Loi de programmation militaire : vers une nouvelle réalité de la guerre pour la défense française ?

Loi de programmation militaire : vers une nouvelle réalité de la guerre pour la défense française ?

Vue détaillée de l'uniforme de l'armée française porté par les soldats dans une base militaire. Drapeau de français sur l'uniforme.
Les nouveaux défis de la loi de programmation visent à faire face à des ennemis d’une puissance symétrique. Les nouvelles technologies occupent notamment une place importante dans l’appréhension de ces conflits futurs. Shutterstock

 

Depuis le début de la guerre en Ukraine, plusieurs États européens ont réagi en allouant des budgets supplémentaires à leurs armées avec différents objectifs. C’est le cas de la France qui, à travers sa nouvelle loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, entend s’attacher à de nouvelles ambitions militaires, ou tout du moins réajuster les précédentes.

Cette réforme est-elle l’incarnation d’une nouvelle stratégie d’action pour les armées françaises, ou ne s’agit-il que d’un mouvement logique au vu de la situation internationale ?


De nouveaux contextes de guerre

Dans la nouvelle loi de programmation militaire, trois éléments importants sont à noter : le maintien de la dissuasion nucléaire comme « le cœur de notre défense en protégeant la France », le pari sur les technologies futures (comme « le domaine du spatial, du cyber, des drones, du quantique ou de l’intelligence artificielle ») et « notre capacité à faire face à un engagement majeur et à des affrontements de haute intensité ». Il existe bien sûr d’autres points importants, par exemple la question des guerres hybrides, qui associent des opérations militaires conventionnelles (forces armées, cyberguerre) et non conventionnelles (désinformation, attentats).

On pourrait se dire que le fait de conserver la dissuasion nucléaire comme le centre de la stratégie militaire de la France n’entraîne pas un changement de paradigme. Cependant, si nous pouvions espérer que l’arme nucléaire empêche les conflits (du moins avec les nations qui en possèdent), l’histoire a su montrer le contraire. Ainsi, les États-Unis ont par exemple refusé d’utiliser la bombe atomique contre la Corée du Nord en 195. Pour comprendre cela, il faut revenir à une vision clausewitzienne(issu de Claustwitz, penseur militaire prussien du XIXe siècle, dont les travaux sont toujours hautement considérés de nos jours.

La guerre n’est pas un simple déchaînement de violence entre deux entités, elle répond en réalité à des strates de violences, qui peuvent s’escalader, se figer, ou se désescalader. L’on peut ainsi mentionner des guerres régionales (Haut-Karabagh), de guerres totales (première Guerre mondiale), de guerres d’extermination (seconde Guerre mondiale, sur certains théâtres d’opérations).

L’arme nucléaire apporte désormais une nouvelle strate de violence : la guerre nucléaire. Ainsi, deux nations peuvent s’affronter ouvertement sans qu’aucun des camps ne veuille escalader le conflit jusqu’à ce stade. C’est notamment le cas actuellement de la guerre en Ukraine. Bien que cette dernière n’en possède pas, la Russie, elle, menace régulièrement d’en faire usage. Les forces de l’OTAN, bien qu’elles ne participent pas activement au conflit, ont toutefois prévenu la Russie qu’elles interviendraient militairement si cette dernière venait à franchir le seuil nucléaire.Pour l’heure, la Russie n’a pas fait usage de ces armes, n’entraînant donc pas une guerre nucléaire, alors qu’elle en a la capacité.

De nouvelles technologies

Les investissements dans de nouvelles technologies et la préparation vers des conflits de haute intensité constitueraient un changement de paradigme pour la France sur ses façons de faire la guerre, et contre qui elle les mène. Selon Michel Goya, ancien colonel de l’armée de Terre, historien et penseur militaire, après la fin de la guerre froide, l’armée française a dû composer avec de nouveaux types de conflits au travers des OPEX (Opérations Extérieures).

Le but de l’armée n’était donc plus un affrontement avec une grande puissance mais la lutte contre ce que l’on nommera des guérilleras et des techno-guérilleras, pour reprendre les termes du politologue belge Joseph Henrotin. Ce fait a certainement constitué un changement de paradigme pour les armées, tant cela a affecté leur culture et leur vision de la guerre.

Soldats français engagés en opération extérieure lors de l’opération Barkhane. Ici à Ansongo, Mali en Décembre 2015
Soldats français engagés en opération extérieure lors de l’opération Barkhane. Ici à Ansongo, Mali en Décembre 2015. Shutterstock

Les nouveaux défis de la loi de programmation ne visent plus à répondre à ce genre de conflit, mais à de nouveau faire face à des ennemis d’une puissance symétrique. Les nouvelles technologies occupent une place importante dans l’appréhension de ces conflits futurs.

Même si l’on ne peut encore tirer trop de leçons de la guerre en Ukraine, les drones semblent avoir pris une place importante dans les combats. La place nouvelle de ces engins n’est pas sans rappeler les travaux du philosophe Grégoire Chamayou, et les lourdes conséquences militaires et éthiques de leur emploi. D’autre part, certaines entités comme la société américaine Palantir, spécialisée dans la conception de logiciels de traitement de données au service de forces de police ou de renseignement, qui commencent à tester des IA (intelligence artificielle) capables de participer et d’aider aux décisions militaires. L’avenir nous dira si les réseaux d’informations, couplé aux IA et aux robots, formeront la base des armées futures, et ouvriront la voie sur de nouvelles manières de faire la guerre.

Vers une nouvelle réalité de la guerre ou une simple continuité de l’histoire ?

Pour l’heure, ces avancées technologiques sont encore très restreintes et ne s’ancrent que très partiellement dans les programmes de modernisation – comme le programme Scorpion, fer de lance de la modernisation des systèmes de communication de l’Armée de Terre.

Il faudra également voir quels dispositifs seront déployés pour les contrer (il existe déjà des systèmes de défense anti-drone comme le HELMA-P, capable de neutraliser un drone léger jusqu’à 1 kilomètre par un système laser. La guerre est toujours affaire d’adaptation et de riposte face aux nouvelles armes et méthodes de son adversaire (char/anti-char, mines/détecteur de mines, guerre sous-marine/guerre anti-sous-marine), et nous voyons peut-être dans ces nouveaux dispositifs ce même principe de riposte à une menace nouvelle.

