Guerre d’Algérie : Mai 1960, des commandos-marine portent secours au 2e REI encerclé
Au mois de mai 1960, des commandos-marine viennent dégager en plein djebel un poste de commandement du 2e régiment étranger d’infanterie encerclé par un bataillon de l’ALN. Un souvenir inoubliable pour les « corsaires en béret vert ».
Après les combats d’Indochine, les légionnaires du 2e régiment étranger d’infanterie se retrouvent à Bizerte. Dès octobre, ils sont transférés au Maroc, où règne une situation insurrectionnelle.
En 1956, l’ordre arrive de rallier la Tunisie, mais un contre-ordre envoie le 2e REI dans la région de Bône et de Djidjelli, où il va se motoriser, avec six compagnies portées.
L’Algérie, depuis le 1er novembre 1954, subit les exactions des mouvements rebelles, et il est nécessaire d’adapter les troupes françaises de maintien de l’ordre à cette situation particulière. Au printemps 1957, le régiment tout entier est envoyé dans le sud de l’Oranais. L’état-major s’installe à Aïn Sefra, le reste de l’unité se répartit du nord au sud entre Géryville, Bou Alam et Djenien Bou Rezg.
La route venant de Mecheria descend un peu, jusqu’à ce qu’elle se divise en deux. La branche gauche continue vers le terrain d’aviation des Pierres Écrites, puis vers la palmeraie et le poste de Tiout. Après le pont, elle s’engage au pied du djebel Mekter, vers le sud.
La portion qui continue vers Aïn Sefra passe à gauche le long de la gare et à droite des casernements du 8e RIMa pour aboutir au centre-ville et à la redoute du 2e REI, où se trouvent l’état-major et les services. Derrière la redoute, à gauche, l’intendance et le terrain de football. A droite, la piscine et, derrière des arbres bien touffus, la maison discrète des « dames ». Si l’on remonte la piste, on arrive au bois de Boulogne, où sont regroupées diverses essences d’arbres, dont beaucoup d’eucalyptus qui embaument l’air frais du petit matin ou l’ambiance du soir. Ce massif de verdure, que l’on aperçoit de loin au milieu de son environnement aride, est géré par un fonctionnaire des Eaux et Forêts qui habite une villa à l’entrée du bois.
Derrière se dresse une haute ceinture de dunes de sable, Sidi Bou Djira, dans laquelle se niche la harka à cheval du 2e REI, menée par un grand blond sec le sergent Rossky, gui porte sur lui sa « marque de fabrique » : « Mon honneur s’appelle fidélité. »
Le colonel de Sèze, commandant le 2e REI, incarne l’officier de race. Grisonnant, la moustache bien taillée, il en impose. Son adjoint-secteur est le lieutenant-colonel Brulé, entouré d’officiers comme les commandants Camelin, Met, Pierson ou le capitaine Bevalot. Dans la cour de la redoute, on peut s’étonner de voir circuler un jeune mouflon de l’Atlas : Bambi, la mascotte.
Alerte dans tout le secteur !
Dans la nuit du 4 au 5 mai 1960, un planton des opérations appelle le commandant Pierson, de l’EMT. Un message urgent provient des avions gonio qui surveillent la zone frontalière. Des émissions suspectes ont été localisées par deux appareils, en pleine zone interdite. Plusieurs essais de relèvements ont été effectués. Il n’y a aucun doute, il s’agit de fellaghas.
Un message est aussitôt adressé à la compagnie de Djenien Bou Rezg, qui sera héliportée le lendemain matin sur le djebel Mzi, dont le sommet culmine à 2 200 m.
Dès l’aube, les légionnaires crapahutent sur les versants accidentés du djebel. C’est en remontant l’oued Taleb, à 1 700 m, qu’ils relèvent des traces fraîches. Des ordres discrets disposent les hommes à distance, et la progression reprend lentement.
L’accrochage éclate brutalement. Le lieutenant Maraine tombe, mortellement atteint en pleine poitrine. L’état-major apprend la nouvelle par radio. Aussitôt, un mécanisme bien rodé s’enclenche : ordres brefs et sans discussion, hommes au pas de course dans la cour, bruit de moteurs dans les galeries.
Au terrain d’aviation, les équipes de piste de l’ALAT, de l’armée de l’Air et de l’aéronavale apprêtent leurs appareils ; la 4e compagnie portée s’affaire auprès de ses véhicules.
