Le marché mondial des drogues, une géo-économie singulière particulièrement dynamique ?

Le marché mondial des drogues, une géo-économie singulière particulièrement dynamique ?

Le marché mondial de la cocaïne Statistica

 

Par Florian Manet – Diploweb – publié le 8 septembre 2024  

https://www.diploweb.com/I-Le-marche-mondial-des-drogues-une-geo-economie-singuliere-particulierement-dynamique.html


L’auteur s’exprime à titre personnel. Colonel de la gendarmerie nationale, Florian Manet est essayiste, expert en sûreté globale, chercheur associé à la Chaire « Mers, Maritimités et Maritimisation du monde » de Sciences Po Rennes. Auteur du « Crime en bleu. Essai de Thalassopolitique » publié aux éditions Nuvis (2018), il publie un nouvel ouvrage intitulé « Thalassopolitique du narcotrafic international, la face cachée de la mondialisation » aux éditions EMS avec le soutien financier et scientifique de la Fondation de prospective maritime et portuaire SEFACIL et avec le partenariat opérationnel d’IRENA GROUP et de « Global Initiative Against Transnational Organized Crime » (GI-TOC). Cet ouvrage est préfacé par le général de corps d’armée (Gendarmerie) Jean-Philippe Lecouffe, directeur exécutif adjoint en charge des opérations à EUROPOL, l’agence européenne de police, tandis que Pierre Verluise, docteur en Géopolitique et fondateur du Diploweb.com clôture par la post-face cette réflexion géopolitique thalassocentrée.

Le marché mondial des drogues s’impose par une géo-économie singulière particulièrement dynamique. Exploitant les mécanismes capitalistes, il se fonde sur une offre diversifiée et évolutive, en hausse croissante en volume. Les produits majeurs sont issus de la transformation de la fleur de cannabis et de la feuille de coca. Néanmoins, les nouvelles drogues de synthèse inondent le marché par des conditionnements plus conventionnels qui se noient naturellement dans le flux des marchandises. La demande ne cesse de croitre en volume mais aussi en ouvrant sans cesse de nouveaux marchés par un subtile processus de contamination. A tel point que – in fine – les usages s’uniformisent sur le plan mondial. De fait, une géographie des zones de production et des laboratoires de raffinement ou de transformation chimique des substances se dessine, laissant émerger des espaces spécialisés au sein d’un marché global.

LES MUTINERIES observées dans les centres pénitenciers de Guayaquil en Équateur et la création d’une Alliance des ports au sein de la Rangée nord-européenne en janvier 2024, la saisie en océan Atlantique de 10 tonnes de cocaïne le 20 mars 2024 constituent autant d’illustrations complémentaires d’un phénomène mondial qui impacte la stabilité des États et met en péril l’ordre public socio-économique des sociétés. Il s’agit du commerce illicite de substances stupéfiantes et psychotropes qui répond à une consommation croissante et de plus en plus diversifiée à l’échelle mondiale. Au-delà des seuls impacts sur la santé publique, le narcotrafic constitue une activité criminelle globalisante qui implique l’ensemble des continents mais aussi les espaces océaniques. Ainsi, fort d’un chiffre d’affaire imposant, une complexe géo-économie criminelle tire grand profit de la globalisation de l’économie et des réalités géopolitiques à l’échelle mondiale.

 
Florian Manet
Florian Manet publie un nouvel ouvrage intitulé « Thalassopolitique du narcotrafic international, la face cachée de la mondialisation » aux éditions EMS (2024). F. Manet a précédemment publié « Le crime en bleu. Essai de thalassopolitique« , ed. Nuvis, 2018.
Manet/Diploweb

S’interroger sur un phénomène criminel transnational comme le narcotrafic, c’est se plonger dans les arcanes logistiques d’un commerce international fondamentalement maritimisé. C’est aussi mettre à jour une économie souterraine prolifique centrée sur le consommateur et qui fait vivre des millions de personnes à travers le monde. C’est enfin déterminer l’impact géopolitique porté par la criminalité organisée sur les relations internationales et sur la stabilité interne de sociétés où l’autorité de l’État se trouve être contestée.

Cette géo-économie souterraine particulièrement dynamique se caractérise par des productions en augmentation constante (1) qui alimentent un marché mondial des drogues en expansion durable (2). De manière synthétique, la situation internationale du marché des drogues peut se résumer à la formule suivante « Partout, tout, tout le monde [1] ».

1. Des productions en augmentation constante

Le marché mondial des drogues témoigne d’un dynamisme remarquable à tel point que l’Observatoire Européen des Drogues et des Toxicomanies (OEDT) résume ainsi la situation particulière de ce marché illicite : « Partout, tout, tout le monde ». La disponibilité de produits stupéfiants quels qu’ils soient reste très élevée à l’heure actuelle (11). Comme toute activité économique licite, elle repose sur le système dynamique de l’offre et de la demande réparti sur l’ensemble du globe (12). La rareté et la pureté sont les deux critères définissant le cours des différentes substances.

11. Une pluralité de produits naturels comme chimiques concoure à la diversité de l’offre

Le marché des drogues témoigne d’une profonde diversité et d’une évolution constante de l’offre. Intégrant les nouvelles pratiques addictives absentes de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, la Convention internationale sur les substances psychotropes [2] catégorise les produits selon l’évaluation du risque sur la santé publique et selon leur valeur thérapeutique. Il s’agit soit de produits d’origine naturelle à l’image de la feuille de coca, de la fleur de cannabis ou encore du pavot somnifère, soit de substances issues d’un processus de transformation chimique de molécules.

Les produits naturels, entre consommation traditionnelle et dépendance aux substances psychotropes

Certains produits relèvent d’une tradition bien souvent ancestrale. Ainsi, la civilisation pré-incaïque Tiwanaku [3] cultivait déjà la feuille de coca. Présente au sein de rites et de croyances, elle était donc associée à une dimension culturelle essentielle. L’avènement des Incas a restreint l’usage de cette plante aux seules élites même si, en cas de crise, elle pouvait être distribuée aux populations. Elle revêt, aussi, une fonction mystico-religieuse fondatrice de cette civilisation. Des qualités éminentes lui sont déjà reconnues : substitut alimentaire, valeur énergisante, remède puissant au mal causé par l’altitude et oubli des malheurs. Les feuilles sont mâchées ou infusées et bues sous forme de thé appelé « mate de coca  ». La colonisation espagnole a finalement reconnu, après de nombreux débats autour de l’éradication de sa culture, l’intérêt que présentait cette feuille dans l’ordre public des Incas. Actuellement, la feuille de coca est partie intégrante de la culture bolivienne ancestrale consacrée par l’article 384 de la Constitution de la République de Bolivie : « L’État protège la coca, une plante ancestrale et indigène, comme un patrimoine culturel, une ressource naturelle de la biodiversité de la Bolivie, et comme un facteur d’unité sociale. A son état naturel, la coca n’est pas un narcotique ». Le dilemme observé entre la référence culturelle et les pressions émanant des pays développés consommateurs de cocaïne constitue le fil conducteur de la gestion de la culture de la coca par les autorités boliviennes. La guerre déclarée à cette pratique agricole intervient initialement comme une réaction face à l’explosion de la consommation sur les marchés occidentaux dans les années 1970. Dès lors, déterminer la superficie des cultures sera au cœur des enjeux des politiques publiques et cristallisera aussi les tensions dans la lutte contre les drogues. En effet, les aspects socio-économiques au sein des pays producteurs conditionnent largement la régulation des cultures -vivrières à bien des égards – d’autant plus si la vocation des substances ainsi transformées est l’exportation vers les marchés de consommation. Toutefois, la réalité du trafic finit aussi par s’inscrire dans une logique de rivalité avec l’État central et, parfois, simultanément, avec une concurrence entre acteurs criminels.

La chimie dévoyée crée de nouveaux produits et stimule des usages associés en perpétuelle évolution

L’industrie pharmaceutique exploite usuellement des molécules issues de produits naturels. Ces cultures ont donc un usage hybride : l’un légal recherché pour ses effets notamment en médecine tandis que l’autre exploite ces vertus à des fins psychotropes et crée un effet de dépendance majeure. Ceci illustre aussi la complexité des stratégies de lutte contre les cultures de ces plants, enracinés avant tout dans un usage coutumier et légal. Ainsi, par exemple, l’opium dans ses divers dérivés fournit des substances alcaloïdes aux principes psychoactifs. Ces composants sont employés en médecine à l’image de la morphine ou de la codéine pour leurs effets analgésiques.

Plus largement, de « nouveaux produits de synthèse [4] » sont fabriqués en laboratoire imitant des effets du cannabis, de la MDMA, de l’ecstasy ou des amphétamines. Apparaissant très régulièrement sur le marché, les organisations internationales comme les États n’ont pas encore eu le loisir de classer ces substances comme stupéfiants, échappant donc à la législation. De plus, l’exemple du Captagon illustre un phénomène de dévoiement de médicaments de leur usage initial. Le Captagon est, en effet, une substance développée par un groupe pharmaceutique allemand dans les années 1960 destinée à traiter la narcolepsie et les troubles du déficit de l’attention. Il contient diverses concentrations d’amphétamine [5]. A partir des années 1990, l’usage de ce médicament se répand de manière récréative au Moyen-Orient, notamment en Arabie saoudite, où il trouve son marché principal [6].

12. Une géographie des productions et de la transformation

Les zones de production et de transformation des produits obéissent à des logiques de milieu naturel mais aussi d’infrastructures et de contextes légaux. Autant la culture semble figée, autant les activités de transformation et de production de substances chimiques sont évolutives dans le temps comme dans l’espace. Cela impose de fait un suivi étroit de cette activité qui – rappelons-le – est hybride.

Une géographie des cultures conditionnée par le milieu physique

La géographie des cultures de plantes est déterminée par la qualité des sols, des conditions d’humidité et d’ensoleillement. Même si elles pourraient être étendues à d’autres territoires, il apparaît que les cultures sont très concentrées dans l’espace et au sein même des pays producteurs. Ainsi, la culture du cocaïer est présente dans trois pays andins (Colombie, Bolivie et Pérou). Elle couvrait 315 500 hectares en 2021 (en nette augmentation par rapport à 2020) pour une production annuelle totale de 2 304 tonnes (septième année d’augmentation consécutive). Le pavot somnifère ou pavot à opium se partage entre le Triangle d’or (Myanmar, Laos, Birmanie) et le Croissant d’or (Afghanistan, Pakistan, Iran). Le cannabis est principalement cultivé dans la région du Rif au Maroc mais aussi, dans une moindre mesure, en Afghanistan, en Inde, au Pakistan ou encore au Mexique. L’observation des zones de culture quelles que soient les espèces considérées mène à une conclusion commune : une localisation systématique dans les marges périphériques de l’État, bien souvent dans des secteurs montagneux difficiles d’accès. Comment les autorités publiques contrôlent-elles de tels territoires ? Et, en creux, sont interrogées les capacités à conduire des politiques répressives efficaces face aux tenants de cette économie souterraine.

Des chaînes de transformation décentralisées au plus près des clients

Les drogues résultent d’un processus complexe de transformation des produits naturels comprenant l’adjonction de produits chimiques appelés précurseurs. La tendance actuelle consiste de plus en plus à « casser » le cycle de transformation en réservant les dernières phases du processus dans des laboratoires de raffinement implantés au plus près des marchés de consommation, notamment en Europe. Ainsi, le chlorhydrate de cocaïne est désormais exporté tel quel en vue de son affinage.

La production de molécules par l’industrie pharmaceutique est localisée sur l’ensemble des continents. Des sites de production de méthamphétamine ont été identifiés notamment en Inde, en Corée du Nord mais aussi au Mexique comme aux Pays-Bas. Parfois, ces chaînes de production illégales peuvent s’avérer complexes et spécialisées. Si le marché de consommation du Captagon continue de progresser au Proche et au Moyen-Orient, étant plus timide en Europe, des laboratoires ont, néanmoins, été identifiés en Europe (Pays-Bas). Il apparaît une décentralisation de la chaîne de production de cette drogue : la phase technique de synthèse des molécules établie en Europe permet de constituer de la matière première qui est ensuite expédiée en vrac afin d’être affinée, coupée et conditionnée principalement au Liban. Une telle organisation pose de nombreux défis en terme de détection des flux et d’identification des acteurs répartis sur plusieurs continents.