Le fait d’investir ainsi dans ses armées pourrait être le signe d’une nation en guerre, ou d’une nation qui s’apprête à l’être. La question des évolutions budgétaires entre période de paix et de conflit a été étudié et conceptualisé sous le terme de « pause stratégique ».

Développée par Michel Goya, la pause stratégique théorise que la puissance militaire des États chute fortement dans les périodes de paix, et surtout d’après-guerre. L’idée étant que la nation n’a plus besoin de conserver une grande armée, et doit juste veiller à maintenir une capacité de mobilisation. Ainsi, entre chaque guerre, les dépenses militaires diminuent avant de remonter pour le prochain conflit. Pour un exemple, durant la Première Guerre mondiale, on estime qu’entre 15 % à 25 % de la richesse de la France est injectée dans les armées. Ce nombre tombe à 9 % à 1920, puis à 3,2 % en 1930, avant de remonter à 8,5 % en 1938.

Il est cependant faux de dire que la France a été en paix après la chute de l’URSS. Au contraire, nous nous sommes engagés dans de nombreuses opérations extérieures de maintien de la paix. Ces missions ont consisté à faire intervenir nos forces armées comme des forces de police dans des régions en crise dont nous n’étions pas les protagonistes.

Malgré cela, nous pouvons bien constater une diminution des budgets alloués aux armées après la chute de l’URSS (3 % du PIB en 1988 contre 2 % en 2001). L’objectif annoncé de la réforme n’est pour l’instant que de revenir à la barre des 2 %.

La nouvelle loi de programmation militaire est-elle un indice sur le fait que nous sommes en train de sortir d’une pause stratégique ?

Plus qu’une nouvelle réalité de la guerre, qui serait faite par les drones et pilotée par des intelligences artificielles ; nous pourrions voir dans le réarmement de nombreux États du monde la fin d’une période de paix, et craindre le retour davantage de conflits ouverts. En parallèle de la guerre en Ukraine, beaucoup de regards inquiets se tournent vers Taïwan et les intentions affichées de la Chine de s’en emparer. Le Moyen-Orient semble également engagé dans une course à l’armement depuis quelques années sous fond de tensions diplomatiques.

Nous pourrions aussi penser que cette période de tension est passagère, ou que l’idéologie pacifique développée en Europe après les deux guerres mondiales nous protégera de tout conflit externe de grande envergure. Quelle que soit notre position, l’avenir nous apportera nos réponses, là où la nouvelle loi de programmation militaire se veut une garante de « notre autonomie stratégique ».

Septentrion. Réflexion sur l’engagement de la France au Mali (2013-2022)

Septentrion. Réflexion sur l’engagement de la France au Mali (2013-2022)

 

 

par Ana Pouvreau – Revue Conflits – publié le 17 mai 2023


Après le retrait précipité de la force Barkhane du Mali en novembre 2022, la perte de 58 soldats français sur ce théâtre d’opération continue de hanter les mémoires. Dans son ouvrage intitulé Septentrion, le colonel François-Régis Dabas tente de dissiper les doutes, l’amertume et le chagrin en plongeant le lecteur dans un récit de guerre intense et en recontextualisant l’engagement français au Mali. 

De l’intervention française au Mali, les Français se souviennent que dès 2013, des troupes avaient été déployées dans le cadre de l’opération Serval, puis de l’opération Barkhane, un an plus tard, pour lutter contre les groupes armés salafistes djihadistes au Sahel et au Sahara, et ce, à la demande du gouvernement malien. Au cours de la dernière décennie, l’armée française perdit 58 soldats sur ce théâtre d’opération. Les cérémonies funèbres se succédèrent dans la cour d’Honneur de l’Hôtel national des Invalides à Paris en hommage à ces valeureux combattants tombés au combat, avec en point d’orgue la mort de treize soldats français, le 25 novembre 2019.

Hommages aux morts

Le 4 janvier 2021, alors que trois soldats français venaient de perdre la vie au Mali, la sergent Yvonne Huynh, 33 ans, mère d’un garçon de 12 ans, fut la première femme tuée au combat depuis le début de l’intervention française au Sahel. Cette mère de famille est décédée dans l’explosion de son véhicule blindé, tout comme son jeune camarade, le brigadier Loïc Risser âgé de 24 ans, provoquant un choc dans l’opinion publique.

En France, l’année 2021 fut par conséquent celle du doute et de la peur de l’enlisement, d’autant que l’on apprit que les nouvelles autorités maliennes parvenues au pouvoir après le coup d’Etat du mois d’août 2020, s’appuyaient désormais, aux dépens des Français, sur les mercenaires de la société militaire privée russe Wagner pour combattre les rebelles djihadistes du Nord-Mali. Le 9 novembre 2022, Emmanuel Macron annonça soudain  la fin de l’opération Barkhane1. La France allait retirer ses troupes. Une question surgit : à quoi avait donc servi la mort de tous ces soldats français au fil de ces années si éprouvantes pour les familles de ces militaires ?

Dans son ouvrage intitulé Septentrion2, le colonel de l’armée de terre, François-Régis Dabas, tente de dissiper les doutes, l’amertume et le chagrin en plongeant le lecteur dans un récit de guerre intense et en recontextualisant l’engagement français au Mali. Lui, reste convaincu que, « peu importe finalement l’engrenage qui mène à la fin d’Illion, ce sont les exploits des Achéens et des Atrides qui nous intéressent, pour goûter leurs vertus héroïques et faire grandir notre humanité ! ».

Au sein du Groupement tactique « Désert ardent » (GTD Ardent), l’unité de combat qu’il commanda au Nord du Mali, le colonel Dabas a participé, entre septembre 2016 et février 2017, à une phase décisive de l’opération Barkhane. Il a mené un combat direct contre Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) sur un terrain-clé, l’Adrar des Ifoghas, en plein cœur de l’Azawad, l’un des principaux massifs montagneux du Sahara. « Dans les périphéries du Sud algérien et du Nord malien, c’est le territoire des Touaregs qu’aucun des deux Etats concernés ne contrôle véritablement » écrit-il3. A la suite de la guerre civile algérienne (1991-2002) et de la guerre en Libye en 2011, l’Azawad est devenu un repaire de groupes salafistes djihadistes alimenté par un afflux de combattants. C’est sur ce territoire que la guerre au Mali avait éclaté en 2012 après que les rebelles touarègues en eurent proclamé l’indépendance. La France y a agi en partenariat avec la Mauritanie, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad et elle y a augmenté ses effectifs déployés dans le cadre de Barkhane de 3000 soldats au début de l’opération, jusqu’à plus de 5000 en février 2020.

