Coups d’Etat en Afrique : « Les putschistes promettent une deuxième indépendance »

Coups d’Etat en Afrique : « Les putschistes promettent une deuxième indépendance »

 

Alain ANTIL, interviewé par Sarah Diffalah pour L’OBS

https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/coups-detat-afrique-putschistes-promettent-une-deuxieme-independance


La multiplication des coups d’Etat au Sahel et en Afrique de l’Ouest, qui fragilise encore un peu plus l’influence de la France sur le continent, signe un inquiétant recul démocratique. Explications avec Alain Antil, de l’IFRI.

Des militaires qui font irruption dans les locaux de la télévision d’Etat pour annoncer à l’antenne la fin du régime politique et la destitution du président : la scène s’est répétée sept fois ces trois dernières années dans les Etats africains francophones. Après le Mali, la Guinée, le Burkina Faso, le Niger il y a un mois, c’est le Gabonqui est devenu le théâtre, le 30 août, d’un nouveau coup d’Etat. Le continent africain semble renouer avec les régimes militaires des années de guerre froide, une période – que l’on pensait révolue – marquée par une instabilité politique endémique qui faisait apparaîtrele continent comme structurellement incapable de se démocratiser. Mais la dynamique des coups d’Etat actuels est complexe, et il serait réducteur de les mettre dans le même sac.

En août 2020 puis mai 2021, les colonels maliens ont surfé sur un mécontentement général contre le régimecorrompu d’Ibrahim Boubacar Keïta. Au Burkina Faso, les putschs de janvier et septembre 2022 puisent leurs racines dans des relations tendues entre militaires et pouvoir civil, sur fond de défis sécuritaires importants posés par des insurgés djihadistes qui contrôlent 40 % du territoire. Au Niger, le coup d’Etat contre Mohamed Bazoum ne fait pas suite à des manifestations dans les rues de Niamey, ni à des revers contre les groupes terroristes. La légitimité que le président nigérien tirait des élections de 2021 était loin d’être parfaite, mais elle n’était pas remise en cause. Quant au Gabon, c’est la réélection contestée de l’héritier de la dynastie Bongo – qui règne depuis 1967 – qui y a provoqué le putsch contre Ali Bongo. Une situation qui rappelle celle de la Guinée en 2021, où les militaires des forces spéciales ont déposé Alpha Condé qui avait révisé la Constitution pour effectuer un troisième mandat.

Reste que le retour des treillis au coeur de la vie politique bénéficie d’un indéniable soutien populaire. Profitant de cet état de grâce, les putschistes de ces paysont opéré un rapprochement jusqu’à évoquer une « fédération ». Un axe qui serait capable de relever les défis économiques auxquels leurs propres élites corrompues et leurs partenaires occidentaux n’ont pas su répondre. De quoi, en tout cas, mettre en lumièreun rejet grandissant des valeurs démocratiques et libérales. La Russie de Vladimir Poutine, qui s’en réjouit, apparaît comme la bénéficiaire de l’affaiblissement des Occidentaux dans leur ancien pré carré…

Cette « épidémie de putschs », comme l’a qualifié Emmanuel Macron, va-t-elle s’étendre ? Au Cameroun et au Congo-Brazzaville, les dirigeants sont vieillissants. A Madagascar, la gouvernance laisse à désirer. Au Sénégal, la jeunesse bouillonne contre l’autoritarisme de Macky Sall. Entretien avec Alain Antil, directeur du Centre Afrique subsaharienne de l’Institut français des Relations internationales (Ifri).

La position de la France en Afrique est-elle affaiblie ? Avec le Gabon, c’est un de ses piliers historiques qui vacille sous les coups de boutoir des militaires…

Alain Antil : Au Sahel, la relation entre certains pays francophones et la France connaît une crise aiguë. Les relations diplomatiques sont difficiles, les troupes françaises sont sommées de partir, les accords de défense avec l’ancienne métropole sont dénoncés. Mais le déclin de la présence française sur le continent africain est une tendance de fond. Le désengagement militaire n’a pas commencé avec le retrait du Mali et du Burkina Faso. Depuis les indépendances, les effectifs sont passés de 30 000 à un peu plus de 6 000 aujourd’hui.

Emmanuel Macron avait lui-même qualifié en février les bases militaires de « relique du passé ». Les crises politiques actuelles ne font qu’accélérer le processus. Cette présence militaire était contestée par les populations et une partie des élites. Peut-être est-ce l’occasion de bâtir une relation plus apaisée… Par ailleurs, la présence économique française s’est redéployée. Les intérêts français ne sont plus concentrés sur les pays francophones et encore moins les pays sahéliens.

« Il est temps de s’interroger sur la présence militaire française en Afrique » Ces récents putschs à répétition touchent principalement des Etats francophones. Est-ce une remise en cause de la politique française menée depuis la colonisation ?

Oui. Parmi les legs postcoloniaux qui expliquent ce rejet, la présence militaire française est la plus visible. La France est le seul ancien pays colonisateur à avoir maintenu pendant des décennies des bases militaires permanentes et mené une cinquantaine d’opérations. L’interventionnisme militaire, rendu possible par des accords signés peu après les indépendances, est une caractéristique majeure de la politique de la France qui suscite aujourd’hui la réprobation sur le continent. Malgré la baisse des effectifs, il ne s’est pas affaibli au XXI siècle, se manifestant au contraire par la plus ambitieuse des expéditions militaires, l’opération Barkhane [2014-2022].

Ces pays dénoncent aussi une forme de paternalisme dans la façon dont s’expriment les autorités françaises. Le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar en 2007, lorsqu’il a déclaré que « l’homme africain n'[était] pas assez entré dans l’Histoire », a été vécu comme une gifle. J’ai le sentiment que nos autorités ne se rendent pas compte du poids de tels propos vexatoires. Encore récemment, Emmanuel Macron a déclaré que le Mali, le Burkina Faso et le Niger « n’existeraient plus » sans les opérations militaires françaises. Sans s’en rendre compte, le président alimente le ressentiment.

Emmanuel Macron et l’Afrique : une politique du « en même temps » difficile à suivre Nombre de ces coups d’Etat ont bénéficié, du moins au début, d’un important soutien populaire…

Face à des régimes jugés corrompus et défaillants, qui n’offrent aucune perspective d’avenir en particulier aux jeunes, il y a une soif de nouvelles voies. Ce « dégagisme » passe parfois par des élections, parfois aussi par des coups d’Etat militaires. Les putschistes et les milieux qui les soutiennent, les néo-panafricanistes, les souverainistes, proposent une nouvelle offre politique, celle d’une « deuxième indépendance ». Ils promettent la rupture avec l’ancien colonisateur, considéré comme coresponsable avec les élites africaines dirigeantes des malheurs de ces pays.

Ils enfourchent le discours souverainiste anti-français et anti-occidental, car c’est leur seul capital politique. Les militaires n’apportent pas de solutions aux problèmes. Mais les opinions publiques leur savent gré de dénouer des crises qui pourraient, sans leur intervention, finir dans des bains de sang. Cela dit, il faut rester prudent sur le degré de soutien à ces coups d’Etat, car on ne dispose pas d’instituts de sondage pour mesurer leur popularité.

Souvent, ces putschistes ont été inefficaces dans leur mission de protection du territoire. Certains ont occupé des fonctions au coeur des pouvoirs rejetés. Or ils apparaissent comme les sauveurs de la nation…

L’armée fait figure d’unique alternance valable pour renouveler la classe politique vieillissante et corrompue. De plus, au Mali et au Burkina Faso, les putschistes ne font pas partie de la haute hiérarchie, qui est aussi détestée que les élites administratives. Ce sont de jeunes officiers qui ont l’expérience du terrain, ne traînent pas de casseroles connues et promettent d’être en phase avec une population jeune.

Alors que les partis politiques sont démonétisés, on voit s’élaborer un nouveau champ politique avec d’autres acteurs : militaires, influenceurs, mouvements citoyens, plateformes de soutien aux putschistes ou, plus classiquement, personnes qui revendiquent des formes de légitimité traditionnelles ou religieuses.

Les militaires qui prennent le pouvoir n’ont aucune compétence pour gouverner, aucune compétence diplomatique pour négocier. Quels sont les risques ?

On a du mal à se rendre compte de ce qui se passe dans l’appareil d’Etat, car ces terrains sont désormais difficiles d’accès pour les chercheurs et les journalistes. Mais on sait que depuis l’arrivée de la junte au Mali, la situation sécuritaire s’est dégradée. L’emprise de l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) a doublé depuis le départ de l’armée française et l’arrivée des mercenaires de [la société russe] Wagner. Le Burkina Faso connaît lui aussi de grandes difficultés sécuritaires, et c’est également ce qui risque de se passer au Niger.

Au Mali, les civils paient de leur vie la présence de la milice Wagner Peuvent-ils apporter plus de démocratie à coups de putsch, dans une forme paradoxale de « printemps africain » ?

C’est parfois le cas. La démocratie est advenue au Mali en 1991 après des manifestations populaires réprimées dans le sang, qui ont fini par la chute de la dictature de Moussa Traoré après le coup d’Etat d’Amadou Toumani Touré. Celui-ci s’est retiré après une courte transition, avant de se présenter à la présidentielle en 2001. Au Niger, l’ancien président Mahamadou Issoufou a été élu après un coup d’Etat en 2010 et une transition menée par de jeunes officiers autour du commandant Salou Djibo…

Aujourd’hui, il est difficile de dire si ces putschs vont mener à une ouverture démocratique. En Guinée, les putschistes ont annoncé qu’ils ne resteraient pas au pouvoir. Au Mali, certains des colonels se voient un avenir politique, mais Bamako n’est pas engagé dans un processus de retour à des élections transparentes. Au Burkina Faso, la situation est si catastrophique sur le plan sécuritaire que parler de fin de la transition est illusoire. Au Niger, la junte a évoqué une transition de trois ans. Au Gabon, il est encore trop tôt pour se prononcer [le général Brice Oligui Nguema, nouvel homme fort du pays, a prêté serment lundi 4 septembre sans fixer la durée de la transition, réitérant la promesse de « remettre le pouvoir aux civils en organisant des élections libres, transparentes et crédibles »].

Ces coups d’Etat sont-ils le signe que la vague de démocratisation qui a balayé l’Afrique subsaharienne au début des années 1990 s’est brisée ?

De 1990 au milieu des années 2010, l’Afrique subsaharienne a connu globalement des progrès démocratiques, avec des trajectoires nationales très différentes. Au Sénégal, par exemple, on a eu une transition démocratique. Mais l’Afrique centrale est restée, comme au temps de la guerre froide, avec des gouvernements kleptocratiques et autoritaires. Depuis le milieu de la décennie 2010, on observe une régression,même dans des pays où il y a eu des progrès. Au Bénin, qui était avec le Sénégal à la pointe des processus de démocratisation, des opposants sont arrêtés. On est dans une phase globale de dégradation de la démocratie. Parallèlement, au sein des populations, en particulier dans la jeunesse, on trouve de moins en moins de forces sociales prêtes à tout sacrifier pour la démocratie. Cela s’explique par le sentiment que cette démocratie promue par les Occidentaux a échoué,qu’elle n’a pas apporté le développement.

Sénégal : les révoltés de Casamance Y a-t-il une tentation de l’autoritarisme ?

Ces pays ont une longue histoire de pouvoirs militaires, de partis uniques répressifs et violents. Pendant la guerre froide, les militants pro-démocratie vivaient dans la clandestinité. Puis, au début des années 1990, ces régimes se sont effondrés. Dans son discours du 20 juin 1990 à La Baule, lors d’un sommet France-Afrique, François Mitterrand ébauche l’idée de lier les aides économiquesau respect de critères démocratiques. Des forces sociales organisées et puissantes ont alors poussé pour une ouverture démocratique, pour créer des partis, des médias et des associations. On est aujourd’hui dans une phase inverse.

Une partie des populations africaines, déçues par la démocratie telle qu’elle a été mise en oeuvre, constatent que d’autres pays se sont développés grâce à des régimes autoritaires et sont tentés de les imiter. Ils veulent remplacer le « consensus de Washington » des années 1980 par le « consensus de Pékin » et explorer d’autres modèles vendus par la Russie, la Chine, les pays du Golfe ou la Turquie. Ces derniers ne sont pas aussi exigeants que les partenaires occidentaux en matière de progrès démocratique et de défense des droits de l’homme. Les régimes au pouvoir se montrent donc moins enclins à progresser sur ces questions. Mais cette analyse est à relativiser. Un régime fort ou répressif ne suffit pas pour développer un pays. Il faut aussi un Etat fonctionnel. La Chine ne s’est pas développée parce que c’était une dictature, mais parce qu’elle a un Etat puissant, interventionniste et efficace. Il en va de même au Rwanda. Pour de nombreux régimes autocratiques en Afrique, c’est loin d’être le cas.

BIO EXPRESS

Alain Antil est chercheur et le directeur du Centre Afrique subsaharienne de l’Institut français des Relations internationales (Ifri). Il enseigne à l’Institut d’Etudes politiques de Lille, à l’université Paris-I et a publié de nombreux articles sur le Sahel. Il est l’auteur d’une étude intitulée « Thématiques, acteurs et fonctions du discours anti-français en Afrique francophone » [PDF].

 

> Voir l’interview sur le site de L’OBS

Hercule empoisonné – 5. Le Sahel peut attendre (2009-2022) par Michel Goya

Hercule empoisonné – 5. Le Sahel peut attendre (2009-2022)

                                      AFP PHOTO /PASCAL GUYOT MALI-FRANCE-UNREST-ARMY-FILES MALI-FRANCE-UNREST-ARMY-FILES

par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 5 septembre 2023

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Le Sahel occidental a longtemps été une zone de faible présence française du fait de la proximité hostile de l’Algérie, mais surtout d’un rejet plus fort qu’ailleurs de l’ancien colonisateur. La France n’y est intervenue militairement qu’en 1978-1979 en Mauritanie.

Les choses évoluent avec l’implantation au nord du Mali au début des années 2000 des Algériens du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), qui devient Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) en 2007 et organise des attaques contre les pays voisins et les intérêts français dans la région, en particulier par des prises d’otages.

