Face aux traumatismes psychologiques

Face aux traumatismes psychologiques

 

par Emmanuelle Halioua (*) – Esprit Surcouf – publié le 12 janvier 2024
https://espritsurcouf.fr/defense_face-aux-traumatismes-psychologiques_par_emmanuelle-halioua/


Les évènements du 7 octobre 2023 témoignent aussi de la nécessité de pouvoir gérer au mieux les chocs post traumatiques. Emmanuelle Halioua, experte en la matière, explique en quoi la méthode établie par l’armée israélienne s’avère efficace et combien nos ministères auraient intérêt à l’intégrer à leur programme. En attendant, dans les faits, elle n’a pas échappé aux membres des forces de sécurité et de la Défense.

Représenter et former au protocole de 1ers secours psychologiques d’urgence israélien

Dès l’urgence : Déchoquer – rester opérationnel – enclencher la résilience – réduire les risques PTSD

Spécialisée en consultations civiles et militaires sur les troubles psychologiques liés aux traumatismes, je suis la représentante officielle du protocole national israélien de 1ers secours psychologiques d’urgence le 6C©. Je dirige le seul organisme habilité à former à cette méthode en Europe et au sein des pays francophones.

Le modèle des SIXCs/6C© est une intervention précoce unique, disruptive, à 180 degrés des paradigmes européens. Simple et efficace. Faussement simple en pratique diront souvent les médecins et psychologues français. Un protocole qui permet de basculer de l’impuissance à l’efficacité en 90 secondes. Il s’agit des 1ers secours psychologiques d’urgence, ceux de l’État d’Israël.

Je me suis donc engagée à transférer cette méthode israélienne à tous les pays francophones par le biais de sessions de formations et de conférences. Des formations dont les fonds alimentent le centre de recherche sur la résilience fonctionnelle en Israël, l’ICFR. Centre de recherche de l’auteur de la méthode Moshé Farchi également Maître de conférences à l’Université de Tel Hai.
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Le protocole de l’Etat d’Israël

Israël est le pays du trauma par excellence. Les Israéliens sont des polytraumatisés qui ont métabolisé leur PTSD (Post-traumatic stress disorder) en facteurs de croissance : nouvelles technologies, innovations à profusions, 8ème puissance du monde en 75 années seulement. Israël témoigne d’une capacité à rebondir quasi instantanée. Vue d’Europe, il constitue une sorte de mutant agressif mais rudement efficace et particulièrement respecté pour ses expertises en sécurité technologiques et ses expertises psychologiques, notamment par ceux qui ont des cadres de références communs, les militaires et les forces de l’ordre. Depuis ces trois dernières années, j’ai toujours trouvé auprès d’eux respect pour l’expertise israélienne et solidarité en toute discrétion.

D’un désert infécond dont aucun pays autour ne voulait, a surgi une industrie florissante et une agriculture abondante, déclenchant de nouveau les convoitises voisines. Depuis sa création en 1948, le niveau d’adversité auquel font face les Israéliens est quotidien, alternant entre tirs de roquettes, attentats à la bombe, au couteau ou à la voiture bélier.

Qui dit menace de mort dit très souvent traumatismes physiques et psychologiques. Le fameux PTSD ou TSPT en français : le trouble de stress post-traumatique.

Qu’est-ce que le SIXCs/6C©

Petite fille de légionnaire j’ai donc débuté ce transfert d’expertise (quinze années de retour d’expériences) par mon autre pays de cœur, la France. Le protocole 6C© n’est pas une thérapie pour soigner le PTSD.

Le protocole 6C© est une méthode permettant en état de choc de basculer de l’impuissance à l’efficacité en 90 secondes.

Cette méthode est née au sein de l’armée pour le soldat en zone de combat qui « freeze » (sidération) plaçant alors son unité et la mission en danger de mort ou d’échec.

Comment permettre de refonctionner immédiatement à un primo intervenants devenu dysfonctionnel parce que sidéré, incapable de bouger physiquement et de penser de façon efficace ?

C’est le défi qu’a relevé le Pr Moshe Farchi, il y a 15 ans, en tant que créateur du protocole, lui-même officier en santé mentale au sein de Tsahal (IDF).

Ce protocole est essentiellement destiné aux primo-intervenants tels que les soldats, les pompiers, les forces de l’ordre, les secouristes, fort des 15 années d’expériences au sein de l’armée et de son impact sur la société israélienne dans son ensemble. La méthode est devenue, en 2017, le protocole national de l’Etat d’Israël soit celui de toute la société civile, du ministère de l’intérieur à celui de l’éducation nationale en passant par la Santé.

La société civile aussi

Le protocole concernent aussi une mère de famille face à son enfant qui s’étouffe, en raison d’une « fausse route », des accidentés de la  voie publique, une victime de viol, un enseignant menacé d’une « Paty » qui perd ses moyens, une catastrophe naturelle, sanitaire, un attentat ou des collègue incapables de réagir efficacement face à leur collègue pris à partie.

Dans la société civile, les exemples sont innombrables et concerne toute situation de stress aigu/dépassé dans laquelle nous perdons nos moyens au point de mettre en danger notre survie. Toute situation où au lieu d’augmenter nos capacités, le stress nous rend dysfonctionnel, inefficace, bon pour le banc de touche devenant celui que l’équipe stigmatisera comme le maillon faible à éviter désormais en mission.

Israël, pays soumis à l’adversité, a donc assez logiquement déployé une méthode permettant de rester efficace face à un évènement soudain, violent et imprévisible.

Solution inexistante en urgence au sein des pays dits « en paix » comme les pays européens et notamment la France par lequel j’ai débuté les sessions de formation au protocole 6C©, il y a 3 ans. La France où j’ai présenté la méthode à mon arrivée en priorité à des représentants du ministère de l’intérieur et de la santé.

Le protocole, en 2019, a été confronté à plusieurs types de réactions :

Si les policiers étaient eux très demandeurs, car en grande détresse, il a semblé très compliqué pour leur direction de valider la proposition particulièrement amicale qui leur a été présentée alors.

De leur côté, les cellules psychologiques civiles en place l’ont violement rejeté au prétexte, je cite, « qu’ils n’ont pas attendu les Israéliens pour être efficaces en urgence et que la France avait montré lors du Bataclan son excellente prise en charge des victimes sur le plan psychologique ».

De son côté, la position du SSA est probablement prise entre les deux feux que sont les courants historiquement freudiens et la neuropsychologie du stress. Deux approches antagonistes donc.

20 années de retard face au Canada ou à Israël

Les neurosciences sont assez éloignées des pratiques en place depuis plus de 30 ans en matière de santé mentale en urgence en France. Il y a, en France et globalement en Europe, 20 ans de retard et il faudra sans doute des esprits ouverts et combatifs, et l’arrivée d’une nouvelle garde pour avancer efficacement sur ce terrain en matière d’urgence.

Quinze années de littératures scientifiques sur la neuropsychologie du stress en situation de stress aigu ont mis en évidence que la prise en charge pratiquée durant des années est non seulement inefficace mais aggravante du trauma ; ce qui explique que l’OMS en 2012 ait fortement déconseillé le débriefing psychologique.

Quant aux pompiers, aux policiers, aux gendarmes et aux soldats, ils le savent depuis longtemps. Ce qui explique leur forte réticence à reconnaitre une autorité de compétence et à consulter les cellules psychologiques à leur disposition en interne.

Les paradigmes des interventions en santé mentale en urgence sont redéfinis. Malgré certaines résistances, le terrain finira par avoir raison, comme le plus souvent.

Enfin, de son côté, l’ARS ayant validé une méthode dénommée le PSSM il y a 20 ans (premiers secours en santé mentale/ Australie) et n’ayant pas auditionné le 6C©, ne peut réaliser combien la temporalité de chacune de ses deux méthodes est différente.

Le PSSM souffre, selon moi, d’une dénomination inappropriée puisque dans les faits c’est un second secours, le 6C© se positionnant juste avant en terme de temporalité permettant en cas de développement de troubles persistants au PSSM de prendre le relai afin d’orienter au mieux la personne en souffrance.

En somme, il s’agit plus d’une complémentarité que d’une concurrence.

Enfin, difficile de ne pas citer une dose non négligeable d’antisémitisme et d’électoralisme au regard des réflexions entendues ou lues. Rien de très nouveau dans ce registre. Ce qui explique l’hémorragie des citoyens de confession juive, se réduisant aujourd’hui à 400 000 personnes sur le territoire national français.

Malgré ces fins de non-recevoir institutionnelles, de nombreux médecins, psychologues, unités d’élite et policiers sont venus se former depuis 3 ans. Par centaine.

Très éprouvés par les violences disproportionnées sur le terrain, par l’absence de solutions efficaces, par un drame sanitaire national, celui des suicides au sein des forces de l’ordre (policiers, gendarmes, pompiers), par un sentiment d’impuissance face à l’adversité croissante pour laquelle leur formation de base n’a pas encore prévu de volet mental efficace ou convaincant à leurs yeux. Il est presque amusant d’observer combien l’unique évocation du mot « psychologie » devant un FDO déshabille aussitôt son interlocuteur d’autorité de compétences et le mot « techniques de… » tend fortement à le remplacer dans cet univers.

Succès d’un bouclier cognitif pour tous afin de faire face à l’adversité ?

Pourtant, les métiers exposés au danger nécessitent de s’équiper aussi d’un bouclier cognitif, à l’instar de celui que les primo-intervenants enfilent contre l’impact des balles.

Depuis 2 ans, ce sont donc de grandes institutions françaises publiques et privées qui se forment comme le TER, le TGV, les sapeurs-pompiers, la ville de Nice, des cliniques, des multinationales comme Manpower, Oracle, Q Park, compagnie aérienne, service de sécurité privée, des universités comme celle de Médecine Paris Cité , celle de Saclay, celle d’Assas, la Faculté de médecine de Brest ainsi que des reporters de guerre, des policiers municipaux etc…

Il faut reconnaitre au protocole israélien une triple vertu, conséquence directe de son efficacité :

Retour opérationnel en quelques minutes, enclenchement des mécanismes de résilience et réduction des risques de développer un PTSD. Lorsqu’en situation d’urgence, de choc, vous permettez à quelqu’un de basculer de l’impuissance à l’efficacité en quelques minutes. Redevenir actif enclenche aussitôt les mécanismes de résilience : il retrouve sur le site même de l’évènement traumatogène, un sentiment de contrôle, d’auto-efficacité et donc d’estime de lui-même et ce, en dépit de la peur et de l’effroyable sentiment d’impuissance qui l’a saisi et paralysé.

De fait, la moitié des personnes prises en charge avec la méthode 6C© versus une prise en charge classique basée sur un langage émotionnel ou empathique, n’ont pas développé de PTSD. Trouble qui peut se transmettre jusqu’à 3 génération(épigénétique).

Comment s’applique le protocole national israelien des 6C© ?

Le modèle intègre les concepts et les fondements neurobiologiques du stress et de la résilience en 6 stratégies d’intervention. Toutes débutent par la lettre C et permettent de basculer d’un mode passif à un mode actif et efficace.

  1. Commitment (= engagement)

C’est la stratégie pour lutter contre la solitude.

  1. Communication

C’est l’outil pour lutter contre la perception altérée de la réalité

  1. Cognition

Elle vise à contrer le débordement émotionnel (pleurs, irritabilité, colère, hyperventilation.) Le mécanisme physiopathologique en cause ici se résume essentiellement par l’hyperactivation des amygdales cérébrales (centre responsable des émotions, de la survie…) au détriment du cortex préfrontal (zone en charge de la planification, du raisonnement, des décisions…). Le but de l’approche cognitive est donc de sortir de cette surstimulation amygdalienne en ciblant le fonctionnement préfrontal. On ne demande surtout pas au patient d’exprimer le ressenti de son expérience ni ses émotions car cela entretiendrait la suractivation de l’amygdale.

  1. Continuity (Rétablir une continuité)

Elle permet de pallier au sentiment de confusion spatio temporelle et aux pensées répétitives. En situation de stress, le cerveau est inondé d’informations, ce qui peut entraver le séquençage chronologique des événements qui se sont déroulés ( flashback et phénomène de « comme si j’y étais encore »)

  1. Challenge et 6. Control

Pour lutter contre la passivité et la dépendance.

Pour ces deux derniers items, on accompagne le patient à retrouver un « état de capacité ». Les sujets dépendants ou passifs attendent une aide extérieure qu’il ne faut pas leur apporter au risque d’entretenir la problématique et d’être aggravant pour la victime.

Ce protocole est à la portée de tous. Dès l’âge de 7 ans, comme certaines vidéos des évènements israéliens ont pu montrer son application le 7octobre, mais aussi lors de la libération des otages où l’opération 6C© a été déployée de façon aigue pour leur retour de Gaza.

Les pogroms du 7 octobre 2023

L’actualité a donné une nouvelle ampleur à l’adversité israélienne puisque le 7 octobre ce pays qui n’est guère plus grand que la Bretagne a connu les pogroms les plus dévastateurs depuis la Shoah.

Comment ne pas penser à cette phrase de la Marseillaise :

« Ils viennent jusque dans vos bras
Égorger vos fils et vos compagnes ! Aux armes, citoyens ! « 

Et curieusement, lorsqu’en réponse à ces atrocités les Israéliens prennent précisément les armes comme chaque Français qui chante la Marseillaise le clame…lorsque les Israéliens les prennent pour se défendre, eux sont cloués au pilori.

Photo publiée sur le compte Instagram du Tsahal

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Pourtant, un samedi matin à l’heure où se réveille les fermes du sud d’Israel, des hordes en moto et 4×4 de sauvages enturbannés de vert ont semé sur des kilomètres de route des cadavres. Hamas et civils gazaouis sans distinctions se sont livrés à des meurtres, des viols et des immondices humaines. Ils ont massacré des jeunes gens venus célébrer une paix possible entre israéliens et palestiniens limitrophes lors d’un concert.

Hommes et femmes ont été violées, certaines tant de fois que leur bassin a été fracturé, des ciseaux ont été plantés dans leur sexe quand d’autres ont été torturées et empalées. Des yeux ont été sortis de leur orbites, d’autres civils ont été ligotés et massacrés à coups de crosse de kalach, les enfants le crâne éclaté. PENDANT les massacres, le Hamas était accompagné de journalistes qui commentaient en direct et se félicitaient.
Derrière eux, on entend les massacres, qu’ils filment et que la plupart des médias français refusent de partager contrairement aux Israéliens qui souhaitent montrer les réalités puis saisir, eux aussi, la cour internationale pour crimes contre l’humanité.

Le Hamas envoie ensuite sur les portables des familles des Otages les vidéos des actes de tortures qu’ils commettent sur eux à Gaza.
Environ 80% des corps récupérés portent des signes de torture. Deux tas de 10 enfants chacun, brûlés ensemble les mains liées, ont ainsi été retrouvés, .

Des femmes ont été éventrées enceintes devant les enfants, les fœtus extraits des corps puis décapités ; des petites filles violées devant leur mère. Des otages dont un bébé et des enfants en bas âge sont toujours à Gaza après 3 mois (vivants ?). Plus de 850 morts civils et encore des centaines en cendres qu’on cherche à identifier via ADN. Des caissons par dizaine remplis de corps pour autopsies.

Saviez-vous que dans un gilet pare-balles, sur le corps d’un terroriste du Hamas tué le 7 octobre, nous avons trouvé la tête d’un bébé qu’il venait de décapiter et qu’il voulait ramener chez lui comme souvenir ?
Saviez-vous que de jeunes hommes ont été retrouvés morts, les organes génitaux coupés et enfoncés dans la bouche ? Saviez-vous qu’une jeune fille a été sauvagement violée, puis qu’une arme à feu a été enfoncée dans ses parties génitales et que la balle tirée est sortie de sa tête ? Que dans une crèche on a trouvé 40 bébés. Leur tête à côté de leur corps et éventrés ont été découverts,
Des corps en morceaux, découpés sur lesquels les terroristes et leurs complices ont uriné ?

La réalité doit être DITES pour ne pas AJOUTER au malheur des Israéliens et la Cour pénale faire son travail pour acter des crimes contre l’humanité perpétré par le Hamas.

Comment ne pas penser à cette Algérie française qui a connue des modes opératoires absolument identiques à ceux commis sur les familles israéliennes des kibboutz du sud d’Israël ? L’omerta sur la guerre d’Algérie résonne comme un violent écho à la chappe de plomb qui s’est abattu aussi sur les réalités des horreurs commises le 7 octobre.

Et essayons seulement d’entrevoir le choc monstrueux pour les quelques survivants de la Shoah.

Evidemment, un nombre sans précédent d’environ 9 000 soldats y compris les réservistes ont demandé un soutien psychologique depuis le 7 octobre.

Quant à ce 7 octobre, il n’en finit pas et dure pour nous depuis 95 jours puisque les otages n’ont toujours pas été récupérés faisant de nous des impuissants en masse.

L’impuissance, le sentiment emblématique dans la perception d’un trauma.

Le pays et les juifs partout dans le monde vivent depuis le 7 octobre une temporalité très perturbée, un ralentissement temporel, ce sentiment d’un jour qui n’en finit pas. Cette perception altérée de la réalité est commune à tous ceux avec qui j’ai échangé. Serons-nous tous traumatisés, impliqués directs et indirects ? Probablement pour bon nombre mais, néanmoins, j’ai la conviction qu’à l’échelle collective cette ignominie sera facteur de croissance pour Israel.

Un jour.

L’expertise israélienne en urgence et en santé mentale au service de tous

Être en capacité d’apporter les 1ers secours physiques et psychologiques c’est être un citoyen autonome et la résilience passe par l’autonomie d’action. Nul besoin d’être un professionnel de santé pour pratiquer un massage cardiaque, pour peu qu’on ait été formé au PSC1. L’analogie est la même avec le protocole 6C©.Il s’agit de réduire ou d’arrêter l’hémorragie émotionnel afin de permettre à l’individu de fonctionner normalement et efficacement. Au point de retourner à sa routine c’est-à-dire à l’activité qui était la sienne juste avant le choc traumatogène.

La passivité affaiblit et renforce le sentiment d’impuissance. C’est la préparation à l’adversité qui renforce l’individu, le citoyen. Au-delà du 6C, c’est une réflexion de fond sur la société que nous voulons. Celle de l’assistanat ou celle de l’autonomie ? Israel a déjà répondu et l’Europe, au regard du niveau de violences qui la frappe n’aura d’autre choix que de faire face et d’aguerrir. A défaut elle ne survivra aux puissantes intentions obscurantistes et destructrices.

Pour connaitre et aimer ces 2 pays profondément que sont la France et Israel, un peuple, un pays n’est pas résilient par hasard.

Au risque de déplaire, la communauté qui, de mon point de vue, s’intègre le moins bien aux Israéliens en Israël est la communauté française, en raison de son absence de pragmatisme et d’une délicatesse culturelle qui dans un pays en guerre ou un continent confronté à une haine de l’autre extrême est un handicap et non plus un atout.
5783 années que le peuple juif est l’objet de haine.  Néanmoins toujours en vie. Parfois amputé, parfois tremblant, parfois blessé mais toujours pérenne et refleurissant sur ses cendres…

Faire face à l’adversité, être un citoyen préparé et autonome. Être un peuple résilient.

