Le mercredi 23 et le jeudi 24 novembre, un exercice national de sécurité nucléaire organisé conjointement par le préfet du Finistère, l’autorité de sûreté nucléaire de défense (ASND) et la Marine nationale, se déroulera sur la base opérationnelle de l’Île Longue, en presqu’île de Crozon.
Le but d’un tel exercice de sécurité nucléaire est d’entraîner l’ensemble des services concernés par une éventuelle situation accidentelle à appliquer les plans d’urgence prévus par les pouvoirs publics pour protéger les populations et l’environnement, en cas d’accident sur un réacteur ou sur une arme nucléaire. Ces exercices permettent, en particulier, de vérifier l’aptitude de l’organisation de crise à en contrôler et en limiter les conséquences. La gravité de ces scénarios est volontairement portée à son plus haut niveau, pour pouvoir mettre en œuvre toute la gamme des moyens existants, ceux des Armées comme ceux des autres ministères : industrie (CEA), Intérieur (Sécurité civile) et santé (IRSN) notamment.
Voir cet article paru dans Ouest-France, dans les pages finistériennes:
A cette occasion sera évaluée la stratégie de communication adaptée à la situation, les actions de communication, les productions orales et écrites produites par les cellules joueuses, la capacité à répondre aux journalistes en leur donnant des contenus adaptés etc. L’évaluation portera également sur la manière de répondre à la pression sociétale.
Ce volet Communication de l’exercice sera joué par la société Crisotech à qui le marché de 700 000 euros a été attribué (voir mon post de septembre). A l’équipe de Chrisotech de mettre en place « une pression médiatique simulée, pendant une demi-journée d’environ quatre heures, sur la cellule communication du site nucléaire impliqué. Cette pression médiatique est relative au niveau de gravité de l’accident retenu dans le scénario. Elle vise à tester la résilience des équipes de communication, notamment en termes de gestion du stress et de capacité de réaction. »
Et si on parlait de guerre nucléaire pour changer, histoire de tenter d’éclaircir quelques obscurités ?
Feu les armes nucléaires tactiques
D’abord, les armes nucléaires tactiques (ANT) faut oublier. Il y a en a qui ont essayé, ils ont eu des problèmes. Les ANT, qui comme leur nom l’indique sont destinées à combattre une armée ennemie, ont existé, mais pendant une période assez brève.
Dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, il n’existait qu’une seule force de frappe nucléaire au monde : la flotte de bombardiers du Strategic Air Command américain. On imaginait alors en cas de guerre, et l’Union soviétique est vite apparue comme l’ennemi des États-Unis le plus probable, de lancer une campagne de bombardement des villes à la manière de celle menée récemment contre l’Allemagne et le Japon, mais beaucoup plus « efficace ». Le problème majeur pour les Américains à l’époque est que cela n’empêcherait pas la puissante armée soviétique d’envahir l’Europe occidentale.
Au tournant des années 1950, les choses changent. En premier lieu, les Soviétiques accèdent à la puissance nucléaire et même, comme les États-Unis, à la puissance thermonucléaire. Il se passera encore quelques années avant que les Soviétiques soient capables de frapper le sol américain, mais les principes de la dissuasion par l’équilibre de la terreur se mettent en place. En se dotant de moyens diversifiés, abondants et inarrêtables par une défense, chacun des deux camps dispose d’une capacité dite de « seconde frappe » : vous pouvez toujours m’attaquer même massivement avec des armes thermonucléaires, il m’en restera toujours assez pour vous ravager en retour. C’est terrifiant, mais au moins les choses à ce niveau clairement stratégique sont claires et plutôt stables.
C’est en dessous que les choses sont plus compliquées. Concrètement, la question qui s’y pose est : que faire si je suis attaqué conventionnellement et que je ne peux pas résister ?
C’est là qu’intervient le deuxième changement majeur des années 1950. Les progrès technologiques sont alors tels qu’à côté des bombes H on parvient aussi à miniaturiser les munitions atomiques. On peut donc dès le milieu des années 1950 en fabriquer en grande quantité et de puissance très variable. L’US Army saisit l’occasion la première. Cela lui permet d’exister face à ses rivales institutionnelles et surtout de pouvoir compenser son infériorité numérique face à l’armée soviétique. On assiste alors à un immense engouement pour les ANT et le champ de bataille atomique. On fabrique des lance-roquettes, des mines, des obus, des missiles anti-aériens ou des torpilles atomiques par milliers pour les lancer, après autorisation présidentielle quand même, sur les Soviétiques.
Et puis surviennent quelques petits problèmes. On s’aperçoit que l’on a peut-être sous-estimé certains effets des armes atomiques, en particulier la radioactivité et les impulsions électromagnétiques. Et comme il est forcément question d’employer les ANT en grande quantité, sinon cela n’aurait aucun intérêt tactique (il a fallu l’équivalent en explosif de 4 ANT de gamme « Hiroshima » pour débloquer la bataille de Normandie à l’été 1944), on s’aperçoit que le champ de bataille futur sera particulièrement compliqué à gérer en soi. Il le sera encore plus dès lors que les Soviétiques se dotent aussi d’armes semblables. Tous les scénarios d’une guerre en Europe, qui serait ainsi forcément atomique d’emblée, donnent des résultats catastrophiques.
On ne voit pas bien alors ce qui distinguerait le niveau tactique du niveau stratégique, sinon que du point de vue des deux supergrands le premier ne traiterait que de la destruction de l’Europe alors que le second les concernerait directement. Séparer les deux niveaux est une illusion. Une arme est nucléaire ou elle ne l’est pas et que dès qu’on en emploie une, quelle que soit sa puissance, on déstabilise l’équilibre de la terreur.Les ANT sont d’autant plus dangereuses que l’on a décentralisé l’emploi à de nombreux petits décideurs en cas de coupure de communication avec l’exécutif politique. Lors de la crise de Cuba en 1962 on s’est trouvé ainsi avec deux sous-marins soviétiques isolés ayant armé leurs torpilles atomiques face aux navires américains. Les commandants ont sagement décidé de ne pas les utiliser.
Et puis, l’arme nucléaire est aussi une arme maudite. Son emploi par les Américains contre le Japon avait alors frappé les esprits, mais pas forcément suscité d’émotion, les massacres provoqués restant dans les normes terribles de la guerre mondiale. Le bombardement de Tokyo du 9 mars 1945, entre autres, avait par exemple provoqué plus de morts que celui d’Hiroshima dans un immense incendie. Ce n’est que quelque temps après la fin de la guerre que l’on prend pleinement conscience de l’horreur de la destruction des villes et du caractère particulier de l’arme nucléaire. Si son usage reste admis dans un conflit existentiel, il devient tabou hors de ce contexte. Alors que tout milite pour son emploi, sauf peut-être la rareté des munitions disponibles, l’arme nucléaire n’est pas utilisée par les Américains en Corée malgré leurs difficultés sur le terrain. Elle ne le sera pas non plus contre le Nord-Vietnam malgré l’immense arsenal d’ANT alors disponible. Il en est de même dans tous les conflits engageant des puissances nucléaires, y compris des puissances nucléaires entre elles comme la Chine et l’Union soviétique en 1969.
En résumé, les ANT se sont avérées une illusion. Elles se sont révélées finalement de peu d’intérêt tactique et très dangereuses en faisant franchir très rapidement et massivement un seuil nucléaire au-delà duquel on ne voit pas très bien comment arrêter la progression vers l’apocalypse. Elles ont donc été bannies des plans d’emploi de l’OTAN comme de l’Union soviétique dans les années 1970 et progressivement retirées des forces. Il n’y a plus désormais qu’un échelon conventionnel et un échelon nucléaire, forcément stratégique.
Stop ou encore ?
Mais tout cela ne résolvait la question évoquée plus haut de l’infériorité conventionnelle. Le problème est sensiblement le même que celui de la notion de légitime défense. Deux individus armés se faisant face et ayant toujours la possibilité de riposter si l’autre tire sont dans la même situation que deux puissances nucléaires hostiles et disposant d’une capacité de seconde frappe. Cela fait peur, mais c’est dissuasif, et c’est dissuasif parce que cela fait peur. Les choses sont un peu plus compliquées si l’un des deux individus ne brandit pas son arme, mais s’avance vers lui avec l’intention de le frapper. Ajoutons qu’il y a autour des protagonistes un public qui jugera très négativement celui qui utilisera son arme en premier, sauf pour défendre sa vie.
C’est sensiblement le problème posé aux nations de l’OTAN jusqu’à la fin des années 1980 angoissées d’être subjuguées par les forces du Pacte du Varsovie. Une fois oublié l’emploi des ANT pour compenser cette infériorité, on a pu être tentée de franchir le seuil nucléaire en premier de manière limitée afin de calmer les ardeurs de l’autre, comme un tir de semonce ou un tir dans la jambe pour reprendre la problématique de la légitime défense. C’est le premier étage nucléaire de la doctrine de riposte graduée américaine élaborée au début des années 1960 ou l’idée française d’« ultime avertissement » destiné à montrer sa détermination et à placer l’adversaire devant le choix du « stop ou encore ». On parle alors d’un niveau « préstratégique » ou « substratégique » pour montrer que l’on n’est pas encore aux choses très sérieuses qui seules apparemment méritent le qualificatif pur de « stratégique ». Admettons.
Premier problème : on ne sait pas très bien à quoi ressemblerait cet ultime avertissement. On imagine que l’on emploierait plutôt des armes nucléaires de faible puissance en petit nombre et si possible sur des cibles militaires. Oui, mais ces armes sont généralement d’une faible portée et alors que l’on se trouve imbriquée avec l’ennemi et plutôt sur le recul on risque de frapper sur le territoire ami. C’était sensiblement ce que prévoyait la France en lançant d’un coup ses 25 missiles Pluton, anciennement « tactiques » et devenus « préstratégiques », sur les forces soviétiques qui auraient pénétré en République fédérale allemande. Outre qu’il était impossible de frapper 25 objectifs militaires mobiles en même temps, cela équivalait à provoquer 25 Hiroshima sur le territoire allemand (les Allemands adhéraient modérément à ce concept). A ce niveau de puissance, autant envoyer un missile intercontinental en Union soviétique. C’est ce qu’imaginait en 1978 le général britannique John Hackett dans The Third World War à cette différence que c’étaient les Soviétiques bloqués en RFA qui frappaient les premiers en détruisant la ville de Birmingham. Les Britanniques ripostaient en détruisant Minsk. Dans le livre de Hackett, cette escalade permettait effectivement de désescalader mais d’une manière imprévue. L’emploi de l’arme nucléaire provoquait en effet des troubles profonds en Union soviétique, et en premier lieu en Ukraine, qui aboutissaient à l’éclatement du pays et à un changement de régime à Moscou qui signait la paix.
