Lettre CEMAT N°40 mai 2018

Lettre CEMAT N°40 mai 2018

EDITO

La spécificité militaire est un enjeu crucial de notre efficacité opérationnelle. Pourtant, cette notion si importante n’est pas toujours bien comprise, peut-être parce qu’à la faveur d’une longue période de paix en Europe, l’idée de la guerre comme la figure du soldat se sont un peu estompées dans notre horizon mental. Fondée sur la finalité première de l’armée, c’est-à-dire la défense de la Nation par les armes, de façon méthodique et organisée, elle consiste en une grammaire propre au monde militaire, différente parfois de la logique commune, et qui s’exprime dans différents champs.

C’est d’abord un état militaire spécifique, décrit dans le Code de la défense, qui fait du soldat un serviteur de l’Etat à part, soumis à un régime juridique distinct fondé sur des obligations et des sujétions exceptionnelles. Il n’y a là que la simple traduction d’un impératif absolu pour la Nation : celui de conserver la libre disposition de la force armée, sans préavis ni limite de durée.

C’est ensuite un modèle d’organisation et de fonctionnement propre à l’armée. Pour agir de façon autonome dans un contexte de crise grave, voire de chaos total, elle ne peut se comporter comme une entreprise ou même un service public. La rationalité managériale doit parfois céder le pas au commandement et au culte de la mission, et l’optimisation comptable s’effacer devant des impératifs de résilience.

C’est enfin une morale de l’action singulière. Car l’emploi de la force armée, qui peut causer la destruction et la mort, impose une véritable réflexion éthique. C’est pour cette raison que s’est développée depuis des siècles une réflexion philosophique et religieuse autour de la notion de guerre juste, qui vise tout simplement à permettre aux soldats de préserver au combat leur honneur et leur humanité.

La spécificité militaire n’est donc ni un repli identitaire, ni une menace pour la société, bien au contraire. C’est une force pour la France, et la condition indispensable pour assurer dans la durée le socle de ses capacités de défense.

Général d’armée Jean-Pierre Bosser