Comment caractériser le dynamisme du marché mondial des drogues ?

2. Une offre croissante alimente un marché mondial des drogues en expansion constante

Le marché mondial des drogues se caractérise par un dynamisme (21) commun à toutes aires de consommation (22).

21. Les dynamiques du marché de consommation des drogues

L’offre croissante et diversifiée de drogues répond à un marché dont la physionomie se résume aux caractéristiques suivantes :

. un public de consommateurs en forte augmentation. 29 % des adultes de l’Union européenne (UE) âgés entre 15 et 59 ans ont consommé au moins une fois une drogue illicite, soit plus de 83,4 millions de consommateurs. L’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime [7] recensait, en 2009, 210 millions de consommateurs réguliers soit 4 ,8 % de la population mondiale âgée entre 15-64 ans. En 2019, ce sont 275 millions de consommateurs au plan mondial soit 5 ,4 % de cette même tranche d’âge soit une augmentation de 22 % par rapport à 2009. La population des pays en développement connaît, actuellement, une croissance des usages de drogue plus rapide que celle observée dans les pays développés et, ce, indépendamment des croissances différenciées de la population en fonction du niveau de développement. Cette tendance est très marquée pour les jeunes et les jeunes adultes. L’usage récent du cannabis en Amérique du Sud illustre la recomposition des marchés à la suite des nouvelles pratiques ;

. un volume croissant de produits stupéfiants disponibles souvent de teneur ou de pureté élevée. Le marché de la cocaïne est l’un des plus dynamiques au sein de l’UE. La forte disponibilité de la cocaïne s’accompagne certes d’une stabilité des prix mais aussi d’un niveau de pureté inégalée depuis une décennie. Selon l’OEDT, le taux de pureté est étalonné entre 23% et 87 % en Europe. Cependant, plus de la moitié des États-membres estiment que le taux est compris entre 53 % et 69 %. La France, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, l’Espagne et le Royaume-Uni représentent 66 % de la population européenne mais plus de 87 % des consommateurs de cocaïne. De nouveaux marchés en développement sont identifiés comme en Pologne, au Danemark et en Suède mais aussi en Océanie ;

. une grande variété de produits mis à disposition dont des drogues de synthèse et des substances falsifiées ;

 
Figure 1 : Estimation du nombre de consommateurs de drogue illicite dans l’UE en 2022 et tendances des saisies de drogues (période 2010- 2020)
Manet/Diploweb.com

. Des modes de consommation de drogues de plus en plus complexes : poly-consommation, mélange avec des médicaments, de nouvelles substances psychoactives non réglementées et des substances type kétamine ou GBL/GBH ;

. L’UE est producteur de certaines drogues (méthamphétamine, cannabis), pour la consommation intérieure et le marché mondial comme en témoigne le démantèlement de plus de 350 installations de production en 2020 ;

. Des impacts majeurs en matière de santé publique. On estime qu’au moins 5 800 décès [8] par surdose, impliquant des drogues illicites, sont survenus dans l’UE en 2020, soit un taux de mortalité de 16,7 décès par million d’habitants (population adulte). La plupart de ces décès sont associés à une poly-consommation qui implique généralement des combinaisons d’opioïdes illicites, d’autres drogues illicites, de médicaments et d’alcool.

Selon le rapport 2019 [9], le marché des drogues européen est estimé, en valeur, à plus de 30 milliards pour l’exercice 2017.

 
Figure 2 : composition du marché des drogues de l’Union européenne sur la base de 2019
Manet/Diploweb.com

22. Les zones de consommation

Établir une cartographie des foyers de consommation constitue un exercice délicat supposant des données fiables et uniformes collectées dans l’ensemble des États. Ce travail nécessite aussi d’être régulièrement remis en cause par la diffusion de nouveaux usages et de nouvelles tendances liées aux pratiques addictives. Sans chercher l’exhaustivité, il convient de se focaliser sur les traits principaux :

. Le primat économique : la motivation fondamentale du narcotrafiquant est certes l’exercice d’un pouvoir sur un territoire donné mais avant tout l’appât du gain. La rareté demeure un critère de cotation des substances psychotropes et stupéfiantes. Le cours du gramme de cocaïne disponible sur un marché peut constituer, par exemple, un outil d’anticipation des futurs conquêtes. Ceci est bien évidemment transposable aux autres substances. Ainsi, les pays d’Asie du Sud-Est tout comme l’Océanie émergent parmi les marchés les plus lucratifs. Néanmoins, il s’agit de rester attentif à l’évolution du comportement addictif de la population, notamment à Hong-Kong, Macao ou encore à Taïwan. Il en est de même en Arabie Saoudite où le prix élevé peut aussi signifier une forte demande malgré une disponibilité réduite de la cocaïne. Ces critères peuvent séduire des opérateurs criminels dans leurs entreprises.

 
Figure 3 : Cours du gramme de cocaïne en fonction des pays, période 2018-20, en US dollar
Manet/Diploweb.com

. Le jeu circonstanciel des alliances entre opérateurs criminels

L’évolution de la composition du marché de la cocaïne est très illustrative de cette « Realpolitik » illicite. Au début des années 1980, émerge un système intégré voire monopolistique caractérisant le marché de la cocaïne aux mains exclusives d’organisations colombiennes. La cible est principalement le marché nord-américain alors en pleine expansion. Les cartels colombiens sont mis en échec par les autorités américaines lors de l’expédition de leurs cargaisons de cocaïne via les Caraïbes et, ce, aussi bien par voie maritime qu’aérienne. Le franchissement de la frontière terrestre mexico-américaine longue de 3600 kilomètres devient l’enjeu majeur. Ceci leur impose, de fait, de solliciter les cartels mexicains qui maîtrisent, parfaitement, ces techniques. Ainsi, la répartition des rôles est précisément définie. Les Colombiens assurent la fourniture de la drogue tandis que les Mexicains réalisent la mise sur le marché. Ce « service » est initialement rémunéré en numéraire puis, progressivement, en cocaïne à hauteur de 50 %. Ce changement opéré dans la rétribution contribue à modifier l’attitude du partenaire mexicain qui, en conséquence, gagne en autonomie. Interlocuteur unique des consommateurs américains, disposant de plus en plus de produit, il impose ses propres règles dans la transaction illicite et assoie définitivement son monopole. Les Colombiens sont alors progressivement réduits à un rôle de fournisseurs de substances psychotropes.

Cette répartition des rôles se double d’une spécialisation géographique. Les cartels colombiens misent alors sur le marché européen évalué comme étant beaucoup plus rémunérateur. De fait, ils mettent sur pied une stratégie commerciale s’appuyant sur une logistique bien plus complexe, nécessitant de traverser l’océan Atlantique. Ainsi, dès les années 2000, les cartels colombiens investissent l’Europe, exploitant la proximité linguistique et l’expérience des réseaux de contrebande de tabac et s’appuyant sur les organisations criminelles implantées en Galice [10]. Ce marché est perçu comme plus intéressant et moins risqué que le marché américain. En vérité, l’Europe est appréhendée comme un marché ouvert, sans barrière et sans grand risque dans l’importation comme dans la répression de ces trafics. Les estimations chiffrées [11] révèlent le changement radical dans les marchés de la cocaïne. En 1998, 267 tonnes sont expédiées aux États-Unis d’Amérique tandis que l’Europe en reçoit 63 tonnes. L’année 2008 constitue le point d’inflexion avec une baisse de 40 % (160 tonnes) des ventes aux États-Unis et corrélativement une hausse significative de près de 100 % pour l’Europe (124 tonnes estimées). Le bilan financier 2009 valide définitivement les équilibres entre foyers de consommation : l’Europe fournit, pour sa part, plus de 50 % des profits aux organisations criminelles sud-américaines tandis que le continent nord-américain « pèse » pour un tiers des revenus.

. La contamination par de nouveaux usages de population : les pays d’Afrique de l’Ouest jouent le rôle de rebond de flux d’approvisionnement du marché européen de la cocaïne. Le fret illicite est reconditionné sur les quais de déchargement de la rangée ouest-africaine. Au fur et à mesure, les populations locales ont découvert les « usages » de ces substances, initiant ainsi un nouveau marché de consommation. Un autre phénomène est observé en Amérique du Sud, réputée initialement pour sa production et sa capacité d’exportation de la cocaïne. Il s’agit de flux inversés alimentant ce sous-continent de cannabis sous toutes ses formes ;

. Des usages spécifiques  : le Captagon demeure une substance consommée en très grande majorité au Moyen-Orient, notamment en Arabie Saoudite. Autrefois lié aux djihadistes de l’État islamique, ce stimulant connaît un usage préoccupant qui, désormais, s’étend.

*

Ainsi, le marché mondial des drogues s’impose par une géo-économie singulière particulièrement dynamique. Exploitant les mécanismes capitalistes, il se fonde sur une offre diversifiée et évolutive, en hausse croissante en volume. Les produits majeurs sont issus de la transformation de la fleur de cannabis et de la feuille de coca. Néanmoins, les nouvelles drogues de synthèse inondent le marché par des conditionnements plus conventionnels qui se noient naturellement dans le flux des marchandises. La demande ne cesse de croitre en volume mais aussi en ouvrant sans cesse de nouveaux marchés par un subtile processus de contamination. A tel point que – in fine – les usages s’uniformisent au plan mondial. De fait, une géographie des zones de production et des laboratoires de raffinement ou de transformation chimique des substances se dessine, laissant émerger des espaces spécialisés au sein d’un marché global.

Comment s’effectue la logistique de ces substances ? Quel rôle joue le transport maritime, trait d’union entre ces espaces aux fonctions de production, transit et consommation ?

A suivre : Florian Manet, Thalassopolitique du narcotrafic, la face cachée de la mondialisation ? II. Le marché mondial des drogues, une maritimisation irrésistible du narcotrafic ? Publication prévue d’ici fin septembre.

Copyright Septembre-2024-Manet/Diploweb.com

Pourquoi le budget défense 2025 devra respecter la loi de programmation militaire

Pourquoi le budget défense 2025 devra respecter la loi de programmation militaire

OPINION – Nouveau gouvernement, nouvelles priorités, nouvelles orientations économiques ? Alors que le budget du ministère des Armées doit augmenter de 3,3 milliards d’euros en 2025, le groupe de réflexions Mars* rappelle que l’investissement de défense est rentable sur le plan économique, social, fiscal ainsi que pour le commerce extérieur et l’innovation (Recherche & Développement).

« une politique économique avisée de la part du prochain gouvernement français, alors que les pays européens vivent sous la menace de la Russie, devrait commencer par investir massivement dans des capacités industrielles de défense souveraines » (Le groupe Mars)
« une politique économique avisée de la part du prochain gouvernement français, alors que les pays européens vivent sous la menace de la Russie, devrait commencer par investir massivement dans des capacités industrielles de défense souveraines » (Le groupe Mars) (Crédits : PHILIPPE WOJAZER)

L’un des enjeux de la nomination d’un nouveau gouvernement réside dans sa capacité à décider de mesures nouvelles conformes à des orientations politiques rencontrant le soutien d’une majorité de parlementaires des deux chambres. Au terme d’une cinquantaine de jours d’impasse, on semble s’orienter vers un gouvernement de droite avec le soutien sans participation de la droite de la droite. Ce qui s’appelle une victoire du « front républicain »… belle manœuvre Mon général !

Le monde de la défense garde un souvenir amer de l’expérience passée, pour ne pas dire du passif, du dernier gouvernement de droite (Fillon). Avec la perte de 20% des effectifs, la trop fameuse RGPP a eu l’effet d’une guerre d’attrition sur les moyens consacrés à nos armées, sans les avantages de l’aguerrissement. C’est essentiellement ce qui explique pourquoi la France est montrée du doigt pour son manque de solidarité à l’égard de l’Ukraine. Mais la vérité est qu’elle manque cruellement de moyens militaires depuis les coupes subies jusqu’en 2012, voire 2015. La vigilance est donc de mise.