Ce scénario est intéressant à plus d’un titre dans les temps qui courent mais peut-être surtout pour montrer qu’en réalité on ne sait pas du tout ce qui se passerait après l’ultime avertissement. L’exercice Proud Prophet, réalisé aux États-Unis en 1983 afin notamment de tester plusieurs scénarios de guerre mondiale a abouti à des conclusions beaucoup plus pessimistes que celui de John Hackett. En clair, l’ultime avertissement y a toujours débouché sur une escalade vers l’échange de frappes thermonucléaires. On concluait d’une manière générale qu’il valait mieux éviter tout ça en repoussant autant que possible le seuil nucléaire en étant plus fort conventionnellement. Face à quelqu’un qui veut vous frapper et sur lequel vous n’osez pas tirer, le plus simple à condition d’avoir le temps est d’être plus costaud que lui. C’est ce que les Américains ont réussi à faire dans les années 1980 avec une impressionnante démonstration de forces en écrasant l’armée irakienne en 1991. Du coup, on a un peu oublié toutes ces considérations dans les pays occidentaux.
Twist again à Moscou
La Russie au contraire, qui subissait de son côté une humiliante défaite à Grozny en 1994, découvrait son infériorité militaire face aux États-Unis. Les Russes ont alors intégré à leur tour dans la doctrine de 2000 l’idée d’un échelon substratégique où on s’efforcerait de refroidir les ardeurs de l’autre par l’emploi du nucléaire. C’est quelque chose qui est alors joué dans presque tous les exercices Zapad, tout en admettant sans trop le dire comme en Occident que c’est boiteux et incertain. Tout en conservant une force nucléaire pléthorique, les Russes ont conclu eux aussi qu’il fallait se renforcer conventionnellement pour éviter de se retrouver devant le dilemme de l’emploi du nucléaire en premier, d’où l’investissement massif dans des moyens destinés à contrer ceux des États-Unis avec une force de frappe à distance, aéronefs et surtout missiles balistiques ou de croisière, une défense antiaérienne de grande densité, etc.
Les Russes sont ainsi redevenues capables de résister conventionnellement à l’OTAN (les forces russes et précédemment soviétiques se présentent toujours dans la défensive contre l’OTAN même lorsqu’elles envahissent des pays). Redevenus forts, ils sont revenus en 2020 à une doctrine proche de la nôtre : le « nucléaire » (il n’est plus question de tactique nulle part) ne sera utilisé que contre une menace sur l’existence même de l’État. Si on retient beaucoup les déclarations fréquentes des officiels russes quant à la possession de l’arme nucléaire, il faut constater que ce sont des rappels et non des menaces. Ces déclarations sont d’ailleurs presque toujours en deux temps : « Nous rappelons que nous disposons de l’arme nucléaire » puis le lendemain « mais qu’elle ne sera utilisée que pour défendre l’existence de l’État russe ».
Libre à quelques trublions de la télé ou à l’ex-président Dmitri Medvedev de jouer les « bad cops » et de faire peur, l’existence de l’État russe n’est pas menacé, ni nucléairement, ni conventionnellement que ce soit par les États-Unis ou par l’armée ukrainienne. Cette dernière peut grignoter le territoire ukrainien conquis par les Russes tout en restant sous le seuil nucléaire, dont on rappellera que son franchissement, quelle que soit la puissance utilisée, aurait un coût énorme – mise au ban des nations, fin du soutien de la Chine, probables attaques conventionnelles américaines de rétorsion, peut-être déstabilisation interne – pour des gains très incertains.
La qualification de russe des territoires conquis n’a dissuadé personne. Kherson, une ville importante désormais « russe », est sur le point d’être conquise par les Ukrainiens. La guerre est déjà portée sur le sol de la Crimée par des attaques diverses. On appelait cela la stratégie de l’artichaut, la conquête successive de feuilles dont aucune n’est d’un intérêt vital. En Ukraine, les feuilles s’appellent des oblasts et aucun n’est vital pour la Russie, par même la Crimée dont la Russie s’est très bien passée de 1954 à 2014. De toute façon, on n’en est pas encore là et la Russie a encore des ressources avant de commencer à imaginer l’emploi effectif du nucléaire.
Impasse mexicaine
Car en fait, l’arme nucléaire est utilisée tous les jours depuis 1945 mais dans le champ de la communication même silencieuse. C’est avant tout une arme psychologique dont les Russes abusent. Le principal intérêt stratégique du nucléaire est qu’il fait peur. Il ne faut donc pas hésiter à utiliser le mot afin de diaboliser l’adversaire, légitimer une guerre qui ne l’est pas forcément et dissuader les acteurs extérieurs de s’en mêler. Les États-Unis l’ont fait contre l’Irak, la Russie fait de même contre l’Ukraine.
Manque de chances de ce point de vue, contrairement à l’Irak (on s’en doutait un peu quand même) on sait pertinemment que l’Ukraine n’a pas d’armes nucléaires puisqu’elle a dû renoncer à celles qu’elle avait héritées de l’Union soviétique en échange, rappelons-le, de la garantie que ses frontières ne seraient pas touchées. On va donc lui en inventer.
A la fin du mois d’octobre, le général Shoigu, ministre de la Défense russe a ainsi accusé successivement l’Ukraine de fabriquer une « bombe sale », de vouloir provoquer un accident nucléaire sur la centrale de Zaporijjia et d’exiger des frappes nucléaires préventives américaines contre les armes russes. La ficelle est grosse (les Ukrainiens sont des affreux, ils ne méritent pas d’être soutenus, mais combattus), mais n’attache que ceux qui veulent l’être. Rappelons au passage qu’une « bombe sale » est un explosif enrobé de matières radioactives et que cela n’offre pas le moindre intérêt militaire. Si cela peut constituer une arme intéressante pour des organisations terroristes (faire peur) à condition de survivre à la manipulation des matières radioactives, cela n’offre aucune utilité pour un État d’irradier un village ou un quartier d’une ville et d’y augmenter le nombre de cancers. Si on veut tuer des gens autant utiliser directement des missiles comme celui lancé par les Russes ou les séparatistes sur la gare de Kramatorsk le 8 avril et qui a tué 57 personnes et blessé 109 autres. C’est à peu près et sur la longue durée la létalité de la bombe sale que pourraient éventuellement fabriquer les Ukrainiens.
Pour le reste, les Ukrainiens accusent aussi les Russes de menacer de vouloir les frapper atomiquement et de chantage à l’accident nucléaire, ce qui dans le premier cas est, on l’a vu, improbable et dans le second pas plus sérieux que l’accusation inverse. Quant à la demande, vite effacée, de procéder à des frappes préventives américaines sur l’arsenal nucléaire russe c’est évidemment d’une grande maladresse. C’est bien plus irréaliste encore que de demander une zone d’exclusion aérienne et surtout embarrassant pour les États-Unis.
Les États-Unis de leur côté jouent à la fois de la dissuasion verbale, rappelant qu’il ne saurait être question de banaliser l’emploi de l’arme nucléaire, qu’eux-mêmes n’ont plus utilisé depuis 1945 alors qu’ils en avaient de multiples occasions, et qu’une frappe russe susciterait forcément des réactions militaires, sans aucun doute conventionnelles, afin de rendre le « coût d’entrée » dans la guerre nucléaire à un niveau prohibitif.
Les Russes menacent l’Ukraine qui implique les États-Unis malgré eux et qui eux-mêmes menacent la Russie. Cela ressemble à une impasse mexicaine. C’est très impressionnant dans les films, mais cela débouche rarement sur autre chose que d’une négociation de désescalade.
Bref, on n’a pas encore fini de jouer à se faire peur au-dessus des combats de tranchées.
Surprises, remises en cause, bouleversements, la guerre en Ukraine n’a pas fini d’interpeller notre politique étrangère et nos affaires militaires. Le général Norlain, qui milite depuis longtemps pour un désarmement nucléaire, y trouve une confirmation de ses idées un brin iconoclastes. Ses réflexions sont si denses que nous publierons son article en deux parties. Cette fois-ci un constat : la dissuasion nucléaire ne fonctionne pas.
La guerre qui se déroule actuellement en Ukraine, dans toute sa violence, nous dit ce que devraient être les conflictualités du futur. Elle dessine les contours d’une nouvelle politique de défense et de sécurité pour notre pays. A la fois classique et moderne, multiforme, multi-espaces, elle se caractérise par sa diversité et sa complexité, opérationnelle, technologique, économique, politique, sociale.
Portée par la mondialisation et la numérisation, la complexité a envahi tous les champs de la praxis humaine, et particulièrement celui de la conduite des conflits et des politiques de défense. Or l’ennemi le plus grand de la complexité, particulièrement dans le cadre de la réflexion stratégique est celui de la pensée unique, érigée en doctrine. Edgar Morin le dit « Une théorie qui se ferme au réel devient doctrine. La doctrine est la théorie qui affirme que sa vérité est définitivement prouvée et réfute tous les éléments du réel ».
En France la dissuasion nucléaire, figée dans son concept, est devenue un mantra immuable, une religion, célébrée par une armée de prêtres, avec ses adorateurs et ses excommuniés.
La possibilité de la guerre nucléaire
Pourtant le réel vient frapper à notre porte. Parmi les enseignements que l’on peut d’ores et déjà tirer du conflit en Ukraine, il en est un qui s’impose : celui du retour en force de la menace nucléaire.
En fait celle-ci n’avait jamais disparu, elle s’était en quelque sorte effacée dans un monde perçu comme apaisé, tout au moins d’un point de vue occidental. Elle semblait maitrisée par un concept et ses systèmes d’armes associés : celui de la dissuasion nucléaire.