Stopper les islamistes

Tandis que l’opération Serval avait pour objectif de stopper la progression des islamistes vers Bamako depuis le Nord-Mali l’opération Barkhane, à compter de l’été 2014, a été régionalisée sur une zone grande comme dix fois l’Hexagone. En France, après les attentats islamistes meurtriers de 2015 et 2016, le doute n’était plus permis : il fallait agir. Comme le rappelle l’auteur : « Pour les hommes et les femmes du GTD Ardent et pour moi-même, la mission est sacrée : nous partons combattre et anéantir le serpent islamiste en terre africaine pour protéger nos compatriotes sur le territoire national »4. Le gouvernement français met alors en exergue le rôle bénéfique de Barkhane au profit des populations locales qu’elle entend protéger des groupes terroristes5.

Dans l’Adrar des Ifoghas, le GTD Ardent du colonel Dabas, fort de 800 combattants, s’est notamment retrouvé aux prises avec le groupe touareg Ansar Edin soutenu par l’AQMI. Sa mission était d’en neutraliser le potentiel de combat, dans le cadre d’une phase d’effort du plan de campagne stratégique, la phase « Septentrion »6. S’en sont suivis, pour les forces françaises, des combats acharnés dans un environnement désertique particulièrement hostile à toute présence humaine, où la température avoisinait souvent les 50°C.

Combats féroces

Quelques années plus tard, l’enthousiasme du début de l’opération s’est progressivement estompé en raison de la férocité des combats et des pertes humaines qui en ont résulté. La presse française s’est alors mise à évoquer les difficultés pour la France d’évoluer au Mali dans « un environnement local gangrené par la corruption et les contentieux entre les chefs traditionnels, les trafiquants d’armes, de migrants et de drogue, sur fond de corruption du pouvoir central »7 selon le journal Le Monde du 14 janvier 2020. Le piège menaçait alors de se refermer sur le gouvernement désormais confronté au dilemme suivant : poursuivre le combat en accroissant inévitablement le risque d’enlisement et de compromission avec des armées locales prédatrices ou se retirer. Ce qui aurait eu pour conséquence de « livrer les pays du Sahel et leurs populations au chaos et à l’emprise d’une dictature religieuse ». 

Puis, on annonça qu’une junte militaire, hostile à la France, avait pris le pouvoir à Bamako, le 19 août 2020, à la suite d’un coup d’Etat. Les autorités françaises annoncèrent une réduction prochaine des effectifs de la force Barkhane et se dirent ouvertes « à des négociations avec des groupes sahéliens, à l’exception des directions d’Al-Qaïda et du groupe Etat islamique »8. Ce positionnement a marqué le début de la fin de l’engagement de la France au Mali.

Erreurs religieuses

Comment expliquer cet échec ? Peut-être aurait-il fallu aborder la guerre au Mali sous un angle différent. Pour l’éminent spécialiste de l’Afrique Bernard Lugan9, la grande erreur qui a été faite par les décideurs politiques français, « c’est de croire que le problème c’est la question religieuse ». « L’islamisme au Sahel », analyse-t-il, « n’est que la surinfection de plaies ethniques millénaires », ajoutant que même si demain les groupes djihadistes étaient tous détruits, les problèmes entre les peuples du Nord – des peuples guerriers nomades qui cultivent la vertu de la minorité et de la guerre – et les peuples du Sud, majoritaires et sédentaires, persisteraient. L’islam, dans ces régions, date de quelques siècles. En revanche, l’opposition entre Sudistes et Nordistes date du Néolithique. Après la disparition de l’immense Afrique occidentale française (AOF), de nouvelles frontières sont apparues et les rapports de force entre des peuples multimillénaires ont été bouleversés, mais on assisterait aujourd’hui à un retour à l’ordre ancien dans la zone sahélienne10. En ce qui concerne l’avenir proche, alors que la France a récemment rapatrié au Niger ses moyens qui étaient au Mali et au Burkina Faso, on peut s’interroger sur la pérennité de cette stratégie, attendu que l’Etat nigérien est lui-même en guerre sur quatre fronts.

La poursuite de cette réflexion sur les conséquences pour la France de son engagement au Mali demeure nécessaire. En effet, alors que l’exercice militaire de grande ampleur « Orion », le plus vaste depuis 30 ans, vient de se dérouler sur fond de guerre en Ukraine, en vue de préparer les armées françaises à un conflit de haute intensité en durcissant leur entraînement, il faut affronter l’idée angoissante d’un engagement potentiel de nos forces dans « la guerre de demain ». C’est de cette réflexion que naîtra, il faut l’espérer, l’idée qu’il faut par tous les moyens, œuvrer en faveur de la paix et refuser de se laisser entraîner dans un conflit sanglant.


1 Barkhane avait succédé aux opérations Serval au Mali (11 janvier 2013 – 1er août 2014) et Epervier au Tchad (13 février 1986 -1er août 2014).

2 François-Régis DABAS : Septentrion, Paris, Mareuil Editions, 2023.

3 Septentrion, p. 205.

4 Septentrion, p. 29.

5 Septentrion, p.109.

6 https://www.dailymotion.com/video/x8j5hmc

7 https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/01/14/paris-face-aux-nouveaux-defis-du-djihad-sahelien_6025820_3232.html

8 https://www.lefigaro.fr/actualite-france/deux-soldats-francais-tues-samedi-au-mali-20210102

9 https://www.youtube.com/watch?v=VVPww3GUT-A

10 Bernard Lugan : Histoire du Sahel des origines à nos jours, Paris, Editions du Rocher, 2023.

Ana Pouvreau

Spécialiste des mondes russe et turc, docteure ès lettres de l’université de Paris IV-Sorbonne et diplômée de Boston University en relations internationales et études stratégiques. Éditorialiste à l’Institut FMES (Toulon). Auteure de plusieurs ouvrages de géostratégie. Auditrice de l’IHEDN.
 

Enlèvement d’Olivier Dubois : une enquête pointe des défaillances de l’armée française

Enlèvement d’Olivier Dubois : une enquête pointe des défaillances de l’armée française

Les militaires français de l’opération Barkhane, au Sahel, auraient tenté d’utiliser le journaliste français pour localiser un chef djihadiste.