La réponse française est d’abord discrète, misant sur l’action clandestine de la DGSE et du Commandement des opérations spéciales (COS) qui installe la force Sabre près de Ouagadougou en 2009. Cet engagement s’inscrit dans un « plan Sahel » où il s’agit d’aider les armées locales à lutter contre les groupes djihadistes et à intervenir pour tenter de libérer les otages. Le plan Sahel a peu d’impact, sauf en Mauritanie où le président Aziz, restructure efficacement son armée et développe une stratégie intelligente de lutte contre les djihadistes. Le Mali néglige la proposition française, alors que le nord du pays est devenu une zone franche pour toutes les rébellions.

La situation prend une nouvelle tournure fin 2011 avec la montée en puissance au Mali du mouvement touareg, avec la formation du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) renforcé par le retour de combattants de Libye, mais aussi la formation de nouveaux groupes djihadistes comme Ansar Dine d’Iyad Ag Ghali, et le Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO, futur Al-Mourabitoun). Début 2012, toutes ces organisations s’emparent du nord du Mali avant de se déchirer entre MNLA et djihadistes.

Prétextant l’inaction du gouvernement, un groupe de militaires maliens organise un coup d’État en mars 2012. Commence alors une longue négociation pour rétablir des institutions légitimes au Mali et leur autorité sur l’ensemble du pays. La France saisit l’occasion pour se placer dans la région en soutenant l’idée d’une force interafricaine de 3 300 hommes et d’une mission européenne de formation militaire (European Union Training Mission, EUTM) destinée à reconstituer l’armée malienne. La France annonce qu’elle appuiera toutes ces initiatives, mais sans engagement militaire direct («La France, pour des raisons évidentes, ne peut être en première ligne» Laurent Fabius, 12 juillet 2012).

L’attaque djihadiste de janvier 2013 prend tout le monde de court. On redécouvre alors que la France est toujours la seule « force de réaction rapide » de la région. À la demande du gouvernement malien, le président Hollande décide d’engager des bataillons au combat, une première en Afrique depuis 1979. Avec une mission claire et l’acceptation politique du risque, l’opération Serval est alors logiquement un succès. En deux mois, et pour la perte de six soldats français, nous éliminons 400 combattants, libérons toutes les villes du nord et détruisons les bases. Les trois organisations djihadistes sont neutralisées jusqu’en 2015. Dans la foulée, des élections présidentielles et législatives sont organisées, tandis qu’EUTM et la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), qui remplace et absorbe la force interafricaine, sont mises en place.

On aurait pu alors retirer nos forces et revenir à la situation antérieure. On décide de rester militairement au Mali, au cœur de nombreux problèmes non résolus, dans un pays parmi les plus sensibles à son indépendance et avec déjà l’accusation de partialité vis-à-vis des Touaregs.

La nouvelle mission des forces françaises est de «contenir l’activité des “groupes armés terroristes (GAT) à un niveau de menace faible jusqu’à ce que les forces armées locales puissent assurer elles-mêmes cette mission dans le cadre d’une autorité restaurée des États».

L’équation militaire française consiste donc en une course de vitesse entre l’érosion prévisible du soutien des opinions publiques française et régionales à l’engagement français et l’augmentation rapide des capacités des forces de sécurité locales. Pour contenir un ennemi désormais clandestin, il n’y a que deux méthodes possibles : la recherche et la destruction des bandes ennemies par des raids et des frappes ou l’accompagnement des troupes locales au combat pour les aider à contrôler le terrain.

On choisit la première méthode qui paraît moins risquée et plus adaptée à nos moyens matériels et nos faibles effectifs. Nous cherchons donc à éliminer le plus possible de combattants ennemis. Cette approche ne fonctionne cependant que si on élimine suffisamment de combattants pour écraser l’organisation ennemie et l’empêcher de capitaliser sur son expérience. En dessous d’un certain seuil en revanche, l’ennemi tend au contraire à progresser. Jusqu’en 2020, nos pertes sont faibles (un mort tous les quatre mois, souvent par accident) mais nous n’exerçons pas assez de pression, car nos forces, qui mènent alors simultanément quatre opérations majeures (Sangaris en Centrafrique jusqu’en 2016, Chammal en Irak-Syrie et Sentinelle en France en plus de Barkhane) sont insuffisantes pour cela.

Le problème majeur de l’équation militaire reste cependant que l’absence de « relève » locale. Malgré des moyens considérables, la MINUSMA est incapable de faire autre chose que se défendre et n’a donc aucun impact sur la situation sécuritaire. Les Forces armées maliennes (FAMa) évoluent peu depuis 2014 malgré la mission EUTM car personne ne touche vraiment à la faiblesse structurelle, pour ne pas dire la corruption, de leur infrastructure administrative. Il ne sert à rien de former des soldats, s’ils ne sont pas payés et équipés correctement. La Force commune du G5-Sahel créée en 2017 et qui s’efforce de coordonner l’action des armées locales autour des frontières, mène par ailleurs très peu d’opérations.

Dans ces conditions, et compte tenu par ailleurs de l’incapacité des États, à l’exception de la Mauritanie, à assurer leur mission d’administration, de sécurité et de justice, malgré toutes les promesses de l’aide civile internationale, les organisations djihadistes ou autres s’implantent dans les zones rurales, par la peur mais aussi par une offre alternative d’administration. L’aide humanitaire n’y change rien.

Malgré les accords d’Alger de 2015, le conflit du nord Mali contre les séparatistes touaregs reste gelé. De nouvelles organisations djihadistes apparaissent sur de nouveaux espaces comme le Front de libération du Macina (FLM) actif au centre du Mali, qui finit par s’associer aux groupes historiques pour former en 2017 le Rassemblement pour la victoire de l’islam et des musulmans (RVIM ou Groupe de Soutien IM). On voit apparaître également l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) dont l’action s’étend dans la zone des « trois frontières » entre le Mali, Niger et Burkina Faso. Par contrecoup, on voit également se multiplier des milices d’autodéfense nourries par les tensions socioethniques croissantes.

L’année 2019 est une année noire. La violence contre la population double par rapport à l’année précédente. Les armées locales subissent des coups très forts et sont au bord de l’effondrement. Dans le même temps, l’image de la France se dégrade. Elle se trouve accusée simultanément de protéger les séparatistes de l’Azawad, de soutenir des gouvernements corrompus et surtout d’être impuissante à contenir le développement des djihadistes malgré tous ses armements modernes.

La France attend finalement la mort de 13 soldats français (accident d’hélicoptères) le 25 novembre 2019 pour vraiment réagir. Le sommet international de Pau en janvier 2020 conclut qu’il faut augmenter les moyens (600 soldats de plus, drones armés) et l’activité de Barkhane. On annonce la mise en place de la Task Force Takuba composée d’équipes de conseillers issues des forces spéciales européennes. Avec ces nouveaux moyens et une plus grande prise de risques (dix soldats français tués en 2020), Barkhane exerce une pression beaucoup plus forte qu’auparavant sur l’ennemi. Abdelmalek Droukdel, leader d’AQMI est tué en juin 2020. On s’approche de la neutralisation de l’EIGS et peut-être aussi d’AQMI. Le discours du RVIM change, expliquant que leur combat est local et qu’il n’est pas question d’attaquer en Europe.

On ne sait pas exploiter politiquement cette nouvelle victoire, alors que l’on sait qu’il n’est plus possible de continuer très longtemps Barkhane à un tel coût humain et financier (un milliard d’euros par an). Il faut à ce moment-là faire évoluer l’opération pour la rendre plus durable. On tarde trop. L’idée de remplacer les bataillons français par Takuba est bonne, mais réalisée en coalition européenne sa constitution prend des années et son objectif n’est pas très clair pour les Maliens (aide véritable ou opération intra- européenne ?).

Surtout, cette évolution militaire s’effectue dans un cadre diplomatique rigide et maladroit. Plusieurs chefs d’État, comme le président Kaboré (Burkina Faso) ont critiqué « la forme et le contenu » du sommet de Pau, qui sonnait comme une convocation autoritaire et qui selon lui « ont manqué de tact ». Le gouvernement de Bamako est obligé de rappeler son ambassadeur à Paris en février 2020 après des propos jugés offensants. Il se trouve au même moment empêché de négocier avec certains groupes djihadistes locaux, jusqu’à ce que le nouveau pouvoir installé par la force à Bamako en août 2020 passe outre et négocie la libération de Soumaïla Cissé, et de la Française Sophie Pétronin, contre la libération de 200 prisonniers. Le 3 janvier 2021, une frappe aérienne française tue 22 hommes près d’un mariage au village de Bounty, au centre du Mali. La France se défend, plutôt mal, en expliquant n’avoir frappé que des combattants djihadistes mais ne fournit aucun élément enrayant la rumeur d’un massacre de civils. La junte malienne s’appuie alors sur un fort sentiment nationaliste dans la rue bamakoise, par ailleurs bien alimentée par la propagande russe, qui rend la France responsable de tous les maux du pays.

La décision de transformation de l’opération Barkhane est finalement annoncée le 10 juin 2021 par le président de la République. Il aurait sans doute été préférable de le faire en février à l’issue du sommet de N’Djamena, et elle est mal présentée. Tout le monde interprète la « fin de Barkhane » (alors qu’il aurait fallu parler de transformation) comme une décision unilatérale en représailles au nouveau coup d’État à Bamako en mai 2021et la prise du pouvoir définitive par le colonel Goïta. Le Premier ministre Maïga se plaint alors à la tribune des Nations-Unies d’être placé devant le fait accompli sans concertation, parle alors d’« abandon en plein vol » et de son intention de faire appel à d’autres partenaires, c’est-à-dire la Russie, ce qui suscite une nouvelle crise.

En décembre 2021, arrivent à Bamako les premiers membres de la société militaire privée Wagner, bras armé de l’ensemble économico-militaro-propagandiste de l’homme d’affaires Evgueni Prigojine au service discret de la Russie. Ils seront un millier quelques mois plus tard, payés à grands frais par la junte malienne pour remplacer l’aide des soldats français d’abord puis des pays européens des différentes organisations militaires internationales. Après plusieurs échanges aigres, l’ambassadeur de France est renvoyé fin janvier 2022 et le gouvernement malien impose des restrictions d’emploi aux forces européennes sur le territoire du pays. Il est alors décidé le 17 février de mettre fin à Takuba et de retirer les forces de Barkhane du territoire malien.

Les soldats de la société Wagner remplacent les Français au fur et à mesure de leur dégagement. En avril, le départ des Français de Gossi s’accompagne de la « découverte » par les FAMa d’un charnier à proximité de la base. Cette tentative de manipulation est rapidement éventée par la diffusion des images du drone qui montrent en réalité des hommes de Wagner qui mettent en place ce faux charnier. Barkhane quitte Ménaka en juin et Gao en août. Le 15 de ce mois marque ainsi la fin de la présence militaire française au Mali après neuf ans. Le même jour, le ministre malien des Affaires étrangères accuse la France de soutenir les groupes terroristes et demande une réunion d’urgence du Conseil de sécurité des Nations-Unies.

Tandis que le gouvernement de transition malien s’enfonce dans le ridicule, le RVIM prend le contrôle d’une grande partie du territoire peut-être plus freiné par sa guerre contre EIGS que par l’action des FAMa et de Wagner qui s’illustrent beaucoup plus par leurs exactions que par leurs succès. A la fin du mois de mars 2022, à la recherche d’Amadou Koufa, le leader de la Katiba Macina, soldats maliens et mercenaires russes massacrent des centaines de personnes – peut-être jusqu’à 600 – dans la ville de Moura au centre du pays. C’est le plus épouvantable massacre de toute cette guerre au Sahel en 2012, mais ce n’est pas le seul. La MINUSMA, qui a aussi pour mission de documenter les exactions, est priée de quitter le pays. Pour autant malgré la désastreuse et coûteuse évidence de l’inefficacité du soutien russe, le « modèle malien » fait des émules. En réalité, les choses avaient déjà commencé en République centrafricaine après le départ de l’opération française Sangaris en 2016 et la double accusation contradictoire d’abandon et de trop grande présence.

Comme c’était prévisible, la force des Nations-Unies MINUSCA et la mission de formation EUTM-RCA n’ont pas suffi à assurer la sécurité du pays. Le président Faustin-Archange Touadéra fait alors appel au groupe Prigojine en 2018 pour assurer son contrôle du pouvoir au prix du pillage du pays par les Russes et de nombreuses exactions des mercenaires de Wagner. Sur fond de grande confrontation entre la Russie et les pays occidentaux en 2022, la RCA est poussée ensuite dans une spirale nationaliste anti-européenne et particulièrement anti-française. En juin 2022, la France annonce en réaction la suspension de toute aide à la République centrafricaine.

Le domino suivant est le Burkina Faso, victime d’un premier coup d’État en janvier 2022 qui renverse le président Kaboré, puis d’un deuxième le 30 septembre qui s’appuie à son tour sur le nationalisme anti-français – alors que la France n’est présente militairement que par le petit groupement de Forces spéciales Sabre – et sa volonté de faire appel à la Russie, dont les drapeaux sont opportunément présents dans les foules. Dès lors, les jours de la Task Force Sabre au Burkina Faso sont comptés. Déjà d’autres manifestations antifrançaises ont eu lieu au Niger à la fin de 2022.

Pendant ce temps, le dispositif actif de Barkhane se réduit à deux pôles : le commandement opérationnel et les capacités de transport aérien restent à N’Djamena tandis que les capacités d’action sont à Niamey, où on trouve une composante aérienne – six avions de combat, cinq drones Reaper, huit hélicoptères – et terrestre avec un dernier groupement tactique, le GT3, qui assure avec efficacité la même mission d’accompagnement que Takuba mais auprès de l’armée nigérienne. L’ensemble représente 3 000 soldats le 9 novembre, lorsque le président Macron annonce officiellement la fin de l’opération Barkhane et son remplacement par des actions effectuées dans le cadre d’accords bilatéraux.