Devenue en France la « clé de voûte » de notre politique de défense, la dissuasion nucléaire a envahi et stérilisé depuis des décennies le champ de la réflexion stratégique. Elle s’est imposée comme un principe sacré, loué par une longue théorie d’experts auto-proclamés, tous directement ou indirectement au service de la « force de frappe », et donc chargés de servir la communication officielle.
Or, la guerre en Ukraine montre que la possibilité d’une guerre nucléaire est vraisemblable. Au grand dam de tous les activistes de la Bombe qui se répandent dans les médias, pour expliquer que nous sommes toujours à l’abri derrière notre ligne Maginot nucléaire, et qu’il est donc inconcevable que le conflit débouche sur une guerre nucléaire. Ils oublient de dire que tout leur discours autour de « la garantie absolue de sécurité », du « non-emploi » de l’arme nucléaire, de la paix garantie par la Bombe, s’écroule dès lors que la guerre nucléaire rentre dans le champ des possibles. Ce que, en réalité, elle n’a jamais quitté. « La dissuasion nucléaire nous promettait la paix. Le président Poutine démontre avec la guerre en Ukraine que le risque d’escalade nucléaire est plus élevé aujourd’hui que pendant la guerre froide (Jean-Marie Guéhenno) » La syntaxe de la « grammaire » nucléaire a perdu ses règles et le dogme s’est brisé sur le roc des réalités.
Le nouveau missile nucléaire russe RS-28 Sarmat, ou Satan 2 pour l’OTAN. On dit qu’il pourrait souffler un territoire d’une superficie égale au Texas ou à la France. Photo Kremlin.
L’échec de la dissuasion
On pourrait penser que la dissuasion, dans son principe même, apporte une autonomie stratégique, une capacité de défendre nos intérêts et nos valeurs, en l’occurrence de répondre à l’agression russe et aux menaces notamment nucléaires que ne cessent de proférer le président russe et ses séides. Au contraire, les États nucléaires démocratiques, terrorisés par le risque d’un affrontement nucléaire, sont inhibés dans leurs actions, prisonniers de leurs contradictions et, ce qui est le plus grave, privés volontairement de liberté de manœuvre. Alors que le chef des agresseurs multiplie les déclarations agressives, le mot « nucléaire » devient tabou, les exercices qui pourraient passer pour de la « provocation » sont annulés. Les « lignes rouges » sont imposées par le maître du Kremlin.
En réalité la possession de l’arme nucléaire révèle sa véritable nature : elle est un permis d’agresser. « Le fait que les autorités aient à leur disposition des forces d’une puissance quasi surnaturelle et apocalyptique ne les a pas conduites à la sagesse et à la modestie. Cela les a rendues arrogantes et violentes ».
La menace nucléaire est brandie par l’agresseur pour dissuader l’agressé de faire appel à des recours. Ceux-ci étant eux-mêmes dissuadés de se porter au secours de l’agressé par crainte d’une escalade nucléaire. « En évoquant le risque d’une guerre nucléaire, Vladimir Poutine utilise la dissuasion à des fins offensives (Jean-Marie Guéhenno) »
Il ne s’agit plus de « dissuasion » mais de « persuasion ». Le volet défensif s’accompagne d’un volet offensif impliquant l’emploi possible de l’arme nucléaire, loin du « non-emploi » de la doctrine nucléaire française.
Une épée de Damoclès
A vrai dire tout ceci n’est pas nouveau. Depuis 1945, l’humanité vit avec cette épée de Damoclès au-dessus de nos têtes et danse au bord du gouffre. La guerre en Ukraine ne fait que révéler les contradictions attachées à l’arme nucléaire et aux concepts qui tentent de justifier son existence et sa possession.
Pour la première fois l’humanité s’est donné la capacité de se détruire elle-même. Elle a créé un monstre et pendant un temps les Etats qui se sont dotés de cette arme ont cru pouvoir apprivoiser et manipuler le monstre. Il aura suffi d’un apprenti sorcier pour que le monstre se réveille, échappe à ses mentors et les menace. « La crise ukrainienne et le nucléaire ne relève pas uniquement de la géopolitique. C’est la violence qui les manipule selon ses propres lois »
Montage photographique d’origine inconnue
En rendant perceptible la possibilité de la guerre nucléaire, et en révélant la vraie nature des doctrines censées la conjurer, la guerre en Ukraine nous place devant nos responsabilités. Faire face : réaliser qu’une catastrophe majeure est possible et tout faire pour l’éviter. Dans le cas de l’arme nucléaire et de ses conséquences dévastatrices pour la planète, il n’est d’autre solution que d’aller, à terme, vers un désarmement nucléaire selon un processus multilatéral, progressif et contrôlé. Processus faisant déjà l’objet de nombreuses propositions.
Ce n’est pas tout. Erigée en garantie absolue de sécurité, la dissuasion nucléaire a anesthésié l’esprit de défense chez ceux qu’elle est censée protéger. Le rôle du citoyen a été amoindri par la Bombe et la politique fondée sur la dissuasion, car il n’est plus en mesure de justifier ni de s’élever contre ce qui est fait en son nom. Il ne peut y avoir de sécurité sans participation, adhésion et responsabilité. C’est une éthique de responsabilité et donc une éthique de conviction qu’il faut développer.
Pourtant, jamais l’addiction à l’arme nucléaire n’a été aussi forte. Crispés sur leur statut, parfois usurpé, de grandes puissances, entraînés dans une concurrence mimétique technologique et opérationnelle, les États nucléaires, officiels ou non, s’engagent actuellement dans une nouvelle course aux armements de plus en plus dangereuse. Plus encore, les cinq États nucléaires signataires du Traité de Non-Prolifération (TNP), arcboutés sur leurs privilèges, refusent de respecter leur engagement de désarmement nucléaire (objet de l’article VI). Par leur discours sur la garantie ultime de sécurité que procurerait la possession de cette arme, ils encouragent encore plus une prolifération qu’ils dénoncent par ailleurs.
Depuis les bombardements de Hiroshima et Nagasaki, le monde n’a plus subi de détonation nucléaire, qu’elle soit intentionnelle ou accidentelle. Mais lorsque l’on fait le bilan des événements qui auraient pu conduire à un conflit nucléaire, ou plus simplement le nombre d’accidents ou d’incidents qui auraient pu provoquer une explosion (82 aux USA), on peut dire que le monde a eu de la chance. Mais la chance ne peut tenir lieu de stratégie. Le réalisme n’est pas de croire en une hypothétique « garantie absolue de sécurité » mais de penser la possibilité de la guerre ou de l’accident nucléaire. Il faut, selon le mot du philosophe JP Dupuy, « penser la nécessité de l’avenir et son indétermination »
A cette indétermination de l’avenir, amplifiée par l’évolution fulgurante et multiforme du paysage stratégique que nous connaissons, la réponse nucléaire reste figée dans ses concepts depuis soixante ans, tout au moins en France, et crispée dans son refus de toute remise en cause ou de toute réévaluation.
Il est temps de repenser la dissuasion
La suite de cet article, la dissuasion obsolescente, à lire dans notre prochaine publication.
* Bernard Norlain, général d’armée aérienne, totalise plus de 6 000 heures de vol. Il a commandé la base aérienne 118 de Mont-de-Marsan (1984-1986), la Défense Aérienne (1990-1992), la Force Aérienne tactique (1992-1994). Il a aussi été chef du cabinet militaire du premier ministre Jacques Chirac puis de Michel Rocard, directeur de l’Institut des Hautes Études de Défense Nationale, et directeur de la revue « Défense nationale ».Après son adieu aux armes, il a œuvré dans l’industrie, notamment comme directeur général de la Sofema (société française d’exportation des matériels aéronautiques). Le 15 octobre 2009, il a cosigné avec Michel Rocard, Alain Juppé et Alain Richard, une tribune dans le quotidien Le Monde pour plaider en faveur du désarmement nucléaire
La guerre en Ukraine n’est pas terminée, loin s’en faut, mais alors que l’on réfléchit à nouveau en France sur notre modèle d’armées et sur la future loi de programmation militaire, il n’est pas inutile de revenir sur ce qui parait déjà évident au regard des huit mois de conflit. C’est une appréciation évidemment personnelle et donc tout aussi évidemment critiquable avec des arguments.
1-20 % des ressources pour ceux qui font 80 % du travail, c’est peu
Les difficultés de la Russie à vaincre militairement l’Ukraine, un pays au budget de défense officiellement 13 fois inférieur (et officieusement bien plus encore, malgré l’aide américaine avant 2022) s’explique d’abord par un modèle d’armée inadapté au contexte.
La Russie a voulu une armée de classe « Etats-Unis » avec un PIB à peine supérieur à celui de l’Italie et il a fallu forcément effectuer des arbitrages. Chacune de ses composantes a argué de son absolue priorité pour assurer la dissuasion nucléaire, la présence et le prestige du drapeau blanc-bleu-rouge dans le monde, le soutien à l’industrie et parfois pour gagner les guerres à mener.
Au bout du compte, la Russie a opté pour le maintien d’un arsenal nucléaire pléthorique, la modernisation massive de son aviation et de sa marine, une défense antiaérienne puissante, la création et le développement des forces spéciales et d’une force d’assaut aérien indépendante. Il ne restait plus que 20 % des ressources pour l’armée de Terre. La confrontation et éventuellement la guerre contre les pays occidentaux ont attiré les regards, les esprits et les budgets (toujours agiter la menace la plus forte pour attirer les finances) alors que la probabilité d’une telle guerre était et reste toujours très faible, dissuasion nucléaire oblige. Au nom du « plus permettant le moins », on a cru que ce modèle pouvait faire face à tout et cela s’est avéré un leurre lorsqu’il a fallu mener une vraie guerre et sans l’excuse de la surprise puisque c’est la Russie elle-même qui a déclenché cette guerre.
De la lutte contre des organisations armées à l’invasion d’un pays, on ne gagne pas les guerres en tuant tous les combattants ennemis à distance – une stratégie de riche Sisyphe qui ne veut pas prendre de risque – mais en occupant le terrain. Or, l’armée russe en charge de planter les drapeaux était bien inférieure à ce qu’elle aurait pu être au regard du potentiel du pays.