La résilience des Israéliens peuple n’est pas due au hasard. Il y a la foi comme facteur de protection, la cohésion sociale très forte et il y a la posture face à l’adversité.

Les Israéliens en particulier se relèvent toujours. Ils sont toujours actifs. Toujours. Dès le 8 octobre, le demain des pogroms du Hamas, un tsunami d’actions solidaires est venu contrer le sentiment d’impuissance national des civils face aux massacres de jeunes et de familles entières dans les kibboutz du sud du pays. L’action efficace donne aux Israéliens un sentiment d’auto efficacité et d’estime fort renforcé par une éducation scolaire qui apprend à anticiper, à faire face à l’adversité dès l’arrivée de la menace, dès l’âge de 7 ans.

L’auteur du Protocole national israélien, référent gouvernemental pour les opérations d’urgence estime qu’il y a 2 apprentissages qu’il nous faut développer pour augmenter nos aptitudes à résilier rapidement : Enclencher la bonne posture dès la menace donc dès la situation de choc et s’entraîner à la cohérence cardiaque avant la menace ou 24h plus tard.

Pourquoi ? Parce que nous avons 2 grands vecteurs de résilience : psychologiques et physiologique (le nerf vague cf théorie polyvagale)
Au-delà de l ‘outil indispensable que représente cette méthode pour les primo-intervenants confrontés à la menace et au risque fort de PTSD et donc de crise suicidaire, chaque citoyen, au même titre qu’il est formé aux premiers gestes physiques doit se former aux premiers secours psychologiques afin d’être un citoyen AUTONOME. Pour rester efficace en situation de menace de mort, réduire le risque de développer des pathologies post traumatiques et enclencher les mécanismes de résilience fonctionnelle.

L’adversité, les traumas font partie de la vie. Voulons-nous nous affaiblir ou nous aguerrir ? Dans les deux cas il y aura un prix à payer. Notre rôle avec le protocole national israélien 6C ©️ est de nous aguerrir et de rester actifs et efficaces en situation de détresse émotionnel. De basculer de l’impuissance liée au choc à un retour à un fonctionnement normal et efficace afin de se relever, de poursuivre notre « routine » avec le moins de dommages psychologiques possibles.

Et pour ceux qui en ont les ressources de transformer un jour leur PTSD en ressources et compétences qu’ils n’auraient probablement jamais eu sans lui.

Bibliographie non exhaustive :

  • Farchi, Gorneman, Ben H., levy, Talg, Whitreson, Adi, Gerson, Bella Ben, Gidron, Yori (2018) The SIXCs Model for immediate Cognitive Psychological First Aid.International Journal of Emergency Mental Health and Human Resilience, 1-12.
  • Psychological First Aid Training ; A scoping Review of its Application, Outcomes and Implementation, from International Journal of Environmental Research and Public Health.
  • Etude chinoise sur 3 protocoles d’urgence 2021 : Wang, L.; Norman, I.; Xiao, T.; Li, Y.; Leamy,
  • Psychological First Aid Training: A Scoping Review of Its Application, Outcomes and Implementation. Int. J. Environ. Res. Public Health 2021, 18, 4594. https:// doi.org/10.3390/ijerph18094594
  • Farchi, Gidron (2010) The effects of psychological inoculation, versus ventilation on the mental resilience of israeli citizens under continuous war stress.Journal of Nervous &Mental Disease, (1985)
  • Developing specfic self efficacity and resilience as first responders among students of social work and stress and trauma studies (Mai 2014)
  • The sixc model for immediate cognitive psychological first aid : from helplessness to active efficient coping (2018)
  • Yahalom training in the military Epub 2019

(*) Emmanuelle Halioua est la représentante officielle du Protocole national israélien de premiers secours psychologiques d’urgence le 6C ©️/SIXC, tant en France qu’à l’International dans les secteurs civil et militaire.
Avec 25 années d’expérience clinique et terrain en situations réelles de danger, elle est spécialisée dans la prise en charge du PTSD/TSPT en thérapie et en interventions en 1ers secours en santé mentale. Formée en Israel par le Lt Colonel et Pr Farchi, auteur du protocole national israélien de 1ers secours psychologiques, responsable au sein du gouvernement des opérations d’urgence en santé mentale, Maitre de conférence et Président de l’ ICFR dédié à la recherche sur la résilience fonctionnelle.
E.Halioua est formée aux Psycho trauma aux côtés du Dr Gérard Lopez, à la faculté de Médecine de Paris René Descartes et à la faculté de Tel Hai en Israel. Formée à la Thérapie Systémique école de Palo Alto au sein de l’Institut Gregory Bateson (Mental research Institut). Formée aux TCC. Formée à l’Hypnose médicale. Depuis 3 ans elle enseigne en France la méthode israélienne nationale dites des SIXC/6C©. Présidente d’un organisme de formation, elle est également Instructeur du 6C© et dirige une équipe française de formateurs à la méthode.

Emmanuelle Halioua
Contact : e.halioua@protocolesixc.org

«Pour un service national obligatoire qui ne soit pas seulement militaire»

«Pour un service national obligatoire qui ne soit pas seulement militaire»


«Pour cela, une grande politique de réarmement moral, militaire et civique doit être entreprise.»

«Pour cela, une grande politique de réarmement moral, militaire et civique doit être entreprise.» Dragoș Asaftei / stock.adobe.com

FIGAROVOX/TRIBUNE – Face aux bouleversements géostratégiques en cours, le général de La Chesnais, ancien major général de l’armée de terre, plaide pour relancer un service national opérationnel obligatoire, différent de l’ancien service militaire, et refonder la défense opérationnelle du territoire.

Ancien numéro deux de l’armée de terre, le général (2S) Bertrand de la Chesnais a été directeur de la campagne présidentielle d’Éric Zemmour.


Après la chute du Mur de Berlin, les budgets de défense de la France sont tombés à 1,7% du PIB. Il a fallu attendre 2015 pour que la tendance s’inverse sous la pression des attentats terroristes. Et depuis le printemps 2022, nous vivons un véritable retournement stratégique. Mais cette prise de conscience est encore bien timide : le budget de la défense atteint péniblement 1,9% du PIB et la prochaine LPM 2024-2030 poursuit une trop lente remontée.

L’armée française dispose certes d’une «armée complète», mais constituée d’échantillons de capacités, sans masse ni réserve. Or, les conflits d’aujourd’hui nous démontrent que, pour tenir dans la durée, il nous faut du nombre et de la Réserve.

Il y a aujourd’hui urgence ! Alors que notre stratégie a été durant des années d’aller chercher nos ennemis au plus loin, à la racine (Afghanistan, Moyen Orient, Sahel), nous sommes aujourd’hui contraints de les combattre sur le continent européen comme sur notre sol, (Sentinelle, Ukraine). Demain, devrons-nous combattre y compris dans nos villes ? Face à un ennemi diffus qui se manifeste à travers des attaques terroristes et des émeutes, les forces de l’ordre seraient-elles suffisantes ?

Puisque nous sommes contraints d’abandonner l’ère de l’armée de projection, l’heure est venue de réfléchir à l’armée dont a besoin notre nation pour faire face aux dangers d’aujourd’hui. Ce changement de paradigme nécessiterait, à l’évidence, un nouveau livre blanc et un plan aussi ambitieux que celui qui a été mis en place après-guerre pour nous doter de l’armement nucléaire autonome.

Mais le temps long ne nous exonère pas de prendre des mesures immédiates, justement pour être au rendez-vous de l’histoire. Il est certes urgent de rééquiper nos armées pour mener une guerre de haute intensité à laquelle elles ne sont absolument pas prêtes, mais il est impératif de faire tomber deux tabous que n’ose affronter l’intelligentsia, tant militaire que politique :

– remettre en place un véritable service national opérationnel obligatoire pour l’ensemble d’une classe d’âge ;

– et renouveler de fond en comble la défense opérationnelle du territoire, pour préparer l’armée à combattre un ennemi sur notre territoire, aux côtés des forces de l’ordre.

Et pourtant, un service national opérationnel, obligatoire pour tous au sein d’une classe d’âge, aurait de multiples avantages qui dépassent largement toutes les difficultés soulevées.

L’ancien premier ministre Édouard Philippe a lancé un pavé dans la mare il y a peu en indiquant que l’idée d’un service militaire était une possibilité à étudier à condition qu’il ait un intérêt sur le plan militaire. D’autres soulèvent les questions de coûts pour répondre aux besoins d’infrastructure, d’encadrement et d’équipement que nécessiterait la remise en route d’un tel service. D’autres des questions de faisabilité pratique face à l’ampleur d’une classe d’âge : près de 800.000 jeunes, garçons et filles, à encadrer. Les derniers, enfin, craignent qu’on arme ceux-là mêmes que l’on pourrait avoir à combattre demain. Il est certain que si on commence par additionner les difficultés, il vaut mieux ne rien faire.

Et pourtant, un service national opérationnel, obligatoire pour tous au sein d’une classe d’âge, aurait de multiples avantages qui dépassent largement toutes les difficultés soulevées. Ici, tous les mots ont leur importance : service pour gratuité et sens ; national pour action collective répartie dans les services régaliens de l’État ; opérationnel pour efficacité immédiate et dans la durée, au minimum 6 mois ; obligatoire pour garçons et filles.

Le bon sens populaire appelle de ses vœux le « retour du service militaire », même s’il n’en voit pas forcément l’intérêt opérationnel. À l’inverse, l’institution militaire, et la plupart des décideurs politiques ou chercheurs et analystes, y sont généralement opposés pour les raisons évoquées plus haut. Pour éviter de penser autrement, ils rappellent avec force comme unique argument que la vocation d’un service militaire n’est pas de faire de la cohésion sociale. Il convient pourtant d’admettre que cela reste une vertu secondaire importante qui participe de la résilience de la nation ; les exemples d’Ukraine et d’Israël nous le montrent.

Il reste à imaginer comment utiliser cette force humaine que constituerait un contingent de près de 400.000 jeunes de 18 à 25 ans, dont la composante militaire ne serait qu’une branche. Ma suggestion est de commencer par une sélection précise et approfondie sur tous les plans, physique, scolaire, sécuritaire, social, afin de déterminer les aptitudes et restrictions, notamment au service des armes, pour définir l’affectation qui sera proposée au jeune.

La répartition de cette demi-classe d’âge doit correspondre à des besoins opérationnels au regard des menaces à venir ou potentielles et des missions régaliennes ou d’urgence de l’État. Il est donc proposé de répartir le contingent dans les armées (100.000) pour répondre à leurs besoins, notamment pour la défense opérationnelle du territoire ; dans les forces de sécurité, police, gendarmerie et douanes (100.000), pour renforcer leur présence au quotidien ; dans les corps non armés (100.000) tels que les Pompiers, les Eaux et Forêts, gardes côtes et gardes de Parcs naturels, pour reprendre pied sur l’ensemble du territoire ; dans les services de proximité, enfin, en mairie, dans les services dédiés aux personnes âgées et dans les services sociaux publics ou musées, afin de combler les déficits que nous connaissons et de tenir compte des inaptitudes, tout en permettant à chacun de se mettre au service d’une cause nationale.

À l’issue de son service, le contingent serait automatiquement affecté dans la Garde nationale pour une durée active de 5 ans, afin de servir comme réserviste rappelable 2 semaines par an quel que soit son emploi. Ainsi, outre la mission opérationnelle immédiate remplie par le service national obligatoire, celui-ci nourrira la réserve opérationnelle nécessaire à la mobilisation de la nation en cas d’attaque et fournira ainsi le réservoir indispensable pour tenir dans la durée en cas de conflit et d’assurer la continuité des services de l’État.

Ni la Gendarmerie, ni l’armée n’ont le volume suffisant pour assurer cette mission. Il faut donc créer à nouveau des unités dédiées, afin de laisser à l’armée d’active sa capacité d’action en cas de conflit de haute intensité.

La défense opérationnelle du territoire (DOT) vise à tenir notre pays, préventivement ou en réaction à un ennemi dévoilé, en disposant de forces militaires connaissant le terrain. En le sillonnant régulièrement, elles sont susceptibles d’agir de manière décentralisée en cas de morcellement de notre pays ou de dysfonctionnement de l’État.

Or, ni la Gendarmerie, ni l’armée n’ont le volume suffisant pour assurer cette mission. Il faut donc créer à nouveau des unités dédiées, afin de laisser à l’armée d’active sa capacité d’action en cas de conflit de haute intensité. C’est là que prend toute la valeur opérationnelle du service militaire, au sein d’un service national obligatoire.

Un régiment par département serait placé sous le commandement opérationnel des zones de défense dont la DOT est une des missions principales. Les unités élémentaires doivent disposer de casernements répartis sur le département avec une autonomie d’action leur permettant d’agir de façon autonome et isolée, tout en étant coordonnées par leur colonel au niveau du département. Ce quadrillage de l’ensemble du territoire sera la force préventive qui débusquera l’adversaire quel qu’il soit, trafics, réseaux, zones refuge, qui pourront être traités par les forces de l’ordre dont cela reste la mission ou des forces d’intervention d’active en cas d’agression caractérisée. Cela permettra, en cas de déclenchement d’un conflit sur notre sol, de maintenir la résilience de la nation et des services déconcentrés de l’État.

Revenir sur les idées reçues, préparer sans tabou la guerre de demain qui sera sur notre sol en faisant en sorte que l’ensemble des forces de résilience de la nation soient non pas armées par un petit nombre mais par la nation entière. Nous aurons ainsi les moyens de tenir dans la durée et en autonomie, tout en renforçant la cohésion de notre nation par la participation de tous.

Pour cela, une grande politique de réarmement moral, militaire et civique doit être entreprise. Nos anciens ont su le faire pour relever notre pays au lendemain de la Seconde guerre mondiale, nous pouvons le faire, c’est une question de choix politique. C’est surtout une urgence !

Les signes d’une possible future guerre entre la Russie et l’OTAN

Les signes d’une possible future guerre entre la Russie et l’OTAN

https://www.slate.fr/story/258801/signes-probable-future-guerre-russie-otan-menace-poutine-ukraine-armement-europe


Un conflit lancé par le Kremlin contre un État membre de l’Alliance transatlantique n’est pour l’heure que de la fiction. Mais une fois la guerre en Ukraine passée et la Russie réarmée, la menace sera extrêmement forte.

 

Le président russe Vladimir Poutine porte un toast avec des militaires, représentants des branches des forces armées russes participant à la guerre en Ukraine, lors d'une réunion à la résidence d'État de Novo-Ogaryovo, près de Moscou, le 1er janvier 2024. | Gavriil Grigorov / agence Sputnik / pool / AFP
Le président russe Vladimir Poutine porte un toast avec des militaires, représentants des branches des forces armées russes participant à la guerre en Ukraine, lors d’une réunion à la résidence d’État de Novo-Ogaryovo, près de Moscou, le 1er janvier 2024. | Gavriil Grigorov / agence Sputnik / pool / AFP

En Ukraine, le gouvernement de Kiev dénonce le non-respect par la Russie des dispositions consécutives à l’accord de paix du printemps 2025. Prétextant un blocus inacceptable de l’oblast de Kaliningrad par la Lituanie et la Pologne, la fédération de Russie lance une attaque surprise contre les pays baltes, le 1er novembre 2028. En quelques heures, les armées d’Estonie, de Lettonie et de Lituanie subissent de lourdes pertes. L’article 5 de la charte de l’OTAN est aussitôt invoqué –celui-ci prévoyant une assistance mutuelle en cas d’agression armée envers un des membres de l’Alliance transatlantique.

Le lendemain, la Pologne déclare la guerre à la Russie. Confrontés directement à une guerre de haute intensité, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni consultent la Maison-Blanche avant de s’engager dans le conflit. Le 4 novembre, Donald Trump s’exprime pour la première fois sur la situation: il vient de s’entretenir avec le président russe qui lui a promis la cessation des hostilités en échange d’une sortie des pays baltes de l’OTAN et de la protection des résidents russophones.

Bien sûr, ce scénario est une fiction. Mais pour combien de temps?

Le grand mensonge des guerres que l’on ne voit pas venir

Depuis la guerre de Troie, les historiens ont cette fâcheuse habitude d’exagérer le caractère «imprévisible» ou «inattendu» d’une guerre: invasion de la Pologne en septembre 1939, attaque de Pearl Harbor en décembre 1941, plus récemment «l’opération militaire spéciale» en Ukraine en février 2022, ou encore l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre 2023.

Pourtant, à chaque fois, les signes étaient là. Adolf Hitler avait déjà réarmé la Rhénanie en mars 1936 (en violation du traité de Locarno de 1925) avant de réaliser l’Anschluss (l’annexion de l’Autriche) en mars 1938. En juillet 1941, les avoirs des Japonais avaient été gelés aux États-Unis, l’archipel nippon avait rejoint les forces de l’Axe en septembre 1940 et était soumis à un embargo total sur le pétrole et l’acier, qui menaçait son économie de guerre.

Plus proche de nous, beaucoup d’Ukrainiens –par exemple, Oleksiy Arestovych, ancien conseiller du président ukrainien Volodymyr Zelensky– s’attendaient à une invasion russe. Enfin, l’attaque du Hamas du 7 octobre avait été anticipée par les services de renseignement égyptiens, saoudiens, américains et même israéliens, puisque le Shin Bet et le Mossad avaient identifié certains signes et que le Premier ministre Benyamin Netanyahou était au courant.

Comme le dit le statisticien et théoricien Nassim Nicholas Taleb, les «cygnes noirs» sont avant tout le fait d’un biais cognitif, c’est-à-dire l’incapacité des populations et de leurs dirigeants à appréhender des faits qui ne correspondent pas à une structure narrative établie.

L’invasion de l’Ukraine est la première étape d’un projet de reconstitution des frontières de l’Empire russe.

Ainsi, loin de la réalité complexe, «fractale», du terrain, la guerre en Ukraine peut, elle aussi, être interprétée comme une séquence de discours narratifs, marqueurs du biais cognitif du moment:
1. Avant le 24 février 2022: la guerre n’aura pas lieu.
2. Du 24 février au 1er mars 2022: la Russie va décapiter le régime ukrainien.
3. De mars à novembre 2022: le danger de la Russie a été surestimé.
4. De novembre 2022 à septembre 2023: l’Ukraine va repousser l’ennemi.
5. Depuis septembre 2023: la guerre est bloquée.

En demandant des négociations censées mettre fin au conflit, les «partisans de la paix», pétris de bonnes intentions ou non, ne font qu’exacerber le spectre d’une guerre encore plus dramatique. L’invasion de l’Ukraine est certainement la première étape d’un projet de reconstitution des frontières et de la zone d’influence de l’Empire russe (1721-1917) et de la restauration de sa grandeur passée. Pour cela, l’OTAN doit disparaître, l’Union européenne doit se diviser et l’appareil militaire russe doit être modernisé et démultiplié.

Tant que le conflit ukrainien dure, la Russie ne peut pas se permettre un second front en Europe (moyens, effet de surprise, etc.). La guerre finie, le Kremlin, fort des leçons tirées du conflit ukrainien, travaillera à reconstituer ses stocks et ses équipements, de façon à préparer le prochain assaut sur les anciennes républiques soviétiques, probablement avec une attaque sur les pays baltes, membres de l’OTAN. On entrerait dans une nouvelle dimension.