La guerre française au Sahel, commencée triomphalement en 2013, s’estompe donc progressivement et sans bruit. L’opération Serval en 2013, par son adéquation entre des objectifs limités, les moyens engagés et les méthodes utilisées, a été un grand succès. Pour des raisons inverses – objectifs irréalistes, moyens insuffisants, méthodes inadéquates – l’engagement suivant, dont Barkhane ne représentait que la branche militaire, ne pouvait réussir. En admettant même que l’on parvienne à faire travailler ensemble de manière cohérente ses acteurs, l’approche dite « 3D » pour diplomatie, défense et développement, restera toujours une ingénierie sociomilitaire en superficie d’une réalité complexe. Rien de solide ne peut tenir très longtemps de cette approche tant qu’elle reste adossée à des gouvernements et administrations aussi inefficaces que corrompus. Tant que les États ne seront pas structurés pour remplir un tant soit peu leur rôle premier de sécurité et de justice, le désordre régnera dans la région. Cette restructuration profonde est une œuvre immense dont la motivation ne peut venir que des classes politiques locales, et qui prendra beaucoup de temps. Dans ce contexte, le rôle de la France ne peut se limiter qu’à celui d’offreur de services à la hauteur de ce que savons bien faire, comme d’un point de vue militaire les interventions directes d’urgence ou au contraire des accompagnements sur la longue durée, mais sans avoir la prétention de modeler soi-même un environnement qui non seulement nous échappe mais nous rejettera si nous sommes trop visiblement présents.

Dans le même temps, cet échec annoncé au Sahel depuis 2014 est-il si grave pour la France ? La menace terroriste – le principal argument de l’engagement au Mali – semble maîtrisée sur le sol français, où la dernière attaque remonte au mois d’avril 2021, et les troubles locaux au Sahel restent justement locaux et ne débordent encore que de manière rampante hors du Mali et du Burkina Faso. D’une certaine façon, la situation aurait été sans doute la même, si les forces françaises s’étaient retirées dès la fin de l’opération Serval pour se replacer à nouveau en réserve d’intervention. On y aurait évité des pertes humaines, et on serait toujours dans un rôle sympathique de « pompier » plutôt que de partenaire condescendant et encombrant.

La junte militaire va faire du Niger un foyer djihadiste majeur

Des partisans du Conseil national de sauvegarde de la patrie (CNSP) du Niger lors d'une manifestation devant la base aérienne de Niamey, le 1er septembre 2023.
Des partisans du Conseil national de sauvegarde de la patrie (CNSP) du Niger lors d’une manifestation devant la base aérienne de Niamey, le 1er septembre 2023. ©AFP

La junte militaire va faire du Niger un foyer djihadiste majeur

par Loup Viallet – Atlantico – publié le 2 septembre 2023

https://atlantico.fr/article/decryptage/la-junte-militaire-va-faire-du-niger-un-foyer-djihadiste-majeur-loup-viallet


La situation politique et sécuritaire au Niger est de plus en plus préoccupante. Depuis le début du mois d’aout, les attaques des groupes armés djihadistes se sont multipliées dans le pays. Un mois après son putsch, la junte nigérienne semble perdre le contrôle de la situation.

Le Niger se trouve sur une ligne de crête de plus en plus aigüe. Depuis le jeudi 3 aout et jusqu’à ces derniers jours, une dizaine d’attaques djihadistes ont été recensées, principalement dans la région du Tillabéri, qui jouxte les frontières maliennes et burkinabés. On recense des dizaines de victimes dans les rangs des forces de sécurité nigériennes, mais aussi des civils.

Contrairement au narratif de la junte, justifiant son coup d’État du fait de la dégradation du climat sécuritaire, la situation s’était nettement améliorée depuis le début de l’année 2023, voire 2022. Ainsi, selon les données de l’ACLED, les violences politiques avaient diminué de près de 40% par rapport à l’année précédente. Privés de la coopération militaire française – suspendue par Paris dans les premiers jours du coup d’État, puis dénoncée officiellement par la junte le 4 aout – les putschistes du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) apparaissent incapables d’assurer la sécurité leur pays.

La France : coupable idéal

Comme au Mali et au Burkina-Faso, le CNSP tente de détourner l’attention en s’attaquant à l’action de la France. Outre des reproches quant à son efficacité, l’armée française est accusée d’avoir violé l’espace aérien du pays, mais aussi d’avoir libéré des djihadistes. Occupation, complicité avec les djihadistes, etc : on retrouve ici toutes les fake news distillée par les compétiteurs stratégiques de la France dans la région, à commencer par la Russie.

Il importe à ce titre de rappeler que la France n’est jamais intervenue qu’à la demande des autorités nigériennes. En 2020, après les sanglantes attaques de l’hiver 2019, c’est le président Issoufou qui lance un appel à la France : « On a besoin de plus de Barkhane ». Une ligne poursuivie par Mohamed Bazoum qui, en 2022, soumet le redéploiement des forces françaises dans le pays aux parlementaires nigériens. Ceux-ci donnent alors le feu vert à la venue de l’armée française avec une large majorité.

De fait, l’accroissement du sentiment anti-français dans les couches urbaines jeunes de la région est une occasion rêvée non seulement pour justifier un coup d’État, mais aussi pour dissimuler l’incurie d’une gouvernance.

Corruption endémique

Dans ce contexte, et voyant leurs poids renforcés par les enjeux sécuritaires, les forces armées n’hésitent plus à jouer un rôle politique. Outre la métastase djihadiste, la mal-gouvernance administrative et économique et fréquemment invoquée par les régimes putschistes, dont le Niger.

Or, les armées de la région sont tout autant marquées par la corruption et le népotisme que leurs appareils d’États : contrats fictifs, détournement des soldes, etc. Elles ne sont donc pas la solution puisque faisant partie intégrante du problème. Les putschistes nigériens ne font donc pas exception. Signal faible en ce sens : la présence d’Aboubacar Charfo dans la délégation envoyée, le 12 aout, par la junte de Niamey à Conakry. Ce dernier était au centre d’une vaste affaire de surfacturation et de non-livraison de matériel à l’armée nigérienne. L’affaire avait été révélée en 2020 via un audit du ministère nigérien de la Défense.

Selon le chercheur Rahmane Idrissa, c’est la volonté du président Mohamed Bazoum d’assainir le secteur de la défense et de la sécurité qui pourrait être à l’origine du putsch. Ce qui n’augure rien de bon quant à la capacité à moyen et long terme des officiers nigériens à conduire efficacement la réponse à la menace djihadiste.

Un danger pour la sous-région ouest-africaine, pour le Maghreb et pour l’Europe

Les discours populistes des régimes putschistes, repris jusque dans une partie de la presse hexagonale, semblent tétaniser les autorités françaises, qui semblent englués dans une posture hésitante. Cette paralysie nuit sévèrement à la mise en place d’une ambitieuse politique de grand voisinage, qui tienne compte des interdépendances vitales entre l’Europe et l’Afrique. Or tout attentisme de la France facilitera l’enracinement, voire la multiplication, de ces régimes putschistes instables et ayant fait la preuve de leur indigence dans toute la sous-région.

Au-delà de la blessure

Au-delà de la blessure


 

Texte lu aux arènes de Fréjus à l’occasion des cérémonies de Bazeilles 2023, dont le thème était cette année « Au-delà de la blessure ». Les blessés de l’arme des Troupes de marine ont été mis à l’honneur et ont pu mesurer à quel point la famille « colo » ne laissait personne au bord du chemin.

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Au XVIIe siècle, Louis XIV est un des premiers princes à se préoccuper des soldats blessés à son service. Pour les empêcher de tomber dans l’indigence, il crée l’hôtel des Invalides, institution destinée à traverser les âges jusqu’à nos jours et à être imitée dans le monde entier. Le rapport à la blessure en est transformé. Elle n’est plus une disgrâce ou une malédiction, mais elle appelle dès lors la reconnaissance et la guérison. Parce qu’au-delà de la blessure, il y a un homme, ou une femme.

Avec la Révolution, le peuple français renverse les trônes et bouscule l’Europe. Contre les rois ennemis, il se donne un empereur qui lève la Grande Armée, entrée dans l’histoire. Les soldats de marine participent à l’épopée. Leurs artilleurs, notamment, s’illustrent à Lutzen et à Bautzen. Mais le temps des guerres en dentelle est révolu. Les grandes batailles du règne entraînent de grandes pertes. À une puissance de feu décuplée, répond l’invention de la médecine de guerre, par le baron Larrey. Il crée les ambulances mobiles, qui interviennent et dispensent les soins d’urgence, directement sur le champ de bataille. Il organise le tri des blessés, encore pratiqué aujourd’hui, qui permet de gagner des délais et de les sauver en plus grand nombre. Larrey montre qu’au-delà de la blessure, il y a la vie.

Les campagnes du Second empire voient les Troupes de marine engagées dans des affrontements difficiles, notamment en Crimée, ou au Mexique. Jamais, la France n’avait projeté de tels volumes de force aussi loin de son territoire. Les concentrations en hommes et l’ignorance des règles d’hygiène favorisent les épidémies. Un tiers des 300 000 Français déployés en Crimée ne rentreront jamais chez eux, fauchés par le feu et, surtout, par le choléra. Les soldats de marine paient le prix fort mais une meilleure organisation et la diffusion des normes sanitaires permettront d’éviter de tels désastres à l’avenir.

À la même époque, la vue des milliers de blessés de Solferino, en 1859, pousse Henry Dunant à initier la création du Comité international de la Croix Rouge et des Conventions de Genève, deux étapes décisives dans la considération et le soin apportés aux blessés de guerre.

1870, « l’année terrible », est celle de la guerre contre les Allemands coalisés. Les Troupes de marine s’illustrent dans tous les engagements, et particulièrement à Bazeilles. Les pertes sont effroyables. Pourtant, leur combativité et leur rage de vaincre sont telles que marsouins et bigors se battent jusqu’à l’extrême limite de leurs forces, même au-delà de la blessure. L’empereur capitule à Sedan mais les combats se poursuivent, malgré la désorganisation d’une armée acculée à la défensive, qui soigne ses blessés avec les moyens du bord, jusqu’à la défaite finale, en 1871.

Les décennies suivantes sont celles de l’expansion outremer. En 1900, les Troupes de marine quittent les forces navales pour se rattacher à l’armée de Terre, aux côté de laquelle elles ont déjà si souvent versé leur sang.

Arrive l’heure de la grande épreuve de 1914-1918. La Revanche, attendue et préparée, devait prendre la forme d’une guerre courte, fraîche et joyeuse disait-on. Aussi a-t-on négligé l’installation d’hôpitaux de campagne et l’envoi de chirurgien au plus près du feu. La puissance dévastatrice de l’artillerie allemande est un choc. Pourtant, le service de santé s’adapte. L’invention des blocs opératoires mobiles, l’utilisation du sérum antitétanique, la désinfection systématique des plaies, la mise en œuvre des premières transfusions sanguines ou l’utilisation de la radiologie médicale sauvent de nombreuses vies. Les blessés graves étaient jadis des morts en sursis. Désormais, ils guérissent. L’anesthésie générale, lors des opérations chirurgicales, est progressivement maîtrisée et systématisée. Au-delà de la blessure, s’ouvre la voie du traitement de la douleur.

Les blessés contribuent à l’effort de guerre. Certains reprennent même le combat, après leur convalescence. La blessure est indifférente aux origines ou au grade. Elle touche le marsouin, comme ses chefs. Véritable légende de l’Arme, le général Gouraud est amputé du bras droit. Il reprend pourtant du service, à la tête de la prestigieuse 4e armée, qui comprend les divisions de choc du corps d’armée colonial.

La couleur de peau des soldats s’efface sous l’uniforme boueux, et il ne reste que des hommes, des frères, unis dans l’épreuve et le sang. Marsouins et tirailleurs risquent leur vie et la perdent trop souvent pour tirer un frère d’arme ensanglanté, même inconnu, du trou battu des feux où il appelle à l’aide. Engagées dans les mêmes combats, frappées par les mêmes balles, soignées par les mêmes infirmières, dans les mêmes hôpitaux, l’armée noire, l’armée jaune et l’armée blanche fusionnent sous l’ancre brodée sur leurs uniformes. Au-delà de la blessure, les hommes communient dans un sentiment d’unité indestructible.

Lorsque la guerre s’arrête, la blessure est devenue une réalité vécue par quatre millions de Français, et partagée par leur entourage. Une attention particulière est portée aux blessés de la face, les « gueules cassées », dont la chirurgie plastique tente de reconstituer le visage perdu. L’Union des gueules cassées, créée par le marsouin Albert Jugon, favorise leur intégration dans la société, et finance la recherche en chirurgie maxillo-faciale. La psychiatrie de guerre s’attache à comprendre, et à traiter, les séquelles psychologiques qui s’y rattachent, car le visage touche à l’individualité du soldat. Car, au-delà de leur visage blessé, les soldats ont une identité à retrouver.

Durant l’entre-deux-guerres, les soldats à l’ancre déployés outremer luttent contre une autre forme de blessure, cachée et souvent fatale : la maladie. Les médecins militaires s’investissent contre les maladies tropicales. Jean Laigret et Jean-Marie Robic créent respectivement un vaccin contre la fièvre jaune et un contre la peste qui sévit à Madagascar. Ils se choisissent eux-mêmes comme premiers cobayes. Le typhus recule, la maladie du sommeil est enrayée. L’état sanitaire des troupes affectées outremer en est transformé. Par extension, les découvertes de la médecine militaire tropicale étendent leurs bénéfices à l’ensemble de la population. Au-delà de la maladie s’affirme le refus de la fatalité pour donner au plus grand nombre une vie plus longue, et meilleure.

La « der des der » ne l’a pas été. Les combats de la Seconde guerre mondiale se livrent sous tous les cieux. Marsouins et bigors combattent de Koufra au nid d’aigle d’Hitler, en passant par Bir Hakeim et le débarquement de Provence. Les leçons de 1914-18 ne sont pas oubliées, mais les blessés bénéficient de surcroît des innovations britanniques et américaines et, surtout, du dévouement des fameuses Rochambelles, les infirmières de la France libre, qui interviennent jusqu’en première ligne. Certaines y laissent la vie, toutes y montrent leur héroïsme, elles y rencontrent même parfois le compagnon de leur vie, parce qu’au-delà de la blessure, il y a le dévouement et l’amour.