En face, par défaut de moyens et ambition limitée à la défense du territoire, l’armée ukrainienne a consacré 90 % de ses ressources à ses forces terrestres et aux moyens anti-accès. Alors qu’une grande partie du modèle d’armée russe ne pouvait être engagé contre l’Ukraine, le rapport de forces réel sur le terrain s’est donc retrouvé beaucoup moins déséquilibré qu’il aurait pu être. Peu importe de pouvoir gagner éventuellement des guerres hypothétiques, et d’autant plus hypothétiques qu’elles opposeraient des puissances nucléaires, si on n’est pas capable de gagner les guerres majeures du moment et notamment celles que l’on a décidées.
On ajoutera pour aller plus loin dans le détail du modèle que non seulement l’armée de Terre russe a été négligée, mais que le modèle même de cette armée de Terre, fondée sur la puissance de feu de l’artillerie et la puissance de choc des chars de bataille, s’est trouvé pris en défaut. Il n’est pas moyen de gagner une guerre majeure sans infanterie, la sienne ou celle des alliés que l’on soutient, nombreuse et de qualité, surtout lorsque le milieu est complexe et urbanisé comme l’Ukraine. L’armée de Terre russe disposait d’autant moins de cette infanterie nécessaire que les meilleurs éléments étaient pris par les forces aéroportées et les brigades d’infanterie navale, de bonnes unités, mais mal équipées et mal organisées pour combattre autrement que dans le cadre d’opérations aéromobiles/aéroportées/amphibies, qui se sont révélées rarissimes.
Le stock, c’est la survie
Le rapport de forces était d’autant moins favorable aux Russes que les Ukrainiens disposaient de réelles réserves humaines au contraire d’eux. Pouvoir faire face à un changement radical de contexte, c’est être capable de remonter en puissance très vite ou au moins de pouvoir alimenter la puissance sur la durée. Russes et Ukrainiens ont eu l’intelligence de s’appuyer sur leurs stocks de vieux équipements majeurs hérités de l’armée soviétique. Rétrofités, ils ont permis de disposer de la masse matérielle. La différence est que les Ukrainiens ont mieux organisé la ressource humaine destinée à se servir de cette masse matérielle.
On ne peut remonter en puissance rapidement sans faire appel aux ressources du reste de la nation. L’Ukraine a organisé cet appel, pas la Russie. Les Ukrainiens disposaient de réelles réserves d’hommes expérimentés qui ont permis de compléter les brigades d’active, d’en former de nouvelles à la mobilisation et de constituer le cadre des brigades territoriales. Avec l’afflux des volontaires puis des mobilisés, les Ukrainiens ont disposé d’une masse d’hommes qui sont devenus des soldats au bout de plusieurs mois de formation et d’expérience. On peut ajouter que cet apport de la nation a aussi été un apport de compétences particulières et même d’équipements civils d’utilité militaire. Grâce à cet effort de mobilisation et avec l’aide matérielle occidentale, l’armée ukrainienne est devenue la plus puissante d’Europe à l’été 2022.
En face, rien de tel car rien n’a été prévu. Un peu comme la France dans la guerre contre l’Irak en 1990, la Russie a engagé un corps expéditionnaire uniquement composé de soldats professionnels, mais sans avoir prévu une réserve opérationnelle professionnelle de même ampleur pour le compléter ou le soutenir. Depuis le début de la guerre, la Russie improvise donc en la matière, du ratissage de volontaires jusqu’à la mobilisation partielle chaotique, et cela ne donne évidemment pas de bons résultats. On ne fait pas sérieusement de guerre de haute intensité, pour reprendre le terme désormais consacré, sans avoir au préalable simplifié les procédures administratives, organisé des stocks d’équipements et de ressources logistiques, des unités de réserves complètes, le recensement de tous les individus ayant une expérience militaire, la possibilité de réquisition d’équipements civils et planifié la transformation des chaines de production.
Ajoutons que même si, comme les pays occidentaux actuellement, on reste dans le cadre d’une confrontation et pas de la guerre, disposer au moins de stocks d’équipements et de structures de formation permet au moins d’aider matériellement beaucoup plus facilement le pays allié qui, lui, est engagé en guerre.
Le ciel est-il devenu trop dangereux pour les humains ?
Une des caractéristiques de la guerre en Ukraine est qu’on y voit peu d’avions, les stars ( à 70 % américaines) des guerres en coalition que l’on menait pendant le « Nouvel ordre mondial ». Ce n’est pas complètement nouveau. Déjà la guerre de 2014-2015 dans le Donbass s’était faite pratiquement sans aéronefs pilotés, ainsi que celle entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie en 2020. La raison principale réside dans la difficulté à engager des engins pilotés à plusieurs dizaines de millions d’euros dans un environnement dense de défense antiaérienne sur plusieurs couches. Malgré la prudence dans leur emploi, les forces aériennes russes ont perdu à ce jour 63 avions et 53 hélicoptères, pertes documentées et donc inférieures à la réalité. Il existe par ailleurs des moyens alternatifs pour réaliser quand même les missions de ces aéronefs : drones en tout genre, artillerie à longue portée et missiles. La campagne russe de frappes dans la profondeur du territoire ukrainien est la première à être presque entièrement menée avec des missiles ou quasi missiles depuis celle des V-1 et V-2 allemands en 1944-45. Elle a sensiblement la même inefficacité.
On notera qu’après avoir placé toute sa confiance dans la certitude de disposer de la supériorité aérienne (avec l’aide américaine dès qu’il fallait faire quelque chose d’important et/ou de longue durée) et dans son souci d’économies à tout crin, la France a sacrifié à la fois son artillerie antiaérienne et son artillerie sol-sol ainsi que les drones, qui paraissaient ne pas avoir d’utilité dans un tel contexte dont on savait pourtant pertinemment qu’il aurait une fin. Si les forces aériennes américaines sont encore capables à grands frais d’évoluer dans un environnement aussi hostile, qu’en est-il réellement des forces françaises ?
Le problème se pose également pour les opérations amphibies ou simplement près des côtes, à portée de missilerie ou encore pour les opérations d’assaut aérien. Doit-on y renoncer au profit d’autres modes d’action ? Faut-il adapter les moyens pour les rendre capables de pénétrer malgré tout des défenses anti-accès puissantes ? Est-ce que cela vaut le coup ?
L’atome, c’est la paix ou presque
On n’a jamais parlé autant de l’arme atomique depuis les années 1980. C’est l’occasion au moins de rappeler combien elle est utile pour empêcher les guerres entre les puissances qui la possèdent. Si l’arme nucléaire n’avait pas existé, nous serions non pas au seuil d’une troisième guerre mondiale, mais d’une quatrième, puisque la troisième aurait certainement déjà eu lieu durant entre l’OTAN, le Pacte de Varsovie et la Chine entre 1950 et 1990.
Il faut donc pour la France continuer à améliorer cet outil et conserver cette capacité de seconde frappe (être capable de répondre à une attaque nucléaire massive) qui seule permet réellement d’être dissuasif face à une autre puissance nucléaire. Le problème majeur est que cela a un coût, et même un coût croissant. Le coût supplémentaire du renouvellement des moyens de notre force de frappe nucléaire est en train de dévorer l’augmentation du budget des armées et donc, à moins d’augmenter encore ce budget, de produire des effets d’éviction.
C’est l’occasion de rappeler la nécessité d’avoir des moyens en fonction de ses ambitions – si on faisait le même effort de défense qu’en 1989 le budget des armées serait de 70 milliards d’euros – ou si ce n’est pas possible de faire l’inverse, sinon la France se trouvera dans la position actuelle de la Russie dès lors qu’il s’agira de faire réellement la guerre.
L’OTAN va mener, entre le 18 et le 26 octobre, un exercice de dissuasion prévu de longue date et intitulé « Steadfast Noon ». Il se tiendra peu après la réunion des ministres de la Défense de l’OTAN, les 12 et13 octobre, à Bruxelles.
14 états membres de l’Otan (mais pas la France) prendront part à cet exercice annuel qui intervient toutefois dans un contexte de tensions avec la Russie, Moscou ayant a averti qu’il était prêe à utiliser son arsenal nucléaire en cas de menaces directes contre son territoire.
Selon l’Otan, aucun appareil engagé dans cet exercice (Tornado, F-15, F-16) ne s’approchera à moins de 1000 km de la Russie. Actuellement, des armes nucléaires sont disposées sur 6 bases de l’Otan (voir la carte ci-dessus).
Pourquoi Steadfast Noon?
Qu’est-ce qui se cache derrière le nom de code Steadfast Noon? Le nom de code de chaque exercice de l’Otan comporte deux mots.
La première lettre du premier mot indique le commandement otanien responsable de la programmation de l’exercice: S pour Grand Quartier général des Puissances alliées en Europe (le SHAPE) T pour Commandement allié Transformation B pour Commandement des forces interarmées de Brunssum N pour Commandement des forces interarmées de Naples
Un exercice STEADFAST est donc géré par le SHAPE (Supreme Headquarters Allied Powers Europe).
La première lettre du second mot précise le domaine concerné: A pour Air L pour Land (Terre) M pour Maritime Operations (Mer) J pour Joint (Interarmées) S pour Special Forces (forces spéciales) C pour Cyberspace Operations M pour Medical Support…
Et N? c’est pour « Nuclear Operations ». Steadfast Noon, c’est donc bien un exercice piloté par le SHAPE et qui porte sur la dissuasion nucléaire.
Les 06 et 09 août 1945, la géopolitique internationale prend un tournant spectaculaire, l’arme fatale est lâchée sur Hiroshima et Nagasaki au Japon, les effets sont désastreux, le monde découvre une puissance mortelle qui impose désormais le respect et la crainte à celui qui en dispose. Dès lors, une course à la quête de l’arme apocalyptique fut lancée et aujourd’hui plusieurs nations la possède y compris des pays dits non fréquentables comme la Corée du nord. L’ensemble des blocs géo-économique possède des arsenaux nucléaires tendant à rendre le jeu de la dissuasion neutre. Quelle stratégie adopter pour imposer son hégémonie et vaincre l’adversaire ? La solution semble se dérouler sous les yeux de nos contemporains avec la mise en place et l’usage d’une guerre totale de l’information.