A l’appel, les légionnaires se demandent où va se dérouler l’opération. Apparemment pas en face, sur le djebel Aïssa, ni derrière, sur le Mekter. Ce doit être encore du côté de Djenien, du Mzi, du Goursi, fane, du Beni Smir ou, plus au sud, du Bou Amoud.
— Aux camions ! Embarquement !
Le sergent Hollubek, de l’escorte, monte à l’avant de son 4 X 4 et regarde les hommes se hisser à bord des camions. Pendant ce temps, l’alerte a été donnée à Aflou, Géryville, Saida et Mecheria, et des renforts sont acheminés par avion, par hélicoptères et par route.
Aux premières loges
Au nord de l’oued Taleb, les légionnaires se sont retranchés au milieu des éboulis. Les blessés, sommairement soignés, sont installés à l’ombre. Des T-6 font plusieurs séries de passes, afin d’empêcher les fells de descendre. Mais une fois la nuit tombée que se passera-t-il ? Depuis le début de l’accrochage, les légionnaires se sont aperçus que les rebelles sont bien armés : plusieurs armes automatiques ont été repérées. Au vu des traces, ils sont certainement plus d’une centaine.
La nuit est arrivée. Plus haut, sur le Mzi, le commandant Hamidi, chef du 22 bataillon de l’ALN, est indécis. Il aurait bien aimé retourner sur ses bases de départ, mais il ne sait pas où se trouvent ses adversaires. Il ignore de même si d’autres troupes ont été héliportées afin de lui couper la route vers la palmeraie d’Ich, au Maroc, qui lui sert de base de transit. En outre, décrocher de nuit sur ce terrain accidenté ferait rapidement repérer ses hommes.
Plus bas, dans la plaine, une multitude de phares projettent des traits lumineux sur la route ou sur les bas-côtés. Le long du barrage électrifié, les véhicules de la « herse » roulent plus lentement, en éclairant de leurs projecteurs les diverses épaisseurs dn réseau. Dans le ciel, les avions sont là également, lâchant régulièrement leurs « lucioles » qui semblent transformer le paysage en décor lunaire. Triste veillée d’armes pour les rebelles !
Mise en place
Arrivé par avion de Géryville, le commando-marine de Montfort est aussitôt envoyé à Dallai El-Kerch, où est installé le PC du colonel de Sèze. Deux sections du commando, avec le lieutenant de vaisseau Le Deuff, , sont héliportées en verrou pour passer la nuit à l’ouest du dispositif rebelle.
L’autre section est restée au PC, en attente de l’arrivée du groupement des commandos-marine, commandé par le capitaine de corvette Servent. Après une mauvaise nuit troublée par les mouvements de véhicules, les grésillements des postes radio et les arrivées de renforts, le jour pointe lentement.
Déjà, le PC avancé du commandant Met s’approche des hélicoptères, dont on lance les moteurs. Peu de temps après, décollage du DIH, le détachement d’intervention héliporté, vers le plateau du Mzi. Pendant ce temps, les commandos-marine regroupent. D’abord Trepel, du lieutenant de vaisseau Eliès, puis Jaubert, commandé par le lieutenant de vaisseau Scheidhauer, et le PC Grouco. Soudain, les événements se précipitent. Les initiés savent très vite quand quel chose d’anormal ou de grave se produit. Servent est appelé chez de Sèze, qui lui apprend la raison de cette agitation :
— Commandant, le PC du commandant Met, à peine posé, a été accroché par un groupe assez important de rebelles. Ce PC ne comprend qu’une vingtaine d’hommes, dont des officiers et des radios, et ils n’ont guère d’armement. Heureusement, ils ont quand même un FM, mais certainement pas assez de munitions pouvoir tenir longtemps. Préparez vos commandos. Les hélicoptères qui redescendent du Mzi ramènent des blessés et portent des impacts de balles dans la coque. Personne, par chance, n’a été atteint.
Les ambulances se rangent à proximité la DZ, tandis que les patrons d’appareil passent les brancards aux infirmiers. Des corps allongés, inanimés, avec des étiquettes pendant autour du cou, sur lesquelles quelques mots ont été hâtivement griffonnés « Extrêmement urgent ». Sur le pont cargo, du sang séché macule le métal brillant. Il vaut mieux ne pas y penser.
Les ordres fusent. Les sticks de Jaubert foncent vers les hélices. Une rotation dure approximativement quinze minutes pour aller là-bas, sur le Mzi, à la cote 1866.