Un rééquipement urgent

En matière de défense, chacun sait en effet que la reconduction à l’identique du budget 2024 aurait pour effet de renoncer à « franchir la marche » à 3,3 milliards d’euros prévue à l’article 4 de la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2024-2030 adoptée il y a un an. Fâcheux pour une deuxième année d’exécution. Certes, notre pays n’est pas en première ligne dans les conflits majeurs en cours dans le monde, mais si l’on admet que l’époque a changé et que ce changement est durable, il convient d’en tirer les conséquences en termes militaires. Notre pays a besoin d’équiper son armée à un rythme accéléré. Tel est l’enjeu du budget de la défense à adopter cet automne.

La bonne nouvelle dans ce contexte sombre, c’est que l’investissement de défense est rentable. Cela est admis dorénavant depuis quelques années par la littérature économique (1) même si les analyses divergent sur le délai du retour sur investissement (interrogé sur le sujet, un logiciel d’IA générative donne la fourchette de 0,6 à 1,2 de retour sur un an).

Sur le plan de l’économie politique, il paraît en effet possible de dégager un certain consensus qui pourrait se résumer en une quinzaine de constats objectifs.

  • Il n’existe pas d’effort de défense (exprimé en % PIB) optimal absolu, mais des optima relatifs en fonction de la réalité de la menace et de la taille du pays ; à ce titre, l’objectif otanien de 2% est très inférieur aux normes de la guerre froide, quand l’OTAN exigeait au moins 3%. Cela n’a donc aucun sens de comparer le taux d’effort actuel avec ce qu’il était à une autre période, ni de comparer le taux d’effort entre pays de tailles très différentes. Ce n’est pas un indicateur pertinent, ni en termes économiques, ni même en termes d’efficacité.
  • La politique industrielle de l’armement (lorsqu’il en existe une) intéresse exclusivement le moyen et le long terme économique parce qu’elle est sous-tendue par une volonté politique de souveraineté et d’autonomie stratégique. Sa définition échappe largement au domaine d’interprétation du calcul traditionnel de rentabilité économique, en raison notamment de la longueur des immobilisations qu’elle utilise, très supérieure à l’horizon de la majorité des investissements commerciaux privés. Le choix du développement des industriels d’armement se présente donc aujourd’hui comme un choix pour l’avenir dont la responsabilité globale revient aux autorités publiques, même si sa réalisation fait intervenir pour moitié des centres de décision privés. Cela rend inadaptés les raisonnements en termes de coûts d’opportunité par rapport aux autres investissements industriels.
  • L’achat d’équipement sur étagère à l’étranger a pour premier effet macroéconomique d’augmenter les importations. Cet effet négatif peut être partiellement équilibré par des compensations industrielles locales, mais ces « offsets » ont surtout pour conséquence de renchérir le coût des équipements importés et donc de dégrader la balance commerciale. On rappellera que, par fierté d’une autonomie retrouvée, la France refuse depuis au moins 40 ans de demander des compensations industrielles contrairement à sa pratique sous la IVe République, pratique toujours en cours, malgré les codes européens de bonne conduite, de la part de la plupart de nos partenaires européens avec, pour certains, la volonté d’avoir surtout des compensations bien plus que des équipements.
  • L’achat d’équipements militaires auprès des industriels nationaux (BITD) permet de maîtriser la balance commerciale et d’être souverain à condition que la chaîne de valeur reste très majoritairement nationale de bout en bout. Si ce n’est pas le cas, toute « fuite » hors du circuit économique national diminue l’effet multiplicateur potentiel et fragilise l’objectif de demeurer souverain sur le long terme. Or des études microéconomiques récentes ont montré à quel point cette chaîne de valeur était intégrée au niveau européen, ce que des instruments tels que le fonds européen de défense encourage. Cela va des composants les plus modestes jusqu’à des sous-ensembles majeurs tels que les moteurs diesel et les boîtes de vitesse.
  • A ce titre, le modèle de l’arsenal (2) apparaît le plus efficace en termes macroéconomiques, à condition que les coûts de production soient maîtrisés, ce qui suppose, en l’absence de compétition, une régulation publique forte au niveau microéconomique sur la formation des prix. A cet égard, le modèle américain d’arsenal national privé mérite d’être rappelé.Pour les États-Unis, le libre échange ne s’applique qu’aux autres. Ils ont parfaitement raison : il n’existe pas de marché de l’équipement de défense, pas de libre concurrence, pas de libre formation des prix, un client unique, une interdiction d’exportation de principe (pour un contrôle politique des exceptions), des barrières considérables à l’entrée de nouveaux fournisseurs, etc. Il n’y a dans le monde que la Commission européenne pour croire à l’existence d’un marché intérieur de défense.
  • L’impact économique de l’effort de défense n’est pas le même selon que la priorité est donnée à la formation de capital fixe ou de… capital humain : l’effet multiplicateur des rémunérations n’est pas établi au niveau national, même si son rôle pour les économies locales est évident. Il en va différemment de l’effort d’armement. L’investissement de défense comprend en effet plusieurs composantes : la formation de capital fixe sous la forme de capacités industrielles, la formation du capital humain nécessaire à la conception et à l’entretien des équipements, la recherche technologique.

Dépenses de défense : quel impact économique ?

En revanche, considérer l’équipement de combat lui-même comme un investissement est contestable en termes économiques car difficile à amortir et à assurer dans la mesure où sa durée de vie est impossible à déterminer à l’avance. Qui sait si tel Rafale durera 50 ans dans les inventaires sous différentes configurations ou disparaîtra dans l’année par accident ou par fait de guerre ? Par conséquent l’impact économique de l’investissement de défense est d’autant plus fort qu’il touche les trois composantes précédemment citées ; s’il ne concerne que la production d’équipements déjà développés (et à plus forte raison de consommables tels que les munitions), l’impact est nul, voire négatif. Et effectivement, acheter des chars sur étagère à l’étranger (comme le fait la Pologne) n’est pas un investissement au sens économique : c’est une consommation intermédiaire qui capte une dépense publique qui serait sans doute plus utile ailleurs.

  • Investir dans l’armement ne vise pas à produire un effet économique direct (contrairement à la plupart des investissements civils), mais à délivrer durablement (investir dans l’armement et dans l’industrie nationale d’armement, c’est s’assurer une capacité autonome et sur le long terme d’accéder aux systèmes nécessaires pour notre défense) un bien collectif – la défense – sans lequel le reste des activités économiques et humaines ne peut pas avoir lieu sereinement. L’utilité en matière de défense est cependant une notion ambiguë, car il est très difficile de chiffrer le gain économique dû à une défense efficace, c’est-à-dire assurant la sauvegarde de la nation, la sécurité de ses habitants et la protection de ses intérêts vitaux. La guerre en Ukraine, avec un coût de la reconstruction évalué entre 500 et 600 milliards d’euros (soit quatre années du PIB ukrainien d’avant-guerre) permet d’estimer le gain économique d’une dissuasion efficace. En extrapolant ces chiffres à la France, la comparaison est vertigineuse : une dépense annuelle de défense de 50 milliards d’euros permet ainsi « d’économiser » plus de 10.000 milliards d’euros, soit un retour sur investissement de deux cents contre un : imbattable !
  • Il ne serait pas tout à fait exact d’affirmer que l’achat de « produits de défense » matures (pour employer la terminologie de l’UE) à l’industrie nationale n’ait aucun intérêt économique : cela permet au moins d’éponger les coûts fixes et donc d’améliorer potentiellement la capacité d’autofinancement afin de faciliter à l’industriel l’investissement sur fonds propres dans le développement de nouveaux produits et de nouvelles capacités.
  • Les exportations permettent aussi de préserver une base industrielle au service des armées sans que cela ne requière un effort budgétaire national équivalent. Elles contribuent ainsi de manière significative à la finalité première de cette base : participer à la politique d’autonomie stratégique. L’exportation de « produits de défense » (qui sont aussi de plus en plus des services) contribue également autant aux économies d’échelle qu’à l’équilibre de la balance commerciale, dont on sait aujourd’hui à quel point elle est en déficit en dépit d’un excédent croissant des transferts de matériel de guerre (3). Difficile de nier cet impact macroéconomique dans le cas de la France. On aimerait que l’industrie française de la transition énergétique soit aussi performante.
  • L’innovation technique est en effet inhérente à l’investissement de défense, car les armées recherchent toujours l’efficacité opérationnelle, c’est-à-dire la supériorité sur tous les champs de confrontation potentiels. Or, comme le montre la guerre en Ukraine, cette supériorité ne vient de la « masse » que parce que le rapport de force technologique est équilibré : une rupture technologique pourrait déséquilibrer le rapport de force d’un côté ou de l’autre. C’est pourquoi l’investissement de défense comporte une forte intensité en innovations, le plus souvent plus forte que la plupart des investissements civils. C’est aussi pourquoi certains risques en matière de recherche ne peuvent être assumés que par la puissance publique, du fait de leur faible probabilité de rentabilité à court terme. C’est ainsi que la plupart des ruptures technologiques développées dans la Silicon Valley ont pour origine le financement de programmes de défense par le Pentagone. Une exception toutefois qui n’en est pas une, tant le domaine spatial est d’intérêt dual : le programme (civil) Apollo a été, dans les années soixante, la matrice de la révolution industrielle informatique, mais il s’agissait en réalité moins de poser le pied sur la Lune que de combler le « missile gap » apparu depuis le lancement de Spoutnik en 1957.

La R&D militaire tire l’innovation

Pendant longtemps on a supposé que la R&D militaire induisait un effet d’éviction à l’égard de la R&D civile, tant publique que privée ; mais, comme le remarque Renaud Bellais (4), la chute des budgets militaires n’a pas induit d’augmentation de l’effort civil de recherche. Il apparaît en fait que la R&D militaire représente plus un complément qu’un concurrent de son équivalent civil. Le plus souvent les projets civils ont beaucoup de mal à trouver des appuis. Le budget civil de R&D trouve bien peu de défenseurs face à ceux qui cherchent par tous les moyens à réduire la pression fiscale ; et les projets civils doivent prouver leur « retour sur investissement » (à l’instar des investissements privés). Un tel contexte ne laisse qu’une faible marge de manœuvre et tend à exclure tout financement pour des projets à haut risque ou trop éloignés d’une commercialisation rapide.

  • L’exemple des hélicoptères montre que les relations dynamiques entre l’aéronautique militaire et civile résultent moins de retombées technologiques du militaire au civil que du nombre élevé des utilisations conjointes de mêmes techniques, voire des possibilités offertes de construire quasi simultanément des versions militaires et civiles des mêmes modèles (ex. Super PUMA). Cette facilité offerte à l’industrie aérospatiale a pour conséquence économique pour les entreprises de réaliser une certaine péréquation entre les résultats des branches civiles et militaires.
  • L’investissement de défense permet en outre de maintenir et développer un tissu industriel performant alimentant des emplois de qualité dans des territoires ruraux ou en reconversion : il concourt de fait à l’aménagement du territoire, ce qui économise de la dépense sociale.
  • Au-delà de la R&D, il nous faut veiller plus que jamais à la protection et à la transmission de nos savoir-faire, même ceux qui sont considérés comme les plus traditionnels et les plus rustiques. A défaut, le risque de perte de compétences et de savoir-faire n’épargnera aucune filière.
  • L’investissement de défense, dès lors qu’il s’inscrit dans une perspective politique de maintien d’une autonomie stratégique, obéit à une programmation de moyen terme, voire dans l’idéal à une planification de long terme, qui s’accommode très mal des à-coups d’une politique budgétaire de court terme, qu’il s’agisse de relancer la demande en anticipant les commandes ou au contraire de freiner le rythme des acquisitions, incompatible avec une saine gestion des capacités industrielles.
  • Enfin, sauf à exonérer de taxes et de cotisations les fournisseurs de la défense, le retour fiscal et social de la dépense de défense à chaque étape de la chaîne de valeur permet au bout « d’un certain temps » (fonction des caractéristiques du circuit économique en cause) à la puissance publique de rentrer dans ses frais. Un euro dépensé rapporte à terme un euro en rentrées fiscales et sociales, voire davantage. Cela signifie que, loin d’être un pur centre de coût, l’investissement de défense est surtout un centre de profit qui non seulement tire l’innovation technologique, mais permet aussi de financer d’autres priorités politiques économiquement moins rentables : la transition énergétique par exemple, dont le contenu technologique est beaucoup moins intense et la contribution à la balance commerciale beaucoup moins favorable.

