« Les silences du projet de LPM » : L’œil de l’ASAF du mois de mai 2023

« Les silences du projet de LPM » : L’œil de l’ASAF du mois de mai 2023

 

Le projet de Loi de Programmation Militaire 2024-2030 a été rendu public le 5 avril 2023. Ce projet qui a vocation à être discuté et approuvé par le parlement avant le 14 juillet présente de nombreuses innovations par rapport à la loi précédente (LPM 2019-2025), tout en conservant une structure similaire.

"Les silences du projet de LPM" : L’œil de l’ASAF du mois de mai 2023

« Les silences du projet de LPM »

 

Le projet de Loi de Programmation Militaire 2024-2030 a été rendu public le 5 avril 2023. Ce projet qui a vocation à être discuté et approuvé par le parlement avant le 14 juillet présente de nombreuses innovations par rapport à la loi précédente (LPM 2019-2025), tout en conservant une structure similaire.

Le volume financier de la loi, 413,3 Md €, est très supérieur à celui figurant dans la loi précédente (295 Md €). Cependant, seuls 400 Md € figureront dans les budgets, les 13,3 Md € restant provenant de diverses ressources extrabudgétaires (cessions, redevances…) dont la certitude est loin d’être assurée. Par ailleurs, il s’agit, comme dans la loi précédente, d’euros courants, sans qu’il soit prévu d’actualisation en fonction de l’inflation (à l’exception d’une clause de sauvegarde qui ne concerne que les hausses de prix durables des carburants opérationnels). Or, nous sommes entrés depuis 2021 dans une période inflationniste, qui fausse les comparaisons et conduit à dépenser une partie du budget à couvrir des hausses inéluctables des prix et des salaires. Cela a conduit le Ministère des Armées à augmenter considérablement le reste à payer en fin d’année. La Cour des Comptes, dans son rapport public de mai 2022 sur l’exécution de la LPM 2019-2025, s’en inquiète et l’évalue à un montant inégalé de près de 100 Md € en fin 2025. Il est certain que la hausse réelle du budget en euros constants, sera bien inférieure à l’écart apparent, et qu’une part non précisée des crédits sera consacrée à rétablir la situation financière des armées, d’autant que le gouvernement veut diminuer les déficits publics à l’horizon 2027.

Enfin, les hausses les plus importantes auront lieu après 2027. La hausse annuelle en euros courants est fixée à 3 Md € de 2024 à 2027, et à 4,3 Md € en 2028, 2029 et 2030, avec une clause de réexamen en fin 2027. En effet, il est stipulé que la loi de programmation fera l’objet d’une actualisation avant la fin de l’année 2027. Or, ce projet de LPM contient sur certains points des innovations importantes, qu’il faut financer. Le rapport annexé à la LPM 2024- 2030, bien que nettement moins détaillé que celui annexé à la loi précédente, permet d’en estimer certains.

D’après la communication officielle du Ministre des Armés, la LPM permettra de :

• Maintenir la crédibilité de notre dissuasion ;
• Renforcer la résilience sur le territoire national, notamment les Outre-mer, et l’affirmation de notre souveraineté ;
• Anticiper la haute intensité et un engagement majeur en veillant à renforcer notre réactivité et notre capacité à soutenir un effort dans la durée ;
• Défendre les espaces communs, nouveaux lieux de conflictualité ;
• Repenser et diversifier les partenariats stratégiques pour renforcer nos capacités d’influence, de prévention et d’intervention au-delà de nos frontières.

Dans les faits, cela conduit à lancer de nouvelles actions (renseignement, cyber, forces spéciales, espace…) ou à sérieusement palier des insuffisances actuelles (sol-air, entraînement, munitions, MCO…) qui nécessitent une réorientation partielle des budgets, ce qui n’est possible, suivant une recette éprouvée, que par des étalements de programme.

Les effectifs d’active restent pratiquement inchangés, et le nombre de matériels majeurs aussi, mais leur renouvellement est ralenti. Le rapport annexé à la LPM 2024-2030, bien que nettement moins détaillé que celui annexé à la loi précédente, permet d’en estimer certains tout en laissant dans l’ombre beaucoup de sujets.

Par exemple, pour l’aviation de combat : le « tout Rafale » n’est pas pour 2030, mais pour 2035, ce qui signifie que des Mirage 2000 devront continuer à voler jusqu’à cette date.
L’armée de l’Air et de l’Espace disposera de 35 avions de transport A400-M en 2030. Pour les 15 autres appareils prévus initialement, rien n’est indiqué.
La Marine semble à première vue moins touchée, puisque le nombre des bâtiments de combat est maintenu, avec des livraisons de nouveaux bâtiments et que le lancement des travaux du futur porte-avions est confirmé, ce qui n’exclut aucunement des retards dans les calendriers, s’il est nécessaire d’étaler les paiements.
L’armée de Terre aura des livraisons décalées de blindés modernes Jaguar, Serval et Griffon, ce qui conduira probablement à maintenir en service au delà de 2030 les VAB et les AMX-10RC qui sont encore en état de marche. Beaucoup d’incertitudes pèsent également sur le remplacement des hélicoptères les plus anciens, pour lequel le rapport annexé ne donne aucun détail.

Enfin, le rôle des volontaires de la réserve opérationnelle (105 000 personnels prévus en 2035 avec des limites d’âges portées à 70 ans, voire 72 ans pour certaines spécialités) reste peu clair.

En résumé, les silences du projet de LPM ne permettent pas de se faire une idée précise de ce que seront nos armées dans les 10 ans qui viennent, d’autant que les ressources budgétaires devront être confirmées chaque année par le budget annuel des armées.


GA Louis-Alain ROCHE

AdministrateurASAF
www.asafrance.fr

https://www.asafrance.fr/item/les-silences-du-projet-de-lpm.html

Loi de programmation militaire : la grande escroquerie (1/2)

Loi de programmation militaire : la grande escroquerie (1/2)

Le groupe Vauban livre une analyse très critique sur le projet de loi de programmation militaire en cours d’examen à l’Assemblée nationale. Un projet qui propose une enveloppe budgétaire de 400 milliards d’euros en faveur des armées. Dans un premier volet, le groupe Vauban décortique la dramatisation précédant la présentation du projet de la LPM, sa mise en scène politique et ses erreurs doctrinales.

La constitution d'une force de frappe s'est traduite par une véritable économie de moyens, n'en déplaise à ceux qui dénoncent le coût de la dissuasion.
La constitution d’une force de frappe s’est traduite par une véritable économie de moyens, n’en déplaise à ceux qui dénoncent le coût de la dissuasion. (Crédits : Reuters)

 

L’académicien Alfred Capus disait que « l’escroquerie était une bonne affaire qui a rencontré une mauvaise foi » : après beaucoup d’entretiens et de lectures de documents, d’auditions et de rapports, notre groupe n’hésite pas dire que la loi de programmation militaire (LPM) est « une mauvaise affaire qui a trahi une bonne foi ».

La théâtralisation d’une dramatisation inutile

Dans un mouvement de précipitation brownien, le pouvoir a décidé dès sa formation de mettre sur le métier une nouvelle loi de programmation militaire et de la faire précéder d’une revue nationale stratégique. L’urgence qui a motivé cet empressement, s’appelle l’Ukraine. La méthode qui justifie ce réarmement précipité, s’appelle dramatisation. Ce sont deux erreurs fondamentales.

Sur le fond, rien ne justifiait l’urgence politique : tout incitait au contraire à la patience stratégique afin d’étudier ce conflit, le premier de ce type depuis 1945 sur le sol européen. Tirer des leçons d’un conflit sans fin apparente est une illusion : le directeur de l’IFRI l’a dit clairement devant les sénateurs le 8 mars dernier : « Au fond, tout se passe comme si cette guerre d’Ukraine devait se finir rapidement, ce qui ne sera pas le cas ». Son collègue de la FRS, Bruno Tertrais, le même jour et devant le même public, le dira autrement : « J’en viens aux conséquences de la guerre en Ukraine. Évoquer ces conséquences impliquerait que nous sommes déjà dans l’après. Or, nous ne savons pas quand sera cet après, ni même s’il y en aura un. Le scénario d’une Russie en guerre permanente, pour très longtemps, nous interdirait de nous projeter après la fin de la guerre en Ukraine. Dans le meilleur des cas, la Russie serait affaiblie militairement mais elle serait encore revanchiste et constituerait toujours un problème stratégique pour l’Europe ».

A cet égard, la revue nationale stratégique, censée éclairer les choix, est apparue pour ce qu’elle est : un catalogue poussif et non un décalogue impératif. Pour nombre d’observateurs [1] passablement usés par ce type d’exercices, le ratio entre stratégie et applications concrètes n’est pas le bon : n’est pas le général de Gaulle qui veut. Par un seul discours, le 3 novembre 1959, le fondateur de la Vème République aura plus marqué de son empreinte indélébile le système de défense français que ces 52 pages hâtivement rédigées et sans ligne d’action. C’était déjà mal parti.

Sur la forme, le président a pris le parti politique, comme au temps du Covid, de dramatiser la situation (discours d’Eurosatory le 18 juin 2022, puis de Mont-de-Marsan le 20 janvier 2023). Pourtant, dès le mois de mars 2022, la Russie avait manqué ses objectifs stratégiques, trop ambitieux déjà (tenir un pays comme l’Ukraine avec 150.000 hommes était un pari insensé), et a dû se replier sur les fronts secondaires qu’elle a déjà dû céder en partie, ce qui menace désormais la Crimée et met son territoire à la portée de frappes ou d’attentats dans une guerre hybride. C’était mobiliser sans urgence.

Sur le fond comme sur la forme, cette précipitation a des conséquences : ainsi les coquilles sur le nombre de systèmes de drones, erreur de forme certes mais révélatrice de cet empressement à boucler une LPM au plus vite ; ainsi, plus dommageable à l’analyse de fond, la comparaison des tableaux capacitaires entre les deux LPM n’est-il plus possible. C’est une bien curieuse manière d’éclairer le débat parlementaire et public que de ramener toute explication détaillée à la séance ou par le biais de notes envoyées aux parlementaires ; ainsi, on y reviendra, un rapport annexé six fois moins épais que le précédent !

Non, rien ne justifiait l’urgence ni la dramatisation du contexte. La France, puissance dotée, pouvait sans risque et avec profit prendre le temps de la réflexion : sa LPM 2019-2025 pouvait courir jusqu’en…2025 sans difficulté, ce qui aurait laissé le temps aux services de renseignement, aux armées, aux industriels, aux think-tanks et accessoirement à l’économie française laminée par le Covid puis par le choc énergétique et de l’inflation, de bâtir un cadre stratégique et financier cohérent et à la hauteur de la seule boussole qui soit : l’ambition que la France souhaite avoir en propre pour défendre sa souveraineté et ses intérêts mondiaux.

La LPM actuelle pouvait sans difficulté se suffire à elle-même jusqu’à son terme, à la condition de protéger les marches de 3 milliards d’euros par an, prévues dans l’actuelle LPM, des effets déstabilisateurs de l’inflation, du cours du Brent et éventuellement d’une évolution défavorable de la parité dollar/euro. Le pouvoir n’y a pas consenti et a pris le parti de présenter au Parlement et aux Français des marches budgétaires devenues négatives par l’inflation : par une très prévisible transmutation, l’or budgétaire se transforme en plomb pour le pouvoir d’achat des armées.

Après tant de dramatisations et de théâtralisations, le pouvoir a donc fait « beaucoup de bruit pour rien » : la LPM 2024-30, que l’on ne considère ici que jusqu’en 2027 par honnêteté intellectuelle (voir infra), loin d’être une loi de transformation, ne fait que poursuivre, en moins bien, la réparation des armées. L’escroquerie de ce spectacle accouche au final d’une déception terrible dans les milieux militaires et industriels, et d’une interrogation, non moins cruelle pour le pouvoir, chez les alliés de la France sur la sincérité politique de cette LPM [2].

Engranger le bénéfice politique sans en assumer les charges

La deuxième escroquerie est politicienne. Après avoir dramatisé le contexte international et l’avoir théâtralisé, le pouvoir laisse de manière irresponsable à la prochaine majorité le soin de monter l’escalier des fameuses marches budgétaires avec le boulet au pied de l’envolée spectaculaire de la dette publique (11,6% du PIB !). Les Ponce-pilate du gouvernement s’arrogent ainsi le monopole de la conscience sans assumer la responsabilité financière, et donc politique, de leurs actes.