 

Par M.P. avec AFP – Le Point – publié le 16 mai 2023

https://www.lepoint.fr/monde/enlevement-d-olivier-dubois-une-enquete-pointe-des-defaillances-de-l-armee-francaise-16-05-2023-2520451_24.php

La force francaise Barkhane etait informee du projet du journaliste francais de rencontrer dans le Nord-Mali un dirigeant djihadiste affilie a Al-Qaida, via un fixeur servant d'indicateur aux armees. Les militaires ont envisage d'utiliser cette prise de rendez-vous pour localiser cet emir avant de renoncer en raison des risques encourus.
La force française Barkhane était informée du projet du journaliste français de rencontrer dans le Nord-Mali un dirigeant djihadiste affilié à Al-Qaïda, via un fixeur servant d’indicateur aux armées. Les militaires ont envisagé d’utiliser cette prise de rendez-vous pour localiser cet émir avant de renoncer en raison des risques encourus. © YVES HERMAN / POOL / AFP

Le Commissariat des armées développe de nouveaux matériels de campagne pour les forces en opération

Le Commissariat des armées développe de nouveaux matériels de campagne pour les forces en opération

 

https://www.opex360.com/2023/04/30/le-commissariat-des-armees-developpe-de-nouveaux-materiels-de-campagne-pour-les-forces-en-operation/


 

« Le campement de Constanta a été construit à la hâte. Sur un champ, quatre tentes kaki en guise de poste de commandement. Un peu plus loin, les soldats belges et français sont abrités dans de grandes tentes blanches. Il y fait étouffant à l’intérieur et les lits de camps sont collés les uns aux autres. Les soldats utilisent des filets de camouflage comme séparateurs de ‘pièces’ [afin] d’avoir […] un peu d’intimité », avait ainsi décrit le quotidien Het Laatste Nieuws , en mars 2022.

Depuis, et afin d’accueillir un millier de soldats dans de bonnes conditions, un camp militaire a été construit à Cincu – et dans un temps record – par les les sapeurs des 19e et 31e Régiment du Génie, avec le renfort de leurs homologues roumains, belges et néerlandais. « Au total, plus de 6 hectares à flanc de colline ont été aménagés au profit des combattants de la mission Aigle, nécessitant 120’000 tonnes de matériaux. Une opération réussie, grâce à la bonne complémentarité du génie militaire et du service d’infrastructure de la défense », a ainsi fait valoir l’armée de Terre, au moment de son inauguration, en novembre dernier.

Cependant, et alors que les opérations françaises ont souvent été menées dans de pays chauds au cours de ces derniers années [même si l’Afghanistan connaît des hivers rigoureux…], cette ouverture de théâtre en Roumanie a donné à un retour d’expérience [RETEX], qui s’est traduit par une nouvelle feuille de route donnée au Service du Commissariat des Armées [SCA], celui-ci étant chargé de faire évoluer le soutien des forces dans trois domaines, à savoir l’équipement, l’alimentation « opérationnelle » [les besoins alimentaires n’étant pas les mêmes selon les milieux] et le matériel de campagne.

« Aujourd’hui, le point de départ de l’innovation est le besoin exprimé par les armées. Pendant longtemps, nous étions […] plutôt centrés sur les théâtres d’opération en zones chaudes. L’actualité nous a réorientés vers le flanc Est de l’Europe, ce qui nécessite une réévaluation constante et une adaptation du paquetage, tout en prenant en compte les évolutions technologiques », a résumé le commissaire général de deuxième classe [CRG2] Éric Neumann, le directeur du Centre interarmées du soutien équipements du Commissariat [CIEC], dans les pages du magazine « Soutenir ».

Ainsi, le paquetage a été revu et complété par de nouveaux effets « zone froide », censés protéger le combattant quand le thermomètre indique -21°c. Plus généralement, il s’agit de lui fournir « tous les effets » devant lui permettre « d’affronter tout type de météo dans n’importe quelle zone géographique et/ou relief ». Et cela peut se jouer sur des détails, comme la dotation de sur-bottes afin de facilter les déplacements dans la boue.

En tout cas, dès cette année, les militaires de l’armée de Terre pourront remiser au placard leur veste polaire, jugée trop lourde et trop encombrante, celle-ci devant être remplacée par une « veste thermique polyvalente » [VTP], dont 40’000 ont été commandées.

D’autres effets, encore en cours de « développement », comme les chaussures « grand froid », les sous-vêtements, les mouffles et les tours de cou, seront intégrés au paquetage commun. « Cette spécificité du vêtement ‘froid’ devient un enjeu majeur pour nos armées. La division ‘habillement » du CIEC opère une bascule stratégique de ses marchés ‘habillement’ afin de répondre au plus vite aux nouveaux besoins », explique un sous-officier du bureau « effets de combat ».

Outre le paquetage, les matériels « projetés » vont aussi évoluer. L’idée est de gagner en réactivité afin de fournir un « soutien de proximité » dès l’ouverture d’un théâtre. « Aujourd’hui, l’armée de Terre souhaite que l’on développe un nouveau concept d’emploi et une nouvelle gamme de produits pour être au plus près des forces. L’action militaire sera de plus en plus intense et le temps de repos de plus en plus court. Le soutien doit donc se rapprocher des forces », explique le commissaire en chef de première classe [CRC1] « Alexandre ».

Là, il s’agit de mettre au point des matériels à la fois « plus mobiles » afin d’accélérer leur déploiement. Ce sera ainsi le cas de la « cuisine de campagne », qui devra être opérationnelle dès l’arrivée des forces dans la zone d’opération, l’objectif étant de limiter – si ce n’est d’éviter – la consommation de rations de combat durant les premiers jours. Un prototype devrait être prêt dès cette année. Et en fonction du résultats des essais, un marché pourrait être notifié en 2027/28.

Les tentes vont aussi évoluer afin de tenir compte des conditions climatiques froides. « Un adaptation est en cours, afin d’y inclure une ‘surcouche’ », précise Soutenir. D’une surface de 54 mètres carrés, la nouvelle tente de campagne aura ainsi une isolation renforcée et permettra d’abriter huit combattants [chacun ayant une chambre individuelle]. Elle pourra être montée en 10 minutes.

