Guerre en Ukraine : La Russie mène le jeu

AASDN – 28/05/2025

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La Russie mène le jeu.
L’équilibre des puissances dans la guerre russo-ukrainienne

Excellent article du commandant (à la retraite) Steven Jermy, Royal Navy, récemment publié sur NATO watch.
Steven a commandé 4 navires de guerre, le 5e escadron de destroyers et l’Armée de l’air de la Flotte. Il a servi dans la guerre des Malouines, déployé dans les campagnes de Bosnie et du Kosovo, et sa dernière tournée opérationnelle était en Afghanistan en tant que Directeur de la stratégie à l’Ambassade britannique.
Il est l’auteur de
« Strategy for Action: Using Force Wisely in the 21st Century » et travaille maintenant dans le secteur de l’énergie offshore.

Theodore Roosevelt a déclaré « Parlez avec douceur tout en portant un gros bâton« . Les dirigeants européens font le contraire et sont offensés lorsqu’ils ne sont pas invités aux négociations russo-ukrainiennes. Au lieu de cela, et depuis la ligne de touche, les Européens insistent pour que la Russie accepte des conditions de cessez-le-feu que ni eux ni les Américains n’ont les moyens politiques ou militaires d’imposer. Il n’est donc pas surprenant que les Russes continuent patiemment d’insister sur leurs propres conditions, ni que les Américains se rallient lentement à la position de la Russie. Pourtant, les dirigeants européens se sentent offensés. Pourquoi donc ?

Au niveau le plus fondamental, je crains qu’ils n’aient pas la capacité de calculer l’équilibre des puissances, une compétence pourtant essentielle en temps de guerre. Si nous, Européens, voulons jouer un rôle intelligent dans la conclusion de la guerre en Ukraine, nous devons revenir aux bases de la stratégie et calculer les rapports de force relatifs. Cela nous permettrait de comprendre le véritable levier – ou manque de levier – qu’à l’Occident sur la Russie.

Un excellent point de départ est le travail du professeur John Mearsheimer, en particulier compte tenu de son étonnante prescience sur ce sujet, qui contraste fortement avec les prévisions des commentateurs occidentaux conventionnels. Mearsheimer souligne que la richesse économique et la taille de la population sont des déterminants fondamentaux de la puissance nationale. Toutes choses égales par ailleurs, les grandes populations sont plus puissantes que les petites populations, les plus riches plus puissantes que les plus pauvres.

Mais la richesse économique est régulièrement, et paresseusement, évaluée à l’aide des chiffres du PIB, un moyen particulièrement médiocre de calculer la puissance militaire nationale. L’économie des services compte peu sur le champ de bataille ; dans les affaires militaires, c’est la capacité industrielle qui compte.

Il y a un autre facteur tout aussi fondamental à ajouter à la liste de Mearsheimer, l’énergie. La capacité industrielle, tout comme les opérations militaires, dépend de manière critique d’un approvisionnement fiable en énergie bon marché, de haute qualité et abondante, comme les Européens le constatent à leurs propres frais. En effet, dans la guerre et les opérations militaires, le combat et la logistique sont tous deux extrêmement énergivores.

Ces facteurs fondamentaux étaient visibles pendant la Seconde Guerre mondiale. Les États-Unis, la Russie et la Grande-Bretagne avaient de grands secteurs industriels ; mais aussi des approvisionnements énergétiques fiables, provenant de sources locales et des colonies britanniques pour ce dernier pays. L’échec de l’armée allemande à capturer le pétrole russe et les succès des sous-marins de la marine américaine à gêner les approvisionnements en pétrole indonésien du Japon ont été des facteurs clés de la défaite finale des deux nations de l’Axe.

Nerveusement, l’amiral Isoroku Yamamoto, avant la Seconde Guerre mondiale face aux États-Unis, reconnaissait cette logique : “Quiconque a vu les usines automobiles de Detroit et les champs pétrolifères du Texas sait que le Japon n’a pas la puissance nationale pour une course navale contre l’Amérique.”

La capacité industrielle et l’énergie sont peut-être les fondements de la puissance nationale, mais l’utilité de la puissance militaire est aussi conditionnée géopolitiquement. Dans mon livre « Strategy for action », je fais la distinction entre l’équilibre des puissances nationales et l’équilibre des passions politiques. Cette distinction, rarement faite, explique les défaites au Vietnam et en Afghanistan : les Vietcongs et les Talibans, même plus faibles, se ralliaient beaucoup plus autour de leurs causes et étaient prêts à payer un prix du sang plus élevé que les populations occidentales. La géographie joue également un rôle dans les calculs politiques : les gens se soucient généralement moins des problèmes se passant loin de chez eux.