Les guerres de décolonisations durent près de deux décennies. Durant les combats emblématiques de Dien Bien Phu, on voit les blessés couverts de bandages surgir l’arme au poing de leur infirmerie pour refouler les Viets et dégager une position. Ils le font pour les copains qui les ont évacués sous le feu et qu’ils viennent aider à leur tour, au-delà de tout espoir. Le même esprit lie les hommes dans les douars et les djebels algériens où il faut parfois porter jusqu’à la limite de ses forces un camarade frappé par l’ennemi sur des pistes caillouteuses écrasées de soleil, car, au-delà de la blessure, il y a la fraternité d’armes.

Le médecin militaire du 8e BPC Patrice Le Nepvou de Carfort à Dien Bien Phu.

Depuis les années 1970, et l’ère des opérations extérieures, marsouins et bigors, les soldats de l’horizon, n’ont cessé de veiller et de combattre sous toutes les latitudes. Certains sont tombés. D’autres, plus nombreux, ont été meurtris dans leur chair et dans leur âme sous le feu. Tchad, Liban, Centrafrique, Irak, Bosnie ou, plus récemment, Côte d’Ivoire, Afghanistan, Sahel, les ont vu verser leur sang, mais aussi être secourus, protégés et pansés par leurs frères d’arme. Ces combats n’ont pas été menés seuls mais aux côtés d’alliés, avec lesquels les liens se sont renforcés au fil des engagements.

Les blessés reçoivent désormais directement de leurs camarades les premiers soins, dans les secondes ou les minutes qui suivent le choc. Tout est fait pour les évacuer dans l’heure fatidique où les chances de survie sont les plus importantes. Aussi sont-ils plus nombreux à survivre au feu et à entamer un nouveau combat, au-delà de la blessure : celui de la reconstruction.

La blessure peut être profonde mais invisible. La compréhension et la prise en charge des syndromes post-traumatiques permettent de rappeler les combattants, dont l’esprit est resté prisonnier d’une séquence d’une violence et d’une tension inouïe. Au-delà des blessures psychiques, il y a le retour parmi les siens.

Les grands blessés physiques se reconstruisent également. Prothèses, rééducation et volonté leur permettent de retrouver leurs passions ou de vibrer pour de nouveaux projets professionnels, familiaux, personnels ou sportifs. Les soldats blessés aux combat des grandes démocraties se retrouvent ainsi lors des fameux Invictus Games. Au-delà de la blessure, il y a le dépassement de soi.

La blessure n’est pas une fin ou une impasse. Elle est une épreuve qui se surmonte individuellement et collectivement. Les blessés guérissent, s’adaptent. Ils retrouvent leurs foyers et ceux qu’ils aiment. Mais ils continuent aussi à servir dans les régiments de la famille des Troupes de marine, en métropole et outremer. Demain, peut-être pourront-ils même être engagés à nouveau sur des théâtres opérationnels, où leur expérience du combat sera si précieuse. Parce qu’au-delà de la blessure, il y a la normalité retrouvée.

Au-delà de la blessure, il y a l’avenir.

Raphaël CHAUVANCY

Raphaël CHAUVANCY est officier supérieur des Troupes de marine. Il est en charge du module « stratégies de puissance » de l’École de Guerre Économique (EGE) à Paris. Il concentre ses recherches sur les problématiques stratégiques et les nouvelles conflictualités. Il est notamment l’auteur de « Former des cadres pour la guerre économique », « Quand la France était la première puissance du monde » et, dernièrement, « Les nouveaux visages de la guerre – Comment la France doit se préparer aux conflits de demain ». Il a rejoint l’équipe de THEATRUM BELLI en avril 2021.

Hercule empoisonné – Une toute petite histoire militaire de la France en Afrique subsaharienne 1. Le temps des guépards (1960-1980)

Hercule empoisonné – Une toute petite histoire militaire de la France en Afrique subsaharienne 1. Le temps des guépards (1960-1980)

 

par Michel Goya la Voie de l’épée – publié le 1er septembre 2023

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Alors que les autres anciennes puissances coloniales se désengagent militairement de l’Afrique au moment des indépendances, la France y reste très présente par l’intermédiaire d’une série d’accords de défense bilatéraux. Ce que le président ivoirien Houphouët-Boigny a baptisé la « Françafrique » est alors clairement une forme de protectorat parfaitement consenti par certains gouvernements d’anciennes colonies, dont un noyau dur d’Etats, Sénégal, Côte d’Ivoire, Gabon et Djibouti (indépendante en 1977) et certains plus fluctuants comme le Cameroun ou Madagascar, alors que d’autres comme la Guinée ou le Mali, sont très hostiles et se tournent plutôt vers l’Union soviétique.

Pour ces États, l’alliance militaire française, c’est l’assurance de la défense contre les menaces étrangères et surtout un soutien à la stabilité intérieure, en clair la protection du pouvoir. Pour la France, c’est alors un surplus d’audience sur la scène internationale et l’assurance d’un soutien de plusieurs nations aux Nations-Unis. C’est aussi secondairement la possibilité de protéger la route du pétrole du Moyen-Orient et de disposer de l’exclusivité de certains produits stratégiques, en particulier ceux nécessaires à l’industrie nucléaire et à la force de dissuasion en phase de réalisation.

Cet accord très particulier entre ancien colonisateur et nouveaux Etats indépendants, reposant avant tout sur une présence militaire, s’est révélé à l’usage un piège mutuel. Par une sorte de malédiction, la force militaire française reste désespérément la plus efficace dans la région mais chaque appel à elle, quel que soit sa forme et son succès, suscite mécaniquement la critique.

Le temps des guépards

Au moment des indépendances, deux options étaient possibles pour assurer les accords de Défense. La première consistait à intervenir directement depuis la France, mais les capacités aériennes de transport lourd manquent alors cruellement (et toujours) pour pouvoir faire quelque chose à la fois important et rapide et on n’est pas du tout sûr par ailleurs d’avoir l’autorisation de survoler les pays d’Afrique du Nord. On privilégie donc très vite l’idée de maintenir des bases permanentes en Afrique, malgré leur visibilité au cœur de nations jalouses de leur indépendance.

Deuxième problème très concret : De Gaulle se méfie des troupes professionnelles, dont certaines se sont mutinées en Algérie, mais dans le même temps on ne veut toujours pas engager de conscrits en Afrique subsaharienne depuis le désastre de Madagascar en 1895. On trouve une solution en imaginant les volontaires service long outre-mer (VSLOM), des appelés effectuant quelques mois supplémentaires au-delà de la durée légale. Les VSL arment les bases, qui forment aussi des dépôts d’équipements un peu lourds. Ils règleront les problèmes simples et on fera appel à des compagnies légères professionnelles en alerte guépard en France ou, alors, au Cameroun, qui viendront en quelques heures par avions.

Tout cet ensemble ne sert d’abord que de force de « contre-coup d’État » pour aider, dès août 1960 à Dakar, les chefs d’État menacés par un putsch. La présence visible des soldats français suffit généralement à calmer les ambitions. La première opération violente, avec plusieurs dizaines de morts dont deux soldats français, survient en février 1964 lorsqu’il faut libérer le président gabonais M’Ba pris en otage. Ces interventions ne sont pas non plus systématiques. De 1963 à 1968, la France, toujours sollicitée, ne bouge pas alors qu’elle assiste à 15 coups d’État. Par la suite, elle interviendra même de moins en moins dans cette mission qui nous déplaît. On clôt cette période à la fin des années 1990, notamment en octobre 1995 aux Comores, pour mettre fin à la tentative de coup d’état du mercenaire Bob Denard associé à des putschistes locaux, ou encore en 1997-1998 à Bangui pour faire face aux multiples mutineries. A partir du Conseil de Défense du 3 mars 1998, on laisse à d’autres le marché de la protection des pouvoirs contre leur propre armée.

Le premier imprévu au modèle françafricain survient en 1968 d’abord puis surtout fin 1969 lorsque le gouvernement tchadien doit faire face, non pas à une tentative de putsch mais une grande rébellion armée. C’est très embêtant car c’est typiquement le type de guerre que l’on ne veut pas faire quelques années après la guerre d’Algérie, mais on s’aperçoit aussi que l’on est le seul « pompier de la ville ». Personne d’autre n’est militairement capable de régler le problème. On s’y résout donc et on réunit sur place tout ce que l’on a de troupes professionnelles, à peine plus de 2 000 hommes. Cela réussit plutôt bien par une stratégie de présence permanente sur le territoire. On ne détruit pas la rébellion Front de libération nationale (Frolinat) mais on l’affaiblit suffisamment pour sécuriser tout le centre et sud du pays, tandis que le nord (BET) reste incontrôlable (opération Bison). Au bout de trois ans, alors que le succès militaire est au rendez-vous et que nous avons eu 39 soldats tués, les Tchadiens nous rappellent que nous sommes les anciens colonisateurs. D’un commun accord nous mettons fin à l’opération. En 1975, dans un nouveau sursaut nationaliste, le nouveau pouvoir à N’Djamena, issu d’un coup de force que nous n’avons pas empêché, exige le départ des dernières troupes françaises.

Avec des institutions aussi centralisées et hors de tout véritable contrôle parlementaire, la décision d’engagement des forces françaises et la forme de cet engagement dépendent beaucoup de la personnalité du président de la République. Comme Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing n’est initialement pas très interventionniste. Le contexte international l’y contraint. La fin des années 1970 est une époque de troubles dans le monde entier. Les États-Unis post-guerre du Vietnam sont en retrait alors qu’inversement l’Union soviétique se déploie, en Afghanistan d’abord, mais aussi rapidement en Afrique avec l’aide des Cubains et des Européens de l’Est. La France est alors une des rares puissances occidentales qui ait la volonté de combattre et les moyens de le faire, avec l’aide discrète américaine pour le transport aérien. Elle le fait sur un laps de temps très court, de 1977 à 1979, et avec succès. C’est ce que l’amiral Labouérie appelle le temps de la foudroyance et qui constitue pendant longtemps un « âge d’or » de l’intervention « à la française ».

Cela commence en Mauritanie. Le Sahel n’est pas du tout une zone d’influence française, en partie du fait de la proximité de l’Algérie hostile et de l’influence soviétique, mais la question du Sahara occidental ex-espagnol change un peu la donne. Le gouvernement mauritanien attaqué sur son sol par les colonnes du Front Polisario basé en Algérie, fait appel fin 1977 à la France. On accepte de l’aider mais sans troupe sur place. L’opération Lamantin consiste en fait à protéger le train évacuant le minerai de fer de Zouerate vers le port de Nouadhibou, en le surveillant depuis le ciel et le sol par un petit élément discret, puis en frappant les colonnes du Polisario qui viennent l’attaquer avec la dizaine de Jaguar basée à Dakar à 1500 km de la zone d’action. Le seul vrai problème est la centralisation du commandement qui impose l’autorisation présidentielle française pour chaque frappe. Cela fera échouer un raid, mais trois autres en décembre 1977 et mai 1978 détruisent autant de colonnes du Polisario. Ces coups conduisent à la fin des attaques, mais pas à la fin de la guerre. La chute du président mauritanien Moktar Ould Daddah en juillet 1978 à la suite d’un coup d’État militaire entraine la fin des revendications du pays sur le Sahara occidental et du même coup la fin de la guerre contre le Polisario.

Lamantin n’est pas encore terminée que se déclenche une nouvelle crise, dans la province du Katanga, ou Shaba, au sud du Zaïre (ex-­Congo belge). Après l’échec d’une première tentative en 1963, soutenu par des mercenaires, les partisans de l’indépendance de la province s’étaient réfugiés en Angola où ils ont formé le Front national de libération du Congo (FNLC). Les « Tigres katangais » du FLNC, soutenus par les Soviétiques et les Cubains, tentent une première incursion en avril 1977. Dans un contexte plus large où le Zaïre est allié à la France dans la lutte clandestine contre les mouvements prosoviétiques en Angola, le président Joseph Désiré Mobutu appelle à l’aide le président Giscard d’Estaing. Celui-ci répond d’abord timidement par une aide matérielle avec un pont aérien du 6 au 17 avril avec 13 avions de transport pour aider au transport de troupes dans le sud. Cela suffit alors. Le FNLC revient en mai 1978 beaucoup plus fort avec 3 000 combattants. La troupe s’empare de Kolwezi, une ville de 100 000 habitants, dont 3 000 Européens, et point clé du Shaba. Les exactions contre la population et notamment les Européens poussent cette fois le président français à intervenir directement au combat alors que les Belges penchent pour une simple évacuation des ressortissants. Le 19 et le 20 mai 1978, 700 soldats français sont largués directement sur Kolwezi. Au prix de cinq légionnaires tués, le FLNC est écrasé, chassé de la ville, et se replie en Angola. C’est le début d’une présence militaire française importante au Zaïre jusqu’au renversement de Mobutu.

Entre temps, la guerre a repris au Tchad où le Frolinat renforcé par l’aide libyenne lance une offensive vers N’Djamena. Le même gouvernement tchadien qui nous avait demandé de partir en 1975 nous appelle au secours trois ans plus tard. Nous intervenons, avec quatre groupements tactiques interarmes (GTIA), c’est-à-dire des bataillons de plusieurs centaines d’hommes formés d’unités de régiments professionnels différents, infanterie, cavalerie et artillerie, et la force de frappe des Jaguar revenue de Dakar. L’ensemble représente au maximum 3 200 soldats français. D’avril 1978 à mars 1979, cette opération, baptisée Tacaud, est l’occasion de cinq combats importants de la dimension de celui de Kolwezi, tous gagnés de la même façon par les soldats français. On ne parvient pas cependant à traduire ces succès tactiques en effets stratégiques, en grande partie parce que la situation politique nous échappe. Un peu sous la pression de la communauté internationale et de l’opposition politique française, où on voit d’un très mauvais œil cette intervention qualifiée forcément de « néocoloniale », on se rallie à une « solution négociée ». Les forces françaises et pour la première fois une force interafricaine, sont placées en situation neutre et donc impuissantes à l’imbroglio tchadien. Plusieurs gouvernements tchadiens sont constitués entre les différentes factions en lutte mais se défont rapidement.