Quant l’alimentation [et outre la cuisine de campagne], le CIEC travaille à l’amélioration des rations de combat individuelle, notamment celles qui sont lyophilisées, qui permettent de réduire le poids du paquetage tout en ayant les mêmes caractéristiques nutritionelles que les « rasquettes » classiques.

Cela étant, un nouveau concept de restauration en opération est en cours de développement : celui de la ration collective [ou de groupe], qui doit permettre de nourrir 32 combattants pendant une journée [soit trois repas, avec le choix entre deux menus pour chacun d’entre eux. « Nous partons du principe que l’intérêt premier du militaire est la variété. La sécurité alimentaire est certes essentielle, mais la variété alimentaire et la convivialité le sont tout autant, voire même davantage, pour le moral de nos forces », a justifié le CRG2 Neumann.

Ces rations de groupe sont actuellement en phase d’expérimentation. Et les premiers retours sont positifs. Seulement, étant donné leur « poids logistique », elles ne seront pas forcément adaptées à toutes les missions.

L’invention de ce militaire a séduit les forces spéciales françaises et américaines

L’invention de ce militaire a séduit les forces spéciales françaises et américaines

Armurier à la BA105 d’Évreux, Killian Pezet est revenu d’une mission avec l’envie de créer un établi mobile pour entretenir les différents équipements. Son innovation a été primée.

 

Artac
Killian Pezet, lors de la présentation de son invention à un salon d’innovation militaire. ©Photo fournie par Killian Pezet.

Militaire à la base aérienne 105 d’Évreux (Eure), Killian Pezet se définit comme quelqu’un de discret. Pourtant, depuis quelques jours, il se retrouve sous les projecteurs grâce à son invention primée lors d’un prestigieux salon dédié à l’innovation militaire.

Originaire de Cherbourg, le jeune homme de 24 ans est arrivé à la BA105 il y a cinq ans et demi. Un brevet professionnel en poche, il a suivi les traces de son père et est devenu armurier. Un poste « assez rare » (il y en a quatre ou cinq par base) qui consiste à entretenir, réparer et modifier les armes, du pistolet au fusil d’assaut utilisé en mission.

Une armurerie mobile

C’est lors d’une opération extérieure (Opex) dans le Sahel que les premières graines de son innovation ont germé. En tant qu’armurier, il est installé sur une grande base, quand bon nombre de militaires sont situés dans des avant-postes à deux heures de vol.

Lorsqu’ils ont besoin de réparer leurs armes, ces derniers sont obligés d’attendre la fin de leur mission et doivent se déplacer avec tout leur équipement jusqu’à la base. Une galère logistique.

Je me suis demandé pourquoi l’armurerie n’irait pas au plus près de nos hommes.

Killian Pezet

De retour en France après cinq mois de mission, il propose son idée : « Condenser tous les moyens techniques et technologiques d’une armurerie dans un caisson d’un mètre cube. » Une armurerie mobile en somme. La boîte doit être transportable en avion et larguée sur les terrains de conflits si besoin.

Une fois déployée, elle devient une table de 2 m de largeur et de 70 cm de longueur composée de tiroirs comportant l’outillage nécessaire à la réparation et au nettoyage des armes, les pièces, les ingrédients (huiles, colles…), les tablettes (principalement utilisées pour indiquer la marche à suivre pour chaque arme), les éclairages, microscope et endoscope… « Chaque centimètre est utilisé pour caler et emporter le plus de choses », résume l’inventeur.

Une maquette avec des déchets

Dans un premier temps, ses collègues pensent à une blague. Pas de quoi désarmer le jeune caporal. « Il a fallu démontrer que j’y croyais fort. Au pire on m’aurait dit que c’était nul. Au mieux ça marchait », explique-t-il, simplement. Il prend ses soirées pour se former à la modélisation en trois dimensions afin de présenter son projet aux autorités.

Un sens de la débrouille qui fait mouche, puisqu’à l’automne 2021, son exposé suscite l’intérêt des autorités. Killian Pezet réalise une maquette en bois à peu de frais, notamment en se servant de déchets et en faisant appel aux menuisiers de la BA105, afin de montrer son concept.

Artac
L’établi Artac créé par Killian Pezet. ©Photo fournie par Killian Pezet.

Pour le prototype, il obtient un financement de la Direction générale de l’Armement (DGA), qui tient les cordons de la bourse. Ayant la possibilité de compter sur un budget imposant, le caporal se limite à 15 000 €. « Je n’avais pas besoin de plus », assure-t-il.

Un coût maîtrisé grâce aux capacités de recherche et de fabrication au sein même de l’armée française. Il met à contribution l’atelier industriel de la base de Bordeaux, unique en France, « qui peut tout construire ». Surtout, cette phase permet à son invention de passer entre les mains d’ingénieurs qui peuvent aller dans le détail.

« Être autonome à 100 % »

Si le caisson de l’inventeur ébroïcien est crédible, c’est avant tout parce qu’il est issu « de l’expérience du terrain et qu’il n’a pas été commandé dans un bureau ». Deux panneaux solaires dépliables permettent de recharger tablettes et éclairages si aucune prise n’est disponible. « L’idée, c’est d’être autonome à 100 % », appuie Killian Pezet.

Le côté table de camping pliable est totalement assumé par le jeune homme, qui a voulu rendre le tout simple d’utilisation.

On met moins de soixante secondes à le déployer. Le but, c’est que l’on ne se pose pas de question et qu’on ne le casse pas.

Killian Pezet

Le plan de travail, totalement magnétique, a lui aussi été pensé pour répondre aux exigences du terrain. « Il faut éviter que les petites vis tombent et roulent dans le sable », précise celui qui se définit lui-même comme un « bricoleur maladroit ». Seul véritable « point noir » du paquetage : son poids. Il pèse une centaine de kilos, mais le caporal a trouvé l’alternative en y ajoutant un système de chariot pour qu’un seul homme soit en mesure de le tirer, quel que soit le terrain.

« Mieux que le concours Lépine »

Fin mars, Killian Pezet a participé au salon SOFINS (special operations forces specials network seminar) à Bordeaux. Un événement très fermé qui se tient tous les deux ans et pour lequel il faut montrer patte blanche.

Ça réunit les forces spéciales du monde entier et les industriels qui fabriquent les gadgets à la James Bond.

Killian Pezet

Parmi la cinquantaine d’innovateurs présents, il a gagné le prix dans la catégorie GCOS (général commandant les opérations spéciales). « C’est mieux que le concours Lépine », assure-t-il. Un prestige, mais surtout « une crédibilité gigantesque » pour l’invention et l’inventeur.