La distance compte aussi pour des raisons militaires. Plus une campagne est éloignée, plus le défi logistique et les dépenses y afférant sont importants. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Américains, dans un exploit industriel historiquement inégalé, ont construit 2 751 navires de style liberty de 10 000 tonnes pour former l’épine dorsale d’une énorme chaine d’approvisionnement logistique militaire mondial. L’autre facteur géographique important est la nature maritime ou terrestre d’une campagne. Les marines des puissances maritimes ont moins d’utilité dans les campagnes terrestres, et vice versa pour les armées des puissances terrestres. Ce n’est pas une distinction manichéenne, elle est plus nuancée que cela, mais elle est néanmoins importante pour juger de l’utilité de la puissance maritime ou terrestre.

Armés de ce cadre, nous sommes en terrain plus solide pour examiner la guerre en Ukraine avec une rigueur militaro-stratégique plutôt qu’avec la superficialité politique. Évaluons les participants à la guerre par ordre croissant de puissance.

Fondamentalement, l’Ukraine a commencé la guerre en position de faiblesse. Avec le soutien soutenu de l’OTAN depuis 2014, elle avait formé une grande armée, mais sa capacité industrielle était limitée et elle dépendait d’approvisionnements énergétiques externes, y compris du pétrole russe. Sa position fondamentale est maintenant bien pire, après le ciblage délibéré par la Russie de ses infrastructures industrielles et énergétiques.

L’unité géopolitique de la puissance ukrainienne se dissipe également. La passion politique pour la cause, déjà faible dans les régions ethniquement russes, semble maintenant s’éroder parmi les fatigués de la guerre et les victimes des gangs de rabatteurs de l’armée ukrainienne. Les ultranationalistes resteront sans doute fidèles à leur cause, peut-être jusqu’à une fin apocalyptique, mais mis à part eux, il est facile d’envisager un consensus populaire en chute libre quand l’armée russe roulera vers l’ouest.

Certains disent qu’il est évident que les fondements et l’utilité de la puissance sont calculés de cette manière. Mais ce n’est clairement pas le cas pour les dirigeants américains et européens engagés dans la guerre en Ukraine, qui démontrent, par leurs paroles et leurs actes, qu’ils n’ont pas le moindre soupçon d’une telle compréhension.

Mis à part son bellicisme, l’Europe est fondamentalement faible. Pour se rapprocher des niveaux de capacité industrielle de la Guerre froide, les Européens devront doubler leurs dépenses de défense et dépasser 5% du PIB. En 1986, au point culminant de la guerre froide, la Grande-Bretagne dépensait 6% pour sa défense.

De plus, en tant que premier importateur d’hydrocarbures au monde, avec 12,8 millions de barils par jour de pétrole, la situation de l’Europe est caractérisée par une vulnérabilité énergétique aiguë. La cohésion géopolitique limitée de l’Europe est également en jeu. La Hongrie, la Slovaquie, la Bulgarie et la Serbie ont toujours été sceptiques, la position neutre de l’Autriche est restée nuancée, et le soutien politique d’autres pays, comme l’Italie et l’Espagne, s’affaiblit. Alors que les ressources nationales sont redirigées, loin des dépenses en capital constructif ou en biens de société vers une course aux armements impossible à gagner pour soutenir une guerre perdue, il est difficile d’imaginer comment les choses pourraient s’améliorer.

Fondamentalement, les États-Unis sont plus puissants que l’Europe ou l’Ukraine, mais ce n’est pas si important. Industriellement, le monde entier sait qu’ils ont un problème ; la preuve en est que la logique primaire des taxes douanières est la réindustrialisation du pays. Au niveau de l’énergie, c’est un peu mieux mais loin d’être parfait. Bien qu’exportateurs d’hydrocarbures raffinés, les États-Unis restent importateurs nets de pétrole, à hauteur de près de 3 millions de barils par jour.

Plus pertinent, l’Ukraine est loin de la patrie américaine, la base électorale de Trump est généralement contre la guerre et les perspectives de financement du Congrès au-delà de juin sont incertaines. La politique intérieure joue également son rôle. La responsabilité principale du soutien initial des États-Unis à la guerre incombe à l’administration Biden. Mais plus longtemps les Etats-Unis resteront coincés dans la mangrove ukrainienne, plus l’administration Trump risque d’en assumer le blâme.