Or, on le sait depuis Max Weber, l’éthique de conscience n’est qu’une escroquerie intellectuelle : seule l’éthique de responsabilité est morale car elle confronte un idéal politique au réel. Lors de son audition du 5 avril, à l’Assemblée Nationale, le ministre des Armées s’en est sorti par une pirouette politicienne qui ne le grandit pas : au lieu de douter des intentions d’une candidate, passée et future, à la présidentielle, qui prenait l’engagement public d’une LPM coïncidant à son mandat, il ferait mieux de convaincre les futurs candidats à la présidentielle de Renaissance et d’Horizons du bien-fondé d’un effort de réarmement car le moins que l’on puisse en dire est qu’ils n’en sont pas convaincus du tout ! Ceux qui en doutent peuvent relire certains passages du livre écrit à quatre mains par MM. Philippe et Boyer (Impressions & lignes claires, pages 225 et 226, notamment sur les questions relatives au porte-avions), qui laissent plus de place aux doutes qu’aux certitudes sur des points pourtant essentiels du système de défense national.

Il aurait dû surtout convaincre Elisabeth Borne de consentir à des marches supérieures jusqu’en 2027, mais l’attitude du ministre et de son cabinet a largement contribué à bloquer Matignon sur ce sujet avec le résultat que l’on connaît.

Que l’effort de défense soit une œuvre de longue haleine qui dépasse dans leur durée les mandats ridiculement courts des présidents, est une chose entendue, mais que l’effort principal financier soit placé au-delà de sa propre responsabilité politique, c’est signer un chèque sans provision sur un avenir politique incertain, y compris au sein de l’actuelle majorité. En termes bancaire comme en politique, cette méthode a un nom : escroquerie. On note d’ailleurs que lors de ses auditions, Pierre Moscovici a pris le soin de s’en tenir à la date de 2027 et non de 2030 : « le projet de loi de programmation des finances publiques couvre la période 2023-2027 alors que le projet de loi de programmation militaire s’étend de 2024 à 2030. L‘examen de la compatibilité de ces deux trajectoires doit donc uniquement porter sur la période 2024-2027». Nulle surprise que les groupes d’opposition aient déposé des amendements visant à rétablir la sincérité financière de la LPM : « les députés LR appellent ainsi à une montée en puissance plus rapide, avec une augmentation de 4,3 milliards par an dès 2025, jusqu’à 2027. Le groupe LFI a déposé un amendement similaire, qui prévoit des marches annuelles de 4,3 milliards d’euros dès 2024 jusqu’à 2026, avant de retomber à 3 milliards de 2027 à 2030 » [3].

L’escroquerie est également manifeste sur le plan politique : pour forcer l’adhésion parlementaire de tous les partis d’opposition – singulièrement ceux de droite dont le vote lui est nécessaire -, le président comme son gouvernement ont recours régulièrement au terme de « souveraineté » : or, tant dans la RNS que dans la LPM, la stratégie du « en même temps » vient casser ces élans nationaux, à coups de zèle otanien et européen.

Le groupe Vauban a déjà eu l’occasion de dénoncer en juillet 2020 la confusion du débat stratégique [4] : « le discours prononcé à l’École de guerre le 3 novembre 1959 donnait à la France les trois orientations cardinales qui demeurent encore : la souveraineté intégrale, la force de frappe indépendante et le modèle d’armée autonome au seul service des intérêts de la France. Ce triptyque gaullien, toujours officiellement honoré, souffre cependant d’une confusion savamment entretenue par la doctrine du « en même temps » qui, appliquée à la défense et, pour paraphraser le général de Gaulle, devient « un cadre mal bâti où s’égare la nation et se disqualifie l’État » (discours de Bruneval, 30 mars 1947). (…) Or, le discours ambiant relativise cette souveraineté en la galvaudant. C’est ainsi qu’ont été évoquées « en même temps » que la souveraineté nationale, « une armée européenne », « une souveraineté européenne », une « co-souveraineté » sur notre domaine ultra-marin, et enfin, confusion des confusions, « une mutualisation de notre dissuasion ». Ces concepts-là sont aussi irresponsables qu’anticonstitutionnels. (…) De l’adage médiéval qui affirmait que le « roi de France est empereur en son royaume » au discours du 3 novembre 1959, il y avait là une verticalité historique de cette souveraineté nationale qui lui conférait une légitimité naturelle mais que la doctrine, volontairement confuse, du « en même temps » veut briser au profit d’une conception vague, moderniste et utopiste sans racines historiques et sans avenir. L’indépendance nationale est ainsi devenue, au fil de la dérive sémantique, « autonomie stratégique française », elle-même devenue « autonomie stratégique européenne« .

Le ministre aurait peut-être convaincu certaines oppositions s’il avait réfuté les fumées doctrinales de l’autonomie stratégique européenne dont personne ne veut, à commencer par nos alliés européens proches mais c’eût été renier les fondements mêmes de la stratégie présidentielle depuis 2017.

L’inarticulation de la haute intensité et de l’hybridité avec la dissuasion

Lors des « débats » de la LPM, il a été peu souligné combien les thèmes de la « haute intensité » et de « l’hybridité » sont inarticulés avec la doctrine de dissuasion. Si la dissuasion n’est plus contestée comme elle a pu l’être il y a peu par d’anciens hauts responsables politiques et si pouvoir a enfin cessé de déstabiliser le jumeau du nucléaire militaire, le nucléaire civil, il n’en demeure pas moins qu’il n’a pas articulé la dissuasion avec ces deux thèmes à la mode.

Une haute intensité en contradiction avec la dissuasion. La constitution d’une force de frappe s’est traduite par une véritable économie de moyens, n’en déplaise à ceux qui dénoncent le coût de la dissuasion. Par construction, les forces conventionnelles qui en constituaient la capacité complémentaire pour assurer la cohérence stratégique et la liberté politique, n’ont jamais en effet « été conçues ni déployées pour survivre à un conflit majeur prolongé : tel n’est pas leur fonction stratégique » [5]. Ce concept, théorisé par le général Beaufre et qui demeure la clé de voûte du système de défense français, contredit la notion de haute intensité théorisée, vulgarisée et imposée dans le débat stratégique français par les mêmes responsables politiques et militaires [6].

De quoi « la haute intensité » est-elle en effet le nom ? Parle-t-on de la haute intensité des technologies (voir et frapper plus vite, plus loin et plus précisément) afin de conserver une certaine forme de supériorité sur le terrain (de plus en plus contestée par l’irruption des Chinois, Turcs, Iraniens dans des zones étendues) ? Parle-t-on de la haute intensité d’un conflit ou d’une opération, c’est-à-dire de sa violence, de sa rapidité et de sa durée ?

Si ces deux sujets résument la formule choc de « la haute intensité », alors rien de nouveau sous le soleil stratégique. Le premier débat relève de l’effort normal, permanent et responsable d’armement des forces par rapport aux évolutions technologiques dans une logique à la fois de souveraineté et de supériorité, ce qui suppose une dynamique politique de recherches et de développement, de démonstrateurs et de commandes garanties dans la durée pour conforter une base industrielle et surtout la maintenir avec des capitaux français.

Le second débat relève d’une adéquation entre analyse géopolitique et ambition politique. Si l’analyse géopolitique proposée par la RNS (articles 53 à 59) paraît saine, il y manque l’ambition politique sur des théâtres d’opérations et scenarii types, qui empêche de passer au format (on intervient pourquoi, jusqu’à quand et, éventuellement, avec qui ?) sur les théâtres définis (fronts de l’Est, du Sud et du Pacifique). En bref, l’étape opérationnelle, plus capacitaire, manque toujours à l’appel pour définir les conséquences pratiques des 4 « S » : souveraineté, sécurité, stabilité et soutenabilité.

Si l’on parle d’un engagement majeur conventionnel auquel la France doit se préparer, le débat entre alors en contradiction frontale avec la dissuasion puisque c’est tout le modèle d’armée qu’il faut rebâtir en le taillant à la manière polonaise : soit, en clair, faire comme si la dissuasion n’existait plus ou n’agissait plus.

C’est d’ailleurs ce pour quoi militent certains responsables militaires, principalement dans l’armée de Terre, armée non dotée depuis les années 90 et privée désormais d’OPEX majeures justifiant budget et équipement en forte hausse. Un intéressant article, publié dans Méta-défense, le 7 mai chiffrait le coût pour l’armée de Terre d’un alignement sur l’effort de réarmement terrestre polonais actuel : « Sur la seule prochaine LPM à venir, il serait donc nécessaire d’augmenter la dotation de 30 milliards d’euros sur sept ans pour financer la mesure ». L’article ne mentionne nulle part l’articulation de cette super-armée française avec la dissuasion existante dont l’existence semble totalement occultée (ce que démontre l’absence du mot dans l’article) ; pire, il dévoie l’objectif même du système de défense français – une armée au service des intérêts de défense de la France – en justifiant cet effort irrationnel par un rôle illusoire de pivot « central de toute la défense européenne, et [qui] donnerait une légitimité incontestable à Paris pour soutenir l’autonomie stratégique européenne, puisqu’avec un tel modèle, le soutien militaire des Etats-Unis dans le domaine conventionnel face, par exemple, à la Russie, serait tout simplement superfétatoire »…

Que la Pologne emprunte le chemin d’un réarmement massif conventionnel, se comprend : le souvenir toujours douloureux de sa propre histoire, sa proximité géographique avec le conflit, et l’absence de force de frappe nucléaire, ne lui laissent tout simplement pas d’autre choix pour sa défense. Mais la France n’est pas la Pologne. Quant à penser que cet effort national et européen puisse remplacer la puissance militaire américaine en Europe ou décider les Etats-Unis à mettre un terme à leur imperium diplomatique et militaire à travers l’OTAN, c’est une illusion d’une naïveté confondante.

Si notre groupe ne méconnaît pas l’effort immense de rattrapage dans des domaines criants – formats des unités, des équipements et des stocks de munitions et de pièces, réalisme et régularité de l’entraînement, Maintien en condition opérationnelle (MCO) des équipements et état des infrastructures technico-opérationnelles -, thèmes largement traités déjà en 2020 dans notre trilogie [7], il estime qu’à partir du moment où la dissuasion est modernisée de manière incrémentale au niveau nécessaire, rien ne justifie que les forces conventionnelles soient portées au niveau que certains voudraient les voir atteindre dans une OTANISATION toujours plus profonde.

En ce sens, il est heureux que le président ait stoppé net ces élans de constitution de divisions lourdes à l’allemande ou à la polonaise, stationnées l’arme au pied aux frontières de la Russie. Le modèle d’armée 2030 dessine une défense de stricte suffisance par rapport aux objectifs stratégiques français : encore faut-il s’y tenir avec constance et honnêteté. Ce n’est pas le cas puisque ce modèle, nous le verrons, glisse allègrement sur 2035.

L’impasse doctrinale des nouveaux domaines de lutte. Le fameux dilemme « qualité contre quantité » est un faux débat masquant le vrai débat stratégique futur : l’articulation de la dissuasion avec les nouveaux domaines de lutte.

Ce sujet n’est pas nouveau : le général Poirier dans sa crise des fondements (1994) en parlait déjà ; plus récemment, l’amiral Lozier, ancien chef de la division Forces Nucléaires de l’Etat Major des Armées (2012-2014) et inspecteur des armements nucléaires (2014-2015), en posait les termes de manière claire et concise dans sa remarquable analyse de la dissuasion intégrée américaine (IFRI, 11 avril 2023) : « c’est bien la nature des nouveaux domaines de lutte, en particulier dans l’espace et le cyber, potentiellement aggravés par le recours à l’intelligence artificielle, et la compréhension des notions classiques de signalement stratégique, d’escalade et de désescalade, qui restent à préciser. Ce problème n’est pas spécifique aux Américains et à la dissuasion intégrée. Il se pose également en France, où la notion d’épaulement de la dissuasion nucléaire par les forces conventionnelles doit être élaboré plus précisément [8] ».

Force est de constater que la RNS et la LPM n’ont apporté à ce vrai débat qu’une solution facile de saupoudrage de moyens sans fil doctrinal repensé. Or, le conflit ukrainien en créait l’occasion : les Ukrainiens, avec l’appui opérationnel anglo-saxon, ne cessent en effet de tester, par une guerre hybride, le seuil de déclenchement des forces nucléaires russes.

Comme nous y invite l’amiral Lozier, il faut donc travailler à ce fameux « épaulement de la dissuasion par les forces conventionnelles », car les nouveaux domaines de lutte testeront non seulement le seuil de déclenchement du nucléaire français mais également les capacités des armées à le reculer… ou à le permettre. Ce chantier reste ouvert : c’est une escroquerie doctrinale que de faire croire qu’il a été résolu par un essaimage de moyens ou qu’il se limite à la seule capacité d’entrer en premier sur un théâtre d’opération plus ou moins durci.

Confuse hybridité.  Comme sa consœur, la haute intensité, l’hybridité est tout aussi mal définie : quels sont les domaines de lutte identifiés ? Comment articuler ces domaines entre eux et avec quels outils militaires ? La Revue Nationale Stratégique n’a pas apporté, tous les analystes l’ont dit (voir les auditions de MM. Gomart et Tertrais devant le Sénat le 8 mars dernier), une réponse claire : elle s’est contentée d’une photo à l’instant T sans conclusions opératives, ce que reconnaît d’ailleurs in petto le rédacteur de la RNS.

