Les gagnants et perdants de l’ajustement budgétaire 2022 des armées

Les gagnants et perdants de l’ajustement budgétaire 2022 des armées

par – Forces opérations Blog – publié le

Entre deux données sur le prochain budget des armées, les rapports parlementaires détaillent pour la première fois certaines décisions prises lors de l’ajustement annuel de la programmation militaire (A2PM) 2022. Au rang des « gagnants » du volet terrestre, le drone Patroller et les feux longue portée.

L’exercice se répète chaque année et tient compte du contexte en plus de l’évolution classique de la « vie des programmes ». L’A2PM 2021 avait ainsi intégré les conséquences de la crise sanitaire et les conclusions de l’actualisation stratégique. L’A2PM 2022 rebat à son tour quelques cartes et ajoute des besoins nouveaux parfois corrélés aux premières leçons tirées du conflit en Ukraine.  

Derrière le financement des éléments de connectivité aéronautique pour le MRTT et le Rafale, derrière l’accélération de la préparation de la rénovation à mi-vie des frégates de défense aérienne pour s’aligner avec l’Italie, l’A2PM 2022 formalisait l’ajout de nouveaux sujets dans la programmation. Parmi ceux-ci, la « frappe longue portée terrestre ». Les affrontements en Ukraine ont révélé le caractère échantillonaire des moyens en service dans l’armée de Terre dans ce segment, limités à huit lance-roquettes unitaires (LRU) opérationnels sur les 12 disponibles.

De ce programme relatif aux feux longue portée, les rapports parlementaires n’en disent pas plus. Ces courtes mentions viennent néanmoins s’ajouter aux autres signaux allant dans le sens d’une inflexion majeure dans la prochaine loi de programmation militaire 2024-2030. « Les feux à longue portée reposent aujourd’hui sur les LRU qui arriveront en fin de vie en 2027 et devront être remplacés par des capacités similaires. La guerre en Ukraine nous enseigne que les feux très longue portée sont décisifs : il nous faut réfléchir sur la solution à retenir », indiquait à ce titre le chef d’état-major de l’armée de Terre, le général Pierre Schill, le mois dernier lors d’une audition sénatoriale.

Autre point de fragilité mis en lumière par le conflit russo-ukrainien, une défense sol-air réduite dans l’armée de Terre aux postes Mistral et à une poignée de canons de 20 mm, de fusils anti-drones et de VAB ARLAD. « Le contexte a changé, et il n’est pas exclu pour l’armée de Terre ou pour la Marine de devoir intervenir dans un environnement où la supériorité aérienne n’est plus durablement acquise », soulignait le chef d’état-major des armées, le général Thierry Burkhard, mi-octobre devant les sénateurs. Selon le député Renaissance Jean-René Cazeneuve, « une remontée en puissance des investissements dès 2023 a été décidée » dans le cadre de la dernière A2PM.

Ici aussi, pas de détails mais des échos à prendre avec des pincettes. Fin septembre, le cas des stocks de Mistral était ainsi évoqué par le ministre des Armées, Sébastien Lecornu. « Le retour d’expérience du conflit en Ukraine nous enseigne que nous devrons compléter nos stocks en 2023 », avait-il déclaré aux députés, ajoutant que « nous procéderons à un réassort important en munitions ». Sans toutefois relier explicitement cette annonce à l’ajustement réalisé cette année.

Dernier gagnant cité, le système de drones tactiques (SDT) Patroller. L’A2PM 2021 avait acté le décalage du lancement de l’étape 2 du programme de 2024 à 2025. L’A2PM 2022 semble être celui du rétropédalage partiel avec l’anticipation des premières commandes de la seconde phase. Une volonté retranscrite dans le PLF 2023, qui prévoit l’engagement de 175 M€ pour couvrir notamment « les compléments pour atteindre cinq systèmes opérationnels, le soutien initial, l’acquisition d’équipements de mission complémentaires ».

Comme d’accoutumée, le lancement ou l’accélération d’un programme implique d’en décaler d’autres pour maintenir l’équilibre budgétaire. Et, comme en 2021, cette logique déteint sur la conduite du programme phare de l’armée de Terre, le renouvellement du segment médian via les véhicules et matériels SCORPION.

Première conséquence : le décalage des commandes de véhicules Serval, heureusement « sans impact sur le calendrier de livraison ». D’après le projet de loi de finances, 420 véhicules seront commandés et 119 livrés l’an prochain. Ne resteront que 194 exemplaires à acquérir après 2023 pour atteindre la cible de 978 véhicules dans les forces d’ici à 2025.

Seconde conséquence : l’ajustement de la répartition du jalon intermédiaire de la cible SCORPION entre les Griffon, Jaguar, Serval et le char Leclerc rénové. Fixé à 50% des véhicules livrés à l’horizon 2025, ce jalon a été ramené à 45% l’an dernier, entre autres en raison d’impératifs industriels et pour financer la pérennisation du char Leclerc. L’objectif des 122 chars Leclerc XLR livrés à fin 2025 serait donc, du moins à première vue, lui aussi revu à la baisse. Le chiffre de 90 exemplaires fournis aux forces au lieu de 110 avait été évoqué dès la fin 2021.

Enfin, la soutenabilité de l’A2PM 2022 et la reconstitution des stocks cédés à l’Ukraine a été assurée par le report du programme VLTP non protégé version sanitaire (SAN). Son lancement en réalisation, à l’origine prévu pour cette année, attendra un peu. Cette décision n’aura pas empêché la publication d’un appel d’offres pour le développement et la fourniture d’une centaine de véhicules, dont les 50 premiers devaient initialement être commandés en 2022.

LPM 2024-2030 : objectif 100 000 réservistes

LPM 2024-2030 : objectif 100 000 réservistes

Direction : Ministère des Armées / Publié le : 22/11/2022

En vue de la LPM 2024-2030, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a présidé ce lundi un groupe de travail sur les réserves. L’objectif : trouver des solutions pour améliorer l’employabilité et l’accompagnement des réservistes.

 

Sébastien Lecornu préside la première réunion du groupe de travail sur les réserves
Sébastien Lecornu préside la première réunion du groupe de travail sur les réserves – © Ministère des Armées

 

« Notre objectif est d’avoir un militaire de réserve pour deux militaires d’active. Autrement dit, 100 000 réservistes pour une armée d’active de 200 000 hommes », telle est l’ambition affichée du ministre des Armées, Sébastien Lecornu. Pour y parvenir, un groupe de travail s’est réuni au sein du ministère des Armées pour ouvrir davantage les réserves. 70 participants étaient présents, dont le chef d’état-major des armées Thierry Burkhard, des parlementaires, des associations de réservistes, la Garde nationale ainsi que les organisations syndicales et patronales.

Les échanges ont d’abord porté sur les freins relatifs à l’employabilité des réservistes. Les retours de terrain indiquent en effet une attrition des effectifs, notamment dans le monde de l’entreprise. En principe, n’importe quel salarié du privé, s’il répond aux critères d’engagement, peut intégrer la réserve opérationnelle. Son entreprise est tenue de lui laisser ce temps disponible et ne peut s’y opposer. La réalité est toutefois plus nuancée. Si bien que de nombreux réservistes ne le déclarent pas et effectuent leurs missions durant leurs jours de congés. « Les lignes doivent bouger pour que la fierté d’être réserviste soit admise dans les entreprises » a expliqué Sébastien Lecornu. A cet effet, le MEDEF s’est engagé à agir en faveur de ce changement culturel.

Des mesures ajoutées à la prochaine LPM

Le faible intérêt de certaines missions, le manque de reconnaissance et la lourdeur administrative des recrutements ont également été soulignés. Aussi, pour répondre à ces différents freins, plusieurs pistes sont d’ores et déjà envisagées :

  • Augmentation de cinq ans de la limite d’âge pour intégrer la réserve
  • Clarification des missions pour adapter les compétences du réserviste au besoin
  • « Récompense » pour les entreprises facilitant l’accès à la réserve pour ses salariés
  • Simplification de la passerelle entre l’active et la réserve
  • Réévaluation de la gratification des réservistes pour les postes en tension
  • Autorisation du port de l’uniforme pour les réservistes lors des cérémonies officielles
  • Mise en avant des nouvelles technologies pour contacter les réservistes
  • Communiquer davantage pour changer le regard de la société sur les réservistes

Cette feuille de route a vocation à servir de base travail pour les cinq futures réunions du groupe de travail. Elles se tiendront jusqu’au mois de février. Les propositions qui seront remises à Sébastien Lecornu seront  intégrées dans la prochaine Loi de programmation militaire

Économie de guerre : un second séminaire entre constats et premières pistes

Économie de guerre : un second séminaire entre constats et premières pistes

– Forces opérations Blog – publié le

Les industriels de la filière défense française et les autorités du ministère des Armées se sont réunis mardi dernier pour un nouveau séminaire sur l’économie de guerre. Un premier point d’étape pour prendre acte de l’ « énorme boulot fait en très peu de temps » et revenir sur les premiers constats et pistes d’amélioration.