La Russie, quant à elle, démontre sur le champ de bataille la valeur analytique du calcul de l’équilibre des puissances. Mobilisée industriellement pour son « opération militaire spéciale« , la production russe d’obus de 155 mm est supérieure à celle des États-Unis, des Européens et des Ukrainiens réunis. Le pays est aussi une superpuissance en hydrocarbures, totalement indépendante énergétiquement et qui regarde avec perplexité les Européens accélérant leur suicide industriel en appliquant des sanctions contre l’énergie russe leur revenant comme un boomerang. La cohésion géopolitique de la Russie est également claire. Puissance terrestre majeure, elle opère sur des lignes logistiques intérieures qui sont ses atouts. Politiquement, les Russes pensent mener une guerre existentielle contre un Occident expansionniste. Dès 2008, le télégramme diplomatique « Nyet means Nyet » [Non veut dire non] de Bill Burns expliquait que l’expansion de l’OTAN était considérée comme un problème « névralgique » par tous les Russes et pas seulement par Poutine. Ils défendent donc l’existence de la Russie et les chiffres d’approbation politique de 85% de Poutine reflètent l’engagement de son peuple à la victoire.

Implications : La Russie mène le jeu. Et alors ?

Selon cette analyse, l’équilibre des puissances – sur le champ de bataille et à la table des négociations – favorise largement la Russie. Malgré cela, les dirigeants européens – avec le soutien réduit des Américains – semblent croire que c’est aux perdants de dicter les conditions du cessez-le-feu ou de la reddition. Puis protestent bruyamment quand ni la situation ni Poutine ne veulent les suivre. En temps de guerre, ce sont les vainqueurs qui dictent les conditions, et cette guerre se terminera en grande partie aux conditions de la Russie. Bien que les propagandistes essaieront sans aucun doute de présenter cela comme autre chose qu’une défaite de l’OTAN, cela ne servira à rien, car telle sera la situation sur le terrain.

Mieux vaut reconnaître et accepter cette inévitabilité stratégique, faire preuve d’une certaine humilité politique européenne et commencer, enfin, à travailler de manière constructive avec les Américains et les Russes. Afin que nous puissions, à notre tour, aborder la question immédiate la plus importante pour nous tous. La guerre se terminera-t-elle plus lentement, brutalement et coûteusement, sur le champ de bataille ? Ou plus rapidement, humainement et à moindre coût à la table des négociations ?

Si nous reconnaissons le manque relatif de puissance de l’Occident et acceptons les réalités géopolitiques sur le terrain, nous, Européens, pouvons commencer à faire une différence positive, plutôt que de chercher à nous accrocher à notre récit politique raté et à retarder l’inévitable.

Nos appels continus à la Russie à accepter des conditions que l’Occident est incapable d’imposer devraient cesser. Nous devrions modifier notre position sur les principes fondamentaux de la négociation. La Russie aussi a des intérêts légitimes en matière de sécurité. Pousser l’OTAN aux frontières de la Russie tout en ignorant volontairement leurs intérêts était forcément susceptible de conduire à un conflit. La diplomatie met fin aux guerres ; ce qui signifie que les dirigeants européens commencent à parler personnellement à Poutine et aux ministres des Affaires étrangères Lavrov, et essaient de mieux comprendre de première main ce qu’eux et tous les Russes veulent.

Cette dernière question ne devrait pas être trop difficile car les Russes nous disent ce qu’ils veulent depuis au moins trois ans. Fondamentalement, ils recherchent une solution sécuritaire qui élimine la cause première de la guerre et conduit à une paix à long terme sur le continent européen. Lorsqu’il y aura un large accord sur la manière d’y parvenir, alors – et seulement alors – ils seront prêts à parler d’un cessez-le-feu. Et commencer à mettre fin à la destruction catastrophique des infrastructures ukrainiennes, à la perte de vies russes et ukrainiennes supplémentaires et à la gabegie de fonds européens, alors que beaucoup déjà ont été gaspillés.

En 1965, le général Andres Beaufre déclarait « À la guerre, le perdant mérite de perdre car sa défaite est due à des échecs de réflexion avant ou pendant la campagne. » Je suis d’accord. Cela peut aller à l’encontre de la pensée européenne conventionnelle, mais l’histoire montrera bientôt qu’avec les Américains, nous, Européens, portons une responsabilité substantielle dans cette guerre et dans la défaite de l’OTAN.

Avec une réflexion stratégique compétente, nous aurions pu éviter cette guerre en premier lieu.
Avec une réflexion compétente sur l’équilibre des puissances, nous pourrions – et devrions – maintenant aider à y mettre fin plus rapidement et de manière humaine.