La LPM consacre pourtant des moyens lourds à ce sujet émergent mais sans que l’on sache à ce stade, si cela relève de l’incantation politique ou de l’application d’une stratégie ordonnée autour de moyens financés à hauteur des ambitions. Le risque stratégique existe ainsi que ce thème ne contribue encore davantage « à créer de nouvelles branches qui seront tout aussi faméliques et qui vampiriseront d’autant les autres branches » (Léo Péria-Peigné, IFRI, Le Monde, 5 avril 2023). Ces moyens lourds se font en effet au détriment de capacités opérationnelles existantes et déjà insuffisantes : ainsi, chaque régiment d’infanterie perdra-t-il une compagnie de combat pour que les effectifs ainsi libérés fassent de l’influence ou de la guerre hybride…domaines couverts en théorie (en pratique) par le renseignement et ses moyens spéciaux ou clandestins.

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[1] Voir audition de M. Thomas Gomart, directeur de l’IFRI devant le sénat, le 8 mars 2023 : « Il est frappant de constater le décalage entre les sommes considérables en jeu et l’effort analytique pour les concevoir et les justifier ».

[2] Entretiens des auteurs de cette tribune avec quelques ambassadeurs et militaires étrangers.

[3] Vincent Lamigeon, Challenges, 10 mai.

[4] https://www.latribune.fr/opinions/la-france-et-son-epee-1-3-851724.html.

[5] Revue de défense nationale, « La pensée stratégique du général Beaufre Une lecture américaine d’aujourd’hui », Michael Shurkin, 12 novembre 2020, page 5.

[6] Lire ainsi l’article de Meta-Defense du 7 mai 2023 : « combien coûterait aux contribuables français l’alignement des capacités de haute intensité de l’armée de terre sur la Pologne ».

[7] Tribunes des 6, 9 et 13 juillet 2020.

[8] C’est nous qui soulignons.

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[*] Le groupe Vauban regroupe une vingtaine de spécialistes des questions de défense.

Défense : la France prévoit de commander 130 blindés pour remplacer ceux envoyés en Ukraine

Défense : la France prévoit de commander 130 blindés pour remplacer ceux envoyés en Ukraine


Un véhicule blindé Jaguar de l'armée française à Paris lors du défilé du 14 Juillet en 2022.

Un véhicule blindé Jaguar de l’armée française à Paris lors du défilé du 14 Juillet en 2022. LUDOVIC MARIN

Le ministère des Armées a annoncé ce vendredi le remplacement progressif des chars légers AMX-10 livrés à Kiev.

Le ministère français des Armées prévoit de commander 130 blindés supplémentaires – 38 Jaguar et 92 Griffon – pour remplacer les chars légers AMX-10 et véhicules de l’avant blindé (VAB) cédés à l’Ukraine. Dans un amendement au projet de loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 déposé avant l’examen du texte en séance à l’Assemblée nationale, le gouvernement prévoit d’ici 2030 d’avoir en parc 238 Jaguar, des engins blindés de reconnaissance et de combat dotés d’un canon de 40 mm, contre 200 prévus dans une première mouture du texte.

De même, il table dorénavant sur un total de 1437 blindés Griffon en 2030, contre 1345 prévus initialement. Fin 2023, il est prévu que l’armée ait 60 Jaguar et 575 Griffon. «Pour ne pas peser sur le format des armées, le gouvernement financera hors ressources budgétaires de la LPM le recomplétement de matériels plus anciens cédés à l’Ukraine», précise le gouvernement dans l’exposé de cet amendement.

Préserver le format des armées

La France a donné depuis janvier plusieurs dizaines -elle se refuse à en préciser le nombre exact- de blindés AMX-10, des engins de reconnaissance équipé d’un canon, et de VAB de transport de troupes. Le remplacement de ces blindés anciens, qui commençaient à être progressivement retirés du service, ne se fait pas sur la base d’un ratio d’un pour un, a-t-on affirmé dans l’entourage du ministre des Armées Sébastien Lecornu.

Il s’agit d’un «remplacement par des capacités équivalentes pour préserver le format des armées afin de répondre aux contrats opérationnels», selon cette source. «Le rythme de livraison de ces blindés supplémentaires se fera avec le souci de limiter les pics de charge des industriels concernés et en cohérence avec la livraison des équipements annexes (telles que les infrastructures)», précise le gouvernement dans l’exposé expliquant son amendement.

Le projet de loi de programmation militaire prévoit 413,3 milliards d’euros de ressources pour les armées entre 2024 et 2030. Pour porter l’effort dans certains domaines clés, le gouvernement a prévu d’étaler la livraison de nombreux matériels. Le parc final de 300 Jaguar et de 1.818 Griffon est dorénavant prévu en 2035, contre 2030 prévus par la précédente LPM.

Cet article de la LPM 2024-2030 qui inquiète l’industrie de défense

Cet article de la LPM 2024-2030 qui inquiète l’industrie de défense

– Forces opérations Blog – publié le

Auditionnés hier au Sénat, les présidents des grands groupements industriels de défense – les GICAT, GIFAS et GICAN – sont inquiets. En cause, non pas les étalements de cibles inscrits dans le projet de loi de programmation militaire pour 2024-2030 mais les notions de stockage stratégique et de priorisation qu’il contient et auxquelles n’a pas été associée la filière concernée. 

C’est l’une des évolutions inscrites dans la prochaine LPM : la prise en compte du chantier « économie de guerre » dans plusieurs des 36 articles du document. Deux d’entre eux s’avèrent préoccupants pour la BITD, dont un article 24 instituant la constitution de stocks de matières premières pour anticiper des pics d’activité ainsi que la priorisation de la production au profit des armées françaises. Étudié depuis la crise sanitaire, ce mécanisme en vigueur depuis longtemps aux États-Unis « nous avait paru être une bonne idée », souligne Pierre Éric Pommelet, PDG de Naval Group et président du GICAN. Mais si le principe est globalement compris et partagé, « le diable est dans les détails », alerte Guillaume Faury, PDG d’Airbus et président du GIFAS. 

En l’état, cet article « est porteur de nombreuses incertitudes pour l’industrie ». Quelles sont les modalités de constitution des stocks ? Quels sont les produits concernés ? Quels sont les coûts, y compris ceux de la logistique ? Quel sera la durée d’immobilisation de ces stocks ? Comment compenser les conséquences indirectes de la réorientation d’une commande prévue pour un client export ? Quel sera l’impact réputationnel ? « Ce sont des questions auxquelles il faudra apporter des réponses », note le PDG d’Airbus. 

La prise de risque est en effet multiple pour les entreprises. Elle est tout d’abord financière car « au moment où nous parlons, aucune indemnisation n’est prévue pour compenser les coûts liés à la constitution et à l’immobilisation desdits stocks », rappelle le sénateur Yannick Vaugrenard (PS), rapporteur pour le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense ». Cet effort devra donc être entièrement supporté sur fonds propres.

Ces obligations pourraient par ailleurs « avoir un impact significatif » en matière de réputation auprès des clients étrangers. L’export ne doit pourtant pas être pris à la légère. Essentiel pour « compenser » un marché national trop restreint, ce marché représentait 40% des 9 Md€ de chiffre d’affaires générés en 2021 par les adhérents du GICAT. Et le ratio atteint 60 à 70% pour certains chantiers navals, relève Pierre Éric Pommelet. L’export potentiellement placé au second plan, ce sont des revenus ou des opportunités qui disparaissent et un modèle fondé sur les investissements internes qui se retrouve menacé. 

Autre point « un peu inquiétant », l’article 24 installe l’État comme client et régulateur de stocks dont l’utilisation n’est pas assurée. Selon le patron d’Airbus, « ces sujets de relations contractuelles toxiques sur des stockages de biens intermédiaires peuvent amener certaines entreprises dans d’autres domaines à sortir du business ». Il sera dès lors impératif de « fonder une relation contractuelle logique, saine, qui permet de stocker de façon appropriée et à des coûts raisonnables ». 

Les enjeux sont, enfin, opérationnels et industriels. Stocker nécessite de l’espace. « Concrètement, ces stocks, où les met-on ? », interroge Marc Darmon, directeur général adjoint du groupe Thales et président du GICAT. De même, stocker dans la durée requiert des conditions appropriées, notamment pour des matériaux pyrotechniques frappés de péremption. Là encore, les industriels devront mettre la main à la poche.

Si l’idée portée par l’article 24 est « une bonne chose », il est nécessaire que l’industrie soit associée aux conditions de mise en œuvre », estime le président du GIFAS. « Il est nécessaire que le groupe de travail État-industries, stocks et approvisionnements soit saisi, ce qui à ma connaissance n’a pas été le cas jusqu’à présent, et établisse en commun les voies pour arriver à un mécanisme répondant au besoin de l’État et de l’industrie », complète son homologue du GIFAS.

Ces interrogations n’ont pas échappé aux sénateurs Hélène Conway-Mouret (PS) et Cédric Perrin (LR), tous deux rapporteurs pour le programme 146 « Équipement des forces ». Le sénateur républicain s’est ainsi dit « très dubitatif sur l’article 24, sur ses conséquences et je pense pouvoir le juger assez inopérant pour l’instant ». Le texte sera étudié mi-juin en commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat. Restent donc quelques semaines pour plancher sur les amendements qui permettraient de rendre le sujet plus lisible et d’installer le dialogue demandé par la partie industrielle.

Paris va rajouter un satellite-espion dans sa programmation militaire

Paris va rajouter un satellite-espion dans sa programmation militaire

Deux satellites-espions CSO français sont actuellement en orbite. Un troisième, qui devait être lancé fin 2022 par une fusée Soyouz, est désormais « prévu en 2024 »Olivier Sattler – CNES

Le ministère des Armées compte déployer avant 2030 un satellite d’observation militaire de nouvelle génération, un ajout au projet de loi de programmation militaire 2024-2030.

Le ministère des Armées compte déployer avant 2030 un satellite d’observation militaire de nouvelle génération, un ajout au projet de loi de programmation militaire 2024-2030 que le gouvernement introduira par voie d’amendement, a annoncé mardi le ministre Sébastien Lecornu.

« La semaine prochaine je vais pouvoir porter un amendement du gouvernement à la loi de programmation militaire qui va permettre d’inscrire un satellite supplémentaire, Iris, dès cette loi programmation militaire sans attendre 2030-2035″, a affirmé le ministre des Armées lors des questions au gouvernement à l’Assemblée.

« C’est une bonne nouvelle pour notre souveraineté et pour notre service de renseignement », a-t-il estimé.

Le projet de loi de programmation militaire (LPM), prévoyant une enveloppe de 413 millions d’euros sur sept ans pour les armées, sera examiné par l’Assemblée nationale à partir de lundi.

Deux satellites entre 2030 et 2035

Deux satellites-espions CSO français sont actuellement en orbite. Un troisième, qui devait être lancé fin 2022 par une fusée Soyouz, est désormais « prévu en 2024 », a rappelé le ministre. CSO-3 devrait être finalement lancé à bord d’une Ariane 6, le lanceur russe opéré depuis la Guyane n’étant plus disponible depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Le projet de LPM prévoyait jusqu’à présent que le programme Iris, qui prendra la suite de CSO, se traduise par la mise en orbite de deux satellites entre 2030 et 2035. Concernant les satellites militaires de communications sécurisées en orbite géostationnaire (à 36.000 kilomètres d’altitude), la loi de programmation militaire prévoit des « études pour la construction de la génération Syracuse 5 », a ajouté le ministre.

Un deuxième exemplaire de la génération Syracuse 4, le 4B, doit être lancé le 16 juin par la dernière fusée Ariane 5. La LPM acte en revanche l’abandon d’un troisième satellite, Syracuse 4C.

« Il y a des pistes de travail actuelles sur des constellations en orbite basse (à quelques centaines de kilomètres d’altitude, NDLR) ou des achats de services », a affirmé Sébastien Lecornu, assurant qu' »on garde dans notre coeur de souveraineté sur les gros satellites en orbite haute notre propre savoir-faire ».

La LPM prévoit également le renouvellement des satellites de renseignement électromagnétique avec le programme Céleste, amené à succéder aux satellites Ceres.

Le futur drone aérien de la Marine a été testé en configuration opérationnelle pour la première fois

Le futur drone aérien de la Marine a été testé en configuration opérationnelle pour la première fois

https://www.opex360.com/2023/05/16/le-futur-drone-aerien-de-la-marine-a-ete-teste-en-configuration-operationnelle-pour-la-premiere-fois/


 

S’il a été confirmé à l’occasion du plan gouvernemental de soutien à la filière aéronautique dévoilé en juin 2020, avec la commande d’un second prototype, ce programme a récemment fait l’objet de rumeurs au sujet de son possible abandon par la Marine nationale.