C’est de N’Djamena qu’en septembre 1979 décollent les unités des opérations Caban et Barracuda, 500 hommes au total, en direction de Bangui où l’empereur Bokassa 1er que l’on soupçonne de se tourner avec l’Union soviétique est rejeté par la population et les pays voisins pour ses frasques et ses exactions. La ligne de la France est normalement de privilégier la stabilité des États, mais cette fois Valéry Giscard d’Estaing, lui-même accusé à tort de corruption avec Jean-Bedel Bokassa, accepte de renverser ce dernier et de le remplacer par son opposant David Dacko. Du 20 au 23 septembre, les forces françaises s’emparent sans combat de l’aéroport de Bangui M’Poko, puis de tous les points clés de la ville. Barracuda fait place juin 1981 aux Eléments français d’assistance opérationnelle (EFAO), qui servent pour longtemps de réserve pour toute l’Afrique centrale.

Sous la pression de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) et à la demande du gouvernement tchadien du moment, la France retire ses forces du Tchad à la fin du mois d’avril 1980 tandis que le pays bascule dans le chaos. Les forces françaises engagées se sont révélées tactiquement excellentes, mais contraintes à une pure posture défensive voire à de l’interposition, cette excellence n’a pour la première fois servi à rien. Dix-huit soldats français sont tombés, et cinq avions Jaguar ont été détruits, pour des effets stratégiques nuls.

Avec Tacaud s’achève piteusement le temps des « guépards », du nom du dispositif d’alerte des forces d’intervention terrestres françaises. En incluant l’intervention de dégagement de la base de Bizerte en juillet 1961, plus de cent soldats français sont morts en moins de vingt ans pour plus de 5 000 combattants ennemis au cours de dizaines de combats dont sept engageant au moins un GTIA ainsi que six grands raids aériens autonomes. S’il n’y a jamais eu de défaite sur le terrain, il y a eu des échecs partiels comme à Salal, en 1978, des surprises comme l’embuscade de Bedo au Tchad en 1970 et des coups dans le vide comme les trois phases de l’opération Bison au nord du Tchad en 1970 mais surtout beaucoup de victoires. Ces victoires ont permis d’obtenir des résultats opérationnels : l’armée tunisienne a été repoussée en 1961, le président de la république gabonaise libérée, la 1ère armée du Frolinat neutralisée, le Polisario stoppé, le FNLC vaincu et repoussé du Zaïre. Seule la 2e armée du Frolinat dans le BET n’a pas été vaincue mais simplement contenue.

Ce sont des résultats assez remarquables, mais qui ont atteint leur point culminant en 1979. Comme Superman face à la kryptonite, les forces armées françaises en Afrique sont invincibles sauf face à deux éléments qui n’effraient pas les soldats mais l’échelon politique à Paris. Le premier est la sempiternelle accusation de néo-colonialisme dès qu’un soldat français combat en Afrique, que cette accusation soit locale, surtout lorsque la présence française se perpétue au milieu des problèmes, ou en France même. Le second est la peur des pertes humaines, françaises au moins, et la croyance que cela trouble l’opinion publique. Ces deux kryptonites ont commencé à agir dès le début des interventions françaises, mais elles prennent une ampleur croissante à la fin des années 1970. Les opérations extérieures françaises sont alors très critiquées par l’opposition de gauche comme autant d’ingérences militaristes et néocoloniales, qu’il s’agisse de soutenir des dictateurs ou au contraire de les renverser comme Bokassa. Et pourtant on va continuer.

A suivre.

Hercule empoisonné. 2. Assistance, appui et ambiguïté (1981-1993) par Michel Goya

Hercule empoisonné. 2. Assistance, appui et ambiguïté (1981-1993)

 

par Michel Goya la Voie de l’épée – publié le 2 septembre 2023

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Alors qu’on décrit la France comme le « gendarme de l’Afrique », François Mitterrand parle dans les années 1970 du président Giscard d’Estaing comme d’un « pompier pyromane » ajoutant du désordre à l’Afrique par les interventions militaires. Mitterrand accède à la présidence en 1981, mais loin de mettre fin à la Françafrique militaire, il devient à son tour un pompier. Il est trop facile pour un président de la République de faire appel à l’armée et l’Afrique est le seul endroit où il est possible d’exister internationalement – une idée fixe de la France – avec un seul bataillon. La tentation est donc trop forte. Entre dirigeants africains obsédés par leur sécurité et présidents français obsédés par leur position politique en France et sur la scène internationale, l’usage de l’intervention militaire est une drogue.

Mitterrand endosse donc allègrement le costume de pompier, mais c’est un pompier qui craint le feu. Il fait intervenir toujours autant, mais désormais sans combattre, parce que c’est dangereux et que cela rappelle trop les guerres coloniales, nos deux kryptonites. En 1993, au moment de la crise entre le Nigéria et le Cameroun, ce dernier demandera l’aide de la France. En conseil de Défense, le président Mitterrand accepte une formule réduite à l’assistance, mais sans appuis aériens au prétexte suivant : «Imaginez l’effet sur les opinions publiques d’images montrant des avions pilotés par des Blancs écrasant sous les bombes des soldats noirs africains». Tout est dit sur la profondeur de réflexion de certains choix stratégiques et sur l’angoisse de l’étiquette « colonialiste ».

Mais on s’avance. En 1981, alors qu’on décide de ne peut plus combattre directement, du moins au sol (en fait de poursuivre la décision de Giscard d’Estaing depuis 1979) il ne reste plus dans le paquet d’actions possibles que l’aide matérielle, l’assistance technique et l’appui feu – les 3A – ainsi que la présence dissuasive.

On applique la nouvelle méthode comme d’habitude au Tchad, que l’on vient de quitter mais où le nouveau gouvernement, celui d’Hissène Habré cette fois, nous appelle au secours. N’Djamena est menacée cette fois par les forces du GUNT (gouvernement d’union nationale du Tchad) de Goukouni Oueddei, nouvel avatar du Frolinat, et surtout par la Libye qui revendique la bande d’Aouzou au nord du pays. Depuis juillet 1961 et la courte guerre contre la Tunisie, c’est la première fois que l’on peut se trouver face à un État africain. Oubliant allègrement qu’Hissène Habré, futur condamné pour crimes contre l’humanité, a torturé et assassiné un officier français quelques années plus tôt, Mitterrand accepte d’intervenir mais sans combattre.

Assez audacieusement, on joue un « piéton imprudent » en déployant très vite quatre GTIA au centre du pays et une puissante force aérienne à N’Djamena et Bangui (47 avions et 31 hélicoptères), ainsi que le groupe aéronaval au large des côtes libyennes. Le 15e parallèle est immédiatement décrit par la France comme une ligne rouge infranchissable sous peine de déclenchement de la guerre. Tout le monde est placé et bloqué devant le fait accompli.

Avec le détachement d’assistance militaire (DAMI) mis en place pour assister et parfois accompagner discrètement les Forces armées nationales du Tchad (FANT), on se trouve donc avec cette opération baptisée Manta en présence du corps expéditionnaire le plus complet et le plus puissant déployé par la France depuis 1962. La dissuasion fonctionne, même si un raid du GUNT au sud du 15e parallèle s’achève par la perte d’un Jaguar et la mort de son pilote, le président de la République se décidant trop tard à donner l’ordre d’ouverture du feu. Le bruit court qu’il aurait demandé si le Jaguar ne pouvait pas simplement tirer dans les pneus. Bien avant le « caporal stratégique », ce simple soldat pouvant avoir des dégâts d’image considérables par son attitude dans un environnement médiatisé, existait déjà le « président tactique » s’immisçant de manière désastreuse dans la conduite des opérations.

Pour compenser cet échec, la ligne rouge est placée au 16e parallèle, les effectifs français renforcés jusqu’à 3 500 hommes et les conditions d’ouverture du feu plus décentralisées. Le colonel Kadhafi finit par céder à la pression et accepte de retirer ses forces du Tchad en échange de la réciprocité française. C’est en réalité une manœuvre diplomatique et une tromperie. Le dispositif français est effectivement retiré en novembre 1984, mais au mépris des accords les Libyens continuent de construire une grande base à Ouadi Doum dans le nord du Tchad. La France laisse faire.

Les hostilités reprennent en février 1986 avec une nouvelle offensive rebelle et libyenne avec le franchissement du 16e parallèle. La France réagit cette fois par un raid aérien frappant la base de Ouadi Doum depuis Bangui. La Libye répond à son tour par le raid d’un bombardier Tu-22 sur N’Djamena, qui fait peu de dégâts et s’écrase au retour. Un nouveau dispositif militaire français est mis en place au Tchad. Il est baptisé Épervier et durera jusqu’en 2014. Les forces terrestres sont limitées cette fois à la protection du dispositif aérien et aux discrets conseillers placés au sein des Forces armées nationales tchadiennes (FANT).

Le tournant intervient lorsque Goukouni Oueddei se rallie au gouvernement tchadien. Celui-ci est alors assez fort pour lancer en janvier 1987, une vaste offensive de reconquête discrètement appuyée par la France avec les « soldats fantômes » du service Action de la DGSE et plus ouvertement par quelques frappes aériennes. Les FANT s’emparent successivement de toutes les bases libyennes et pénètrent en Libye. Le 7 septembre, trois bombardiers TU-22 libyens sont lancés en réaction contre N’Djamena et Abéché. L’un d’entre eux est abattu par un missile antiaérien français Hawk. Le 31 août 1989, la signature de l’accord d’Alger entre le Tchad et la Libye met fin au conflit. Le 19 septembre 1989, les services libyens organisent la destruction d’un avion long-courrier au-dessus du Niger qui fait 170 victimes, dont 54 Français. C’est jusqu’en novembre 2015, l’attaque terroriste la plus meurtrière menée contre la France. Comme lors des attentats d’origine iranienne de 1986, la « non attribution » de l’attaque permet de justifier de ne rien faire. La confrontation « sous le seuil de la guerre » contre la Libye de 1983 à 1989 aura donc coûté à la France toutes ces victimes civiles et 13 soldats tués, dont 12 par accident.

Malgré ce dernier coup, qui témoigne encore trois ans après les attentats de Paris de notre vulnérabilité aux attaques terroristes, on croît alors avoir trouvé avec le quadriptyque aide-assistance-appui-dissuasion une formule gagnante applicable partout. On oublie cependant une évidence : si un État fait appel à la France, c’est qu’il n’est pas capable de résoudre le problème lui-même avec une armée qui se trouve inférieure à celle de l’ennemi. L’aide française peut certes dissuader et éventuellement aider les troupes locales à gagner des combats, mais si personne ne résout les problèmes structurels qui ont fait que ces troupes étaient nettement plus faibles que celles de l’ennemi, cela ne change que provisoirement la donne opérationnelle.

Sans doute s’est-on un peu leurré sur notre rôle dans la victoire contre la Libye. Les troupes tchadiennes recrutés dans le BET, sensiblement les mêmes que les Français avaient affronté avec difficultés quelques années plus tôt, étaient d’un niveau tactique supérieur aux forces libyennes. Le changement d’alliance du GUNT a sans doute eu plus d’impact sur l’évolution du rapport de forces que l’aide française. C’est pourtant fort de cette croyance, que l’on va renouveler cette expérience à bien moindre échelle dans d’autres pays africains en difficultés.

Nul ne sait très bien pourquoi François Mitterrand a accepté d’intervenir militairement au Rwanda, les intérêts de la France dans les anciennes colonies belges des Grands Lacs étant des plus limités hormis une vague et fumeuse défense de la francophonie face à l’influence anglo-saxonne. Toujours est-il que lorsque le Front patriotique rwandais (FPR) lance sa première offensive au Rwanda depuis l’Ouganda en octobre 1990, le régime de Juvénal Habyarimana, dictateur putschiste depuis 1973 mais fin lettré, se trouve impuissant. Le FPR est un parti armé à l’ancienne qui a fait ses armes en Ouganda et se trouve bien plus fort que les Forces armées rwandaises (FAR). Habyarimana se trouve vers les seuls pompiers possibles : le Zaïre voisin qui envoie une brigade dont l’action se limitera au pillage du nord du pays, l’ancien colonisateur belge qui envoie un bataillon à Kigali et enfin la France qui envoie également un petit GTIA, le détachement Noroit.

La mission est une réussite puisqu’effectivement le FPR, dissuadé, ne tente pas de s’emparer de Kigali tout en restant en place dans le nord du pays. Les Zaïrois sont priés de quitter le territoire au plus vite et les Belges partent dès novembre 1990. Seuls restent les Français. Mitterrand a en effet accepté d’assurer la protection du régime en échange d’une démocratisation forcée du pas, la grande tendance du moment, et la négociation avec le FPR de Paul Kagamé. Le GTIA Noroit reste sur place, facilement renforçable depuis la Centrafrique et le Zaïre, et on forme un DAMI d’une trentaine d’hommes pour aider à la montée en puissance des Forces armées rwandaises qui souhaitent doubler de volume. On reproduit donc, à une échelle réduite, le schéma qui avait fonctionné au Tchad, à cette différence près que les FAR n’ont pas du tout la force de l’armée tchadienne. On reste ainsi pendant trois ans. Le FPR lance régulièrement des offensives qui sont stoppées par les FAR soutenues, conseillées et appuyées par les Français, non pas avec des Jaguar mais avec de l’artillerie (dont une batterie de pièces soviétiques fournies par l’Égypte) franco-rwandaise. Inversement les FAR sont incapables de réduire les forces du FPR.

Pendant ce temps on négocie à Arusha en Tanzanie et Habyarimana accepte le multipartisme. Après un an de négociations, le dernier accord est signé à Arusha en août 1993 par le nouveau gouvernement d’Agathe Uwilingiyimana. Ces accords prévoient l’intégration politique et militaire du FPR au Rwanda avec la mise en place d’un gouvernement et d’une assemblée de transition en attendant une stabilisation définitive. Un bataillon du FPR est autorisé à s’installer dans la capitale en décembre 1993, alors que la force française se retire à l’exception quelques rares conseillers dans le cadre de la coopération. C’est désormais la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR) qui est le garant international de l’application des accords et de la sécurité du pays.

On se félicite alors beaucoup à Paris de la réussite de la méthode française, où sans engagement militaire direct et sans aucune perte au combat, on est parvenu à la fois à imposer la paix et la démocratisation du pays. Tout semble aller pour le mieux. Paul Kagamé, dirigeant du FPR, écrit même une lettre de remerciement au président Mitterrand. C’est en réalité un leurre. Ni le régime ni le FPR ne veulent à terme partager le pouvoir. Nous avons simplement gelé un affrontement, et une fois les soldats français partis, la réalité des rapports de forces reprend immédiatement le dessus et dans un contexte qui s’est radicalisé. Pendant que les forces françaises quittaient le territoire, mais que l’Élysée conservait un œil bienveillant et myope pour le régime de Kigali, certains partis politiques locaux nouvellement créés avec leurs milices se sont lancés dans une surenchère nationaliste sur fond de paranoïa ethnique largement alimentée par le spectacle terrible du Burundi voisin.