C’est pourquoi une politique économique avisée de la part du prochain gouvernement français, alors que les pays européens vivent sous la menace de la Russie, devrait commencer par investir massivement dans des capacités industrielles de défense souveraines. L’effet multiplicateur et le retour fiscal garantiraient rapidement un retour sur investissement permettant d’investir dans d’autres priorités, notamment la formation, la santé et la transition énergétique, toujours dans une perspective souveraine. Il ne faut pas inverser l’ordre des priorités.


1 : Les travaux de l’observatoire économique de la défense (OED) ont sans doute été précurseurs à partir d’avril 2017 avec la publication d’une première étude dans le n°91 de la publication EcoDef (Oudot, 2017), suivie et confirmée par une analyse de la chaire économique de l’IHEDN en mai 2020 (Belin & Malizard, 2020) ; le groupe MARS n’a pas été pour rien dans la diffusion de ces travaux à partir du printemps 2020 : cf. https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/l-investissement-dans-la-defense-rapporte-plus-que-ce-qu-il-coute-846190.html

2/ Cf. https://www.latribune.fr/opinions/arsenal-arsenal-est-ce-que-j-ai-une-gueule-d-arsenal-1-2-989552.html ; https://www.latribune.fr/opinions/arsenal-arsenal-est-ce-que-j-ai-une-gueule-d-arsenal-2-2-989696.html

3/ Les exportations de matériel de guerre génèrent près d’un quart des exportations françaises et entretiennent 75 000 emplois directs et indirects.

4/ BELLAIS Renaud, « Armement et dépenses publiques, quels enjeux pour l’analyse robinsonienne ? », Innovations, 2001/2 (no 14), p. 139-158 https://www.cairn.info/revue-innovations-2001-2-page-139.htm

                         ———————————————————————

* Le groupe Mars, constitué d’une trentaine de personnalités françaises issues d’horizons différents, des secteurs public et privé et du monde universitaire, se mobilise pour produire des analyses relatives aux enjeux concernant les intérêts stratégiques relatifs à l’industrie de défense et de sécurité et les choix technologiques et industriels qui sont à la base de la souveraineté de la France.

La bureaucratie comme ennemi secondaire par Michel Goya

La bureaucratie comme ennemi secondaire

par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 6 septembre 2024

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Toute armée en guerre doit se transformer de bureaucratie en méritocratie. C’est une bataille interne qui doit être menée à chaque fois contre des pratiques accumulées en temps de paix et qui, avec le temps, n’ont plus grand-chose à voir avec les besoins de la guerre. La bataille menée par les Ukrainiens contre leur propre bureaucratie militaire, sorte d’oligarchie administrative complexe, rigide et opaque, a commencé dès 2014 lorsqu’ils se sont aperçus que leur armée n’avait plus vraiment de capacité militaire.

Depuis, les choses ont évolué, d’abord sous la pression des événements, puis grâce au partenariat avec l’OTAN et à l’action de réformateurs civils et militaires. Depuis 2022, les exigences de la guerre et l’arrivée de nombreux civils dans les forces armées ont encore accéléré la transformation. Pour autant, il reste encore beaucoup de problèmes qui plombent l’efficacité opérationnelle. En mars 2023, le lieutenant-colonel britannique Glen Grant, ancien conseiller du ministère de la Défense ukrainien et excellent connaisseur de l’armée ukrainienne, en faisait une analyse détaillée (voir ici). Un an et demi plus tard, les échos sur la persistance d’officiers manifestement incompétents à la tête de brigades, les relèves d’unités mal effectuées qui ont provoqué des avancées russes, ou encore le tir fratricide récent contre un avion F-16 montrent que le combat interne n’est pas terminé. Cet ennemi intérieur est toujours puissant par son inertie. Ce n’est pas la seule condition, mais il doit pourtant être vaincu si l’Ukraine veut l’emporter dans cette guerre.

Simplifier pour vaincre

Commençons par l’exemple de l’US Army pendant la Seconde Guerre mondiale, exemple presque idéal d’armée puissante construite à partir de presque rien. Avec le Corps des Marines constituant ses propres divisions, les États-Unis ont à partir de 1942 deux grandes forces terrestres avec une chaîne claire de commandement d’armées, corps d’armée et divisions respectant le « principe des cinq », c’est-à-dire que chaque niveau de commandement ne commande au maximum que cinq unités subordonnées.

En s’inspirant de ce qui se fait de mieux mais aussi des méthodes de l’industrie, les états-majors de ces différents niveaux de commandement fonctionnent de manière identique, avec un chef d’état-major dédié à leur fonctionnement afin que leur chef puisse se consacrer au commandement tactique, y compris en allant sur le terrain avec un poste de commandement mobile. Les tâches des différents officiers sont découpées et simplifiées pour être accessibles à des civils rapidement formés.

Les unités de combat sont produites à la chaîne comme des automobiles avec seulement quelques modèles. Il n’y a ainsi que trois types de divisions – infanterie, blindée, parachutiste – avec juste deux exceptions. À l’échelon inférieur, les types de régiments sont à peine plus nombreux. Toujours sur le même modèle industriel, les divisions sont recomplétées systématiquement en hommes et en équipements par des réserves calculées par anticipation de pertes et placées au plus près. Toutes formées de la même façon et en suivant une doctrine claire qui indique à tous la marche à suivre, les unités ont des capacités connues et prévisibles pour les chefs, même quand on les fait passer d’un commandement à un autre. Tout cela n’est pas optimal, mais c’est suffisant pour faire fonctionner très correctement une armée qui a été multipliée en volume par 40 de 1939 à 1945.

Le développement de l’armée ukrainienne est à l’exact opposé. Il est vrai que, contrairement aux Américains, il lui a fallu combattre tout de suite une menace mortelle tout en dépendant de l’aide matérielle étrangère pour son équipement. Sa structure de base était cependant, toutes proportions gardées, plus importante par rapport à la nation que celle de l’US Army, et son accroissement a consisté en une multiplication par deux dès les premiers jours de la guerre, par l’appel aux réserves notamment, puis encore par deux jusqu’à aujourd’hui. Contrairement à l’US Army, cette structure initiale ukrainienne était déjà complexe au départ, avec non pas une seule armée de Terre comme aux États-Unis (ou deux si l’on compte les Marines), mais six voire sept, pour ne parler que de celles possédant des unités de combat terrestres. Au ministère de la Défense, on trouve ainsi bien sûr l’armée de Terre, mais aussi les Forces d’assaut aérien, les Forces spéciales, les Forces territoriales nouvellement créées ainsi que les brigades de la Marine et, depuis peu, la brigade terrestre de l’armée de l’Air. Il y a aussi l’armée du ministère de l’Intérieur avec ses brigades de Garde nationale et les Gardes-frontières. Depuis 2014, on tolère aussi en parallèle une « armée de la société civile » formée des bataillons indépendants de volontaires, plus ou moins administrés par la Garde nationale et le ministère de l’Intérieur.

Il était difficile, dans l’urgence des combats, de tout remettre à plat et de mieux centraliser les choses, en admettant que les différentes chapelles s’inclinent devant le ministre de la Défense ou le chef d’état-major des armées. On a donc fait avec l’existant, et donc assisté aussi à une bataille des ressources entre les différents corps, notamment pour attirer les nombreux volontaires. Le ministère de l’Intérieur a développé ses unités de combat. Les gouverneurs de province, mais aussi parfois les maires de grandes villes, ont fait main basse sur la formation des brigades territoriales. Ceux qui se méfiaient de l’administration d’État ont rejoint les milices des oligarques ou surtout les bataillons indépendants comme Azov.

Fondée autant sur des considérations corporatistes, voire personnelles, que sur les besoins de la nation, l’allocation des ressources n’a donc pas été forcément optimale. Pour faire simple, il y a moins de brigades sur la ligne de front qu’il ne pourrait y en avoir si toutes les ressources humaines et matérielles de la nation étaient utilisées de manière tout à fait rationnelle. Surtout, si l’état-major central et les quatre états-majors régionaux ont le contrôle opérationnel sur presque toutes les unités de combat, ils n’en ont pas forcément le contrôle organique – recrutement, formation, avancement, soutien, équipement – surtout quand ces unités ne dépendent pas du ministère de la Défense et que les provinces ont de grandes responsabilités en la matière. Pour faire simple, là encore, il est difficile, par exemple, pour le chef d’état-major des armées de virer un commandant de brigade qui dépend du ministère de l’Intérieur. Il faut toujours en passer par des tractations entre chapelles et sans doute parfois passer par la Présidence.

Comme si cela ne suffisait pas, ces brigades sur le front sont également très diverses. Loin de la standardisation américaine, on a préféré multiplier à l’envie les différents types de brigades : mécanisée, blindée, aéroportée, d’assaut, chasseurs, assaut aérien, garde nationale, etc. On a pu ainsi compter jusqu’à 17 types différents de brigades ou de régiments, car, pour compliquer encore, on a aussi créé des régiments guère différents des brigades. Comme ces brigades sont toutes organisées et équipées différemment avec des matériels venus du monde entier, pour des effectifs « réalisés » par ailleurs très variables, on imagine la difficulté des états-majors à planifier des opérations avec des unités dont ils ne connaissent pas très bien les capacités réelles.

Ils pourraient cependant mieux le faire s’ils pouvaient s’appuyer sur des états-majors intermédiaires. Au début de la guerre, les états-majors régionaux pouvaient commander seuls un nombre relativement réduit de brigades. Avec la multiplication de ces dernières, on a cependant rapidement explosé le « principe des cinq ». Ce principe est né de l’observation de la difficulté pour le cerveau humain de manipuler simultanément plus de cinq objets mentaux. Au-delà de ce chiffre, il y a forcément de la déperdition d’informations et une multiplication des erreurs. C’est la même chose dans le commandement militaire. La planification avant l’action peut déjà être compliquée lorsqu’il faut préparer les missions d’une vingtaine de brigades ou de bataillons autonomes. La conduite de leur action simultanée une fois que l’action est commencée est impossible de manière optimale. Autrement dit, il y aura de nombreux problèmes de coordination entre unités qui ne savent pas où sont les voisins et où se trouve la limite entre eux, les relèves sur place seront toujours délicates et il y aura malheureusement régulièrement des erreurs et des tirs fratricides. Plusieurs avancées russes dans le Donbass auraient pu être évitées avec une meilleure coordination et donc des états-majors de brigade suffisamment denses pour déjà pouvoir gérer simultanément tous leurs pions tactiques, ce qui n’est toujours pas le cas, mais aussi des états-majors supérieurs de division, de corps d’armée ou d’armée, peu importe le nom pourvu qu’ils puissent faire travailler efficacement quelques brigades entre elles. Dans les faits, il aurait fallu créer un tel état-major chaque fois que l’on formait trois ou quatre brigades, et il devrait en exister une vingtaine maintenant. On est loin du compte.

Il est vrai qu’il aurait peut-être fallu trouver deux milliers d’officiers compétents pour les armer, en retirant des capitaines ou commandants du front et en mobilisant des civils – et c’est là, entre autres, que la mobilisation des étudiants ukrainiens serait utile – qui seraient mélangés et formés en Europe pendant six mois avant d’être engagés en Ukraine, tout équipés et peut-être accompagnés de conseillers.

Le « nez sur le guidon » à traiter tous les jours l’urgence, et en sous-estimant sans doute la durée de la guerre, l’état-major central ukrainien n’a pas pris le temps non plus d’élaborer une doctrine opérationnelle qui soit à la fois l’état de l’art et un guide à suivre par tous pour aller dans la même direction, facilitant ainsi, encore une fois, le commandement des opérations. L’armée française de la Première Guerre mondiale s’attelait à cette tâche tous les hivers, à partir de celui de 1915-1916, quitte à tout changer l’hiver suivant en fonction des évolutions constatées. Il n’est pas trop tard pour le faire, et il serait probablement très utile pour l’armée de Terre française de l’étudier attentivement. Peut-être ne veut-on pas donner d’informations à l’ennemi, peut-être n’existe-t-il pas vraiment de réseau interne d’auto-analyse très élaboré, ce qui conduit au problème suivant.

