieurs années.

Associés à une image sélective extrêmement valorisante pour la future vie professionnelle, les conscrits sélectionnés ne viendraient pas, ainsi, saturer les infrastructures des armées, qui pourront faire évoluer le nombre de conscrits à leurs infrastructures disponibles et besoins existants. En outre, les armées sélectionnant les candidats, les difficultés rencontrés par le Service militaire par le passé, en matière d’encadrement, seraient largement diminuées.

Enfin, le service militaire sélectif, a le potentiel de créer une base très efficace pour améliorer le recrutement des armées, et de la Garde Nationale, permettant d’atteindre bien plus aisément les objectifs préalablement établis dans ces deux domaines.

La transformation de l’outil industriel de défense et le défi de la Supply Chain

Le second défi majeur à relever, pour parvenir à mettre en œuvre une évolution aussi importante, concerne la transformation de l’outil industriel de défense, qui va devoir livrer, sur une période relativement courte, un nombre très élevé d’équipements parfois très complexes, et nécessitant des infrastructures industrielles rares et très onéreuses, ainsi qu’une main d’œuvre qualifiée, tout aussi rare, et tout aussi onéreuse.

Nexter usine
L’industrie de défense française devra évoluer en volume et capacités, mais de manière raisonnée.

Dans le même temps, cette transformation de l’outil industriel, doit aussi se faire de manière raisonnée, afin que l’outil résultant, en sortie de cette phase de croissance rapide, puisse être maintenu en activité, par l’action conjuguée du renouvellement des équipements des armées françaises, ainsi que les commandes à l’exportation.

Enfin, cette évolution raisonnée et contrôlée de l’outil industriel, doit concerner aussi bien les grands groupes de la BITD, tels Nexter, Thales, Dassault ou Naval Group, que l’ensemble de la Supply Chain. Or, si ces grands groupes ne rencontreront certainement aucune difficulté pour financer leur croissance, ce n’est pas le cas de cette Supply Chain, que l’on sait être sévèrement handicapée, aujourd’hui, par le manque de soutien du secteur bancaire.

Pour donner à corps à cet objectif, il sera donc indispensable de résoudre le problème d’accès au crédit des ETI et PME de la BITD auprès du réseau bancaire national, probablement par des voix légales et avec la mise en place d’un système de garantie d’état, sous couvert d’une grande cause nationale.

Comment financer l’effort de défense face à la dette et aux déficits ?

Reste, évidemment, l’écueil du financement qu’une telle augmentation du budget des armées, ne manquera pas de faire émerger, face à la situation socio-économique du pays, et en particulier concernant sa dette souveraine, et son déficit public.

Naval Group Lorient FDI
Le recrutement de la main d’oeuvre sépcialisée par l’indsutrie de défense, sera également un enjeu d’une transformation importante des armées françaises.

Pour autant, en tant que lecteur assidu de Meta-Defense, vous savez que plusieurs solutions peuvent être envisagées, pour que le « Quoiqu’il en coute Défense« , que le passage de l’effort de défense à 3 % entrainerait, ne se solde pas, comme pour le Covid, par l’explosion de la dette et des déficits.

Le principe de la « Défense à Valorisation Positive« , permettrait déjà de sensiblement diminuer le poids budgétaire de cette hausse des investissements engendrerait sur les finances publiques. Il s’agit, ni plus ni moins, que de tenir compte des recettes sociales et fiscales, mais également des économies sociales, que l’augmentation des dépenses d’état va engendrer, par la création d’emplois directs, indirects et induits, dans les armées, la BITD, la Supply Chain et la société civile.

Selon les démonstrations déjà effectuées, ce montant atteint et dépasse les 50 % des sommes investies dans l’industrie de défense, et 30 % concernant les dépenses d’effectifs. En tenant compte de la hausse probable des exportations d’équipements de défense français, consécutives de la hausse des commandes françaises et des capacités industrielles disponibles, le retour budgétaire d’état sur l’investissement industriel peut atteindre, et même dépasser, les 75 %, et venir flirter avec les 100 %, si l’on considère les économies sociales conséquences de la création d’emplois dans la BITD.