En effet, par rapport au drone aérien Serval [le S-100 Camcopter de Schiebel, ndlr] des porte-hélicoptères amphibies [PHA], le SDAM est trois fois plus lourd, avec une capacité d’emport « seulement » deux fois plus élevée. Et il n’est pas prévu, du moins pour le moment, qu’il soit armé. D’où les doutes qui ont pu être exprimés à son endroit… D’autant plus qu’il a été affecté par des complications techniques.

« Le programme SDAM est suivi par la Direction générale de l’armement [DGA]. Les essais réalisés sur une plateforme ont permis d’en montrer tout l’intérêt mais, au moment de passer sur une frégate, le système a connu des difficultés techniques », avait en effet indiqué l’amiral Pierre Vandier, le chef d’état-major de la Marine nationale, lors d’une audition parlementaire, en octobre 2022. « Ce programme sera examiné dans le cadre des travaux sur la Loi de programmation militaire en vue d’assurer une convergence coût-performance-délai », avait-il ajouté.

Visiblement, des assurances au sujet de cette convergence « coût-performance-délai » ont été données… Puisque le SDAM figure dans le projet de Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30. Ainsi, huit systèmes devront avoir été livrés d’ici 2030. Et la Marine nationale en comptera « au moins quinze » à l’horizon 2035.

Quoi qu’il en soit, en janvier, la DGA a fait savoir qu’elle venait de valider les « capacités techniques en phase de survol maritime du démonstrateur de drone VSR-700, dans le cadre de l’étude de levée de risques ». Et d’ajouter : « Cette capacité technique représente une avancée majeure et une première mondiale pour un drone de cette catégorie ».

En outre, la DGA a également laissé entendre que la phase d’essais à bord d’une frégate de la Marine nationale serait lancée sans tarder. Mais c’était sans doute aller trop vite en besogne…

En effet, le 15 mai, Airbus Helicopters a dit avoir testé pour la première fois le VSR700 en « configuration opérationnelle ». Ainsi, cet appareil « a effectué 80 décollages et atterrissages entièrement autonomes depuis un navire civil […] au large des côtes bretonnes.

« Cette campagne d’essais en vol a été une étape importante pour le VSR700 car elle nous a permis de valider les excellentes performances du drone dans des conditions opérationnelles représentatives de ses futures missions », s’est félicité Nicolas Delmas, le responsable du programme SDAM chez Airbus Helicopters.

« Le prototype VSR700 a ouvert son enveloppe de vol dans des vents supérieurs à 40 nœuds, a accumulé huit heures d’essais en 14 vols et a réussi des atterrissages [appontage? ndlr] dans plusieurs états de mer différents », a-t-il ajouté.

Pour rappel, construit avec des matériaux composite, le VSR700 a une endurance de 8 heures avec deux charges utiles. Il peut voler à 5000 mètres d’altitude, à la vitesse de 185 km/h. L’un des défi à relever est de pouvoir le faire décoller et apponter de manière autonome sur une plateforme en mouvement, dans une mer de niveau 5 [mer forte, avec des hauteurs de 2,5 à 4 mètres]. Ce qui est possible avec le système DeckFinder.

Celui-ci permet « le lancement et la récupération autonomes de drones avec une précision de 10 à 20 cm dans conditions difficiles, indépendamment des systèmes de géolocalisation par satellite [GNSS/GPS] », souligne Airbus Helicopters.

Au cours de ses précédents essais, poursuit l’industriel, le VSR700 a ainsi « démontré sa capacité à opérer en milieu maritime » tandis que ses capteurs [radar de surveillance maritime, optronique, récepteur AIS] et son système de mission ont été éprouvés.

Désormais, la prochaine étape verra la mise en œuvre d’un VSR700 depuis une frégate multimissions [au cours de second semestre 2023, ndlr] et le vol inaugural du second prototype commandé en 2020.

Photo : Airbus Helicopters

Les cinq technologies militaires sur lesquelles l’armée française devrait miser

Les cinq technologies militaires sur lesquelles l’armée française devrait miser

https://www.slate.fr/story/246008/tribune-technologies-militaires-futur-armee-lutte-antidrones-hypersoniques-defense


 

[TRIBUNE] L’analyse des conflits en Ukraine et dans le Haut-Karabakh permet de mieux cerner ce que la défense devrait faire de son budget inédit.

En janvier dernier, Alex Karp, le PDG d’un éditeur de logiciels, expliquait devant l’audience de Davos que sa société est «responsable de la majorité des tirs ciblés en Ukraine». Alex Karp est le patron de Palantir Technologies, une entreprise de Big Data qui, au même titre que Starlink, Planet Labs, Maxar, SunCalc ou GIS Arta, est devenue incontournable dans les milieux de la défense depuis le début de «l’opération militaire spéciale» en Ukraine.

Basé à Denver dans le Colorado, Palantir intègre, agrège et traite des données non structurées telles que des images satellitaires et de radars à synthèse d’ouverture, des images thermiques, des feeds de réseaux sociaux, des vidéos, puis «superpose» l’information traitée à des cartes numériques du champ de bataille, avant de faire des recommandations de cibles qui sont remontées à l’opérateur. Dans un échange avec le journaliste David Ignatius, Alex Karp renchérit: «La puissance des logiciels militaires algorithmiques est maintenant si grande qu’on pourrait la comparer à la possession d’armes nucléaires tactiques face à un adversaire disposant seulement d’armes conventionnelles.»

Aucun doute, nous sommes entrés dans une ère nouvelle, ce que les Américains appellent «algorithmic warfare». Une ère qui place la technologie au cœur de l’écosystème de la guerre de haute intensité. Pour la France, puissance moyenne avec des ambitions globales, il s’agit au plus vite de rattraper le retard.

Le grand bond en avant de la loi de programmation militaire

Dans un contexte lourd d’accélération des dépenses militaires partout dans le monde, la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 prévoit d’allouer 413 milliards d’euros à la «transformation des armées», dont 10 milliards à l’innovation de la défense, répartis entre quatre niveaux principaux.

D’abord, le spatial: création d’un centre de commandement C4 (computerized command, control, communications) des opérations spatiales développé dans le cadre du programme «Action et résilience spatiales» (ARES), la programmation des satellites patrouilleurs-guetteurs, de lasers en orbite et de la conduite d’opérations spatiales militaires. Ensuite, l’exploitation des technologies de robotique sous-marine jusqu’à 6.000 mètres (drones sous-marins, robots, lutte antimines marines). Puis, un gros coup d’accélérateur en matière de cyberdéfense, autant en cybersécurité qu’en action numérique, et enfin, investissement renforcé dans le champ informationnel.

Toutefois, les projets semblent encore très nombreux pour des moyens limités. Ainsi, dans le document de référence de l’Agence de l’innovation de défense, on trouve pas moins de quatorze «thèmes d’intérêt», allant de la sécurité de la donnée jusqu’à la capacité amphibie du futur, en passant par le renforcement de la chaîne de commandement des opérations interarmées (C2 IA) et de l’interopérabilité avec les alliés, tandis que, dans la LPM, les contours des budgets alloués aux «technologies de rupture»telles que l’hypervélocité ou le quantique restent flous.

Souci de confidentialité ou manque de définition des projets? Ou dilemme classique des armées, écartelées entre des ambitions multiples (dissuasion, modernisation des trois armées, espace et cyber, projection globale, etc.) et ses budgets structurellement insuffisants? Tirant les leçons des conflits en Ukraine et du Haut-Karabakh, nous allons examiner les cinq chantiers qui nous paraissent essentiels à l’horizon 2030.

L’hypervélocité

Les armes hypersoniques combinent les avantages des missiles balistiques (vitesse) et des missiles de croisière (précision). Il en existe deux types, les missiles de croisière hypersoniques, qui peuvent être lancés de sous-marins, de navires de guerre ou de tout autre vecteur, et les planeurs hypersoniques, qui doivent être libérés dans l’espace avant de rentrer dans l’atmosphère. Extrêmement rapides et manœuvrables, les armes hypervéloces adoptent aussi une trajectoire alambiquée qui les rend beaucoup plus difficiles à détecter et à intercepter, posant un problème majeur aux défenses antiaériennes.

Dans ce domaine, la Chine, avec les planeurs hypersoniques Dongfeng-17 et Xingkong 2, et la Russie avec le Kinjal, le Zircon, ou l’Avangard, lancé depuis l’espace à une vitesse époustouflante de Mach 27, disposent d’une avance notable sur les États-Unis et sur l’Europe. Afin de contrer la menace, les Américains ont développé une constellation de satellites de surveillance en orbite basse, avec des capteurs susceptibles de détecter une attaque, et leur armée vient de lancer la production de vingt-quatre missiles hypersoniques. La France n’est pas en reste avec son projet d’ASN4G, futur missile de la composante aéroportée de la dissuasion.

En résumé, avec leur vitesse extrême et leur manœuvrabilité, les armes hypervéloces peuvent atteindre des objectifs dans la profondeur adverse ou en mer (un commandant de porte-avions aurait au mieux quelques secondes pour réagir); elles remettent en question l’idée d’une frappe nucléaire préemptive de l’adversaire sur les lanceurs de missiles balistiques; et, surtout, devenues des «marqueurs» stratégiques, elles se situent aux premières loges de la guerre psychologique que se mènent États-Unis, Chine et Russie.

Les essaims de drones et la lutte antidrones

L’Ukraine et, avant ça, le Haut-Karabakh ont été le théâtre d’une utilisation massive de drones armés qui frappent par leur disparité dans l’usage, la taille et le système de guidage. En l’absence d’une solution de lutte antidrones (LAD) universelle, les options pour contrer la menace sont: le brouillage des télécommandes ou des signaux GNSS, détection de l’émetteur du télépilote, capteurs thermiques ou systèmes radars adaptés pour contrer les drones kamikazes tels que les Shahed 136.

Mais l’autre sujet qui intéresse toutes les armées modernes, ce sont les drones en essaim, aériens, marins ou même sous-marins, capables de se déplacer de façon coordonnée, voire autonome grâce à l’intelligence artificielle, afin de réaliser des missions de reconnaissance, de brouillage ou d’attaque, en saturant et en leurrant l’adversaire.

Dans le cadre de leurs tests, Northrop Grumman et Raytheon ont déjà réussi à manœuvrer entre 100 et 200 drones de façon simultanée vers une cible donnée. En France, il y a le projet Icare de LAD et Dronisos, de Naval Group, avec les kits Icarus Swarms, essaims de minidrones dédiés à des missions précises telles que brouillage. Là encore, la prochaine LPM sera l’occasion de rattraper le temps perdu.

Les armes à énergie dirigée

Il s’agit des armes non cinétiques, de type laser ou micro-ondes par exemple. Leur usage est surtout envisagé dans la défense sol-air ou surface-air, notamment dans le cadre de la lutte antidrones ou de la protection de zone. Plus explicitement, la LPM devrait financer des recherches sur les armes laser, permettre d’étudier la faisabilité d’armes à faisceaux de particules et de développer des canons électromagnétiques (projets Pegasus et Rafira).

Le principe consiste à créer un champ électromagnétique entre deux rails conducteurs, soumettant un projectile à une forte accélération pour le lancer à très grande vitesse sur une cible parfois distante de 200 kilomètres. Ces nouvelles armes pourraient équiper des navires de surface, dans le cadre de la lutte antiaérienne.

Le combat collaboratif

Inspiré du Network-centric warfare américain, le combat collaboratif est un vecteur essentiel de la modernisation de l’armée française. Numérisation et circulation des informations en temps réel sur le champ de bataille, synchronisation des armes, utilisation de l’intelligence artificielle… Le combat collaboratif est le futur de la guerre de haute intensité, comme le démontre le conflit ukrainien.

L’idée, c’est que la supériorité opérationnelle future passera par la capacité d’échanger des volumes massifs de données en temps réel, de les traiter à grande vitesse afin de parvenir à la bonne décision avant l’adversaire (identification de la cible et sélection de la pièce d’artillerie, par exemple), et tout cela dans un cadre interarmées, donc multimilieux/multichamps, c’est-à-dire terrestre, maritime, aérien, exo-atmosphérique, cyber, électromagnétique et informationnel.

Bien qu’en avance sur ce sujet central de la guerre moderne (cf. le rapport de l’institut Rand, «Learning from the French Army’s Experience with Networked Warfare»), notamment avec le système d’information du combat Scorpion expérimenté lors de l’opération Barkhane, la France reste en retard par rapport aux États-Unis, qui sont en train de mettre en place une constellation de satellites en orbite basse afin de permettre une communication instantanée avec les soldats au sol.

