Moscou veut associer Paris et Londres aux discussions sur la maîtrise des armes nucléaires
Les bombes atomiques larguées par les États-Unis sur les villes d’Hiroshima et de Nagazaki, les 6 et 9 août 1945, firent entrer le monde dans le premier âge nucléaire. Puis, l’Union soviétique se dota à son tour de telles armes, ce qui permit d’établir un « équilibre de la terreur » entre les deux puissances rivales d’alors. D’autres pays s’engagèrent sur cette voie. Tel fut le cas de la Grande Bretagne, de la France et de la Chine.
Si des négociations entre Washington et Moscou aboutirent à des accords visant à limiter leurs arsenaux nucléaires respectifs, avec les accords Salt I et Salt II, signés dans les années 1970, la tendance au désarmement s’accentua à la fin des années 1980, avec le Traité sur les forces nucléaires intermédiaires [FNI]. La fin de la Guerre Froide amplifia le mouvement.
Ainsi, Londres décida de supprimer la composante aéroportée de sa dissuasion tandis que Paris démantela les silos des missiles sol-sol S3 du plateau d’Albion, retira ses missiles mobiles à courte portée Hadès ainsi que ses armes nucléaires tactiques [mises notamment en oeuvre par les Jaguar]. Dès lors, l’accent fut mis sur la lutte contre la prolifération nucléaire, via le Traité de non prolifération [TNP].
Seulement, cette dernière fut mise en échec avec les premiers essais nucléaires indiens et pakistanais… ainsi qu’avec la relance des programmes iranien et nord-coréen. Ce qui fait dire aux stratégistes que nous sommes actuellement entrés dans le troisième âge du nucléaire…
En tout cas, l’heure n’est plus au désarmement… Le traité FNI a été réduit en confettis, après que les États-Unis ont accusé la Russie d’avoir déployé un missile à capacité nucléaire interdit par celui-ci. En outre, les puissances nucléaires déclarées cherchent à moderniser leurs arsenaux, voire à l’augmenter, comme semble le faire la Chine… Et, selon le Stockholm International Peace Research Institute [SIPRI], « le nombre total d’ogives dans les stocks militaires mondiaux semble désormais augmenter. Ceci est le signe inquiétant que la tendance à la baisse, qui caractérisait les arsenaux nucléaires mondiaux depuis la fin de la guerre froide, est inversée ».
Signe que l’époque a changé : le traité New Start, qui limite les arsenaux américains et russes, a bien failli ne pas être reconduit, alors qu’il arrivait à échéance en 2021. Il l’a été in-extremis, après une proposition du locataire de la Maison Blanche, Joe Biden, de le prolonger jusqu’en 2026, conformément à une disposition prévue dans son article XIV.
Le prédécesseur de M. Biden, Donald Trump, voulait que le New Start puisse s’appliquer aux armes hypersoniques ainsi qu’à l’arsenal nucléaire chinois. Ce que Pékin a évidemment refusé.
Depuis la prolongation du New Start, des discussions sur la maîtrise des armements ont été relancées, à Genève, par les États-Unis et la Russie. Seulement, la diplomatie russe voudrait y associer… La France et le Royaume-Uni. C’est en effet ce qu’a affirmé l’ambassadeur de Russie à Washington, Anatoli Antonov, dans un entretien donné la semaine passée à l’agence de presse Ria Novosti.
« À long terme, il ne sera pas possible d’éluder la question de l’élargissement du nombre de membres aux accords de maîtrise des armements. L’implication de la Grande-Bretagne et de la France semble être la priorité absolue. Ces pays coordonnent étroitement leur politique nucléaire militaire avec Washington au sein de l’Otan. Cette question est devenue particulièrement urgente à la lumière de la récente décision de Londres d’augmenter le niveau maximum d’ogives nucléaires de 40 %, jusqu’à 260 unités », a fait valoir le diplomate russe, qui n’a pas évoqué la politique chinoise dans ce domaine, alors que Pékin semble augmenter significativement la taille de son arsenal.
Pour rappel, si elle a fait son retour dans le commandement militaire intégré de l’Otan en 2008, la France n’a pas rejoint les plans nucléaires de l’Alliance.
Cependant, et comme l’a expliqué le général François Lecointre, l’ex-chef d’état-major des armées [CEMA], lors de sa dernière audition parlementaire, le « statut de puissance nucléaire de la France nous place dans une situation incomparable au sein de l’Otan ».
Et d’expliquer : « À chaque réunion du comité militaire de l’Otan, le chef d’état-major des armées français se réunit avec ses alter ego américain et britannique pour une séance de travail en comité restreint. Tout le monde sait que de 7h à 8h30 se tient cette réunion, mais personne ne sait ce qu’il s’y dit. Les discussions qui s’y tiennent portent sur des choses vraiment sérieuses, qui trouvent des traductions concrètes, notamment dans le domaine maritime, au travers de coopérations des plus approfondies dans l’Atlantique nord ».
Quant au Royaume-Uni, il est exact qu’il envisage d’augmenter la taille de son arsenal nucléaire de 40%, justifiant une telle mesure par une « panoplie croissante de menaces technologiques et doctrinales » ainsi que par la « menace active » de la Russie et le « défi systémique » que pose la Chine ». Pour Londres, une « dissuasion nucléaire minimale, crédible et indépendante, affectée à la défense de l’Otan, reste essentielle pour garantir notre sécurité ».
Cela étant, récemment interrogé par les députés, Vincenzo Salvetti, le patron de la Direction des applications militaires [DAM] du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies renouvelables [CEA], a semblé douter des intentions britanniques. « Les Anglais disent qu’ils vont augmenter leur stock d’armes. Il se pourrait que ce soit du déclaratoire », a-t-il dit.
En effet, a continué M. Salvetti, « dans leur Strategic Defence and Security Review de 2015, ils ont exprimé 180 têtes en tout, dont 120 embarquées, plus le nombre de missiles et le nombre de sous-marins. N’importe qui, en faisant quelques hypothèses, peut établir le plan de chargement des bateaux britanniques. J’ai été surpris, à l’époque, que les Britanniques donnent un réel niveau de précision. En France, on parle de moins de 300 têtes, et ce que l’on en fait ne regarde que le Président et un cercle restreint. En réalité, je pense qu’ils souhaitent faire comme nous, à l’occasion du renouvellement dans dix ans pour remonter leur arsenal de 80 têtes. Ils entretiennent ainsi une ambiguïté sur le nombre précis de têtes ».
Quant aux intentions chinoises, le directeur de la DAM ne les remet pas en question… « La Chine a la prétention de gagner une place équivalente aux deux autres sur le plan stratégique. Jusqu’à récemment, elle avait plutôt de l’ordre de 200 têtes. Mais elle est dans une dynamique où elle fait ce qu’elle dit et dit ce qu’elle fait. En trois ans, elle construit l’équivalent en tonnage de la Marine nationale française. Ils agissent de même pour les porte-avions, les sous-marins, et ils ont des missiles avec lesquels ils vont même frapper les satellites, pour montrer leur précision. S’ils veulent aller aux 1’550 têtes, ils iront », a expliqué M. Salvetti.
Photo : Marine nationale