Un « très gros travail »

Lancé en juin par le président de la République, le chantier interministériel de l’économie de guerre conserve son objectif principal : forger une industrie de défense capable de répondre aux besoins des armées en termes de fourniture d’armement, de munitions et de soutien dans un contexte d’engagement majeur. Dit autrement, la BITD française doit pouvoir produire plus et plus vite.

Huit semaines se sont écoulées depuis la première table ronde organisée le 7 septembre. La seconde, à nouveau présidée par le ministre des Armées Sébastien Lecornu, réunissait les mêmes acteurs tout en y associant pour la première fois le Comité Richelieu, un représentant clef de nombreuses PME innovantes. Elle aura permis d’acter « le très gros travail mené à froid entre la DGA, l’EMA et les industriels » au cours des deux derniers mois, expliquait hier l’entourage du ministère au cours d’un briefing.

« Un certain nombre de choses ont déjà été décidées », rappelle le cabinet ministériel. Parmi celles-ci, le choix de concentrer l’effort sur des matériels prioritaires. Douze systèmes d’armes, équipements et munitions, et non plus dix, ont été sélectionnés pour leur forte attrition ou le degré élevé de consommation anticipé en cas de conflit. Ce sont, à l’instar des canons CAESAR et de leurs munitions de 155 mm, essentiellement des capacités du domaine terrestre. Les obus de 40 mm du véhicule Jaguar et certaines protections NRBC individuelles seraient aussi dans le collimateur du ministère des Armées. 

En septembre, les deux parties avaient convenu d’une série d’engagements. Côté ministériel, l’effort vise à adopter « une nouvelle façon de conduire les programmes d’armement » en misant sur leur simplification. Pour une partie d’entre eux actuellement en phase amont, il s’agira par exemple de réduire de 20% les exigences documentaires. De quoi permettre d’orienter l’expression de besoin vers des armes moins complexes et plus standardisées sans dégrader les performances. Et, par là, éviter un mouton à cinq pattes accumulant les points de fonctionnement coûteux en temps et en argent.

Côté industriels, la principale demande porte sur la nécessité de « remettre la fonction production au cœur de leurs entreprises ». Les 30 dernières années sont marquées par la priorité accordée à la course technologique et au maintien des compétences, souligne le cabinet. Pour produire plus et plus vite, l’économie de guerre suppose de réinterroger les cycles de production et les chaînes de sous-traitance pour en déterminer les vulnérabilités et proposer des axes d’amélioration.

Goulets d’étranglements et dépendances

Pour progresser, encore faut-il avoir une idée précise de l’état de santé d’une BITD fragilisée par la crise sanitaire, la pénurie de matériaux et l’inflation. Ces travaux d’analyse « ont déjà bien avancé », souligne le ministère des Armées. « Les capacités d’accélération dans la supply chain ne sont pas infinies », constate-t-il. Des 4000 entreprises composants la BITD française, plus d’une centaine sont en butée de production et constitueraient dès lors un goulet d’étranglement en cas d’augmentation des cadences. Chacune fera l’objet d’un plan d’action conduit par la DGA.

D’autres dépendances relèvent de l’approvisionnement réalisé à l’étranger. Bien qu’il y en ait peu dans le secteur de la défense, certaines touchent à des domaines clefs. C’est le cas de la poudre utilisée pour les munitions de gros calibre des armées françaises. Si la France peut compter sur le fournisseur national Eurenco pour ses charges modulaires, ce dernier s’approvisionne majoritairement auprès de l’entreprise Nitrochemie, une coentreprise entre l’allemand Rheinmetall et le suisse RUAG MRO, pour ses matières premières. L’approvisionnement n’est aujourd’hui pas menacé, mais la DGA évalue la possibilité de relocaliser une capacité de production en France pour éviter les conséquences d’une saturation de la demande.

Même son de cloche pour les semi-conducteurs, en pénurie depuis plusieurs années. La France, et par là le ministère des Armées, soutient une initiative européenne de remontée d’une filière à l’échelle continentale. Cet « EU Chips Act » pourrait bénéficier à un paysage français présentant quelques atouts, à l’instar de l’écosystème grenoblois.

La guerre en Ukraine aura, enfin, conduit à revoir certaines certitudes. Le serpent de mer de la filière française de munitions de petit calibre, par exemple, est maintenant abordé sous un autre angle. Pour la DGA, il convient en effet de vérifier si le constat d’un marché considéré comme surcapacitaire et à l’accès garanti par les sources multiples sera toujours valide dans le cas d’un engagement majeur. Et de se poser les mêmes questions que pour les poudres sur le maintien de cette surcapacité et l’opportunité de se doter d’une capacité totalement ou partiellement souveraine.

Fin octobre, le président de la République est venu en personne à la rencontre de la BITD française. C’était à La Chapelle Saint-Ursin et, entre autres, chez Nexter Arrowtech
(Crédits : Nexter)

Des solutions pour accélérer

La réduction des cycles et l’augmentation des cadences supposent en priorité de constituer des stocks de matières premières et de pièces à long délai d’approvisionnement. Cette seule étape représente parfois plus de la moitié du cycle de production. Industriels et autorités planchent depuis un moment sur plusieurs mécanismes de soutien. L’enjeu du stockage suppose tout d’abord celui de la maîtrise des chaînes d’approvisionnement. Hormis la relocalisation de certaines productions, le ministère annonce étudier un mécanisme déjà adopté par les États-Unis. Ce dispositif permettrait, si la situation l’exige, de prioriser les commandes militaires par rapport aux commandes civiles. Autrement dit, d’invoquer l’argument de la souveraineté pour « griller la priorité » dans la file d’attente.

« En réalité, 95% des entreprises le font déjà », souligne l’entourage ministériel, qui explique y avoir recours « sur un certain nombre de contrats urgents, en particulier le recomplètement des CAESAR ». Une assise légale s’avère cependant fondamentale pour disposer d’un moyen qui soit réellement contraignant. Ainsi, l’un des vecteurs dans lesquels cette règle pourrait être inscrite ne serait rien d’autre que la prochaine loi de programmation militaire 2024-2030. Que ce soit avec la BITD ou avec des groupements d’industriels moins centrés sur la défense, les premiers échanges sur le sujet ont engendré « des réactions plutôt favorables ».

Les acteurs avancent en outre la notion de « commande globale ». Le principe ? L’État s’engagerait à commander un certain volume sur une période définie, celle de la LPM par exemple. Si l’industriel sécurise de la charge de travail, il s’engage en contrepartie à constituer les stocks demandés pour anticiper la production au coup de sifflet si la situation le requiert. « Voilà le mode de fonctionnement que l’on a trouvé avec les industriels et que l’on va faire avec la quasi-intégralité du Top 12 », annonce le cabinet. Celui-ci promeut par ailleurs une volonté de convergence des références pour  rationaliser les stocks. En d’autres termes, il faudra s’accorder pour aligner les besoins et mutualiser certains lots. « C’est un travail qui est en cours avec des discussions entre industriels ».

Réduire le temps de production est une chose, compresser les délais de commande en est une autre. Véritable enjeu, l’accélération de la passation de commande passerait non seulement par la simplification de l’expression de besoin, mais aussi par l’octroi de « lettres d’engagement ». À mi-chemin entre l’intention et la contractualisation, celles-ci seraient conçues pour donner suffisamment de visibilité aux industriels pour qu’ils puissent lancer les approvisionnements et les premiers travaux sans que le contrat soit fini d’être négocié et formellement notifié. Il conviendra pour cela d’intégrer au plus vite le maître d’œuvre dans la boucle afin d’atteindre rapidement le niveau de compréhension suffisant pour engager le processus industriel. La LPM 2024-2030 doit encore être présentée, discutée et adoptée mais, « quoi qu’il arrive », l’effort portera sur les équipements du Top 12 et se matérialisera sans doute par ces fameuses lettres d’engagement.

Qui paiera la facture ?

Le ministre des Armées l’a constaté, les différents acteurs ont abattu « un énorme boulot en très peu de temps ». Pour autant, « tout n’est pas complètement finalisé » et l’idée sera de maintenir le format adopté et le rythme d’un séminaire environ tous les deux mois. De quoi établir un constat régulier et ne pas perdre de vue les chantiers à venir.

Parmi les prochains axes majeurs de progression, celui du financement. Constituer des stocks, engager du personnel, compléter l’outil de production a et aura un coût que les toutes les entreprises ne peuvent supporter seules. Au risque, le cas contraire, de devoir grignoter sur les marges et de menacer des investissements essentiels, à commencer par la R&D.

