La neutralité économique, concept phare de la stratégie de Viktor Orbán

La neutralité économique, concept phare de la stratégie de Viktor Orbán

par Géza Sebestyén* – Revue Conflits – publié le 4 février 2025

https://www.revueconflits.com/la-neutralite-economique-concept-phare-de-la-strategie-de-viktor-orban/


Le 20 janvier 2025, lors d’un discours faisant le bilan de la présidence hongroise de l’UE, Viktor Orbán a rappelé à quel point son gouvernement avait à cœur d’aborder les relations internationales en mettant en œuvre un concept en vogue en Hongrie : la neutralité économique. Explication d’une notion que les décideurs européens devraient méditer.

*Géza Sebestyén, économiste hongrois et directeur du Centre de politique économique du Mathias Corvinus Collegium de Budapest

Votre supérette préférée propose des prix incroyables, notamment un excellent café arabica importé du Viêt Nam, pour seulement vingt euros le kilo. Un matin, alors que vous savourez votre espresso, vous lisez dans le journal que l’Union européenne a décidé d’interdire tout commerce avec le Viêt Nam. La nouvelle vous échappe rapidement. Cependant, une semaine plus tard, tenant de vous réapprovisionner, vous constatez que ce café n’est plus disponible à la vente. Vous interrogez le propriétaire du magasin, qui vous explique qu’il ne vend plus que du café Geisha panaméen, car tous les produits en provenance du Viêt Nam sont dès à présent interdits à l’importation. Votre expresso du matin vous coûtera désormais dix fois plus cher.

Face au commerce mondial

L’exemple ci-dessus montre comment la restriction du libre-échange peut avoir un impact négatif sur les consommateurs. Lorsqu’un pays sélectionne ses fournisseurs, les consommateurs doivent souvent faire face à des prix plus élevés. Si ces restrictions deviennent fréquentes ou s’appliquent à une large gamme de produits, le pays en question s’expose à de l’inflation.

C’est précisément ce que l’Europe a vécu en 2022-23. La suspension de Nord Stream 2, les sanctions contre les compagnies gazières russes et le remplacement du gaz russe bon marché par des alternatives plus coûteuses ont presque décuplé le prix du gaz naturel sur la bourse néerlandaise en l’espace de douze mois. Il en a résulté une vague d’inflation sans précédent dans la zone euro.

Les restrictions commerciales sont problématiques non seulement parce qu’elles contribuent à l’inflation, mais aussi parce qu’elles ont un impact négatif sur la production, le PIB, l’emploi et la dynamique des salaires. Dans certains cas, les pays imposent des limites ou des interdictions à l’exportation de leurs propres produits. Dans d’autres cas, les restrictions à l’importation imposées par un pays donnent lieu à des mesures de rétorsion de la part de ses partenaires commerciaux, ce qui crée un cycle de préjudice économique mutuel.

L’Europe en guerre économique

L’Union européenne a par exemple imposé des sanctions à la Turquie en réponse à ses activités de forage dans les eaux revendiquées par Chypre. Ces sanctions comprenaient le gel d’avoirs et des interdictions de voyager visant certains responsables turcs impliqués dans les opérations. En représailles, la Turquie a introduit des contre-mesures qui ont eu un impact négatif sur les entreprises européennes opérant à l’intérieur de ses frontières. Les exportations, le PIB, la production et l’emploi des entreprises européennes s’en sont trouvés affectés.

En résumé, les restrictions commerciales entraînent généralement une croissance de l’inflation et une baisse de la croissance économique, qui ont toutes deux un impact négatif sur le niveau de vie des citoyens. Il ne s’agit pas là de simples possibilités théoriques. En 2022, la France a connu son taux d’inflation le plus élevé depuis près de quarante ans, tandis que le PIB français en 2024 est resté pratiquement inchangé par rapport à son niveau de 2008.

La Hongrie face à l’inflation

La Hongrie a été confrontée à un défi encore plus grand. La stratégie de découplage économique de l’UE a fait passer notre taux d’inflation au-dessus de 25 % en janvier 2023. Heureusement, les politiques économiques ciblées et efficaces de la Hongrie ont réussi à maintenir l’économie en mouvement. En conséquence, le PIB du pays en 2024 est supérieur de plus de 33 % à ce qu’il était en 2008.

La Hongrie a tiré les leçons des expériences passées et de la théorie économique. C’est pourquoi elle plaide en faveur de la neutralité économique. Selon elle, les pays européens devraient donner la priorité aux actions qui servent leurs propres intérêts, et non suivre aveuglément les objectifs abstraits de politiciens soi-disant « éclairés ».

Pendant des siècles, l’Europe a adopté cet état d’esprit, synonyme de prospérité sur le continent. L’Europe était le leader mondial dans les domaines de la science, de l’économie, du commerce et, surtout, du niveau de vie. Toutefois, ces dernières années, elle a perdu ces avantages. L’Europe doit retrouver sa grandeur en poursuivant ses propres objectifs, ses propres intérêts, un programme fondé sur la neutralité économique, la connectivité et la réussite.

Il suffit de jeter un œil aux chiffres pour s’en convaincre. Prenons les deux premiers pays sur la base de l’ouverture commerciale — un indicateur clé de la neutralité économique : le Luxembourg et Saint-Marin. Comparons-les maintenant aux pays les moins bien classés : le Soudan et l’Éthiopie. Où préféreriez-vous vivre ? Le taux d’inflation du Soudan, qui a constamment dépassé les 10 % au cours de la dernière décennie et a grimpé à plus de 400 % en 2021, alors que le PIB du Luxembourg est l’un des plus élevés au monde par habitant. La Hongrie choisit cette dernière voie, et préfère la défense du niveau de vie de ses habitants à des considérations idéologiques économiquement néfastes.

Défense : face à l’urgence, la réunion de crise en Europe

Défense : face à l’urgence, la réunion de crise en Europe

Face aux conflits du moment et à la pression américaine, l’Europe s’est réunie en urgence pour parler Défense.

par Jean-Baptiste Leroux – armees.com – Publié le
L'Europe a organisé une réunion de crise en urgence sur le sujet de la Défense. Pixabay
L’Europe a organisé une réunion de crise en urgence sur le sujet de la Défense. Pixabay | Armees.com

Face aux tensions croissantes liées à la guerre en Ukraine et aux pressions de Washington, l’Union européenne a organisé une réunion exceptionnelle sur la défense. Objectif : renforcer l’autonomie stratégique du continent.

Un sommet sous haute tension pour renforcer l’autonomie européenne

Les dirigeants de l’Union européenne se sont retrouvés lundi 3 février à Bruxelles pour une réunion cruciale consacrée à la Défense. Aux côtés des 27, le Premier ministre britannique Keir Starmer et le secrétaire général de l’Otan, Mark Rutte, prennent part aux discussions. Cette rencontre intervient dans un contexte de pression accrue de la part des États-Unis et de leur nouveau président, Donald Trump, qui exige une hausse significative des dépenses militaires européennes. L’inquiétude est grande face à l’avenir du soutien américain à l’Ukraine. Le conflit en cours avec la Russie place l’Europe devant ses responsabilités. Bruxelles plaide pour une augmentation des investissements militaires, mais les modalités de financement restent un point de friction entre les États membres.

Le message de l’Union européenne est clair : il est temps de prendre en main sa propre sécurité. Antonio Costa, président du Conseil européen, insiste sur la nécessité d’une Europe plus résiliente, efficace et stratégiquement autonome. Si l’Otan demeure un pilier fondamental de la sécurité du continent, la dépendance envers les États-Unis est de plus en plus remise en question. La proposition d’un grand emprunt européen pour financer ces ambitions fait débat. Tandis que plusieurs États, dont la France et l’Espagne, plaident en faveur d’un soutien de la Banque européenne d’investissement, l’Allemagne demeure réticente. Le pays, en pleine préparation électorale, craint les conséquences budgétaires d’un tel engagement.

Défense : un tournant dans les relations internationales

Cette réunion marque aussi une tentative de rapprochement avec le Royaume-Uni, cinq ans après le Brexit. Keir Starmer, désireux de retisser des liens avec Bruxelles, pourrait jouer un rôle clé dans la future coopération européenne en matière de sécurité. L’hypothèse d’un accord de défense commun est évoquée, bien que les tensions post-Brexit persistent.

Par ailleurs, les menaces de Donald Trump envers ses alliés européens, notamment ses exigences financières accrues et son intérêt pour le Groenland, inquiètent les dirigeants du Vieux Continent. Face à cette incertitude, un message uni et ferme pourrait être essentiel pour préserver les intérêts stratégiques de l’Europe.

PATMAR: contrat avec Airbus pour l’étude du futur avion de patrouille maritime français

PATMAR: contrat avec Airbus pour l’étude du futur avion de patrouille maritime français

Le ministère des Armées a signé avec Airbus un contrat de 24 mois portant sur l’étude du futur avion de patrouille maritime français. Il est amené à remplacer les actuels Atlantique 2 (18 ATL2 au standard 6 et 4 non rénovés en parc). « La Direction générale de l’Armement vient de signer avec Airbus Defence and Space en tant que mandataire, en co-traitance avec Thales, un contrat pour une étude de levée de risques du futur programme d’avion de patrouille maritime (Patmar futur) », a précisé Airbus dans un communiqué.

Cette annonce intervient deux ans après que le ministère des Armées a lancé les études pour ce futur avion maritime, un temps envisagé en collaboration avec l’Allemagne. Mais Berlin a finalement opté pour des Boeing P-8A Poseidon.

Airbus et Dassault avaient alors été sollicités.

Dassault avait proposé une version issue de son gros avion d’affaires Falcon 10X. Mais c’est une version militarisée du monocouloir à très long rayon d’action A321 XLR d’Airbus qui a été retenue (il s’agit d’une version de l’A320 Neo).

L’A321 XLR, appareil certifié en juillet 2024, est capable de voler 11 heures sur plus de 8.500 km, surclassant les autres monocouloirs. Il a déjà été commandé à plus de 500 exemplaires depuis son lancement. La version militaire mesure 44,5 m de long pour 35,8 m d’envergure et 11,76 m de haut. Ce qui nécessitera des aménagements des hangars à la BAN de Lann-Bihoué (Morbihan).

Vers une criminalisation de la prise d’otages ?

Vers une criminalisation de la prise d’otages ?