Steven JERMY
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
Publié le mai 21, 2025 par Wayan
Et par Ian Proud – Le 15 mai 2025 – Source The Peace Monger

Après avoir acheté des dizaines de Rafale français, l’Inde lance le programme de son propre avion de combat

Après avoir acheté des dizaines de Rafale français, l’Inde lance le programme de son propre avion de combat

L’Inde a approuvé mardi un programme visant à développer un prototype d’avion de chasse.HAL

L’Inde qui a représenté à elle seule 28% des exportations d’armement de la France est prête à avancer dans son autonomie en matière de défense. Le pays a fait de la modernisation de son armée une priorité absolue notamment en raison des tensions avec la Chine et le Pakistan.

L’Inde a approuvé mardi un programme visant à développer un prototype d’avion de chasse, un projet destiné à accroître son autonomie en matière de défense, près de trois semaines après la confrontation militaire avec le Pakistan, a annoncé le ministère de la Défense.

Le ministre de la Défense, Rajnath Singh, a approuvé le prototype d’un avion de combat avancé de 5e génération (AMCA), selon un communiqué de son ministère.

L’Agence de développement aéronautique (ADA) de l’Inde, qui dépend du ministère de la Défense, “est sur le point d’exécuter ce programme via un partenariat industriel”, a-t-elle ajouté, affirmant que “ce sera une avancée majeure vers l’autosuffisance dans le secteur aérospatial”.

L’entreprise d’état indienne HAL (Hindustan Aeronautics Ltd) avait annoncé en mars la fabrication du premier bord d’attaque du prototype de cet avion de combat.

Cet AMCA, d’une masse de 25 tonnes, aura une charge utile interne de 1,5 tonne et une charge utile externe de 5,5 tonnes en addition de 6,5 tonnes de carburant, indique le Gifas sur son site. Il sera disponible en version furtive et non furtive.

10% des importations indiennes

L’Inde a fait de la modernisation de son armée une priorité absolue notamment en raison des tensions avec la Chine et le Pakistan, deux pays voisins dotés de l’arme nucléaire.

Le pays est l’un des plus grands importateurs d’armes au monde.

En moyenne, les achats d’armement ont représenté près de 10% de ses importations en 2019-2023, a affirmé l’an dernier l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI).

L’Inde s’affirme également de plus en plus au sein d’alliances multilatérales comme le “Quad”, comprenant le Japon, l’Australie et les États-Unis, de plus en plus préoccupés par l’influence militaire et économique de la Chine.

Dans le même temps, elle se détourne lentement de la Russie, son allié traditionnel et principal fournisseur d’armement depuis des décennies, pour privilégier des contrats avec des pays occidentaux.

Fin mars, New Delhi a annoncé la signature d’un accord en vue d’acheter 156 hélicoptères de combat légers fabriqués localement. L’Inde est aussi un client de Dassault Aviation. Fin avril, New Dehli a acté la commande de 26 Rafale français pour sa marine. Le pays avait déjà acheté 36 Rafale en 2016, pour équiper ses forces aériennes. Un potentiel contrat de 40 appareils supplémentaires serait par ailleurs en cours de discussion entre l’Inde et la France.

L’intérêt de l’Inde pour les avions français n’est d’ailleurs pas nouveau: le pays est client de Dassault Aviation depuis plus de 70 ans. Le premier achat remontant à 1953. Sur la période 2020-2024, l’Inde a représenté 28% des exportations d’armement de la France, selon les données du Stockholm International Peace Research Institute.

Au cours de la dernière décennie, l’Inde s’est dotée de son premier porte-avions fabriqué localement, de navires de guerre et de sous-marins.

L’Inde est également devenue l’un des six pays ayant des capacités de frappe nucléaire sur terre, mer et air après avoir testé un missile balistique depuis son premier sous-marin nucléaire produit localement.

Un Rafale perdu au combat

L’Inde et le Pakistan se sont affrontés quatre jours ce mois-ci, leur pire confrontation depuis des décennies, jusqu’au cessez-le feu annoncé le 10 mai.

Cette opération militaire a été lancée par l’Inde en représailles à l’attaque qui a fait 26 morts, tous des civils, le 22 avril dans une ville touristique du Cachemire indien.

Islamabad a affirmé que ses avions de chasse, construits par la Chine, avaient abattu six appareils indiens – dont trois Rafale de fabrication française. L’Inde n’a pas confirmé officiellement la perte d’avions.

Un haut responsable de la sécurité a indiqué à l’AFP que trois appareils se sont écrasés sur le territoire indien sans préciser leur modèle ou la cause.