Entre trois et dix ans avant la prochaine guerre avec la Russie

L’économie de l’OTAN est à peu près vingt fois plus importante que celle de la Russie, celle de l’Europe dix fois. Et pourtant, à titre de comparaison, la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne et l’Italie ne peuvent aligner qu’un maximum de 1.000 chars de combat, contre 6.000 à 7.000 chars russes. Depuis février 2022, l’armée russe aurait perdu plus de 2.600 tanks, donc 2,5 fois le total de l’arsenal équivalent des quatre plus grosses économies d’Europe!

Et les usines russes fonctionnent à pleine capacité: Russes produisent en ce moment soixante chars d’assaut par mois, ce qui signifie qu’ils sont capables de fabriquer en un trimestre la totalité des tanks français! Rarement dans l’histoire a-t-on vu un tel décalage entre la puissance économique et la production d’armement.

Et, après le choc de février 2022, au lieu de se résorber, ce décalage s’accentue… Ainsi, les rapports alarmistes se multiplient, d’abord aux États-Unis et au Royaume-Uni. Mais c’est la publication en novembre 2023 d’un rapport du Conseil allemand sur la politique étrangère (DGAP), un groupe de réflexion basé à Berlin, qui a fait couler beaucoup d’encre. L’institut berlinois imagine cinq scénarios de réponse de l’OTAN face au danger du réarmement russe, avec une menace maximale estimée entre cinq et dix ans.

Les analystes du DGAP préconisent une force de l’OTAN de 300.000 hommes à haut niveau de préparation (contre 10.000 soldats répartis dans huit groupements tactiques en Europe de l’Est). Or, ce chiffre avait déjà été annoncé par Jens Soltenberg, secrétaire général de l’OTAN, il y a plus d’un an en juin 2022, mais rien n’a avancé.

La Pologne et les pays baltes semblent vivre dans une période distincte de celle des pays d’Europe occidentale.

Pour Jacek Siewiera, chef du Bureau de sécurité nationale polonais, un délai de cinq à dix ans avant la prochaine attaque russe est trop «optimiste». Il estime le risque entre trois et cinq ans. Le réarmement russe est beaucoup trop rapide, la procrastination des pays d’Europe occidentale réelle et la position américaine trop imprévisible. Alors, que faire? Pour le moment, en Europe, seule la Pologne, l’Estonie et la Lituanie semblent prendre la mesure de la menace.

Avec un budget de 4% de son produit intérieur brut (PIB) qu’elle s’était engagée à dépenser en 2023 en matière de défense, la Pologne est le seul pays européen qui a clairement joint la parole à l’acte. Initié par le gouvernement ultra-conservateur et nationaliste de Mateusz Morawiecki, l’effort polonais de réarmement (armée passant de 115.000 à 300.000 hommes, achats de 96 hélicoptères Apache, 116 tanks Abrams, de lance-missiles Himars…) est poursuivi, voire même accéléré, par le nouveau gouvernement de centre-gauche de Donald Tusk.

Par contraste, l’Allemagne, qui parlait en février 2022 d’un investissement additionnel de 100 milliards d’euros, a en réalité investi 1,5 milliard pour le moment. Le Royaume-Uni a seulement augmenté son budget défense de 5 milliards de livres (environ 5,8 milliards d’euros) et continue à diminuer la taille des effectifs dans tous les corps de son armée.

Quant à la France, la nouvelle loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 prévoit un budget de 413,3 milliards d’euros, soit 40% de plus que les 295 milliards d’euros de la précédente LPM –mais ces montants résisteront-ils aux coupes de Bercy? Tout se passe comme si la Pologne et les pays baltes vivaient dans un temps historique distinct de celui des pays d’Europe occidentale.

L’imbroglio du Pacifique

À une situation déjà complexe viennent s’ajouter d’autres variables. La première, c’est Taïwan. Dans son discours du Nouvel An, le président chinois Xi Jinping a renouvelé son vœu de réunification de l’île avec la Chine continentale. Selon les analystes américains, la Chine atteindra un degré de modernisation et de projection militaire «optimal» vers 2026-2028. Tandis que les États-Unis seraient prêts à une guerre aéronavale de grande ampleur dans le Pacifique à partir de 2028-2029 (programme Next Generation Air Dominance de développement d’un nouveau chasseur, nouveau bombardier stratégique B-21 Raider, etc.).

Ensuite, il y a la nouvelle dégradation des relations sur la péninsule coréenne, avec, en parallèle, l’aide de la Corée du Nord à la Russie. Et enfin, il y a l’énigme Donald Trump. On sait que l’ancien président des États-Unis, s’il est «réélu», accélérera encore davantage les dépenses militaires, tout en restant hostile à la guerre.

Au Proche-Orient, on connaît déjà sa politique: il offrira un soutien encore plus inconditionnel à Israël. En Asie, Donald Trump cherchera à contenir les ambitions de la Chine. Et il cessera l’aide à l’Ukraine, tout en cherchant une solution négociée à la guerre, offrant la voie libre à Vladimir Poutine pour relancer ses ambitions. Or, même si Donald Trump n’est pas élu, les États-Unis ne pourront pas conduire trois guerres simultanément. Or, entre Israël, Taïwan et l’Ukraine, le choix des Républicains est déjà fait.

Ainsi, la Chine a tout intérêt à soutenir la Russie sur le théâtre européen, de façon à mobiliser les États-Unis sur plusieurs fronts. La Russie pourrait être tentée d’encourager l’ouverture d’un nouveau conflit sur la péninsule coréenne pour les mêmes raisons, ce qui n’arrangerait pas la Chine, peu amène à l’idée d’une guerre à sa frontière. Et si Vladimir Poutine et Benyamin Netanyahou, pour des raisons «opposées», souhaitent à tout prix la victoire de Donald Trump, ce n’est pas nécessairement l’avis de la Chine, soucieuse d’un possible désengagement sur le front européen qui n’arrangerait pas ses affaires.

Contre-la-montre

Il y a trois décennies, la fin de la Guerre froide a correspondu en Europe à une explosion de l’endettement et des dépenses sociales, en grande partie liées au vieillissement des populations et à l’absence de croissance économique. Pour nombre de gouvernements de l’UE, les budgets de la défense sont devenus une variable comptable. Résultat: plus de trente ans de désarmement sans précédent dans l’histoire.

Si le choc de l’«opération militaire spéciale» de la Russie a suscité un légitime émoi et a permis l’envoi de dizaines de milliards de dollars/euros en aide financière et militaire à l’Ukraine, ceci s’est fait avant tout au détriment des stocks existants. On a donc beaucoup parlé et, à l’exception notable de la Pologne et de l’Estonie, les actes n’ont pas suivi les paroles. Les dirigeants européens n’ont pas encore compris la gravité de ce qui se passe en Russie: transformation du pays en économie de guerre, généralisation du discours ultranationaliste, endoctrinement à l’école, contrôle total des médias et de la société

Face au plus gros danger menaçant l’UE depuis la Seconde Guerre mondiale, la reconstruction de l’appareil militaire européen est la première priorité du continent. Comme le dit le rapport du DGAP, la course contre-la-montre a déjà commencé.

La cyberdéfense militaire française à l’épreuve des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024

La cyberdéfense militaire française à l’épreuve des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024

Par Sébastien Baptiste – Diploweb – publié le 7 janvier 2024 

https://www.diploweb.com/La-cyberdefense-militaire-francaise-a-l-epreuve-des-Jeux-Olympiques-et-Paralympiques-de-2024.html


L’auteur s’exprime ici à titre personnel. Sébastien Baptiste sert en qualité d’officier dans l’armée de Terre (France). Diplômé de l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr, il a été affecté au Centre d’Analyse en Lutte Informatique Défensive (CALID) au sein du Commandement de la Cyberdéfense (COMCYBER). Pendant trois ans, il a pris part à des exercices de cyberdéfense internationaux et à des opérations de lutte informatique défensive (LID). Il y a occupé le poste d’analyste en investigations numériques, d’adjoint et de chef de groupe d’intervention cyber (GIC).

Le cyberespace est le théâtre d’une guerre permanente. C’est aussi le support principal des échanges sociaux et économiques, faisant de chaque cyberattaque un facteur de déstabilisation du quotidien. Les Etats et les groupes organisés qui y ont recours font preuve de toujours plus d’audace, frappant avec une apparente impunité. La défense semble désavantagée du fait de son coût d’installation et de mise en œuvre mais surtout, elle n’a pas l’initiative. Un adversaire n’a besoin que d’une faille et choisit quand il l’exploite. Le défenseur doit surveiller l’entièreté de son périmètre, et ce constamment. Les systèmes militaires ne sont pas épargnés, et font quotidiennement objets d’actions malveillantes. A l’approche des Jeux Olympiques et Paralympique de 2024 (JOP 2024), cet article vise à identifier les enjeux de la cyberdéfense militaire dans la préparation aux menaces de demain.

LORS de ses vœux aux armées du 20 Janvier 2023 à Mont-de-Marsan, le président Emmanuel Macron a annoncé un effort majeur dans le domaine militaire en dessinant les orientations de la future Loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030. Les armées disposeront de 413 milliards d’euros entre 2024 et 2030, soit 128 milliards de plus que la LPM 2019-2025. Après la « réparation », effet majeur de la LPM actuelle, le président veut une « transformation » autour de quatre pivots, pour adapter les moyens des forces armées aux dangers de demain.

Dans le premier de ces pivots, il évoque la cyberdéfense. Plus précisément, le président annonce vouloir « doubler [la] capacité de traitement des attaques cyber majeures » [1]. Cette ambition aux accents militaires fait écho au volet cyber de France 2030, qui prévoit « d’allouer plus d’un milliard d’euros afin de faire de la France une nation de rang mondial dans la cybersécurité » [2]. La concordance de ces mesures civiles et militaires témoigne de la prise de conscience généralisée, bien que tardive, d’une menace grandissante envers les intérêts français dans le cyberespace.

Cet article présente la cyberdéfense militaire dans la perspective des JOP 2024, et détermine comment celle-ci pourra faire face aux attaques futures. Après une étude générale des attaques et de la défense dans le cyberespace, l’article identifie et traite deux enjeux : la coordination des unités de cybersécurité et l’augmentation en nombre de personnel qualifié.

I. L’évolution du cyberespace, de l’attaque à la défense

Le cyberespace est le support de la société sous toutes ses facettes, en particulier sociale et économique. Les données et les ressources qu’il héberge sont donc naturellement les cibles d’acteurs malveillants. Cette tendance étant vouée à s’accroitre, investir dans la cybersécurité relève de la nécessité.

Des attaques toujours plus nombreuses contre les entités gouvernementales

Les attaques informatiques sont toujours plus nombreuses, insidieuses et dévastatrices. Elles ont occasionné deux milliards d’euros de dégâts pour l’économie française en 2022, selon une étude d’Asterès [3]. Baromètre gouvernemental créé par l’Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information (ANSSI), la plateforme cybermalveillance.gouv.fr note des hausses de 54% sur les attaques par hameçonnage (méthode pour obtenir du destinataire d’un courriel des informations confidentielles) et de presque 100% sur le piratage de compte entre 2021 et 2022. Elle note néanmoins une baisse de 16% du nombre d’attaques par rançongiciel.

Les systèmes d’information gouvernementaux et militaires sont des cibles de choix. En effet, ils collectent les données de leurs utilisateurs (citoyens, patients, militaires), lesquelles ont une grande valeur marchande. Une fois piratées, elles sont régulièrement en vente sur le Darkweb après l’habituelle tentative d’extorsion. Au-delà de l’appât du gain, les attaques contre des entités gouvernementales ou militaires visent aussi à obtenir du renseignement et du sabotage.

L’attribution d’une attaque est compliquée, son coût est relativement faible et les effets obtenus potentiellement critiques. Logiquement, les acteurs étatiques et les groupes organisés qui y ont recours ont augmenté leurs activités dans cette branche. L’invasion de l’Ukraine par la Russie marque une intensification historique dans la contestation d’un monopole occidental sur la marche du monde. Le cyberespace en est un champ de conflictualité : un rapport de Mandiant note une augmentation de 250% des cyberattaques russes contre l’Ukraine en 2022 par rapport à 2020, et de 300% contre les pays de l’OTAN sur la même période [4].

Bien sûr, ces statistiques sont biaisées car seules les cyberattaques découvertes sont comptabilisées. Leur proportion vis-à-vis de la totalité des cyberattaques est difficilement quantifiable, et ce d’autant plus que la tendance des adversaires est de favoriser la discrétion. Le rapport des menaces 2022 de l’ANSSI décrit un adversaire « toujours plus performant » cherchant désormais davantage « des accès discrets et pérennes » [5].

La cybersécurité, effet stratégique majeur

Conscients de l’enjeu, les acteurs civils et militaires ont renforcé les trois piliers de la cybersécurité : cyberrésilience, cyberprotection et cyberdéfense.

Premières lignes de défense, la cyberprotection et la cyberrésilience sont des priorités nationales. La cyberprotection augmente le niveau de sécurité par la sensibilisation des utilisateurs, la gestion du chiffre, la réglementation et les homologations. Elle repose aussi sur une veille technologique pour connaitre les failles découvertes et les corriger sur son périmètre. La cyberrésilience permet à un système attaqué sinon de continuer son service pendant une attaque, du moins de rapidement se remettre des dégâts occasionnés. Dans une logique de défense en profondeur, la cyberdéfense décèle et met fin à une attaque en cours. Les unités de renseignement jouent un rôle crucial dans le cyberespace. En amont d’une attaque, ils traitent le renseignement d’intérêt cyber (RIC) sur les adversaires de la France et sur leurs modes opératoires d’attaque (MOA). Pendant et après l’attaque, ils collectent le renseignement d’origine cyber (ROC), c’est-à-dire les éléments techniques de l’attaque. Selon le président Macron lors de son discours à Mont-de-Marsan, la loi de programmation militaire pour 2025-2030 augmentera le budget des unités de renseignement de 60% à 100% [6].

Il faut noter que toutes ces spécialités cyber souffrent d’un manque en ressources humaines. En 2021, le cabinet Wavestone estimait que 15 000 postes étaient à pourvoir dans ce domaine en France, et 3,5 millions dans le monde. Le recrutement est le principal défi de la LPM 2024-2030 ; nous y reviendrons.

La multiplication des incidents cyber

Notre environnement physique est marqué par une numérisation croissante. Appelé « Tout connecté » dans le monde civil et Numérisation de l’Espace de Bataille (NEB) par l’Armée de Terre, ce phénomène augmente la surface d’attaque des systèmes d’information. Il faut aussi considérer l’augmentation du nombre d’attaques, ainsi que l’intensification des efforts consacrés à la cybersécurité et au renseignement. Dans l’intervalle 2024-2030, il est probable que les défenseurs trouveront plus fréquemment les adversaires ayant compromis des systèmes d’informations militaires qu’auparavant.

Facteur aggravant, la France accueille un évènement d’envergure mondiale qui attire les cyberattaques : les Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 (JOP 2024). L’évènement mondial est une cible récurrente pour porter atteinte à l’économie, à la stabilité et au prestige du pays hôte. Malgré le caractère civil de cet évènement, plusieurs éléments laissent penser que la cyberdéfense militaire est susceptible de porter assistance à des défenseurs civils si ceux-ci viennent à être débordés. Cette hypothèse s’appuie sur les déclarations du chef d’état-major des armées (CEMA) [7] , sur la LPM 2024-2030 qui prévoit « un appui militaire à l’ANSSI en cas de crise cyber majeure » [8] mais aussi sur la « règle des 4i », c’est à dire les conditions pour mobiliser des moyens militaires lorsque les moyens civils sont « indisponibles », « insuffisants », « inadaptés » voire « inexistants ».

Quel meilleur moment pour porter atteinte aux instances gouvernementales ou militaires que celui où ses défenseurs sont déjà débordés ?

Un scénario catastrophe dans le cyberespace pendant les JOP est tout à fait envisageable. Les organisateurs de la session de 2016 à Rio ont dénombré plus de 50 millions d’attaques, selon un article du Point du 12 juillet 2023 [9]. Ceux de Tokyo en 2021 en ont signalés plus de 350 millions, et Bruno Marie-Rose, directeur de la technologie de Paris 2024, s’attend à un nombre 8 à 10 fois supérieur : au moins 3 milliards de cyberattaques. D’après le retour d’expérience des deux dernières sessions, il faut s’attendre à des tentatives de piratages de sites gouvernementaux, des attaques par dénis de service et des attaques par rançongiciel. Il faut aussi anticiper des attaques plus évoluées, voire étatiques : quel meilleur moment pour porter atteinte aux instances gouvernementales ou militaires que celui où ses défenseurs sont déjà débordés ?

Comme le rappelait le général Bonnemaison devant la commission de la défense nationale et des forces armées le 7 décembre 2022, « la fulgurance des attaques ne doit pas masquer leurs délais incompressibles de conception et de planification. Il faut des mois, voire des années pour construire une cyberattaque » [10]. L’échéance des JOP 2024 approche, et ceux qui projettent des attaques cyber contre la France à cette occasion sont donc déjà en train de de tester leurs outils et de sonder les défenses.

II. La coordination cyber : en deçà de l’enjeu stratégique, un défi tactique

La cyberdéfense militaire française est caractérisée par la diversité des acteurs sur lesquels elle repose. Bien que disposant d’une chaine de commandement et d’organisme de coordination au niveau opérationnel, la condition de son efficacité est une coordination au plus proche de la victime.

Préparer un incident grâce à la cybersécurité et aux partenariats

D’après Sébastien Vincent, adjoint au COMCYBER en 2023, une stratégie de dissuasion cyber vise à décourager en imposant « un coût suffisant à l’adversaire pour le faire renoncer à son entreprise malveillante par le déni et/ou la crainte de la punition. » [11]. L’expérience montre que cet objectif est partiellement atteint, car l’adversaire est contraint de s’adapter aux efforts des défenseurs. Cette défense se forme sur plusieurs niveaux, et dans tous les temps d’une cyberattaque. Cet article se restreindra au niveau tactique qui met davantage en œuvre les actions de déni que de punitions.

Sur le temps long, en amont d’un incident, le Centre de Coordination des Crises Cyber (C4) permet « une analyse partagée […] de la menace, des modes d’action et des acteurs menaçants » [12]. En d’autres termes, grâce à une coopération nationale des acteurs du cyberespace, les attaques connues de l’un doivent devenir rapidement inefficaces contre tous.

L’attaquant doit donc dissimuler ses actions et de se réinventer régulièrement sous peine d’être détecté, identifié et contré au niveau national. Les cybercombattants assurent une veille permanente des réseaux du ministère des Armées, qui contiennent plus de 300 000 machines réparties dans le monde entier [13]. La défense s’appuie sur un maillage de Security Operation Centers (SOCs), c’est-à-dire de plateformes qui assurent la supervision et l’administration de la sécurité du système d’information. Lorsqu’un SOC confirme la compromission d’un système militaire, il y répond avec une réaction de premier niveau pour gêner les actions de l’adversaire. Dans la revue Transmetteurs [14], l’article dédié à la 807e compagnie de transmissions, le SOC de l’Armée de Terre, précise que cette unité déploie « plus de 600 contre-mesures par an », pour faire face à « une attaque [majeure] tous les dix jours en moyenne » sur les systèmes français du théâtre sahélo-saharien.