L’exemple actuel de la Russie qui opère en Afrique notamment auprès de l’ancien pré-carré colonial français semble probant: les résultats sont implacables, en témoigne la récente intervention du premier ministre malien Maïga le 24 septembre à la tribune de l’ONU. L’idée de la France perd du terrain et comme une cellule gangreneuse elle devient la cible de la chimiothérapie informationnelle dans ces ex colonies. Cette étude présente les différentes mutations opérées et celle qui sont en cours avec à la clé les nouvelles orientations de la guerre d’information.
De l’efficacité de la dissuasion nucléaire à l’équilibre de cette dissuasion
L’usage de l’arme nucléaire au Japon par les Etats Unis a marqué un tournant décisif dans les relations internationales dès la fin de la deuxième guerre mondiale. Les Etats Unis, premier détenteur de ce joyau de destruction massive, respiraient alors la confiance et étaient devenus une source de « respect forcé » pour leurs adversaires (mais aussi leurs alliés). Leur principal adversaire au moment de la Grande Froide, l’URSS, acquière l’arme atomique en 1949. Le 29 août de cette année-là, elle réalise son premier essai avec succès à Semipalatinsk, dans l’actuel Kazakhstan. Ainsi, les deux grands blocs rivaux disposent de l’arme fatale. Plus tard, la politique du général de Gaulle au cours des années 1960 aboutira à ce que la France se dote de l’arme nucléaire. La Grande Bretagne, la République populaire de Chine, l’Inde, le Pakistan, Israël, la Corée du nord pour ne citer que ceux-là vont à leur tour rentrer dans le cercle des initiés de l’arme nucléaire.
Malgré, l’effondrement du mur de Berlin et le basculement dans un monde unipolaire dans les années 90, l’arme nucléaire est demeurée le véritable régulateur de la géopolitique internationale. La hantise de sa puissance destructrice oblige chacun à adopter une posture plus conciliante consistant à mesurer parfois son engagement militaire: l’évocation de l’actuel bloc otanien, qui, s’il fournit de l’armement à l’Ukraine dans le cadre de sa défense à l’attaque russe, se garde bien d’entrer frontalement en envoyant des troupes au sol, dans un conflit qui opposerait de trop nombreuses puissances, par le jeu des alliances, dotés parfois de l’arme atomique (à commencer par la Russie et la Chine).
Aussi, les escalades verbales entre Washington et Pyongyang depuis 2017 illustrent très bien le jeu de l’équilibre de la terreur sur fond de dissuasion nucléaire. La Corée du Nord dit être en possession de l’arme nucléaire et être en mesure de porter atteinte aux intérêts états-uniens en mer de Chine; associé à sa protection par la Chine, elle provoque nécessairement une « retenue » pour les nations qui souhaiteraient « lui porter atteinte ».
La guerre Russie Ukraine est un autre conflit avec plusieurs révélations. D’abord, elle confirme le principe du gel de la dissuasion nucléaire entre les puissances, l’OTAN et la Russie sont très conscient de l’ampleur des dégâts réciproques que des attitudes de belligérances peuvent causer. Chaque bloc, chaque partie doit mettre en place d’autres stratégies, d’autres « techniques » afin de porter atteinte à l’intégrité de l’ennemi désigné. Le ministre français des Finances Bruno le Maire expliquait début mars que l’occident mènerait une guerre économique totale à la Russie.
Cette approche est synonyme de l’entrée nécessaire des grandes puissances de l’Ouest dans une guerre informationnelle déjà largement éprouvée par le gouvernement de Vladimir Poutine et particulièrement par son ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov.
Les conséquences de la détention de la dissuasion qu’éclaires par des puissances agissant au nom d’intérêts divergents voire radicalement opposés deviennent le changement de conception des actions de guerre. Ainsi, même s’il serait abscons d’affirmer que les actions militaires « sur le terrain » n’aurait plus lieu d’être: les événements dans le monde nous démontrent le contraire; force est d’observer que cette détention éloigne les grandes puissances de la « projection militaire » et déplace la guerre vers le champ « immatériel ». Avec, des résultats d’une violence inouïe.
Les stratégies de la guerre informationnelle par les différentes parties
La stratégie de l’OTAN et des Etats Unis
La guerre en Ukraine et la position indélicate dans laquelle l’OTAN se trouve est loin d’être à son avantage. Elle est perçue par certains comme ayant peur de la Russie et par d’autres comme ayant entrainé l’Ukraine dans le feu de la guerre. Pour apporter une réponse à cet affront russe, l’OTAN à décider de mener une guerre d’information totale à la Russie, dans le but d’affaiblir le pouvoir russe et sa position « montante » dans le monde. En sus d’un soutien militaire en fourniture d’armement et de renseignement les media et les moyens numériques sont aussi mobilisés.
Cette stratégie a connu son premier grand succès début septembre avec la victoire tactique de l’Ukraine au niveau de sa contre-offensive dans la région de Kharkiv. La percée de l’armée de Kiev dans cette région a donné lieu à un véritable lynchage médiatique de l’armée russe et de la politique de Moscou. Les occidentaux ont pour objectif le changement de perception que la population russe a du pouvoir de la Fédération mais aussi le changement de perception que les alliés de la Russie ont d’elle-même.
Dans un autre contexte géostratégique, en mer de Chine, l’observation de la position étasunienne est criante. Ces dernier érigent des obstacles le plus souvent normatifs et la guerre d’information dans ce contexte est de présenter la Chine comme un Etat qui ne respecte pas les règles commerciales ou les droits de l’Homme. Sur ce dernier point, la propension qu’a la « propagande » américaine, mais aussi européenne, à évoquer le cas des Ouïgours ou des Hong-kongais semble destinée à « casser » l’image de l’empire du milieu. Toujours dans cette optique, la visite de la présidente de la chambre des représentants des Etats-Unis début août 2022 à Taïwan, relève d’une volonté de faire montre de sa distance avec la Chine continentale, et d’affaiblir, une fois encore, la perception que les opinions publiques mondiales ont de sa puissance.
La bataille informationnelle contre la Chine est surtout les plans, politique, militaire commercial, technologique. L’objectif ultime c’est de vaincre la Chine sur le champ de la bataille de la perception. Au niveau des enjeux en mer de Chine, surtout dans le conflit avec la Taïwan, la dissuasion militaire est maniée par les Américains, des menaces verbales pour essayer de stabiliser les appétences d’invasion chinoises.
La stratégie de la Chine et de la Russie
Ces dernières années, ces deux puissances utilisèrent principalement les réseaux sociaux influencer les opinions, à leur avantage : dans cette grande « bataille mondiale de la perception », l’affirmation de la puissance chinoise doit passer par la compréhension pour les peuples du monde entier que le bloc occidental, précisément, n’est plus le bloc de référence et que l’enjeu est l’instauration d’une multipolarité : à l’opposé des velléités occidentalo-étatsuniennes.
Cette déstabilisation du bloc occidental passe obligatoirement par la remise en cause de ses derniers pré-carrés en Asie et surtout en Afrique. L’Afrique est stratégique : sur l’ensemble des sujets au cœur des politiques internationales (développement agroalimentaire, accès aux matières premières, développement militaire, accès aux consommateurs, développement culturel, religieux etc.) elle semble aussi un terrain très favorable pour remporter très vite des guerres de la perception. Son passé colonial commun avec le monde « blanc » est un terreau quasiment inépuisable pour exacerber les sentiments « anti-… » des populations locales.
La Chine, la Russie, mais aussi d’autres acteurs tels que la Turquie, jouent sur un regain du sentiment anti-impérialiste. Les événements récents au Mali, avec la fin de l’ère Barkhane et le remplacement par la société russe Wagner, témoignent de cette victoire, qui a des répercutions lourdes, profondes et durables, au sens ou la contagion s’observe et s’accroit dans d’autres pays africains, où la France est également engagé », comme le Niger. Une défaite dans cette guerre informationnelle est synonyme d’un déclin stratégique formidable.
Pour exemple, malgré des efforts considérables opérés par la France ces actions restent toujours mal perçus dès la moindre difficulté et cette faille est bien perçue par la Russie qui avec la crise en Ukraine a décidé d’accélérer le processus d’expulsion de la France dans ces ex-colonies.
Plusieurs faux comptes sur les réseaux sociaux sont utilisés pour véhiculer des contrevérités et manipuler les opinions à propos de la politique française et des opérations militaires au Sahel. La France est acculée, elle a déjà reculé sur les deux premiers fronts ouverts par la Russie au Mali donc et aussi en Centrafrique et, comme évoqué, un troisième est entrain de s’ouvrir au Niger: le 18 septembre des manifestants sont descendus dans les rues pour exiger le départ de l’armée française du pays. Des slogans hostiles comme par exemple « Dégage l’armée française criminelle » ou « L’armée coloniale “Barkhane” doit partir » sont brandis. Ainsi, à la manière d’une tumeur qui s’étend, la stratégie Russie de guerre informationnelle en Afrique commence à produire des effets. Sa propagation altère la sphère d’influence française en Afrique et pour l’heure aucun remède efficace de Paris ne semble arrêter le processus.
Les stratégies russes et chinoises semblent également connaitre du succès dans le monde arabe. La guerre Russie/Ukraine a mis à jour les rancœurs et les frustrations, les critiques du deux poids deux mesures de la politique occidentale et cela constitue de véritable catalyseur pour la bataille informationnelle de Moscou et de Pékin et qui est largement promu auprès des « non-alignés ».
Qui peut sortir vainqueur de cette guerre informationnelle totale
Les puissances occidentales semblent désavantagées dans cette orientation de la guerre informationnelle que mènent la Russie et la Chine en évoluant sur le passé de puissance coloniales des membres de l’OTAN et de la politique de domination des Etats Unis qui ont imposé pendant plus de trente décennies leur volonté sur le plan politique, économique et militaire partout dans le monde. La Russie et la Chine ont bien compris ces failles et ont décidé de passer à une vitesse supérieure pour casser cette hégémonie et par tous les moyens. Cette stratégie sino-russe de propagande est très efficace et commence à porter du fruit aussi bien en Afrique, en Asie, Amérique Latine et même auprès d’une partie de la population européenne.