Les modèles prédictifs appliqués à la défense

La transformation du champ de bataille par le Big Data, l’interconnectivité et les supercalculateurs n’en est encore qu’à ses débuts. Il y a déjà l’utilisation massive du renseignement en sources ouvertes (OSINT); la prochaine frontière serait la capacité de prévoir les conflits.

Échaudés par l’insurrection du 6 janvier 2021, des centres de recherche américains tels que CoupCast, Armed conflict location & event data project (Acled) ou PeaceTech Lab travaillent sur des programmes de prévision de troubles et de menaces à la sécurité intérieure, notamment par l’utilisation du «gradient boosting» (méthode utilisée pour construire des modèles prédictifs) et les «neural networks» (utilisés pour le deep learning).

L’autre exemple, c’est GIDE, pour Global information dominance experiment –rien à voir avec André. Mis en place il y a deux ans par le département américain de la Défense, GIDE récupère les données de capteurs positionnés un peu partout dans le monde –satellites, radars, sources ouvertes, etc. Le tout, traité par des supercalculateurs et assisté par l’intelligence artificielle, génère des modèles censés prévoir les intentions de l’ennemi, de façon à annihiler tout effet de surprise et à préparer une riposte adaptée avant que l’adversaire n’ait frappé. À quand un Minority Report de la guerre?

L’armée de Terre se fait déjà la main sur les munitions téléopérées

L’armée de Terre se fait déjà la main sur les munitions téléopérées

– Forces opérations Blog – publié le

L’armée de Terre a tiré sa première munition téléopérée cet après-midi, à l’occasion de sa 2e journée de la robotique et en présence de son chef d’état-major, le général Pierre Schill. Une munition inerte et d’origine étrangère, mais qui symbolise l’inflexion capacitaire inscrite dans la prochaine loi de programmation militaire. 

C’était sans doute le point d’orgue d’une démonstration menée de main de maître par la section exploratoire Vulcain, en pointe depuis 2021 sur les questions de robotisation de l’armée de Terre : la destruction d’un point d’appui ennemi par une munition téléopérée FireFly acquise auprès de l’entreprise israélienne Rafael. Et si l’explosion était factice pour d’évidentes questions de sécurité, la séquence n’en reste pas moins une première en France. 

Cette démonstration pionnière, c’est le fruit d’une réflexion engagée il y a plus de deux ans au sein de la Section technique de l’armée de Terre (STAT). Dès fin 2020, celle-ci cherche à progresser sur une capacité absente du portfolio français et encore très peu développée en Europe. Lancé sur fond de conflit au Haut-Karabagh, le projet aura pris du temps pour se concrétiser. 

Convaincre n’est pas toujours chose aisée et l’arrivée annoncée d’une seconde version aura encore un peu repoussé l’échéance, mais deux systèmes à trois munitions sont finalement acquis et livrés début 2022. Juste à temps pour former deux opérateurs en Israël au cours de l’été, puis de réaliser une série d’entraînements en France afin d’être à l’heure pour cette journée dédiée à la robotique. 

Le FireFly emporte une charge de 420 grammes d’explosif, l’équivalent de deux grenades défensives. C’est peu mais suffisant pour neutraliser un véhicule non protégé ou un petit groupe de combattants éventuellement retranchés dans un bâtiment. Pulvérisé, le système porteur ajoute son lot de « shrapnels ». L’opérateur conserve la main tout au long de la manœuvre. Une fois la charge armée électroniquement, le processus devient par contre irrémédiable. Faute d’objectif ou en cas d’annulation, la munition doit donc être « sacrifiée ». 

Au centre, la munition FireFly tirée aujourd’hui au camp de Beynes, dans les Yvelines. Bien que seulement endommagée par l’impact, son électronique embarquée est automatiquement « grillée » pour éviter toute récupération

L’autonomie atteint les 15 minutes, la portée 1 km en milieu ouvert et jusqu’à 500 mètres en environnement urbain. « Très facile à prendre en main et intuitif », le système est piloté à partir d’une tablette durcie embarquant aussi une quinzaine de scénarios d’exercice de simulation. 

Les essais vont se poursuivre, toujours sous la houlette du groupement innovation de la STAT. Celui-ci n’exclut pas de se rapprocher de certains régiments pour plancher conjointement sur l’emploi de cet armement. De quoi continuer à défricher le sujet, poser des jalons et emmagasiner de l’expérience en attendant la concrétisation du projet Colibri, dont les premières démonstrations sont attendues d’ici au printemps 2024. 

Le CEMAT l’a encore répété aujourd’hui en marge de la démonstration, les munitions téléopérées (MTO) entreront rapidement dans l’arsenal de l’armée de Terre, d’abord via des solutions disponibles sur étagère puis par la construction d’une filière souveraine. Environ 300 M€ seront investis dans ce but sur la période 2024-2030, notamment pour permettre l’acquisition de 2000 MTO en plusieurs versions au profit des régiments de mêlée et d’artillerie.

L’armée de Terre veut un nouveau missile anti-char « abordable » et « répondant à des besoins précis »

L’armée de Terre veut un nouveau missile anti-char « abordable » et « répondant à des besoins précis »

 

https://www.opex360.com/2023/05/09/larmee-de-terre-veut-un-nouveau-missile-anti-char-abordable-et-repondant-a-des-besoins-precis/


Pour l’essentiel, l’armée de l’Air & de l’Espace ainsi que la Marine nationale en seront les principales bénéficiaires… En effet, selon son chef d’état-major [CEMAT], le général Pierre Schill, l’armée de Terre disposera d’une enveloppe de 2,6 milliards d’euros sur la période 2024-30 pour financer l’acquisition de ses munitions, dont « 16 millions de munitions ‘petit calibre’, 300’000 obus de mortiers, 3’000 missiles moyenne portée et 2’000 munitions télé-opérées ».

Or, selon un rapport du Sénat, publié en 2018, un Missile Moyenne Portée [MMP, appelé maintenant Akeron MP] coûtait à l’époque près de 198’000 euros l’unité. Aussi, l’achat de 3’000 exemplaires consommerait le quart du budget alloué à l’armée de Terre pour ses munitions. Celui-ci aurait-il dû être plus élevé? C’est, en tout cas, ce que laissent entendre les propos tenus par le général [air] Cédric Gaudillière, chef de la division « Cohérence capacitaire » de l’État-major des armées, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, en avril [le compte-rendu vient d’être publié].

« Avec les 16 milliards d’euros alloués aux munitions, il est prévu de commander plus de 6’000 munitions complexes telles que des missiles antichar, anti-navires, air-air ou de croisière, ainsi que des torpilles, et d’en livrer plus de 4’000. Notre objectif est de compléter les stocks de munitions complexes et de remédier aux fragilités identifiées dans certains secteurs », a d’abord précisé le général Gaudillière.

Et d’ajouter : « Dans le détail, environ 11 milliards d’euros sont consacrés aux programmes à effet majeur, qui incluent des munitions complexes, tandis que 3 milliards permettront d’acheter des munitions plus classiques comme les obus et 2 milliards, d’assurer le maintien en condition opérationnelle de l’ensemble des munitions. Une rénovation des munitions à la moitié de leur vie peut en effet être nécessaire pour en garantir l’efficacité car certains de leurs composants deviennent obsolètes après environ douze ans d’utilisation ».

Mais plus généralement, l’approche retenue pour élaborer le projet de LPM 2024-30 consiste à « privilégier la cohérence avant la masse »… Cela étant, l’un des leviers pour générer de la masse est la « différenciation ».

Ainsi, a expliqué le général Gaudillière, il a été décidé de « ne pas commander 10’000 missiles antichar » de haute technologie, « longs et coûteux à produire ». Et s’il a été fait le choix d’acquérir « plusieurs milliers de missiles de haute technologie MMP développés par MBDA », il est aussi question de « travailler simultanément sur un missile différencié à bas coût, répondant à certaines besoins spécifiques, tels que les tirs de char en milieu urbain », a-t-il dit.

De tels missiles peu onéreux existent déjà… Comme par exemple le NLAW. Conçu par Saab Bofors Dynamics et produit par Thales Air Defence pour un prix unitaire de 20’000 livres sterling, il a démontré l’étendue de ses capacités en Ukraine puisque engins livrés par le Royaume-Uni aux forces ukraniennes seraient responsables de la destruction de 30 à 40% des 600 blindés que les forces russes ont perdus entre le février et avril 2022.

Par ailleurs, en janvier dernier, la Direction générale de l’armement [DGA] a commandé un nouveau lot de roquettes anti-char AT4 F2 [ou NG, pour nouvelle génération] auprès de Saab Bofors Dynamics pour 24 millions d’euros. Et cela en complément des missiles Eryx.

Mais, a priori, le ministère des Armées envisage le développement d’un nouveau missile anti-char peu onéreux. « En utilisant les leçons tirées de l’expérience ukrainienne, nous travaillons à la conception d’un missile abordable et pouvant être acquis en grande quantité, et qui réponde à des besoins opérationnels précis », a en effet avancé le général Gaudillière.

Par ailleurs, celui-ci a aussi laissé entendre que l’approvisionnement en obus de 155 mm pour l’artillerie était actuellement compliqué, alors que 20’000 ont récemment été commandés.

« La livraison des 20’000 obus ne sera pas aussi rapide qu’espéré, car les poudres, qui arrivent d’Allemagne, se trouvent sur le chemin critique. Nous recevrons les premiers obus l’année prochaine, mais la livraison s’accélérera à partir de 2025 », a-t-il dit.

D’où l’intérêt de relocaliser une filière poudre en France, et plus précisément à Bergerac, via le groupe Eurenco, comme l’a annoncé Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, en février dernier.

En attendant, il s’agit de « faire autrement »… Et de se lancer dans le recyclage. « Nous avons trouvé [dans l’Établissement Principal des Munitions] de Brienne-le-Château des munitions d’artillerie : nous allons utiliser les poudres, les reconditionner à Bergerac et fabriquer des charges modulaires pour des munitions de 155 millimètres », a en effet expliqué le général Gaudillière. « Nous ne nous interdisons plus rien et nous déployons des processus novateurs ; si nous parvenons à livrer des charges modulaires plus rapidement, l’arrivée de certains des composants de ces 20’000 munitions pourrait être avancée », a-t-il conclu.

Photo : Missile Eryx tiré lors d’un exercice au Royaume-Uni – MoD

LPM 2024-2030 : Audition du général de corps d’armée Jacques Langlade de Montgros, Directeur de la DRM (Assemblée nationale, 13 avril 2023)

LPM 2024-2030 : Audition du général de corps d’armée Jacques Langlade de Montgros, Directeur de la DRM (Assemblée nationale, 13 avril 2023)


 

M. le président Thomas Gassilloud. Nous recevons M. le général de corps d’armée Jacques Langlade de Montgros, directeur du renseignement militaire (DRM) depuis avril 2022.

Avec cette audition, nous achevons le cycle consacré aux services du premier cercle dépendant du ministère des armées.

Général, nous sommes ravis de vous accueillir. Saint-cyrien, vous êtes passé par l’École d’application de l’arme blindée cavalerie de Saumur. Vous avez effectué la première partie de votre carrière parmi les parachutistes, servant notamment en Bosnie, au Rwanda, au Tchad, en République centrafricaine ainsi qu’en Afghanistan. Vos derniers postes vous ont amené à commander la 11e brigade parachutiste à Toulouse, puis la mission de l’Union européenne en RCA.

À la tête de la DRM, vous avez de nombreux défis à relever : le recrutement et la fidélisation du personnel, comme souvent dans l’armée ; la coordination de la fonction interarmées du renseignement et les échanges avec les autres services de renseignement ; la réorganisation interne de la direction et l’amélioration de l’exploitation des données du renseignement militaire. Dans la mesure où les capteurs sont de plus en plus précis et nombreux, vous avez une avalanche de données à traiter pour trouver l’information pertinente.

Lors de ses vœux aux armées, le Président de la République a annoncé un doublement des crédits consacrés à la DRM. Vous reviendrez sans doute sur la manière dont vous envisagez d’utiliser ces crédits.

Sur l’ensemble de ces sujets et tous ceux que vous souhaiteriez aborder, nous serions ravis d’avoir votre analyse.

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros, directeur du renseignement militaire. Voilà un an, jour pour jour, que j’ai pris mes fonctions. La DRM agit à la fois pour le chef d’état-major des armées, au niveau stratégique, et au profit des forces en opération, au niveau tactique. Cette dualité est une singularité de la DRM par rapport aux autres services de renseignement. Elle joue un rôle de coordination de la fonction renseignement entre toutes les unités de renseignement des armées.

Nous produisons du renseignement d’intérêt militaire, c’est-à-dire une compréhension des capacités militaires des compétiteurs et groupes armés susceptibles de nuire à nos intérêts ou à nos forces. Ma mission est de réduire le niveau d’incertitude.