Livre : Assassinat ciblé et complexe terroriste : un survol préliminaire

Livre : Assassinat ciblé et complexe terroriste : un survol préliminaire

 

par Daniel Dory – Revue Conflits – publié le 2 septembre 2023


Dans son ouvrage sur la mort ciblée, Guerric Poncet propose l’une des premières analyses de ce sujet essentiel mais peu évoqué. Des premières pistes, qui méritent d’être approfondies avec d’autres études.

Guerric Poncet, La mort fantôme. L’assassinat ciblé comme arme de guerre, Éditions du Rocher, Monaco, 2023.

La place, les fonctions et les modalités des assassinats ciblés ont fait l’objet, jusqu’à présent, de relativement peu de travaux vraiment solides dans la littérature concernant la guerre et en particulier ses variantes irrégulières. Ceci est encore plus vrai concernant la production en langue française. La question concerne pourtant les chercheurs s’intéressant aux transformations de la conflictualité actuelle, et tout particulièrement ceux qui travaillent dans le domaine des études sur le terrorisme. C’est pourquoi il est nécessaire de signaler le petit livre de Guerric Poncet qui fournit, malgré ses limites évidentes, quelques éléments d’information préliminaire pour quiconque est amené à aborder le sujet de l’assassinat ciblé[1].

Ce premier livre d’un jeune journaliste du Point vise à présenter la question en partant d’une longue énumération d’un échantillon de cas historiques, avant de discuter de la légalité et de la légitimité de l’assassinat ciblé et d’exposer les principales manières de l’exécuter actuellement et dans un futur plus ou moins prévisible. Ce tour d’horizon d’un ensemble de thèmes assez peu abordés systématiquement et dont l’intérêt est évident est donc bienvenu, même si l’auteur aurait gagné à lire davantage et à consulter de vrais experts de la problématique qu’il se proposait de traiter. On se limitera ici à un bref commentaire sur trois aspects qui intéressent directement la recherche sur le terrorisme et qui justifient, en quelque sorte, la lecture de cet ouvrage dans cette perspective.

Question de la guerre

D’abord, il s’agit de clarifier la définition de l’assassinat ciblé, ce que Poncet réalise d’une manière peu satisfaisante (pp. 9-10), déterminant en partie le choix de son échantillon du chapitre historique. En effet, en considérant que ce type d’élimination concerne exclusivement des actions, généralement secrètes, commanditées par des autorités étatiques (gouvernements), on écarte du champ de l’analyse l’ensemble des actes perpétrés par des entités non-étatiques (groupes recourant au terrorisme, mafias diverses, forces paramilitaires variées, etc.).

Pourtant, dans tous les cas, la logique des assassinats est la même, à savoir l’élimination du fait de leur identité personnelle[2], et pour des motifs politiques, d’individus sélectionnés en raison des conséquences négatives que l’on attend de leur « neutralisation » dans le camp ennemi. Ce qui renvoie notamment aussi au débat en cours sur l’efficacité et/ou aux possibles effets contreproductifs de ce type d’actes, notamment dans le cadre des politiques contreterroristes.

Avant d’en traiter brièvement, il n’est pas inutile de rappeler que le terrorisme surgit, vers la fin du XIXe siècle, justement en rupture avec la pratique des assassinats politiques visant des chefs d’État et des dignitaires importants, surtout par les révolutionnaires russes et des membres de la mouvance anarchiste. Et par une de ces subtiles ironies dont l’histoire a le secret, on retrouvera la même logique à l’œuvre avec les « décapitations » programmées des dirigeants des organisations dites terroristes par Israël et quelques autres pays dont, surtout, les États-Unis dans la « guerre au terrorisme » qui débute en 2001.

Le deuxième motif qui incite à lire le livre de Poncet concerne donc, évidemment, les relations entre les assassinats ciblés et le contreterrorisme. Car bien que l’auteur n’aborde pas frontalement ce thème, bon nombre de ses développements sur la légalité/légitimité des assassinats ciblés y renvoient directement. Et la question est d’autant plus importante que l’élimination sélective est devenue au fil des années (surtout depuis l’administration Obama) l’instrument principal du contreterrorisme dans de nombreuses zones extérieures aux pays « occidentaux » (Afghanistan, Irak, Sahel, notamment).

Pour les chercheurs plus ou moins débutants en études sur le terrorisme, cet ouvrage est donc en mesure d’attirer salutairement leur attention sur cette problématique qui est centrale pour analyser l’aspect interactionnel du complexe terroriste, et les renvoyer à la lecture de textes relevant de la littérature spécialisée[3].

Enfin, en consacrant une place importante à l’aspect technologique (actuel et futur) des assassinats ciblés, et tout particulièrement aux drones qui sont devenus l’outil privilégié pour ce genre d’actions[4], l’auteur a fait œuvre utile. Ce qui confirme donc que la lecture de ce petit livre, consacré à des aspects souvent peu envisagés dans la réflexion sur le complexe terroriste, est recommandable pour autant que l’on se donne les moyens d’approfondir son contenu à l’aide de lectures complémentaires.


[1] Guerric Poncet, La mort fantôme. L’assassinat ciblé comme arme de guerre, Éditions du Rocher, Monaco, 2023.

[2] Sur la distinction entre les identités des victimes de la violence politique qui peuvent être personnelles (liées aux assassinats politiques) ; fonctionnelles (associées à la guérilla) ou vectorielles (qui caractérisent le terrorisme), voir : Daniel Dory ; Jean-Baptiste Noé (Dirs.), Le Complexe Terroriste, VA Éditions, Versailles, 2022, 13-14.

[3] Parmi les synthèses récentes, on peut consulter les chapitres suivants de deux manuels récents : Rory Finegan, « Targeted Killings. Perpetual war for perpetual peace ? », in : Andrew Silke (Ed.), Routledge Handbook of Terrorism and Counterterrorism, Routledge, London-New York, 2019, 471-482 ; et Jack McDonald, « Decapitation, repression, or cauterization ? The problem of targeted killings », in : David Martin Jones et Al. (Eds.), Terrorism and Counter Terrorism Post 9/11, Edward Elgar, Cheltenham, 2019, 53-64.

[4] Voir : Michael Boyle, « Drone warfare », in : Caroline Kennedy-Pipe et Al. (Eds.), Terrorism and Political Violence, Sage, Los Angeles, 2015, 267-276. On lira aussi avec profit l’article suivant concernant les possibles défenses contre ce type d’armes : Joseph Henrotin, « Lutte contre-drones. Quelles sont les options envisageables ? », DSI, N° 115, 2015, 86-95.

Point de situation : 1. Électrons, drones et saboteurs

Point de situation : 1. Électrons, drones et saboteurs

 

par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 27 août 2023

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Si on connaissait le score des matchs à l’avance, il n’y aurait strictement aucun intérêt à les jouer. Il en est de même pour les batailles et même encore moins, car on y meurt. Sauf à constater un rapport de forces initial écrasant en faveur d’un camp au départ d’une opération militaire, il n’est pas possible de prédire ce qui va se passer ensuite, ne serait-ce que parce que les moyens engagés sont énormes et que les interactions entre les différentes forces amies et ennemis relèvent rapidement du problème à trois corps de la science complexe. Décréter dès maintenant le succès de l’échec final d’une opération en cours est donc comme décider qu’une équipe a gagné ou perdu à 30 minutes de la fin du match alors que le score est toujours nul et qu’il n’y a pas de domination outrageuse d’un camp.

Et bien évidemment ces opérations-matchs, sanglantes, ne sont-elles même que des affrontements isolés dans la cadre d’une confrontation-compétition de longue haleine, ce qui implique une réflexion en trois étages, qui forment aussi trois niveaux d’incertitude : la stratégie pour gagner la compétition, l’art opérationnel pour gagner les matchs de différente nature, la tactique pour gagner les actions à l’intérieur des matchs. Ces opérations-matchs, il y a plusieurs et de nature différente en cours dans la guerre russo-ukrainienne et on assiste donc aussi à beaucoup d’indécisions, au sens de sort hésitant et non de manque de volonté. Faisons-en rapidement le tour, en se concentrant aujourd’hui, pour respecter un format de fiche à 3 pages, seulement sur les « opérations de coups ».

J’avais utilisé initialement l’expression « guerre de corsaires » pour désigner les opérations en profondeur. C’était une expression du général Navarre, commandant le corps expéditionnaire français dans la guerre en Indochine, pour désigner le mode opératoire qu’il souhaitait initialement appliquer contre le corps de bataille Viet-Minh à base de guérilla, de frappes aériennes, d’opérations aéroportées et de camps temporaires. L’idée était bonne mais l’application fut déficiente. Le principe général est de donner de multiples petits « coups » : raids au sol, frappes aériennes ou navales, sabotages, etc. afin d’affaiblir l’ennemi. On peut espérer que cet affaiblissement suffise par cumul à faire émerger un effet stratégique, une reddition par exemple – ce qui arrive rarement – ou une neutralisation de l’ennemi, réduit à une menace résiduelle. Le plus souvent cependant cet affaiblissement est surtout destiné à faciliter les opérations de conquête, l’autre grand mode opératoire où on cherche à occuper le terrain et disloquer le dispositif ennemi.

Les opérations de coups relèvent d’abord des forces des espaces communs, la marine, l’armée de l’Air, la cyber-force, et des Forces spéciales, de manière autonome ou parfois combinée.

Passons rapidement sur les cyber-opérations, non parce que ce ne soit pas intéressant mais parce qu’il y a peu d’éléments ouverts sur cette dimension, dont on avait fait grand cas avant-guerre et dont on est obligé de constater que cela n’a pas eu les effets spectaculaires attendus. Peut-être que ce n’est plus un « océan bleu », une zone vierge dans laquelle les possibilités sont considérables, mais un océan très rouge occupé maintenant depuis longtemps, car l’affrontement n’y connaît ni temps de paix ni temps de guerre, et où les parades ont désormais beaucoup réduit l’efficacité initiale des attaques. Peut-être aussi que cet espace n’est simplement pas vu, et donc abusivement négligé par les commentateurs comme moi, d’autant plus que ce n’est pas leur domaine de compétences. On pressent néanmoins qu’il y a là un champ où les Ukrainiens, avec l’aide occidentale qui peut s’exercer à plein puisqu’elle y est peu visible, peuvent avoir un avantage et donner des coups importants aux réseaux russes.

Le champ aérien est beaucoup plus visible. On peut y distinguer le développement d’une opération ukrainienne spécifique anti-cités, que l’on baptisera « opération Moscou » car la capitale en constitue la cible principale. Sa première particularité est de n’être effectuée, désormais presque quotidiennement, qu’avec des drones aériens à longue portée made in Ukraine, les alliés occidentaux interdisant aux Ukrainiens d’utiliser leurs armes de pour frapper le sol russe. Des drones donc, et pour rappel entre trois types de campagnes aériennes utilisant uniquement avions, missiles et drones, la diminution de puissance projetée est quasiment logarithmique. Autrement dit, avec les seuls drones on fait très peu de dégâts. Un seul avion Su-30SM russe peut porter la charge utile de 400 drones ukrainiens Beaver, avec cette particularité qu’il pourra le faire plusieurs fois.

Qu’à cela ne tienne, l’opération Moscou introduit des nuisances – la paralysie des aéroports par exemple – mais fait peu de dégâts et c’est tant mieux puisque cette opération a un but psychologique. Elle satisfait le besoin de réciprocité, sinon de représailles et vengeance, de la population ukrainienne frappée par les missiles russes depuis le premier jour de guerre, et vise également à stresser la population russe, notamment celle de la Russie préservée, urbaine et bourgeoise de Moscovie, en faisant entrer la guerre chez elle.

Sa deuxième particularité est qu’elle est peut-être la première campagne aérienne « non violente » de l’histoire, hormis les bombardements de tracts de la drôle de guerre en 1939-1940, puisqu’il y une volonté claire de ne pas faire de victimes en frappant de nuit des objectifs symboliques (bureaux de ministères ou d’affaires en particulier, voire le Kremlin) vides. Cela le mérite aussi de satisfaire le troisième public : le reste du monde et en particulier l’opinion publique des pays alliés de l’Ukraine qui accepterait mal que celle-ci frappe sciemment la population des villes russes. Il n’est pas sûr que les Ukrainiens y parviennent toujours. Il y a déjà eu des blessés par ces attaques de drones et on n’est statistiquement pas à l’abri d’une bavure qui ferait des morts. Cela aurait pour effet à la fois d’écorner l’image de la cause ukrainienne – et cette image est essentielle pour le maintien ou non du soutien occidental – et de provoquer une réaction anti-ukrainienne de cette population russe que l’on présente surtout comme apathique.

Toutes ces attaques par ailleurs sont autant de défis à la défense aérienne russe qui peut se targuer de petites victoires et de protéger la population lorsqu’elle abat des drones mais se trouve aussi souvent prise en défaut. Dans tous les cas, elle est obligée de consacrer plus de ressources à la défense des villes et donc moins sur le front, et cette présence physique dans les villes contribue encore à faire « entrer la guerre » dans la tête des civils russes, un des buts recherchés par les Ukrainiens.

En bon militaire, je préfère les actions anti-forces aux actions anti-cités et l’opération Bases consistant à attaquer les bases aériennes russes dans la profondeur me paraît beaucoup plus utile que de détruire des bureaux d’affaires. Sur 85 avions et 103 hélicoptères russes identifiés comme détruits ou endommagés par Oryx, respectivement 14 et 25 l’ont été, au minimum, dans les bases. Ces attaques ont surtout eu lieu dans les territoires occupés, dont la Crimée, mais aussi en Russie, près de Rostov le 26 février et le 1er mars avec deux missiles OTR-21 Tochka. Le 30 octobre, c’est un sabotage au sol qui détruit ou endommage dix hélicoptères dans la région d’Ostrov très près de la Lettonie. En septembre 2022, ce sont deux bombardiers qui sont touchés (un Tu-95 et un Tu-22) lors de deux attaques au drone Tu-141 semble-t-il (des vieux drones de reconnaissance à longue portée modifiés) et plus récemment le 19 août près de Novgorod (un Tu-22) de manière plus mystérieuse. On peut rattacher à cette opération, le raid d’hélicoptères Mi-24 du 31 mars 2022 sur un dépôt de carburant à Belgorod, l’attaque aux drones de la raffinerie de Novochakhtinsk le 22 juin 2022. Toute cette campagne anti-forces en profondeur n’est encore qu’une série de coups d’épingle, mais ce sont les coups d’épingle les plus rentables qui soient.