L’autre handicap de l’Occident dans la bataille informationnelle est lié à ses valeurs. L’idée d’utiliser officiellement la propagande, qui est l’art d’agir sur l’opinion pour l’amener à avoir et/ou à appuyer certaines idées, est mal perçue. Rappelons le discours du président E.Macron lors de la conférence des ambassadeurs le 02 septembre à Paris. Il exhortait à « mieux utiliser le réseau France Médias Monde, qui est absolument clé, qui doit être une force pour nous ». Les journalistes français s’opposaient avec force affirmant leur indépendance du pouvoir politique et sans comprendre que l’influence n’est pas la manipulation.
Ainsi, avant même d’employer les mêmes techniques que « nos » adversaires, »nos » gouvernements sont d’abord confrontés à un défi culturel, imposé largement par leurs adversaires et leurs ennemis. Toutefois, la prise en compte récente, pour la France toujours, par le chef d’état-major des armées, le Général Burkhard, de la nécessité d’être en pointe dans le domaine de la guerre de l’information signale que les nations occidentales pourraient s’engager pleinement dans ce champ. « Gagner la Guerre avant la guerre » est une rupture avec la tradition française d’engagement sur les théâtres d’opérations.
La Russie et la Chine sont en revanche composées de peuples acquis, au moins en apparence, aux causes gouvernementales, ou en tout cas n’ayant pas la culture intrinsèque de la remise en cause et du questionnement : percée cette dimension hermétique est une tâche qui s’avère difficile, mais pas impossible.
Le monde est rentré plus que jamais dans une incertitude globale et les risques d’affrontement à l’arme nucléaire s’ils semblent s’accroître, tout en, paradoxalement, entraînant les belligérant dans le champ des conflits immatériels.
La guerre d’information totale, accentuée par la Russie, la Chine et leurs alliés, actuellement depuis le début de la guerre en Ukraine a pris place et elle commence à faire reculer les sphères d’influences du bloc Occidental et en particulier celle de la France.
Paris semble prendre cette situation au sérieux et monte aux créneaux en réussissant toutes les ressources de sa diplomatie. Pour cela, la France doit d’abord prendre du recul dans ces choix et ses alliances et s’appuyer sur les forces qui lui reste, encore, sur l’ensemble des continents, où elle est présente.
Un officier ukrainien se tient devant un canon français Caesar de calibre 155 sur une ligne de front dans le Donbass, 15 juin 2022. (ARIS MESSINIS / AFP)
La guerre en Ukraine a mis en évidence les carences de la France en matière d’armement. Le chef de l’État pousse les industriels à produire plus vite, mais cette incitation aura du mal à être suivie de faits.
« C’est très simple, si on n’a pas envoyé beaucoup d’armes à l’Ukraine, c’est avant tout parce qu’on était à l’os ! » Le constat dressé par l’ancien député Les Républicains de 1993 à 2022 François Cornut-Gentille, ancien rapporteur du budget défense à la commission du budget de l’Assemblée nationale, a de quoi inquiéter. La France s’est en effet retrouvée embarrassée lorsque la guerre en Ukraine a débuté. Qu’envoyer sur place alors qu’elle peine déjà à équiper ses propres soldats ?
25% de nos canons Caesar sont en Ukraine
Difficile de savoir exactement ce que nous avons livré. Contrairement à d’autres pays comme les États-Unis, la liste des équipements français est classée secret-défense. Le président de la République et le gouvernement ont cependant livré quelques informations. Emmanuel Macron a évoqué l’envoi de 18 canons Caesar, une arme qui permet de frapper des cibles à près de 40km. À cela s’ajoutent des missiles anti-char et des véhicules blindés livrés l’été dernier. Des équipements destinés aux soldats ukrainiens sont aussi régulièrement acheminés (casques, gilets pare-balles…).
Au total, la sénatrice Hélène Conway-Mouret, secrétaire de la commission défense au Sénat, évalue l’aide française en Ukraine à quatre milliards d’euros, aide humanitaire comprise. Bien plus donc, à priori, que les 100 millions d’euros avancés par l’ancienne ministre des Armées Florence Parly au mois d’avril 2022.
250 avions contre 700 il y a 30 ans
Problème pour l’armée française : ces armes ont été prélevées sur un stock déjà limité. Les 18 canons Caesar livrés représentent près de 25% du parc français. Certes, la France dispose d’un modèle d’armée dit « complet », à l’inverse de certains de nos voisins, nous avons conservé un panel global d’équipements dans les trois corps d’armées (terre, air, marine), « mais cette armée complète s’est heurtée à des coupes dans les budgets de la défense depuis la fin de la guerre froide », relève Elie Tenenbaum, directeur du centre des études de sécurité à l’IFRI. À partir des années 90, on se rend compte que notre appareil militaire ne correspond plus à un environnement pacifié.
« On paye le prix de ce que Laurent Fabius appelait ‘toucher les dividendes de la paix’. On a dépensé moins et réduit les équipements car le spectre de la guerre s’était éloigné. »
Elie Tenenbaum, directeur du centre des études de sécurité à l’IFRI
à franceinfo
Résultat : « Alors qu’on avait 1 350 chars de bataille en 1991, on en a 220 aujourd’hui. On avait 700 avions en 1991, et aujourd’hui moins de 250. » Et les budgets de la défense qui représentaient 4% du PIB à la fin de la guerre froide, sont descendus à 1% sous le mandat de Nicolas Sarkozy. Tandis que l’armée a réduit ses effectifs de 30% depuis les années 90.
Dans le même temps, la France serait passée à côté d’évolutions technologiques notables. « On a raté le virage des drones, regrette l’ancien député François Cornut-Gentille. Ça n’intéressait ni l’armée, ni les industriels. On a cru que c’était des joujoux alors que ça change la physionomie du champ de bataille »
Or, pendant que la France – et les Européens dans leur globalité – réduisaient leurs dépenses de défense, d’autres grandes puissances comme la Chine, la Russie ou les États-Unis continuaient d’investir.
Incapable de faire face à un conflit majeur
L’annexion de la Crimée par la Russie fera l’effet d’un électrochoc. « Avant cela, c’était assez confortable pour les pays européens de se reposer sur les investissements américains pour leur défense, explique le général Jean-Paul Paloméros, ancien commandeur en chef de l’OTAN. Outre-Atlantique, on n’a eu de cesse de réclamer aux Européens de prendre leur part du fardeau. Mais ça a pris du temps. »
Devant la menace Russe, l’OTAN fixe un objectif pour les pays européens : faire remonter la part de leurs dépenses de défense à 2% du PIB. Jean-Paul Paloméros conseillera le candidat Emmanuel Macron pour son projet de défense en 2017. Et le président nouvellement élu suivra ses préconisations en augmentant les budgets, d’abord de 1,7 milliard par an de 2017 à 2022, puis de 3 milliards par an jusqu’en 2025. Avec pour objectif d’atteindre 50 milliards au final, soit 2% du PIB.
Évolution du budget du ministère français des armées entre 2009 et 2022. (Ministère des armées – L’Express)
Si cet argent a remis l’armée à flot, il n’a cependant pas permis d’augmenter ses moyens. Selon Elie Tenenbaum, « la loi de programmation de 2017 ne se traduit pas par une remontée capacitaire. On modernise, mais on n’a pas de choses en plus dans notre arsenal ». Certes, l’armée de terre a développé le programme Scorpion pour ses véhicules de combat, la Marine a vu le remplacement d’un sous-marin nucléaire, et l’armée de l’air a acquis quelques Rafale, mais ces remplacements restent cosmétiques.
Le député européen Arnaud Danjean avait prévenu de ces carences dans la revue stratégique de 2017 qui a servi de base à la loi de programmation militaire. « Des mentions de la guerre qui se rapproche de l’Europe figurent dès l’introduction. On ne parlait pas de guerre de haute intensité mais de conflits interétatiques. On évoquait des risques d’escalade engageant des puissances globales comme la Russie. On a alors appelé à une montée en puissance de l’appareil de défense français pour faire face à l’intégralité de ces menaces. »
Mais cette mise en garde est arrivée trop tard, car la France aujourd’hui ne saurait se défendre seule dans un conflit de haute intensité. Pour le député LR Jean-Louis Thiériot, qui a écrit un rapport parlementaire sur ce sujet, « nous n’avons pas la capacité de tenir dans la durée. Au mieux au bout de quelques semaines, nous serions en difficulté. »
L’aviation de chasse réduite à néant en cinq jours
Deux exercices de simulation de conflits internationaux l’ont confirmé en 2021. Le premier, baptisé Warfighter, organisé avec les Américains et les Britanniques concernait l’armée de terre. Et le second, Polaris 21, la Marine et l’aviation. Ces exercices interarmées ont mis en évidence les limites des forces françaises.
« Warfighter a montré qu’en une semaine d’affrontements de haute intensité, la France aurait 800 à 1 000 hommes tués ou blessés, et plus aucune munition. »
Jean-Louis Thiériot, député LR
à franceinfo
Le compte rendu de la commission de la défense nationale des forces armées daté du 16 février 2022 fait lui état de 400 marins disparus au cours de l’opération Polaris 21. Il précise qu’« en une quinzaine de minutes d’un premier combat, deux frégates avaient été envoyées par le fond et deux autres étaient neutralisées, soit entre 200 et 400 marins tués ou disparus. » Ce même rapport indique que si l’on extrapolait les pertes lors des derniers conflits aériens (la guerre de Kippour et la guerre des Malouines), « il est manifeste que l’aviation de chasse française pourrait être réduite à néant en cinq jours ».
Schéma des forces en jeu lors de l’exercice Polaris 21 (dont la France en bleu) le 18/11/21. (Dossier de presse Polaris 21, Ministère des armées)
Si ces exercices ont montré de fortes carences, la France rappelle malgré tout qu’elle dispose de l’arme de dissuasion nucléaire et qu’elle pourrait avoir le dessus en cas de guerre. « C’est la clé de voûte de notre défense » rappelle le chercheur à l’Ifri Elie Tenenbaum. « Toute notre puissance tient là-dessus », ose même une source militaire. Mais il faudra à nouveau investir pour renforcer cette arme de dissuasion qui permet à la France de rester dans le gotha des grandes puissances. Pour l’instant.