Limoger pour vaincre

Un des problèmes majeurs de cette complexité organisationnelle est qu’il est difficile de remplacer les mauvais chefs par des bons. Les armées fonctionnent en courant alternatif, passant d’une situation de paix où les règles d’avancement sont bureaucratiques à un temps de guerre où l’on s’aperçoit, par exemple, qu’il ne suffit pas d’avoir réussi un concours civil à 20 ans pour être forcément un bon colonel ou général au combat 20 ou 30 ans plus tard. La formation a pu être très longue, mais elle n’aura jamais pu appréhender complètement toutes les difficultés d’un commandement réel sous le feu, avec toute sa complexité et ses enjeux mortels. Les premiers combats constituent donc souvent un révélateur cruel de l’état réel des compétences, et il est logique que de nombreux chefs nommés dans le calme de l’avancement automatique ou des jeux d’influence ne soient pas à la hauteur le jour J.

Une des tâches d’un haut commandement, en plus de la gestion des opérations, doit donc être de remplacer des officiers manifestement incompétents – ce qui, au passage, est différent de commettre une erreur – par d’autres qui ont montré leurs qualités. C’est ce qu’a fait le général Joffre en quelques mois de 1914, en « limogeant » 40 % de ses généraux commandants de grandes unités et en les remplaçant par des officiers ayant réussi le test initial, comme Pétain ou Fayolle. Les choses se sont ainsi beaucoup améliorées pour l’armée française après le désastre initial de la bataille des frontières. En 1942, l’amiral Lockwood, commandant les sous-marins américains, prend la décision de relever tout commandant de sous-marin n’ayant rien coulé en deux patrouilles. En un an, un tiers des commandants sont ainsi remplacés, mais le nombre de victoires augmente très nettement.

Pour y parvenir, il faut que le haut commandement ait une vision à peu près claire des choses. Cela passe d’abord par la réception et la synthèse de tous les comptes rendus (CR) oraux ou écrits, à partir d’un certain niveau, qui doivent suivre chaque mission dans une armée moderne et remonter la chaîne hiérarchique. C’est la source première de la vision que peut avoir le haut commandement de la situation. J’ignore comment cela est organisé dans l’armée ukrainienne. J’ignore aussi le degré d’honnêteté de ces CR. Celui qui fait le compte rendu est lui-même jugé sur ce qu’il décrit. La tentation est donc toujours extrêmement forte pour lui de minimiser ses « moins » et de maximiser ses « plus », jusqu’à parfois aboutir au sommet à une vision des choses complètement décalée de la réalité. Aucune armée n’est épargnée par ce phénomène, mais il y a des limites, surtout si ces comptes rendus sont vérifiés et recoupés, et que le mensonge est sévèrement sanctionné.

Encore faut-il, pour cela, avoir une structure spécifique, en fait un service de renseignement intérieur aux armées. Le Grand quartier-général (GQG) de Joffre ne cesse d’envoyer des officiers de liaison dans les états-majors d’armées inspecter ce qu’il s’y passe, et les limogeages sont souvent issus de leurs comptes rendus. Un peu plus tard, on y forme un bureau de retour d’expérience et des inspecteurs d’armes qui vont plus sereinement étudier les choses plutôt que les hommes et faire évoluer les doctrines. En 1944-1945, le général Patton, commandant la 3e armée américaine, utilise de son côté un escadron de cavalerie personnel patrouillant en jeeps tout le long du front. Ce service de renseignement doit être capable aussi de capter les doléances des mécontents avant que ceux-ci, en désespoir de cause, ne s’adressent directement au public, par exemple par des vidéos.

Une fois que l’on sait à peu près ce qui se passe, le chef doit avoir le pouvoir de déclencher la foudre contre les incompétents notoires, sans être obligé de lutter contre les chapelles qui les ont nommés et ne veulent pas se désavouer. Un taux élevé de limogeages n’est pas l’indice d’une armée qui va mal, mais au contraire qui va de mieux en mieux, à condition que l’on constate ensuite la diminution régulière de ce taux avec le temps. Plusieurs témoignages indiquent clairement que le taux de limogeages ukrainien n’est sans doute pas au niveau qu’il devrait être, symptôme que le général en chef n’a pas forcément toutes les informations ou tous les pouvoirs nécessaires dans un système aussi complexe et opaque.

Le tableau peut paraître sombre ; il est en réalité normal pour toute armée en guerre qui passe en un temps très court de la grenouille au bœuf, et même plutôt au taureau, pour faire face à des problèmes de taureau que la grenouille a eu du mal à appréhender. Le bordel interne devient très rapidement le deuxième ennemi à combattre, et c’est un ennemi coriace, surtout comme en Ukraine, après des dizaines d’années de mise en place d’une bureaucratie inefficiente. Ce qui sauve l’armée ukrainienne est que l’armée russe, qui n’a pas fait appel à sa société pour se vivifier, connaît des problèmes encore pires.

Par ailleurs, le combat est activement mené. Le général Syrsky a clairement entrepris un effort de réorganisation de son armée, en simplifiant progressivement les structures, transformant petit à petit des brigades territoriales en brigades de manœuvre, alors que le ministère de l’Intérieur fait de même avec la garde nationale et les gardes-frontières. Des états-majors sont effectivement créés, des chefs de brigades sont virés, et parfois même des brigades sont dissoutes. Un grand espoir est de disposer de suffisamment de brigades pour enfin avoir une réserve stratégique. Il faut bien comprendre que la réserve stratégique n’est pas seulement là pour faire face aux urgences ou organiser des attaques sans retirer des forces du front. C’est aussi la seule manière d’organiser des rotations de brigades du front vers l’arrière, de les y reposer, de les reconstituer et de les entraîner à de nouvelles méthodes. Les armées évoluent plus vite à l’arrière que collées au front ; encore faut-il avoir un arrière bien structuré. Le courage immense des soldats ukrainiens et leur ingéniosité technique, dopée par l’arrivée des civils dans leurs rangs, méritent d’avoir une structure de commandement à la hauteur.

Je précise, pour conclure, que les forces armées françaises de ces vingt dernières années n’ont aucune leçon à donner en la matière, trouvant le moyen de passer, en quelques années, d’un système capable de déployer en quelques jours en Allemagne 65 régiments de manœuvre au complet, avec une chaîne de commandement complète et un soutien bien organisé, à un bordel bureaucratique à grande échelle. Le révélateur de la guerre à grande échelle et à haute intensité serait cruel pour nous.

Le général Schill défend la pertinence des troupes aéroportées

Le général Schill défend la pertinence des troupes aéroportées

https://www.opex360.com/2024/09/08/le-general-schill-defend-la-pertinence-des-troupes-aeroportees/


Un article publié en 2016 par le Modern War Institute, affilié à l’académie militaire de West Point, avait été catégorique : les opérations aéroportées [OAP] massives appartiennent au passé. Pourquoi ? Parce que « l’augmentation spectaculaire de la précision des systèmes de défense aérienne a considérablement réduit la capacité de survie des avions impliqués dans ce type de mission ».

Et d’ajouter : « Les avantages tactiques limités des opérations aéroportées modernes de grande envergure sont éclipsés par leurs pertes stratégiques potentielles. L’armée devrait donc les mettre de côté et plutôt se limiter aux opérations spéciales. »

La guerre en Ukraine a pu apporter de l’eau au moulin à l’auteur de cet article. La seule manœuvre d’ampleur dite d’enveloppement vertical tentée par les troupes aéroportées russes [VDV] a pris la forme d’un assaut aéromobile contre l’aéroport de Hostomel, avec l’objectif d’établir une tête de pont près de Kiev. Or, elle s’est soldée par un échec.

« Ce type d’assaut pouvait être anticipé compte tenu d’une part de l’appétence de longue date de l’armée russe pour l’enveloppement vertical, d’autre part de la géographie du champ de bataille : l’objectif est positionné à moins de 100 km de la zone de contact », a ainsi résumé une note de la Fondation pour la recherche stratégique [FRS], publiée en mars 2022.

Depuis, les combats en Ukraine ont pris la forme d’une guerre d’usure et de position, avec un recours massif aux feux indirects [roquettes, missiles, munitions téléopérées, etc.].

Pour autant, ces dernières années, l’armée de Terre a mené plusieurs OAP au Sahel. Mais il est vrai que l’environnement n’y était pas contesté comme il l’est en Ukraine. Cependant, en 2022, la 11e Brigade Parachutiste [BP] prit par à l’exercice « Thunder Lynx », lequel consista à mener une opération aéroportée à très court préavis en Estonie. Celle-ci « illustre la capacité des forces françaises à intervenir en urgence et à soutenir un pays allié », fit alors valoir l’État-major des armées [EMA]. Et d’ajouter qu’elle avait été « exécutée comme un acte de solidarité stratégique » envers Tallinn.

Quoi qu’il en soit, comme l’a rappelé le général Pierre Schill, le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT] à l’issue d’une inspection de la 11e BP, cette semaine, certains « concluent de l’observation des conflits actuels que les troupes parachutistes, légères par nature, deviennent désuètes ». Or, pour lui, c’est tout le contraire.

La 11e BP, « faite d’unités cultivant agilité et capacité d’autonomie tactique, est capable d’opposer à l’hyper létalité des drones et de l’artillerie sa mobilité et sa capacité à s’adapter », a fait valoir le CEMAT. « Celles-ci sont des sources de fulgurance, de nature à dépasser le blocage tactique de la prévalence du feu que la guerre en Ukraine illustre aujourd’hui », a-t-il ajouté.

En outre, « l’esprit para », qui se caractérise par « la souplesse » et la « trempe », pour reprendre les mots du général Marcel Bigeard, illustre « parfaitement les qualités nécessaires à la mise en œuvre du commandement par l’intention », a poursuivi le CEMAT.  »

« Pour être aux résultats, il convient de laisser toute leur place aux subordonnés et à leur esprit d’initiative. Alors que la transparence s’impose sur le champ de bataille et que la tendance est à la centralisation de la décision, le commandement par l’intention apparaît comme un moyen concret d’entretenir la liberté d’action nécessaire à la victoire », a-t-il expliqué.

Le général Schill n’est pas le seul à considérer que les troupes aéroportées ne sont pas « désuètes » : en témoigne l’exercice aéroporté Saber Junction, dont le coup d’envoi a été donné à Eglsee [Allemagne], sous l’égide de l’US Army, le 4 septembre. Celui-ci mobilise 4500 parachutistes venus de 11 pays membres de l’Otan.

« Les opérations de combat à grande échelle sont quelque chose que nous devons constamment pratiquer, nous devons rester au courant de tous les changements qui se produisent », a expliqué le général américain Steve Carpenter, le chef du 7th Army Training Command. « Nous devons nous adapter à ce qui se passe en Ukraine et nous entraîner […] afin que tout adversaire de l’Otan […] pense qu’il est absolument impensable de déclencher une guerre contre les États-Unis ou leurs alliés et partenaires », a-t-il conclu.

Avord : le colonel Xavier Rival, nouveau commandant de la BA 702 Georges Madon

Avord : le colonel Xavier Rival, nouveau commandant de la BA 702 Georges Madon

 

Un nouveau commandant pour la base militaire d’Avord. Le colonel Xavier Rival vient de prendre ses fonctions pour une période de deux ans environ. La base aérienne d’Avord est le premier employeur du Cher avec 2.400 personnes.

La colonel Xavier Rival a pris le commandement de la base d'Avord à la fin du mois d'août
La colonel Xavier Rival a pris le commandement de la base d’Avord à la fin du mois d’août – Armée de l’air et de l’espace

Un nouveau commandant pour la base militaire d’Avord vient de prendre ses fonctions. L’occasion d’évoquer avec le colonel Xavier Rival le rôle stratégique de la base du Cher. En plus de former des pilotes pour l’aviation de transport, la base aérienne 702 d’Avord abrite l’arme nucléaire. Quatre avions radar Awacs y sont stationnés également. Sans oublier un escadron de défense sol-air mobilisé notamment dans le cadre du conflit en Ukraine.