J’agis simultanément dans trois espaces-temps différents : le temps long, qui est celui de l’anticipation, de six à vingt-quatre mois – au-delà, c’est de la prospective, pas du renseignement ; le temps moyen, qui est celui de la décision, au cours duquel le chef d’état-major des armées pose les options stratégiques en conseil de défense ; le temps court, qui est celui de l’action, à savoir l’appui aux forces armées en opération.

Parmi les défis auxquels est confronté le renseignement militaire, il y a tout d’abord le fait que le renseignement est un domaine infini, tandis que, par principe, les moyens dont nous disposons sont finis. Ce défi est propre à tous les services de renseignement. Il s’agit donc avant tout de prioriser, c’est-à-dire de renoncer.

Le deuxième défi consiste à trouver l’équilibre entre les données recueillies et les données exploitées. Or on observe un écart croissant entre les deux.

Le troisième défi réside dans l’illusion de la transparence, qui consiste à croire que tout existe en sources ouvertes et que tout renseignement est susceptible d’être déclassifié.

Plus globalement, on constate un élargissement du champ d’action du renseignement d’intérêt militaire, dans tous les milieux – terre, air, mer, espace et cyberespace – et la nécessité impérieuse de s’adapter au contexte stratégique. C’est ce qu’a fait la DRM il y a deux ans, soit bien avant le 24 février 2022, pour identifier la montée en puissance du dispositif russe autour de l’Ukraine.

Ma priorité, en matière de recherche – non seulement pour la DRM mais aussi pour l’ensemble de la fonction interarmées du renseignement que je coordonne –, est de contribuer à la capacité d’action de la force de dissuasion en fournissant des renseignements sur les forces nucléaires adverses.

S’agissant de la zone européenne, la guerre en Ukraine est la priorité. À cet égard, on constate une guerre d’usure s’inscrivant dans la durée. Cela nécessite de mesurer de façon aussi précise que possible les capacités de régénération de chacun des belligérants et l’évolution du rapport de forces entre les deux. Cette crise a des effets dominos dans d’autres parties du monde, peut-être moins visibles mais tout aussi réels – je pense à la guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, qui a retrouvé de la vigueur.

L’Afrique, pour autant, n’est pas sortie du spectre de notre intérêt. Plusieurs compétiteurs y font preuve d’un entrisme croissant, notamment la Russie et la Chine, chacune de façon différente. La menace terroriste n’a pas disparu ; elle continue même à s’étendre vers le golfe de Guinée. La fragilité de certains États africains est une réalité. Cette situation est liée notamment aux trafics qui s’entremêlent – trafics de migrants, de drogue et d’armes – ainsi qu’à des fragilités intrinsèques.

Dans la zone du Moyen-Orient, la menace terroriste est contenue, mais la vigilance est nécessaire sur le moyen terme. La situation fait l’objet d’une recomposition très rapide. La versatilité est telle que cette recomposition est probablement le prélude d’autres recompositions. L’Iran et la Syrie, en particulier, redeviennent des partenaires fréquentables pour de nombreux pays de la région.

En Asie, nous suivons la montée en puissance des capacités militaires chinoises et ses conséquences sur nos intérêts, notamment dans l’océan Indien.

De façon plus marginale, nous contribuons de façon indirecte à la sûreté du territoire national : si je n’ai pas compétence pour renseigner ou organiser des manœuvres de recherche de renseignement sur le territoire national, j’y contribue en partageant avec les autres services le renseignement que je détiens et qui pourrait être utile sur le territoire national.

Les menaces s’ajoutent les unes aux autres, car peu disparaissent. Elles nécessitent que nous travaillions sur le temps long pour être en mesure d’apporter des réponses sur le temps court. La nécessité absolue pour nous est de capitaliser sur le renseignement recueilli, de façon à être efficaces.

Pour mener toutes ces actions, je bénéficie d’un écosystème un peu particulier par rapport aux autres services du premier cercle. Mes ressources sont imbriquées dans les programmes budgétaires 178, 146 et 212. Je dispose d’un petit budget opérationnel de programme (BOP), qui constitue le budget de la DRM et correspond à 5 % environ de ce qui me permet de produire du renseignement. Je fonctionne donc grâce aux armées qui acquièrent pour moi des capteurs, les mettent en œuvre selon les orientations que je donne et me fournissent des ressources humaines. Cette imbrication présente à la fois des avantages et des inconvénients, mais pour rien au monde je ne voudrais m’en affranchir, car elle est cohérente avec la mission d’appui aux opérations qui constitue le cœur de mon métier.

Le projet de LPM 2024-2030 contient des mesures fortes en matière de renseignement, avec une augmentation de 60 % des crédits alloués à cette activité et un doublement du budget de la DRM sur la période. La dynamique nous est donc favorable. Qui plus est, elle s’inscrit dans un calendrier pluri-LPM, puisque la loi en vigueur avait déjà amorcé un effort en matière de renseignement.

Indépendamment du patch renseignement, qui bénéficie d’une augmentation substantielle de ses ressources, à hauteur de 5 milliards d’euros, je profite de l’augmentation d’autres entités et périmètres budgétaires, notamment celle du patch espace, dont je suis l’un des principaux clients.

Pour l’édification de la LPM, ma priorité est de garantir la cohérence du dispositif de renseignement – c’est ce que j’ai demandé à mes troupes dans les travaux préparatoires.

Cohérence, tout d’abord, entre les différents types de renseignement, quelle que soit leur origine – image, électromagnétique, humaine ou cyber. C’est bien l’accumulation des différents types de renseignement et leur confrontation qui me permettent de produire des appréciations de situation avec un niveau d’incertitude limité. Si je n’ai que des images ou que du renseignement d’origine humaine, j’estime que l’information est peu robuste et l’analyse est peu fiable.

Cohérence, également, entre les niveaux stratégique et tactique. Il doit exister une cohérence entre les capteurs de niveau stratégique que j’utilise en propre et les capteurs tactiques, bien souvent délégués ux unités de renseignement des différentes armées. C’est un gage d’efficacité.

Cohérence, enfin, entre les capteurs à proprement parler et les outils permettant de les exploiter. Cette cohérence doit être pensée dès l’origine pour éviter un gaspillage d’argent public.

En complément de cet impératif de cohérence, un deuxième impératif, pour la LPM, est de réussir la transformation numérique. Cela passe par l’exploitation des données de masse, à travers le programme d’architecture de traitement et d’exploitation massive de l’information multisources par l’intelligence artificielle (Artemis.IA). Ce programme est structurant à la fois pour la DRM et pour la fonction interarmées du renseignement. Il s’agit de capitaliser toutes les données que nous recueillons, de les faire interagir et de les partager – c’est une forme de centralisation des données puis de décentralisation des accès à l’ensemble des unités de la fonction interarmées du renseignement. Ce virage est essentiel : à défaut de l’opérer, nous en resterions au deuxième millénaire et nous ne pourrions pas optimiser l’usage des capteurs que l’on nous confie.

Le troisième défi concerne les ressources humaines – j’y reviendrai.

Le quatrième consiste à pérenniser l’organisation que j’ai mise en place le 1er septembre dernier à travers le plan de transformation de la DRM. Cette nouvelle organisation est en quelque sorte une révolution copernicienne, rapprochant la recherche de l’exploitation, sous la forme d’entités géographiques ou thématiques. Elle mettra deux à trois ans avant de produire ses pleins effets, mais j’en perçois déjà les premiers balbutiements au bout de six mois.

Tous les capteurs qu’il est prévu de renouveler au cours de la LPM verront les données collectées partagées avec l’ensemble des services de renseignement du premier cercle, qu’il s’agisse de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ou de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), principaux services avec lesquels je collabore au quotidien.

Le doublement du budget de la DRM nous permettra, de disposer d’une forme d’agilité. il nous permet, par exemple, de codévelopper avec des start-up des outils innovants selon un rythme plus rapide que celui des grands programmes d’armement s’inscrivant dans la perspective pluriannuelle des LPM. Nous l’avons déjà fait durant la LPM en cours. L’enjeu est de conserver cette capacité pour rester dans la dynamique des évolutions technologiques.

Ensuite, le budget doit nous conférer une forme d’agilité permettant d’acheter des services. L’enjeu est de trouver un équilibre entre les outils patrimoniaux, achetés en propre, propriété de l’État, et l’achat de services. Je suis intimement persuadé que la complémentarité existant entre ces deux types de capacités permet à la fois de préserver une autonomie stratégique et de bénéficier d’une grande diversité de services, de redondance, de capacités, disponible pour tous.

Enfin, le budget nous permettra de développer les partenariats en matière de renseignement, notamment en Afrique, pour aider certains États à combattre le terrorisme. Cela passe par l’acquisition de capacités à leur profit, le développement de formations ou encore l’échange d’officiers de liaison.

Sur le plan des capacités à proprement parler, la LPM permettra le renouvellement de composantes spatiales, en matière d’imagerie et de systèmes électromagnétiques, le renouvellement de capteurs tactiques, que ce soit dans le domaine électromagnétique – le programme d’avions de renseignement à charge utile de nouvelle génération (Archange), par exemple, pour l’armée de l’air –, dans celui des drones – dans tous les milieux : terre, air et mer – ou celui des systèmes de biométrie dont nous avons besoin pour nos bases de données. Ces dispositifs relèvent principalement des armées et du patch renseignement.

Enfin, l’effort principal – car vraiment structurant – est celui qui portera sur les outils d’exploitation, à travers la convergence de nos systèmes d’information et l’outil Artemis.

Dans le domaine des ressources humaines également, la LPM devrait permettre de poursuivre la croissance de la DRM, sur le plan quantitatif comme sur le plan qualitatif, à travers l’acquisition de nouvelles compétences, rendues nécessaires par les développements technologiques et qui n’existent pas forcément au sein des armées :je pense, par exemple, au métier de data scientist, liés au développement de l’outil Artemis, la gestion du besoin d’en connaître ou dans le domaine numérique qui nécessitent d’utiliser des compétences qui n’existent pas dans les armées, notamment dans. Là encore, il faudra faire preuve d’agilité dans le recrutement de ce type de profils. Dans le même temps, j’ai pour ambition de développer les parcours de carrières croisés, entre services du premier cercle, d’une part, mais aussi entre la DRM et la fonction interarmées du renseignement, d’autre part. Je pars en effet d’un principe simple : être performant dans les métiers du renseignement suppose un investissement en matière de formation beaucoup plus important aujourd’hui qu’il y a quelques années, du fait de la complexité de l’environnement technique dans lequel nous évoluons.

J’ai l’ambition de maintenir les proportions actuelles entre le personnel militaire et le personnel civil – lequel représente environ 30 % des effectifs. Je compte, par ailleurs, confier à cette catégorie de personnel plus de responsabilités, comme j’ai commencé à le faire depuis l’été dernier.

Il est impératif également de travailler sur l’attractivité et la fidélisation du personnel de la DRM. Nous devons, enfin, augmenter le nombre de réservistes : l’ambition est de le doubler, comme dans l’ensemble du ministère, à l’horizon de 2030.

En conclusion, la DRM, avec la fonction interarmées du renseignement, est chargée d’apporter du renseignement militaire tant au CEMA qu’aux forces en opération. Les menaces s’additionnent les unes aux autres, avec chaque jour plus de missions à remplir. Cela nécessite un effort, qui est inscrit dans la LPM.

Je perçois trois lignes directrices : maintenir le cap de la transformation organisationnelle que j’ai engagée le 1er septembre dernier, qui s’accompagne d’une transformation culturelle ; mener à bien la transformation numérique, qui va commencer à se concrétiser dans les semaines à venir ; s’adapter aux évolutions stratégiques permanentes, comme la DRM a pu le faire par le passé.

M. le président Thomas Gassilloud. Le budget de la DRM est proche de 55 millions d’euros. Le doublement dont il est question concerne-t-il directement la DRM, ou bien inclut-il un cofinancement des autres capteurs, notamment des patchs espace et cyber ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Le budget de la DRM doublera effectivement à l’horizon de la fin de la LPM. Cela permettra de financer l’agilité dans plusieurs volets, comme je l’expliquais. En complément, nous bénéficierons de l’effort consenti dans d’autres segments par chacune des armées pour renouveler les capteurs, notamment dans des domaines particuliers comme l’espace et le numérique, avec le remplacement du Multinational Space-based Imaging System for Surveillance (MUSIS) par l’infrastructure de résilience et d’interconnexion sécurisée par satellite (IRIS), et le développement du programme de capacité électromagnétique spatiale (Céleste).

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Le projet Artemis est très intéressant. Il permettra peut-être d’optimiser le renseignement capté sur le terrain par les différents corps d’armée. Il est toujours difficile de savoir si une information est véridique et consolidée. L’écart par rapport à la vérité vous paraît-il très grand, au point de relativiser l’information passant par Artemis, ou bien le système tape-t-il dans le mille presque à chaque fois ?