À première vue, tout coup de pouce ministériel supplémentaire paraît pour l’instant exclu. La réponse est sans doute à chercher dans la prochaine LPM, pour laquelle les arbitrages financiers s’annoncent complexes. « Tout cela suppose de se financer auprès d’acteurs bancaires ou à travers des fonds », explique le cabinet. Pas si simple à l’heure où le monde bancaire se révèle toujours plus frileux à l’idée de soutenir la filière défense. D’après le ministère, le SGDSN est monté au créneau au sujet des problématiques de financement de l’exportation, un marché primordial pour la santé financière des entreprises mais menacé par les nouvelles entraves bancaires.

La frilosité des acteurs traditionnels aura au moins eu cela de positif qu’il a motivé l’émergence d’autres mécanismes financiers. « D’une part, il y a un certain nombre d’acteurs parisiens qui sont en train de monter des fonds spécialisés dans la souveraineté ». Ce sont des fonds comme Ace Aéro Partenaires, centré sur les PME et ETI de l’aéronautique, ou des véhicules d’investissement comme ceux mis en place par Défense Angels. D’autres sont en cours de montage.

L’autre tendance positive, c’est la volonté de certains particuliers d’invertir une partie de leur épargne pour développer la souveraineté française. L’hôtel de Brienne a initié un travail avec ses homologues de Bercy pour « trouver des vecteurs qui correspondent à cette aspiration populaire ». Encore au stade préliminaire, l’idée sera davantage détaillée à l’issue du prochain séminaire, fixé pour le mois de janvier.

Budget de la Défense : L’objectif des 2% du PIB pourrait être un « plancher »

Budget de la Défense : L’objectif des 2% du PIB pourrait être un « plancher »

par Laurent Lagneau – Zone militaire – publié le 9 novembre 2022

http://www.opex360.com/2022/11/09/budget-de-la-defense-lobjectif-des-2-du-pib-pourrait-etre-un-plancher/


 

Quand il fut élu en 2017, le président Macron avait fait la promesse de porter les dépenses militaires françaises à 2% du PIB, conformément à l’engagement pris par son prédécesseur, François Hollande, lors du sommet organisé par l’Otan au Pays de Galles trois ans plus tôt. Et la Loi de programmation militaire votée lors de son précédent mandat devait permettre d’atteindre cet objectif à l’horizon 2025.

Aussi imparfait soit-il [car il peut recouvrir des réalités différentes d’un pays à l’autre], cet objectif de 2% du PIB est censé correspondre au niveau d’ambition de l’Otan, traduit en termes militaires.

Quoi qu’il en soit, et depuis le début de la guerre en Ukraine, plusieurs pays européens ont fait part de leur intention d’augmenter significativement leurs dépenses militaires, quitte à aller au-delà des 2% du PIB. Certains d’entre-eux, comme la Pologne, avait déjà atteint – et même dépassé- cet objectif.

Alors qu’une nouvelle Loi de programmation militaire se profile, la Revue nationale stratégique [RNS], publié ce 9 novembre, suggère que le budget du ministère des Armées pourrait significativement augmenter dans les cinq années à venir.

« Les investissements de défense, conformément à l’engagement pris au sommet du Pays de Galles de 2014 d’y consacrer 2 % de PIB, doivent continuer de s’accroître en Europe. Ce niveau doit être appréhendé comme un plancher pour être à la hauteur de la rupture stratégique provoquée par la guerre en Ukraine et des capacités nécessaires aux alliés européens pour assurer leur sécurité », lit-on en effet dans ce document.

En outre, l’effort de défense des membres de l’Otan « doit se poursuivre dans le cadre d’une remontée en puissance collective face à des adversaires décomplexés. Cette évolution est bénéfique en ce qu’elle rapproche nos partenaires européens de nos vues selon lesquelles nous devons collectivement assumer davantage de responsabilités en matière de défense », avance encore la RNS.

Cela étant, au regard des dix objectifs stratégiques et de l’ambition qu’elle décrit, on voit mal comment il pourrait en aller autrement. D’autant plus qu’il y est affirmé que la France devra, en 2030, être « capable de défendre son territoire métropolitain et ultramarin, et de protéger et impliquer ses citoyens » tout en s’appuyant sur une « dissuasion nucléaire indépendante » et des « forces armées conventionnelles robustes », et avec des « postures permanentes de sûreté adaptées aux menaces », lequelles sont nombreuses.

En outre, la France devra aussi disposer d’une « liberté d’action » et d’une « capacité à conduire des opérations militaires y compris de haute intensité en autonomie ou en coalition, dans tous les champs ».

Aussi, « nous devons répondre à la fois aux problèmes d’aujourd’hui et à ceux de demain. L’armée de 2030 que nous avons à bâtir ne doit pas être l’armée idéale que nous aurions voulue en 2022 », a résumé le président Macron, depuis Toulon, ce 9 novembre.

Justement, et alors que la guerre en Ukraine n’avait pas encore commencé, un rapport parlementaire sur l’engagement de « haute intensité » avait déjà estimé qu’il faudrait porter l’effort de défense à au moins 2,5% du PIB.

« Sous réserves de rester avec les mêmes ambitions, il y a effectivement un besoin complémentaire de 20 à 30 milliards sur la prochaine LPM. Ce qui mène, grosso modo, au doigt mouillé, à un effort de 2,5% du PIB. Ce qui nous permettra, sans ambition excessive, d’avoir notre modèle d’armée complet », avait en effet expliqué le député Jean-Louis Thiériot, co-auteur de ce rapport avec Patricia Mirallès, devenue depuis secrétaire d’État aux Anciens combattants.

Projet de budget 2023 pour nos armées

Projet de budget 2023 pour nos armées

Édito du Ministres des Armées

En 2023, le budget des armées françaises sera pour la 6ème année consécutive en augmentation. Depuis 2017, la nouvelle trajectoire budgétaire a permis de faire passer les crédits des armées de 32,3 milliards d’euros à 43,9 milliards d’euros.

Dès 2017, le Président de la République a décidé de stopper l’érosion de nos capacités militaires. Depuis, chaque annuité de la LPM a été respectée, avec une hausse de 1,7 milliard. Le projet de loi de finance pour 2023 renforce cette promesse du Président de la République à nos soldats avec une nouvelle augmentation de 3 milliards d’euros du budget des armées.

Cette politique a porté ses fruits, elle a renforcé la place de la France aux yeux du monde. Nous avons atteint les 2% de PIB dédiés à notre budget de défense, en conformité avec nos engagements envers nos alliés de l’OTAN. Ces investissements permettent aujourd’hui à la France d’être Nation cadre en Roumanie pour protéger les frontières orientales de l’Alliance, tout en poursuivant notre engagement contre le terrorisme au Sahel, aux côtés de nos partenaires africains et avec nos alliés européens.

Les effets de ces augmentations se ressentent déjà dans nos unités et sur les théâtres d’opération avec l’arrivée de nouveaux matériels intégrant les technologies Scorpion et Griffon, le Jaguar ou le drone Reaper arrivent progressivement dans nos régiments, ainsi que les équipements de protection individuelles qui offrent une meilleure protection et une supériorité tactique à nos soldats sur le terrain.

Ce budget poursuit les investissements massifs dans notre programme capacitaire avec 38 milliards de commandes militaires ainsi que d’importantes livraisons : 13 Rafales, 2 lots de missiles, 1 sous-marin nucléaire d’attaque et 18 chars Leclerc. Ces nouveaux crédits devront engager l’impératif de transformation du modèle de production de notre industrie de défense vers une « économie de guerre », et garantir notre souveraineté en renouvelant nos stocks, avec

2 milliards d’euros de commandes de munitions. Les augmentations de crédits profitent aussi directement à celles et ceux qui s’engagent sous nos couleurs. Depuis 2017, les 520 millions d’euros dédiés au Plan famille ont permis notamment d’améliorer les conditions de logement des militaires. Nous poursuivrons ces investissements en 2023 avec 180 millions d’euros fléchés vers le plan famille. Ce budget permettra également le recrutement de 29 700 personnels dont 1500 créations de postes. Pour répondre à l’enjeu d’attractivité qui en découle, la nouvelle politique de rémunération des militaires est un outil central, que nous avons pu mettre en œuvre grâce à l’augmentation continue du budget des armées depuis 2017.

Cette politique portée pour la sixième année consécutive par le Président de la République porte ses fruits : elle assure à la France une crédibilité auprès de ses alliés ; elle donne à nos forces une supériorité sur le terrain grâce aux investissements importants dans notre programme capacitaire ; et offre à nos militaires de meilleures conditions d’engagement. Il nous appartient désormais de poursuivre ces efforts pour que notre Nation soit à la hauteur des défis que l’Histoire dresse devant elle : ce que nous préparons avec une nouvelle loi de programmation militaire 2024-2030, que nous présenterons au Parlement dès 2023.