Jean Daspry – CF2R – TRIBUNE LIBRE N°172 / janvier 2025

Pseudonyme d’un haut fonctionnaire français, docteur en sciences politiques

https://cf2r.org/tribune/vers-une-criminalisation-de-la-prise-dotages/


« L’expérience prouve qu’il est beaucoup plus facile de prendre des otages que de les relâcher » (André Frossard). C’est ce que doivent penser les preneurs d’otages et ceux qui en sont victimes. La prise d’otages est aussi vieille que le monde. Depuis la plus haute Antiquité, les otages sont consubstantiels aux relations entre puissants qui entendent disposer de garanties de la parole donnée. Jusqu’au XVIIIe siècle, les otages sont associés aux alliances et aux traités. Si l’avènement du droit international met entre parenthèses cette pratique, elle renaît de ses cendres à la faveur des guerres et, plus près de nous, avec l’irruption du terrorisme. Considérée comme un crime de guerre dès 1945, la prise d’otages – si elle persiste dans les relations entre États – est désormais le fait du terrorisme, qui y voit une sorte de duel[1]. Et, c’est bien de ce terrorisme qu’il soit l’apanage d’États ou de groupes dont il s’agit. L’actualité la plus récente fournit de multiples exemples d’une pratique pérenne et déroutante. Manifestement, les États semblent désemparés dans le traitement global et efficace du phénomène[2]. Existe-t-il des réponses envisageables ? Et si oui, lesquelles ?

LA PRISE D’OTAGES : UNE PRATIQUE PÉRENNE ET DÉROUTANTE

Confrontés à une pratique incontournable dans les relations internationales de ce siècle, les États semblent déconcertés dans la manière de la traiter.

Un élément incontournable du monde du XXIe siècle : la diplomatie des otages

Même s’ils n’épuisent pas le sujet, plusieurs exemples concrets actuels méritent d’être mentionnés pour prendre l’exacte mesure du phénomène de la prise d’otages au XXIe siècle.

L’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, n’est-il pas pris en otage par les autorités algériennes en raison des positions adoptées par le président de la République, Emmanuel Macron sur la marocanité du Sahara occidental (déclaration du 30 juillet 2024 suivie d’une visite officielle au Maroc) ? Alger entend utiliser, celui qu’elle considère comme Algérien en moyen de pression (otage) pour amener Paris a quia. Une sorte de repentance de ses propos inadmissibles sur des sujets sensibles de l’autre côté de la Méditerranée. Ne soyons pas naïfs ! Ce ne sont pas les échanges de noms d’oiseaux qui mettront un terme à cette situation inadmissible. Situation qui laisse de marbre les droits de l’hommistes des dîners en ville et autres défenseurs des droits humains de salon. La question générale des réponses aux prises d’otages par des États clairement identifiés est posée dans toute son acuité. N’est-elle pas notre talon d’Achille ? Conduit-elle à une réflexion d’ensemble sur la problématique ? Gouverner, n’est-ce pas prévoir pour mieux anticiper et mieux se préparer au pire ? Nous n’en sommes pas encore là. Malheureusement pour les personnes prises en otage hier, aujourd’hui et, vraisemblablement, encore demain.

Les otages français en Iran ne constituent-ils pas une « monnaie d’échange » pour le régime des mollahs aux abois ?[3] Un odieux marchandage dont l’objectif principal est clair : faire vibrer la corde sensible humanitaire de l’opinion publique française et culpabiliser Paris pour son manque d’humanité dans la protection de ses ressortissants embastillés dans des conditions précaires[4]. Rappelons que, dans le passé, l’Iran n’hésite pas à faire prendre en otages des Français au Liban en faisant intervenir des groupes terroristes qui lui sont liés, comme le Hezbollah ! La liste est longue des méfaits imputables aux mollahs au pays du Cèdre. N’oublions pas la détention des membres de l’ambassade des États-Unis à Téhéran à partir du 4 novembre 1979 qui durera 444 jours ! Seule une réponse ferme et coordonnée de tous les États victimes de cet acte de piraterie des temps modernes permettrait de trancher le nœud gordien persan. Ne rêvons pas !

La guerre à Gaza, et ses ramifications au Liban, a pour point de départ chronologique la prise d’otages israéliens dont des franco-israéliens – principalement des civils innocents, y compris des femmes, des enfants, des bébés, des vieillards – par le Hamas, qualifié d’organisation terroriste, le 7 octobre 2023. Ces innocents sont soumis à des traitements dégradants et inhumains, au sens juridique du terme. Leur libération fait l’objet d’odieux marchandages qui, de facto si ce n’est de jure, conduisent à légitimer ex post cette pratique[5]. Elle aboutit, en contrepartie, à la libération de centaines de prisonniers palestiniens accusés, à tort ou à raison, de terrorisme. Ces derniers ne rêvent que d’en découdre avec Israël dès qu’ils seront libres et que l’occasion se présentera. La libération du soldat Gilat Shalit (citoyen franco-israélien capturé en 2006 et liberé en 2013) n’a été possible qu’au prix de la liberté accordée à un millier de Palestiniens. Parmi eux figurent certains des organisateurs du massacre du 7 octobre 2023. Ce point mérite d’être médité par Israël. Mais aussi par la France menacée par des terroristes ayant une idéologie proche de celle du Hamas, sans parler de ceux que l’on qualifie improprement « d’influenceurs » dans le cas de l’Algérie mais qui sont avant tout des propagateurs de haine. Méfions-nous du fameux « ça n’arrive qu’aux autres ! ». Ce vaste marchandage ne devrait-il pas constituer l’occasion d’une réflexion holistique sur le sujet entreprise dans la discrétion, seul gage de son efficacité à moyen et à long terme ? Seule une telle démarche permettrait de redonner cohérence à un tableau chaotique. Comme le souligne Edgar Morin : « La première et fondamentale résistance est celle de l’esprit. Elle nécessite de résister à tout mensonge asséné comme vérité (…). Elle exige de résister à la haine et au mépris. Elle prescrit le souci de comprendre la complexité des problèmes et des phénomènes plutôt que des visions partielles ou unilatérales. Elle requiert la recherche, la vérification des informations et l’acceptation des incertitudes »[6]. Le sociologue français ne fournit-il pas certaines pistes de réflexion et d’action à nos décideurs pris dans les urgences du temps médiatique ?

N’oublions pas les prises d’otages effectuées dans notre pays à l’occasion d’attentats terroristes sur notre sol depuis plusieurs décennies ![7] Le plus souvent, leurs auteurs se réclament également de l’idéologie frériste, phénomène bien documenté qui vaut à l’auteur d’un ouvrage scientifique sur le sujet de vivre sous la protection permanente de forces de sécurité[8]. Est-ce acceptable au pays de la liberté d’expression ? Qu’attendons-nous pour nous livrer à un exercice de retour d’expérience (« Retex ») des décennies passées sans le moindre tabou, comme le font les militaires après chaque opération ? Nous y apprendrions des choses intéressantes sur le passé pouvant orienter notre réflexion présente et notre posture future. Tel n’est-il pas l’objet d’une authentique approche prospective des relations internationales ? N’est-ce pas le contraire que nos dirigeants font, privilégiant en permanence les contraintes du temps court et médiatique aux exigences du temps long et stratégique ?

Face au phénomène d’une rare violence qui caractérise la prise d’otages, les États concernés pratiquent la politique du chien crevé au fil de l’eau ou diplomatie du dos rond.

Une pratique déroutante pour les États victimes : la diplomatie du dos rond

La liste des exemples présentée plus haut est loin d’être exhaustive si l’on souhaite dresser un panorama complet des actions terroristes accompagnées de leurs lots de prise d’otages occidentaux depuis la fin des années 1960. Hormis, certaines réflexions conduites par les services de renseignement, qui demeurent confidentielles par nature, la question n’a jamais fait l’objet – à notre connaissance – de rapports de l’exécutif, voire du Parlement. À titre d’exemple, le Sénat a publié, il y a quelques mois déjà, un rapport complet sur le phénomène du narcotrafic, clairvoyant à maints égards. Ne pourrait-il en être de même sur la question de la prise d’otages ?

Pourquoi ne pas s’atteler à l’étude et au traitement de la problématique du terrorisme et de ses prises d’otages qui intéresse la sécurité de nos concitoyens en France ou à l’étranger ? La France ne manque pas de bons esprits indépendants auxquels elle pourrait faire appel pour s’atteler au travail. Le temps presse. La Maison brûle et nous regardons ailleurs alors que notre pays n’est pas à l’abri de prises d’otages de grande ampleur de certains de ses concitoyens sur notre sol ou à l’étranger. Au pays de l’inflation des comités Théodule, des missions d’information sur tout et sur rien, des groupes spéciaux traitant de questions générales, des barnums à tout-va… il y aurait place pour un organisme en charge de faire la lumière sur les prises d’otages : état des lieux, propositions, y compris les plus iconoclastes.

Dans un monde fracturé, divisé, marqué au sceau de la conflictualité, la pratique des prises d’otages n’est pas en voie d’extinction. Chaque libération d’otages effectuée au prix de concessions importantes de la part des États concernés constitue un sérieux encouragement donné aux apprentis preneurs d’otages de poursuivre sur cette voie mortifère. Qui plus est, la faiblesse de la réaction des gouvernements touchés par ce phénomène ne peut que les conforter dans leur approche contraire à toutes les règles du droit humanitaire. Qu’importe. Ils connaissent nos faiblesses (notre inertie, notre droit, nos pudeurs de gazelle, nos idiots utiles…) et les utilisent à leur avantage. Comment les dissuader de poursuivre sur leur lancée ? En empruntant la voie ambitieuse de la rupture.

Une rupture avec les pratiques anciennes s’impose tant elles montrent leurs limites, leur inefficacité intrinsèque. La diplomatie du dos rond, du pas de vague, pour des raisons tenant à la sécurité bien comprise des otages, démontre sa vacuité. Nous ne pouvons que le déplorer. Dans le même temps, nous pourrions nous souvenir de ce que déclarait F.D. Roosevelt : « En politique, rien n’arrive par accident. Si cela arrive, vous pouvez être certains que cela a été planifié ». On ne saurait mieux dire dans le cas des prises d’otages par des États ou des groupes structurés. Ils apprécient à sa juste valeur le désarroi des familles d’otages et en tirent le meilleur profit[9]. Dans ce combat asymétrique, nous devrions essayer de rétablir un certain équilibre à notre avantage. Nous le pouvons à condition de le vouloir, pas seulement en paroles mais surtout dans nos actes.