C’est à cette occasion que Killian Pezet a choisi le nom d’Artac (Armurerie tactique). Un intitulé plus punchy que Caisse projetable d’entretien des armes (CPEA), et surtout plus facile à dire. « Je bégayais beaucoup, j’aurais loupé la prononciation », confie l’inventeur ébroïcien. Pourtant, pendant les quatre jours du salon, son handicap ne l’a pas gêné : « Je savais exactement de quoi je parlais, ça a aidé. »

Killian Pezet
Le caporal Pezet a gagné le prix dans la catégorie GCOS (général commandant les opérations spéciales) lors d’un salon dédié à l’innovation militaire. ©Photo fournie par Killian Pezet


Artac killian pezet évreux
L’armurerie mobile de Killian Pezet peut être larguée depuis un avion. ©Photo fournie par Killian Pezet

Des entreprises intéressées

L’armée française a déposé le brevet pour son usage et Killian Pezet peut en faire ce qu’il veut pour le civil. Il a déjà été approché par des entreprises qui gèrent des pipelines au Moyen-Orient qui voudraient utiliser le caisson.

Car la structure pourra s’adapter à différents clients en fonction de leurs besoins : armes spécifiques aux différents corps (armée conventionnelle, forces spéciales, GIGN, Raid…), réparation de drones, réparation d’hélicoptères, camions…

L’invention a d’ailleurs beaucoup plu aux forces spéciales américaines.

Mais avant de penser à la vendre, Killian Pezet travaille sur sa version finale, « qui doit être efficace sur le terrain ». Pour ça, pas de secret : l’expérience. « On essaye de le malmener », s’amuse l’inventeur. Le caisson est confié à d’autres personnes « un peu plus brutales » pour tester sa solidité. Prochaine étape : un largage en avion.

Près de 400 ressortissants évacués grâce à l’opération Sagittaire

Près de 400 ressortissants évacués grâce à l’opération Sagittaire

– Forces opérations Blog – publié le

Déclenchée hier à l’aube, l’opération Sagittaire a déjà permis d’évacuer près de 400 Français et étrangers hors du territoire soudanais, annoncent les ministères des Armées et de l’Europe et des Affaires étrangères ce matin dans un communiqué conjoint. 

Environ 150 militaires français ont été déployés dans la région de Khartoum pour mener une opération aux airs de déjà vu. L’enjeu ? Évacuer au plus vite le personnel diplomatique, les ressortissants français et d’autres nations qui le souhaitent de la capitale soudanaise, en proie depuis 10 jours à d’intenses combats entre forces armées soudanaises et Forces de soutien rapide. 

Deux nouvelles rotations ont été assurées par les avions de transport de l’Armée de l’Air et de l’Espace hier en fin de journée et ce matin, précisent les deux ministères. Chacune des aura permis de rapatrier une centaine de personnes, portant à 388 le nombre de ressortissants accueillis sur la base aérienne 188 de Djibouti, dont « un nombre significatif de citoyens » de 28 pays européens, américains, africains et asiatiques.

D’une « extrême complexité » et conduite en interarmées et en interministériel, l’opération Sagittaire a nécessité, dès le 18 avril, la mise en alerte et l’envoi de renforts à Djibouti et au Tchad grâce à trois avions A400M et un C-130 de l’AdlAE. Les Forces françaises stationnées à Djibouti (FFDj) ont en parallèle oeuvré à la mise en place d’un centre de regroupement et d’évacuation. 

Crédits image : EMA

Armée française au Sahel : Les bonnes questions

Armée française au Sahel : Les bonnes questions

 

par Eric Stemmelen (*) – Esprit Surcouf – publié le 20 avril 2023
Commissaire divisionnaire honoraire de la police nationale

https://espritsurcouf.fr/defense_armee-francaise-au-sahel-les-bonnes-questions_par_eric-stemmelen_n212-210423/


Policier, mais ayant exercé de multiples responsabilités à l’étranger, l’auteur a acquis une grande expérience dans le domaine de la sécurité (il a été consulté par les militaires au Mali). Cela lui permet de s’interroger sur le maintien de la présence militaire française au Sahel.

Les années soixante ont vu les pays africains acquérir leurs indépendances par rapport aux anciennes puissances coloniales. Tous les pays européens concernés (Espagne, Portugal, Allemagne, Belgique, Royaume-Uni, Italie) ont laissé leurs anciennes colonies se développer assez librement. Seule la France n’a pas réellement coupé les liens d’une part en attachant le franc CFA à la monnaie française, et d’autre part en laissant sur place un fort contingent militaire et une importante coopération civile et militaire définie par de nombreux accords. Cette démarche, qui a eu du succès au travers de ce que l’on a pu appeler la Françafrique, trouve maintenant ses limites avec un rejet croissant des liens entre ces pays et la Métropole.

Présence militaire

Sur le plan militaire, seule la France garde des capacités d’intervention en Afrique. On se souvient par exemple de l’opération Licorne en Côte d’Ivoire, lancée en septembre 2002 et qui ne s’est terminée qu’en janvier 2015.

Sous mandat de l’ONU, à la tête d’une coalition internationale, l’armée française est intervenue en Libye en 2011 (opération Harmattan) pour mettre fin au régime dictatorial de Kadhafi, qui meurt le 20 octobre 2011. Cette même année, à Benghazi,  des milliers de Libyens font un triomphe à Nicolas Sarkozy. Douze ans après, cette victoire a un goût amer : déstabilisation de toute la zone, trafics en tous genres, en particulier d’êtres humains, montée de l’islamisme et du terrorisme, conflits locaux, etc.…

Au Sahel, dès 1983, l’armée française intervient au Tchad (opération Manta, puis opération Épervier) Ensuite est venue l’opération Serval au Mali en 2013, avec l’accueil triomphal de François Hollande à Tombouctou suite au succès militaire français (10 ans après, la France est chassée du Mali),  l’opération Barkhane en 2014 (dont la fin est annoncée par le Président Macron en novembre 2022), l’éphémère opération Takuba (2020 – 2022), etc… Les succès obtenus sur le terrain contre les milices djihadistes sont des combats gagnés, mais la guerre contre le terrorisme islamiste n’est pas gagnée.