Sébastien Lecornu,

ministre des Armées

 

Lire et télécharger le PLF 2023

Projet-de-Loi-de-Finances-2023

Dix priorités stratégiques qui charpenteront la revue stratégique et loi de programmation militaire

Dix priorités stratégiques qui charpenteront la revue stratégique et loi de programmation militaire

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par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 28 octobre 2022

http://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/


Le chef de l’État, en visite jeudi dans le Cher sur plusieurs sites de production d’armement, a demandé aux industriels de défense (dont Nexter et MBDA) de s’efforcer de produire davantage et plus rapidement, à des coûts maîtrisés, pour faire face à la nouvelle donne géopolitique mondiale (EPA-EFE/LEWIS JOLY / POOL MAXPPP OUT). La demande n’est pas nouvelle et elle s’inscrit dans le concept d’économie de guerre qu’Emmanuel Macron a énoncé au salon de défense Eurosatory, en juin.

C’est un concept que l’on retrouvera dans la prochaine revue nationale stratégique.

Cette RNS soumise cette semaine aux parlementaires, sera présentée le 9 novembre à Toulon par Emmanuel Macron avant la publication de la LPM d’ici début 2023.

Le document propose d’articuler l’action de la France en cinq cercles : « protection du territoire national », « défense de l’Europe y compris dans un conflit de haute intensité », « Afrique subsaharienne et golfe arabo-persique », « Indo-Pacifique » et « espaces communs (cyber, spatial, fonds marins et espaces maritimes) ».

La RNS confirmera les tendances lourdes déjà identifiées dans la précédente revue stratégique, publiée en 2017 et actualisée en 2021: compétition stratégique exacerbée entre puissances, besoin d’un modèle d’armée complet etc.

Elle insistera aussi sur certains concepts comme la résilience, l’économie de guerre ou l’influence, à la lumière des premiers enseignements du conflit en Ukraine. Plus précisément, cette revue stratégique propose dix objectifs majeurs, au premier rang desquels figure la dissuasion nucléaire, qui demeure la « clé de voûte » de la défense française. La modernisation de la dissuasion mobilisera 5,6 milliards d’euros de crédits de paiement en 2023.

La liste des 10 objectifs stratégiques selon mon confrère JD Merchet: 
1- une dissuasion nucléaire robuste et crédible
2- une France unie et résiliente
3- une économie concourant à l’esprit de défense
4- une résilience cyber de premier rang
5- la France, alliée exemplaire dans l’espace euro-atlantique
6- la France, l’un des moteurs de l’autonomie stratégique européenne
7- la France, partenaire de souveraineté fiable et pourvoyeuse de sécurité crédible
8- une autonomie de décision et une souveraineté décisionnelle garantie
9- une capacité à se défendre et à agir dans les champs hybrides
10- une liberté d’action et une capacité à conduire des opérations militaires y compris de haute intensité dans tous les champs.

Last but not least, cette réflexion stratégique doit guider les arbitrages budgétaires contenus dans la future loi de programmation militaire 2024-2030.

Guerre en Ukraine et LPM-Le top 4 des enseignements de la guerre actuelle

Guerre en Ukraine et LPM-Le top 4 des enseignements de la guerre actuelle

(Tyler Hicks/The New York Times)

 

par  Michel Goya – La voie de l’épée – publié le 10/19/2022

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


La guerre en Ukraine n’est pas terminée, loin s’en faut, mais alors que l’on réfléchit à nouveau en France sur notre modèle d’armées et sur la future loi de programmation militaire, il n’est pas inutile de revenir sur ce qui parait déjà évident au regard des huit mois de conflit. C’est une appréciation évidemment personnelle et donc tout aussi évidemment critiquable avec des arguments.

1-20 % des ressources pour ceux qui font 80 % du travail, c’est peu

Les difficultés de la Russie à vaincre militairement l’Ukraine, un pays au budget de défense officiellement 13 fois inférieur (et officieusement bien plus encore, malgré l’aide américaine avant 2022) s’explique d’abord par un modèle d’armée inadapté au contexte.

La Russie a voulu une armée de classe « Etats-Unis » avec un PIB à peine supérieur à celui de l’Italie et il a fallu forcément effectuer des arbitrages. Chacune de ses composantes a argué de son absolue priorité pour assurer la dissuasion nucléaire, la présence et le prestige du drapeau blanc-bleu-rouge dans le monde, le soutien à l’industrie et parfois pour gagner les guerres à mener.

Au bout du compte, la Russie a opté pour le maintien d’un arsenal nucléaire pléthorique, la modernisation massive de son aviation et de sa marine, une défense antiaérienne puissante, la création et le développement des forces spéciales et d’une force d’assaut aérien indépendante. Il ne restait plus que 20 % des ressources pour l’armée de Terre. La confrontation et éventuellement la guerre contre les pays occidentaux ont attiré les regards, les esprits et les budgets (toujours agiter la menace la plus forte pour attirer les finances) alors que la probabilité d’une telle guerre était et reste toujours très faible, dissuasion nucléaire oblige. Au nom du « plus permettant le moins », on a cru que ce modèle pouvait faire face à tout et cela s’est avéré un leurre lorsqu’il a fallu mener une vraie guerre et sans l’excuse de la surprise puisque c’est la Russie elle-même qui a déclenché cette guerre.

De la lutte contre des organisations armées à l’invasion d’un pays, on ne gagne pas les guerres en tuant tous les combattants ennemis à distance – une stratégie de riche Sisyphe qui ne veut pas prendre de risque – mais en occupant le terrain. Or, l’armée russe en charge de planter les drapeaux était bien inférieure à ce qu’elle aurait pu être au regard du potentiel du pays.

En face, par défaut de moyens et ambition limitée à la défense du territoire, l’armée ukrainienne a consacré 90 % de ses ressources à ses forces terrestres et aux moyens anti-accès. Alors qu’une grande partie du modèle d’armée russe ne pouvait être engagé contre l’Ukraine, le rapport de forces réel sur le terrain s’est donc retrouvé beaucoup moins déséquilibré qu’il aurait pu être. Peu importe de pouvoir gagner éventuellement des guerres hypothétiques, et d’autant plus hypothétiques qu’elles opposeraient des puissances nucléaires, si on n’est pas capable de gagner les guerres majeures du moment et notamment celles que l’on a décidées.

On ajoutera pour aller plus loin dans le détail du modèle que non seulement l’armée de Terre russe a été négligée, mais que le modèle même de cette armée de Terre, fondée sur la puissance de feu de l’artillerie et la puissance de choc des chars de bataille, s’est trouvé pris en défaut. Il n’est pas moyen de gagner une guerre majeure sans infanterie, la sienne ou celle des alliés que l’on soutient, nombreuse et de qualité, surtout lorsque le milieu est complexe et urbanisé comme l’Ukraine. L’armée de Terre russe disposait d’autant moins de cette infanterie nécessaire que les meilleurs éléments étaient pris par les forces aéroportées et les brigades d’infanterie navale, de bonnes unités, mais mal équipées et mal organisées pour combattre autrement que dans le cadre d’opérations aéromobiles/aéroportées/amphibies, qui se sont révélées rarissimes.

  1. Le stock, c’est la survie

Le rapport de forces était d’autant moins favorable aux Russes que les Ukrainiens disposaient de réelles réserves humaines au contraire d’eux. Pouvoir faire face à un changement radical de contexte, c’est être capable de remonter en puissance très vite ou au moins de pouvoir alimenter la puissance sur la durée. Russes et Ukrainiens ont eu l’intelligence de s’appuyer sur leurs stocks de vieux équipements majeurs hérités de l’armée soviétique. Rétrofités, ils ont permis de disposer de la masse matérielle. La différence est que les Ukrainiens ont mieux organisé la ressource humaine destinée à se servir de cette masse matérielle.

On ne peut remonter en puissance rapidement sans faire appel aux ressources du reste de la nation. L’Ukraine a organisé cet appel, pas la Russie. Les Ukrainiens disposaient de réelles réserves d’hommes expérimentés qui ont permis de compléter les brigades d’active, d’en former de nouvelles à la mobilisation et de constituer le cadre des brigades territoriales. Avec l’afflux des volontaires puis des mobilisés, les Ukrainiens ont disposé d’une masse d’hommes qui sont devenus des soldats au bout de plusieurs mois de formation et d’expérience. On peut ajouter que cet apport de la nation a aussi été un apport de compétences particulières et même d’équipements civils d’utilité militaire. Grâce à cet effort de mobilisation et avec l’aide matérielle occidentale, l’armée ukrainienne est devenue la plus puissante d’Europe à l’été 2022.