Des dizaines de personnels de la base participent ainsi constamment à des missions internationales. Créée en 1912, la base d’Avord héberge un grand nombre de composantes de l’armée de l’air. « On participe à la mission de dissuasion nucléaire, à la protection de l’espace aérien national« , rappelle le nouveau commandant de la base, le colonel Xavier Rival. La base d’Avord est capable de mettre en œuvre des systèmes de défense sol-air pour protéger des évènements en France mais aussi à l’étranger, en opération extérieure. « On est capable d’accueillir des avions de combat sous très faible préavis. On peut aussi acheminer des munitions par voie aérienne.« 

 Le lieutenant Mohdé a déjà effectué onze mois en mission en Roumanie dans le cadre du déploiement de l'OTAN
Le lieutenant Mohdé a déjà effectué onze mois en mission en Roumanie dans le cadre du déploiement de l’OTAN © Radio France – Michel Benoît

Plus de 110 millions d’euros ont été investis pour agrandir la piste et moderniser les installations. Se pose maintenant la question du remplacement des avions radars Awacs vieillissants et des avions Xingu utilisés pour la formation des pilotes de transport.

 Quatre avions radars AWACS sont rattachés à la base aérienne d'Avord
Quatre avions radars AWACS sont rattachés à la base aérienne d’Avord – Armée de l’air et de l’espace

Depuis deux ans en effet, la base aérienne d’Avord envoie en Roumanie des systèmes Mamba, des missiles sol-air déployés dans le cadre des forces de l’Otan. Le lieutenant Mohdé a déjà effectué 11 mois en mission là-bas comme responsable de la maintenance de ces stations de défense : « Là-bas, on est tout le temps en alerte. C’est une veille opérationnelle. Ici, on s’entraîne, là-bas on est dans le concret. L’armée, c’est une vocation pour moi car je recherchais un métier d’action. Partir à l’étranger, servir sa nation plutôt que de la voir nous servir, forcément c’est un objectif en tant que personnel militaire. Cela donne du sens à mon engagement. »

Des légionnaires du 2e Régiment Étranger d’Infanterie vont participer à l’exercice Brunet-Takamori au Japon

Des légionnaires du 2e Régiment Étranger d’Infanterie vont participer à l’exercice Brunet-Takamori au Japon


Depuis que leurs relations ont été élevées au rang de « partenariat d’exception », en 2013, la France et le Japon n’ont de cesse de renforcer leur coopération militaire, notamment au niveau opérationnel, les initiatives en matière d’armement, malgré les ambitions affichées, ayant été plutôt timides jusqu’à présent.

Ainsi, en mai, les deux pays sont convenus d’aller plus loin encore en ouvrant des négociations sur un accord d’accès réciproque à leurs bases militaires afin de favoriser « l’interopérabilité » entre leurs forces armées respectives, via la tenue d’exercice conjoints et la participation à des opérations régionales.

À vrai dire, les liens militaires entre la France et le Japon sont très anciens puisqu’ils remontent à la mission du capitaine Jules Chanoine, qui avait été chargée de former l’armée du shogun Yoshinobu Tokugawa. En outre, Paris contribua à l’essor des forces aériennes japonaises dans les années 1920. Seulement, cette relation prit fin lors de la Seconde Guerre Mondiale, avec l’invasion de l’Indochine par les troupes nippones.

Quoi qu’il en soit, ces dernières années, les activités menées avec les forces d’autodéfense japonaises ont surtout concerné l’armée de l’Air & de l’Espace [AAE] et la Marine nationale.

Mais, depuis 2023, elles se sont élargies au combat terrestre, avec l’organisation de la première édition de l’exercice Brunet-Takamori [en référence au général Jules Brunet et à Saigō Takamori, le « dernier samouraï »] en Nouvelle-Calédonie, avec la participation du Régiment d’infanterie de marine du Pacifique de Nouvelle-Calédonie [RIMaP-NC] et de 5e Régiment d’infanterie de la Force terrestre d’autodéfense japonaise.

Pour sa seconde édition, l’exercice Brunet-Takamori se déroulera au Japon, plus précisément aux camps de manœuvre d’Ojyojibara et d’Iwateyama, situés dans la province d’Aomori. À cette occasion, l’armée de Terre y engagera une cinquantaine de légionnaires du 2e Régiment Étranger d’Infanterie [REI], qui relève de la 6e Brigade légère blindée. De son côté, la force terrestre d’autodéfense nippone mobilisera son 39e Régiment d’Infanterie [RI].

Devant avoir lieu du 8 au 21 septembre, l’exercice Brunet-Takamori « s’inscrit dans la montée en puissance du partenariat opérationnel des deux pays depuis 2022 », a précisé le ministère des Armées, via un communiqué. Il permettra « aux forces armées japonaises et françaises de s’entraîner dans les domaines de la lutte contre-guérilla et des opérations Commando » ainsi que dans celui de « l’appui drone au combat », a-t-il ajouté.

« La première édition de l’exercice, conduite en Nouvelle-Calédonie en septembre 2023, avait constitué une première étape essentielle dans le rapprochement opérationnel des forces terrestres des deux pays, en donnant l’opportunité de développer de manière concrète une stratégie convergente en faveur de la paix et de la stabilité dans la zone Indopacifique », a conclu le ministère.

Cela étant, ce ne sera pas la première fois que des légionnaires participeront à des manœuvres au Japon. En mai 2021, dans le cadre de la mission Jeanne d’Arc qui, cette année-là, avait mobilisé le porte-hélicoptères amphibie [PHA] « Tonnerre » et la frégate de type La Fayette « Surcouf », deux sections de la 13e Demi-brigade de Légion étrangère [DBLE] et du 1er Régiment Étranger de Génie [REG] avaient pris part à l’exercice ARC 21 aux côtés de l’infanterie de marine nippone et de l’US Marine Corps. Organisé sur l’île de Kyushu, il s’était concentré sur les opérations d’assaut amphibie.

Photo : Édition 2023 de l’exercice Brunet-Takamori – armée de Terre

Programme SCAF : La coopération européenne va couter très, très cher à la France

Programme SCAF : La coopération européenne va couter très, très cher à la France

Après des débuts très difficiles, le programme SCAF est parvenu, en 2023, à sortir de l’ornière dans laquelle il se trouvait, grâce à un accord politique imposé fermement par les trois ministres de la Défense français, allemands et espagnols.

Depuis, le programme semble sur une trajectoire plus sécurisée, même si les engagements actuels ne portent que jusqu’à la phase 1b d’étude du démonstrateur, et qu’il sera nécessaire, à nouveau, de renégocier le partage industriel au-delà, ce qui ne manquera pas de créer de nouvelles frictions.

Au-delà des tensions entourant les questions de partage industriel, voire de cahier des charges, divergent selon les forces aériennes, un nouveau sujet de discorde pourrait émerger prochainement, tout au moins en France.

En effet, loin de représenter la solution budgétaire optimisée avancée par l’exécutif français, pour justifier de cette coopération européenne, il apparait que le programme SCAF va couter plus cher, et même beaucoup plus cher, aux finances publiques françaises, comme à ses industriels, que si le programme était développé à l’identique, par la seule base industrielle et technologique aéronautique Défense nationale, avec un écart de cout, pour les contribuables français, pouvant atteindre les 20 Md€.

Sommaire

La Coopération européenne, seule alternative pour financer le développement du programme SCAF, selon l’exécutif français

Depuis le lancement du programme SCAF, le discours de l’exécutif français, pour en justifier le développement conjoint avec l’Allemagne, puis avec l’Espagne, n’a pas dévié d’un millimètre : les couts de développement d’un avion de combat et de son système de systèmes de 6ᵉ génération, sont à ce point élevés, qu’ils ne peuvent plus être supportés par un unique pays européen, fut-il la France.

Macron Merkel
Le programme SCAF a été lancé en 2017 par Emmanuel Macron, tout juste élu Président de la République, et Angela Merkel, alors en plein bras de fer avec Donald Trump.

Le sujet a, à de nombreuses reprises, été abordé sur la scène publique, notamment par les députés et sénateurs français, interrogeant le gouvernement pour savoir si la France était en mesure de développer, seule, un tel programme, en particulier lorsque le programme était au bord de la rupture.

La réponse donnée alors, par l’exécutif comme par la DGA, avançait que si la France devait faire seule un tel programme, celui-ci serait nécessairement moins performant et moins polyvalent, que ne prévoit de l’être SCAF aujourd’hui, pour des raisons essentiellement budgétaires. En d’autres termes, pour le gouvernement français, il n’y avait point de salut, en dehors de cette coopération franco-allemande, puis européenne.

Le programme SCAF en coopération coutera 14 Md€ de moins à la France, que si elle devait le faire seule.

L’étude des chiffres disponibles, aujourd’hui, tendrait, en effet, à accréditer la position gouvernementale. Ainsi, le budget total de R&D de l’ensemble du programme SCAF qui atteindrait les 40 Md€, permettant à chaque participant de ne participer qu’à hauteur de 13,3 Md€, soit, plus ou moins, un milliard d’euros par pays et par an, jusqu’en 2036 et le début de la production des avions eux-mêmes.

Même en tenant compte de la règle empirique qui veut que le codéveloppement engendre un coefficient multiplicateur de surcout équivalent à la racine carrée du nombre de participants, soit 1,73 pour 3 pays, la France économise bien 10 Md€ sur la phase de développement du programme.
Eurofighter Typhoon forces aériennes espagnoles
L’Espagne prévoit de remplacer les 125 Eurofighter en service et à venir, par le programme SCAF.

Cet écart se creuse encore davantage en intégrant les couts d’acquisition des appareils eux-mêmes. Pour étayer cette affirmation, il est nécessaire de poser certaines valeurs de départ. Ainsi, le prix unitaire de l’avion, s’il était produit uniquement en France, sera considéré à 140 m€ TTC, avec une enveloppe complémentaire de services et équipement de 40 m€ TTC par appareil. Nous considérerons, également, que les couts de R&D, pour la France, serait de 30 Md€, et que la France fera l’acquisition de 200 appareils.

Du côté du programme SCAF européen, nous considérerons un surcout par appareil et par services et équipements de 10 %, lié à la coopération (ce qui est très faible), soit respectivement 144 et 54 m€, alors que nous diviserons par deux le coefficient multiplicateur empirique de coopération internationale passant de 1,73 (racine carrée de 3) à 1,37, en admettant une coopération exemplaire entre les trois pays et leurs industriels, et très peu de dérives comme celles observées autour des programmes A400M ou NH90, pour un cout de R&D de 36 Md€.

Enfin, nous considérerons que l’Allemagne commandera 175 appareils, et l’Espagne 125, pour un total de 300 appareils pour ces deux pays, soit le remplacement incrémental de leurs flottes d’Eurofighter Typhoon en 2040. L’ensemble de ces valeurs sont, pour l’essentiel, des valeurs conservatoires, tendant à réduire l’efficacité de la démonstration qui suit.

Sur ces bases, les 200 appareils destinés aux forces aériennes et aéronavales françaises, couteront 36 Md€ aux finances publiques, pour un programme total à 66 Md€, développement inclus, dans le cas d’un programme exclusivement national, contre 40 Md€ pour les appareils, et 52 Md€ pour le programme, dans son format actuel.

porte-avions nouvelle génération
Le programme SCAF France portera probablement sur 200 appareils ou plus, sachant qu’une quarantaine, au moins, seront nécessaires pour armer le nouveau porte-avions nucléaires PANG.

En d’autres termes, dans le cas du programme SCAF, la coopération européenne doit permettre aux finances publiques françaises, d’économiser 14 Md€, soit presque 27 % du prix du programme, par rapport à un programme exclusivement national. Alors, l’exécutif a-t-il raison de clamer le bienfondé de ce modèle ? C’est loin d’être évident, pour deux raisons : le retour budgétaire et les exportations.

Le retour budgétaire neutralise les bénéfices de la coopération sur le budget de l’État concernant le programme SCAF

Le retour budgétaire représente les recettes et économies appliquées au budget de l’État, par l’exécution du programme et de ses investissements. Il fait la somme des impôts et taxes générés directement et indirectement par les investissements, sur l’ensemble de la chaine industrielle, ainsi que des économies sociales pouvant s’appliquer au budget de l’État, du fait de la compensation des déficits sociaux.