Les Ukrainiens ont tout intérêt à développer encore cette campagne en profondeur avec une force de sabotage, autrement dit clandestine. C’est plus difficile à organiser que des frappes aériennes mais les effets sont peut-être plus forts. Comme les alunissages, la présence d’humains provoque plus d’impact psychologique dans les opérations militaires que celle de simples sondes et machines. Savoir que des hommes ont pénétré, violé presque, l’espace national en l’air et plus encore au sol pour y provoquer des dégâts provoque plus de choc que si les mêmes dégâts avaient été faits par des drones. Si en plus on ne sait pas qui a effectué ces actions et c’est la paranoïa qui se développe, dans la société et le pouvoir russes plus qu’ailleurs. Les Ukrainiens ont tout intérêt surtout à développer encore leur force de frappe à longue portée au-delà des drones, qui apportent surtout le nombre, avec des missiles à portée de plusieurs centaines de kilomètres. C’est ce qu’ils sont en train de faire avec plusieurs projets qu’il ne s’agit simplement d’inventer mais surtout de produire en masse. S’ils y parviennent, la campagne de frappes en profondeur prendra une tout autre dimension, qu’elle soit anti-cités avec les risques évoqués ou préférentiellement anti-forces. Peut-être par ailleurs qu’à partir d’un certain seuil, disons si tous les jours le sol russe est attaqué par des drones, missiles ou commandos, l’interdiction d’emploi des armes occidentales n’aura plus de sens et que les Ukrainiens pourront aussi les utiliser, ce qui augmentera les capacités d’un coup.

Si la capacité ukrainienne d’agir dans la profondeur russe n’a cessé d’augmenter, celle de la Russie en Ukraine n’a cessé au contraire de se réduire. Entre une puissante force aérienne, un arsenal imposant de missiles et une dizaine de brigades de forces spéciales, on pouvait imaginer l’Ukraine ravagée dans toute sa profondeur dès le début de la guerre.

L’emploi de tous ces moyens n’a duré en fait que quelques semaines et à un niveau très inférieur à ce à quoi on pouvait s’attendre, la faute à une doctrine incertaine en la matière et surtout à une défense aérienne ukrainienne solide. Les Russes ont donc descendu très vite l’échelle logarithmique de la puissance projetée, en commençant par réduire l’activité de leurs aéronefs pilotés au-dessus du territoire ukrainien pour les consacrer à la ligne de front, puis en réduisant rapidement la cadence de tir de missiles modernes, en leur substituant ensuite de plus en plus d’autres types de missiles aussi dévastateurs mais de moindre précision et souvent de moindre portée, et enfin à utilisant de plus en plus à la place des drones Shahed et des lance-roquettes multiples pour les villes à portée de tir.

Le tonnage d’explosif lancé par les Russes n’a cessé de se réduire, tout en se concentrant sur les villes assez proches de la ligne de front et en faisant quasiment tout autant de victimes civiles par moindre précision. On ne voit d’ailleurs plus désormais de ligne directrice dans ces frappes hormis le besoin de répondre par des représailles aux coups ukrainiens. C’est d’autant plus absurde que cela contribue à dégrader l’image russe, ce dont ils semblent se moquer à part que cela joue sur le soutien de l’opinion publique occidentale à l’Ukraine, une donnée stratégique pour eux. Bien entendu, cela ne diminue en rien la détermination ukrainienne, bien au contraire.

La campagne aérienne en profondeur russe pourrait être relancée par une production accrue de missiles et/ou leur importation cachée auprès de pays alliés, mais surtout par l’affaiblissement soudain de la défense aérienne ukrainienne en grande tension de munitions. Une défense aérienne sans munitions et ce sont les escadres de chasseurs-bombardiers russes qui pourraient pénétrer dans le territoire ukrainien et faire remonter d’un coup le logarithme de la puissance. Un des intérêts des avions F-16, qui sont avant tout des batteries air-air volantes à 150 km de portée, est de pouvoir contribuer à empêcher cela.

Un des mystères de cette guerre est l’emploi étonnant des Forces spéciales par les Russes. Le ministère de la Défense russe avait pris de constituer une solide armée. Chaque service de renseignement russe, FSB, SVR, GRU, dispose de ses Spetsnaz (spetsialnoe naznachenie, emploi spécial). Les deux unités du FSB, Alfa and Vympel, totalisent peut-être 500 hommes. Zaslon, l’unité du SVR à vocation internationale en représente peut-être 300. Le gros des forces est évidemment constitué par les sept brigades Spetsnaz à 1 500 hommes du GRU, le plus souvent rattachés à des armées, et les bataillons à 500 hommes affectés à chacune des flottes, soit avec le soutien peut-être 12 000 hommes. Les troupes d’assaut aérien (VDV) ont également formé un régiment puis une brigade spéciale, la 45e, enfin, un commandement des opérations spéciales (KSO) de peut-être 1500 hommes, a été rattaché directement au chef d’état-major des armées, à la grande colère du GRU. Bref, il y avait là, avec l’appui des VDV, de quoi mener constituer une force de sabotage dans la grande profondeur, ou même de guérilla, par exemple le long de la frontière polonaise en s’appuyant sur la base biélorusse de Brest.

Il n’en a rien été, la défense aérienne ukrainienne empêchant les opérations héliportées et la défense territoriale ou les forces de police ukrainiennes maillant bien le terrain. Les Forces spéciales, 45e brigade et brigades GRU ont d’abord été utilisées en avant, clandestinement ou non, des opérations terrestres, puis de plus en plus en remplacement d’une infanterie de l’armée de Terre totalement déficiente. Une 22e brigade Spetsnaz très réduite et ce qui reste de la 45e brigade sont ainsi actuellement en train de combattre en première ligne devant Robotyne. Des occasions ont très certainement été gâchées en la matière par les Russes et on ne voit pas comment il pourrait y remédier. Sans doute y songent-ils mais on n’improvise pas une force d’action en profondeur.

Au bilan et il faut le rappeler, les opérations en profondeur apportent rarement seules des effets stratégiques, mais elles contribuent à l’affaiblissement de l’ennemi à condition de ne pas coûter plus cher qu’elles ne « produisent ». À ce titre, les opérations russes ne produisent plus grand-chose, à mort des morts et des blessés et des destructions de cathédrale, ou tout ou plus un affaiblissement économique en s’attaquant par exemple aux infrastructures de commerce de céréales. Dans un croisement des courbes stratégiques, selon l’expression de Svetchine, les Ukrainiens montent au contraire en puissance, mais les effets matériels restent minimes au regard de ce qui se passe sur le front et il s’agit surtout d’effets psychologiques, assez flous mais pourtant certains. En 2024, il en sera sans doute autrement.

La prochaine fois on parlera de guérilla d’État terrestre ou navale.

Nicolas Sarkozy et le piège russe

Nicolas Sarkozy et le piège russe

 

par Jean-Philippe Immarigeon – Revue Conflits – parution le 26 août 2023

https://www.revueconflits.com/nicolas-sarkozy-et-le-piege-russe/


Comment finir la guerre en Ukraine ? Que faire avec la Russie ? Des questions qui mêlent les dimensions politiques, diplomatiques et militaires. Dans un récent entretien au Figaro, Nicolas Sarkozy a esquissé quelques idées qui ont déplu et qui ont suscité de nombreuses controverses.

L’absence de structuration intellectuelle de notre classe politique, qui ne sait plus que gouverner la France au doigt mouillé et verse dans ce « en même temps » qui semble avoir frappé déjà deux générations de responsables, laisse nos compatriotes désemparés. Les interventions et l’essai publié chez Fayard par l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy, Le temps des combats, ne risquent pas de ramener les électeurs aux urnes même si la volée de bois vert que lui valent ses prises de position est en partie, mais en partie seulement, injustifiée.

J’avais moi-même, dès le lendemain de son entrée à l’Élysée, publié un peu amène essai [1] sur ce que nous disait du bonhomme un très puéril philo-américanisme dû à son inconnaissance manifeste des États-Unis. Sur ce point Nicolas Sarkozy est resté le même et affiche toujours son incompréhension des Américains. Ainsi lorsque, tout en justifiant sa décision solitaire de réintégrer le commandement OTAN, il dénonce les prétentions américaines de vassalisation de la France, montrant qu’il n’a toujours pas compris la puissance d’étouffement d’une nation qui se prétend impériale et qui met tous ses moyens au service de ses règles et de ses normes, et l’illusion de tous ceux qui croient pouvoir les amender de l’intérieur. Sarkozy relève que les Américains ne respectent que ceux qui leur bottent le cul ; c’est exact, mais pour cela il faut être dehors, pas dedans, et méditer l’aphorisme d’Henry Kissinger : « It may be dangerous to be America’s ennemy. But to be America’s friend is fatal. »

Sarko-le-Moscoutaire ?

Mais c’est sur la guerre russo-ukrainienne que Nicolas Sarkozy produit un surprenant salmigondis de truismes et de poncifs au milieu duquel percent toutefois quelques vrais morceaux de réflexion stratégique, malheureusement neutralisés par un narcissisme qu’on espère surjoué. Ainsi, s’attribuer le mérite d’avoir arrêté les chars aux portes de Tbilissi a dû faire rigoler les généraux russes : depuis Budapest il ne saurait être question pour eux de procéder autrement que par investissement des grandes villes, au sens où l’entend la poliorcétique, mais certainement pas d’y combattre surtout à l’heure du smartphone et des réseaux sociaux. La marche interrompue sur Tbilissi comme le leurre de Kiev doivent davantage à cet impératif qu’à l’entregent d’un ancien président français.

Pour le reste, Sarkozy fonde en grande partie son discours – il le dit en 2009, en 2014, il le répète en 2023 – sur le postulat branlant que les Russes ont déjà fort à faire à peupler l’immense Sibérie pour ne pas se perdre dans d’improbables conquêtes territoriales. Il répète surtout des pans entiers du narratif du Kremlin comme, en 2014, de mettre au compte d’une soirée de beuverie le rattachement de la Crimée par Khrouchtchev. Sarkozy est allé chercher sa baffe même si, parmi les bordées d’insultes picrocholines toutes plus ridicules et pitoyables, d’autres reproches sont totalement déplacés. Il s’est ainsi opposé à juste titre dès 2008 à l’intégration de l’Ukraine et de la Géorgie dans l’OTAN. Il a validé en 2011 la construction et la vente à la marine russe des deux porte-hélicoptères classe Mistral – L’Obs avait alors fait sa Une sous le titre « Sarko le Russe » – et en 2014 a dénoncé l’annulation précipitée et subreptice de ce contrat par un François Hollande apeuré des froncements de sourcil polonais, navires qui auraient été utiles aux Russes lors de la guerre contre Daech. Mais ces légitimes positions se télescopent avec un évident tropisme dont l’expression emblématique reste en 2010 l’érection, incongrue, en bord de Seine à Paris, d’une basilique orthodoxe qu’il m’a toujours plu de nommer « Notre-Dame-de-Poutine ».

Il y aurait également des accointances financières. On sait depuis certain dossier libyen l’éthique à géométrie variable de l’ancien président de la République, mais on n’avait pas beaucoup lu ses dénonciateurs sur ce même thème lorsque, tandis qu’une presse internationale étonnée en relevait la concomitance, la réintégration de la France dans l’OTAN avait été exactement contemporaine de la nomination d’Olivier Sarkozy, demi-frère, à un poste dirigeant du groupe Carlyle, pilier du complexe militaro-industriel washingtonien. Il y aurait donc des amitiés continentales suspectes par principe, mais d’autres, océanes, acceptables parce que partagées ? Il est vrai que la paille des réseaux Poutine est beaucoup plus amusante à dénoncer que la poutre d’une emprise américaine désormais bien documentée sur nos élites, nos médias et jusqu’à nos quartiers de banlieue.

Le retour de la SFIO

Car le chœur vertueux des pleureuses qui accusent Nicolas Sarkozy alors qu’elles nous ont enferrés dans l’impasse ukrainienne avec cette sérénité dans l’incompétence qui force le respect, comme disait Pierre Desproges, est bien en peine de justifier pourquoi nous avons basculé d’un soutien à l’Ukraine au projet d’abattre la Russie, et d’où lui vient cette haine étalée pour son histoire et sa culture.

J’ai sous les yeux un numéro du magazine américain Collier’s daté du 27 octobre 1951 qui raconte la chute prochaine de l’URSS et la fin du communisme au lendemain d’une troisième guerre mondiale allant de 1952 à 1955. Cette Russia’s Defeat and Occupation est illustrée en couverture par une carte de la partie européenne de ce qui était l’URSS, montrant l’Ukraine occupée avec Moscou comme siège des forces des Nations Unies, et un mâle GI portant le casque blanc aux doubles couleurs onusiennes et étatsuniennes. Cette unwanted war, qui commence par un nouveau Sarajevo (l’assassinat de Tito), est narrée dans ses moindres détails, avec force illustrations, statistiques, cartes et graphiques qui font de ce numéro – plus d’une centaine de pages grand format sur quatre colonnes et en petits caractères – tout à la fois un captivant roman de fiction et un remarquable essai politique [2]. C’est très amusant avec les publicités de l’époque vantant le bonheur d’être américain ; ça l’est beaucoup moins en 2023 sous la plume de nos intellectuels de bac à sable, avec leurs délires eschatologiques et leurs projections dystopiques copié-collé des mauvais comics des années cinquante [3]. À croire à les lire que le temps a suspendu son vol, que l’URSS existe toujours et qu’il s’agit de faire enfin cette guerre contre le péril rouge dont les généraux du Pentagone ont naguère été privés par Truman ou Kennedy.