En face, rien de tel car rien n’a été prévu. Un peu comme la France dans la guerre contre l’Irak en 1990, la Russie a engagé un corps expéditionnaire uniquement composé de soldats professionnels, mais sans avoir prévu une réserve opérationnelle professionnelle de même ampleur pour le compléter ou le soutenir. Depuis le début de la guerre, la Russie improvise donc en la matière, du ratissage de volontaires jusqu’à la mobilisation partielle chaotique, et cela ne donne évidemment pas de bons résultats. On ne fait pas sérieusement de guerre de haute intensité, pour reprendre le terme désormais consacré, sans avoir au préalable simplifié les procédures administratives, organisé des stocks d’équipements et de ressources logistiques, des unités de réserves complètes, le recensement de tous les individus ayant une expérience militaire, la possibilité de réquisition d’équipements civils et planifié la transformation des chaines de production.

Ajoutons que même si, comme les pays occidentaux actuellement, on reste dans le cadre d’une confrontation et pas de la guerre, disposer au moins de stocks d’équipements et de structures de formation permet au moins d’aider matériellement beaucoup plus facilement le pays allié qui, lui, est engagé en guerre.

  1. Le ciel est-il devenu trop dangereux pour les humains ?

Une des caractéristiques de la guerre en Ukraine est qu’on y voit peu d’avions, les stars ( à 70 % américaines) des guerres en coalition que l’on menait pendant le « Nouvel ordre mondial ». Ce n’est pas complètement nouveau. Déjà la guerre de 2014-2015 dans le Donbass s’était faite pratiquement sans aéronefs pilotés, ainsi que celle entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie en 2020. La raison principale réside dans la difficulté à engager des engins pilotés à plusieurs dizaines de millions d’euros dans un environnement dense de défense antiaérienne sur plusieurs couches. Malgré la prudence dans leur emploi, les forces aériennes russes ont perdu à ce jour 63 avions et 53 hélicoptères, pertes documentées et donc inférieures à la réalité. Il existe par ailleurs des moyens alternatifs pour réaliser quand même les missions de ces aéronefs : drones en tout genre, artillerie à longue portée et missiles. La campagne russe de frappes dans la profondeur du territoire ukrainien est la première à être presque entièrement menée avec des missiles ou quasi missiles depuis celle des V-1 et V-2 allemands en 1944-45. Elle a sensiblement la même inefficacité.

On notera qu’après avoir placé toute sa confiance dans la certitude de disposer de la supériorité aérienne (avec l’aide américaine dès qu’il fallait faire quelque chose d’important et/ou de longue durée) et dans son souci d’économies à tout crin, la France a sacrifié à la fois son artillerie antiaérienne et son artillerie sol-sol ainsi que les drones, qui paraissaient ne pas avoir d’utilité dans un tel contexte dont on savait pourtant pertinemment qu’il aurait une fin. Si les forces aériennes américaines sont encore capables à grands frais d’évoluer dans un environnement aussi hostile, qu’en est-il réellement des forces françaises ?

Le problème se pose également pour les opérations amphibies ou simplement près des côtes, à portée de missilerie ou encore pour les opérations d’assaut aérien. Doit-on y renoncer au profit d’autres modes d’action ? Faut-il adapter les moyens pour les rendre capables de pénétrer malgré tout des défenses anti-accès puissantes ? Est-ce que cela vaut le coup ?

  1. L’atome, c’est la paix ou presque

On n’a jamais parlé autant de l’arme atomique depuis les années 1980. C’est l’occasion au moins de rappeler combien elle est utile pour empêcher les guerres entre les puissances qui la possèdent. Si l’arme nucléaire n’avait pas existé, nous serions non pas au seuil d’une troisième guerre mondiale, mais d’une quatrième, puisque la troisième aurait certainement déjà eu lieu durant entre l’OTAN, le Pacte de Varsovie et la Chine entre 1950 et 1990.

Il faut donc pour la France continuer à améliorer cet outil et conserver cette capacité de seconde frappe (être capable de répondre à une attaque nucléaire massive) qui seule permet réellement d’être dissuasif face à une autre puissance nucléaire. Le problème majeur est que cela a un coût, et même un coût croissant. Le coût supplémentaire du renouvellement des moyens de notre force de frappe nucléaire est en train de dévorer l’augmentation du budget des armées et donc, à moins d’augmenter encore ce budget, de produire des effets d’éviction.

C’est l’occasion de rappeler la nécessité d’avoir des moyens en fonction de ses ambitions – si on faisait le même effort de défense qu’en 1989 le budget des armées serait de 70 milliards d’euros – ou si ce n’est pas possible de faire l’inverse, sinon la France se trouvera dans la position actuelle de la Russie dès lors qu’il s’agira de faire réellement la guerre.

La Marine nationale va-t-elle reprendre de l’épaisseur dans le cadre de la prochaine Loi de programmation militaire?

La Marine nationale va-t-elle reprendre de l’épaisseur dans le cadre de la prochaine Loi de programmation militaire?

Tir ASTER 30 le 27 janvier 2021, à bord de la FREMM Normandie.

 

http://www.opex360.com/2022/10/18/la-marine-nationale-va-t-elle-reprendre-de-lepaisseur-dans-le-cadre-de-la-prochaine-loi-de-programmation-militaire/


Dans le même temps, d’autres pays ont massivement investi dans leurs forces navales, comme la Chine, qui produit tous les quatre ans, en tonnage, l’équivalent de la flotte française. En outre, la « compétition » entre puissance allant crescendo, le risque de confrontation s’accroît, d’autant plus que, comme l’a récemment souligné l’amiral Pierre Vandier, l’actuel chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM], « nous sommes en train de passer à une mer vecteur de souveraineté à une mer objet de souveraineté » et « on assiste à véritable poussée de la prédation ».

D’ailleurs, il en avait prévenu les élèves de l’École navale, dès 2020. « Aujourd’hui, vous entrez dans une marine qui va probablement connaître le feu à la mer, vous devez vous y préparer! », leur avait-il lancé. En outre, lors d’une audition parlementaire, en juillet dernier, il a expliqué qu’il fallait « avoir à l’esprit que, pour un navire de combat, la différence entre basse et haute intensité ne tient qu’aux ordres reçus ».

Certes, l’actuelle Loi de programmation militaire [LPM] a permis de lancer le renouvellement de nombreuses capacités et de préparer l’avenir, avec les études sur le porte-avions de nouvelle génération [PANG] ainsi que sur le sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de troisième génération [SNLE 3G]. Pour autant, la question du format de la Marine nationale n’a pas été abordée… Et des ruptures capacitaires temporaires sont même à craindre pour certains segments, comme celui des sous-marins nucléaire d’attaque [SNA], avec quatre exemplaires disponibles sur six, ou encore celui des patrouilleurs de haute-mer.

Qu’en sera-t-il lors de la prochaine LPM, actuellement en cours de préparation? Dans les récents entretiens qu’il a donnés à la presse spécialisée [DSI, Defense News], l’amiral Vandier a donner le sentiment de botter en touche au moment d’aborder la question du format de la Marine, préférant insister sur les avancées permises par la LPM 2019-25.

« Le Livre blanc de 2013 a fixé le format de la marine pour 2030, qui reste la référence : 15 frégates – 8 FREMM, 2 frégates de défense antiaérienne [FDA] et 5 FDI –, la capacité d’opérer sur deux à trois théâtres simultanés et une mission-cadre. Savoir s’il est suffisant est une question qui n’est pas de mon ressort et à laquelle les travaux de la future LPM devront répondre », avait-il d’ailleurs dit aux députés, en juillet.

Cela étant, dans une note récemment publiée par l’Institut français des relations internationales [IFRI], une révision à la hausse du format de la flotte française est une nécessité étant donné que, dans un contexte de haute intensité, « toute perte de bâtiment aurait une répercussion stratégique excédant ses effets tactiques ».

Et la note d’ajouter : « Le taux d’attrition observé dans le conflit ukrainien suggère ainsi qu’il est nécessaire d’adapter le format de la Marine nationale si elle veut être apte à faire face à l’hypothèse de la haute intensité. Un tel objectif dans un budget contraint demande également de faire preuve d’innovation, en identifiant des effets de levier améliorant les plateformes existantes avec de nouveaux capteurs et effecteurs tels que les drones ou les armes à énergie dirigée ».

S’agissant de l’innovation, l’amiral Vandier ne dit pas autre chose… Et, au-délà de cet aspect, il estime qu’un effort est à faire en matière de munitions complexes, dont les « stocks doivent être adaptés au contexte plus exigeant et incertain qui se dessine » et qu’il faut aussi « garantir la capacité » de la Marine « à durer au combat », ce qui passe par des marins bien formés et entraînés.

« Bien que les facteurs technologiques jouent un rôle important dans le combat naval, les éléments de la victoire ne sont pas seulement liés à la qualité et à la quantité des navires. Comme l’a dit […] Alfred Thayer Mahan : ‘de bons marins avec de mauvais navires valent mieux que de mauvais marins avec de bons navires’. Donc, le but est d’avoir de bons marins sur de bons navires », a résumé le CEMM dans les colonnes de Defense News.