Au plus proche des systèmes, la cyberprotection participe à la dissuasion en augmentant la difficulté d’une attaque. Le budget du COMCYBER lors de la LPM 2019-2024 s’est porté à 60% sur le chiffre, pour réparer une dette historique qu’un rapport du Sénat évalue à un milliard d’euros [15]. Infiltrer un système dont les utilisateurs sont avertis, dont les risques sont connus et surtout maitrisés impose de créer une attaque « sur mesure ». Ce type d’attaque est complexe, long à produire et difficilement réutilisable sur une autre cible.

Si l’attaque nécessite une expertise supplémentaire à celle du SOC pour être contrée, le COMCYBER peut ordonner le déploiement rapide de matériel et de personnel formé à la réponse à incident. Ce dispositif prend le nom de Groupe d’Intervention Cyber (GIC), et peut être projeté aussi bien en métropole qu’à l’étranger. Il est armé principalement par le Centre d’Analyse en Lutte Informatique Défensive (CALID), le centre d’alerte et de réaction aux attaques informatiques des Armées, qui dispose des moyens matériels, des compétences techniques et de l’expérience opérationnelle nécessaires à la réponse aux incidents majeurs.

Figure 1 : Actions des défenseurs face à une cyberattaque

La réponse à incident : reprendre l’ascendant par tous les moyens

Les unités de la cyberdéfense et du renseignement disposent de capacités complémentaires indispensables à la réponse à incident. Elles échangent de façon hebdomadaire au niveau opérationnel et mensuelle au niveau stratégique dans le cadre du Centre de Coordination des Crises Cyber (C4) [16]. Lors d’une réponse à incident, ce cadre trouve ses limites car les capacités doivent être mises en œuvre localement et dans un délai bien plus restreint pour gêner efficacement l’adversaire.

Le chef de GIC coordonne ces capacités au plus proche du système attaqué. Officier subalterne ou personnel civil, il encadre un groupe de spécialistes et s’adapte aux situations de crises cyber avec un raisonnement tactique. Maillon entre les analystes au niveau technique, les décideurs au niveau opérationnel et les responsables du système attaqué, le chef de GIC décline les ordres à son groupe, synthétise la situation, coordonne les appuis et assure la liaison avec les responsables du système.

Le GIC doit tout d’abord découvrir l’environnement dans lequel il va combattre. Il arrive que l’administration locale ne puisse pas fournir une vue précise de son système. Des auditeurs du Centre d’audit en Sécurité des Systèmes d’Information (CASSI) peuvent appuyer le GIC, de par leur capacité à lister les vulnérabilités et à cartographier le système attaqué.

Après avoir cartographié le terrain, il faut être en mesure de détecter les actions malveillantes sur le système. On peut s’appuyer sur le SOC de l’unité attaquée. Dans sa recherche de l’adversaire sur le système, le GIC peut être appuyé par des analystes en investigations numériques et en rétro-ingénierie du CALID.

En 2019, la France s’est officiellement dotée d’une doctrine de lutte informatique offensive (LIO). Le GIC pourrait donc être appuyé par des actions de lutte informatique offensive, dirigées contre l’architecture de l’adversaire dans le but de de « recueillir ou d’extraire des informations », voire de « neutraliser les capacités adverses » pour contraindre l’adversaire à arrêter ses attaques [17].

Tout au long de l’attaque, le GIC collecte des éléments techniques et les transmet à l’appui de Cyber Threat Intelligence (CTI). Cet appui collecte et traite les informations sur les menaces ou les acteurs de la menace, qu’il diffuse par le C4 et échange dans le cadre de partenariats. « C’est l’une des leçons de l’Ukraine : lorsque l’on est attaqué, l’échange de données techniques est essentiel. » déclarait le général Bonnemaison en avril 2023 [18]. En retour, le GIC peut recevoir ce que le C4 ou les partenaires savent des éléments techniques. Ces informations permettent de faire avancer l’investigation du GIC.

Enfin, le GIC peut modifier le champ de bataille par l’action des administrateurs. Pour gêner l’adversaire, il peut éteindre des machines, bloquer des flux, changer des configurations. Les possibilités sont nombreuses et l’adversaire peine à distinguer une action défensive expérimentée d’un innocent problème technique.

Le rôle du chef de GIC prend toute son importance dans la gestion d’un incident majeur, où tous ces appuis sont mobilisés. Non content de maitriser l’investigation numérique et les actions de lutte informatique défensive (LID), il doit être familier avec les techniques et les besoins des appuis pour les intégrer dans sa manœuvre. Grâce à une coordination des différents effets, la défense reprend l’ascendant sur l’attaque. Cette compétence demande une formation et un entrainement régulier au profit des chefs de GIC.

Figure 2 : chaines hiérarchiques des appuis lors d’une réponse à incident sur un système militaire

Exploiter l’incident en dévalorisant les atouts de l’adversaire

Une fois l’incident terminé, les efforts en matière de cyberrésilience permettent de remettre rapidement en service tout système endommagé, réduisant ainsi les conséquences de l’attaque. Idéalement, ce dernier n’a jamais été interrompu, grâce à des sauvegardes et des redondances mises en place en amont de l’incident.

Le GIC transmet le renseignement d’origine cyber (ROC) généré pendant les investigations à son appui CTI, qui le traite et le diffuse sous forme de RIC. Cette diffusion participe à la dissuasion, car elle rend inefficace les outils et les méthodes de l’adversaire sur les systèmes des partenaires. Le RIC peut contenir des empreintes cryptographiques, mais aussi les adresses IP et les noms de domaines malveillants, voire des outils que le GIC a extrait du système attaqué. Les partenaires peuvent ainsi s’assurer qu’ils ne sont pas victimes de la même attaque et s’en prémunir dans le futur.

L’idéal reste de s’en prendre aux techniques, tactiques et procédures (TTP), pour monter aussi haut que possible dans l’échelle de la cyber-douleur [19]. Par exemple, protéger la messagerie d’une entreprise contre la technique du hameçonnage force des adversaires spécialisés dans cette technique à choisir entre en développer une autre pour infiltrer, ou chercher une autre cible moins bien protégée.

Figure 3 : Echelle de la cyber-douleur
Légende : Atouts de l’adversaire à gauche, douleur engendrée par les contre-mesures à droite.

« Les cyberattaques ont pour caractéristique une facilité à traverser les frontières et à brouiller les limites entre niveaux d’analyse sociétal, gouvernemental et international » notait Joe Burton en 2018 [20]. Il est donc nécessaire d’échanger des informations efficacement entre entités privées, gouvernementales et militaires non seulement au niveau national, mais aussi international. Dans le prolongement d’une Europe de la Défense, une cyberdéfense européenne serait un bouclier plus efficace que les cyberdéfenses nationales plus ou moins bien coordonnées, entravées par leur diversité.

L’attribution est la marque de la puissance dans le cyberespace.

Le but ultime de la cyberdéfense est de fournir suffisamment d’éléments techniques pour que les unités de renseignement puissent imputer l’attaque, c’est-à-dire d’en identifier l’origine et les commanditaires avec suffisamment de certitude pour que les autorités politiques l’attribuent publiquement. « Cette capacité d’attribution est la marque de la puissance dans le cyberespace », selon Thomas Gomart [21]. L’attribution d’une cyberattaque est toujours délicate et reste un geste politique fort que la France n’a effectué que trois fois : pour dénoncer la Russie en 2019 [22], indirectement la Chine en 2021 [23] puis à nouveau la Russie en 2022 [24].

III. Le personnel, principale richesse et principal défi

Au même titre que les entreprises privées, les unités de la cyberdéfense militaire anticipent des besoins accrus en personnel malgré un marché sous tension. Disposant d’avantages qui lui sont propres, ces unités doivent attirer et fidéliser pour honorer des objectifs de recrutements conséquents.

Contrainte de la particularité militaire sur le niveau tactique

Aussi sophistiquée que puisse être la cyberdéfense militaire, sa puissance repose sur le nombre et la valeur de son personnel. Le recrutement, la formation et l’entrainement des analystes sont donc au cœur de la stratégie de cyberdéfense française.

Le recrutement de l’échelon technique est en partie direct, grâce, par exemple, au brevet technique supérieur (BTS) cyber de Saint-Cyr l’Ecole ou aux officiers sous contrat (OSC). La cyberdéfense est aussi accessible par le biais des mutations. Enfin, le recrutement civil permet de répondre rapidement à un besoin particulier pour une durée de service jusqu’à deux fois supérieure à celle d’un militaire. Cet échelon bénéficie d’un budget de formation et d’entrainement conséquent, pour acquérir et conserver un haut niveau d’expertise.

Selon le secrétariat général pour l’administration, le ministère des Armées emploie 25% de civils [25]. La proportion de civils dans la cyberdéfense est plus importante du fait de sa technicité, mais elle reste inférieure à celle du personnel militaire. Bien que servant sous un commandement interarmées, chaque militaire de la cyberdéfense reste attaché à son armée d’origine. En particulier, la politique de mutation oblige tout cybercombattant à changer régulièrement de lieu d’affectation. A cette dynamique de flux historique s’ajoute la pression des conditions avantageuses proposées par les acteurs privés de la cyberdéfense, qui charment chaque année quelques analystes de la cyberdéfense militaire.

Affectations, mutations et départs anticipés font du personnel militaire une population sans cesse changeante, qu’il faut continuellement accueillir, former, entrainer puis laisser partir. Une politique rigoureuse de gestion des compétences au niveau opérationnel est nécessaire pour que les centres de cyberdéfense puissent conserver le haut degré de technicité et la disponibilité que réclament leurs missions. La tâche est rude : au CALID, en 2021, 20% du personnel était pris par les formations [26]. Considérant le triplement du budget de formation avec la nouvelle LPM [27], et en ajoutant l’entrainement, les missions de routine et les permissions, où trouver le temps de répondre à deux fois plus de crises cyber majeures, comme l’annonçait le président Macron [28] ? C’est pourtant la mission principale du CALID sur le périmètre des armées.

L’augmentation des effectifs est donc inévitable pour espérer faire face aux menaces à venir. Le COMCYBER a pour objectif de recruter 1 800 cybercombattants supplémentaires entre 2023 et 2025 [29].

Les niveaux tactiques et opérationnels de la cyberdéfense

L’échelon tactique est armé par des officiers subalternes ou par des civils expérimentés. Le recrutement de cet échelon dépend principalement de la candidature sur les fiches de poste publiées par le ministère des Armées. Ces recrues spontanées, par nature variables d’année en année, n’ont pas toutes l’appétence ou les compétences pour être chefs tactiques. Réserver quelques places en sortie des grandes écoles de commandement, à l’image de l’armée de l’air et de l’espace, assurerait l’arrivée stable de jeunes cadres promis à des carrières longues dans la cyberdéfense militaire. C’est une perspective incontournable dans une spécialité qui espère compter 5200 cybercombattants sur ses rangs en 2025 [30]. De cet échelon sont issus les chefs de GIC, dont le rôle central dans la réponse à incident a été démontré plus haut.

Une formation uniformisée permettrait aux cadres de la cyberdéfense d’acquérir une culture de la cyberdéfense. A l’occasion de la passation de commandement du GCA le 18 juillet 2023, le général Bonnemaison a annoncé la création d’une académie de cyberdéfense visant à « coordonner les formations pour faire monter en gamme [ses] cadres » [31].

L’entrainement de l’échelon tactique est assuré grâce aux efforts du C2PO (Centre Cyber de Préparation Opérationnelle). Néanmoins, les occasions d’entrainer les différentes unités de la cyberdéfense à travailler conjointement sur un même incident sont rares. L’exercice DEFNET fournit la plus importante, donnant aux cybercombattants un terrain de jeu et des missions à l’échelle d’une armée dans le cadre de l’exercice ORION.

L’échelon opérationnel de la cyberdéfense assure la conduite des actions de lutte informatique défensive. Cet échelon est armé par des officiers supérieurs ou des civils. L’arme cyber étant relativement jeune, le personnel militaire de cet échelon n’est pas toujours issu de la cyberdéfense. Le master en gestion des crises cyber de Saint-Cyr offre une initiation dans la cyberdéfense pour ceux dont la première partie de carrière a eu lieu dans une arme plus conventionnelle, mais cette formation ne remplace pas l’expérience. De la future académie de cyberdéfense sortira la première génération de cadres aptes à inscrire leur action dans un dispositif cyber complexe. Elle armera à terme les échelons opérationnels puis stratégiques.

Organisé par l’Agence Européenne de Défense (AED), l’exercice annuel MilCERT Interoperability Conference (MIC) permet depuis aux équipes de réponse à incident militaires européennes davantage d’interopérabilité aux niveaux tactiques et opérationnels. Toutefois, au même titre que l’exercice américain Cyberflag, il met en avant une disparité importante en termes d’outils, de méthodes et de procédures qui entravent une défense commune coordonnée.

Attirer et fidéliser un personnel qualifié

La politique de recrutement et de mutation du personnel militaire est une inquiétude constante pour les unités de cyberdéfense. Il est impossible de recruter uniquement des civils déjà qualifiés et expérimentés, faute de pouvoir s’aligner sur les salaires privés mais aussi à cause des contraintes opérationnelles de la cyberdéfense militaire. Gardes, astreintes et opérations extérieures impliquent que plus de la moitié des effectifs doivent être militaires et donc imposées par les ressources humaines des trois armées. Celles-ci souffrent d’ailleurs de la même carence dans les spécialités informatiques.

Cette carence peut être partiellement compensée par une maturité organisationnelle, qui capitalise l’expérience en l’intégrant dans le fonctionnement même de l’unité. Le statut d’officier commissionné, plus souple que celui de carrière ou d’OSC dans son emploi, est une solution complémentaire pour honorer les places militaires par un recrutement civil [32] mais aussi pour conserver quelques années supplémentaires le savoir-faire des sous-officiers désireux de reconversion.

Prenant la mesure d’un marché en forte tension, les Armées se tournent également vers les sorties d’écoles. En témoignent la création d’une classe de BTS cyber à Saint-Cyr l’Ecole, le doublement de ses effectifs à la rentrée 2023 [33], l’inauguration du pôle d’excellence cyber (PEC) en Bretagne ou encore le partenariat avec l’Ecole Polytechnique annoncé dans la LPM 2024-2030. Le COMCYBER multiplie les actions de communication (comme la participation étudiante à DEFNET [34] et le concours Passe Ton Hack [35]) pour atteindre un objectif de recrutement titanesque.

Il ne suffit pas de recruter, encore faut-il fidéliser. Les armées disposent de leviers efficaces pour valoriser les cybercombattants. A titre d’exemple, la prime de lien au service (PLS) est accordée depuis 2020 aux OSC qui s’engagent dans le domaine cyber [36]. Le COMCYBER mise aussi sur des parcours diversifiés, qui intègrent des passerelles entre ses unités, l’ANSSI et la DGSE [37]. Il s’agit de proposer une alternative aux conditions avantageuses des entreprises civiles : les cybercombattants sont deux à trois fois moins bien rémunérés que leurs homologues du secteur privé [38]. Néanmoins, ils y trouvent le service comme moteur de leurs actions, une perspective plus attirante que la rentabilité d’une entreprise. Pour ceux qui s’engagent, sacrifier une partie de son salaire potentiel vaut bien le sentiment quotidiennement renouvelé de servir la Nation.

Conclusion

La cyberdéfense militaire fait face à un large éventail de menaces, qui se dépassent régulièrement en efficacité et en audace. L’effort budgétaire consenti par le gouvernement français témoigne de l’intensité des incidents à venir. Deux enjeux se distinguent à court terme pour que la cyberdéfense militaire française conserve son rang mondial : disposer d’un personnel qualifié en nombre suffisant et développer la coordination des unités de cyberdéfense. A moyen terme, il faudra aussi renforcer la cyberdéfense à l’échelle européenne car les frontières françaises sont poreuses dans le champ immatériel.

Multipliant les efforts dans ces deux axes, la cyberdéfense militaire monte en puissance. Les Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 pourraient bien lui réserver une épreuve dédiée. L’avenir dira si elle y participera en appui de son homologue civil débordé, ou si elle sera prise à partie sur son propre périmètre par des attaques d’opportunité. Une certitude cependant : les cybercombattants font un métier d’avenir.

Copyright Janvier 2024- Baptiste/Diploweb.com


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Les Cadettes de la Cyber pour encourager les jeunes femmes à s’orienter vers la filière cybersécurité/cyberdéfense

Les Cadettes de la Cyber est un programme du Pôle d’Excellence Cyber (PEC), lancé en 2021.

Il a pour objectif d’encourager les jeunes femmes à s’orienter vers la filière cybersécurité/cyberdéfense, en les accompagnant via un parrainage de haut niveau, en leur donnant accès à des formations complémentaires, et à un accompagnement à l’insertion dans la vie professionnelle.

Voir le site des Cadettes de la Cyber


[1] Emmanuel Macron, « Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur la politique de défense de la France, » 20 Janvier 2023. [En ligne]. https://www.vie-publique.fr/discours/287928-emmanuel-macron-20012023-politique-de-defense.

[2] Ministère de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté Industrielle et Numérique, « France 2030 | Le Gouvernement lance une nouvelle vague de l’appel à projets pour soutenir le développement de briques technologiques critiques en cybersécurité, » 16 Juin 2023. [En ligne]. https://www.economie.gouv.fr/files/files/2023/communique_AAP_cybersecurite.pdf.

[3] Asteres, « Les cyberattaques réussies en France : un coût de 2 MDS en 2022, » [En ligne]. https://asteres.fr/site/wp-content/uploads/2023/06/ASTERES-CRIP-Cout-des-cyberattaques-reussies-16062023.pdf.

[4] G. Mandiant, « Fog of War – How the Ukraine Conflict Transformed the Cyber Threat Landscape, » Février 2023. [En ligne]. https://services.google.com/fh/files/blogs/google_fog_of_war_research_report.pdf.

[5] ANSSI, « Un niveau élevé de cybermenaces en 2022, » 2023. [En ligne]. https://www.ssi.gouv.fr/actualite/un-niveau-eleve-de-cybermenaces-en-2022/.

[6] Emmanuel Macron, « Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur la politique de défense de la France, » 20 Janvier 2023. [En ligne]. https://www.vie-publique.fr/discours/287928-emmanuel-macron-20012023-politique-de-defense.

[7] France Télévisions, « Paris 2024 : « Les armées contribueront » à la sécurité des Jeux olympiques et paralympiques, annonce le chef d’état-major des armées, » 6 Avril 2023. [En ligne]. https://www.francetvinfo.fr/les-jeux-olympiques/paris-2024/paris-2024-les-armees-contribueront-a-la-securite-des-jeux-olympiques-et-paralympiques-annonce-le-chef-d-etat-major-des-armees_5755763.html.