Selon un haut gradé français, les Indiens ont perdu “non pas trois, mais un Rafale” au cours du conflit, dans des circonstances qu’il reste à établir. “Toutes les hypothèses sont sur la table”, selon cette source.

Frédéric Bianchi (avec AFP)

Les capacités anti-drones de l’armée française : état des lieux et perspectives

Les capacités anti-drones de l’armée française : état des lieux et perspectives

Alors que les drones s’imposent comme des armes majeures dans les conflits modernes, l’armée française renforce discrètement mais résolument ses capacités de lutte anti-drones.

par Adélaïde Motte – armees.com – Publié le
parade, drone
Les capacités anti-drones de l’armée française : état des lieux et perspectives | Armees.com

Alors que les drones s’imposent comme des armes majeures dans les conflits modernes, l’armée française renforce discrètement mais résolument ses capacités de lutte anti-drones. De la guerre en Ukraine aux tensions en zone sahélienne, les microdrones armés ou kamikazes redéfinissent les menaces. Où en est la France ? Quels moyens déploie-t-elle pour y faire face ? Et quelles sont les pistes explorées pour rester dans la course technologique ?
drones

Avec les drones, la menace change d’échelle

L’ère du drone est bel et bien entrée dans sa phase de généralisation. Longtemps cantonnés à des missions de surveillance stratégique ou à des frappes ponctuelles dans des zones à haut risque, les drones sont devenus des armes omniprésentes sur le champ de bataille. Leur utilisation massive dans la guerre russo-ukrainienne a bouleversé les doctrines militaires. Qu’ils soient de simples quadricoptères commerciaux équipés de grenades ou des munitions rôdeuses complexes, les drones représentent une menace à bas coût et à fort impact.

Cette prolifération de drones, notamment dans les conflits asymétriques, oblige les armées modernes à repenser en profondeur leur défense. L’armée française n’échappe pas à cette exigence. Des unités conventionnelles aux postes avancés dans la bande sahélo-saharienne, les forces françaises sont confrontées à des incursions de drones bon marché mais redoutables, capables de perturber des opérations, de désorganiser des convois ou de cibler des personnels. La maîtrise de l’espace aérien à basse altitude est devenue un enjeu vital.

Parade : le programme central du ministère des Armées

Face à cette évolution, la France a lancé dès 2021 le programme PARADE (Protection déployAble modulaiRe Anti-DronEs), piloté par la Direction générale de l’armement (DGA). Il s’agit du premier programme anti-drones industriel et modulaire à grande échelle adopté par les armées françaises.
Attribué au tandem Thales–CS Group, PARADE vise à équiper les bases militaires, les emprises sensibles et les événements majeurs (Jeux Olympiques 2024, notamment) d’une solution complète de lutte anti-drones. Il combine plusieurs briques technologiques :

  • Détection : radar, capteurs acoustiques, optroniques et radiofréquences pour identifier des objets volants de petite taille dans un rayon d’environ 3 à 5 km.
  • Identification : capacité à discriminer le type de drone, son comportement, sa trajectoire, sa charge éventuelle.
  • Neutralisation : utilisation de brouilleurs (jamming), de leurrage GNSS, et à terme, de lasers ou d’intercepteurs physiques (drones chasseurs ou projectiles dédiés).

PARADE est conçu pour être déployable en moins de 15 minutes, transportable par véhicule léger, et interopérable avec les systèmes de commandement existants. L’objectif est clair : sécuriser les forces et les installations dans un environnement saturé de menaces aériennes de très basse altitude.

Des solutions portatives pour les forces déployées

En complément des dispositifs fixes comme PARADE, les forces françaises disposent aussi d’équipements portatifs ou tactiques, adaptés aux opérations de terrain.

Parmi eux, le Brouilleur NEROD-F5 (développé par MC2 Technologies) s’impose comme une référence. Cet appareil, ressemblant à un fusil, permet de brouiller à distance les liaisons entre un drone et son opérateur, ou de bloquer son GPS. Il est déjà utilisé dans des unités comme le GIGN, certaines forces spéciales, ou des groupes en mission Sentinelle.

Plusieurs unités conventionnelles, y compris en régiments d’infanterie, sont désormais dotées de versions allégées de ce type de brouilleur, faciles à transporter et à déployer rapidement. L’efficacité de ces armes électroniques dépend toutefois fortement du type de drone et de son niveau d’autonomie : les drones préprogrammés ou fonctionnant en mode GPS-free sont plus difficiles à neutraliser. La quantité de matériels reste cependant très limitée et l’entrainement à la lutte anti-drone reste embryonnaire hors unités spécialisées.