La France, patrie des droits de l’homme, estime-t-elle tolérable cette pratique barbare ? Si tel n’est pas le cas, notre pays ne devrait-il pas prendre la tête d’une coalition de volontaires destinée à réfléchir et à tenter de trouver les réponses idoines à apporter à un phénomène récurrent (Algérie, Azerbaïdjan[10], Iran, Russie…). Un phénomène qui met dans l’embarras les familles d’otages qui font pression sur les gouvernements concernés pour obtenir la libération de leurs proches à n’importe quelle condition[11]. Il est grand temps de retrouver nos repères, de réveiller notre esprit critique. Penser, c’est parfois savoir dire non, se confronter à l’invraisemblable vérité ! Tel est le défi à relever à court, moyen et long terme. Le voulons-nous ? Le pouvons-nous ?

Alors qu’aucune inversion de tendance ne se dessine et que la situation tourne souvent au désastre en matière de prises d’otages, nous devons interroger notre cécité et repenser notre logiciel.

LA PRISE D’OTAGES : DES RÉPONSES CLAIRES ET DISSUASIVES

Comme souvent dans la pratique des relations internationales, il importe de ne pas mettre la charrue avant les bœufs. La définition précise du sujet doit précéder le périmètre de la réponse souhaitée et souhaitable dans une démarche en deux temps.

La définition du périmètre du sujet : la diplomatie du concret

Rien n’est possible sans savoir de quoi on parle. En un mot abandonner la langue de bois épaisse et les formules médiatiques creuses.

Sans se voiler la face sur la difficulté de l’exercice, la diplomatie française ne se grandirait-elle pas en prenant l’initiative sur cette problématique lancinante ? Surtout, alors qu’elle est à la peine dans plusieurs régions du monde où elle se pensait incontournable comme en Afrique[12]. Pareille démarche se situerait dans le droit fil de sa vocation de passeuse d’idées, de lanceuse d’alerte, en sa qualité d’étendard de la défense des droits humains. Mais aussi à son attachement indéfectible à un multilatéralisme efficace. À nos yeux, elle s’imposerait aux yeux du monde libre en prenant à bras le corps le traitement d’une pratique prégnante dans le concert des nations du XXIe siècle. Mais, ceci apparaît plus facile à dire qu’à faire au pays d’un certain conformisme ambiant.

Ignorer l’existence d’un problème ne constitue jamais le meilleur moyen de l’appréhender pour en être en mesure de mieux le traiter. Telle est la parabole attachée à la pratique de la diplomatie : le temps du diagnostic doit précéder celui du remède. Et si le premier est erroné, il y a de fortes chances que le second soit inadapté ou contre-productif. C’est pourquoi, il conviendrait de confier à un groupe de juristes spécialisés en droit international (au Quai d’Orsay et au ministère des Armées) et en matière de terrorisme (ministère de l’Intérieur en y ajoutant les experts, d’hier et d’aujourd’hui, de la DGSE et de la DGSI qui connaissent les arcanes de la problématique de la prise d’otages) le soin de faire le point sur l’approche juridique du concept de prise d’otages (textes déjà existants, déclarations éventuelles de l’ONU, de l’OTAN, de l’UE…) afin d’en dégager une définition acceptable par une majorité d’États. Une substantifique moëlle diplomatico-sécuritaire.

Même si les obstacles paraissent insurmontables, impossible n’est pas français. Apprenons à mettre des mots sur les maux. Juristes et diplomates sont qualifiés et outillés pour le faire. Nos décideurs devraient les réunir pour qu’ils préparent l’ébauche d’un texte de convention internationale définissant le crime de prise d’otages et les sanctions s’y attachant ainsi que les juridictions (existantes ou ad hoc) appelés à connaître de ces actes. En dépit de sa lourdeur, la judiciarisation internationale de la prise d’otages ne serait pas un exercice inutile. A minima, elle constituerait un message clair adressé aux apprentis sorciers et à leurs parrains. Cette phase préalable devrait être lancée à froid en dehors de toute publicité intempestive et de toute pression médiatique. De la discrétion avant toute chose. Telle est l’essence de la diplomatie à l’ancienne et de ses avantages incontestables.

La définition du périmètre de la réponse : la diplomatie de l’efficacité

Cette étape doit être la conséquence de la première. Elle doit être marquée au sceau de la globalité dans le temps et l’espace et éviter de sombrer dans la diplomatie du coup d’éclat.

Cette approche juridique du phénomène doit être replacée dans le contexte d’une démarche de boîte à outils pour le traitement global des prises d’otages. Les autres outils déjà utilisés sont les suivants : assassinats ciblés ou opérations « homo » conduites par les services de renseignement (comme la DGSE) des terroristes et preneurs d’otages ayant commis des crimes contre nos ressortissants ; dénonciation publique des fauteurs de trouble (« Naming and shaming ») : pressions de toute nature exercées sur les auteurs et complices… La première pratique est bien connue des Israéliens qui ne laissent aucun répit aux assassins. N’oublions pas la diplomatie de la carte postale[13]. C’est dans ce contexte que doit s’insérer la diplomatie juridique. La globalité et la cohérence de notre réponse est le gage de son succès.

Ensuite, pareille démarche devrait être précédée par un état des lieux objectif sur le phénomène des prises d’otages dans le monde : nombre, personnes visées, pays ou groupes à l’origine de ce phénomène… afin de ne pas parler dans le vide mais sur la base d’une documentation précise. À cette fin, il importe de disposer du retour d’expérience de la communauté du renseignement (actifs et retraités) qui a souvent été impliquée – discrètement le plus souvent – dans ce genre d’affaires sensibles. Leur contribution nous paraît incontournable pour définir les paramètres d’une approche concrète se situant au plus près de la réalité du phénomène au cours des dernières décennies. Rappelons que diplomatie et renseignement ne sont pas des métiers tout à fait étrangers, souvent complémentaires, parfois antagonistes. Et cela d’autant plus que « ce que nous sommes en train de vivre est plutôt de l’ordre d’une grande bascule et d’un grand bouleversement » (Emmanuel Macron). Tout ceci n’incite-t-il pas à la réflexion et à l’adaptation de notre diplomatie aux contraintes sécuritaires des temps mauvais ? Agir, c’est prendre appui sur le passé (l’Histoire) pour comprendre ce qui change aujourd’hui et demain. C’est aussi être à même de prévoir, d’anticiper, d’agir sur le long terme tout en ne négligeant pas le court terme.

Pour produire le maximum d’effets, l’équipe chargée de la rédaction d’un cadre juridique international devrait travailler sur deux questions clés que sont la vérification et la sanction. Les experts des questions politico-militaires savent d’expérience qu’un traité d’interdiction d’une activité déterminée ne peut produire tous ses effets qu’à deux conditions. Outre l’existence d’une définition précise et incontestable du phénomène, la première condition consiste à mettre en place un organisme indépendant et impartial chargé d’établir la réalité des faits allégués en dehors de toute pression extérieure. L’on connaît la célèbre formule de Ronald Reagan : « Trust but verify » (« faire confiance mais vérifier ») à propos des accords de désarmement nucléaire américano-soviétique durant la Guerre froide. La seconde condition a trait à la palette de sanctions envisagées contre les preneurs d’otages et surtout contre les États qui les encouragent ou/et les financent : traduction devant des juridictions internationales comme la Cour pénale internationale ; limitation des déplacements des plus hauts responsables des États concernés (cf. mesures frappant les dirigeants russes, israéliens et du Hamas au titre des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité) ; mise à l’écart des organisations internationales de la famille des Nations Unies ; gel des avoirs détenus dans les pays ayant adhéré à la convention… Cette liste est purement indicative. Elle pourrait s’enrichir d’autres mesures coercitives pénalisant durement les « États voyous » pour reprendre un langage suranné du temps du 43e président des États-Unis, Georges W. Bush que pourrait aisément reprendre le 47e président dès son investiture le 20 janvier 2025.

Enfin, et seulement après que les étapes précédentes aient été conduites à leur terme, convocation d’une conférence internationale à Paris préparée et non improvisée. On imagine le questionnement, l’inquiétude réelle dans ces États peu scrupuleux. Ainsi la France retrouverait sa vocation décrite par un diplomate-écrivain du nom de Jean Giraudoux à la veille de la Seconde Guerre mondiale dans une comédie aux accents très réalistes :

« Permets-moi de te dire que c’est sur ce point que tu as tort. Laisse-moi rire quand j’entends proclamer que la destinée de la France est d’être ici-bas l’organe de la retenue et de la pondération ! La destinée de la France est d’être l’embêteuse du monde. Elle a été créée, elle s’est créée pour déjouer dans le monde le complot des rôles établis, des systèmes éternels. Elle est la justice, mais dans la mesure où la justice consiste à empêcher d’avoir raison ceux qui ont raison trop longtemps. Elle est le bon sens, mais au jour où le bon sens est le dénonciateur, le redresseur de tort, le vengeur. Tant qu’il y aura une France digne de ce nom, la partie de l’univers ne sera pas jouée, les nations parvenues ne seront pas tranquilles, qu’elles aient conquis leur rang par le travail, la force ou le chantage. Il y a dans l’ordre, dans le calme, dans la richesse, un élément d’insulte à l’humanité et à la liberté que la France est là pour relever et punir. Dans l’application de la justice intégrale, elle vient immédiatement après Dieu, et chronologiquement avant lui. Son rôle n’est pas de choisir prudemment entre le mal et le bien, entre le possible et l’impossible. Alors elle est fichue. Son originalité n’est pas dans la balance, qui est la justice, mais dans les poids dont elle se sert pour arriver à l’équité, et qui peuvent être l’injustice… La mission de la France est remplie, si le soir en se couchant tout bourgeois consolidé, tout pasteur prospère, tout tyran accepté, se dit en ramenant son drap : tout n’irait pas trop mal, mais il y a cette sacrée France, car tu imagines la contrepartie de ce monologue dans le lit de l’exilé, du poète et de l’opprimé »[14].

Tout est dit et bien dit de la prétention à l’universalisme de la France éternelle. Dans le cas d’espèce, à la condition de remplir toutes les conditions énoncées plus haut, la conférence envisagée ne serait pas à ranger dans la catégorie de grand-messe de plus caractérisée par beaucoup d’incantations et peu de résultats tangibles. Elle ne déboucherait pas non plus sur un chef d’œuvre diplomatique, un monument d’hypocrisie. Elle se confronterait au réel dans ce qu’il a de plus trivial et, parfois, de dérangeant.