Sitôt posés, les sticks rallient aux ordres. Scheidhauer répartit ses sections. Barret, Fabre et Bourven entraînent immédiatement leurs hommes. Il y a environ 3 km à couvrir, avec 340 m de dénivellation, avant d’arriver jusqu’aux légionnaires.
A la radio, Met devient pressant :
— Lampiste (Jaubert), accélérez le mouvement. La situation est critique. Sommes à court de munitions et il y a de nombreux blessés. Afin de signaler ma position, je vais baliser avec un fumigène.
— Bien reçu de Lampiste. Nous arrivons. Vu votre fumée. Nous approchons.
Les hommes de Jaubert ahanent. L’altitude augmente et la température monte, la sueur brûle les ‘eux, la moindre charge semble peser encore plus lourd, ce qui n’arrange pas les pourvoyeurs. Mais lit radio les pousse à l’effort :
Allez, Lampiste! Les fells se remettent à tirer
Un commando-marine à l’assaut
— Ne tirez pas, nous sommes là ! Les fells sont un peu plus loin devant !
Il reste une quinzaine d’hommes « en état », dont quatre officiers. La plupart sont blessés. Deux ont eu leur képi troué par balle. Le tireur au FM se redresse et dit, en montrant le chargeur.
— Il ne m’en reste plus que la moitié. Les autres avaient encore une ou deux balles, et un légionnaire, décontracté, exhibe ce qui lui reste trois cartouches « feuillettes » pour faire du bruit. Il était vraiment temps !
Les blessés sont dégagés ; le brancardage va être assuré jusqu’à une DZ, et ce sera l’hôpital.
Trepel arrive, suivi du PC Grouco avec Servent. Plus haut, les avions mitraillent le plateau et larguent des bidons spéciaux qui explosent sur les positions rebelles en dégageant encore plus de chaleur brûlante.
Tandis que l’aviation termine ses passes, Servent règle la mission de chaque commando. Jaubert attaquera par la gauche et Trepel, sur la droite. Au centre, le pacha et son PC.
Les avions se sont éloignés. Servent bondit sur un rocher, dominant ses commandos, regardant de chaque côté, il demande :
— Prêts ?
Les pouces levés le renseignent. Prenant son souffle et levant sa canne qu’il pointe brusquement devant lui, Servent hurle :
— Commandos, à l’assaut !
L’effet d’un détonateur. Ses hommes, comme propulsés par des ressorts, bondissent devant eux en lâchant des rafales dès qu’une tête apparaît ou qu’une silhouette suspecte tente de s’esquiver. En couverture, les AA-52 crachent leur mitraille. Mais les premières pertes rappellent brusquement à la prudence. Les quartiers-maîtres Spérandio et Boussanges tombent. Bueno et le second maître Boriès sont blessés. Le second maître Seguin, de Trepel, tombe, mortellement blessé d’une balle dans la gorge.
Tout a démarré sur un assaut général. Mais il a rapidement dégénéré en de nombreux combats singuliers, où c’est le plus vicieux qui gagne. Une ombre, une pierre qui roule, et il n’y a plus qu’à attendre, le doigt sur la détente.
Barret est blessé au bras, mais son adversaire est mort. Le Plateau du Mzi pourrait être l’antichambre de l’enfer. Jalonné de cadavres, il n’est que fumée, odeur de poudre, de phosphore, explosions et détonations. Des cris de douleur ou de colère, des appels à l’infirmier s’élèvent au-dessus de tout ce chaos.
Progressivement, le silence revient, presque gênant après tant de bruit. Des prisonniers sont regroupés au bord d’une falaise. Ils ont peur. Ne leur a-t-on pas fait croire qu’ils seraient abattus s’ils étaient capturés par les Français ?
Fraternité d’armes à Aïn Sefra
Maintenant, c’est le ratissage du terrain. Il faut ramasser les armes, les équipements et les documents s’il y en a. Dans un coin, le commandant Hamidi se morfond.
En fouillant un sac, un jeune matelot commando pousse une exclamation :
— Chef ! Regardez, un drapeau.
En effet, un magnifique emblème de soie brodée est extrait d’un sac : c’est le fanion du 2e bataillon de l’ALN. Plus loin, les armes s’entassent : MP 40, MG-34 et 42, grenades, munitions, médicaments en provenance d’Allemagne de l’Est, anciennes dagues de la Jeunesse hitlérienne transformées avec le sigle ALN, boussoles, jumelles etc.
Quelques fells ont néanmoins réussi à s’enfuir en dévalant le versant qui conduit au Maroc. Ils auront au moins quelque chose à raconter !