Transformer la communication de défense

Transformer la communication de défense

Pierre Bayle – Pensée sur la planète – 18 mai 2018

http://pierrebayle.typepad.com/pensees_sur_la_planete/2018/05/transformer-la-communication-de-defense.html

Au conseil des ministres du 18 mai 2016, Valérie Lecasble a été nommée directrice de la Délégation à l’information et à la communication de la Défense (DICoD) et porte-parole du ministère de la Défense, fonction qu’elle exerce depuis le 1er juin 2016, elle aremplacé Pierre Bayle.

 

Créée par le décret du 27 juillet 1998, la Délégation à l’information et à la communication de défense (DICOD) arrive à ses vingt ans d’existence, l’âge de la maturité, une occasion de revenir sur les ambitions qui ont motivé la création de cet organisme et d’en juger objectivement aussi bien les acquis et les réalisations que les insuffisances et les objectifs non atteints. Un bilan qui ne peut pas être objectif, en ce qui me concerne, mais qu’il est important de dresser pour voir les perspectives d’évolution et de progrès.

La réflexion qui a suivi la guerre du Golfe de 1990-91 a conclu que les armées françaises souffraient d’un manque de coordination et de moyens communs, notamment dans la planification, le renseignement, les forces spéciales et les moyens d’observation. Cette réflexion a abouti en 1992-93, sous la double impulsion du ministre de la défense Pierre Joxe et du chef d’état-major des armées l’amiral Jacques Lanxade, à la création d’un véritable étage interarmées avec la Direction du renseignement militaire (DRM), le Commandement des opérations spéciales (COS), le Commandement opérationnel interarmées (COIA, futur CPCO), l’Etat-major interarmées de planification (EMIA de Creil) et, au niveau stratégique, la Délégation aux affaires stratégiques (DAS, devenue depuis DGRIS).

En ce qui concerne la communication, la même constatation avait été faite d’une dispersion des moyens et d’une certaine discordance dans l’expression, chaque armée tentant d’écrire sa propre histoire avec un manque d’attention par exemple pour les moyens communes, le Service de santé des armées (SSA) ou le rôle de la Gendarmerie. Menée sous l’égide du ministre Pierre Joxe comme les autres réformes interarmées, celle de la communication n’a pu être menée à bien avant la fin de son mandat et c’est Alain Richard qui, en 1997, reprendra ce travail de refonte de l’organisation de la communication du ministère de la défense.

Outre la nécessité de mieux coordonner la communication de chaque armée et de développer une véritable communication opérationnelle, une autre nécessité est entre temps apparue avec la guerre des Balkans, face à laquelle le ministère était sous-équipé pour communiquer sur les moyens militaires mis en place par la France et ne pouvait compter que sur la communication du ministère des affaires étrangères, communication non experte dans le domaine des opérations militaires.

La réflexion menée entre 1997 et 1998 pour la réforme de la communication a donc associé responsables civils et militaires du ministère, et il est utile de rappeler que le conseiller-maître chargé au Conseil d’Etat d’étudier le projet de décret créant la DICOD était le général d’armée Marc-Amédée Monchal, ancien chef d’état-major de l’armée de terre, qui s’est impliqué avec enthousiasme et compétence dans l’élaboration finale du décret. Autre contribution notable à rappeler, celle du chef d’état-major des armées le général d’armée Jean-Pierre Kelche, lequel a fait ajouter deux éléments importants pour l’évolution de la communication de défense : l’officialisation dans ce décret de l’existence des services d’information et de relations publiques (SIRPA) de chaque armée, qui n’avaient jusqu’alors qu’une existence informelle, et la création d’une antenne spécifique aux côtés du CEMA pour la communication opérationnelle.

La DICOD ainsi créée en 1998 avait donc trois missions principales : le renforcement du rôle de coordination de l’ancien SIRPA central tout en préservant l’autonomie d’image et de message de chaque armée ; la création d’un véritable porte-parole à l’image des porte-paroles du ministère des affaires étrangères, du ministère de l’intérieur et du ministère de l’économie et des finances, chargé non pas de la communication politique ou personnelle du ministre mais de la communication institutionnelle du ministère ; enfin l’émergence d’un pôle interarmées de communication opérationnelle.

La mise en œuvre de cette nouvelle Délégation à l’information et à la communication de défense (DICOD) a été confiée, parmi de très rares candidats, à une compétence incontestable pour sa connaissance de la problématique administrative et de défense, Jean-François Bureau ayant eu une expérience déjà riche à travers le cabinet des ministres de la défense Charles Hernu et Pierre Joxe, la communication de la présidence de la république, l’administration préfectorale et la Cour des comptes. Cette mise en œuvre aura donc été une réussite non seulement du fait de l’expertise et des compétences techniques du premier délégué, mais de sa longévité dans la fonction : nommé par Alain Richard, il a été maintenu dans ses fonctions par Michèle Alliot-Marie et Gérard Longuet et a réussi à nouer une relation privilégiée entre le porte-parole et ses ministres de tutelle successifs.

Ses successeurs ont poursuivi avec ténacité cette mise en œuvre avec des succès divers selon les missions en fonction d’un environnement politique changeant et sans bénéficier de la longévité du premier délégué. Une pensée particulière pour Laurent Teisseire, parti trop tôt, ensuite ce seront Gérard Gachet, Philippe Germain et Pierre Bayle qui mobiliseront les équipes pour continuer la montée en puissance de la communication de défense, dans un lent et long de travail de maturation qui n’est évidemment pas terminé.