Le second axe pour réduire les effets de cette hausse des investissements défense français, sur la dette souveraine et les déficits sociaux, repose sur l’intervention de l’Union européenne sur son propre périmètre. Il serait possible, de cette manière, de sortir du déficit de calcul, la différence d’investissement entre les 2 % visés par la LPM, et les 3 % évoqués ici, du fait du rôle que les armées françaises auraient concernant la sécurité européenne, notamment en termes de dissuasion.

Conclusion

Nous voilà au terme de cette longue analyse. Il apparait, comme évoqué, que si la France a bien connu un effort de défense de 3 % de son PIB, voire davantage, par le passé, la justification de la soutenabilité d’un tel effort, par cette seule référence historique, est bien insuffisante, tant les différences sont nombreuses concernant l’ensemble des données économiques et sociales entre les deux époques.

MMP Akeron Armée de terre
À quoi ressembleraient les armées françaises avec 3 % de PIB ? 17

En revanche, les Armées françaises pourraient, effectivement, avoir un format et des capacités opérationnelles, donc dissuasives, bien plus importantes, y compris proportionnellement parlant, en passant de 2 à 3 % d’effort de défense, alors que l’ensemble des défaillances constatées aujourd’hui, les concernant, y trouveraient leurs solutions.

Pour y parvenir, il sera cependant nécessaire de relever de très nombreux défis, particulièrement complexes. Non que la tâche soit impossible, d’ailleurs. Il existe, en effet, des solutions efficaces tant pour répondre aux difficultés de recrutement, que pour financer la mesure sans creuser les déficits, et pour accompagner l’indispensable changement de format de la BITD.

De fait, amener l’effort de défense français à 3 % du PIB est, effectivement, possible, et certainement plus que souhaitable. Mais il faudra bien plus qu’une simple conviction, exprimée avec passion, pour y parvenir. Comme c’est souvent le cas pour les questions de défense.

Article du 15 février en version intégrale jusqu’au 2 aout 2024.

Donald Trump exigera un effort de défense de 3% PIB aux européens s’il est élu

Donald Trump exigera un effort de défense de 3% PIB aux européens s’il est élu

Pour Donald Trump, l’effort de défense des pays européens constitue, depuis de nombreuses années, l’un de ses thèmes de campagne préférés. Flattant l’ego de son électorat, il dénonce le trop faible niveau des investissements défense en Europe, obligeant les États-Unis à protéger ces pays, et aux contribuables américains, de payer pour la sécurité des allemands, belges et roumains.

Le candidat Républicain pour la campagne présidentielle 2024, avait déjà menacé les européens de cesser de les protéger, s’ils ne « payaient pas ce qu’ils devaient aux États-Unis ». Il est revenu sur ce thème, à l’occasion de son intervention devant la national Guard Association.

Pour l’occasion, il a promis d’exiger, rien de moins, des européens, qu’ils dépensent au moins 3 % de leur PIB dans le cadre de l’OTAN. Il est donc utile de revenir sur le fonctionnement de l’Alliance Atlantique, et sur le pouvoir dont disposent effectivement les États-Unis, vis-à-vis des états-membres, pour comprendre la portée de ces menaces, bien plus réelles qu’il n’y parait de prime abord.

Sommaire

Le sous-investissement des européens au sein de l’OTAN : un thème récurrent pour Donald Trump depuis 2016

Le thème du sous-investissement chronique des pays européens membres de l’OTAN, est un sujet récurrent pour Donald Trump. Déjà, lors de la campagne pour les élections présidentielles de 2016, il avait mené plusieurs charges contre les capitales européennes, accusées de faire reposer leur sécurité sur la protection américaine, sans jamais les payer en retour.

Donald Trump Merkel 2020
Les relations entre Donald Trump et Angela Merkel ont longtemps été difficiles.

Lors de son mandat présidentiel, il s’était à plusieurs reprises montré particulièrement véhément vis-à-vis de ses homologues européens, provoquant notamment une sourde colère de la part de la chancelière allemande, Angela Merkel.