Mais il a également a estimé qu’il « y a un enjeu à épaissir, là où il est intelligent et possible de le faire ».

Or, ces derniers mois, quelques parlementaires ont fait des propositions. Ancien député ayant coordonné le groupe de travail « Défense » au sein du parti LREM durant l’élection présidentielle, Fabien Gouttefarde en avait avancé quelques unes : acquérir un septième SNA de type Suffren, commander cinq patrouilleurs océaniques en plus des dix déjà prévus, conserver cinq frégates légères furtives modernisées et s’associer au programme italien de « destroyers » DDX en vue d’en doter la Marine de deux exemplaires. Au Sénat, un rapport a aussi plaidé pour faire l’acquisition de cinq patrouilleurs outre-mer [POM] supplémentaires et d’hydroglisseurs, pour compenser la perte capacitaire induite par le retrait des BATRAL.

De telles propositions pourraient permettre de bénéficier d’un effet de série, d’autant plus que les industriels français sont invités à passer en mode « économie de guerre ». À noter, d’ailleurs, que Naval Group a lancé le plan C20-F-30, qui vise à réduire de six mois les délais de construction des corvettes Gowind et des frégates de défense et d’intervention [FDI]. Ce qui, note Le Figaro, « revient à doubler la cadence en produisant deux grands bateaux en parallèle par an ».

En tout cas, à l’heure où le budget des armées va atteindre un niveau « historique » en 2023, avec 43,9 milliards d’euros [soit +7%], et qu’il devrait encore augmenter les années suivantes, il serait tout de même assez piquant de voir la France disposer d’une marine qui n’aura jamais été aussi petite depuis 1945…

M. Lecornu à propos des réservistes : « Contribuer à la défense nationale de son pays doit devenir un droit! »

M. Lecornu à propos des réservistes : « Contribuer à la défense nationale de son pays doit devenir un droit! »

http://www.opex360.com/2022/10/07/m-lecornu-a-propos-des-reservistes-contribuer-a-la-defense-nationale-de-son-pays-doit-devenir-un-droit/


 

« Il y a une loi morale qui règle la société, une légitimité générale qui domine la légitimité particulière. Cette grande loi et cette grande légitimité sont la jouissance des droits naturels de l’homme, réglés par les devoirs; car c’est le devoir qui crée le droit, et non le droit qui crée le devoir », a écrit François René de Chateaubriand…

Ceci ayant été rappelé, en temps de guerre ou de crise, contribuer à la défense de son pays est un devoir… En temps de paix, nul n’est tenu de servir sous les drapeaux. Du moins est-ce vrai depuis que les jeunes français n’ont plus le devoir de remplir leurs obligations militaires avec la suspension du Service national. Pour autant, faut-il instaurer un « droit » à « contribuer à la défense nationale » pour les civils qui voudraient signer un engagement à servir dans la réserve opérationnelle?

Visiblement, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, le pense. D’autant plus que, selon les annonces faites par le président Macron le 13 juillet dernier, il est question de doubler l’effectif de la réserve opérationnelle de niveau 1 [RO1]… Ce qui suppose de recruter environ 40’000 volontaires supplémentaires…

Volontaires qui devront pouvoir se libérer de leurs obligations professionnelles en cas de besoin. Ce qui, même si des conventions ont été signées avec de grandes entreprises, ne va pas forcément de soi pour les réservistes venus du secteur privé… En effet, il peut être compliqué pour une PME de se passer d’un employé possédant un savoir-faire essentiel à son activité pendant plusieurs jours.

D’où la mise en place, par M. Lecornu, d’un groupe de travail qui aura la tâche d’identifier « les freins à l’engagement » au sein de la RO1 et de trouver les « leviers nécessaires pour y remédier, notamment en termes d’évolutions réglementaires et législatives », a précisé le ministère des Armées, le 6 octobre.

Ce groupe de travail réunira des militaires, des parlementaires, des associations ainsi que des représentants d’organisations patronales et syndicales. Il aura à « formuler des propositions » qui serviront à élaborer la prochaine Loi de programmation militaire [LPM].

« Contribuer à la défense nationale de son pays doit devenir un droit! Chaque français doit pouvoir s’engager comme réserviste militaire et participer à la protection de la Nation. Les armées se mettent en ordre de marche pour pouvoir proposer une fonction adaptée aux compétences et profils de chacun », fait valoir M. Lecornu.

Et si participer à la défense nationale devient un « droit », alors ceux n’ayant pas l’aptitude physique requise pour l’ensemble des spécialités proposées par les armées pourraient le faire valoir. C’est d’ailleurs l’un des sujets qu’aura à aborder le groupe de travail.

« Les critères d’admissibilité physique et de santé constituant parfois des barrières à l’engagement pourront, pour certaines missions confiées à des réservistes, être allégés », précise le ministère des Armées. Un autre axe de travail concernera les « conditions nécessaires pour créer un concours bienveillant des entreprises et des employeurs quant à leurs salariés réservistes », poursuit-il.

Cela étant, les pays nordiques ont trouvé une solution pour ne pas manquer de réservistes… En effet, un service militaire censé être obligatoire est en vigueur tant en Norvège qu’en Suède [où il a été rétabli en 2018, ndlr]. « Obligatoire » est effectivement un vain mot puisque seulement une fraction d’une classe d’âge est appelée sous les drapeaux. Ainsi, l’armée norvégienne ne sélectionne que les plus motivés [soit 10’000 hommes et femmes sur 60’000], ce qui correspond à ses besoins. Son homologue suédoise a adopté une approche identique.

Photo : Ministère des Armées

Les trois marches du succès à travers le juste dimensionnement des capacités industrielles d’un programme d’armement

Les trois marches du succès à travers le juste dimensionnement des capacités industrielles d’un programme d’armement


 

L’armée de Terre renouvelle son matériel en s’appuyant sur la technologie. Du fait de son coût, ceci aboutit à un équipement soutenu au plus juste, avec des séries, dans certains cas, relativement limitées. Une des conséquences de ce choix est qu’une montée en puissance de l’outil militaire, si elle est réalisable, s’inscrirait a minima dans la durée, devant l’impossibilité de régénérer rapidement les matériels, soumis à un emploi beaucoup plus important qu’initialement prévu. C’est pourquoi le GCA (2S) Michel Grintchenko milite pour dimensionner dès le temps de paix les capacités industrielles de soutien à un niveau suffisant pour pouvoir s’imposer face à un adversaire déterminé. Une surcapacité industrielle apparente, qui pourrait être en grande partie supportée par l’industrie privée, si l’État en favorisait l’émergence.

 

Après la modernisation de sa composante d’aérocombat avec les programmes Tigre et NH90, l’armée de Terre reçoit enfin aujourd’hui ses indispensables matériels terrestres de nouvelle génération, organisés autour du programme de cohérence Scorpion. Une nouvelle ère s’ouvre pour les forces françaises, qui visent à pouvoir prendre rapidement l’ascendant sur l’ennemi en anéantissant sa volonté de poursuivre un conflit meurtrier et perdu d’avance. Le programme mise sur la supériorité technique, permettant d’accélérer les mouvements et d’atteindre des résultats décisifs, notamment grâce à l’info-valorisation propre à raccourcir au maximum le cycle décisionnel. Rapidité d’action et de décision devraient permettre de conserver l’initiative, si importante au combat.

Mais le revers de la médaille réside dans une diminution drastique des volumes, se traduisant par une réduction du format des forces, au risque de perdre les effets de masse tactique et industrielle. Moins d’unités sur le terrain, ce sont également des chaines avec de matériels moins nombreux, atteignant pour certains un volume trop faible pour bénéficier d’économies d’échelle. Le sur-mesure devient de l’artisanat de luxe et coûte bien cher !

Pour ses hélicoptères, l’armée de terre s’est même habituée à raisonner à la machine près. Les numéros de série deviennent connus des grands chefs, à l’exemple du Tigre 2028 touché en 2013 au Mali, dont les difficultés de remise en état ont été à l’ordre du jour de plus d’une réunion de haut niveau.

Mais si leur nombre est plus faible, les appareils de nouvelle génération ont également grandement complexifié la réalité du soutien, brouillant ce qui devrait être simple et masquant l’important derrière des données techniques relativement absconses. Déblayer ce qui semble complexe sera nécessaire avant d’aborder les trois marches du soutien qui doivent être maîtrisées.

* * *

À l’image d’un parcours du combattant qui voit se succéder plusieurs obstacles, l’armée de Terre a absorbé le premier obstacle majeur, constitué par le mur de l’équipement : ses matériels sont à présent bien commandés et la LPM veillera à ce qu’ils soient livrés à temps.