Sur les trois missions principales de la DICOD, la première est incontestablement la mieux aboutie : une véritable coordination entre les armées, directions et services a été progressivement mise en place et a connu un coup d’accélération avec le déménagement en 2015 du ministère de la défense à Balard. Le regroupement de toutes les antennes de communication leur a permis de bénéficier de structures modernes et d’équipements de dernière génération, dont une salle de presse pour recevoir les journalistes et organiser le point de presse et une salle de rédaction pour les équipes médias, ainsi qu’une localisation regroupée des équipes audiovisuelles permettant une meilleure coordination avec celles de l’ECPAD. Egalement à noter dans la coordination transverse du ministère, le développement d’une communication interne au bénéfice de l’ensemble des personnels civils et militaires, tout en préservant l’autonomie de chaque armée : mise en commun de moyens techniques pour les différentes publications, tournées d’explication sur les réformes en cours (réunions appelées « Défense 2020 ») associant les principaux responsables autour du ministre, développement des sites institutionnels avec la refonte de l’Internet, développement spectaculaire de la maîtrise des médias sociaux au profit de tous les niveaux du ministère par la formation de webmasters, etc. Les chiffres de fréquentation et de « suiveurs » des armées et du ministère sur Tweeter ou Facebook sont révélateurs de cette percée en direction de secteurs de l’opinion publique moins touchés par les médias traditionnels, en particulier les jeunes.

La deuxième mission, celle de la consolidation d’un service du porte-parole, a connu des fortunes diverses après le premier délégué. Objectivement, ce rôle de porte-parole n’est pas le plus utilisé par les équipes ministérielles successives et c’est certainement regrettable sur le plan du rayonnement dans la durée. L’évolution n’est pas du reste spécifique au ministère des armées, elle se retrouve dans les autres ministères régaliens où la tendance à l’immédiateté de l’information et l’irruption massive des médias sociaux (principalement Twitter) dans l’approvisionnement des médias fait que la communication est beaucoup plus centrée aujourd’hui sur la personne du ministre, ce qui donne certes plus de poids à l’information mais lui fait perdre de son rayonnement aussi bien aux niveaux décentralisés (presse de province et presse magazine au sens large) qu’à celui de la presse étrangère, trop souvent négligée. La communication institutionnelle redeviendra certainement une nécessité, d’autant plus que l’appropriation de la communication par un responsable politique n’est valorisante qu’en cas de communication positive, elle l’est beaucoup moins en cas de crise ou de situation négative, et l’une des fonctions ingrates mais importantes d’un porte-parole est précisément d’être le fusible.…

La troisième mission, celle de la valorisation d’une communication opérationnelle cohérente et coordonnée qui était une mission explicitement mentionnée de la DICOD, a été remplie par défaut, avec la montée en puissance de la petite cellule de communication du CEMA devenue progressivement un service à part entière et, du strict point de vue de la DICOD, un service entièrement à part. L’idée initiale d’un binôme associant un délégué civil et son adjoint militaire pour couvrir tout le spectre de la communication du ministère, comme c’est le cas au Pentagone dont on s’était inspiré, n’a pas été retenue, et il est paradoxal de voir parfois des officiers supérieurs d’EMA Comm refuser de partager l’information opérationnelle avec l’officier général adjoint au DICOD au motif du secret des opérations, alors qu’il s’agit d’informations rendues publiques : la cohérence du message n’en est pas renforcée, et le résultat perçu par les journalistes est de recevoir des lignes de communication parallèles avec un volet opérationnel très détaillé mais manquant précisément d’éclairage de contexte. Le problème n’est pas au niveau des personnes mais bien à celui des structures et la réflexion sur une meilleure articulation entre communication institutionnelle et communication opérationnelle reste à mener, incontestablement. Il n’est même pas certain que la communication du CEMA soit gagnante dans la structure actuelle puisque sa cellule de communication n’a pas su ou n’a pas pu faire partager la réflexion que le général de Villiers a attendu sa sortie pour rendre publique en 257 pages dont beaucoup auraient pu être partagées bien avant, au fil des événements… Si l’amiral Guillaud avait un temps envisagé et proposé que le responsable d’EMA Comm soit en même temps l’adjoint du DICOD, l’idée a été abandonnée et son successeur n’a pas voulu en entendre parler. Pourtant elle mériterait d’être réfléchie davantage.  

Pour une réforme structurelle ambitieuse, vingt ans n’est pas l’échelle de temps permettant de porter un jugement définitif et si le bilan peut paraître en demi-teinte, la DICOD doit malgré tout être considérée comme une réussite par l’impact qu’elle a auprès du monde des médias dont elle est un interlocuteur privilégié, avec un point de presse maintenu contre vents et marées et qui a beaucoup gagné en densité avec Valérie Lecasble, mais également par la perception très positive auprès des personnels civils et militaires du ministère : l’affectation à la DICOD comme aux différents SIRPA est aujourd’hui recherchée et peut même être considérée comme un passage obligé pour certaines carrières d’officiers, à l’instar de ce qu’est devenue la filière du renseignement. La DICOD est également devenue « l’école normale » de la communication des armées et services, par les formations qu’elle délivre en permanence au profit d’un nombre toujours plus important de stagiaires, formations qui sont également demandées par des partenaires étrangers. Elle est aussi le laboratoire de recherche du ministère pour les médias sociaux, en liaison avec les spécialistes reconnus du secteur qui viennent faire des exposés ou animer des ateliers aux séminaires annuels de la DICOD.

Enfin la DICOD est devenue un acteur pilote du rayonnement des armées dans le monde de l’audiovisuel, en liaison avec toutes les parties concernées au sein du ministère dont l’ECPAD et la DMPA. La présentation d’un film « Volontaire » valorisant la Marine est sans doute la meilleure illustration de ce rôle moteur de la DICOD au profit d’une communication coordonnée et non centralisatrice permettant le rayonnement de chaque armée… Ne boudons pas le plaisir de ce verre à moitié plein et souhaitons bon vent aux équipes de la DICOD !