Cela enverrait un signal clair aux fauteurs de troubles et à leurs complices. On peut imaginer l’édiction de sanctions lourdes et dissuasives contre les preneurs d’otages, leurs donneurs d’ordre, leurs complices directs ou indirects mais aussi et surtout pour les chefs d’État des pays impliqués dans cette forme de guerre asymétrique. On pourrait envisager une mise au ban des Nations par la publication de listes noires des États coupables comme cela déjà est le cas pour le terrorisme. Cela leur donnerait matière à réflexion et aurait un effet dissuasif. L’on pense aussitôt à la duplicité du Qatar, qui abrite sur son sol plusieurs organisations terroristes qu’il finance manu larga, et joue les médiateurs entre le Hamas et Israël pour la libération des otages détenus à Gaza. Ceci ne l’empêche pas d’être courtisé par bon nombre de pays Occidentaux (dont la France) dont il sait corrompre habilement les élites, y compris celles ayant occupées les fonctions les plus prestigieuses dans la hiérarchie des États. Mais, voulons-nous et pouvons-nous utiliser cette carte dans notre jeu ? Qui veut la fin veut les moyens. Mais est-ce imaginable pour un président de la République attaché à la pratique du en même temps diplomatique et de l’indignation à géométrie variable ? Sans oublier l’essentiel, il n’apporte pas, le plus souvent, de solutions crédibles aux problèmes qu’il prétend résoudre. La « twitterisation » de la diplomatie érode la confiance dans notre Douce France.

La poursuite cette approche de la judiciarisation de la pratique de la prise d’otages conduirait à des choix délicats, mais salutaires en termes de sécurité intérieure et internationale. Où mettre le curseur ? Tel est le cas avant le lancement de toute négociation internationale importante. Cet exercice se révèle très salutaire tant il nous renvoie à nos incertitudes et à nos contradictions inhérentes à toute pratique diplomatique qu’elle soit bilatérale ou multilatérale. La problématique est souvent simple à énoncer, mais complexe à résoudre. La diplomatie, faut-il le rappeler, est l’art du possible, à défaut d’être celui du souhaitable. Son objectif affiché n’est-il pas de contribuer au renforcement de la sécurité collective, bien mal en point en ce début d’année 2025 ? Ce qui reste du système de sécurité collective mise en place en 1945 apparaît désormais en lambeau. Comme nous le rappelle Raymond Aron, cette démarche ambitieuse aurait pour principal objectif de « gagner la guerre limitée pour ne pas avoir à mener une guerre totale » dans un temps où nous sommes déjà entrés dans une nouvelle ère stratégique. Un temps nécessitant l’abandon des postures de surplomb, d’une communication faisant office d’action et le passage incontournable de l’ambition à l’action. Le signe du passage à une diplomatie efficace et crédible.

DE L’ESPRIT DE LA DIPLOMATIE À LA DIPLOMATIE DE L’ESPRIT

« Il y a deux classes de qualité qui entrent dans la composition de l’esprit et de l’honneur de la profession de diplomate : les qualités de l’âme et les qualités de l’esprit » (Talleyrand). Face au bouleversement du monde et à la révolution copernicienne qui l’accompagne, il faut chercher quelques clés de compréhension. Dans cette quête, nous avons plus que jamais besoin d’un retour de la diplomatie de l’esprit, loin du brouhaha médiatique et des postures politiciennes. Méfions-nous des bons sentiments qui affaiblissent la France ! On se rassure comme on peut en évitant les remises en cause douloureuses en louvoyant entre ligne claire et clair-obscur. C’est ce qui se passe aujourd’hui dans le domaine spécifique de la lutte contre le terrorisme et contre les prises d’otages alors que la géopolitique des otages rebat les cartes de la géopolitique mondiale. Avoir le courage de dire, la volonté de faire, telle devrait être la boussole stratégique de nos décideurs. Donner un cadre juridique international le plus large possible pour inquiéter parrains et auteurs des privateurs de liberté ! Tel devrait être l’objectif premier de la criminalisation de la prise d’otages.


[1] Gilles Ferragu, Otages, une histoire. De l’Antiquité à nos jours, Folio Histoire, 2020.

[2] Géraldine Woessner (propos recueillis par), Pierre Vermeren : « La France est considérée comme un État faible », Lepoint.fr, 18 janvier 2025.

[3] Jean-Pierre Perrin, « Iran : le régime tremble de toute part », Mediapart, 16 janvier 2025.

[4] Olivier Grondeau, « Si seulement l’innocence rendait immortel », Le Monde, 15 janvier 2025, p. 29.

[5] Samuel Forey/Piotr Smolar, « Israël Hamas : un accord fragile sous pression de Trump et Biden », Le Monde, 15 janvier 2025, pp. 2-3.

[6] Edgar Morin, « Face à la polycrise que traverse l’humanité, la première résistance est celle de l’esprit », Le Monde, 22 janvier 2024, p. 26.

[7] Louis Caprioli/Jean-François Clair/Michel Guérin, La DST sur le front de la guerre contre le terrorisme, Mareuil éditions, 2024.

[8] Florence Bergeaud-Blackler (Préface de Gilles Kepel), Le frérisme et ses réseaux, l’enquête, Odile Jacob, 2023.

[9] Samuel Forey/Raphaëlle Rérolle, « Israël-Gaza : l’attente des familles avant les premières libérations », Le Monde, 19-20 janvier 2025, p. 3.

[10] Faustine Vincent, « Huit anciens hauts dirigeants arméniens du Haut-Karabakh jugés en Azerbaïdjan », Le Monde, 19-20 janvier 2025, p. 6.

[11] Raphaëlle Rérolle, Les proches d’otages : « Nous avons perdu six mois », Le Monde, 17 janvier 2025, p. 3.

[12] Marc-Antoine Pérouse de Monclos, « En Afrique, l’Élysée se fait désormais dicter sa conduite », Le Monde, 17 janvier 2025, p. 27.

[13] Jean Daspry, « De la diplomatie des otages à la diplomatie de la carte postale ! », Tribune libre n°165, CF2R, 30 novembre 2024.

[14] Jean Giraudoux, L’impromptu de Paris, pièce en un acte, Grasset, 1937.

Les premiers matériels de la 7e brigade blindée bientôt en route pour l’exercice Dacian Spring 2025

Les premiers matériels de la 7e brigade blindée bientôt en route pour l’exercice Dacian Spring 2025

Roumanie, sur le camp de Cincu, 2022, un char Leclerc et un VBCI (véhicule Blindé de Combat de l’infanterie (Photo by Frederic Petry / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP).

 

Trois rouliers de la CMN vont bientôt charger, dans le port de Toulon, du matériel militaire français à destination de la Roumanie.

Ces équipements sont destinés aux forces françaises qui participeront en mai à l’exercice Dacian Spring 2025 en Roumanie. Un départ est prévu fin février et deux autres en mars (autour du 12 puis autour du 25), à destination du port grec d’Alexandropoulis. Le matériel y sera réceptionné par les spécialistes français du 519e RT qui déploieront un centre opérationnel pour coordonner les mouvements.

Le défi à relever est de taille : il s’agira de déployer une brigade opérationnelle (« une brigade multinationale entière« , indiquait en mai 2024 le général Loïc Girard, représentant national français en Roumanie), en seulement « 10 jours », sur le flanc est de l’OTAN. C’est là que la France déploie, depuis février 2022, un bataillon multinational qui compte actuellement 1500 hommes dans le cadre de la mission Aigle.

Pour l’armée de Terre française, l’édition 2025 de Dacian Spring constitue une occasion cruciale d’évaluer l’état de préparation de ses forces en vue d’une guerre de haute intensité. L’ambition est de déployer, loin de ses bases, tout ou partie d’une brigade « bonne de guerre », c’est-à-dire apte au combat au terme de sa projection.

L’unité retenue par l’état-major des Armées est la 7e brigade blindée de Besançon, une unité de 7500 soldats déjà fléchée pour le théâtre est-européen.

Cette brigade rassemble les unités suivantes:

  • le 35e régiment d’infanterie ;
  • le 152e régiment d’infanterie;
  • le 1er régiment de tirailleurs ;
  • le 1er régiment de chasseurs ;
  • le 5e régiment de dragons ;
  • le 68e régiment d’artillerie d’Afrique ;
  • le 3e régiment du génie
  • la 7e compagnie de commandement et de transmissions.

Plus pratiquement, la France projettera à partir de la métropole un Groupement tactique interarmes (GTIA) blindé et l’ensemble des appuis interarmes de la brigade (génie, artillerie, aviation légère, etc.). Cela représentera, selon le ministère des Armées, plusieurs milliers de soldats (au moins 4000) et plusieurs centaines de véhicules blindés.

Pour rappel, la projection en Roumanie de 500 soldats français, fin février 2022, avait pris 7 jours et exigé 28 rotations d’avions gros porteurs. Par ailleurs, le déploiement initial ne comportait aucun blindé lourd, les VBCI et Leclerc n’étant déployés, par la voie routière, qu’à partir d’octobre 2022.

Mobilité et réactivité

L’exercice vise également à tester, voire améliorer, les capacités logistiques et la mobilité militaire (sur ce dernier point, voir mon post du 9 janvier). Ce sont deux domaines où des progrès sont attendus en raison de procédures transfrontalières pénalisantes et des limitations imposées par les infrastructures insuffisantes ou mal adaptées dans les pays d’Europe que les forces de l’Otan doivent traverser avant d’engager le combat. Des améliorations dans ces deux domaines garantiront des mouvements de troupes plus rapides et plus efficaces et un renforcement des capacités de réaction rapide de l’OTAN.

A ce titre, les conditions du mouvement vers la Roumanie de la 7e brigade blindée, dans le cadre de Dacian Spring, constitueront un autre test crucial pour l’armée de Terre française qui, à la différence de l’US Army, n’a jamais testé ses capacités de projection au niveau brigade. On comprend dès lors pourquoi le chef d’état-major de l’armée de Terre française, le général Schill, a déclaré dans sa Lettre de janvier 2025 que cette année sera « l’année des brigades ».

L’armée française de demain : spécialisation ou conscription ?

L’armée française de demain : spécialisation ou conscription ?

par Martin Anne – Revue Conflits – publié le 1er février 2025

https://www.revueconflits.com/larmee-francaise-de-demain-specialisation-ou-conscription/


Alors que les conflits récents rappellent l’importance des stratégies classiques de terrain, l’armée française entame une mutation profonde pour répondre aux défis de la guerre moderne. Entre la numérisation des systèmes, la montée en puissance des spécialistes et la nécessité de s’intégrer dans des alliances multinationales, les forces terrestres réinventent leur organisation tout en restant attachées à des tactiques éprouvées. Ce paradoxe reflète une constante : si les technologies évoluent, la nature de la guerre, elle, demeure.