Cela fait maintenant 10 ans que l’armée française est engluée dans cette région grande comme l’Europe, sans véritable soutien des autres pays européens, mais bien aidée sur le plan renseignement opérationnel par les Américains. Nous y avons mobilisé en permanence jusqu’à 5 000 soldats, dont plus de 50 y ont trouvé la mort. Pour quel résultat dans des pays où les coups d’État sont fréquents et où la population ne soutient pas la France ?  

Opération Barkhane, évacuation d’un blessé. Photo MinArm

Aucune  chance de victoire

La guerre menée contre les terroristes islamistes au Sahel, n’a aucune chance d’être gagnée, pour les raisons suivantes, non exhaustives.

L’opération militaire était justifiée au départ dans le cadre des accords d’assistance militaire avec les pays de la région, mais elle aurait dû se terminer aussi rapidement qu’elle avait commencée, comme cela fut le cas lors de l’opération aéroportée de Kolwezi en mai 1978.

La France n’est pas chez elle au Sahel, et l’armée française est apparue comme une armée d’occupation occidentale. Un sondage,  réalisé selon la méthode des quotas du 4 au 9 décembre 2019 dans le district de Bamako, sur un échantillon de 1 320 personnes de 18 ans et plus, indiquait que 82 % des Maliens avaient une opinion défavorable de la France et qu’inversement 83 % de la population avait une opinions favorables de la Russie. Mais ce sondage n’est pas représentatif de toute la population du Mali, car réalisé uniquement dans le district de la capitale Bamako. Ce sentiment anti-français est bien évidemment exploité par les islamistes, comme l’imam  Mahmoud Dikko qui, devant des dizaines de milliers de sympathisants, prononce un discours édifiant : « Pourquoi c’est la France qui dicte sa loi ici ? Cette France qui nous a colonisés et continue toujours de nous coloniser et de dicter tout ce que nous devons faire. Que la France mette fin à son ingérence dans notre pays ». Ce sentiment est également présent au Burkina Faso et au Niger et se traduit par des manifestations violentes contre la France.

Les autorités locales sont incapables d’apporter non seulement la sécurité aux populations, mais aussi un développement économique, alors que les islamistes suppléent à ces carences des États, dirigés souvent par des gouvernements corrompus et issus de coups d’État à répétition.

Sur le terrain, l’absence quasi totale des militaires des autres nations européennes est un handicap majeur malgré le soutien indispensable des services de renseignement américains. Mais rien ne dit que les Américains resteront sur zone.

L’intervention dans la région de la milice armée Wagner, composée d’anciens condamnés de droit commun, soutenue par le gouvernement russe de Poutine, a pour objectif de s’accaparer les ressources, notamment minières, des pays concernés en répandant la haine contre la France. Les  miliciens de Wagner ont ceci de commun avec les djihadistes : ils emploient les mêmes méthodes (tortures, terreur, désinformation …) et ne s’embarrassent aucunement de respecter les droits de l’homme et les valeurs démocratiques chers à la France et à son armée.

Les islamistes ont pour eux le nombre, l’idéologie, le temps et le soutien financier, apporté non seulement par les trafics en tout genre (drogues, êtres humains…), mais aussi par les pays du Golfe par le biais d’associations caritatives. Ce phénomène du double jeu  de ces pays dure depuis des années sans qu’il ne soit dénoncé et combattu de façon efficace par les gouvernements européens,  notamment pour des raisons économiques. L’islamisme et le terrorisme gagnent chaque jour du terrain dans toute l’Afrique, du Sahel jusqu’au golfe de Guinée, c’est aussi cela la réalité. Aucun pays de la région ne sera à l’abri de cette menace.

Enfin et contrairement à une opinion  largement répandue par les responsables politiques français de la majorité et de l’opposition, et repris sans analyse par les médias, il n’y a pas de liens avérés, à l’heure actuelle, entre le terrorisme en Europe, et en particulier en France, avec le terrorisme au Sahel.

Présence française au Sahel

Il ne reste en réalité que deux justifications au maintien de l’armée française au Sahel et au-delà en Afrique : partir est considéré comme une défaite ; partir laisserait sans défense les milliers de Français expatriés dans ces pays.

Néanmoins, la question mérite d’être posée : la France doit-elle rester influente au Sahel ? Cette région nous coûte 10 milliards d’euros par an et ne représente que 0,25 % de notre commerce extérieur. Le départ de la France peut provoquer une période d’anarchie, mais peut aussi permettre une réorganisation territoriale et politique des pays du Sahel.

Cette guerre, qui a coûté des vies et de l’argent,  ne pouvait donc pas être gagnée pour toutes les raisons expliquées ci-dessus. Peut-on accepter indéfiniment de voir nos soldats risquer leur vie, sans perspective compréhensible, en pensant qu’ils seraient quand même plus utiles sur le territoire national ou sur le sol européen ?

(*) Eric Stemmelen, commissaire divisionnaire honoraire, a effectué sa carrière en France et à l’étranger. En France, d’abord à la direction centrale de la police judiciaire, puis dans les organismes de formation et enfin au service des voyages officiels. Responsable de la sécurité des sommets internationaux et des conférences internationales, chargé de la protection rapprochée des Chefs d’Etat et de Gouvernements étrangers, il a été  mis comme expert à la disposition du ministère des affaires étrangères, pour la sécurité des ambassades françaises, de leur personnel et des communautés françaises dans de nombreuses capitales (Beyrouth, Kaboul, Brazzaville, Pristina, entre autres). Diplômé de l’Académie Nationale du FBI, auditeur de l’IHESI, il est aujourd’hui consultant et expert dans les domaines de la  Sécurité (au Conseil de l’Europe, par exemple). 

Eric Stemmelen a publié dans nos colonnes « criminalité et délinquance, un bilan catastrophique » et « lutte contre l’insécurité : inadaptée et inefficace », respectivement les 10 février et 10 mars derniers.

Forces françaises en Afrique : de quelles bases l’armée dispose-t-elle encore ?

Forces françaises en Afrique : de quelles bases l’armée dispose-t-elle encore ?

Les faits

Le président Emmanuel Macron a annoncé lundi 27 février « une diminution visible » des forces françaises en Afrique et « un nouveau modèle de partenariat ». Après le départ des troupes de Centrafrique, du Mali et du Burkina Faso, quelques milliers d’hommes sont encore stationnés sur le continent.