Des menaces asymétriques en constante mutation

La principale difficulté pour les armées réside dans l’imprévisibilité de la menace. Les adversaires non étatiques — groupes armés terroristes ou insurgés — n’ont ni doctrine, ni modèle fixe. Ils adaptent en permanence leur usage des drones :

  • Commercialisation de masse : des quadricoptères DJI achetés en ligne peuvent être modifiés pour larguer des charges ou se transformer en projectiles.
  • Munitions artisanales : en Ukraine ou en Syrie, on a vu des drones porter des obus de mortier, des grenades thermobariques, voire des charges creuses.
  • Approches suicides : de plus en plus de groupes utilisent des drones kamikazes, agissant comme des missiles de croisière low-cost.

Ces évolutions posent de redoutables défis techniques. Un drone de 250 g en fibre plastique, volant à 50 km/h, à 15 m d’altitude, est difficile à détecter au radar. Le risque ne concerne plus seulement les installations stratégiques, mais chaque patrouille, chaque checkpoint, chaque base avancée.

Vers une panoplie technologique complète : laser, IA, drones intercepteurs

Le ministère des Armées prépare déjà l’étape suivante. L’objectif est de disposer à l’horizon 2025-2030 d’un système multi-couches intégrant plusieurs technologies complémentaires.

Le laser, arme silencieuse du futur ?

Le programme HELMA-P (High Energy Laser for Multiple Applications – Prototype), développé par Cilas (groupe Ariane), vise à doter l’armée d’un laser de puissance capable de détruire en vol des mini-drones. Testé avec succès sur des cibles mobiles, il a été déployé en expérimentation pendant les JO 2024. Ses avantages :

  • Neutralisation rapide (moins d’une seconde sur un petit drone),
  • Aucune munition à transporter,
  • Faible coût à l’usage.
    Ses limites restent la portée (quelques centaines de mètres) et la dépendance aux conditions météo. Cependant, son efficacité a conduit la DGA (Direction Générale de l’Armement) à commander des systèmes supplémentaires pour équiper les 3 armées françaises.

L’intelligence artificielle, aide à la détection

La DGA mise également sur des solutions d’intelligence artificielle embarquée, capables de reconnaître automatiquement un comportement suspect (trajectoire d’approche, survol anormal, etc.) et de signaler une alerte en moins d’une seconde. Plusieurs start-ups françaises travaillent sur ces algorithmes, avec un effort particulier sur le traitement d’images en temps réel.

Drones contre drones

Enfin, les intercepteurs autonomes suscitent un intérêt croissant. Ces « drones chasseurs » sont conçus pour localiser, poursuivre, puis neutraliser un drone hostile, soit par collision, soit par filet. Plusieurs prototypes sont en cours d’évaluation en France. Ils permettraient une riposte dynamique, mobile, et réutilisable.

Une coopération européenne et OTAN essentielle

La lutte anti-drones dépasse les capacités nationales. En 2023, la France a intégré le programme européen JEY-CUAS (Joint European sYstem for Countering Unmanned Aerial Systems), aux côtés de l’Allemagne, de l’Italie et de l’Espagne. Objectif : développer une doctrine commune, tester des briques technologiques, et mutualiser les retours d’expérience.

Au sein de l’OTAN, la France participe aussi à la définition des standards de détection, de brouillage, de couverture radar basse altitude, et à l’intégration des moyens anti-drones dans les réseaux C2 interalliés.

L’enjeu : ne pas rater la “prochaine guerre”

Comme l’a récemment rappelé le chef d’état-major des armées, le général Thierry Burkhard, lors d’une audition au Sénat : « Celui qui dominera l’espace aérien à basse altitude dominera le champ tactique. »

La guerre en Ukraine en est la preuve vivante : les drones ont inversé des rapports de force, détecté des unités d’élite, précipité des pertes massives. Une guerre de haute intensité demain, avec des essaims de drones en première vague, exigerait une défense très en amont. Ne pas posséder cette capacité reviendrait à exposer ses troupes et à renoncer à l’initiative.

La France, avec ses choix industriels (PARADE, HELMA-P, drones intercepteurs), avance vite — mais ses adversaires aussi. La compétition est permanente, agile, low cost. La lutte anti-drones est donc bien plus qu’un sujet technique : c’est une question stratégique, de souveraineté, et de survie tactique.