[8] Sénat, « Pour une coordination de la cyberdéfense plus offensive dans la LPM 2024-2030, » 24 Mai 2023. [En ligne]. https://www.senat.fr/rap/r22-638/r22-638-syn.pdf.

[9] Gabriel ATTAL, « JO de Paris 2024 : les organisateurs redoutent des milliards de cyberattaques, » 12 Juillet 2023. [En ligne]. https://www.lepoint.fr/societe/jo-de-paris-2024-les-organisateurs-redoutent-des-milliards-de-cyberattaques-12-07-2023-2528212_23.php.

[10] Assemblée Nationale, « Compte rendu – Commission de la défense nationale, » 13 Avril 2023. [En ligne]. https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/cion_def/l16cion_def2223064_compte-rendu#.

[11] Sébastien VINCENT, « « Qui s’y frotte, s’y pique. » Une stratégie intégrale pour réduire la subversion cyber, » 28 Septembre 2022. [En ligne]. https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2022-HS3-page-41.html.

[12] Sénat, « Délégation parlementaire au renseignement – rapport d’activité 2019-2020, » 11 Juin 2020. [En ligne]. https://senat.fr/rap/r19-506/r19-50638.html.

[13] Ministère des Armées, « Le commandement de la cyberdéfense (COMCYBER), » [En ligne]. https://www.defense.gouv.fr/ema/commandement-cyberdefense-comcyber. [Accès le 7 Août 2023].

[14] Armée de Terre, « La 807e Compagnie de Transmissions : le bras armé de la cyberdéfense de l’Armée de Terre, » Transmetteurs N°28, p. 25, Janvier à Mars 2021.

[15] Sénat, « Pour une coordination de la cyberdéfense plus offensive dans la LPM 2024-2030, » 24 Mai 2023. [En ligne]. https://www.senat.fr/rap/r22-638/r22-638-syn.pdf.

[16] Sénat, « Délégation parlementaire au renseignement – rapport d’activité 2019-2020, » 11 Juin 2020. [En ligne]. https://senat.fr/rap/r19-506/r19-50638.html.

[17] Ministère des Armées, « Doctrine militaire de lutte informatique offensive (LIO), » 18 Janvier 2019. [En ligne]. https://www.defense.gouv.fr/sites/default/files/ministere-armees/Lutte%20informatique%20offensive%20%28LIO%29.PDF.

Les ambitions de puissance régionale

Les ambitions de puissance régionale

Par Patrice Gourdin – Diploweb – publié le 5 janvier 2024 

https://www.diploweb.com/30-Les-ambitions-de-puissance-regionale.html


Docteur en histoire, professeur agrégé de l’Université, Patrice Gourdin enseigne à l’École de l’Air. Il intervient également à l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence. Membre du Conseil scientifique du Centre géopolitique, l’association à laquelle le Diploweb.com est adossé.

Quelle est la part des ambitions de puissance lorsque des acteurs régionaux extérieur interviennent dans la crise ou le conflit ? Quels outils pour l’étude ? Quels informations rechercher ? Quelle méthode pour mettre en oeuvre une analyse géopolitique de qualité ? Réponses avec un extrait gratuit du « Manuel de géopolitique » de Patrice Gourdin, disponible au format papier sur Amazon.

Nous avons abordé plus haut la volonté de puissance et les constructions impériales qui en découlent sous l’angle des représentations géopolitiques, et nous avons vu que ces tentatives ou ces réalisations eurent des conséquence sur les autres États. Mais, nous l’avons constaté, l’expansion sous cette forme n’est plus monnaie courante. Aujourd’hui, le plus fréquemment, un ou plusieurs États peuvent intervenir dans un conflit pour affirmer ou amplifier leur puissance, voire leur prépondérance dans la région où ils se situent. L’hégémonie régionale repose sur l’édification, la conservation et l’accroissement de trois prépondérances complémentaires : économique, politique et militaire. Parfois, il convient d’ajouter la dimension culturelle.

La Russie offre à l’observateur un exemple de choix : superpuissance déchue, empire délabré, elle tente, faute de mieux, de s’affirmer comme puissance en Eurasie. Sa politique extérieure vise, depuis la dislocation de l’URSS, en 1991, à reconstituer cette dernière sous la forme d’une zone d’influence exclusive : l’“étranger proche“. N’oublions jamais que Vladimir Poutine déclara : « l’effondrement de l’Union soviétique fut l’une des catastrophes géopolitiques majeures du XXe siècle. Pour la nation russe, ce fut un véritable drame [1] ». Moscou utilise tous les outils disponibles pour parvenir à ses fins. Elle a mis sur pied – avec un succès limité – une Communauté des États indépendants (CEI), pour tenter de limiter la marge de manœuvre des anciennes “Républiques socialistes soviétiques“. Avec l’Organisation de coopération de Shanghai, elle semble mieux réussir. Il est vrai que la Chine offre là un contrepoids susceptible de rassurer les États d’Asie centrale. Le Kremlin use des besoins énergétiques de certaines de ses anciennes possessions : depuis 2006, la Biélorussie et l’Ukraine ont expérimenté à leurs dépens l’antiphrase contenue dans la dénomination “oléoduc et gazoduc de l’Amitié“. La majuscule ne fait rien à l’affaire : l’interruption volontaire des fournitures a rappelé aux intéressés leur extrême dépendance. Au point que, dans sa marche à la présidence, le Premier ministre ukrainien, Ioulia Timochenko, passait pour avoir noué une alliance tactique avec Moscou. Ce dernier aurait neutralisé les intermédiaires mafieux responsables de la surfacturation du gaz livré à Kiev en échange d’un blocage de la candidature de l’Ukraine à l’OTAN [2]. À quelques semaines des élections présidentielles, elle avait trouvé un accord avec Vladimir Poutine [3]. Mais cela ne suffit pas – en admettant que ce fût le but de la Russie – pour assurer la victoire : Mme Timochenko fut battue par M. Ianoukovitch le 7 février 2010. La Russie joue de l’enclavement de certains États issus de l’ex-URSS – comme l’Arménie, l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan, le Turkménistan, l’Ouzbékistan ou le Kirghizistan – pour les amener au rapprochement désiré. Elle s’érige en protectrice des minorités russes, comme dans le cas des États baltes ou du Kazakhstan. Elle peut également recourir à l’argent : les revenus considérables tirés de la vente de ses matières premières (au premier rang desquelles, les hydrocarbures) serviraient à financer des chaînes de télévision émettant vers les États baltes et à corrompre une partie de leurs dirigeants [4]. De manière plus systématique,
« elle joue les bailleurs de fonds à l’égard des États les plus vulnérables de sa périphérie, en quête de crédits bon marché et de projets d’investissements. En retour, elle veut des concessions militaires et politiques [5] ».

Patrice Gourdin, « Manuel de géopolitique », éd. Diploweb, via Amazon.
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Face aux cas les plus rétifs, comme la Géorgie, elle n’hésite pas à recourir à la pression militaire – directe ou indirecte –, et même à la guerre, comme en août 2008. Ainsi entretient-elle le séparatisme de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie et maintient-elle la présence de ses forces armées dans cette région [6]. De plus, ce conflit lui fournit l’occasion de réanimer une structure jusque-là fantôme : l’Organisation du traité de sécurité collective (acronyme russe : ODKB), pompeusement présentée comme l’“alliance militaire“ de la CEI, mais pratiquement inexistante depuis l’annonce de sa création, en 2002 (date à laquelle elle prenait le relais du traité de sécurité collective de la CEI, ou traité de Tachkent, de mai 1992). Depuis quelques années déjà, la Russie essayait de la renforcer. Le 4 février 2009, elle décida de « former une “force d’action rapide“ sous le commandement unifié de Moscou [7] » et le président Medvedev affirma qu’elle ferait jeu égal avec l’OTAN [8]. La Russie fournirait 50% des 16 000 hommes qui devraient la composer. Il s’agirait en partie de parachutistes, donc d’éléments d’élite de son armée [9], indice révélateur de l’importance que le Kremlin lui accorde et de l’efficacité opérationnelle qu’il en attend. Encore faudrait-il que les autres États membres fassent preuve du même volontarisme et acceptent l’hégémonie russe, ce qui, en dépit des largesses financières de Moscou [10], n’est pas encore assuré [11]. Un opposant écrivait même :
« La tentative du Premier ministre Vladimir Poutine de restaurer l’influence de la Russie sur les anciennes républiques soviétiques a lamentablement échoué. La position de la Russie dans la région est plus faible qu’il y a huit ans, lorsque Poutine succéda à Boris Eltsine. C’est le résultat direct de ses échecs politiques durant ses deux mandats présidentiels – l’incapacité à moderniser l’économie, le démantèlement systématique de la démocratie dans le pays, l’accroissement considérable de la corruption et du contrôle sans partage exercé sur les industries-clés dans le cadre de son système de capitalisme étatique. Si l’on ajoute à cela l’enchaînement d’innombrables désastres provoqués par une politique extérieure inepte, il est aisé de comprendre pourquoi les voisins de la Russie ont tourné le dos à Moscou et recherchent le soutien et la coopération des institutions militaires, économiques et politiques occidentales [12] ».

Jugement fort sévère, mais il illustre les vicissitudes de l’instauration de la puissance régionale en général et russe en particulier. Tâche ingrate, qui rappelle Sisyphe et son rocher.

L’Iran, qui caressa le projet de devenir une puissance mondiale, n’a jamais caché sa volonté de peser de manière déterminante sur le Proche-Orient. Il s’appuie sur son territoire, sa population, sa culture et, surtout, ses ressources considérables en hydrocarbures. Elles lui permettent de peser sur les pays acheteurs, par le biais des contrats d’exploitation ou de fourniture. Elles mettent à sa disposition des moyens financiers énormes avec lesquels il peut développer des programmes d’armement et financer des activités déstabilisatrices, comme celles de groupes terroristes tel le Hamas en Palestine, le Hezbollah au Liban ou peut-être les Jeunes Croyants (branche armée des Al-Houthi, membres de la minorité zaïdite) au Yémen [13]. Il s’appuie également sur la majorité chiite – dont il s’est érigé le protecteur – pour exercer une très forte influence sur l’Irak [14]. Tout en se gardant bien d’y participer, il bénéficia de l’élimination par les États-Unis de deux lourdes menaces : les taliban afghans, en 2001, et le régime de Saddam Hussein en Irak, en 2003. Un renversement total se produisit alors dans ce pays puisque « via leurs réseaux, les Iraniens gèrent littéralement le pays chiite » déclarait un haut responsable des Nations unies [15]. Les États-Unis durent même recourir à l’Iran pour calmer les affrontements inter-shiites au printemps 2008 [16]. Par surcroît, la destruction de la capacité militaire irakienne élimina Bagdad de la compétition pour la domination régionale. Mais Téhéran se trouve également menacé par l’assaut des islamistes radicaux sunnites en Afghanistan et au Pakistan. Depuis le printemps 2009, il renforce sa coopération avec les gouvernements de ces deux pays (Déclaration de Téhéran, 23 mai 2009) [17]. Toutefois, les États-Unis disposent désormais, outre leurs forces navales croisant dans la région, de quatre bases militaires importantes en Irak, d’une base aérienne au Qatar et de troupes déployées en Afghanistan : l’encerclement peut sembler flagrant. Le programme nucléaire militaire iranien trouve d’ailleurs là une part de sa justification, du moins aux yeux de Téhéran. De même, la diplomatie iranienne met tout en œuvre pour briser l’étau. Les relations privilégiées avec la Chine prennent ainsi tout leur sens : le pétrole et le gaz contre le partenariat stratégique. Ce dernier pourrait aller jusqu’à l’implantation d’une base chinoise dans un port ou sur une île iraniens [18]. Avec l’arrivée du président Ahmadinejad au pouvoir, en 2005, Téhéran noua des alliances en Amérique latine et en Afrique, ce qui pourrait traduire des aspirations mondiales [19]. Mais ces dernières constituent-elles un objectif, ou bien un moyen pour atteindre à la puissance régionale ?

Cependant, les Iraniens ne sont ni des Arabes ni des sunnites. Aussi, la Syrie et, surtout, l’Arabie saoudite leur disputent-elles l’influence au Proche-Orient [20], tout en s’entre-déchirant dans une sorte de « guerre froide [21] ». Aussi leurs positions comme leurs alliés diffèrent-ils.En Palestine, Damas soutient le Hamas, tandis que Riyad est derrière Mahmoud Abas ; en Irak, le roi Abdallah favorise l’opposition sunnite et la coopération de certaines tribus sunnites avec l’armée américaine contre Al Qaeda, tandis que le président Bachir Al-Assad jouerait la carte des groupes terroristes ; Damas tente de conserver le contrôle du Liban par de troubles et fluctuantes alliances, tandis que les Saoudiens, étroitement liés à l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, appuient de toutes leurs forces la coalition anti-syrienne menée par son fils [22]. La rivalité se retrouve sur le plan diplomatique : l’Arabie saoudite accepte la perspective de faire la paix avec Israël tandis que la Syrie campe dans le “camp du refus“ ; Riyad demeure lié aux États arabes modérés et aux États-Unis tandis que Damas agit depuis longtemps de conserve avec la République islamique d’Iran et accueille avec intérêt les tentatives russes de réinsertion dans le jeu régional.

Les Turcs n’ont pas oublié l’Empire ottoman [23]. Par conséquent, ils entendent jouer un rôle dans les Balkans, au Proche-Orient, dans le Caucase et en Asie centrale. Ils usent du contrôle exercé sur le cours amont du Tigre et de l’Euphrate pour peser sur la Syrie et l’Irak. Ils ne peuvent pas régler la question kurde sans concertation et /ou tension avec leurs voisins syrien et irakien. Ils revendiquent toujours la région de Mossoul (dont le riche gisement pétrolier était connu avant 1914), “indûment“ rattachée à l’Irak par les vainqueurs après la Première Guerre mondiale. Voisins de l’URSS et rivaux traditionnels de la Russie dans le Caucase et les Balkans, ils entrèrent dans l’Alliance atlantique dès 1952. Ils entretiennent par conséquent d’étroites relations stratégiques avec les États-Unis. Sous l’influence de ces derniers et parce qu’ils ont tout intérêt à ne pas avoir de voisins arabes trop puissants, ils ont également un partenariat stratégique avec Israël. Mais, dans le même temps, ils améliorent leurs relations avec les pays arabes ou l’Iran et critiquent vertement Tel Aviv, comme lors de l’offensive contre Gaza fin 2008 [24]. L’effondrement de l’URSS a offert l’occasion de promouvoir des liens culturels, économiques et politiques plus étroits avec les autres États turcophones. La Fondation pour l’amitié, la fraternité et la coopération entre les États et communautés turcophones, une organisation non gouvernementale, sert, depuis 1993, de fer de lance à cette action. En 2006, le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan proposa de mettre en place une union internationale turque, pour une coopération plus étroite entre les États turcophones. Mais déjà une lutte d’influence auprès des États turcs d’Asie centrale s’esquisse avec l’Azerbaïdjan [25], sans oublier les ambitions propres à l’Ouzbékistan.

Dans le cadre de leur compétition pour la prépondérance en Asie, la Chine et l’Inde se disputent le Golfe du Bengale. La Birmanie occupe une place centrale dans leur bras de fer. Pékin considère qu’elle fait partie de sa zone d’influence tandis que Delhi tente de s’y implanter. Les deux pays convoitent ses ressources en pétrole et en gaz naturel, indispensables à leur développement économique. L’implantation de la Chine au Proche-Orient et en Asie du Sud-Est menace la position centrale de l’Inde sur la route maritime vitale reliant le Golfe Persique à l’Asie. Surtout, la construction de ports et de bases en Birmanie, au Bangladesh et au Pakistan, fait courir à l’Inde le risque de perdre le contrôle de l’Océan Indien. La guerre civile qui ravagea le Sri Lanka depuis plus de deux décennies était peu à peu devenue le théâtre d’un affrontement indirect entre les deux géants : allié traditionnel de New Delhi, Colombo se tourna de plus en plus vers Pékin (et le Pakistan) pour ses fournitures d’armes et ses échanges. Si l’on ajoute la construction d’un grand port à Hambantota, les Chinois n’ont jamais frôlé le territoire du sud de l’Inde d’aussi près. En outre, alors que celle-ci poussait le gouvernement sri lankais à une solution négociée avec les rebelles tamouls, Pékin et Islamabad ne virent aucun inconvénient à la poursuite des opérations militaires cinghalaises. Il est vrai que l’émoi des Tamouls du sud de l’Inde et les troubles qu’ils auraient pu susciter dans l’Union indienne n’avaient rien pour les contrarier. De plus, peu importait aux Chinois qui l’emporterait : ils approvisionnaient également en armes les Tigres tamouls [26].

En Asie du Sud, le Pakistan et l’Inde rivalisent depuis leur indépendance, en 1947. Face-à-face depuis cette date au Cachemire, ennemis lors de la guerre d’indépendance du Bangladesh en 1971, engagés dans une course aux armements nucléaires et balistiques depuis les années 1970, ils se livrent une rude concurrence. L’un de leurs terrains actuels d’affrontement se situe en Afghanistan, comme semblent le dévoiler les attentats perpétrés à Kaboul, le 7 juillet 2008 et le 8 octobre 2009 contre l’ambassade indienne, puis le 26 février 2010 contre des hôtels hébergeant des coopérants indiens. New Delhi s’implique activement dans la reconstruction du pays depuis 2002 (sa contribution s’inscrit à la cinquième place, derrière celles des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France et de l’Allemagne), ce qui inquièterait le Pakistan, dont l’une des priorités stratégiques réside dans la sécurisation de sa frontière occidentale, précisément face à l’Inde. Facteurs aggravants, aux yeux d’Islamabad, d’une part, le président afghan, M. Karzai, a fait une partie de ses études en Inde, d’autre part, la coopération militaire et nucléaire civile s’approfondit entre les États-Unis et l’Inde. Islamabad se considère donc comme l’objet d’un encerclement indien, allant jusqu’à souligner que la base aérienne construite à Ayni, au nord-ouest du Tadjikistan, permet aux avions de combat indiens d’atteindre le Pakistan. L’agitation des Baloutches ferait également partie des menées déstabilisatrices ourdies par l’Inde, avec la complicité du gouvernement Karzai et des États-Unis. L’accès aux matières premières d’Asie centrale ne manquerait pas, non plus, d’alimenter le duel [27].

Au cœur de l’Asie centrale, héritier des grands khanats qui firent jadis la gloire et la puissance de la région, se trouve l’Ouzbékistan, riche en gaz naturel, en uranium et en or, l’un des principaux producteurs mondiaux de coton, situé à la croisée des tubes qui évacuent les hydrocarbures de cette région enclavée. Fort de ses 27 000 000 d’habitants et de la présence de minorités ouzbèkes chez tous ses voisins (Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan, Afghanistan, Turkménistan), son régime dictatorial s’appuie sur un appareil d’État solide, un sentiment d’unité nationale assez fort et la laïcité, toutes choses qui le renforcent face aux menaces de domination étrangère et aux menées islamistes [28]. Lors de l’accession à l’indépendance, en 1991, le président Islam Karimov promut Tamerlan héros national afin de forger une nouvelle identité, débarrassée de l’héritage russe et soviétique. Mais, si l’on se rappelle que le chef mongol bâtit, au XIVe siècle, un empire intégrant Bagdad, Delhi, Damas, Ankara et Ispahan [29], il est permis de se demander s’il ne s’agit pas, également, d’étayer des ambitions régionales. Toutefois, l’enclavement, la vulnérabilité hydraulique, les revendications de la minorité tadjike et la modestie de l’armée contrarient grandement ces aspirations.