Forces françaises en Afrique : de quelles bases l’armée dispose-t-elle encore ?

Le plus important contingent de forces françaises sur le continent africain est implanté à Djibouti. Ici, des forces spéciales françaises participent à un entraînement militaire dans le désert du Grand Bara au sud de Djibouti le 4 février 2021.DAPHNE BENOIT/AFP

Le président de la République française, Emmanuel Macron, a annoncé lundi 27 février « une diminution visible » des effectifs militaires français en Afrique et a promis un « nouveau modèle de partenariat », impliquant « une montée en puissance des partenaires africains ».

Alors que le sentiment antifrançais croît rapidement sur le continent, il a déclaré une évolution des emprises françaises en Afrique. « Il n’y aura plus de bases militaires en tant que telles », a-t-il affirmé en précisant que, désormais, elles seraient « cogérées » avec les pays partenaires. « Demain, notre présence s’inscrira au sein de bases, d’écoles, d’académies qui seront cogérées », a-t-il affirmé lors d’un discours sur la politique africaine de la France.

L’année dernière, les troupes françaises sont parties de Bangui en Centrafrique. Avec la fin de l’opération Barkhane, les militaires ont quitté à l’été 2022 le Mali où ils étaient depuis 2013. En janvier dernier, le Burkina Faso a demandé le départ des forces spéciales de l’opération Sabre, au nombre de 400 environ, basées à Ouagadougou. La France conserve encore une emprise importante en Afrique, avec des bases implantées depuis des décennies, parfois depuis l’indépendance des pays. La France possède quatre bases permanentes – Sénégal, Côte d’Ivoire, Gabon et Djibouti – et déploie des troupes dans le cadre d’opérations précises au Niger et au Tchad.

Éléments français au Sénégal à Dakar

350 hommes sont présents à Dakar, au sein d’un pôle opérationnel de coopération à vocation régionale, depuis 2011. Les éléments français assurent notamment la formation des soldats des pays de la région.

Forces françaises en Côte d’Ivoire à Abidjan

Une base opérationnelle française est implantée sur le sol ivoirien, à la suite d’un partenariat de défense signée en 2012 entre Paris et Abidjan et la fin de l’opération Licorne, de maintien de paix, en 2015. Et 950 hommes sont présents dans cette zone d’intérêt stratégique.

Éléments français au Gabon à Libreville

Des troupes y stationnent depuis l’indépendance du pays en 1960 et conformément aux accords de défense d’août 1960 et de 2011 entre Paris et Libreville. La position du Gabon est stratégique. Elle permet de soutenir les opérations menées en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale et de déployer rapidement des hommes. 350 hommes sont présents, dont des compagnies de régiments d’élite pour l’« instruction forêt » de l’armée, c’est-à-dire l’entraînement au combat en zone boisée.

Les forces françaises stationnées à Djibouti

Les troupes françaises y sont implantées depuis l’accession du territoire à l’indépendance en 1977, d’abord dans le cadre d’un protocole provisoire fixant les conditions de stationnement. Un nouvel accord de défense est en vigueur depuis 2014.

C’est le contingent militaire français le plus important hors de France. 1 500 hommes issus des armées de terre, de l’air et de la marine sont présents à Djibouti, relais indispensable pour les projections de forces vers l’Indo-Pacifique. C’est un lieu d’entraînement des forces spéciales. Enfin, la marine nationale contribue à la lutte contre la piraterie en mer Rouge et autour de la Corne de l’Afrique.

Le Niger, principal point d’appui au Sahel

Depuis que la France s’est désengagée du Mali et a ainsi divisé sa présence par deux au Sahel, le Niger est désormais le principal point d’appui français dans la zone du Sahel, avec 2 000 hommes, pour sécuriser la frontière entre le Mali et le Niger et limiter les risques de déstabilisation.

Les Français maintiennent à Niamey une base avec plus d’un millier d’hommes et des capacités aériennes. L’objectif est de fournir un appui opérationnel et du renseignement dans le cadre d’un « partenariat de combat » avec les forces armées nigériennes (FAN), déployées avec des soldats français face aux djihadistes liés à Al-Qaida ou au groupe État islamique dans le Grand Sahara.

Le dispositif français au Tchad

Plus ancien déploiement français sur le continent encore actif, le dispositif français au Tchad est passé de l’opération Épervier lancée en 1986 à l’opération Barkhane visant à stabiliser le Sahel en 2014. La principale base de l’armée française au Tchad se trouve à N’Djamena, avec une base aérienne projetée qui compte des avions de chasse et de transport et une force de projection terrestre.

C’est le cerveau des forces françaises présentes au Sahel depuis lequel sont pilotées les actions contre les groupes djihadistes. L’armée française utilise également des bases opérationnelles de l’armée tchadienne dans le nord du pays pour éventuellement projeter ses soldats. C’est le cas des bases de Faya et d’Abéché.

Macron annonce une nouvelle réduction des effectifs militaires en Afrique

Macron annonce une nouvelle réduction des effectifs militaires en Afrique

Lors d’un discours à l’Élysée lundi, Emmanuel Macron a annoncé une prochaine « diminution visible » des effectifs militaires français en Afrique.© STEFANO RELLANDINI / POOL / AFP

 

Depuis l’Élysée, le chef de l’État a fait plusieurs annonces concernant l’Afrique ce lundi, alors qu’il s’apprête à entamer une tournée en Afrique centrale.

Par Q.M. avec AFP – Le Point –  Publié le



 

Côte d’Ivoire : la « réarticulation » de la présence militaire française enclenchée

Côte d’Ivoire : la « réarticulation » de la présence militaire française enclenchée

CAP. Alors que l’exécutif planche sur une nouvelle feuille de route militaire, le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, a évoqué plusieurs pistes à Abidjan.

Par Le Point Afrique – publié le 21 février 2023

https://www.lepoint.fr/afrique/cote-d-ivoire-la-rearticulation-de-la-presence-militaire-francaise-en-marche-21-02-2023-2509407_3826.php


Le ministre ivoirien de la Defense, Tene Birahima Ouattara, (G) accueille le ministre francais des Armees, Sebastien Lecornu, (D) au palais presidentiel a Abidjan, le 20 fevrier 2023.
Le ministre ivoirien de la Défense, Tene Birahima Ouattara, (G) accueille le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, (D) au palais présidentiel à Abidjan, le 20 février 2023. © ISSOUF SANOGO / AFP