C’est suite à cet épisode que celle-ci s’engagea, aux côtés d’Emmanuel Macron nouvellement élu, dans plusieurs grands programmes de défense franco-allemands, comme SCAF, MGCS ou CIFS, tout en soutenant l’émergence d’une Europe de la Défense, et même d’une armée européenne.

Comme souvent avec Donald Trump, ces agressions ne durèrent qu’un temps. Et une fois les relations germano-américaines apaisées, à partir de 2018, A. Merkel prit certaines distances avec les positions exprimées peu de temps avant cela, ceci menant à l’abandon de plusieurs des programmes lancés peu de temps auparavant, comme MAWS et Tigre 3, parfois au profit d’équipements américains.

Cependant, si, en 2020, seuls 5 pays européens avaient effectivement atteint, ou dépassé, un effort de défense représentant 2 % du PIB, imposé lors du sommet de l’OTAN de Londres de 2014, la situation est très différente aujourd’hui. Ainsi, en 2023, 10 pays européens atteignaient ou dépassaient ce seuil, alors qu’ils seront, selon l’OTAN, 23 en 2024.

À l’exception de certains pays, comme la Belgique, l’Espagne ou l’Italie, qui n’ont pas produit de trajectoire budgétaire pour respecter cet objectif pour 2025, l’effort de défense européen a augmenté, en moyenne, de plus de 40 % depuis 2017, la moyenne européenne s’établissant à 2,15 % du PIB pour 2024.

L’Europe ne sera plus en situation de faiblesse militaire d’ici à 2030

Au-delà de cette progression remarquable depuis 2017, beaucoup de pays se sont engagés dans une trajectoire visant à encore davantage augmenter leur effort de défense d’ici à 2030, pour atteindre alors, en Europe, un effort de défense moyen de 2,4 % de PIB.

OTAN effort de défense par pays 2024
En 2024, 23 pays européens auront atteint l’objectif d’un effort de défense supérieur ou égal à 2% PIB exprimés en $ 2015 (source OTAN).

Ce faisant, l’Europe, ou plutôt les pays européens membres de l’OTAN, disposeront d’un budget annuel défense entre 550 et 600 Md$, soit 65 % du budget des États-Unis, pour un écart de seulement 0,45 % du PIB, si l’effort de défense US restait à 2,9 % PIB comme aujourd’hui.

En outre, il serait quatre fois plus important que le budget de la défense russe, de quoi compenser l’écart d’efficacité d’investissement entre les deux blocs. En d’autres termes, sur la simple trajectoire actuellement suivie, les Européens seront parvenus, d’ici à 2030, à neutraliser la menace militaire conventionnelle Russe, ne dépendant plus des États-Unis que pour la dissuasion, et certaines capacités de renseignement, de commandement et de communication.

Il faudra, évidemment, plusieurs années avant que les hausses d’investissements en Europe, permettent de faire évoluer sensiblement le rapport de force. Toutefois, cette trajectoire est largement suffisante pour permettre, au besoin, aux forces américaines de réduire sensiblement leur empreinte sur le sol européen, dans les années à venir.

S’il retourne à la Maison-Blanche, Donald Trump promet d’imposer aux européens un effort de défense à 3 % PIB

Logiquement, donc, Donald Trump devrait avoir toutes les raisons d’être satisfait de cette trajectoire européenne, d’autant que parallèlement, dans le Pacifique, l’Australie, la Corée du Sud et le Japon ont, eux aussi, sensiblement accrus leurs moyens dans ce domaine.

Pourtant, à l’occasion de son intervention devant la National Guard Association, lors de sa conférence annuelle qui se tenait, cette année, à Detroit, l’ancien président, et candidat républicain aux élections présidentielles de novembre 2024, s’en est à nouveau pris vivement aux Européens, et à leur effort de défense.

OTAN Sommet de Bruxelles 2019
Sommet de Bruxelles de l’OTAN en 2019.

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