L’armée française a hésité longtemps entre un modèle reposant sur la conscription, et un autre bâti sur la professionnalisation. Lorsque de Gaulle publia Vers l’armée de métier (1934), l’état-major et les politiques ont encore en tête la défaite de 1870, quand l’armée était professionnelle, et la victoire de 1918, où la demande d’immenses réserves d’hommes avait imposé la conscription. De l’apparition de la bombe nucléaire naquit la création d’une de force d’action rapide professionnelle au sein de l’armée de conscription jusqu’à la fin de la guerre froide. C’est avec Jacques Chirac et l’abolition du service militaire que la professionnalisation est devenue le modèle de l’armée française. Devant les besoins techniques de la guerre moderne, la multiplication des réservistes ne pourra pas changer ce modèle.

Martin Anne

Une armée de terre en transformation

La modification profonde de l’organisation de l’armée de terre, qui bascule du modèle « au contact » à « l’armée de terre de combat », vise à répondre aux transformations induites par la multiplication des outils numériques. Cette réforme repose sur trois grands axes : une logique d’employabilité des unités, une décentralisation du commandement et une présence accrue de spécialistes au sein des forces terrestres. L’objectif est de répondre aux défis posés par la numérisation, qui exige des profils plus techniques.

La numérisation a refondu les systèmes informatiques et de communication des unités de combat. Désormais, chaque unité est équipée de serveurs informatiques intégrés à leur système de communication radio. Ces systèmes permettent d’obtenir des informations telles que la position GPS, la quantité de munitions tirées et de transmettre des ordres numériques. Le concept de combat collaboratif, développé par Thales, renforcera encore ces capacités en automatisant la transmission de données tactiques grâce à l’intelligence artificielle. Les opérateurs chargés de gérer ces systèmes devront posséder des compétences avancées en informatique pour paramétrer et exploiter ces technologies complexes.

Le renseignement tactique a également gagné en importance. Autrefois concentrés dans deux régiments spécialisés, les moyens de renseignement en images (drones) et en électronique (interception d’émissions électromagnétiques) étaient déployés sur les théâtres d’opérations pour appuyer les groupements tactiques. Désormais, les régiments d’infanterie intégreront des capacités de guerre électronique, tandis que l’utilisation de drones sera généralisée à l’ensemble des armes. Les régiments spécialisés subsistent néanmoins, pour répondre aux besoins en renseignement opératif et stratégique. Cette évolution, réalisée à effectif constant, entraîne une substitution progressive des combattants d’infanterie traditionnels par des spécialistes du renseignement. La mise en œuvre de ces équipements complexes nécessitera également des soldats mieux formés techniquement.

Cependant, l’augmentation des outils de renseignement et de communication entraîne une multiplication des réseaux, et donc des failles potentielles en matière de sécurité. Si le chiffrement des communications est une pratique ancienne, illustrée par des exemples tels que la machine Enigma ou les Windtalkers navajos, les réseaux numériques modernes exigent des solutions de protection toujours plus avancées. La cyberguerre est devenue un enjeu clé, impliquant des actions visant à couper les réseaux de communication ennemis et à accéder à leurs données sensibles. Pour y faire face, l’armée de terre a créé un bataillon cyber, regroupant des unités spécialisées. Cette évolution s’inscrit dans un contexte où les effectifs globaux restent constants, ce qui accroît mécaniquement la proportion de spécialistes dans les rangs.

Ainsi, le nombre de spécialistes augmentera fortement dans l’armée de terre pour relever ces défis technologiques. Intuitivement, on pourrait en conclure que les clés de la victoire résident désormais dans des opérations ciblées, comme la prise de contrôle des réseaux informatiques ennemis, plutôt que dans la conquête traditionnelle de territoires. Pourtant, les conflits récents en Ukraine et au Proche-Orient démontrent que la conquête physique reste un élément central des affrontements.

Des fondamentaux qui demeurent

Dans le conflit ukrainien, le contrôle du terrain demeure un objectif politique central. Vladimir Poutine, en 2014, déclarait que « la Crimée et Sébastopol sont rentrés au port », affirmant ainsi ses visées territoriales. Reflétant l’assertion de Clausewitz selon laquelle « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens », la conquête du terrain constitue l’objectif militaire principal de ce conflit. Celle-ci s’appuie sur le déploiement de troupes au sol, suivant des tactiques classiques.

Par exemple, l’offensive ukrainienne vers Koursk a été menée par des brigades mécanisées dont l’organisation reste comparable à celle de la Deuxième Guerre mondiale. Les chars de bataille y jouent toujours un rôle central, en perçant le front ennemi pour permettre à l’infanterie de progresser. Les appuis en génie et artillerie conservent leur fonction traditionnelle : préparer le terrain en vue de sa prise. Ainsi, un général ukrainien pourrait aujourd’hui, à l’instar du maréchal de Lattre de Tassigny, déclarer au sujet de l’une de ses brigades mécanisées : « C’était mon élément de décision. » La rupture du front, obtenue par une concentration de moyens blindés dans une zone favorable, reste une méthode privilégiée pour remporter la victoire.

Dans cette organisation conventionnelle, les technologies dites « de rupture » sont intégrées au sein des brigades, mais leur utilisation demeure confiée à des unités spécialisées. Ces technologies participent au nouveau combat interarmes sans pour autant remplacer les équipements traditionnels. Par exemple, le drone ne remplace pas le char, comme le char avait autrefois remplacé le cheval. La guerre moderne ne peut donc être menée exclusivement derrière un écran : elle reste un affrontement terrestre, où la quantité d’hommes engagés demeure un facteur clé pour obtenir l’avantage. Une armée négligeant ce rapport de force risquerait rapidement d’être surpassée. En Europe, les armées prises individuellement ne disposent pas des effectifs suffisants pour répondre à ces exigences, à l’exception notable de l’armée américaine, qui combine haute technologie et armée de masse.

La réserve : une alternative à l’armée permanente

Les guerres au Proche-Orient et en Ukraine, bien que différentes — asymétrique pour l’une, symétrique pour l’autre —, ont toutes deux nécessité la mobilisation de réservistes. Tsahal, l’Ukraine et la Russie peuvent compter sur des centaines de milliers de réservistes ayant récemment effectué leur service militaire. Ces derniers possèdent les qualifications nécessaires pour utiliser du matériel moderne, permettant d’augmenter rapidement et efficacement les effectifs des armées régulières.

En comparaison, les forces opérationnelles terrestres françaises comptent 77 000 soldats, et l’armée de terre 120 000, avec 25 000 réservistes. Ces chiffres soulignent les limites du modèle d’une armée réduite. Pour y remédier, la nouvelle loi de programmation militaire (LPM) prévoit une augmentation significative de la réserve opérationnelle, visant le recrutement d’un réserviste pour deux soldats d’active. L’objectif est d’atteindre 100 000 réservistes d’ici 2030.

Cependant, ce modèle présente des faiblesses. Les réservistes français, formés comme généralistes, ne reçoivent pas de formation spécialisée. Par exemple, un réserviste d’un régiment de cavalerie peut remplacer un collègue d’un régiment de transmissions, mais aucun des deux n’atteint le niveau de compétence de son homologue d’active. Contrairement à Tsahal, où les réservistes peuvent être mobilisés pour opérer des chars Merkava, les réservistes français ne sont pas qualifiés pour utiliser les Leclerc. Ce déficit de spécialisation, combiné à la complexité croissante des équipements, allongerait le délai de mobilisation des unités de réserve en cas de conflit.

La doctrine actuelle exclut l’emploi des réservistes dans des missions de combat face à une armée moderne. Leur rôle se limiterait à des missions sur le territoire national, tandis que l’active serait déployée en opération. Ainsi, en cas de guerre, l’armée conventionnelle française ne pourrait compter que sur ses effectifs permanents.

Face à ces défis, la France mise sur son intégration dans des alliances multinationales, seule solution pour compenser le manque d’effectifs. Dans son modèle actuel et futur, l’armée française doit accepter sa dépendance envers ses alliés pour garantir une capacité d’intervention suffisante en cas de conflit.

Une armée numérisée aux tactiques traditionnelles

L’armée française reste attachée à son modèle « d’armée complète », qui vise à maintenir un éventail complet de capacités militaires. Ce modèle est adapté aux effectifs qui lui sont alloués, mais il permettrait également de transmettre, conserver et développer ses savoir-faire si une augmentation rapide des effectifs devenait nécessaire. En revanche, un manque d’adaptation risquerait de conduire à ce que l’on appelle le syndrome de la « guerre de retard », où une armée nombreuse et expérimentée, mais utilisant des technologies et des méthodes dépassées, se verrait surpassée par une force plus jeune et agile, équipée des dernières avancées technologiques.

Bien que les nouvelles technologies aient modifié certains aspects de la micro-tactique et contribué à dissiper le « brouillard de la guerre » en offrant une meilleure visibilité des situations, elles n’ont pas transformé la nature même du conflit. Le champ de bataille en 2024 reste marqué par la présence de chenilles de chars, de tranchées et de troupes massées aux frontières. Ainsi, malgré l’introduction massive de composants électroniques dans les équipements militaires, les éléments fondamentaux de la guerre demeurent inchangés.

Une commande mais pas que !

Une commande mais pas que !

par Blablachars- publié le 29 janvier 2025

https://blablachars.blogspot.com/2025/01/une-commande-mais-pas-que.html#more


On a appris avant-hier la notification fin 2024 par la Direction Générale de l’Armement à KNDS France d’une commande portant sur la rénovation de 100 chars Leclerc, après les 50 exemplaires commandés en 2021 et 2022. Cette nouvelle commande porte à 200 le nombre de chars rénovés, cible dont l’atteinte est prévue au cours de la prochaine Loi de Programmation Militaire (LPM) 2030-2035. La LPM actuelle prévoyant la « scorpionisation » de 160 chars à l’horizon 2030. Cette commande qui s’inscrit dans le cadre du programme Scorpion a le mérite d’assurer la visibilité du plan de charge du site de Roanne au sein duquel est réalisée la rénovation du Leclerc, interroge également sur les intentions de la DGA pour l’avenir du char. 