L’histoire de la Libye depuis 1969, date du coup d’État qui porta au pouvoir le colonel Muammar Kadhafi se lit, en partie au moins, comme celle d’une ambition de puissance contrariée. Riche de ses ressources énergétiques, le pays, vaste comme trois fois la France, accuse une faiblesse démographique que son chef tenta à de nombreuses reprises de compenser par l’unification, sous son autorité, du monde arabe : avec l’Égypte et la Syrie (1972-1977), avec la Tunisie (1974), par une entrée en force en Égypte – qui échoua – (1977), de nouveau avec la Syrie (1980-1987), puis avec le Maroc (1984-1986), puis de nouveau avec la Tunisie (1987-1989). Cette “unionite“ aiguë, qui déborda même vers l’Afrique subsaharienne – Tchad, en 1981, Soudan, en 1990 –, déboucha, dans le meilleur des cas, sur un mariage éphémère et non consommé avec Tripoli. Dans le même temps, tout en vendant son pétrole aux compagnies américaines, il affirmait son anti-impérialisme. De ce fait, il défendit une ligne intransigeante envers l’État d’Israël, milita en faveur de prix élevés pour le pétrole, apporta son soutien à de nombreux mouvements extrémistes à travers le monde et entretint d’excellentes relations avec les États communistes. Durant les années 1980, après avoir échoué dans son projet d’unification des États sahariens à la fin des années 1970, la Libye entreprit de s’emparer du Tchad. En vain. Parallèlement, le colonel Kadhafi soutint le terrorisme international, notamment contre les États-Unis, ce qui l’isola et lui valut de subir en représailles les bombardements américains des 14 et 15 avril 1986 sur Tripoli. Au printemps 1987, ses forces armées subirent une grave défaite dans le nord du Tchad. L’isolement du régime grandit à compter de ce moment, accentué encore sous l’effet de soupçons de prolifération chimique et peut-être nucléaire. La fin de la Guerre froide le priva de tout recours et la Seconde Guerre du Golfe (1991) puis le renversement de Saddam Hussein (2003) lui montrèrent le danger d’une politique provocatrice. Pour sa participation avérée à des attentats contre des avions de ligne civils (un Boeing 747 de la PanAm, au-dessus de Lockerbie, en Écosse, le 21 décembre 1988, et un DC 10 d’UTA au-dessus du désert du Ténéré, au Niger, le 19 septembre 1989), l’ONU vota un embargo en 1992. En 1998, il amorça une tentative d’union par la diplomatie en créant la Communauté des États Sahélo-Sahariens (CEN-SAD), association économique et culturelle régionale regroupant alors, autour d’une Libye en position hégémonique, le Burkina-Faso, le Mali, le Niger, le Soudan et le Tchad. Aujourd’hui, elle compte 28 pays [30], mais apparaît comme « une succursale libyenne pour canaliser les flux financiers, les capitaux et les aides au développement de la jamahiriya [république populaire] libyenne [31] ».

À sa modeste échelle, le Tchad du président Idriss Déby, joua – seulement pour son propre compte, ou également pour celui de ses alliés libyen et français ? – la puissance régionale lorsqu’il soutint l’expédition militaire lancée depuis N’Djamena par François Bozizé le 15 mars 2003. Ainsi son “protégé“ devint-il président de la République centrafricaine et bénéficie-t-il aujourd’hui de l’assistance militaire du Tchad pour résister à ses opposants soutenus par le Soudan qui, pour sa part, aide les rebelles tchadiens [32]. L’implication de Khartoum dans la déstabilisation d’Idriss Deby amena celui-ci à s’ingérer dans la rébellion du Darfour [33]. Jean-Philippe Rémy parle de « guerre de proximité par procuration [34] ».

Depuis 1991, la guerre civile ravage la Somalie. Entre décembre 1992 et mars 1995, la communauté internationale tenta d’y mettre fin ; en vain. Depuis, les seigneurs de la guerre se disputent le pays. L’Éthiopie tente de mettre à profit cette situation pour, sous couvert de lutte contre le terrorisme, affirmer – avec la bénédiction des États-Unis – sa suprématie régionale. Telle semble avoir été sa principale motivation pour intervenir directement, entre 2006 et 2008, sur le territoire de son éternelle rivale. Sans succès.

En fait, sur le continent africain, seule l’Afrique du Sud semble à même d’accéder au rôle de puissance régionale [35]. Elle dispose d’une base économique saine, d’une stabilité politique peu fréquente sur le continent et d’une capacité militaire importante. Mais rien n’est joué car elle connaît des problèmes “classiques“ dans les pays émergents : profondes inégalités sociales, manque de main-d’œuvre qualifiée, marché intérieur solvable trop étroit, sida, immigration massive (légale ou clandestine). Il n’en demeure pas moins que Pretoria exerce déjà une hégémonie régionale et l’étendrait bien à l’ensemble de l’Afrique subsaharienne. Elle domine largement l’économie de l’ensemble de ses voisins directs. Il est vrai que, si la Namibie et le Mozambique s’ouvrent sur les masses océaniques, les autres se trouvent enclavés. Le Lesotho, au cœur du pays, dépend totalement de l’Afrique du Sud, le Botswana, le Zimbabwe et le Swaziland peuvent se tourner vers un autre voisin. Leur cas rappelle celui du Népal ou du Bhoutan, coincés entre la Chine et l’Inde. L’Union douanière d’Afrique australe (Afrique du Sud, Namibie, Botswana, Lesotho, Swaziland) forme un véritable marché captif et Pretoria s’affirme dans la Communauté de développement de l’Afrique australe [36], dont certains membres dépendent largement d’elle pour leurs exportations (Zimbabwe, par exemple), ou pour leurs importations alimentaires (Zambie ou Zimbabwe, par exemple). Il en résulte des frustrations, et même des frictions. La Namibie apparaît comme le moteur de cette résistance. Dans le dessein affiché de contrer cette hégémonie sud-africaine naquit le Marché commun de l’Afrique orientale et australe qui imposait l’obligation de s’approvisionner parmi les États membres (dont l’Afrique du Sud ne faisait pas partie). Mais Pretoria dispose de nombreux moyens pour s’imposer : elle est le premier investisseur et le premier exportateur dans les pays du continent. Dans le cadre de l’Union africaine, elle se veut le moteur d’un partenariat pour le développement du continent. Elle pratique une diplomatie active depuis la fin des années 1990 mais à l’efficacité limitée (échec de sa médiation dans la crise ivoirienne en 2005-2006, par exemple). Avec une armée de taille modeste mais aguerrie et bien équipée, elle arrive en tête des pays africains pour la participation aux opérations de maintien de la paix de l’ONU (Darfour, République démocratique du Congo, notamment). Sa prépondérance ne fait pas l’unanimité : le Nigeria, appuyé sur son poids démographique et ses revenus lui dispute la première place ; l’Angola, fort de son argent et de son armée, entend jouer sa propre partition ; le maître de la Libye se voit également en chef de file de l’Afrique. Enfin, ses complaisances diversement appréciées obèrent son autorité morale, comme dans le cas du soutien prolongé apporté au dictateur du Zimbabwe, Robert Mugabe.

Depuis la fin de l’époque coloniale, le Brésil exerce son influence sur l’Amérique latine. Bien classé parmi les pays émergents, il s’appuie sur une économie dynamique et saine, dispose de l’armée la plus puissante de la région et tente de peser politiquement. Pour ce faire, il a proposé, en mars 2008, la création d’un Conseil de sécurité pour l’Amérique du Sud. Ce dernier permettrait de régler les différends régionaux sans recourir à des médiations extérieures. Le Brésil semble devoir s’imposer, avec l’aval de Washington, comme le chef de file logique de cet ensemble [37]. Il possède déjà une expérience en la matière, puisqu’il pilote l’opération de maintien de la paix de l’ONU en Haïti, à laquelle il apporte 1 200 hommes. La forte dépendance économique de ses voisins à son égard lui permit d’aborder avec optimisme la création, en mai 2008, de l’UNASUR, regroupement des deux alliances économiques régionales : le Mercosur et le Pacte Andin [38]. Il esquisse également une politique de domination énergétique grâce à ses ressources propres ainsi qu’aux investissements dans la production d’hydroélectricité et l’exploitation des hydrocarbures chez ses voisins. Cependant, outre des faiblesses inhérentes aux pays émergents comme le retard social, Brasilia butte sur l’obstacle culturel – il est le seul État lusophone du continent – et la capacité limitée de ses forces armées [39]. Ses voisins, au nationalisme ombrageux et caressant parfois la même ambition que lui, souhaitent, naturellement, limiter son emprise le plus possible. Et cela favorise l’axe “de gauche“ que cherche à construire le Venezuela. Déjà, l’Équateur, le Paraguay et la Bolivie ont donné du fil à retordre et mis en évidence la contradiction inhérente à toute puissance régionale :
« Sur la scène mondiale, le Brésil prétend, sans le dire, parler au nom de l’Amérique du Sud, dont il prône l’intégration régionale. Mais, dans son pré carré, il défend fermement ses intérêts nationaux lorsqu’ils sont menacés [40] ».

Alors que l’Argentine, empêtrée dans ses problèmes internes se retrouve, temporairement du moins, hors course, le Venezuela d’Hugo Chávez se pose clairement en rival du Brésil [41]. Mais sa cohésion politique et ses bases économiques sont plus fragiles. Il couvre une partie de ses besoins alimentaires en important des denrées du… Brésil. Son armée est plus faible, sa diplomatie moins habile. Son influence ne dépasse guère quelques pays parmi les plus démunis du continent, comme la Bolivie, Cuba, ou le Nicaragua. D’ailleurs seraient-ils aussi sensibles à la révolution bolivarienne si la manne pétrolière ne leur était généreusement dispensée par Caracas ? Il a fondé l’Alternative bolivarienne pour les Amériques, afin d’unir les pays d’Amérique latine. Il s’évertue, depuis 1999, à fonder une alliance militaire régionale ; en vain. En revanche, il a su se créer de solides inimitiés, notamment avec la Colombie, qui l’accuse – non sans raisons, semble-t-il [42] – de soutenir la narco-guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie-FARC. Il verrait dans celles-ci « comme un rempart en cas d’intervention américaine ou de guerre civile [43] ». Hugo Chávez pratique ce que nous pourrions appeler une politique extérieure “de la nuisance“ vis-à-vis des États-Unis, qu’il accuse d’avoir soutenu, sinon organisé, le coup d’État qui le renversa brièvement, en 2002. Il fréquente donc nombre d’adversaires de Washington : la Russie, devenue son principal fournisseur d’armes, ou l’Iran, notamment. Mais le sens de tout cela est ambigu : s’agit-il d’un anti-impérialisme sincère, ou bien d’une stratégie de survie politique ? Le président vénézuelien cherche-t-il vraiment à “libérer“ l’Amérique latine de l’emprise américaine, ou détourne-t-il vers l’ennemi extérieur le mécontentement provoqué par ce qui ressemble fort à l’échec de sa politique [44] ? Au vu de ces éléments, le Brésil paraît mieux placé que le Venezuela pour exercer une influence régionale.

Les exemples ci-dessus montrent que les ambitions régionales existent et ne peuvent être ignorées. Notons le nombre peu élevé de cas avérés d’expansionnisme brutal dans l’actualité récente. La revendication directe, triviale et illégale, tend à disparaître, au profit des voies détournées de la persuasion et/ou de la stratégie indirecte. Toutefois, la relative banalité de ce comportement peut fournir, à l’encontre d’un pays, un chef d’accusation commode car a priori crédible. Un examen attentif à la fois des argumentaires et de la réalité s’impose.

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PROBLÉMATIQUE LIÉE AUX AMBITIONS DE PUISSANCE RÉGIONALE

Quelle est la part des ambitions de puissance lorsque des acteurs régionaux extérieur interviennent dans la crise ou le conflit ?

CHAMPS DE RECHERCHE

Outils pour étudier les ambitions de puissance régionale motivant une intervention extérieure sur le territoire où se déroule la crise ou le conflit :

. les ouvrages consacrés à la géographie, à l’économie, à l’histoire, aux relations internationales, au droit et à la science politique.

Les informations recueillies servent à repérer quelle logique de puissance régionale peut entraîner dans les événements des acteurs extérieurs au territoire. Le plus souvent un ou plusieurs des éléments suivants :

. l(a)es puissance(s) régionale(s),

. l’(es) objectif(s) visé(s),

. les rivaux et adversaires éventuels.

La liste n’est pas exhaustive, mais elle recense les facteurs qui apparaissent le plus fréquemment.

Une information est pertinente lorsqu’elle contribue à éclairer la crise ou le conflit que l’on étudie.

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Défense : au cœur des fêtes, célébrer nos soldats, c’est faire nation

Défense : au cœur des fêtes, célébrer nos soldats, c’est faire nation

Les fêtes sont un moment où nous devons penser aux militaires qui protègent les Français et célébrer la singularité militaire. Pour Thomas Gassilloud, « nous devons réapprendre à faire de la défense l’affaire de tous ». C’est ainsi que « nous renforcerons la communauté nationale », estime-t-il. Par Thomas Gassilloud, président de la commission de la défense nationale et des forces armées.

« En République, il n'y a pas d'usage de la force sans consentement démocratique. Même notre dissuasion nucléaire n'est pleinement crédible et durable que si les citoyens en comprennent les enjeux et adhèrent à ses exigences, pour soutenir la détermination du président de la République à défendre les intérêts vitaux de la Nation » (Thomas Gassilloud, président de la commission de la défense nationale et des forces armées)
« En République, il n’y a pas d’usage de la force sans consentement démocratique. Même notre dissuasion nucléaire n’est pleinement crédible et durable que si les citoyens en comprennent les enjeux et adhèrent à ses exigences, pour soutenir la détermination du président de la République à défendre les intérêts vitaux de la Nation » (Thomas Gassilloud, président de la commission de la défense nationale et des forces armées) (Crédits : DR)

 

Quelles que soient nos croyances, les fêtes de fin d’année sont le moment de dire nos attachements, de manifester notre joie, d’être ensemble et de former des vœux pour l’avenir. Elles sont aussi un événement national car, de familles en cercles d’amis, c’est toute la France qui se met à l’unisson. C’est d’ailleurs le sens profond des vœux traditionnels du Président de la République : en s’adressant à toute la nation le 31 décembre, il souligne que toute fête a une dimension politique et qu’elle est l’écho d’une espérance collective.

Deux leçons pour 2024

La fin de l’année 2023 pourrait nous en faire douter, alors que la guerre se déchaîne en Ukraine et à Gaza comme dans bien d’autres endroits du monde, et que notre société apparaît plus fracturée que jamais. Président de la commission de la défense et des forces armées de l’Assemblée nationale, je penche pourtant pour l’espérance. Le déplacement que je viens de faire en Jordanie auprès de nos militaires, en accompagnant le président de la République et le ministre des Armées, m’y invite. J’en ai retenu deux leçons.

D’abord, celle que nos armées sont la démonstration vivante et sans cesse renouvelée que notre communauté nationale est attractive et qu’elle mérite d’être défendue. C’est le témoignage des 20.000 Français qui, reflétant toutes nos diversités, les rejoignent chaque année malgré les duretés de l’état militaire. Car il faut le rappeler, leur engagement peut exiger d’eux d’être prêts à tuer, d’ordonner de tuer, de mourir peut-être. La loi veille à ce qu’ils ne se soustraient pas au risque car il n’y a pas de droit de retrait pour un soldat qui exécute une mission et dont la mort peut être un prix légitime.

Leurs droits politiques et sociaux sont en outre restreints pour qu’ils ne forment jamais une faction. Des procédures opérationnelles, des normes juridiques, un état d’esprit, le sens du sacrifice : voilà ce qu’est la singularité militaire qui n’est ni une identité ni le cumul d’avantages catégoriels mais l’engagement total de certains pour la sécurité de tous les autres. C’est une responsabilité pour nous tous que de veiller à ce que cette singularité ne soit pas dénaturée et qu’elle permette toujours de disposer d’une force prête aux plus grands périls.

La seconde leçon a ravivé une conviction de longue date : nos armées ne peuvent rien sans l’adhésion ni la participation de l’ensemble des citoyens. Pour résister à l’ensauvagement du monde, dans une société malheureusement chaque jour davantage archipélisée et matérialiste, où donner sa vie pour une cause supérieure devient un impensé, chacun de nos concitoyens doit se sentir concerné par notre défense.

Consentement démocratique

D’abord parce qu’en République, il n’y a pas d’usage de la force sans consentement démocratique. Même notre dissuasion nucléaire n’est pleinement crédible et durable que si les citoyens en comprennent les enjeux et adhèrent à ses exigences, pour soutenir la détermination du président de la République à défendre les intérêts vitaux de la nation.

Ensuite, et surtout, parce que chaque citoyen a un rôle à jouer, même si, depuis la fin de la guerre froide et de la conscription, nous en avons été déshabitués. Comment ? En s’attachant à comprendre le monde et les opérations militaires que la France peut y conduire ; en transmettant le sens du collectif à ses proches comme à ses enfants ; en étant présent lorsque la nation est célébrée ; en s’engageant par exemple dans le monde associatif ou comme réserviste ; en n’oubliant pas que notre résilience nationale repose sur les résiliences individuelles. Chaque citoyen doit donc se sentir acteur de notre défense et même avoir conscience qu’il est une cible potentielle de nos compétiteurs stratégiques, dès à présent dans les champs immatériels (cyberespace, champ informationnel, etc).

Doublement du budget de la défense

Au-delà du doublement exceptionnel du budget de nos armées sur la période 2017-2030, prévu par deux lois de programmation militaire, cette implication de tous est indispensable pour que notre défense soit réellement nationale et que nos armées professionnalisées puissent nous protéger en s’appuyant sur la nation toute entière. Autrement dit, la défense nationale ne doit pas être la seule affaire des militaires, qui ne représentent que 1% de la population active, réservistes compris. Ainsi nous pourrons renouer avec ce qu’appelait de ses vœux dès 1901, Adolphe Messimy, qui fut officier, député, ministre de la guerre puis sénateur, en promouvant « la naissance d’un esprit nouveau […], qui pénètre chaque citoyen, conscient désormais qu’il est personnellement responsable de la défense ».

Célébrer nos militaires lors des fêtes de fin d’années c’est promouvoir tout cela. C’est aussi se rappeler que, même si notre société ne manque pas d’imperfections à corriger, notre projet collectif mérite qu’on le défende et que sa pérennité dépend de l’engagement personnel de chacun d’entre nous. C’est ainsi, davantage encore que par les promesses de l’État providence, que l’on fera pleinement nation. Mes chers compatriotes, hissons-nous, individuellement et collectivement, à la hauteur du moment.