L’armée de Terre doit à présent gérer le mur du fonctionnement, avant d’espérer ne pas être handicapée par celui de la régénération de potentiel. Trois stades importants dans la vie d’un programme, rythmé par une gestion scrupuleuse du potentiel accordé.

Le Niveau de soutien opérationnel (NSO) doit permettre aux forces de franchir le mur du fonctionnement. Le but visé est celui de rendre les matériels disponibles par une série d’actions de maintenance ; actions qui peuvent relever du domaine préventif, quand il s’agit de répondre au plan d’entretien programmé par le constructeur ou du domaine curatif, quand il s’agit de traiter les pannes courantes et les incidents mineurs.

Opérations préventives et curatives se traduisent cependant dans les ateliers par un travail conséquent. Elles nécessitent un budget important pour financer les multiples besoins comme la formation des spécialistes, l’acquisition des outillages, la mise à jour des documents techniques et la gestion du flux des pièces de rechange. Malheureusement, ce besoin est parfois volontairement minoré pour rendre le nouveau programme plus compatible avec le budget des armées. Or, d’un soutien sous-dimensionné découlera une activité plus faible qu’escomptée ; un choix douloureux, mais dont la gestion des conséquences demeure dans le domaine de responsabilité du décideur militaire.

Il n’en est pas de même pour le troisième mur à franchir, celui de la régénération de potentiel qui relève du monde industriel. Ayant usé le segment du cycle de vie alloué aux forces, le matériel quitte les armées et rejoint l’industrie pour être régénéré au cours d’activités de maintenance lourde. Tout comme il est fondamental de trouver des stations-service disposant de carburant pour faire le plein de sa voiture, il est indispensable que les matériels dont le potentiel doit être régénéré trouvent des ateliers industriels disponibles pour les accueillir.

La cohérence de la construction de cet outil industriel relève de la DGA. La mise en œuvre est portée par les organismes de maîtrise d’œuvre de milieu comme la Structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT) pour les matériels terrestres et la Direction de la Maintenance aéronautique (DMAé) pour les matériels aériens. Les ateliers étatiques et privés en assurent l’exécution.

Dans ce domaine, l’armée de terre n’agit alors qu’en tant que client, marquant ses efforts dans le budget qu’elle accorde aux actions à réaliser et en attendant des résultats. En cas de problème, elle ne peut que constater les dysfonctionnements, se plaindre des différents retards et obtenir quelques compensations financières.

La notion de cycle de vie est importante à saisir. Sur chaque cycle de vie, les appareils disposent d’un volume d’heures à consommer (potentiel horaire) sur un temps donné (potentiel calendaire) ; l’appareil est arrêté (et même interdit d’emploi) dès qu’il a atteint la première des deux butées. Afin d’éviter les attentes, la fin du cycle correspond dans la planification industrielle à la date de la prochaine visite industrielle, où les ateliers procèderont aux opérations très longues (de l’ordre d’une année) qui ouvriront un nouveau cycle de potentiel, donnant aux opérationnels un nouveau capital d’heures à consommer.

Il s’agit d’une sorte de respiration naturelle entre le soutien opérationnel (NSO) et le soutien industriel (NSI), qui permet de s’assurer dans la durée du fonctionnement en sécurité des appareils : le NSO génère de la disponibilité et le NSI du potentiel. C’est grâce à cette organisation que des appareils d’une cinquantaine d’années, comme le Puma et la Gazelle sortent de grande visite avec une étonnante jeunesse.

Un soutien industriel bien dimensionné permettra de régénérer sans à coup le potentiel. Mais le moindre grain de sable pourra venir perturber la belle mécanique. Si les capacités industrielles sont insuffisantes, si les opérations techniques sont plus complexes du fait d’une usure anormale des appareils ou si l’emploi opérationnel est supérieur aux estimations consommant le potentiel plus rapidement que prévu, le nombre d’appareils en attente de prise en main ne pourra qu’inévitablement augmenter. Pour reprendre l’image d’un voyage sur une autoroute, lorsque le trafic est chargé, le moindre incident est susceptible de
dégénérer en bouchons interminables, encore en place longtemps après la résolution de l’incident.

Certains appareils se dégraderont alors sur les parkings en attendant leur prise en main. D’autres se transformeront en commodes réserves de pièces pour le reste de la flotte, alors qu’un nombre à peu près constant d’appareils sortiront des ateliers pour entamer un nouveau cycle. Dans un tel scénario, la dette se creuse et le parc s’atrophie mécaniquement. Un triste gâchis, pouvant donner l’impression de posséder des appareils « quasi jetables », incapables de dépasser en nombre suffisant le premier cycle d’utilisation. Un état de fait bien loin de la philosophie d’une loi de programmation militaire ambitieuse et rigoureuse !

L’armée de Terre a vécu une telle période de paralysie d’un parc lors des opérations de rénovation de la flotte Cougar. Les chantiers ont été programmés sur un an, à partir d’une capacité industrielle surévaluée. Ils ont duré en fait pour chaque appareil plus de trois ans, privant l’armée de terre de la moitié de sa flotte de Cougar pendant dix ans. L’EMAT a été insatisfait, s’est plaint et a tempêté. Rien n’a pourtant changé et le paquebot industriel a poursuivi sur son erre de retards, incapable de reprendre l’initiative. Le match a été perdu dès la planification, sans aucune capacité de correction.

S’agit-il d’un cas fortuit, ou d’un cas d’école, susceptible de se reproduire à plus grande échelle sur d’autres parcs de nouvelle génération ?

Quand on analyse les difficultés qui ont accompagné la régénération des matériels revenus d’opérations extérieures (OPEX), on ne peut que constater combien le soutien industriel est souvent le parent-pauvre des réflexions de fond. Certains pensent que comme d’habitude « l’intendance suivra ». D’autres espèrent que le programme y pourvoira. D’autres enfin déplorent des financements insuffisants et estiment que l’État n’a pas à payer dès le temps de paix un hypothétique effort de guerre, puisque la paralysie observée relève d’une surconsommation conjoncturelle.

Tous ces avis sont partiellement vrais, mais ils doivent être ordonnés dans l’espace et le temps. Entendons par l’espace la cartographie des lieux et des acteurs, puisque l’État n’est pas seul. Il peut et doit s’appuyer sur les entreprises françaises d’une Base industrielle et technologique de défense (BITD) ordonnée. Quant au temps, il n’est pas linéaire, générant des besoins dictés par les circonstances.

On peut ainsi distinguer trois cas de figure, qui représentent pour un programme trois marches à franchir, constituant un continuum qui croît en exigence. Le point de départ réside dans l’usage courant du temps paix. Le besoin passe ensuite par un stade intermédiaire, caractérisé par l’engagement majeur, qui génère des besoins proches de ceux du temps de guerre dans un régime juridique et économique du temps de paix. Enfin le continuum débouche sur la guerre, qui se caractérise par des besoins sans limites, mais dans une organisation et un système juridique différents, qui sont ceux du temps de guerre. Ce passage d’une marche à l’autre nécessite d’avoir été suffisamment anticipé pour qu’il se fasse de façon cohérente.

* * *

La première marche est donc celle du programme et de la vie courante. Elle correspond pour les états-majors à la Situation opérationnelle de référence (SOR).

Les besoins sont calculés dans une logique d’utilisation « de bon père de famille », envisageant les consommations raisonnables que l’on peut se payer en accord avec la programmation budgétaire. Le volume horaire retenu et les objectifs de disponibilité permettent d’accomplir le travail quotidien. La capacité du soutien industriel est calculée pour répondre au vieillissement attendu du parc.

Le volume d’heures allouées permet de former, puis d’entraîner les équipages pour qu’ils dominent des tactiques qui, reconnaissons-le, génèrent de plus en plus d’interactions entre les différents matériels et de multiples unités françaises ou étrangères. Bien sûr, ce volume permet de remplir les contrats opérationnels qui dans certains cas demeurent très exigeants.

Les besoins de cette première marche sont réduits au maximum, grâce à l’adjonction de moyens de simulation, voire de substitution qui permettent de s’entraîner avec des matériels bien plus économiques que les systèmes d’armes réels.

Cette première marche envisage une attrition faible, découlant essentiellement d’un niveau d’accident que l’on ne peut malheureusement éradiquer définitivement ainsi que des inévitables pertes subies en OPEX.

Les capacités industrielles sont alors construites dans une logique semi-étatique. La partie régalienne, fournie par des capacités industrielles étatiques, est renforcée de capacités privées résultant de différents appels d’offres. Le moins cher est souvent retenu, même s’il délocalise son activité pour réduire les coûts de main d’œuvre. Les stocks de rechanges sont réduits au minimum pour ne pas gonfler des investissements considérés à tort à ce moment-là comme non productifs.