Les commentaires accompagnant l’annonce de cette notification ne peuvent que tempérer l’enthousiasme des partisans les plus optimistes du char français, soucieux de son avenir. En effet, il est clairement expliqué que « les travaux de rénovation […] permettront au char Leclerc de rester en service jusqu’à l’arrivée du futur système de combat terrestre Main Ground Combat System ou MGCS ». Ce commentaire plutôt laconique est la confirmation des propos du Général Schill à Eurosatory qui avait fermé la porte à toute autre rénovation du Leclerc, condamné à attendre l’arrivée de son successeur et surtout à vieillir loin des préoccupations de la DGA et de l’armée de terre. La commande de la DGA apparait comme le dernier clou du cercueil du char français, entérinant la modernisation jusqu’à 2035 et ne laissant donc aucune place à une éventuelle solution de rechange. On ne peut qu’admirer la délicatesse de la manoeuvre de cette administration qui n’a jamais considéré le segment de décision comme une priorité, comme en témoigne la revalorisation du char et celle du dépanneur réalisées toutes deux a minima et faisant fi de tous les observations des conflits en cours. 

 

 

Alors que chaque jour apporte son lot de propos et de déclarations sur les tensions actuelles et les risques de survenue d’un conflit de haute intensité, la France continue à développer un segment médian que tout le monde s’accorde à reconnaitre aussi réussi qu’inadapté aux engagements actuels et futurs. Notre participation à un conflit de haute intensité nous placerait inévitablement dans une situation délicate au regard des moyens engagés, que beaucoup savent inadaptés à des opérations très éloignées de la contre-insurrection ou de l’intervention lointaine. Le conflit au Moyen Orient montre que même l’affrontement d’un proxy terroriste comme le Hamas ou le Hezbollah nécessite également des moyens lourds dont nous sommes aujourd’hui largement dépourvus, et ce dans plusieurs domaines comme le bréchage ou encore les feux dans la profondeur. Dans la partie qui se « joue » entre la DGA, l’armée de terre, l’industriel et bien sur les financiers, il est difficile de trouver l’origine de ce désintérêt pour le segment lourd, même si pendant longtemps les argentiers ont tenu le mauvais rôle. Du côté industriel, les innovations sont au rendez-vous comme en témoigne la présentation du Leclerc Evo et de l’Ascalon au dernier salon Eurosatory. Du côté de la DGA, le service minimum semble de mise pour le char et son dépanneur, ce dernier recevant le système  Scorpion, l’incontournable brouilleur Barage, le tourelleau T1 de Hornet (différent de celui du char de combat) mais aucun système d’accrochage sous le feu.  Ce manque d’ambition se retrouve sur le char, dont la rénovation se résume à quelques améliorations ponctuelles, la plus significative étant là aussi le système Scorpion. Il faudra attendre 2028 pour voir les viseurs PASEO, sauf glissement / étalement de la commande ! A noter que le tourelleau T2B de FN Herstal est positionné à la place exacte de feu l’Armement de TOit (ATO) qui équipait les engins de présérie et qui fut refusé pour la version EMAT et adopté par les Émirats Arabes Unis. Il convient d’ajouter que bon nombre des équipements ajoutés dans la rénovation, le sont sous forme de kits de prédispositions permettant d’accueillir le cas échéant le composant prévu. L’armée de terre ne pipe pas mot, engagée (de gré ou de force) dans la pérennisation du parc Leclerc (concept un peu flou qui laisse la porte ouverte à de nombreuses itérations) remettant fortement en question sa survie opérationnelle pour les années à venir. 

 

 

Hasard du calendrier, la décision de la DGA est rendue publique quelques jours seulement après l’évocation par le colonel Dirks de l’après Leopard 2 et des études en cours sur le sujet. On ne pouvait imaginer circonstances plus favorables pour souligner les différences existant des deux côtés du Rhin à propos de cet engin. Quel que soit l’avenir du futur Leopard 3, il a déjà le mérite de provoquer une véritable réflexion sur l’avenir du char de combat et sur le recensement des solutions technologiques disponibles pour son évolution. Le Leclerc Evo, même s’il est perfectible a également le mérite d’apporter des solutions et de tenter de susciter un débat sur l’avenir du char. Débat dont la France se prive depuis de (trop) longues années et dont nous payerons forcément les conséquences dans les années à venir. La première d’entre elles est le risque de plus en plus importante de nous voire imposer le calendrier du programme MGCS, mais aussi les caractéristiques du futur MGCS, par un partenaire disposant dès maintenant d’une solution de transition et d’une clientèle conséquente. 

L’intérêt allemand pour le char et son avenir n’a finalement rien de surprenant dans ce pays où les meilleurs choisissent de servir au sein de la composante blindée mécanisée, préférant sentir la graisse et la poudre plutôt que le sable chaud ! Il est des choix qui ne s’expliquent pas !

Sur quoi le chantage algérien repose-t-il ? Editorial de Bernard Lugan

Sur quoi le chantage algérien repose-t-il ?

Editorial de Bernard Lugan – février 2025

Le jusqu’auboutisme algérien se manifeste par des errements diplomatiques apparentés à une fuite en avant. 
En plus de l’état de quasi-guerre que l’Algérie entretient avec le Maroc, de ses provocations à l’égard de la France, de sa rupture avec le Mali et des sanctions commerciales qu’elle vient de décider contre la Colombie et le Panama qui ont reconnu la marocanité du Sahara occidental, voilà que les gérontes au pouvoir à Alger viennent de provoquer une grave crise avec la Turquie (voir page 17 de ce numéro).
L’amateurisme-fanatisme d’Alger est le reflet d’un régime aux abois qui se raidit et se crispe au lieu de tenter d’acheter sa survie par une profonde remise en cause. La situation de l’Algérie est en effet dramatique à deux grands titres :
– L’État meurt de l’intérieur, écrasé par ses propres contradictions et ruiné par les prévarications de sa nomenklatura.
– Cette agonie de l’État provoque l’isolement de l’Algérie, sa perte de crédibilité et sa marginalisation sur la scène internationale. Ce qui conduit à une crispation débouchant aujourd’hui sur une impasse répressive qui va finir par faire exploser le pays.
Le pire est que les dirigeants algériens semblent se comporter comme des suicidaires cherchant névrotiquement à se rapprocher du pire. 
A y regarder de près le pouvoir en place à Alger parait en effet avoir clairement décidé de s’auto-détruire et de précipiter le pays dans l’abîme. Comme si, seule la politique du pire pouvait lui fournir une ultime bouffée d’oxygène avant de trépasser. Après avoir dilapidé ses ressources humaines et financières, l’Algérie est aujourd’hui exsangue.
Or, au lieu de profiter de la situation pour enfin mettre à plat le contentieux qui oppose la France et l’Algérie, les dirigeants français vont une fois de plus composer. 
Et pourquoi ? 
Ce n’est pas une pression économique que peut exercer l’Algérie puisque le gaz et le pétrole ne représentent respectivement que 8% et 9% de la consommation française. Quant au commerce de la France avec l’Algérie, il ne compte pas puisqu’il n’est en moyenne que de 12 milliards d’euros pour un commerce extérieur français global moyen de 770 milliards d’euros. 
– Ce n’est pas davantage le poids d’une cinquième colonne immigrée dont les éventuels agissements illégaux pourraient être facilement réglés par de fermes mesures de simple police…
Alors ? Là est en effet toute la question…

Un préalable, restaurer la Nation (CMF – Dossier 31)

Un préalable, restaurer la Nation (CMF – Dossier 31)


Le général (2S) Olivier de Becdelièvre attire notre attention sur la fragilité de notre société. Elle souffre de maux qu’il convient d’affronter pour restaurer une Nation qui doit être en mesure d’affronter les périls qui nous guettent.

 * * * 

Si l’on en croit les sondages, les armées jouissent, parmi les institutions de notre pays, d’un haut degré de popularité. Les actions de communication conduites à l’occasion d’événements nationaux ou locaux semblent le confirmer. Les militaires français sont, dans l’ensemble, bien perçus et les armées sont l’objet d’un large soutien de la population.

Au-delà de ce consensus encourageant, l’évolution des perspectives stratégiques depuis une quinzaine d’années, révélée par l’intervention russe en Ukraine et par les rebondissements du conflit au Moyen-Orient, pose la question de notre capacité à faire face à des situations susceptibles de remettre en cause les fondements de notre société. Qu’en serait-il si la France était impliquée dans un conflit de haute intensité en Europe ou devait affronter une déstabilisation majeure de sa situation intérieure ? Faire face à de tels défis nécessite une volonté commune et une adhésion profonde du corps social.

Il s’agit donc de déterminer si notre société marquée par une montée de l’individualisme, la remise en cause de ses fondements et une mixité sociale croissante demeure capable de « former Nation » et de trouver en elle-même les ressorts d’une défense crédible parce que fondée sur une volonté commune. L’efficacité des armements dont nous nous dotons doit s’accompagner d’un regain de l’esprit de défense, étroitement lié à la cohésion et au moral de la Nation. Il convient alors de s’interroger sur la nature des moyens à employer pour le conforter.

Individualisme et remises en cause

L’individualisme comme forme extrême de la liberté individuelle, écartant d’emblée les contraintes extérieures, et en premier lieu les préceptes moraux, semble caractériser l’évolution de nos sociétés occidentales, et parmi elles de la société française, qui, pour reprendre l’expression de Jérôme Fourquet[1], s’est « archipélisée ».

Entendons par là que l’organisation sociale de jadis, articulée autour de grands pôles, parfois antagonistes, tels que la défense de l’État laïc et républicain, le soutien à l’Église catholique et aux valeurs chrétiennes, l’affrontement entre le capitalisme et le prolétariat orchestré par le Parti communiste et ses soutiens, s’est aujourd’hui comme disloquée. Est en cause l’influence de facteurs divers, parfois liés, mais pas nécessairement, tels que l’effacement progressif des références chrétiennes, l’émancipation des mœurs, la remise en cause de l’État, la perte de crédit des partis politiques traditionnels, mais également la transition d’une économie de production vers une économie de services.

L’on constate en effet l’émergence de générations beaucoup plus individualistes que leurs aînées, et généralement réticentes à s’engager, que ce soit pour une cause collective, au service d’une Église, d’un parti ou d’un corps de l’État, ou pour fonder une famille. À la « crise des vocations », en particulier religieuses, répondent le déclin généralisé de l’institution matrimoniale et le recul de la natalité, tendances lourdes constatées en Europe occidentale depuis le milieu du XXe siècle. Simultanément, pour s’en tenir au domaine de la défense, le Service national, perçu comme inégalitaire et attentatoire à la liberté individuelle des garçons, est de plus en plus mal accepté de la jeunesse[2]. L’annonce de la suspension de la conscription par le Président Chirac, en février 1996, rendue possible par le contexte international, est ainsi accueillie avec soulagement par une société soucieuse de toucher les « dividendes de la paix », une paix supposée durable, sinon perpétuelle.