Mettre la pression sur les industriels
Compte tenu de ces carences, et alors que la guerre est aux portes de l’Europe, la France a décidé de changer de braquet. L’exécutif a d’abord pris une décision inédite : stopper la loi de programmation en cours et la remplacer par une nouvelle qui sera examinée en Conseil des ministres durant les premières semaines de 2023. L’objectif est clair : maintenir et accentuer l’effort budgétaire jusqu’en 2030. Si certains parlementaires approuvent, des experts, comme Olivier Schmitt, professeur de relations internationales au centre d’études sur la guerre de Copenhague, se montrent réservés.
« Le risque c’est de mettre la charrue avant les bœufs. De tirer des conclusions rapides de ce qui se passe en Ukraine, et en déduire ce que doit être notre format d’armées »
Olivier Schmitt, professeur de relations internationales au centre d’études sur la guerre de Copenhague
à franceinfo
« Or il y a quelques semaines, je pense que pas grand monde ne s’attendait à une percée ukrainienne sur le front, poursuit le professeur. C’est comme si on demandait à un planificateur de défense de tirer des leçons de la Seconde Guerre mondiale après les huit premiers mois du conflit. »
Il n’empêche. Le chef de l’État a voulu aller vite. En juin 2022, lors du salon international de défense Eurosatory, il déclare que « nous entrons dans une économie de guerre. Une économie dans laquelle il faudra aller plus vite, notamment pour les industriels. » Mais cette injonction a semé le trouble. « Il faut avoir en tête qu’entre le moment où on passe la commande et celui où on reçoit les matériels, le temps est long, relate le député LR Jean-Louis Thiériot. Pour un obus de 155, entre la commande et la livraison il faut compter un an. Pour un missile trois ans. Et un Rafale quatre ans. »
« On ne produit pas des armes comme on produit des aspirateurs », relève la sénatrice socialiste Hélène Conway-Mouret. Une remontée en cadence prendra du temps a, pour sa part, expliqué devant les députés le PDG de Dassault Aviation, Éric Trappier : « Si certains peuvent croire qu’on monte une cadence d’avion de combat en un mois, ce n’est pas possible. On ne peut pas dire qu’il n’y a pas la guerre et qu’on profite des dividendes de la paix et d’un coup dire aux industriels, garde à vous, augmentez vos cadences. »
Autre obstacle à cette montée en puissance : les commandes du secteur de l’armement proviennent principalement de l’étranger, des marchés extrêmement lucratifs. La France est le 3e exportateur mondial d’armes, derrière les États-Unis et la Russie. Et il sera compliqué de mener de front cette production et une augmentation de la production française.
Emmanuel Macron serre la main d’Éric Trappier, PDG de Dassault Aviation, lors du salon de défense Eurosatory le 13 juin 2022, à Villepinte. (EPA/Ludovic Marin – MAXPPP)
D’autant plus que le prix de l’énergie flambe actuellement, avec des factures de gaz multipliées parfois par 8, et des matières premières qui viennent aussi à manquer. Or, « l’aluminium et l’acier peuvent représenter jusqu’à 60% du coût de petits navires, a récemment précisé aux députés, le PDG de Naval Group, Pierre-Éric Pommellet. On assiste à un marché qui est devenu fou, avec des hausses de prix considérables. On demande à nos entreprises d’accepter dans les heures une commande 60, 80 ou 100% au-dessus du prix moyen. »
Des désaccords franco-allemands
La solution ne semble pas apparaître non plus au niveau européen. L’Europe de la défense voulue par Emmanuel Macron s’enlise dans des désaccords. Certes la France et l’Allemagne veulent développer deux projets communs : le char du futur (MGCS pour « main ground combat system ») et le système de combat aérien du futur (SCAF). Mais ces deux projets sont à l’arrêt, déplore la sénatrice Hélène Conway-Mouret : « Nous avons peut-être trop misé sur le couple franco-allemand. Or, les Allemands ont des objectifs différents des nôtres. »
« Ce qui intéresse les Allemands, c’est un partenariat privilégié avec les États-Unis, peut-être pour remplacer le Royaume-Uni qui a quitté l’Union européenne. »
Hélène Conway-Mouret, sénatrice
à franceinfo
Les faits semblent lui donner raison. Lorsqu’il a annoncé un investissement massif de 100 milliards d’euros dans la défense, le chancelier Olaf Scholz a cité parmi ses partenaires européens possibles : les Polonais, les Tchèques, les Slovaques, mais il n’a fait aucune mention des Français. De quoi inquiéter Paris même si on continue de se dire serein. En témoignent les récentes déclarations du ministre des Armées Sébastien Lecornu affirmant : « Le SCAF est un programme prioritaire, et il se fera. »
Pour l’ex-député François Cornut-Gentille, cette situation serait la conséquence de désaccords. « Dassault pense que l’Allemagne est d’accord pour financer le SCAF à condition d’avoir accès à ses technologies et ses savoir-faire. Et Dassault a envie de conserver ses secrets de fabrication. Tandis que les Allemands n’ont pas envie de financer un programme qui profitera à l’industrie française sans avoir accès à un certain nombre d’informations… Il n’y a aucune confiance réciproque en réalité. »
Cette absence de confiance pourrait au final profiter aux États-Unis. L’Oncle Sam en embuscade rêve de monter en puissance sur le marché européen. Un échec du SCAF pourrait représenter un manque à gagner de plusieurs milliards d’euros pour les industriels français.
Que va-t-il se passer après que la Russie aura annexé les régions ukrainiennes de Kherson, de Zaporijjia, de Donetsk et de Louhansk, à l’issue de référendums dont les résultats ne seront pas reconnus par la communauté internationale dans son ensemble?
« Dans ces territoires, il y aura des changements cardinaux du point de vue juridique, du point de vue du droit international et du fait de toutes les conséquences respectives [des mesures prises] pour assurer la sécurité. […] Notre système juridique va envisager toutes les options, et, bien sûr, nos législateurs, nos organes exécutifs et nos équipes juridiques sont prêts », a d’ores et déjà prévenu Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin, le 27 septembre.
De son côté, le vice-président du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, Dmitri Medevdev, qui fut également Premier ministre et président par le passé, a fait valoir que la défense ce ces territoires annexés sera renforcée, ce qui passer par les « possibilités offertes par la mobilisation » partielle décrétée la semaine passée mais aussi par l’emploi de « toutes les armes russes, y compris les armes stratégiques et celles reposant sur de nouveaux principes ». Et d’avertir : « La Russie a le droit d’employer l’arme nucléaire, si c’est nécessaire, dans des cas prédéfinis, en strict respect des principes de la politique gouvernementale en matière de dissuasion nucléaire ».
Évidemment, il est hors de question pour Kiev de reconnaître une quelconque légitimité à ses référendums d’annexion. «Nous agirons pour protéger notre peuple : à la fois dans la région de Kherson, dans celle de Zaporijjia, dans le Donbass [et aussi] dans les zones actuellement occupées de la région de Kharkiv et en Crimée», a assuré Volodymyr Zelenski, le président ukrainien, dans un message vidéo diffusé le 27 septembre.
En outre, la diplomatie ukrainienne a de nouveau appelé à une hausse significative de l’aide militaire occidentale. « L’Ukraine appelle l’UE, l’Otan et le G7 à augmenter immédiatement et significativement la pression sur la Russie, notamment en imposant de nouvelles sanctions dures et en augmentant significativement l’aide militaire à l’Ukraine », a-t-elle dit, avant de demander plus de « chars, d’avions de combat, de l’artillerie longue portée et des systèmes de défense aérienne. »
Cela étant, il est probable que la situation reste figée en l’état… et que l’on aille vers un « conflit gelé ». Ce « n’est pas du bluff », a en effet lancé Vladimir Poutine, le chef du Kremlin, au moment d’évoquer le recours à l’arme nucléaire si les « intérêts de la Russie sont menacées », lors de son allocution télévisée du 21 septembre dernier.
Quelle que soit l’évolution de la situation [conflit gelé ou poursuite des combats], les forces ukrainiennes resteront sur mobilisées. Et elles auront besoin de renforcer leurs capacités et de se régénérer afin de pouvoir tenir dans la durée. D’où l’intérêt de la proposition de l’Union européenne visant à mettre sur pied une mission d’entraînement et de formation à leur profit, sur le même modèle que celles déjà établies au Mali, en Centrafrique ou, plus récemment, au Mozambique.
Cette mission d’assistance militaire, proposée par Josep Borell, le Haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, a obtenu un premier feu vert politique lors d’une réunion des ministres de la Défense des 27 États membres, le 30 août dernier. La France y « prendra toute sa part », avait alors indiqué le ministère des Armées.
Les détails de cette future mission – qui devrait s’appeler « EUTM Ukraine » – sont encore à préciser. Mais selon une information du quotidien Le Monde, Paris aurait l’intention d’envoyer un détachement d’instructeurs militaires en Pologne.
« Le ministère des Armées a choisi d’appuyer la mission de formation des soldats ukrainiens décidée cet été par l’Union européenne et a arrêté les grands principes de sa participation. Les militaires français devraient s’installer en Pologne, où ils dispenseront des entraînements de cinq semaines dans des camps militaires dédiés», a en effet avancé le journal du soir, dans son édition du 28 septembre. Et de préciser que « l’état-major aurait fait part de sa volonté d’aller vite et d’être opérationnel avant la fin 2022 ».
Pour rappel, dans le cadre, cette fois, de l’Otan, la France est la nation-cadre du bataillon multinational déployé en Roumanie [mission Aigle] et dispose d’unités placées sous commandement britannique en Estonie [mission Lynx]. En outre, l’armée de l’Air & de l’Espace envoie régulièrement des Rafale et des E-3F Awacs patrouiller dans l’espace aérien polonais. Enfin, des soldats ukrainiens ont été accuillis à Canjuers, afin de se former à l’utilisation des CAESAr [Camions équipés d’un système d’artillerie] promis à Kiev.