Très belle fin d’année à chacun d’entre vous.

La femme, un soldat comme un autre. Recruter. Fidéliser. Valoriser.

La femme, un soldat comme un autre. Recruter. Fidéliser. Valoriser.


par Martine Cuttier (*) – Esprit Surcouf – publié le 29 décembre 2023

Docteur en Histoire Contemporaine

https://espritsurcouf.fr/defense_la-femme-un-soldat-comme-un-autre-recruter-fideliser-valoriser_par_martine_cuttier/


Si les femmes sont institutionnellement présentes dans les armées françaises depuis 1909, il a fallu attendre 1981 et l’élection de François Mitterrand à la Présidence de la République pour qu’elles y trouvent une vraie place qui, aujourd’hui se pérennise. La récapitulation des textes, réalisée en 2006 par l’Observatoire de la Féminisation, permet de suivre les grandes étapes de leur accès à une institution traditionnellement masculine. Spécialiste d’histoire politique et militaire, l’auteur dresse un « état des lieux » en relatant, d’abord, la manière par laquelle le pouvoir politique, au cours des 40 dernières années, a imposé la féminisation au haut commandement ; ensuite, comment cette dernière a été progressivement réalisée, via des mesures en faveur de la mixité. Enfin, Martine Cuttier ne manque pas de souligner le ressenti des femmes militaires elles-mêmes. Elles sont d’ailleurs toujours plus nombreuses, désormais, à s’exprimer en ce sens.

Dans les sociétés humaines, le recours à la guerre revient à l’homme. La division sociale entre les sexes semble si naturelle que les normes sont intériorisées depuis l’enfance au sein des lieux de socialisation primaire : la famille et l’école. L’homme s’inscrit dans une domination symbolique par rapport à la femme, son opposée du point de vue morphologique, biologique et psychologique. La guerre est une activité « sexuée » des hommes, qui ne l’aiment pas car ils y meurent. Mais elle leur octroie la virilité, les fait accéder aux vertus : héroïsme, sens du sacrifice et de la discipline, patriotisme, courage, endurance, fraternité des armes. Le passage des jeunes hommes par la conscription servait de rite d’initiation pour entrer dans le monde des adultes.

La haute hiérarchie militaire est restée hostile à la présence féminine, par culture pour les générations n’ayant pas connu la mixité scolaire, par corporatisme car ce sont des métiers « entre hommes », et parce que le recrutement féminin accroît une concurrence déjà vive. Depuis quatre décennies, cette réalité a lentement évolué et la division sexuelle du travail social s’est lentement estompée laissant peu à peu place aux femmes. 

LE VOLONTARISME POLITIQUE FACE AU HAUT COMMANDEMENT.

La question de l’intégration des femmes est restée cantonnée entre les états-majors et le pouvoir politique. Jusqu’en 1981, elle était considérée comme un pis-aller pour pallier les difficultés de recrutement. Or la gauche la regarde comme une volonté de promotion de la femme au titre de l’égalité républicaine. Elle a une approche sociétale jusqu’à imposer une révolution culturelle à l’armée, qui se place du point de vue de la préparation au combat, la mission principale des armées, la conscription ne concernant que les jeunes hommes. Le haut commandement résiste en refusant les postes de « combat de l’avant » dans les armes de mêlée, mais en les admettant, avec des quotas, dans les armes de soutien et d’appui.

Le cas de la Marine diffère. Lorsque le ministre Hernu décide d’expérimenter l’embarquement des femmes, cela « fit l’effet d’une bombe », ce fut « un véritable traumatisme psychologique. »  Car naviguer constitue le cœur du métier de marin, la clé de compréhension des comportements, des attitudes, des traditions. Même si le confort s’améliore, les conditions de vie à bord sont usantes et expliquent la tenue à l’écart des femmes.

Chantal Desbordes (qui sera la première femme nommée amiral, sans « e ») propose au directeur du personnel d’ouvrir le dossier « féminisation » et de prendre l’initiative afin « de combattre l’image conservatrice, voire rétrograde de la Marine ». Et, en cas d’acceptation du plan, de le mener selon le rythme et les modalités de la Marine. Brevetée de l’École de guerre navale, apte à intégrer le « club » très fermé des futurs dirigeants de la Marine, elle a acquis une réelle crédibilité, et son chef l’écoute. En un an, un groupe mixte a bâti un dossier à partir d’une expérimentation qui a concerné 40 femmes embarquées sur des bateaux sans équipement spécifique.

En 1993, la mixité est appliquée pour la première fois selon des quotas sur des navires aménagés au gré des réparations. Ainsi la presque totalité des spécialités d’équipage et les concours de recrutement d’officiers à l’École navale sont ouverts sur la base d’un quota de 10%. Dans la continuité, une femme prend le commandement d’un bâtiment de surface, suivie de quelques autres « pachas » et six bâtiments ont des équipages mixtes. L’armée de l’Air, moins prisonnière des traditions, accorda rapidement une place aux femmes.

AVEC LA FIN DU SERVICE MILITAIRE.

Lorsque le président Jacques Chirac annonce la suspension de la conscription et la professionnalisation des armées, votées par un gouvernement de cohabitation, en 1997, 7,5 % des personnels d’active sont féminins. Véritable rupture pour l’armée suivant l’évolution de la société dont elle est le reflet, elle puise dans le vivier commun du marché de l’emploi où les femmes sont présentes dans tous les secteurs d’activité. Le décret du 16 février 1998 fait sauter tous les verrous en supprimant les quotas féminins de l’ensemble des statuts particuliers des différents corps d’officiers et de sous-officiers de carrière. Toute une série d’arrêtés lève les restrictions aux spécialités. Dans l’armée de l’Air, celui d’avril 1998 permet aux femmes de les atteindre toutes.  Caroline Aigle est pilote de chasse dans un escadron de combat en 1999 et neuf femmes deviennent commandos de l’Air.

Caroline Aigle a été la première femme brevetée pilote de chasse en 1999. Elle était sur le point d’être sélectionnée comme astronaute en 2007 lorsqu’elle a été emportée par un cancer.

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Dans la Marine, en 1999, la restriction d’emploi dans les équipages d’avions embarqués est levée tout comme le volontariat à l’embarquement. En 2001, la filière fusilier-commando est ouverte. Dans l’armée de Terre, seule la Légion étrangère reste un bastion masculin. Dans la Gendarmerie, l’arrêté de novembre 1999 permet d’admettre des femmes dans la Garde Républicaine et au GIGN. Mesure symbolique, en 2000, des femmes embarquent sur le PA Charles-de-Gaulle et une femme pilote est qualifiée pour l’appontage. L’arrêté de décembre 2002 maintient la restriction d’emploi dans la Gendarmerie mobile et les sous-marins jusqu’à ce que les Barracuda de dernière génération, livrés à partir de 2018, soient équipés de sanitaires séparés.

Quant aux épreuves sportives communes aux concours d’entrée aux grandes écoles de recrutement d’officiers, l’arrêté de décembre 1998 rappelle que « les épreuves sportives sont identiques pour les hommes et pour les femmes, mais font l’objet d’une cotation à l’aide de barèmes spécifiques à chacun des deux sexes ».

En 2002, alors que la professionnalisation s’organise, le président Chirac désigne Michèle Alliot-Marie à la fonction de ministre de la Défense.  Elle symbolise la féminisation de l’institution à une époque où la force physique cède la place à la maîtrise de la technologie.  Les armées françaises occupent alors la seconde place, en Europe, avant la Grande-Bretagne et les Pays-Bas, avec 8,5 % de femmes servant en qualité d’officiers, de sous-officiers et d’engagées.

Jusqu’à une date récente, lorsque l’on évoquait la parité, les réticences à la féminisation restaient liées à la culture d’une institution où le modèle du leader était fondé sur une conception charismatique du chef, quand la définition du commandement évoluait vers le « management ». Ensuite, la présence féminine accroît la concurrence vers les fonctions de commandement dont le nombre diminue, à cause de la professionnalisation et des réductions budgétaires imposées par les LPM. Un lieutenant-colonel ne cachait pas son amertume de ne pas avoir obtenu un commandement régimentaire dans son arme des Transmissions octroyé à une femme. Elle eut certes un commandement mais particulier, car sa mission fut de dissoudre le 18e RT de Caen. Son temps de commandement dura un an et non deux, à l’issue duquel elle plia le drapeau et ferma la boutique.

LA FEMME MILITAIRE, OBJET D’ÉTUDES.

À l’orée des années 2000, la féminisation constitue un sujet de réflexion. Que d’écrits, de colloques, de conférences, de rapports du C2SD, de blogs, de numéros des Champs de Mars jusqu’à une thèse ! En 2011, le numéro 17 d’Inflexions porte sur Hommes et femmes, frères d’armes ? L’épreuve de la mixité. Sous-titre révélateur. En août 2013, l’hôtel de Brienne inaugure l’exposition Femmes de la défense, présentée ensuite en province. Et lorsqu’en 2012, le général Antoine Windeck prend le commandement des écoles de Saint-Cyr Coëtquidan, il se montre « soucieux d’améliorer le sort des élèves-filles », que « la grande école du commandement de l’armée de Terre, maison-mère des officiers, se positionne sur la question des femmes », car l’École spéciale militaire (ESM de Saint-Cyr) est considérée comme un foyer misogyne. Claude Weber, professeur de sociologie répond à la demande du général en organisant un colloque interdisciplinaire, en novembre 2013.

Le colonel Valérie Morcel, lors d’une prise d’armes à Haguenau (Photo Franck Kobi/DNA)

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Admise en 1995 dans une promotion de 173 élèves-officiers dont 4 filles, Valérie Morcel se souvient des relations difficiles avec certains garçons, des « remarques désobligeantes », du « mépris », du « sexisme dont elle a pu être victime. »  Quand on nous traitait de « grosses », c’était « encore gentil ». En revanche, lorsqu’en 2019, le lieutenant-colonel Catherine Busch commande le 1er bataillon de France (3e année de l’ESM), les quinze filles de la promotion de 140 élèves-officiers sont bien intégrées. Le temps a assoupli les comportements. Mais revenons au colloque où une contributrice s’interroge : « Le soldat a-t-il un sexe ? » citant d’entrée la formule du général de Lattre de Tassigny : « Je ne veux pas savoir s’il y a des femmes dans la division, pour moi, il n’y a que des soldats. » En écho, lorsqu’en juin 2018 le colonel Morcel prend le commandement du 54e RT d’Haguenau, elle est agacée que l’on écrive chef de corps avec « ffe » car elle considère qu’ « un chef, c’est un chef. Un colonel, un colonel. C’est une fonction ». La féminisation des titres est « très dévalorisante » et une manière de ridiculiser les femmes militaires.

En 2011 et 2012, le Haut comité d’évaluation de la condition militaire traite le sujet dans deux rapports et décide en 2013 de consacrer un numéro thématique aux Femmes dans les forces armées françaises. De l’égalité juridique à l’égalité professionnelle. Il s’appuie sur le Livre blanc et affirme que « la place des femmes dans les forces armées n’est plus un problème ni même une question ; leur rôle est désormais reconnu. La situation n’est pas pour autant stabilisée et des évolutions sont encore nécessaires. » Réaliste, le Haut comité avance que les dispositions applicables à la société civile ne peuvent être calquées telles quelles du fait de la mission des armées. Et si l’égalité juridique avance dans la société, l’égalité professionnelle est en devenir. Pour la réussir, il rappelle les limites des comparaisons avec la société. L’évolution vers l’égalité professionnelle ne pouvant se conduire qu’avec l’adhésion du personnel et correspondre aux aspirations personnelles des militaires et surtout des femmes.

En 2014, la parution médiatisée du livre de Marine Baron La guerre invisible, qui dénonce les violences physiques et morales faites aux femmes militaires, fit l’effet d’une bombe à tel point que le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian lança une enquête nationale interne, annonça des mesures en leur faveur avant de créer, en avril, la cellule Thémis, organisme central, interarmées, interservices. En 2016, afin de contrer les critiques sur les réticences à les promouvoir et les rendre plus visibles dans les campagnes de recrutement, le ministre préface un ouvrage de Jean-Marc Tanguy, L’armée au féminin, où il rappelle que la « mixité est une conquête, accomplie dans le temps long de l’histoire des armées », qu’elle est une réalité car « les femmes de la Défense servent désormais dans presque tous les domaines jusque sur les théâtres », ce que le livre montre par des portraits et des témoignages.

En 2019, la ministre des Armées Florence Parly, qui est très déterminée, publie le Plan Mixité. Les femmes représentent alors 15,5 % du total des militaires. Elles sont 30 % au secrétariat général pour l’Administration (SGA), 23 % dans l’armée de l’Air, 14 % dans la Marine et 10 % dans l’armée de Terre.

Elles sont 58 % (dont un très gros tiers médecin) dans le service de santé (SSA), commandé par une femme, le médecin général Maryline Gygax-Généro, 40 % dans les postes de gestion, de soutien et de relations humaines, et 4 % à l’opérationnel. Par catégories, elles représentent 15 % des officiers, 18 % des sous-officiers et 13 % des militaires du rang. En 2022, 51 femmes sont officiers généraux (hors contrôle général), elles étaient 30 en 2016.

Le Plan a été conçu en concertation avec les Armées, la DICOD, l’association Avec les femmes de la défense et les corps d’inspection et de contrôle. Il s’est accompagné de consultations sous forme d’entretiens individuels, d’échanges collectifs, de tables rondes ayant concerné toutes les catégories,  les directions, les services mais aussi les Conseils de la fonction militaire. Il a été présenté au Conseil supérieur de la fonction militaire le 23 janvier 2019.

Y ALLER, Y RESTER, Y ÉVOLUER.

Ce plan mixité s’appuie sur trois axes, « recruter, fidéliser, valoriser », déclinés en 22 mesures, fruit du travail du contre-amiral Anne de Mézieux, directrice auprès du DRH du ministère. Alors que seulement 8 % des femmes sont déployées en OPEX, son sous-titre, « la Mixité au service de la performance opérationnelle », n’est-il pas présomptueux ? Même question pour le très volontariste titre de la 1ère partie : «  l’égalité femmes-hommes au ministère des Armées, un principe cardinal et une réalité quotidienne ».

Le dossier pour l’obtention du label « Égalité », déposé fin 2018, témoigne de l’engagement du ministère en faveur de l’égalité professionnelle. Constatant que depuis 2008 la proportion des femmes stagne entre les civiles (38 %) et les militaires (15,5 %), la ministre entendait prendre sa part de la volonté du président de la République, qui annonçait en novembre 2017 que l’égalité constituait « la grande cause nationale du quinquennat ».

Mais l’égalité des sexes doit-elle servir de finalité à une politique sociale ?  Afin d’accroître les effectifs féminins,  on recrute directement des femmes officiers en élargissant le recrutement sous contrat et sur les titres des grandes écoles. Pour éviter « l’évaporation des talents » comme le repli sur les métiers administratifs et de soutien, il est envisagé de modifier le Code de la défense pour intégrer les droits à l’avancement (dans la limite de cinq ans) en cas de congé parental ou de disponibilité pour élever un enfant. Y compris en prolongeant les créneaux d’accès aux temps de commandement et de responsabilité après absence pour raisons familiales. Il est prévu d’instituer un mentorat dans le but de fidéliser les militaires en les accompagnant mieux tout au long de leur carrière. Une gestion non pas dans les unités mais par des accompagnateurs situés hors hiérarchie. N’est-ce pas en contradiction avec le choix de privilégier les recrutements sous contrat ?

Photo Sirpa Terre

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La LMP 2019-2025 veille « à faciliter l’accès des femmes aux diplômes d’état-major et à l’École de guerre avec l’objectif de doubler la part des femmes parmi les officiers généraux d’ici 2025 ». En 2019, 7 % des officiers généraux sont des femmes. Ce taux s’explique par le recrutement et « l’évaporation des talents » au gré de la montée en grade car, rappelons-le, il faut une vingtaine d’années pour former un chef de corps. En 2018, parmi les 78 promus « colonel » au sein de l’armée de Terre, la seule femme était Valérie Morcel. « Forcément, cela a été un soulagement de me retrouver sur cette liste. C’est beaucoup de fierté et de pression. C’est un enjeu important dans le déroulement d’une carrière ». À l’été 2019, elle prend le commandement d’un régiment de transmissions et le colonel Catherine Busch, le 31e régiment du génie de Castelsarrasin. Et il faut 30 ans pour accéder aux étoiles après le passage par le CHEM.

 

Genre et compétence.


Le sujet des examens et des concours est abordé dans la troisième partie du Plan sous l’angle de la fidélisation, alors que les mesures  visent à renforcer la féminisation du haut encadrement. Objectifs : 10 % de femmes parmi les lauréats de l’École de Guerre d’ici 2025, 10 % de femmes parmi les officiers généraux en 2022, et, on l’a déjà dit, doublement de la part des femmes parmi les officiers généraux d’ici 2025. L’établissement de tels quotas n’est-il pas injuste, voire discriminant ? N’est-ce pas une façon d’humilier les femmes triées pour leur genre et non leur compétence, tout en accroissant un ressentiment masculin ? Pour le colonel Valérie Morcel : « Le combat se gagne avant tout sur la compétence »,  le colonel Catherine Busch ne dit pas autre chose lorsque, prenant le commandement du 31e RG, elle déclare à la presse locale « Le commandement, ce n’est pas une affaire de genre. » Elles revendiquent leur promotion pour leurs compétences et se montrent le plus souvent hostiles aux quotas. Faut-il traiter l’émancipation des femmes de façon idéologique et en faire une affaire de chiffres ?  Autant de questions posées.

Encore faut-il que la hiérarchie accepte que la femme fasse ses preuves et acquière des compétences. Le cas de cet adjudant-chef parachutiste illustre l’évolution des mentalités et des comportements en une génération. Au début des années 1990, sortant bien classée de Saint-Maixent, elle choisit l’infanterie parachutiste. Elle se retrouve comptable à la BOMAP alors qu’elle voulait être chef de groupe et partir en mission. Elle y parvient et, lorsqu’elle dépose son dossier pour être moniteur, le capitaine éclate de rire. Commence « un combat de longue haleine ».  Elle  sort 1ère à l’issue des tests, mais son « dossier passe toujours en dessous car il y a des priorités. » À l’ETAP, elle est « la 1ère de l’armée de Terre » et doit « faire plus pour faire ses preuves ». En 1997,  enfin moniteur, elle se retrouve au 1er RTP avec la spécialité largage. Elle largue donc mais, un jour, un légionnaire du 2e REP refuse son contrôle avant le saut. Mal lui en a pris, il écope de 10 jours d’arrêts. Puis, en 2005, l’ETAP la mute au cercle-mess où elle retrouve sa spécialité première alors qu’elle veut aller dans les régiments où les moniteurs manquent. Quand elle demande à intégrer la brigade parachutiste, même refus. Alors elle passe les qualifications de chef largueur et, après avoir participé au Grand Raid de la Réunion puis au Marathon des Sables, son chef accepte « à condition qu’elle joue le rôle de vitrine » de l’unité. Elle gagne et gravit les échelons jusqu’à saisir l’opportunité d’intégrer le 1erRPIMa, où elle poursuit les qualifications  pour la logistique et le saut à très grande hauteur sous oxygène.