3,5+1,5= 5: les pays de l’Otan condamnés à augmenter leurs dépenses militaires

3,5+1,5= 5: les pays de l’Otan condamnés à augmenter leurs dépenses militaires

Des paras du 503rd Infantry Regiment, de la 173rd Airborne Brigade, à Pabradė Training Area, Lituanie, en mai, lors de  Swift Response 2025. (U.S. Army photo by Sgt. Jose Lora)


Depuis la présidence de Barack Obama, les États-Unis exigent de leurs alliés de l’Alliance atlantique des efforts financiers conséquents. Actuellement, ces efforts visant à renforcer les engagements budgétaires sont soumis à l’intense pression de l’administration Trump, qui se plaint que les États-Unis assument une part trop importante du coût de la sécurité européenne.

Mark Rutte, le secrétaire général de l’Otan, était à Dayton (USA), lundi, pour la réunion de printemps de l’assemblée parlementaire de l’Otan. « Nous finalisons un plan pour augmenter dramatiquement les dépenses de défense de l’Alliance », a-t-il confirmé, précisant qu’au prochain sommet de l’Otan, en juin, à La Hague, les responsables politiques devront « prendre des décisions pour rendre l’Alliance atlantique plus forte, plus équilibrée et plus létale. « Nous devons agir maintenant et renforcer nos défenses. Reporter ces décisions serait dangereux ».

Les dirigeants de l’Otan doivent effectivement se réunir les 24 et 25 juin. Il s’agira de fixer de nouveaux objectifs en matière de capacités militaires et surtout de répondre à la question du montant que les membres doivent consacrer à la défense. Washington exige que les Etats membres consacrent au moins 5% de leur Produit intérieur brut (PIB) à leur défense d’ici 2032 et menace ses alliés d’un possible désengagement, une menace brandie régulièrement comme une épée de Damoclès. L’ambassadeur américain auprès de l’Otan, Matthew Whitaker, a récemment laissé entendre qu’après le sommet de juin (auquel Trump n’a pas confirmé sa présence), des discussions pourraient s’ouvrir sur le maintien ou l’adaptation du dispositif US en Europe.

Pete Hegseth et Mark Rutte au Pentagone, Washington, D.C., en avril. (DoD photo by U.S. Navy Petty Officer 1st Class Alexander Kubitza)


Mark Rutte est soutenu par des chefs d’Etat et de gouvernement des pays de l’Otan, comme l’Allemand Friedrich Merz qui a déclaré récemment que « les capacités de défense européennes doivent être renforcées à long terme et notre industrie de défense doit accroître ses capacités ».

Mais atteindre la cible des 5% n’est pas à la hauteur de tous les pays européens membres de l’Alliance. Seule la Pologne est proche de l’objectif de 5% exigé par Washington avec 4,7%, et elle a promis de l’atteindre dès l’an prochain, à l’instar des pays baltes. Encore faut-il que le résultat du 2e tour de la présidentielle polonaise du 1er juin soit favorable au  maire pro-européen de Varsovie.

Un pour cent de PIB en plus représente 200 milliards d’euros pour l’ensemble des pays de l’UE, dont 23 sont membres de l’Otan, selon le commissaire européen à la Défense Andrius Kubilius.

D’où le plan hybride concocté à Bruxelles.

3,5% ou 5%?

Le secrétaire général de l’Otan propose en effet que les pays membres acceptent de porter la part de leur PIB consacrée à la défense à 5%.

Mais ce niveau de 5% serait atteint en faisant l’addition de deux types de dépenses:
– d’abord des dépenses militaires stricto sensu à 3,5% du PIB d’ici 2032,
– ensuite, au-delà de cet objectif – déjà ambitieux – de 3,5%, Mark Rutte souhaite que les pays de l’Otan portent à 1,5% de leur PIB leurs dépenses liées à la sécurité au sens large, comme la protection des frontières, la mobilité militaire, la sécurité maritime ou encore la cybersécurité.

Quid de la France?

Avec un PIB à 2 600 milliards d’euros en 2024, un budget militaire à 5 % représenterait au bas mot quelque 130 milliards d’euros, soit un budget des Armées en hausse de 80 milliards d’euros.

Actuellement, le président Macron s’en tient donc aux 3,5% de dépenses militaires stricto sensu et au 1,5% financé par des dépenses annexes (cyber, infrastructures, etc.). Avec ses 2,1 % actuels, la France devrait quand même faire passer le budget de ses armées de 50,5 milliards (pour 2025) à 100 milliards d’euros pour être à 3% et à 122 milliards pour être à 3,5% du PIB.

« Nous continuons d’augmenter, nous allons augmenter, et j’annoncerai dans les semaines à venir, des décisions pour l’année en cours et l’année prochaine », a indiqué Emmanuel Macron, le 17 mai.