A priori, l’EUTM Ukraine devrait se concentrer sur l’entraînement d’unités ukrainiennes déjà constituées et proposer des formations dans des domaines spécifiques, tels que le déminage, la médecine de guerre et le soutien logistique. Elle viendrait ainsi compléter l’opération « Interflex » qui, menée par le Royaume-Uni, avec le concours d’une plusieurs pays européens, vise à former 10’000 recrues de l’armée ukrainienne tous les 120 jours. À noter que le Danemark et l’Espagne ont également l’intention de former des soldats ukrainiens sur leurs propres sites militaires.
Ces derniers jours, la Russie a singulièrement durci le ton à l’égard des Occidentaux, alors que ses forces sont mises en grande difficulté par la contre-offensive lancée dans la région de Karkhiv par l’armée ukrainienne.
Ainsi, le 15 septembre, la porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova, a prévenu que les États-Unis franchiraient une « ligne rouge » et deviendraient une « partie au conflit » si jamais ils s’avisaient de livrer aux forces ukrainiennes des missiles MGM-140 ATACMS [Army Tactical Missile System], qui, d’une portée de 300 km et tirés par le système d’artillerie M142 HIMARS, seraient susceptibles d’atteindre des cibles en Russie. Moscou « se réserve le droit de défendre son territoire », a-t-elle lancé.
Quatre jours plus tard, la Russie a mis en garde la France contre les livraisons d’équipements militaires aux forces ukrainiennes, lors d’un entretien entre Pierre Levy, l’ambassadeur de France en Russie, et Alexandre Grouchko, le numéro deux de la diplomatie russe. « L’accent a été mis sur le caractère inacceptable de la poursuite du gavage de l’Ukraine avec des armes occidentales, dont françaises, que le régime de Kiev utilise pour bombarder des installations civiles et des infrastructures », a résumé la diplomatie russe.
Puis, ce 21 septembre, soit au lendemain de l’annonce concernant la tenue de référendums sur l’annexion par la Russie de quatre régions ukrainiennes [dont celles de Donetsk, Louhansk, Kherson et Zaporijjia], le président russe, Vladimir Poutine, a décrété une « mobilisation partielle », qui se traduira par le rappel de 300’000 réservistes ayant une « expérience du combat », avant d’accuser les Occidentaux [et plus particulièrement l’Otan] de se livrer à un « chantage nucléaire » dans l’objectif de « détruire la Russie ». Aussi s’est-il dit prêt à utiliser « tous les moyens » à [sa] disposition » pour protéger « l’intégrité territoriale » et « l’indépendance » de son pays.
Évidemment, cela concernera les quatre régions ukrainiennes que Moscou a l’intention d’annexer. « Ce n’est pas du bluff », a même insisté le chef du Kremlin, qui, par le passé, a déjà agité la menace nucléaire…
Lors d’un entretien diffusé par Bild TV, le président ukrainien, Volodymyr Zelenski, a dit « ne pas croire » à le menace posée par Moscou. « Je ne crois pas qu’il [Vladimir Poutine] utilisera ces armes. Je ne crois pas que le monde le laissera faire », a-il estimé. Faute de quoi, a-t-il continué, « demain, Poutine pourra dire : « Nous voulons une partie de la Pologne en plus de l’Ukraine, sinon nous utiliserons des armes nucléaires ». Or, « nous ne pouvons pas accepter ce genre de compromissions », a-t-il ajouté.
Cependant, aux États-Unis, on prend au contraire M. Poutine au sérieux. D’autant plus que, le 19 septembre, le président Biden a de nouveau mis en garde son homologue russe contre la tentation de recourir à des armes de destruction massive en Ukraine. « Cela changerait le cours de la guerre d’une façon jamais vue depuis la Seconde Guerre mondiale. […] Ne le faites pas, ne le faites pas, ne le faites pas », a-t-il imploré, avant de promettre une réponse « conséquente » de la part de Washington si une telle ligne rouge venait à être franchie.
S’agissant des derniers propos de M. Poutine, le porte-parole du Conseil de sécurité nationale [NSC], John Kirby, a affirmé que les États-Unis prennent « au sérieux » la menace d’un recours à l’arme nucléaire. « C’est une rhétorique irresponsable de la part d’une puissance nucléaire. […] Nous surveillons du mieux que nous pouvons leur posture stratégique de manière à pouvoir changer la nôtre si besoin. Rien ne dit actuellement que ce soit nécessaire », a-t-il dit.
Le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, a quant à lui rappelé que M. Poutine n’en est pas à sa première menace de ce genre. « Ce n’est pas nouveau, il l’a déjà fait à de nombreuses reprises », a-t-il déclaré. Le président russe « sait très bien qu’une guerre nucléaire ne devrait jamais être déclenchée et ne peut être gagnée » et « notre réaction dépendrait bien sûr de la situation et du type d’armes qu’ils [les Russes] pourraient utiliser », a-t-il confié à l’agence Reuters, en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, à New York. Mais, a-t-il insisté, « le plus important est d’éviter que cela se produise ».
Cependant, a encore relevé M. Stoltenberg, « aucun changement dans la posture nucléaire de la Russie n’a été détecté » pour le moment. « Nous surveillons cela de près et nous restons vigilants », a-t-il assuré. Et de conclure : « Le discours du président Poutine démontre que la guerre ne se passe pas comme il l’avait prévu, il a fait une énorme erreur de calcul ».
Étant donné que la France adhère au Traité d’interdiction complète des essais nucléaire [TICE], la Direction des applications militaire [DAM] du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies renouvelables [CEA] est bien obligée d’avoir recours à la simulation pour garantir la crédibilité de la dissuasion et concevoir les têtes nucléaires de prochaine génération.
Pour cela, la DAM dispose du Laser Megajoule [LMJ], mis en service en 2014 au sein du Centre d’études scientifiques et techniques d’Aquitaine [CESTA] de Barp, en Gironde, de l’installation radiographique EPURE, du reacteur d’essais [RES] de Cadarache et de supercalculateurs aux performances sans cesse améliorées.
Ainsi, après avoir remplacé, dans les années 2000, l’AlphaServeur SC45 de l’américain Hewlett-Packard par le Tera-10 qui, conçu par le français Bull [repris depuis par Atos], était capable d’effectuer près de 53’000 milliards d’opérations sur des nombres flottants par seconde [soit 52.8 téraflops], la DAM a reçu, en 2010, le Tera-100, dont la puissance de calcul s’établissait à 1,05 pétaflops [soit 10 puissance 15 opérations par seconde sur des nombres flottants, ndlr].
Au Tera-100 ont ensuite succédé les Tera-1000-1 et Tera-1000-2, respectivement en 2015 et en 2017.
Grâce à ses 561’408 cœurs Intel Xeon Phi 7250, le Tera-1000-2, fonctionnant un système d’exploitation Linux, le Tera-1000-2 dispose d’une puissance de calcul équivalent à 25 millions de milliards d’opérations par seconde. De quoi en faire le supercalculateur généraliste le plus puissant d’Europe [et le 14e au niveau mondial].
« Son architecture préfigure les supercalculateurs de la génération 2020, dite ‘exascale ‘ [le milliard de milliards d’opérations par seconde] », avait expliqué la DAM, à l’époque. Et d’ajouter : « Les besoins […] pour la défense nécessitent un supercalculateur de classe exaflopique à l’horizon 2020. Des ruptures technologiques sont nécessaires pour y parvenir, notamment pour maîtriser la consommation énergétique – enjeu de plus en plus déterminant sur le marché du calcul haute performance [HPC] – mais aussi pour réguler les flux d’informations et faire face au volume considérable de données produites par des simulations de plus en plus précises de phénomènes multi-physiques et multi-dimensionnels ».
Dans l’attente de cette nouvelle génération de supercalculateurs de classe « exaflopique » [et les éventuels progrès de l’informatique quantique], le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a inauguré l’EXA1, sur le site de Bruyères-le-Châtel [Île-de-France], le 13 septembre.
« Avec François Jacq, administrateur général du CEA, et Vincenzo Salvetti , directeur des applications militaires, nous avons inauguré le supercalculateur EXA1. Sa puissance est parmi les 10 meilleures au monde. C’est l’assurance d’avoir une dissuasion nucléaire crédible et fiable», a commenté le ministre, via Twitter.
En novembre 2021, Atos et la DAM avaient annoncé le lancement de la première partition de ce supercalculateur. Basé sur l’architecture du BullSequana XH2000 et doté de 12’960 processeurs AMD et de 829’440 cœurs de processeurs, l’EXA1 promettait alors d’être le « plus grand système de calcul haute performance [HPC] jamais installé dans le monde utilisant des processeurs standard », firent-ils valoir à l’époque.
En outre, avaient-il ajouté, l’EXA1 est « entièrement refroidi par de l’eau grâce à la solution brevetée DLC [Direct Liquid Cooling]d’Atos qui utilise de l’eau tiède à cet effet. Avec un indicateur d’efficacité énergétique PUE~1 [Power Usage Effectiveness], il enregistre les meilleures performances du marché. Cette fonctionnalité permet au CEA/DAM de contrôler efficacement sa consommation d’énergie, de réduire ses coûts et de bénéficier de processeurs aux exigences les plus élevées en matière de puissance ».
L’EXA1 a une puissance de calcul de 23,2 pétaflops, pour une consommation d’énergie de 4,96 mégawatts. Cette capacité devrait être accrue par la suite… d’autant plus que les besoins de la DAM en la matière ne feront que croître.
« Pour les têtes [nucléaires] futures, les performances demandées sont plus importantes que celles qui sont nécessaires pour les têtes TNA [aéroportée] et TNO [océanique]. Nous devrons développer des modèles plus performants, et faire de plus en plus de calculs en 3D [alors qu’on était majoritairement en 2 dimensions avant], ce qui nécessite de continuer à accroître la puissance de nos calculateurs, avec des machines de la classe exaflopique. […] Nous avons besoin de les utiliser 7j/7, 24h/24 pour la dissuasion nucléaire puisque les calculs sont très demandeurs de puissance de machine», avait expliqué François Geleznikoff, alors patron de la DAM, en décembre 2019.