 

Il y a quelques années, un communiqué du ministère de la Défense informait de la promotion d’une officière. La féminisation de ce nom était validée par le Conseil D’Etat, mais son usage ne semble pas entré dans les mœurs. Photo Bundeswher

La communication institutionnelle

Recruter, donner envie de s’engager, fidéliser en conciliant évolution professionnelle et vie privée, en mettant en valeur l’image féminine, c’est le job des communicants. Le PA Charles-de- Gaulle partant en opération après deux ans de réparation, le JT de TF1 du 25 février 2019 présente des filles mangeant dans la bonne humeur, l’une montre sa couchette, l’autre est en passerelle au poste de commandement. Un esprit mal tourné pourrait conclure que l’équipage du PA est essentiellement féminin, alors qu’elles ne sont qu’une poignée.  Sur FR3, le 20 mars, une publicité sur le recrutement dans l’armée de Terre n’affiche que des filles dans toute la diversité. Le magazine Enquête d’action diffusé sur W9 traite du stage d’instructeur commando du CNEC, à Montlouis. Sur les 25 stagiaires, l’accent est mis sur un lieutenant du 92e RI de Clermont-Ferrand et sur le sergent Christelle, venue de l’École de l’Air de Salon-de- Provence. Un homme et une femme pour l’équilibre, mais le reportage s’attarde sur le sergent qui réussit de justesse, classée avant-dernière mais quatrième femme à être allée au bout du stage. Présentée dans le Plan Mixité, elle est signalée comme la première femme de l’armée de l’Air à avoir obtenu cette qualification sans préciser son rang.

L’on aura compris que, dans chacune des armées, la communication sur le recrutement s’aligne sur une gestion des Relations Humaines très politique. Les éléments de langage traduisant la volonté politique semblent oublier que l’engagement militaire doit répondre à une vocation, et accepter que le métier militaire puisse être plus attirant pour les hommes que pour les femmes, tout comme la dimension « combat » attirer moins les femmes.

L’obsession ministérielle se traduit parfois de façon étonnante. Ainsi, la secrétaire d’État Geneviève Darrieussecq, en visite à l’ETAP à Pau, demande  à son commandant l’effectif des militaires féminines. Surpris, il répond selon l’usage, comme il avait entendu le chef d’état-major de l’armée de Terre le faire, en indiquant le nombre d’officiers, sous-officiers et militaires du rang. Une réponse qui la mécontenta. 

La ministre veut un treillis pour femme enceinte, ce à quoi s’opposent les femmes. Beaucoup considèrent qu’il faut cesser de mettre des femmes partout comme dans le civil et, si elles sont d’accord pour lisser les tests physiques, ce qui revient à baisser les niveaux exigés pour les hommes et à augmenter ceux pour les femmes, elles considèrent que l’évaluation de la capacité opérationnelle doit être identique. Pour certaines, la ministre crée un fossé, alors que la mixité doit harmoniser les relations hommes/femmes. D’ailleurs la feuille Mixité demandée par l’Inspection de l’armée de Terre a montré que les idées des groupes de travail allaient dans le sens CEMAT, et pas du tout dans celui de la ministre.

Dans l’esprit de la ministre, le Plan Mixité visait à débloquer les verrous empêchant les femmes et particulièrement les officiers de poursuivre leur carrière. Il s’appuyait sur le Plan Famille de 2017 avec des mesures en faveur des femmes et des jeunes parents, afin de mieux concilier carrière et vie personnelle, dont la maternité.


(*) Martine CUTTIER. Docteur en histoire contemporaine, spécialiste des relations internationales et des politiques de puissance avec projection de forces. Elle a beaucoup travaillé sur les questions de sociologie militaire et les relations entre forces occidentales projetées et populations des pays considérés, notamment dans les pays africains en faisant le distinguo entre Français, Britanniques, d’une part, et Américains d’autre part.

La solde des militaires : le prix du sang

La solde des militaires : le prix du sang

par Michel Gay – Revue Conflits – publié le 19 janvier 2023

https://www.revueconflits.com/la-solde-des-militaires-le-prix-du-sang/


Solde et salaire sont deux choses différentes. Si les militaires perçoivent une solde, c’est pour payer le prix du sang, différenciant leurs activités des autres activités rémunérées.

Les militaires (incluant les gendarmes) ne perçoivent pas un salaire mais une solde. Si le salaire est le prix du travail, depuis Napoléon la solde est le prix du sang.

Un léger malentendu… 

Un militaire perçoit une solde non pour produire un bien ou rendre un service marchand, mais pour se préparer à défendre la Nation, y compris par la violence et au péril de sa vie, en obéissant aux ordres donnés par ses représentants légitimes.

Légalement, un militaire n’a pas d’horaires de travail (dans la pratique quotidienne, des horaires ont été calqués sur ceux du monde civil). Un chef militaire peut ordonner jour et nuit, 365 jours par an, des actions dangereuses pour la vie de ses subordonnés (et pour la sienne) dans le cadre de la mission qui lui est confiée.

En revanche, un chef d’entreprise peut aller en prison s’il met sciemment en danger la vie de ses salariés.

Des élèves-officiers britanniques avaient été interrogés pour savoir, selon eux, quel métier civil se rapprocherait le plus de leur future situation de chef militaire. Beaucoup ont répondu : « chef d’entreprise »…

Un chef militaire n’est pas un chef d’entreprise !

D’abord, un chef d’entreprise doit gagner l’argent, ou l’emprunter, pour investir, payer les salaires et, éventuellement, engranger des bénéfices. Le militaire, lui, ne fera jamais fortune mais il est régulièrement payé par l’Etat, et il n’achète pas le matériel qu’il utilise.

Ensuite, les militaires ont le pouvoir, et même parfois le devoir, de tuer au nom de la Nation qui l’ordonne en lui confiant une mission. Ils ne sont pas seulement des gestionnaires de moyens alloués par la Nation ou des « managers » de leurs subordonnés.

La communication des armées a elle-même contribué à rendre ambigüe cette perception de « l’état militaire ». Des campagnes de recrutement ont été centrées sur le monde civil (apprendre un métier, se consacrer à des actions humanitaires, faire du sport,…). Elles étaient certes utiles pour recruter massivement, mais ces « publicités » étaient en décalage avec les rudes réalités des opérations extérieures.

La préparation au combat n’est pas seulement un apprentissage technique, ni un simple entraînement sportif pour se former physiquement et mentalement, c’est surtout un engagement personnel jusqu’au « sacrifice suprême » au service de son pays et de la défense de ses valeurs (démocratie, liberté,…).

Les militaires sont destinés au combat

Et le combat sort du monde ordinaire, il est « extraordinaire » au sens littéral. Il porte ses propres règles, différentes de celles qui régissent l’état de paix. Il bouleverse les circonstances habituelles, les perceptions, les réactions et, in fine, l’être même.

Au combat, il faut faire face à l’horreur et surmonter la peur. La proximité avec le danger et la mort agit comme un révélateur. Des hommes et des femmes ordinaires ont soudain des comportements extraordinaires pour défendre des intérêts aux contours parfois flous. Ils acceptent des efforts « hors normes » pour affronter collectivement une réalité violente loin du monde individualiste et hédoniste habituel.

Les militaires répondent aussi à des impératifs personnels : la soif de découverte, l’envie d’aventure, d’action, de se dépasser, le rejet d’une société aseptisée, et le besoin d’être intégré dans un groupe humain rendu solidaire par des épreuves partagées.

C’est souvent principalement pour ces raisons qu’ils acceptent de s’engager dans des combats difficiles, avec des moyens parfois rustiques, et de souffrir en silence.

Les médias communiquent volontiers sur un mode compassionnel et sont promptes à dénigrer l’Armée si un soldat se conduit mal, mais ils « oublient » parfois (souvent ?) d’honorer ces nombreux jeunes Français qui incarnent aussi des vertus de calme, d’effort, de volonté, et de courage.

Le soldat de la Paix

L’ère sympathique, mais quelque peu utopique, du « soldat de la paix » est maintenant dépassée.

Certes, il œuvre pour la paix mais sous la pression des évolutions géopolitiques, le mot guerre n’est plus tabou. La population française redécouvre que des crises et des guerres existent toujours partout dans le monde, provoquant des ruines, des blessés et des morts.

Paradoxalement, malgré cette prise de conscience, les moyens militaires de la France en hommes et en matériels ont diminué ces dernières années. Nos responsables politiques, parfois aveuglés par notre « supériorité technologique », parfois virtuelle, imaginent que les conflits vont s’apaiser d’eux-mêmes, comme par miracle.

Un pays qui oublie la finalité de ses armées et les réalités du combat est condamné à se perdre. Certains espèrent que « d’autres », parfois méprisés, iront spontanément s’exposer à leur place pour faire face au danger lorsqu’il surgira. Mais combien « d’enfants de la Patrie » accepteront avec entrain de se lever et de mettre leur vie en péril, sans y être préparés, quand nos intérêts et nos libertés seront menacés ?

Négliger les valeurs du combattant face à des adversaires de la démocratie qui exaltent à l’extrême des valeurs guerrières sur fond d’idéologie (religieuse ou non) crée un décalage dangereux. « Contre nous (les démocrates), l’étendard sanglant de la tyrannie est levé ».

Dans un monde qui n’a jamais cessé d’être turbulent, voire violent, les critères de discipline, d’abnégation et de dévouement font la force du militaire. Ces valeurs constituent un modèle de plus en plus prisé par une société, notamment des jeunes, en quête de repères.

L’Etat verse une solde aux militaires pour accepter sur ordre de verser leur sang, et aussi pour assumer le sacrifice ultime des autres, pour la défense des intérêts de la Nation.

Sur les canons du roi Louis XIV était gravée la locution latine « Ultima ratio regum » : le dernier argument du roi.

L’effet « gueule de bois »

L’effet « gueule de bois »

L’effet « gueule de bois »

 

Panique aux étages supérieurs des rédactions françaises : « Une petite musique inquiétante se répand à travers le monde, s’alarme l’éditorialiste du Figaro Philippe Gélie, celle d’une défaite inéluctable de l’Ukraine » (8 décembre 2023). Après l’échec de la contre-offensive, l’attention internationale se détourne vers Gaza et les Occidentaux mégotent sur l’aide militaire apportée à Kiev. « Toute diminution de l’aide à l’Ukraine serait un drame », prévient un titre de Libération (14 décembre) tandis que France Inter interroge Bernard-Henri Lévy : « Comment il va Volodymyr Zelensky ? Vous le voyez régulièrement. » Simultanément, Le Monde (14 décembre) met en garde contre « la mauvaise option de la faiblesse » et décrit le président ukrainien « le visage tendu, le regard presque suppliant » plaidant « désespérément » sa cause.

Même LCI, la chaîne de propagande ukrainienne en langue française et en continu, peine à remonter le moral. « Pour nous, c’est effrayant, admet le général Vincent Desportes ; on avait parié sur une descente aux enfers de la Russie, et c’est tout le contraire » (10 décembre). Le journaliste Gallagher Fenwick admoneste les chancelleries qui chancelleraient : « Tout ce que vous économisez aujourd’hui en dollars, vous le paierez demain en hommes. (…) Et je ne vois pas ce qui empêcherait Vladimir Poutine de venir lécher les frontières de l’OTAN [Organisation du traité de l’Atlantique nord] » (LCI, 9 décembre). « Cette déprime d’automne s’explique d’abord par un effet “gueule de bois”, reconnaît Jean-Dominique Merchet dans L’Opinion (11 décembre). Au printemps, Ukrainiens et Occidentaux s’étaient laissé enivrer par l’idée d’une victoire militaire rapide et d’un effondrement russe dès l’été. » Il avait lui-même tété goulûment ce flacon en n’excluant pas il y a quelques mois que l’Ukraine puisse « reprendre la totalité de son territoire, y compris la Crimée » (24-25 février).

Or une longue enquête publiée par le Washington Post le 4 décembre dernier vient d’établir que la bérézina ukrainienne est aussi celle des dirigeants occidentaux, éperonnés par les éditorialistes va-t-en-guerre. On savait que les armes, l’entraînement, le renseignement provenaient du Pentagone. Mais on ignorait que les plans de la contre-offensive avaient été élaborés au cours de « huit exercices de simulation miniatures » dans une base américaine en Allemagne, en compagnie de militaires britanniques et ukrainiens : « Le général Mark A. Milley, alors chef d’état-major interarmées des États-Unis, le colonel-général Oleksandr Syrsky, commandant des forces terrestres ukrainiennes, ont assisté à plusieurs des simulations. » M. Milley avait même prodigué d’astucieux conseils aux forces spéciales envoyées derrière les lignes ennemies : « Aucun Russe ne devrait s’endormir sans s’inquiéter d’avoir la gorge tranchée pendant la nuit. »

Les « alliés » lancent leur opération le 8 juin 2023. Dès le 12, face à la résistance russe, « des mois de planification avec les États-Unis doivent être mis au panier et la contre-offensive, déjà retardée, qui se fixait pour objectif d’atteindre la mer d’Azov avant trois mois, marque un arrêt quasi complet ». Ainsi, dès la deuxième semaine de juin, des analystes bien informés savaient l’affaire compromise. Mais à un moment où, selon le chroniqueur humoristique de France Inter Matthieu Noël, le spécialiste militaire « Pierre Servent était comme moulé dans le siège invité de ce studio », les auditeurs de la radio publique, eux, restaient confiants dans l’issue que cet amoureux de l’OTAN avait prophétisée : « la dislocation de l’outil militaire russe » (France Info, 24 février) ; « le pouvoir poutinien très sérieusement fragilisé » (France Inter, 26 juin). Début novembre, quand le général ukrainien Valery Zaloujny admet lui-même « l’impasse » de son armée, Servent s’emporte : « La logique de sa déclaration, c’est la démission. En temps de guerre, si vous dites ça à vos soldats, vous les découragez » (LCI, 2 novembre).

« On s’était pris à y croire, reconnaît Juliette Bénabent, grand reporter à Télérama (13 décembre), sanctions, condamnation quasi unanime de Vladimir Poutine, aides inédites au pays agressé… Une victoire de l’Ukraine envahie par l’ogre russe, d’abord inimaginable, a un temps paru possible. Près de deux ans plus tard, l’inquiétude remonte en flèche. » Le journaliste vedette de France Culture Thomas Cluzel avait dénoncé en Ukraine « une véritable boucherie au cœur même de l’Europe », « le réveil du spectre de la guerre d’extermination par la faim », « la progression des forces de l’envahisseur à coups de bombardements destructeurs ». Une autre « gueule de bois » s’annonce. Car ce sont les massacres israéliens à Gaza que Cluzel décrit à présent : « La situation est apocalyptique. L’enclave compterait davantage de morts civils que l’Ukraine en deux années de guerre » (13 décembre).

Algérie : la victoire taboue

Algérie : la victoire taboue

Algerie: Visite du General de Gaulle. Suite aux manifestations reclamant le maintient de l’Algerie dans le giron de la France et aux sollications des generaux, le General de gaulle se rend en Algerie le 4 juin 1958. C’est au cours de ce voyage qu’il s’adresse a la population en lancant, depuis le balcon du Gouvernement General, la celebre phrase « Je vous ai compris ».

 

par Jean-Baptiste Noé – Revue Conflits – publié le 22 décembre 2023

https://www.revueconflits.com/algerie-la-victoire-taboue/


Paru en 2012, l’ouvrage de Christophe Dutrône La Victoire taboue reste d’une grande actualité pour comprendre la guerre en Algérie et la resituer dans le contexte du retour de la guerre au Proche-Orient.

En Algérie, il n’y a pas que la victoire qui soit taboue. Évoquer cette période, analyser ses enjeux militaires et politiques demeure difficile. L’incompréhension entre le général de Gaulle et les partisans de l’Algérie française est une véritable faille anthropologique. Les deux camps ont une vision totalement différente de la place de la France dans le monde, de l’organisation des sociétés et de la viabilité de l’Empire. Deux visions différentes qui ne peuvent ni cohabiter ni trouver de point d’entente.

Dans son ouvrage, Christophe Dutrône revient sur la tactique mise en place par l’armée française pour démanteler le FLN et reprendre le contrôle du terrain. Mais une tactique qui ne peut s’inscrire que dans un projet politique et celui de de Gaulle était de quitter le pays et d’opérer un grand dégagement. Là réside l’une des incompréhensions majeures. Pour les partisans de l’Algérie française, il fallait gagner pour rester en Algérie ; pour de Gaulle, il fallait gagner pour pouvoir partir. Le désengagement algérien, vu comme une défaite pour certains, est au contraire une victoire pour d’autres. Entre les deux camps, l’incompréhension est totale. La différence de perception à l’origine du conflit engendre une différence d’interprétation sur le déroulement de la guerre et son achèvement.

Analyse des massacres conduits par le FLN, de la terreur instillée dans les campagnes et les villes pour détruire les réseaux algériens non affiliés au FLN, étude de l’évolution de la tactique de l’armée française, du développement économique avec les Sections administratives spécialisées (SAS) au ratissage d’Alger par les parachutistes, la guerre en Algérie a connu de nombreuses évolutions depuis son déclenchement en 1954. L’auteur montre aussi comment ce conflit s’inscrit dans un cadre plus large et dans le contexte de plusieurs défaites subies par l’armée française, qui ont pesé sur la morale des troupes et la conscience militaire des régiments. Il y a d’une part la défaite en Indochine et d’autre part l’échec de l’opération de Suez. Même si la majorité des troupes engagées en Algérie n’ont connu ni l’une ni l’autre, ces échecs ont pesé comme un surmoi militaire à ne plus revivre.

Débarrassé de la tension mémorielle, il est urgent de se replonger dans la guerre d’Algérie pour l’étudier du strict point de vue militaire, tactique et stratégique. La stratégie de guérilla, que l’on appelle désormais du nom plus scientifique, mais non moins faux, de « guerre asymétrique », est revenue au premier plan. La stratégie de la terreur opérée par le Hamas a bien des éléments en commun avec celle du FLN. Les tensions civiles qui secouent la France et bon nombre de pays d’Europe trouvent des échos dans les conflits entre populations arabes et européennes durant la guerre d’Algérie. Ce n’est pas une guerre ancienne ou lointaine, ce n’est pas une guerre à ranger au rayon des vieilleries et des « guerres coloniales ». La guerre en Algérie, par sa confrontation anthropologique, par sa dimension politique et religieuse, par ses combats urbains et moraux, est la prémisse de bien des guerres qui sévissent aujourd’hui.

L’ouvrage de Christophe Dutrône est une synthèse brève. Il pourrait être développé, complété, augmenté. Mais son atout est justement d’être une synthèse, c’est-à-dire de donner les idées principales et d’aller à l’essentiel. Onze ans après sa parution, il demeure une lecture indispensable pour comprendre les évolutions de la guerre au cours des cinquante dernières années et surtout pour comprendre que la guerre ce n’est pas l’affrontement des armes, mais l’affrontement des volontés et des visions ; les armes utilisées n’étant que les moyens au service de la volonté et de la vision. La Victoire taboue ouvre des champs d’études, que l’analyse des conflits doit désormais labourer.