Un autre signe de la démobilisation de notre société est le désintérêt de la population pour la chose publique, en tout cas pour sa forme institutionnelle. Ainsi le taux de participation aux élections s’effrite-t-il régulièrement, abstraction faite de sursauts inattendus, dont celui des législatives de 2024, encore que de manière différenciée selon les types de scrutin[3]. Cette évolution préoccupante pose naturellement la question de la représentativité des élus, voire de leur légitimité vis-à-vis de l’opinion publique, et ce d’autant plus qu’elle s’accompagne d’une défiance croissante vis-à-vis d’institutions dans lesquelles nombre de nos concitoyens ne se retrouvent plus. Les épisodes électoraux de l’été 2024 et la difficulté à former un gouvernement acceptable par des factions revendiquant une victoire électorale aussitôt contestée par leurs adversaires n’ont rien amélioré, ni surtout résolu les questions qui préoccupent et, souvent, divisent nos concitoyens. L’organisation sans faille et le déroulement sans faute des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris, soutenus par un engagement massif de bénévoles, ont certes témoigné d’un vif intérêt national, mais n’ont, semble-t-il, constitué qu’une trêve.

Une société « écartelée » ?

La désaffection constatée pour la politique au sens large, celui du « soin de la cité » semble révélatrice d’une fragmentation de la société, dont on peut s’interroger sur sa volonté de construire un avenir commun.

Cette fragmentation est, pour une part, ethnique en raison de la présence sur le sol national d’une population d’origine immigrée de plus en plus nombreuse et dont l’assimilation demeure problématique, à supposer qu’elle soit souhaitée par les intéressés eux-mêmes. Son importance numérique est difficile à évaluer en l’absence de statistiques ethniques. Sans tenir compte de l’immigration illégale, la population récente d’origine immigrée sur le sol national est de l’ordre de 7,3 millions de personnes sur une population de 68,1 millions d’habitants (10,7 %), dont 2,5 millions ont acquis la nationalité française, tandis que 1,7 million de personnes de nationalité française sont nées à l’étranger. Selon que l’on inclut ou pas les personnes nées de nationalité française à l’étranger, la population considérée comme « immigrée », pour près de la moitié d’origine africaine[4], compte pour 10,7 % à 13,1 % de la population nationale.

À l’inverse des enfants de la population d’origine polonaise, italienne ou ibérique installée au long du XXe siècle, une partie des immigrés récents, le plus souvent de culture musulmane, cherche peu à s’intégrer à la population autochtone, ayant au contraire tendance à se rassembler en communautés. Souvent regroupée dans de grands ensembles immobiliers, vivant en vase clos en périphérie des villes, cette population tend à développer une vie sociale propre, conforme à leur culture d’origine. Sans généraliser force est de constater que, sous la coupe violente d’une petite minorité organisée en bandes, certaines cités sont devenues de modernes ghettos souvent synonymes de zones de non-droit et d‘insécurité, vivant de trafics illicites, dont celui des stupéfiants n’est pas le moindre. Repliée sur elle-même, en marge des lois de la République, cette population devient ainsi un vivier à la disposition d’agitateurs de tous ordres, propre à alimenter le terrorisme. Les symboles de la puissance publique que sont policiers, pompiers, enseignants ou simplement édifices publics y sont sporadiquement pris à partie au cours d’épisodes de violences urbaines devenus répétitifs.

À cette fracture vient s’ajouter une fracture économique et sociale, en raison notamment de la forte régression des activités de production au profit de celles de services. À une activité structurée par l’existence de groupes animés peu ou prou par un esprit d’entreprise a succédé une économie de distribution où coexistent structures logistiques centralisées et agents d’exécution de tâches élémentaires ne nécessitant pas ou peu de qualification. Ainsi viennent à s’opposer en quelque sorte les « gagnants » et les « perdants » des transformations économiques des dernières décennies. Une élite culturelle qui, globalement, profite, ou a profité, de l’essor économique des dernières décennies, de l’ouverture des frontières, et de la mondialisation, constitue une « France d’en-haut », disposant de revenus confortables et plutôt optimiste, qui s’éloigne de plus en plus de ceux de nos concitoyens qui, au contraire, ont subi le choc de la désindustrialisation. Souvent déclassés, sans perspective d’évolution professionnelle ou sociale, ou se jugeant défavorisés à des titres divers, notamment par leur isolement dans la France des « territoires », loin des centres de décision, ils forment « la France d’en-bas », celle des « gilets jaunes » après avoir été celle des « bonnets rouges », ou celle des agriculteurs s’estimant trahis par le pouvoir. Cette partie de la population se considère peu ou prou comme exclue d’un système dont elle vient à dénier la légitimité.

L’évolution de cette société aux facettes multiples, souvent divisée contre elle-même, pose la question de sa capacité à « faire Nation », à se donner ou à retrouver les valeurs capables de mobiliser ses efforts, de surmonter l’individualisme ambiant comme les fractures constatées, en d’autres termes de reforger un esprit de défense.

Restaurer la Nation

Un esprit de défense ne saurait en effet exister et se développer sans un minimum de consensus autour de ce que nous voulons défendre, de manière concrète. Au-delà de l’invocation des « valeurs de la République », il s’agit pour nous de revenir à la question fondamentale de la Nation. « Qu’est-ce qu’une Nation ? » interrogeait déjà Ernest Renan en 1882[5], dans une conférence en Sorbonne demeurée célèbre et toujours considérée comme une référence pour nos diplomates. Si nous partageons en effet une « Patrie », héritage tant matériel qu’immatériel reçu de nos pères, si nous vivons en société au sein d’un même « État », organisation politique et sociale, la « Nation » peut se définir comme une communauté d’héritiers organisée en société et partageant de ce fait un certain nombre de valeurs, un projet commun, a minima une volonté de vivre ensemble, et autant que possible une vision partagée de l’avenir, le sien propre et celui des générations à venir. C’est ce que Renan lui-même exprime par « la volonté de continuer à faire valoir ensemble l’héritage qu’on a reçu indivis ». C’est à cette volonté de vivre et surtout de construire ensemble que l’on peut mesurer le « moral » d’une Nation, et c’est d’elle que procède, en grande partie, l’esprit de défense.

Il s’agit donc de traduire cette volonté de « continuer à faire valoir l’héritage » dans la réalité d’aujourd’hui, en s’attaquant aux facteurs de délitement de notre société, tant dans le domaine de la politique générale que dans celui de l’éducation individuelle et collective. Aussi nous faut-il réduire autant que faire se peut les facteurs de faiblesse de notre société parmi lesquels nous avons identifié la menace d’un flot migratoire mal maîtrisé et l’affaiblissement de la cohésion nationale due à la détérioration du lien social.

La maîtrise de l’immigration, légale ou non, est une question récurrente et les gouvernements successifs se sont efforcés depuis un demi-siècle de trouver un équilibre entre accueil des populations allochtones, intégration et « vivre ensemble », ce dont témoignent les « politiques de la ville » successives. On notera sur ce point une inflexion de la position de nos voisins européens, non plus seulement de la Hongrie, mais également du Danemark, de la Pologne et de l’Allemagne. Alors que l’Union européenne a, depuis 2015, plutôt facilité l’arrivée de populations extérieures, entre autres pour lutter contre les effets d’une démographie en berne,  la Commission européenne tient désormais un discours plus restrictif visant à durcir les conditions d’immigration au sein de l’UE.

Sans doute est-ce nécessaire, mais le problème immédiat semble davantage d’intégrer les populations d’origine étrangère déjà présentes sur notre sol et plus particulièrement nos concitoyens de fraîche date. Il s’agit de les faire participer davantage à la vie de la Nation, par un engagement personnel et collectif dans la vie de la cité. La jeunesse est concernée au premier chef et l’Éducation nationale contribue de manière méritoire à cette tâche. Elle doit être relayée par les différentes formes d’engagement que sont les clubs sportifs, les mouvements inspirés du scoutisme ou autres, en veillant naturellement à ce que ces structures ne contribuent à isoler les jeunes en renforçant les particularismes et en créant par-là de nouveaux ghettos. Il est surtout indispensable que les familles s’engagent en ce sens, tant l’environnement social et familial demeure prégnant.

S’attacher à limiter les conséquences de la fracture sociale est également une priorité, à défaut de pouvoir s’attaquer à ses causes qui sont à chercher dans l’évolution de nos sociétés tournées vers les activités de services au détriment de celles de production qui nécessitaient naguère des structures parfois lourdes, ou ressenties comme telles, mais souvent protectrices et encourageant souvent en leur sein le sens de l’effort collectif. Le « paternalisme » souvent critiqué des grandes entreprises, dont Michelin est resté un témoin emblématique, est souvent tombé en désuétude, sans avoir trouvé de successeur dans nos modernes sociétés de services qui s’y sont substituées.

Celles-ci ont en effet développé des métiers de la logistique, et souvent ceux de sa partie terminale, la distribution, générant des emplois souvent peu ou pas qualifiés, souvent instables et sans grandes perspectives de progression. Pour compenser l’effet déstabilisant de cette précarité, il parait nécessaire de développer les structures permettant aux individus un minimum d’épanouissement et de perspectives, et recréant un lien social générateur de motivation. Cet épanouissement peut être recherché dans une activité sportive, culturelle ou artistique, mais aussi par l’engagement personnel au service de la communauté, association locale ou corps de l’État. Le candidat à l’engagement dans les armées qui se présente au CIRFA est, bien souvent, un jeune en quête de repères et de motivations.

Les tentatives visant à remotiver la société et particulièrement la jeunesse, souvent accompagnées de leur sensibilisation aux questions de défense n’ont pas manqué, depuis la création du service civique en 2007 jusqu’à, plus récemment, l’institution du Service national universel. En dépit des critiques et des lenteurs de sa mise en œuvre, voire de sa remise en cause en raison de son coût, il s’est bien agi, dans l’intention du gouvernement, de « permettre la mise en œuvre du service national universel afin de renforcer l’engagement de nos concitoyens les plus jeunes dans la vie de la cité »[6].              La renonciation, par le Président de la République en mars 2023, à rendre obligatoire le SNU, puis sa disparition des priorités au cours de l’automne 2024 n’enlèvent rien à la pertinence d’un projet salué en son temps (octobre 2018) par Gabriel Attal,                     alors secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse et chargé à ce titre de sa mise en place, comme « la plus grande réforme de société du quinquennat ».