Il me semble que vous avez dit : « tout renseignement est susceptible d’être déclassifié ». Ai-je bien entendu ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. La livraison d’Artemis commencera le mois prochain. Ensuite, le système montera en puissance jusqu’en 2030. C’est une opération d’armement à part entière, codéveloppée avec des industriels depuis plusieurs années. Les premiers appareils ont été livrés la semaine dernière à Creil. Initialement porté par la DRM, le projet l’est désormais par la DGA, ce qui est une très bonne chose, car le système est d’une complexité qui nous dépasse. C’est un outil de capitalisation de données dont le premier cas d’usage est le renseignement, et qui sera utilisé à d’autres fins, par d’autres entités du ministère, telles que le service de santé des armées ou la maintenance aéronautique, dans d’autres configurations mais sur le même principe : créer des lacs de données, c’est-à-dire les centraliser pour les confronter les unes aux autres, avec des outils d’intelligence artificielle, puis en décentraliser l’utilisation à travers des outils de déport.

À l’horizon de 2030, nous bénéficierons de l’ensemble des fonctionnalités d’Artemis, aussi bien sur le porte-avions en Méditerranée orientale qu’au PC des forces françaises au Sahel, à N’Djamena.

Le principe est de collecter l’ensemble des données existantes – qu’il s’agisse de celles qui sont hébergées ou collectées par la DGSE, boulevard Mortier, au profit de tous les services du premier cercle, de celles qui sont collectées par les satellites, dont je suis le principal client, de celles qui sont collectées en sources ouvertes sur internet et de celles qui sont collectées par des sources humaines dans le monde entier, etc… – et de les faire interagir dans le temps et selon leur nature. Faire en sorte que ces données très hétérogènes puissent interagir nécessite, en amont, un travail normatif considérable, ainsi qu’une gestion du besoin d’en connaître, de façon à ce que les secrets les plus stratégiques relatifs à la dissuasion ne soient pas forcément accessibles aux spécialistes de la traque de terroristes.

Il s’agit d’un outil stratégique pour la DRM. Au début de la précédente LPM, un retard industriel a obligé mes prédécesseurs à basculer vers Artemis. Nous avons quelques semaines de retard par rapport au calendrier idéal, mais cela reste dans l’épaisseur du trait. La balle est dans le camp des industriels : du côté de la DRM, des armées et de la programmation, tout est bien structuré.

Je suis profondément attaché à la transparence. Mais la notion de secret est également essentielle. Elle n’a pas pour objet de faire chic : il s’agit de protéger nos accès, car c’est ce qu’il y a de plus précieux pour un service de renseignement. C’est non seulement ce qui nous a permis d’avoir du renseignement aujourd’hui, mais aussi ce qui nous permettra d’en avoir demain. Le secret a aussi pour but de protéger les forces engagées en opération, et plus globalement les intérêts de la nation.

Il peut être décidé de manière conjoncturelle, au niveau politique, de déclassifier des documents à des fins d’influence, dans le cadre de la stratégie nationale. Les Anglo-Saxons ont fait un grand usage de cette méthode depuis le début de la guerre en Ukraine – avec succès, parfois, mais la pratique a également montré certaines limites. C’était l’objet de mon message subliminal : faire un usage immodéré de la déclassification de documents peut avoir des effets pervers. Du reste, le recours régulier à cette pratique en amont du 24 février 2022 n’a pas empêché Vladimir Poutine d’envahir l’Ukraine. Par ailleurs, quand on habitue l’opinion publique, les partenaires ou les adversaires à déclassifier systématiquement, le jour où on ne le fait pas, on inverse en quelque sorte la charge de la preuve. Déclassifier crée des fragilités. Il est possible de le faire de temps en temps, mais cela doit rester une décision politique exceptionnelle.

M. le président Thomas Gassilloud. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Anne Le Hénanff (HOR). Dans le cadre de la révision de la LPM, en juillet 2022, les services de renseignement rattachés aux armées avaient formulé des demandes auprès du Président de la République à propos des algorithmes, des données et des cookies. L’article 21 du projet de loi alloue globalement 5 milliards d’euros d’investissements dans le renseignement militaire et élargit le champ du renseignement dans plusieurs domaines. Ce n’est pas le cas en ce qui concerne la surveillance algorithmique et la détection de cyberattaques. Comment le renseignement militaire continuera-t-il d’intensifier la détection des menaces cyber avec les crédits alloués et le périmètre qui a été défini ? Des discussions sont-elles en cours pour élargir la surveillance dans ce domaine – ce qui, je l’espère, arrivera dans un avenir proche ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Le recours aux algorithmes est un champ nouveau. Il est complexe. La pratique reste donc expérimentale, même si elle commence à produire des effets. Cela permet, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, d’avoir une approche prédictive. Ce champ n’est pas encore pleinement utilisé par le renseignement militaire. L’appropriation de l’outil nécessite du temps et une technicité que la DRM n’a pas encore aujourd’hui, mais qu’elle a pour ambition d’acquérir demain. Cette mesure ne figure pas dans la LPM, mais il est envisagé de la faire figurer dans les textes ultérieurs.

Mme Anne Le Hénanff (HOR). Vous dites « demain » : quelle est l’échéance ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Le projet est étudié par les services de renseignement et des discussions sont en cours avec la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT).

Mme Anne Genetet (RE). La LPM prévoit une augmentation globale des effectifs. Qu’est-ce qui vous a été promis en la matière ? Que souhaiteriez-vous obtenir ?

Le départ d’agents civils ou militaires vers des structures dépendant d’intérêts étrangers, en France ou ailleurs, fait l’objet de l’article 20. Cet outil législatif vous suffit-il ou faut-il le compléter ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Je ne suis pas entré dans le détail en ce qui concerne les effectifs. La DRM rassemble 1 900 personnes, en augmentation depuis l’entrée en vigueur de la LPM actuelle, et il est prévu que la hausse se poursuive, à raison de 300 personnes environ. Dans le même temps, un doublement des effectifs de la réserve est prévu. Je dispose de 250 réservistes environ. L’objectif est de monter à 500 à l’horizon de la fin de la LPM.

Au-delà des chiffres, ce sont des compétences qui m’intéressent. Avoir des compétences précises tout en s’inscrivant dans les volumes nécessaires pour optimiser l’usage des nouveaux outils dont nous disposerons relève d’une dentelle assez fine.

En ce qui concerne la possibilité pour les militaires de se reconvertir, les dispositions prévues répondent aux attentes des services.

M. Vincent Bru (Dem). La France s’est retirée du Mali, mais elle reste présente en Afrique. Sa présence dans l’est de l’Europe – en particulier dans les États baltes et en Roumanie – a connu une évolution notable. Par ailleurs, elle poursuit ses missions au Levant. Comment comptez-vous réorganiser la DRM au regard de la redéfinition des zones d’opération et de l’augmentation des effectifs ?

Le cyber et le spatial font partie des nouveaux dangers mentionnés dans la LPM. Comment entendez-vous appréhender ces nouveaux espaces de conflictualité ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Les menaces et les zones de crise s’ajoutent les unes aux autres. L’évolution des priorités oblige à certains renoncements. Comme je vous l’expliquais, le domaine du renseignement est infini, alors que les moyens, par nature, sont finis. Ma mission principale est de prioriser.

J’ai profondément réorganisé la DRM le 1er septembre dernier. En réalité, j’ai créé sept petites DRM et rapproché, dans chacune d’entre elles, la recherche et l’exploitation, selon une logique géographique ou thématique. J’ai donné à chaque chef de plateau une totale autonomie, sous ma responsabilité et mon contrôle bienveillant, pour la gestion de son plan de recherche et l’animation d’une certaine forme de subsidiarité par rapport aux unités de la fonction interarmées du renseignement. Le plateau chargé de l’Ukraine travaille avec les unités de la marine nationale qui s’occupent de la surveillance de la situation maritime en mer Noire, avec l’unité de l’armée de l’air dédiée au suivi de situation  dans la zone, etc. Chaque petite DRM est également responsable de la production et de la diffusion du renseignement, ainsi que d’une politique partenariale décentralisée à son niveau, tout en sachant que la tour de contrôle est située au niveau de mon état-major.

Cette nouvelle organisation permet de gagner en agilité dans la production du renseignement, d’avoir un cycle du renseignement beaucoup plus rapide entre la recherche et l’exploitation, une capacité d’approfondissement accrue, et chacun des plateaux est en liaison avec toutes les unités de la fonction interarmées du renseignement – c’est-à-dire de l’armée de terre, de la marine, de l’armée de l’air, du commandement de l’espace, du comcyber et du commandement des opérations spéciales. Au quotidien, chacun de ces plateaux interagit et organise une certaine forme de subsidiarité dans la recherche de renseignement entre le niveau stratégique – à savoir la DRM – et le niveau tactique.

M. Frédéric Boccaletti (RN). Mes propos ne visent en aucun cas à juger le travail des agents de la DRM, qui prennent des risques, et je salue votre action précieuse. Toutefois, en ce qui concerne l’Ukraine, vos services n’ont pas totalement appréhendé la virulence et l’imminence de l’attaque russe. Que s’est-il passé ? Comment éviter que cela ne se reproduise – même si les pistes de réorganisation que vous avez évoquées sont déjà des réponses pertinentes ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Je comptais aborder le sujet de ma propre initiative, mais finalement je l’ai enlevé de mon propos liminaire. Je vous remercie donc de me poser la question.

Il convient de distinguer trois choses : le renseignement que l’on produit, ce qui en est fait et ce que l’on en dit. En ce qui concerne la guerre en Ukraine – j’en parle d’autant plus librement que je n’étais pas en fonction –, plus d’un an avant le 24 février 2022, la DRM avait suivi la montée en puissance du dispositif russe sur le pourtour de l’Ukraine. Elle avait vu les capacités augmenter et les potentialités que celles-ci offraient, ainsi que le coût qu’aurait cette guerre pour les armées russes si elle était déclenchée. Quatorze mois plus tard, force est de constater que les faits ont plutôt donné raison aux analyses de la DRM.

M. le président Thomas Gassilloud. Qu’est-ce qui relève de la DGSE et qu’est-ce qui relève de la DRM, notamment en ce qui concerne l’analyse de l’intentionnalité politique des forces russes ? Si nous comprenons bien, la DRM est chargée d’évaluer objectivement les moyens déployés, mais est-il aussi de votre responsabilité de déterminer si telle ou telle partie a l’intention politique d’avancer, ou bien bascule-t-on alors du côté de la DGSE ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. L’intentionnalité politique ne relève pas de la mission de la DRM. L’analyse des rapports de force, des capacités des belligérants, de leur profondeur stratégique dans le domaine militaire, des capacités de leur base industrielle et technologique de défense, de la régénération des capacités : tel est le cœur du métier de la DRM.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES).  Nous avons compris, en auditionnant vos collègues des autres services, que les arbitrages définitifs n’avaient pas encore été rendus. Je vous invite donc à nous préciser vos attentes.

En ce qui concerne la mutualisation avec les autres services, quelle serait, selon vous, la formule optimale ? La ventilation par patch n’est pas très lisible pour nous. Comment espérez-vous récolter, dans les différents patchs, la part qui vous revient ?

S’agissant de l’achat de services, quel est selon vous le bon mix ? La DGA a notifié à Preligens un contrat de sept ans d’un montant de 240 millions. Quand on met ce chiffre en rapport avec les 55 millions de votre budget courant, on ne peut que s’interroger sur le poids de ces entreprises et leur force par rapport aux services souverains. Quelles garanties de sécurité avez-vous vis-à-vis de ces grands prestataires qui s’imposent progressivement ?

Le dimensionnement du programme Archange est-il pertinent ? Quant au calendrier, on a l’impression qu’il a été décalé : alors que certains appareils étaient attendus pour 2025, le tableau figurant dans le rapport annexé en mentionne trois à l’horizon de 2030. Restera-t-on dans l’expectative jusqu’à cette date ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Les besoins de la DRM sont satisfaits par de nombreuses entités : elle est beaucoup moins homogène que ne le sont les autres services de renseignement. Cela constitue à la fois une faiblesse et une force. Le fait que mon service et les différentes armées soient profondément imbriqués et que nous soyons tributaires d’elles est en parfaite cohérence avec la mission que nous exerçons au quotidien, puisque nous fournissons un appui en renseignement aux armées en opération.

Ce dont j’ai besoin, ce sont des militaires, recrutés et formés par les différentes armées ; de personnel civil, recruté par la direction des ressources humaines du ministère de la défense (DRH-MD) ; enfin, de capteurs tactiques portés par le projet global de chacune des armées. Ces capteurs de renseignement sont absolument nécessaires pour garantir la cohérence globale de ma mission. En complément, il existe des capteurs de niveau stratégique, qui sont plus visibles, plus volumineux et plus onéreux. Ceux-là aussi sont, pour l’essentiel, également portés par d’autres entités que le DRM, en dépit du fait que j’en sois le client principal. Le patch renseignement héberge le budget de la DRM et non l’intégralité du budget servant à la DRM pour produire du renseignement. C’est du budget de la DRM que nous parlons ; il permettra d’avoir l’agilité dont je parlais, s’agissant du développement technologique, de l’achat de services et de l’appui aux partenaires.