Dans cette démonstration, pour plus d’efficacité, nous considérerons deux valeurs bornant le coefficient de retour budgétaire. La première, une valeur planché, est fixée à 50 %, dont 20 % de TVA, et 30 % d’impôts, de taxes et de cotisations sociales. Cette valeur correspond au cout des prélèvements français de l’OCDE, de 42 %, avec une TVA moyenne à 12 %, ramené à une TVA fixe à 20 % appliquée aux équipements des armées.

La seconde valeur applique un coefficient multiplicateur Keynésien aux recettes, lié à la Supply Chain de l’industrie de défense française, presque exclusivement française, entrainant une déperdition export particulièrement faible pour cette activité. En 2010, ce coefficient, en France, était de 1,39 pour l’investissement public. Nous ne prendrons, ici, que 1,3 pour un coefficient de retour budgétaire de 65 %, ce qui représente une valeur plafond largement par défaut, considérant la dimension industrielle et la dimension Defense de l’activité.

Ligne d'assemblage Dassault Aviation Merignac Rafale
L’industrie aéronautique militaire française est très peu exposée aux importations, ce qui lui confère un retour budgétaire particulièrement efficace.

En appliquant ces coefficients aux valeurs précédentes, nous obtenons respectivement un retour budgétaire de 33 Md€ (50 %) et de 42,9 Md€ (65 %), pour un programme exclusivement français, et de 22,5 Md€ (50 %) et 29,3 Md€ (65 %), pour les finances publiques françaises, dans le cas du programme européen.

Remarquez que dans ce dernier cas, nous avons appliqué un partage équipotentiel industriel entre les trois pays sur le volume total des appareils commandés, soit l’équivalent de 166,6 (=500/3) appareils produits en France.

Le solde budgétaire, la différence entre les dépenses et les recettes, s’établissent alors comme ceci :

  • Solde avec un retour budgétaire de 50 % (hypothèse basse) : – 33 Md€ pour le programme Fr, – 29,1 Md€ pour le programme EU
  • Solde avec un retour budgétaire de 65 % (hypothèse classique) : – 23,1 Md€ pour le programme Fr, – 22,4 Md€ pour le programme EU.

On le voit, une fois le retour budgétaire appliqué, la différence de cout entre les deux programmes, selon qu’ils sont exclusivement français ou en coopération européenne, à périmètre d’investissement constant, tend à considérablement se réduire, allant de 3,9 (33-29,1 Md€ en hypothèse basse) jusqu’à 0,7 Md€ (23,1-22,4 Md€ en hypothèse classique), selon les hypothèses.

Les industriels français pourraient perdre jusqu’au 55 Md€ de chiffre d’affaires sur le marché export en raison du partage industriel

Le volet des exportations a toujours représenté un sujet d’inquiétudes, en France, autour du programme SCAF. Industriels et analystes craignaient, en effet, de voir Berlin imposer son véto sur certains contrats exports clés, comme c’est le cas aujourd’hui avec la Turquie, concernant le Typhoon. Si les inquiétudes portaient bien sur le bon sujet, il est probable qu’elles ne portaient pas sur le bon volet.

Rafale Forces aériennes helléniques
Cinq des huit opérateurs de Mirage 2000 se sont déjà tournés vers le Rafale, alors qu’un sixième, le Pérou, pourrait le faire prochainement.

En effet, le principal inconvénient, concernant le programme SCAF, au sujet des exportations, n’est pas lié au périmètre ni au possible droit de véto de Berlin, mais à la ventilation de l’activité industrielle, en exécution de ces commandes internationales.

Ainsi, dans le cas d’un programme national, l’activité générée sera intégralement exécutée en France, par la BITD française, alors qu’elle sera équitablement répartie entre les trois partenaires, dans le cas du programme européen.

Ici, nous considérerons que le cout unitaire d’un appareil vendu à l’exportation équivaut à son prix unitaire hors taxe, auquel s’ajoutent deux lots d’équipements et services, contre un seul pour les armées Fr/De/Es employé précédemment.

Dans le cas d’un programme national, le chiffre d’affaires France hors taxes, réalisé pour 100 appareils exportés égale 18,3 Md€, 200 appareils pour 36,7 Md€, 300 appareils pour 55 Md€ et 400 appareils pour 73,3 Md€. Ce même CA HT pour la France, dans le cas du programme européen, égale 6,7 Md€ pour 100 appareils, 13,4 Md€ pour 200 appareils, 20,2 Md€ pour 300 et 26,9 Md€ pour 400 avions exportés.

De fait, la différence de Chiffre d’Affaires entre le programme France et européen, pour la BITD française, va de 11,6 Md€ à 46,4 Md€, en faveur du programme français, soit l’équivalent de 140 000 à 557 000 emplois annuels pleins. Sur une période de 40 ans de production (hypothèse haute), la différence représente de 5 600 à 22 300 emplois à plein temps.

L’État Français va perdre jusqu’à 24 Md€ sur le programme SCAF, en raison de la coopération européenne

Cependant, l’intérêt des exportations, pour la France, n’est pas uniquement que de créer de l’activité industrielle et des emplois. Celles-ci génèrent, en effet, des recettes supplémentaires au budget de l’État, de la même manière que précédemment, au travers d’un coefficient de retour budgétaire.

N’étant pas soumis à TVA, ce coefficient est toutefois réduit de 20 %, et les deux valeurs balises précédemment employées, se transforment donc en 50%-20%=30%, valeur planché, et 65%-20%=45 %, valeur plafond.

NGF programme SCAF
Le NGF ne représente qu’un élément du programme SCAF dans son ensemble.

Une fois appliquées aux chiffres d’affaires France générés selon l’hypothèse d’exportation, nous obtenons donc :

Retour export (30 %) Programme Fr Programme Eu Différence (m€)
100 app. exportés 5 500 2 017 3 483
200 app. exportés 11 000 4 033 6 967
300 app. exportés 16 500 6 050 10 450
400 app. exportés 22 000 8 067 13 933
Retour budgétaire appareils exportés, hypothèse à 30 %, en million d’euros.
Retour export (45 %) Programme Fr Programme Eu Différence (m€)
100 app. exportés 8 250 3 025 5 225
200 app. exportés 16 500 6 050 10 450
300 app. exportés 24 750 9 075 15 675
400 app. exportés 33 000 12 100 20 900
Retour budgétaire, appareils exportés, hypothèse à 45 %, en million d’euros.

En intégrant le solde budgétaire étudié dans la précédente section, pour les acquisitions nationales, nous obtenons donc le tableau suivant :

Solde budgétaire France total du programme SCAF, en million d’euros – en gras les seuils autoporteurs

On le voit, le seul cas dans lequel le programme SCAF Européen, s’avérerait plus performant, budgétairement parlant, qu’un programme SCAF français identique, s’observe avec un retour budgétaire en hypothèse basse de 50 % / 30 %, et avec un total export de 100 appareils, ou moins.

GCAP Tempest Royal Air Force Farnborough 2024
La Grande-bretagne prévoit d’injecter 12 Md£ dans la R&D du programme GCAP, concurrent du SCAF.

À l’inverse, dans le cas d’un retour budgétaire à 65 % / 45 %, par ailleurs loin d’être une hypothèse peu probable concernant l’industrie de défense, le programme SCAF serait non seulement jusqu’à 20 Md€ plus performant en version nationale, mais à partir de 300 appareils exportés, il atteindrait même un solde budgétaire positif, pour les finances publiques, signifiant qu’il rapporterait davantage de recettes et économies budgétaires, qu’il n’aura couté à l’état.

Or, 300 appareils, c’est précisément le nombre de Rafale aujourd’hui exportés, alors que Dassault Aviation peut, dans les mois et années à venir, d’accroitre encore considérablement ce total des ventes. Rappelons également que 70 % des pays utilisateurs de Mirage 2000 se sont tournés vers le Rafale à ce jour, et que le Pérou pourrait bien faire de même prochainement, et que le nombre de Rafale exporté excède désormais celui des Mirage 2000.

Conclusion

On le voit, programme SCAF, dans son organisation européenne actuelle, est loin d’être justifiable par des arguments budgétaires, et encore moins par d’éventuels arbitrages technologiques défavorables, s’il devait être réalisés seul. Au contraire, en dehors de la phase de R&D initiale, toutes les autres phases industrielles, se montrent beaucoup plus efficaces, budgétairement, socialement, comme en termes d’emplois créés, dans l’hypothèse d’un modèle exclusivement national.

Notons, enfin, que si la coopération facilite, aujourd’hui, le financement du programme dans sa phase initiale de R&D, nombreux sont ceux qui, autour de ce programme, s’inquiètent de la marche budgétaire considérable qu’il devra franchir, à partir de 2031, lorsque la phase industrielle débutera, et que le partage des couts perdra de son efficacité.

SCAF Robles Lecornu Pistorius
Il aura fallu l’intervention des trois ministres de la défense Lecornu (fr), Robles (Es) et Pistorius (All) pour sortir de programme SCAF de l’ornière dans laquelle se trouvait le programme depuis 3 ans.

De fait, une fois mis en perspectives l’ensemble des aspects budgétaires, mais également les difficultés industrielles rencontrées lors des négociations, le volet social, et les risques directement liés aux programmes en coopération, il apparait que rien, aujourd’hui, ne plaide en faveur de la poursuite de SCAF dans son modèle actuel, si ce n’est un dogme politique plébiscitant la coopération européenne, et l’éventuelle volonté de masquer des dépenses à venir, qu’il sera difficile de financer, par des dépenses plus aisément soutenables aujourd’hui, sur la phase de développement.

D’ailleurs, la situation est strictement la même, mais en faveur de l’Allemagne cette fois, concernant le programme MGCS, Berlin disposant effectivement de l’ensemble des compétences, et du marché international captif avec le Leopard 2, pour developper seul son nouveau char, et le rentabiliser, budgétairement, par l’exportation, ce qui sera beaucoup plus difficile à faire, pour Paris. Cependant, Berlin sait pouvoir financer seul le développement du MGCS, le cas échéant, ce qui n’est pas le cas de la France, aujourd’hui, concernant le programme SCAF, tout au moins dans le contexte politique et budgétaire du moment.

Reste qu’entre un programme à 12 ou 15 Md€, pour 300 chars de nouvelle génération, et un programme à 70 Md€, pour 200 avions de combat, il est impossible de compenser l’un par l’autre, et les pertes d’exploitation et de recettes budgétaires liées au partage au sein du programme SCAF, par celles qui seront générées par le programme MGCS, font de cet accord global franco-allemand SCAF + MGCS, un puissant tremplin pour l’industrie allemande, sans réelles contreparties pour la partie française, bien au contraire.

Article du 5 aout en version intégrale jusqu’au 14 septembre 2024

Mystère résolu : les scientifiques confirment ce que cache l’intérieur de la Lune

Mystère résolu : les scientifiques confirment ce que cache l’intérieur de la Lune

Les profondeurs de la Lune ne sont plus un mystère. Des chercheurs viennent de confirmer la composition du cœur lunaire, révélant des similitudes inattendues avec notre propre planète. Ces découvertes apportent un éclairage nouveau sur l’histoire et l’évolution du Système solaire.

Par Laurène Meghe – armees.com –  Publié le 7 septembre 2024

Mystere Resolu Les Scientifiques Confirment Ce Que Cache Linterieur De La Lune
Mystère résolu : les scientifiques confirment ce que cache l’intérieur de la Lune – © Armees.com

 

La Lune, cet astre familier qui éclaire nos nuits, cache encore bien des secrets sous sa surface grise et criblée de cratères. Mais une nouvelle étude vient de lever le voile sur l’un de ses mystères les plus profonds : la composition de son cœur. Grâce à des données récentes et des techniques de modélisation avancées, des scientifiques ont confirmé que le cœur de la Lune ressemble étonnamment à celui de la Terre, avec un noyau solide entouré d’une couche fluide.