Pourtant nombreux ont été, on le sait, mais il faut le redire, les avertissements des diplomates anglo-saxons depuis 1994 sur le danger de pousser l’OTAN jusqu’aux frontières de la Moscovie [4]. Côté français signalons l’intervention en 1997 de l’ancien premier ministre Michel Rocard qui s’étonnait de l’absence de débat en France alors que les Russes avaient déjà très officiellement averti : « Il est difficile de contester radicalement leur argumentation : quelles que soient nos arrière-pensées, elle est objectivement exacte [5] ». S’il ne s’agit pas de se faire le petit télégraphiste de la Russie, on peut la comprendre. C’est ce que semble avoir tenté l’actuel président de la République.

Le ravissement d’Emmanuel M*

Nicolas Sarkozy a dit dans un entretien au Figaro publié le 16 août : « Macron s’est fait mener par le bout du nez ». L’extraordinaire est qu’il l’a été successivement par les deux parties. Souvenez-vous : Poutine lui avait pourtant tendu une énorme perche le 7 février 2022 lors de sa visite au Kremlin, quinze jours avant l’invasion, sans rencontrer d’écho [6]. Que de temps déjà alors perdu depuis l’annonce de l’invasion à l’issue de la réunion du 21 décembre 2021 au Kremlin durant laquelle Poutine, devant la fin de non-recevoir de l’OTAN d’ouvrir des discussions sur la sécurité en Europe, avait dit : « On est sur le pas de notre porte, nous ne pouvons pas reculer, nous allons prendre des mesures militaires et techniques adéquates de représailles » !

Il fallut attendre l’automne 2022 pour qu’Emmanuel Macron réagisse. Sa position, la position de la France, tournait alors autour de deux axes : pas de garantie nucléaire étendue aux pays de l’ex-Europe de l’Est même en cas de confrontation directe avec la Russie, et refus réitéré d’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN qui « serait perçue par la Russie comme quelque chose de confrontationnel » (21 décembre 2022). Et puis vinrent les sommets de Munich du 17 février et de Vilnius du 11 juillet 2023. Depuis, la France n’émet plus qu’un aimable gazouillis de caniche complaisant aux injonctions de Bruxelles et aligné sur les caprices du Grand-Duché de Varsovie. Politique totalement à contretemps puisque, sur le terrain, rien ne se passe comme les « experts » de plateaux TV nous l’avaient annoncé.

L’OTAN, machine à perdre

Un professeur britannique d’Oxford, avec qui j’avais naguère de longues discussions lors d’une summer session à l’Université de Berkeley en Californie, qui pestait contre Louis XVI d’avoir interféré dans une affaire coloniale anglaise et accouché d’une aberration historique (les États-Unis), m’avait un jour fait remarquer que la seule guerre que les Américains aient jamais gagnée sans l’aide d’alliés était leur Civil War (de Sécession pour nous). C’était après le Viêt Nam, mais avant l’Irak et l’Afghanistan. La guerre d’Ukraine, pour autant que le Pentagone l’a prise en main via l’OTAN, risque de s’ajouter à la liste des défaites, et cette fois-ci même avec des alliés.

« L’OTAN est la plus grosse concentration de bullshit jobs de la planète où on déblatère, on papote et on vapote à la cafeteria, où la réunionnite et la visioconférence font davantage de ravages qu’un virus chinois. C’est le clone de l’armée américaine avec son gaspillage à tous les étages, sa gabegie comptable, sa sous-productivité chronique, ses services hypertrophiés et redondants et sa logistique cyclopéenne qui réduisent à la portion congrue les unités combattantes [7]. » On ne pourra que se replonger dans l’ironie cruelle de Winston Churchill lorsqu’il évoquait le fiasco américain d’Anzio en 1944, daubant lui aussi comme seul un sujet de Sa Majesté sait le faire – surtout s’il est lui-même à moitié américain – sur cette armée grasse et impotente, structurée pyramidalement et fonctionnant aux ordres comme la prussienne mais sans le Grand Frédéric, essentiellement composés de chauffeurs, de mécaniciens, de brancardiers et d’états-majors. Quatre-vingts ans plus tard, le constat est toujours le même [8], et on aimerait la même lucidité de la part de nos Armées [9].

On semble encore ignorer à l’OTAN que les chars ne servent pas à percer un front, qu’ils y ont toujours échoué et qu’ils ne doivent être utilisés, pour citer Marc Bloch, qu’à taper dans du mou. L’échec ukrainien est écrit dans des conceptions héritées de la bataille conduite du regretté Maurice Gamelin – les commentaires vespéraux de nos chaînes d’info constituant des remakes de « la tenaille » en forêt de Machecoul dans la 7e Compagnie. L’inconséquente otanisation de nos Armées explique également en grande partie leur débâcle au Sahel, anticipée et annoncée pour cette même raison [10].

Il est vrai qu’en face les Russes n’ont pas davantage évolué, et leur peu d’appétence pour la blitzkrieg comme pour la guerre de rues leur a causé une cruelle désillusion. Aussi font-ils désormais ce qu’ils ont toujours su faire et bien : de la défense en profondeur. Salauds de Russes ! Mais pourquoi les Leopard réussiraient-ils là où les panzers ont naguère échoué ? La reconquête des territoires perdus est illusoire, et plus personne n’y croit en dehors des plateaux de LCI et des éditoriaux de Libération. Alors maintenant, on fait quoi ?

Sortir du piège

Il faut revenir au bon sens et à la raison, au temps des Metternich, des Rathenau et des Kissinger, lorsque la diplomatie n’était pas abandonnée à des cabinets de consultants moins cortiqués qu’une influenceuse exilée à Dubaï. Mais il ne saurait s’agir, et c’est là l’erreur répétée de Sarkozy, de neutralité de l’Ukraine ni surtout de redécoupage de ses frontières, l’Europe a chèrement payé ses erreurs dans l’ex-Yougoslavie. D’un côté l’Ukraine n’a aucune vocation, quoiqu’elle le prétende, à intégrer l’OTAN. Ce n’est d’ailleurs pas à elle, mais à l’Organisation, dont la France puissance nucléaire continentale est un des membres fondateurs, de décider si l’affectio societatis de 1949 est compatible avec cette intégration, autrement dit s’il est toujours de son intérêt à elle, OTAN, d’aller au contact des armées russes, quitte à se déjuger de ses récentes proclamations. Mais de l’autre l’Ukraine n’a pas pour autant à être soumise au déterminisme historico-géographique que lui assigne Sarkozy en lui imposant un statut de neutralité, et en faire un bantoustan aux marches de l’Europe, mais qu’on comprend dans l’orbite russe, même s’il a raison lorsqu’il écrit que « les pays ne changent pas d’adresse ».

Quant à un redécoupage territorial, la répartition des dépouilles entre les deux blocs militaires les mettrait au contact, ce qu’il faut précisément éviter. C’est la constitution d’un glacis stratégique qui est la seule porte de sortie [11], qui ne préjugera en rien du maintien des armées nationales des États qui s’y trouveront, ni de leurs alliances diplomatiques et commerciales respectives.

Il faut ramener ce conflit à sa seule controverse militaire, ne pas chercher à faire du global ni du complexe pour immanquablement s’y perdre, et exclure la question de l’entrée de l’Ukraine dans l’UE qui se fera éventuellement à son heure et dont on ne voit pas, au nom de son intérêt bien compris, pourquoi la Russie continuerait à y objecter. Que faire alors de ce couplage OTAN/UE qui est gravé dans le marbre des textes européens, et qui avait en grande partie motivé le refus des Français de voter le projet de texte constitutionnel lors du référendum de 2005 ? Il faut le faire sauter, n’en déplaise à cet ancien président de la République qui nous l’avait imposé, passant en force aux Congrès à Versailles pour faire ratifier le Traité de Lisbonne, mais dont la mémoire sur cet épisode semble bien sélective.

La lettre du Kremlin

Il faut surtout penser français, ce que personne ne semble faire depuis le début de la guerre. En janvier dernier, la Rand a publié un dossier envisageant plusieurs hypothèses de développement du conflit, et à chaque fois les avantages et les inconvénients pour les seuls États-Unis, résumés dans des tableaux titrés : « Potential Benefits/Costs… for the United States » [12]. On ne saurait mieux exprimer ce qui leur importe que la conclusion : « to start a process that could bring this war to a negotiated end in a time frame that would serve U.S. interests ». Pourquoi la France n’en fait-elle pas autant et n’exprime-t-elle pas ses propres intérêts stratégiques ? Par solidarité avec ses partenaires atlantiques et européens qui la paient si bien en retour ? Par surdimensionnement de ses obligations otaniennes alors que, contrairement à ce qu’écrit Sarkozy qui s’illusionne comme beaucoup sur un engagement américain, l’Article 5 n’impose nullement une aide militaire directe au soutien du pays agressé, sinon jamais le Sénat de Washington n’aurait ratifié le Traité de 1949 ?

On signalera au passage que, sur la page du site de l’OTAN consacrée à la Résolution 239 dite Vandenberg, votée en 1948 par le Sénat américain aux fins de permettre la signature du Traité, il est indiqué dans la version française (mise à jour d’octobre 2009) qu’un des objectifs est « la signature d’accords mettant des forces armées à la disposition des États-Unis » (pour United Nations dans le texte anglais voté). Lapsus scriptae on ne peut plus lacanien. Sarkozy n’a décidément rien compris à l’Amérique alors qu’il suffit de la lire.

Et à la Russie ? S’il voulait se rendre utile, il prendrait l’avion de Moscou et arracherait à son « ami » Poutine un engagement de se retirer militairement et nucléairement de Kaliningrad, de Biélorussie et de Crimée en échange d’un retrait de l’OTAN de Finlande, des États baltes et de l’abandon de l’intégration de l’Ukraine et de la Géorgie. Il ne le fera pas, pas plus qu’Emmanuel Macron qui, depuis Munich, se terre, se tait et abdique son devoir de chef de l’Etat de la plus vieille nation du continent. Mais qu’attendre d’autre d’un Young Leader claquemuré dans le monde merveilleux de McKinsey ?


Notes

[1] Sarko l’Américain, Les Pérégrines (ex Bourin Editeur), 2007. On relira tout particulièrement le chapitre intitulé « Les paradoxes de Nicolas ».

[2] Après une narration cinématographique de la guerre atomique, le retournement se fait non seulement par un sursaut militaire occidental, mais par l’effondrement du régime, la rébellion du Goulag et le soulèvement de la population russe.

[3] L’éditorial d’introduction de Collier’s résumait ainsi son propos : « To warn the evil masters of the Russian people that their conspiracy to enslave humanity is the dark, downhill road to World War III ; to sound a powerful call for reason and understanding between the peoples of East and West – before it’s too late ; to demonstrate that if the war we do not want is forced upon us, we will win » . Pour retrouver presque mot à mot la même rhétorique, voir par exemple Bernard Guetta, « Contre Vladimir Poutine, la realpolitik », Libération, 29 novembre 2022, ou Bruno Tertrais, « La chute de la Maison Russie », Institut Montaigne, 13 décembre 2022.

[4] William Perry (secrétaire américain à la Défense) dès 1996, Jack Matlock (ambassadeur américain en URSS) un an plus tard, George Kennan en 1998, Bill Burns (directeur de la CIA) en 2008, Paul Keating et Malcolm Fraser (Premiers ministres australiens) en 1997 et 2014, Roderic Lyne (ambassadeur britannique en Russie) cette même année, Henry Kissinger en 2014, John Mearsheimer et Robert Gates (ancien secrétaire américain à la Défense) en 2015.

[5] « OTAN : danger », L’Express, 13 mars 1997, et Le Monde, 19 avril 1997.

[6] Voir la nouvelle préface à l’édition poche de Jean-Pierre Dupuy, La guerre qui ne peut pas avoir lieu. Essai de métaphysique nucléaire, Points Essais, 2019. Également Le Cadet n° 88, « Le retour de Folamour », in La Vigie, 12 février 2022.

[7] J-Ph. Immarigeon, « OTAN » in Abécédaire du souverainisme, Front Populaire, Hors-Série n° 1, 2020.

[8] « Command and performance has regressed, largely as a result of our headquarters incorporating american military information technology as well as replicating american headquarters structures and manning. » Eitan Shamir, Transforming Command, Stanford University Press, 2011, cité dans « Mission Command : The Fall of Strategic Corporal & Rise of the Tactical Minister », article du 23 avril 2017 non signé sur le site Wavell Room. « We have employed increased quantities of manpower, technology and process to try and make sense of the exponentially increasing volumes of information piped into an increasingly static headquarters. These bloated headquarters have bred a culture of over planning and control. The information technology revolution has allowed ministers and UK based senior officers to directly reach down to the tactical level in distant operational theatres, creating an expanded bureaucracy with a function of identifying and mitigating risk that has not receded. ».

[9] Un officier s’y est naguère essayé dans les colonnes de la Revue Défense Nationale : Colonel François-Régis Legrier, « La bataille d’Hajin : victoire tactique, défaite stratégique ? », RDN n° 817, février 2019.

[10] Voir de l’auteur, « La Guerre des Français », RDN n° 777, février 2015, en ligne sur Cairn, et les travaux de Michael Shurkin dont France’s war in Mali : Lessons for an expeditionnary army, publié par la Rand à l’automne 2014 et commenté dans l’article précité.

[11] Voir la carte illustrant mon précédent article, « L’impasse ukrainienne », Conflits, 28 mai 2023.

[12] Samuel Charap & Miranda Priebe, Avoiding a Long War. U.S. Policy and the Trajectory of the Russia-Ukraine Conflict, Rand Corporation, janvier 2023.

Ce traité qui favorise l’immigration des Algériens en France: l’héritage secret du général De Gaulle

Ce traité qui favorise l’immigration des Algériens en France: l’héritage secret du général De Gaulle

Le général De Gaulle durant son dernier voyage en Algérie, du 9 au 13 décembre 1960. Sa visite provoqua de nombreuses manifestations européennes et musulmanes, pour et contre l’Algérie française. LE CAMPION/SIPA / LE CAMPION/SIPA

GRAND RÉCIT L’accord du 27 décembre 1968, qui facilite l’immigration des Algériens en France, a eu raison de ce qui avait été le cœur de la politique algérienne du général De Gaulle : éviter la submersion de la France par l’immigration.