Preligens est une start-up avec laquelle nous avons développé, pendant quelques années, un outil qui nous permet, grâce à l’intelligence artificielle, d’exploiter beaucoup plus rapidement des images satellites. Le concept est très simple : il s’agit de détecter des anomalies ou changements par rapport à l’image initiale. Au lieu de charger un analyste d’interpréter inutilement des milliers d’images, il est averti quand une image semble être différente des précédentes. C’est un outil qui nous permet de traiter un volume de données énorme.

Vous vous référiez à un contrat de 240 millions d’euros. En fait, c’est un plafond de contractualisation sur une durée de sept ans avec cette start-up. Rien ne dit que le contrat avec Preligens atteindra cette somme.

Je suis persuadé que, si nous voulons rester compétitifs par rapport à nos adversaires, nous devons être agiles sur le plan technologique et essayer de codévelopper avec des start-up des outils permettant de progresser. Nos ennemis, eux, ne prennent pas de pincettes quand il s’agit de faire preuve de créativité et de se doter d’outils leur permettant de mettre en œuvre leurs mauvaises intentions.

Archange est une capacité de renseignement d’origine électromagnétique aéroportée qui succédera aux avions Transal C160 Gabriel, dont le retrait a été décidé en 2022. Une mesure de réduction de cette perte temporaire de capacité a été prise par l’armée de l’air : le contrat Solar permettra ainsi, pendant la période 2024-2028, de bénéficier d’une capacité de renseignement d’origine électromagnétique aéroportée, dans l’attente de l’arrivée des Archange. S’agissant de ce programme, trois vecteurs sont prévus à l’horizon de 2030, avec une première livraison en 2028.

M. le président Thomas Gassilloud. Le programme Archange est développé sur la base de Falcon, n’est-ce pas ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Exactement.

M. le président Thomas Gassilloud. Ces avions emmagasineront-ils des données pour qu’elles soient traitées au retour, ou bien les enverront-ils en temps réel par l’intermédiaire d’un satellite de communication ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Les deux. Il y aura un équipage à l’arrière du Falcon, ce qui permettra de réorienter en boucle courte les capteurs embarqués, tout en en retransmettant une partie des données vers des stations au sol.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Merci de nous rappeler votre action essentielle aux côtés des forces armées en opération.

La DRM était particulièrement impliquée dans le renseignement opérationnel en soutien à Barkhane et à la force Sabre, au Sahel. Dans quelle mesure la réarticulation du dispositif et le désengagement progressif marquent-ils une rupture dans les missions de votre direction ? Au regard du budget des opérations extérieures (Opex), comment la LPM prend-elle en compte ce changement majeur et rapide ? La coordination avec la DGSE sera-t-elle revue pour les théâtres où les armées sont encore présentes ?

En ce qui concerne l’anticipation et la prospective, on a reproché à la DRM de ne pas avoir cru à l’invasion russe. Dans quelle mesure ce reproche imprègne-t-il la rénovation de votre direction ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. La guerre en Ukraine et l’évolution du dispositif en Afrique ont nécessité une réorganisation profonde de la DRM. Il a fallu opérer une bascule de priorités. Toutefois, il est impératif de préserver une capacité de renseigner sur la menace terrorisme, car celle-ci n’a pas disparu. Nous sommes encore présents dans plusieurs pays d’Afrique ; nous aidons nos partenaires africains à faire face à l’extension de la menace terroriste, notamment vers le golfe de Guinée. Cet appui à différents pays nécessite que nous maintenions une compétence dans ce domaine.

La réorganisation se traduit par des changements rapides, engagés il y a plus de deux ans en ce qui concerne la question russo-ukrainienne. L’atteinte de la pleine efficacité de la nouvelle organisation est progressive ; elle ne saurait être parfaite en peu de temps. L’acquisition de certaines spécificités et compétences demande du temps – je pense aux linguistes, par exemple : j’ai besoin de beaucoup plus de linguistes russophones que mes prédécesseurs, il y a cinq ans, et c’est aussi vrai pour les sinisants. Nous en avions quelques-uns, naturellement, mais jamais assez. Nous faisons appel à des outils d’intelligence artificielle, mais ils ne sont pas assez précis. Nous montons donc en puissance dans ce domaine également. Il y a donc à la fois une adaptation de l’organisation de la DRM depuis le 1er septembre 2022 et la préservation de compétences spécifiques, par exemple la connaissance des doctrines russes, ou tout simplement celle de la guerre de haute intensité. Mes prédécesseurs ont été visionnaires en ne renonçant pas complètement à celles-ci.

La coordination avec la DGSE se poursuit d’autant plus facilement que cette direction s’est réorganisée à peu près en même temps que nous – à compter du 1er novembre en ce qui la concerne ; Bernard Émié a dû vous en parler hier. Même si cette nouvelle organisation n’est pas similaire à celle de la DRM, une sorte de continuité existe pour certaines missions, notamment s’agissant des domaines géographiques. Un dialogue très naturel, presque quotidien s’est établi entre les centres de mission de la DGSE et les plateaux de la DRM, ce qui permet d’assurer une bonne complémentarité.

Pour ma part, je fais une différence entre l’anticipation et la prospective. J’estime que l’anticipation concerne une période de six à vingt-quatre mois et qu’au-delà on passe dans le domaine de la prospective. Selon moi, la prospective n’est pas nourrie par du renseignement : elle s’appuie sur des études géographiques, historiques, sociologiques ou démographiques. Le renseignement a une durée de validité courte : au-delà de deux ans, un renseignement collecté a peu de chance d’être réellement utile. Je confie à chaque plateau la mission d’agir sur les trois temps du renseignement : court, moyen et long – cela concerne donc aussi l’anticipation.

Concernant l’Ukraine, la DRM avait suivi la montée en puissance du dispositif russe à travers l’exercice Zapad, qui s’est déroulé en 2021, puis en 2022, l’évolution du dispositif dans la profondeur russe, avant le franchissement de la frontière le 24 février 2022. Elle avait analysé le coût qu’aurait cette intervention pour l’outil de défense russe, au regard des capacités détenues par les Ukrainiens. Bien évidemment, c’est l’analyse du rapport de forces entre les belligérants qui fait la pertinence du propos. C’est ce à quoi je m’efforce au quotidien.

M. le président Thomas Gassilloud. Nous en arrivons aux questions des autres députés.

Mme Delphine Lingemann (Dem). Ma question porte sur le recours au renseignement d’origine sources ouvertes (Osint) dans le cadre du renseignement militaire. Ce type de renseignement est largement utilisé pour contrecarrer la diffusion de fake news et la désinformation. Elle est aussi d’un grand secours sur le plan tactique, voire stratégique, pour glaner des informations à caractère militaire. L’une des forces de l’Osint est qu’il s’appuie sur la société civile, créant d’efficaces réseaux transnationaux. Sa faiblesse tient à la fiabilité des informations et au risque de désinformation, voire de manipulation.

Comment traitez-vous spécifiquement les données recueillies par ce moyen ? Pensez-vous qu’un cadre législatif soit utile en la matière ? Pourrions-nous faire appel aux réserves opérationnelles pour faire remonter les informations recueillies de cette façon, voire pour les traiter ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. L’Osint est une partie du champ informationnel ; nous ne pouvons donc le négliger. Au quotidien, nous utilisons  l’Osint : chaque plateau compte plusieurs « osinteurs », chargés de travailler sur des sources ouvertes de façon à recueillir des informations. Elles sont ensuite retraitées et complétées par les productions des capteurs– de l’imagerie, de l’électromagnétique, de l’humain ou du renseignement d’origine cyber– pour accroître leur niveau de fiabilité. Une information en sources ouvertes est fiable à 50 % ou 60 %, en fonction de la connaissance que vous avez du fil twitter ou du blog. Or mon métier est de fournir une information fiable à 95 % ou 96 %. Augmenter le niveau de certitude, consolider la source ouverte nécessite une approche « multi-int ».

L’Osint joue pour nous le rôle de lanceur d’alerte ; à ce titre, il est très utile. À partir de là, nous approfondissons le renseignement. En dehors de la source ouverte disponible pour tous, il y a des outils de recherche dans l’internet profond, non accessible par un moteur de recherche comme Google. Ces outils nous permettent de puiser dans 90 % des informations existant sur internet, contre 10 % pour le grand public. Le risque face à un tel volume d’informations est évident : c’est celui de se noyer.

L’Osint est une source d’information que nous intégrerons dans l’outil global Artemis. Nous confronterons ces informations à d’autres, issues de capteurs de renseignement.

Nous contribuons également à lutter contre les opérations d’influence Nous travaillons en coordination étroite avec les structures dédiées qui existent au sein des armées, de façon à leur permettre de bâtir des narratifs ou des contre-narratifs et de déjouer certaines opérations d’influence de nos compétiteurs. Cette question est pleinement intégrée dans l’espace de conflictualité dans lequel nous agissons.

Le cadre législatif pour agir dans le domaine de l’Osint existe et il est suffisant.

Nous recourons aux réservistes, parmi d’autres personnes. Certains de mes « ostineurs » sont réservistes, d’autres d’active. Ils sont parfaitement interchangeables, et j’ai besoin des deux.

M. Christophe Blanchet (Dem). Avec plusieurs collègues, nous avons assisté à l’opération Poker. C’était une expérience passionnante. Lorsque l’on passe à l’ordre terminal, tout retour en arrière est impossible. Continuez-vous cependant à diffuser de l’information au-delà ? Si oui, quelle est-elle ? Jusqu’à quel moment agissez-vous, et à partir de quand la DGSE prend-elle le relais ?

Il y a quelques mois, trois de nos interlocuteurs nous ont parlé de communautés d’internautes qui, à partir de l’image d’un simple aileron, étaient capables d’identifier un avion et d’indiquer où il se trouvait. L’organisation d’une réserve citoyenne, ou la désignation de référents citoyens pour animer de telles communautés, permettraient-elles de vous accompagner, de structurer le renseignement et de le diffuser ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Votre question relative à l’opération Poker est sensible… Je vous répondrai de façon volontairement imprécise. Nous recueillons du renseignement en permanence, bien évidemment.

La DRM s’en tient aux capacités militaires des adversaires, quand la DGSE s’intéresse aux décisions politiques. Chacune des deux maisons recueille en permanence des informations, comme il se doit, pour nourrir l’échelon décisionnel, c’est-à-dire les responsables politiques et le chef d’état-major des armées.

M. le président Thomas Gassilloud. Vous avez dit que le renseignement sur la dissuasion était votre première priorité. Cela concerne-t-il aussi bien la force de frappe de nos adversaires que leurs capacités d’interception ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Cela concerne leurs capacités offensives et défensives.

M. le président Thomas Gassilloud. La direction des applications militaires (DAM), au Commissariat à l’énergie atomique (CEA), a des capteurs dans le monde entier pour détecter d’éventuelles explosions nucléaires. Vous apportent-ils également des informations relatives aux essais nucléaires ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Nous travaillons avec eux, effectivement, de la même façon que nous travaillons avec la DGA et les armées.

En ce qui concerne les communautés d’internautes, c’est un sujet sur lequel nous réfléchissons. Il existe des capacités d’expertise que nous n’avons pas forcément en propre. Nous faisons déjà appel à des réservistes ayant une expertise dans des domaines très techniques que nous ne serions pas en mesure de détenir en propre dans la durée, à entretenir parfois même, les personnes auxquelles nous faisons appel n’ont pas de contrat de réserve. Il ne faut pas être prisonnier d’un formalisme excessif, dans un monde où l’on a parfois besoin de compétences extrêmement variées ou relevant de niches. Je vise plutôt à développer notre carnet d’adresses en complément de l’augmentation du volume des réservistes.

Le recours à des communautés d’internautes est envisagé, mais la chose n’est pas simple. Il y a des risques d’instrumentalisation, la fiabilité des internautes doit être évaluée. Nous n’avons donc pas encore franchi le pas, et il me paraît compliqué de le faire.

M. le président Thomas Gassilloud. Nous espérons que le système d’information des réservistes opérationnels connectés (ROC) sera déployé et qu’il vous permettra, au-delà des réservistes servant dans votre direction, d’aller piocher dans les compétences qui s’y trouvent. Parmi les 40 000 réservistes des armées, je suis sûr que des dizaines parlent russe et pourraient être mobilisés ponctuellement pour exercer des missions de linguistes.

Merci beaucoup, général. Nous sommes désormais mieux renseignés sur la DRM. Nous serons mobilisés, dans le cadre de la LPM, pour que des moyens adaptés soient mis à votre disposition.