En bref :

  • Noyau lunaire : Le cœur de la Lune est constitué d’un noyau interne solide d’environ 258 kilomètres de rayon et d’un noyau externe fluide, similaire à celui de la Terre.
  • Densité du noyau : Le noyau interne présente une densité proche de celle du fer, renforçant les hypothèses sur la composition métallique de la Lune.
  • Méthodes de recherche : Les scientifiques ont utilisé des données sismiques des missions Apollo et des expériences de télémétrie laser pour modéliser la structure interne de la Lune.
  • Impact sur le champ magnétique : La composition du noyau explique en partie la disparition du champ magnétique lunaire il y a 3,2 milliards d’années.
  • Implications pour le Système solaire : Ces résultats aident à comprendre les processus de formation et d’évolution de la Lune et des autres corps célestes du Système solaire.

Mystere Resolu Les Scientifiques Confirment Ce Que Cache Linterieur De La Lune 2

Un cœur solide, presque aussi dense que le fer

Les chercheurs, menés par Arthur Briaud du Centre national de la recherche scientifique en France, ont découvert que le noyau interne de la Lune est une boule solide d’environ 258 kilomètres de rayon, soit environ 15 % du rayon total de la Lune. Sa densité, proche de celle du fer (environ 7 822 kilogrammes par mètre cube), confirme les hypothèses formulées par les études antérieures, notamment celles menées par la NASA en 2011. Cette nouvelle découverte met fin à un long débat sur la nature du noyau lunaire et ouvre de nouvelles perspectives sur l’histoire et l’évolution de notre satellite.

Une structure interne complexe révélée par des ondes sismiques

Pour percer les mystères de l’intérieur de la Lune, les scientifiques se sont appuyés sur des données sismiques recueillies par les missions Apollo, ainsi que sur des expériences de télémétrie laser lunaire. En analysant la manière dont les ondes sismiques traversent les différentes couches de la Lune, ils ont pu modéliser sa structure interne avec une précision inédite. Le résultat ? Un modèle montrant un noyau interne solide entouré d’une couche externe fluide, similaire à celui de la Terre, mais avec une dynamique unique qui pourrait expliquer l’évolution du champ magnétique lunaire disparu il y a environ 3,2 milliards d’années.

Des implications pour comprendre l’histoire du Système solaire

Cette découverte ne se limite pas à la Lune. Elle apporte également des éléments cruciaux pour comprendre l’évolution du Système solaire. Le noyau solide et le phénomène de « retournement du manteau », où les matériaux plus denses se déplacent vers le centre tandis que les matériaux plus légers remontent, pourraient avoir joué un rôle clé dans l’histoire des bombardements météoritiques intenses durant le premier milliard d’années du Système solaire. Cela pourrait également expliquer la présence de certains éléments dans les régions volcaniques de la Lune.

Un avenir prometteur pour l’exploration lunaire

Avec la confirmation de la structure interne de la Lune, l’exploration lunaire entre dans une nouvelle ère. Des missions à venir, telles que celles planifiées par la NASA avec Artemis II ou par des entreprises privées, pourraient fournir des données encore plus détaillées sur le cœur de notre satellite. De nouveaux séismomètres et instruments de mesure permettront de vérifier ces découvertes sur place, renforçant ainsi notre compréhension de la Lune et, par extension, de la Terre et de ses propres origines.

En attendant, le mystère du cœur de la Lune, autrefois réservé aux spéculations, est désormais une histoire solidement ancrée dans la réalité scientifique.

Source : https://www.nature.com/articles/s41586-023-05935-7


Laurène Meghe

Rédactrice spécialisée en économie et défense armées. Je couvre également les domaines des enjeux industriels et politique, y compris les relations entre les entreprises et leurs partenaires financiers.

L’armée de Terre a officiellement réactivé la 19e Brigade d’Artillerie

L’armée de Terre a officiellement réactivé la 19e Brigade d’Artillerie


Conformément aux orientations de son dernier plan stratégique, l’armée de Terre met progressivement en place quatre nouveaux commandements dits « Alpha » qui, subordonnés au Commandement des forces terrestres [CFOT], sont censés incarner les « artères vitales qui irriguent la stratégie militaire » tout en assurant une « cohésion sans faille au sein des forces armées ».

Dit autrement, il s’agit de commandements spécialisés appelés à fournir des appuis au combat dans des domaines clés, tels que les frappes dans la profondeur, les actions « hybrides », le renseignement et la logistique.

Ces derniers mois, le « Commandement des Actions Spéciales Terre » [CAST], le « Commandement de l’Appui et de la Logistique de Théâtre » [CALT] et le « Commandement de l’Appui Terrestre Numérique et Cyber » [CATNC] ont officiellement été créés. Bien qu’il ait déjà pris part à l’exercice « Grand Duc », en mars dernier, il restait à en faire autant pour le « Commandement des Actions dans la Profondeur et du Renseignement » [CAPR]. D’où la prise d’armes organisée à Strasbourg, le 4 septembre.

À cette occasion, deux autres unités devant lui être subordonnées ont également été créées [ou recréée, pour l’une d’elles]. En effet, comme cela avait été annoncé depuis plusieurs mois, l’armée de Terre a réactivé la 19e Brigade d’Artillerie [B.ART], vingt-cinq après sa dissolution, dans le cadre de la professionnalisation des armées.

À l’époque, unité organique de la Force d’Action Rapide, la 19e B.ART réunissait les 1er, 54e et 403e régiments d’artillerie [RA]. Après sa dissolution, ces derniers furent rattachés à la Brigade d’artillerie d’Haguenau-Oberhoffen.

Relevant désormais du CAPR, par ailleurs commandé par le général Guillaume Danes, la 19e B.ART se compose des 1er et 54e RA. Mais pas seulement puisque le 61e régiment d’artillerie, jusqu’alors subordonné à la brigade de renseignement [BRENS] l’a rejoint, avec son École des drones, créée en 2023.

À noter que les capacités du 1er RA ont été amoindries avec la cession de quatre de ses treize Lance-roquettes unitaires [LRU] à l’Ukraine. Leur remplacement est prévu dans le cadre du programme « Frappe Longue Portée Terrestre » [FLPT].

Quant à la seconde unité, il ne s’agit pas non plus d’une création mais plutôt d’une transformation, la BRENS étant devenue la « Brigade de renseignement et cyber-électronique » [BRCE]. Celle-ci regroupe le 2e régiment de Hussards, les 44e et 54e régiments de transmissions, la 785e Compagnie de guerre électronique et le Centre de formation initiale des militaires / 151e RI. Au passage, le 28e groupe géographique, bien que relevant de l’artillerie, a été transféré à la Brigade génie [BGEN] du CALT.

Outre la 19e B.ART et la BRENS ce nouveau commandement dédié à l’action dans la profondeur compte également la 4e Brigade d’aérocombat [BAC], formée par les 1er, 3e et 5e régiments d’hélicoptères de combat [RHC] ainsi que par le 9e régiment de soutien aéromobile. Enfin, le Centre du renseignement Terre [CRT], avec 180 spécialistes de l’exploitation du renseignement, complète son ordre de bataille.

« L’armée de Terre de combat s’adapte à la géométrie du champ de bataille. Dernier-né des grands commandements mis sur pied dans le cadre de sa transformation, le CAPR aura la responsabilité de la portion de terrain s’étendant devant la ligne des contacts, où les unités de renseignement, d’aérocombat et d’artillerie qui relèvent de son autorité agiront en étroite coordination pour renseigner et délivrer des feux dans la profondeur », a expliqué le général Pierre Schill, le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT]. Et d’ajouter : Il « possède des atours pour contribuer à comprendre l’adversaire dès la phase de contestation et pour fournir les capacités-clefs d’une nation-cadre ».

Selon les explications données par le CEMAT, la création de ce nouveau commandement est liée aux retours d’expérience [RETEX] des combats en Ukraine et au Haut-Karabakh, au cours desquels il est apparu que l’accélération de la « boucle acquisition-feux » était centrale, grâce à la combinaison de « capteurs et d’effecteurs ».

« Imposer sa supériorité au combat passe désormais par la détection, la reconnaissance et l’identification d’objectifs au plus loin, qui précèdent leur destruction », a-t-il résumé.

Photo : LRU – armée de Terre

C’est le projet militaire le plus cher de l’histoire estimé à 148,8 milliards d’euros et les États-Unis souhaitent y mettre bon ordre pour en baisser les coûts

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C'est le projet militaire le plus cher de l'histoire estimé à 148,8 milliards d'euros et les États-Unis souhaitent y mettre bon ordre pour en baisser les coûts
C’est le projet militaire le plus cher de l’histoire estimé à 148,8 milliards d’euros et les États-Unis souhaitent y mettre bon ordre pour en baisser les coûts

 

L’Air Force face à la complexité et aux coûts exorbitants du missile Sentinel.

L’Armée de l’air américaine (U.S. Air Force) se confronte à un défi majeur avec le développement de son nouveau missile intercontinental, le LGM-35A Sentinel. Les responsables admettent avoir sous-estimé la complexité de l’infrastructure au sol nécessaire pour le déploiement de ce système d’armement avancé, entraînant ainsi des dépassements de coûts considérables.

Une sous-estimation initiale des coûts d’infrastructure pour le projet Sentinel

Andrew Hunter, secrétaire adjoint de l’Air Force pour l’acquisition, la technologie et la logistique, a révélé lors de la conférence de Defense News à Arlington, Virginie, que l’attention s’était principalement portée sur le missile lui-même, négligeant ainsi la complexité de l’infrastructure au sol. Le programme initial prévoyait un budget de 72,26 milliards d’euros pour le Sentinel, mais les estimations actuelles suggèrent que les coûts pourraient grimper à environ 148,8 milliards d’euros si aucune modification n’est apportée.

Révision critique et réduction des coûts

Face à l’augmentation alarmante des coûts et aux préoccupations des législateurs ainsi que des responsables du Pentagone, une violation critique du seuil Nunn-McCurdy a été déclarée, incitant à une réévaluation complète du programme. Bien que la décision finale soit de ne pas annuler le projet, étant jugé trop crucial, une restructuration s’impose pour réduire les dépenses. Même une version modifiée du programme est estimée à 131,04 milliards d’euros, soit 81% de plus que l’estimation initiale.

Un processus exhaustif pour l’optimisation des coûts

Le vice-chef d’état-major général, Jim Slife, a déclaré que l’Air Force examinait minutieusement chaque ligne des exigences du Sentinel pour identifier les possibles réductions de coûts. Ce processus rigoureux, qui devrait prendre plusieurs mois, nécessite de revalider toutes les exigences en les reliant directement aux directives présidentielles ou départementales concernant la sécurité, la sûreté et la survie du système.

Le programme initial prévoyait un budget de 72,26 milliards d'euros pour le Sentinel, mais les estimations actuelles suggèrent que les coûts pourraient grimper à environ 148,8 milliards d'euros si aucune modification n'est apportée.
Le programme initial prévoyait un budget de 72,26 milliards d’euros pour le Sentinel, mais les estimations actuelles suggèrent que les coûts pourraient grimper à environ 148,8 milliards d’euros si aucune modification n’est apportée.

L’importance cruciale de l’infrastructure au sol

L’infrastructure au sol, qui comprend la construction de nouveaux centres de contrôle de lancement et la rénovation des silos existants, ainsi que le remplacement de câbles en cuivre par des fibres optiques modernes sur environ 7 500 miles (environ 12 000 km), est essentielle pour rendre le système de missiles ICBM efficace comme moyen de dissuasion nucléaire. La complexité de cette infrastructure est un aspect clé que l’Air Force s’efforce de simplifier pour maîtriser les coûts.

Redécouverte des compétences d’acquisition

Il est à noter que l’Air Force n’a pas entrepris d’acquisition majeure de ce type depuis le déploiement du Minuteman III au début des années 1970. Cette lacune dans l’expérience récente oblige l’Air Force à réapprendre certaines compétences essentielles et à améliorer ses capacités pour gérer efficacement la complexité du programme Sentinel.

Cet article explore les défis et les efforts déployés par l’U.S. Air Force pour maîtriser les coûts explosifs du programme de missiles LGM-35A Sentinel. En détaillant la sous-estimation initiale de la complexité et les mesures prises pour contenir les dépassements de budget, il met en lumière les défis logistiques et financiers auxquels l’armée est confrontée dans le renforcement de sa défense nucléaire.

Source : defense-news