Il s’agit de la vie quasi normale de nos armées, bénéficiant d’un soutien régi par la loi du marché dans un système de temps de paix, totalement en phase avec les aspirations d’une société peu portée à consentir plus de dépenses pour sa défense.

Si intellectuellement le système est très cohérent, un examen plus minutieux souligne déjà certaines fragilités. Le Tigre par exemple n’atteint ses objectifs de disponibilité qu’au prix d’efforts très conséquents ; quant au Caïman, même si sa consommation a été envisagée dans une option minimaliste de 200 heures de vol par an (soit pratiquement une heure de vol tous les deux jours), il rencontre déjà de nombreuses difficultés pour maîtriser cette première marche. Nombre d’opérations de maintenance sont interrompues par des attentes de pièces, voire dans certains cas, par des attentes de main d’œuvre et des décisions techniques.

L’entraînement des forces est optimisé dans des centres d’entrainement façonnés pour des petites unités. Nous sommes bien loin de l’exercice « Kecker Spatz » (Moineau hardi) qui en septembre 1987 a mobilisé dans les champs et les forêts de Bade-Wurtemberg et de Bavière, près de 55 000 militaires allemands et 22 000 soldats français de la FAR !

* * *

La seconde marche est celle de l’Hypothèse d’un engagement majeur (HEM).

Deux questions alimentent alors les réflexions : comment passe-t-on d’une marche à l’autre (de la SOR à l’HEM) et combien de temps doit-on envisager de rester sur le pic HEM ? Cette problématique a par ailleurs fait l’objet d’un rapport d’information de l’Assemblée nationale en février 2022.

Véritable étape intermédiaire entre le temps de paix et le temps de guerre, l’engagement majeur se caractérise par bon nombre d’exigences du temps de guerre qui doivent être satisfaites par un système juridique de temps de paix, sur la base d’un outil construit pour soutenir la SOR.

Par rapport au stade précédent, l’utilisation du parc opérationnel pour exécuter les missions s’accroît considérablement, puisque les missions à remplir sont de fait beaucoup plus nombreuses. L’attrition des parcs augmente, rendant urgent de réparer les dommages de combat et impératif de régénérer plus rapidement le potentiel. La tension se porte alors sur les stocks de rechanges et de munitions, les matières premières, les composants électroniques et les machines-outils ainsi que sur le niveau de soutien industriel qui doit libérer plus d’appareils, beaucoup plus rapidement.

Ce besoin d’un potentiel supérieur exigé par l’emploi opérationnel entraîne pour les matériels aériens la nécessité de rapprocher les visites périodiques industrielles et de raccourcir les délais d’immobilisation. Pour revenir à l’exemple du Caïman, il sera nécessaire d’envisager de consommer beaucoup plus d’heures de vol par an. Là où le schéma précédent envisageait une visite toutes les 900 heures après 4,5 ans d’utilisation, il faudra effectuer cette même visite au bout de deux ou trois ans. Dans le premier cas pour la SOR, le nombre nécessaire de plots industriels pour régénérer le potentiel se situait entre un quart et un cinquième du parc (une vingtaine de plots) ; dans le second pour l’HEM il se rapprocherait du tiers (une trentaine).

Où donc trouver dans un bref délai les capacités industrielles nécessaires ? Et comme la construction de ces ateliers prendra du temps, comment financer à budget constant une surcapacité industrielle sous-employée en régime normal, devenue à peine suffisante lors d’un hypothétique engagement majeur ?

La réponse se situe dans l’anticipation, l’organisation et l’association des talents et des intérêts. L’État dans un tel scénario n’est pas seul. Il doit pouvoir s’appuyer sur les industriels privés, qui ont également leurs intérêts à faire valoir.

Le rapport sénatorial a pointé du doigt qu’il n’existait pas de structure de pilotage d’une telle montée en puissance. Pourtant, l’État doit se placer en facilitateur, pour favoriser la constitution de capacités industrielles cohérentes avec les besoins de cette seconde marche.

Faciliter ne dit pas financer complètement, car ces capacités doivent entrer dans une logique de profit industriel, que les entreprises iront chercher dans des marchés connexes, civils ou à l’étranger avec l’appui de l’État.

C’est ce qui se passe aujourd’hui pour certains hélicoptères pour lesquels une capacité industrielle bien étoffée existe en France, grâce à l’entretien d’appareils étrangers. Les stocks, outillages et capacités techniques sont gonflés par rapport aux besoins strictement nationaux et pourront directement être affectés aux forces françaises en cas de besoin. C’est notamment le cas des hélicoptères de la famille Cougar-Caracal pour lesquels la maintenance est ouverte aux industriels privés qui peuvent équilibrer leur outil industriel sur un palier haut, rentabilisé par les clients civils et étrangers.

Ce n’est malheureusement pas le cas du Caïman pour lequel la maintenance est toujours fermée au bénéfice de quelques entités, sur un schéma calculé pour répondre au besoin de la marche précédente. L’État se retrouve alors seul devant le fardeau de devoir développer une capacité industrielle réactive, permettant de régénérer rapidement le parc qui répondra aux exigences d’un engagement majeur qui n’est pas encore d’actualité. Une démarche altruiste possible quand on n’a pas à gérer des programmes plus prioritaires les uns que les autres !

Aujourd’hui, les capacités du soutien industriel du Caïman sont telles, que le potentiel du parc risque d’être consommé plus rapidement qu’il ne sera régénéré. Ceci risque d’aboutir à une extinction progressive de la flotte, au moment où l’armée de terre en aura le plus besoin : une bien triste évidence à formuler, alors que la catastrophe peut encore être évitée !

Un appareil de nouvelle génération doit donc être appréhendé à travers ses capacités tactiques, son soutien opérationnel et la fluidité avec laquelle il sera régénéré. L’armée de Terre doit donc considérer le soutien industriel comme partie prenante de la capacité opérationnelle de ses matériels.

Comme les autres armées, il est fondamental qu’elle s’assure que son outil de combat fonctionne dans le temps, dans une logique patrimoniale d’assurance-vie de la Nation. En lien avec la DGA, elle doit associer dès à présent les industries françaises pour construire cet outil qui doit fournir l’indispensable profondeur stratégique industrielle susceptible de soutenir dans la durée une hypothèse d’engagement majeur.

Externalisations, SOUTEX, résilience toutes ces notions sont intimement liées et feront vivre en symbiose les armées avec la nation.

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La troisième marche est celle de la guerre.

Un scénario bien longtemps occulté, mais dont Vladimir Poutine a rappelé la triste réalité en février 2022, en ravivant le spectre de la guerre en Europe. La guerre engendre la démesure, notamment dans les calculs prédictifs. Elle repose cependant sur une autre logique, qui est celle du temps de guerre.

L’État sera en mesure de reprendre la main, par le biais des réquisitions, sur toutes les capacités industrielles nécessaires, pourvu qu’elles n’aient pas été délocalisées. La guerre nécessite des stocks importants de rechange. Elle autorise des cadences de travail aux trois-huit, sept jours sur sept, ce qui laisse envisager une réduction considérable de la durée des grandes visites.

Si l’argent ne sera plus un problème, du fait du passage en économie de guerre, certaines réalités techniques s’imposeront, comme la faiblesse des compétences techniques, qui ne pourront pas être improvisées.

D’où l’intérêt extrême de positionner la guerre dans le continuum de l’engagement majeur. Il ne serait pas raisonnable de la découvrir au sortir de la vie courante, comme s’il était normal qu’elle nous surprenne alors qu’elle est aux portes de l’UE ! Partir de trop bas nous empêcherait de devenir rapidement réactifs.

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La crédibilité de l’outil militaire demeure indissociable de la solidité et de la complémentarité de la base industrielle de défense. Elle doit être construite en cohérence avec les besoins prévisibles de l’État et les intérêts des entreprises. Même si le temps de paix fixe, en accord avec la notion de programme d’armement et de contrat opérationnel, la priorité à un usage modéré des matériels, il faut dès à présent préparer la soutenabilité d’un engagement majeur.

Certes, nécessité faisant loi, l’argent nécessaire sera injecté au moment voulu. Mais tout cet argent ne compensera pas le temps nécessaire pour construire des ateliers, se doter des outils et des stocks nécessaires, former le personnel pour qu’il maîtrise les indispensables gestes techniques. Par ailleurs, il faudra du temps pour que les bureaux d’étude sachent analyser les différentes solutions techniques et proposent les ajustements nécessaires aux actes de réparation et aux programmes d’entretien.

Plus que jamais, il est nécessaire de se préparer au pire en s’appuyant sur la vitalité de la BITD largement à même de soutenir l’effort de défense. Brisons donc les habitudes et les rentes de situation héritées d’un monde où la guerre ne semblait qu’appartenir au passé ! Il en va réellement de la crédibilité du système et de notre capacité de « gagner la guerre, avant la guerre » !