C’est en effet par une restauration du lien social et par une volonté de « vivre et construire ensemble » que passe l’esprit de défense, si nous entendons par là la manifestation collective des citoyens que nous sommes de construire la cohésion de la Nation face à des risques et menaces de plus en plus diversifiés, sachant que nous ne pourrons défendre collectivement que ce que nous partageons… et aimons.

Au-delà du travail de formation, d’éducation, de cohésion sociale auquel la communauté nationale doit s’astreindre, il est à notre sens nécessaire de s’attaquer également aux défis que sont l’évolution de la démographie et la mise en question de la cellule de base de la société qu’est la famille. Forger un avenir commun nécessite d’abord d’exister par-delà les générations et il parait hasardeux sur ce point de s’en remettre pour y parvenir à des populations allochtones porteuses d’autres valeurs que les nôtres. Sans renouvellement des générations, une Nation n’a pas d’avenir et, à la base de la construction sociale, il revient aux cellules familiales de jouer leur rôle fondamental de foyers d’éducation et de transmission des valeurs fondatrices de la vie en société.

Développer ces perspectives dépasse évidemment le cadre de cet article, mais il n’en demeure pas moins que l’avenir de la Nation dépend, au-delà de mesures ponctuelles indispensables, de choix de société allant pour une part à l’encontre de tendances bien ancrées dans l’air du temps. En aurons-nous, en tant que communauté, le courage ?

Conclusion

Alors que la perspective d’un engagement de nos forces armées dans un conflit de haute intensité n’est plus un simple cas d’école, et que le pays pourrait être déstabilisé par une montée de la violence sur fond de conflit social ou ethnique, il convient de s’attaquer aux fragilités de notre société que sont l’individualisme généralisé et les diverses fractures qui affectent le corps social. Ces maux sont connus, identifiés, et le plus souvent déjà combattus par les gouvernements successifs, avec des succès divers. La question qui se pose est celle du courage dont la communauté nationale doit ou devra faire preuve pour reconstruire, sinon « refonder » la Nation, autrement dit la question de « la volonté de continuer à faire valoir ensemble l’héritage qu’on a reçu indivis », condition nécessaire à notre défense comme à notre survie.


NOTES :

  1. Jérôme Fourquet, L’archipel français, Naissance d’une Nation multiple et divisée, Seuil, 2019.
  2. Manifestations contre la Loi Debré (1973) et la réforme des sursis, comités de soldats (milieu des années 70), opposition à l’extension du camp du Larzac (1975).
  3. Le taux d’abstention au premier tour des élections présidentielles est ainsi passé de 15,2 % à 26,31 % entre 1965 et 2022, celui des législatives de 22,8 % en 1958 à 52,49 % en 2022. Peut-être faut-il y voir une certaine défiance vis-à-vis du type de scrutin adopté pour les législatives, l’abstention au scrutin du 16 mars 1986, à la proportionnelle, ayant marqué un « point bas » relatif avec 21,5 %, mais les taux d’abstention mesurés pour l’ensemble des scrutins suivent la même tendance, y compris pour les élections municipales dont on pourrait supposer qu’elles touchent davantage les citoyens du fait des enjeux en cause : de 25,2 % en 1959, l’abstention reste relativement stable jusqu’en 1989 (27,2 %), puis augmente régulièrement jusqu’en 2014 (36,45 %) et fait un « saut » en 2020 avec 55,25 %.
  4. Données INSEE 2023.
  5. Conférence en Sorbonne du 11 mars 1882, publiée la même année chez Calmann-Lévy.
  6. Projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique présenté en conseil des ministres le 28 août 2019.

CERCLE MARÉCHAL FOCH

CERCLE MARÉCHAL FOCH

Le Cercle Maréchal Foch est une association d’officiers généraux en 2e section de l’armée de Terre, fidèles à notre volonté de contribuer de manière aussi objective et équilibrée que possible à la réflexion nationale sur les enjeux de sécurité et de défense. Nous proposons de mettre en commun notre expérience et notre expertise des problématiques de Défense, incluant leurs aspects stratégiques et économiques, afin de vous faire partager notre vision des perspectives d’évolution souhaitables. Le CMF est partenaire du site THEATRUM BELLI depuis 2017. (Nous contacter : Cercle Maréchal Foch – 1, place Joffre – BP 23 – 75700 Paris SP 07).

Une étude met en garde contre le possible « déclassement » de l’aviation de combat française

Une étude met en garde contre le possible « déclassement » de l’aviation de combat française


Lors d’une audition parlementaire, en juillet 2017, alors chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace [CEMAAE], le général André Lanata s’était inquiété du déclassement potentiel de l’aviation de chasse française, en raison de fragilités engendrées par les « politiques menées lors des dix dernières années ».

Lors de son intervention, il avait ainsi souligné la « prolifération » des moyens de déni et d’interdiction d’accès [A2/AD], basés sur des systèmes de défense sol-air toujours plus performants… Ce qui était une façon d’aborder, en creux, le déficit capacitaire de l’AAE en matière de guerre électronique et de suppression des défenses aériennes adverses [SEAD] depuis le retrait du service du missile antiradar AS-37 MARTEL.

En outre, au-delà du format de l’aviation de chasse, le général Lanata avait affirmé que le chasseur-bombardier F-35, dit de cinquième génération en raison de sa « furtivité », constituait « l’une des illustrations » du risque de déclassement qu’il redoutait alors.

Le F-35 « change la donne sur le plan des capacités opérationnelles en raison, principalement, de sa discrétion […] et de ses capacités de connectivité : il connecte massivement des informations avec les autres appareils du système de combat aérien », avait-il expliqué, avant de relever que cet avion allait devenir le « standard de référence » en Europe pour « être capable de participer aux scénarios d’engagement les plus exigeants ».

Depuis, le projet de Système de combat aérien du futur [SCAF] a été lancé dans le cadre d’une coopération avec l’Allemagne et l’Espagne, le standard F4 du Rafale a été qualifié et les contrats afférents au développement du Rafale F5 et d’un drone de combat [UCAV] associé ont été notifiés. Mais il faudra du temps pour que ces programmes se concrétisent… Et cela alors que le F-35 a poursuivi sa « conquête » de l’Europe, après avoir été choisi par les forces aériennes tchèques, allemandes, roumaines ou encore belges, pour ne citer qu’elles.

À l’heure où l’hypothèse d’un engagement de haute intensité est régulièrement évoquée, une étude de l’Institut français des relations internationales [IFRI], réalisée par deux pilotes de chasse [dont l’un n’est plus en activité], pose un constat sévère sur les capacités de l’AAE en matière de supériorité aérienne.

« Le modèle de force français est construit autour de la dissuasion et de la défense aérienne du territoire métropolitain. Il atteint ses limites pour peser efficacement en coalition dans un conflit de haute intensité, en particulier en raison d’impasses sur la furtivité et la SEAD, et du volume insuffisants des flottes, des équipements de mission et des munitions », résume-t-elle.

Mais l’un de ses passages est susceptible de donner matière à débat. Ainsi, d’après des entretiens réalisés auprès « d’officiers supérieurs » de l’AAE « ayant participé sur Rafale aux exercices pluriannuels Atlantic Trident contre des F-22 et des F-35 », les deux auteurs avancent que « l’asymétrie technologique est désormais franche ».

Et de préciser : « Les pilotes français affrontant régulièrement des chasseurs de 5e génération en exercice interalliés constatent que ‘la mission de combat contre des chasseurs furtifs sur Rafale est impossible à gagner en l’état actuel des capteurs ».

Si « la furtivité radar n’est certes pas suffisante pour obtenir la supériorité aérienne », elle est cependant un « atout indéniable, en particulier dans les scénarios les plus durs, à moins d’accepter des missions de pénétration en basse altitude, avec un niveau de risque élevé », soulignent les auteurs de cette étude. En outre, poursuivent-ils, « elle pourrait aussi devenir un ticket d’entrée des missions en première ligne, et donc un marqueur d’influence des options stratégiques d’une coalition ».

Dans ces conditions, préviennent-ils, l’aviation de chasse française « pourrait être cantonnée au rôle de ‘supplétif’ » dans une « coalition aérienne à deux vitesses, dans laquelle les chasseurs de 4e génération auront toute leur place ». Le général Lanata n’avait pas dit autre chose il y a presque huit ans.

Cela étant, cette affaire de « capteurs » interpelle. Si un avion comme le F-35 peut être « invisible » pour certains moyens de détection [ce n’est a priori pas le cas pour les radars passifs et cela dépend des bandes de fréquences utilisées], sa signature infrarouge – avec son moteur F-135 – peut le trahir. La voie IR de l’Optronique Secteur Frontal [OSF] du Rafale serait en mesure de le détecter en face à face, sous réserve, toutefois, des conditions météorologiques.

Au passage, le Rafale sera prochainement doté d’un OSF améliorée, la Direction générale de l’armement ayant récemment mené des essais sur une nouvelle optique sur la voie infrarouge de l’OSF, celle-ci étant censée améliorer la « qualité image de la fonction Identification de nuit ».

Cette évolution sera accompagnée par l’intégration de la Liaison 16 block 2, de la radio numérique logicielle CONTACT ainsi que par celle des systèmes TRAGEDAC [qui donnera au Rafale une capacité de localisation passive de cibles grâce à une mise en réseau des avions d’une même patrouille, ndlr] et CAPOEIRA [pour connectivité améliorée pour les évolutions du Rafale]. Qui plus est, le développement d’un missile antiradar est également en cours, dans le cadre du programme à effet majeur « Armement Air-Surface Futur », lequel « répond au besoin de disposer d’une capacité de neutralisation des menaces surface-air de courte et moyenne portée, prérequis indispensable à la capacité d’entrée en premier du Rafale ».

Au-delà des aspects capacitaires, l’étude publiée par l’IFRI souligne également le format réduit de l’aviation de chasse française, qui est « à son plus bas volume historique depuis 1916, et le manque de munitions dites « complexes ».

« Les consommations de missiles air-air observées lors d’exercices de grande ampleur ou de simulations représentent, rapporté aux stocks effectifs en 2024, en sanctuarisant la Posture permanente de sécurité Air et la Composant nucléaire aéroportée, trois jours de combat de haute intensité, voire une journée pour le cas particulier du Meteor. Cette problématique risque de s’aggraver avec le temps au vu des contraintes de vieillissement sur la durée de vie des missiles », affirme en effet cette étude.


Rapport de l’IFRI : https://www.ifri.org/sites/default/files/2025-01/ifri_gorremans_avenir_superiorite_aerienne_2025_0.pdf