Pékin conteste la volonté de l’Australie de reprendre le contrôle du port stratégique de Darwin à un groupe chinois

Pékin conteste la volonté de l’Australie de reprendre le contrôle du port stratégique de Darwin à un groupe chinois


Alors que l’Otan avait mis en garde contre les investissements effectués par la Chine pour prendre le contrôle de certaines infrastructures critiques de ses pays membres, le gouvernement allemand autorisa le groupe chinois COSCO à acquérir 24,9 % des parts du capital de la société gestionnaire du port de Hambourg.

Cela étant, en Australie, le gouvernement du Territoire du Nord, alors en manque de liquidités, concéda, pour 99 ans, la gestion du port – stratégique – en eaux profondes de Darwin à la société Landbridge Industry Australia, filiale du groupe Shandong Landbridge Group, dont le principal actionnaire n’était autre que le milliardaire Ye Cheng, un proche du Parti communiste chinois, décrit, en 2013, comme étant l’un des dix plus importants « acteurs du développement de la défense nationale ».

La décision du gouvernement du Territoire du Nord fut prise malgré les réserves exprimées par le ministère australien de la Défense… lequel n’alla toutefois pas jusqu’à s’y opposer formellement. En tout cas, elle lui permit de récolter 506 millions de dollars australiens… qui furent très vite dépensés.

« En accordant la concession du port commercial de Darwin à une personne risquant d’être un adversaire potentiel lors des 99 prochaines années, c’est comme si on avait loué ce port aux Japonais en 1938 », avait fulminé Neil James, directeur exécutif de l’Australian Defence Association [ADA], en 2019.

D’autant plus que le gestionnaire chinois du port de Darwin pouvait avoir une idée très précise des mouvements des navires militaires non seulement australiens mais aussi américains. Voire d’entraver les opérations de la Royal Australian Navy [RAN] et de l’US Navy dans la région.

En outre, le Territoire du Nord abrite des bases essentielles pour les forces australiennes et américaines ainsi que des moyens de renseignement, de surveillance et de reconnaissance.

À l’époque, il fut avancé que Canberra envisageait la construction d’un autre port en eaux profondes, situé à seulement 40 km de celui de Darwin. Mais il n’en fut plus question par la suite.

En effet, l’actuel gouvernement australien, dirigé par Anthony Albanese, est visiblement déterminé à reprendre le bail concédé à Landbridge Industry Australia… mais tout en restant flou sur la façon dont il compte s’y prendre.

Sauf que Pékin ne l’entend pas ainsi… L’ambassadeur de la République populaire de Chine [RPC] en Australie, Xiao Qian, s’est en effet invité dans les débats, en publiant une tribune pour dénoncer le projet du gouvernement australien de reprendre le contrôle du port de Darwin.

« Il y a dix ans, le groupe Landbridge a obtenu le bail du port de Darwin grâce à l’issue d’un appel d’offres ouvert et transparent, entièrement conforme aux lois australiennes et aux principes du marché », a d’abord rappelé le diplomate.

« Au cours des 10 dernières années, Landbridge Group a réalisé des investissements importants dans l’entretien et la construction des infrastructures du port de Darwin, l’optimisation de ses opérations et de sa gestion et l’élargissement de sa clientèle », a poursuivi M. Xiao. « Ces efforts ont apporté des améliorations remarquables au port, en rétablissant sa situation financière et en contribuant positivement au développement local », a-t-il insisté.

Aussi, a ensuite fait valoir l’ambassadeur de Chine, « une telle entreprise et un tel projet méritent d’être encouragés, et non d’être punis » et « il est éthiquement discutable de louer un port quand il n’était pas rentable et de chercher ensuite à le récupérer une fois qu’il l’est devenu ».

Pour le moment, les autorités australiennes n’ont pas réagi aux remarques faites par M. Xiao.

L’Arctique, « miroir des tensions internationales »

L’Arctique, « miroir des tensions internationales »

par Virginie Saliou – IHEDN – Interview – mai 2025

Nouvelles routes maritimes, militarisation, statut des navires et exploitation des ressources : Virginie Saliou, chercheuse en sécurité maritime à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), nous éclaire sur l’Arctique, un territoire stratégique devenu le théâtre de rivalités croissantes entre grandes puissances.

Virginie Saliou, chercheuse en sciences politiques spécialisée en gouvernance maritime, est titulaire d’un doctorat sur le gouvernement de la mer. Elle combine un parcours académique de haut niveau et une expérience de conseillère stratégique auprès de ministères. Titulaire de la chaire « Mers, Maritimités et Maritimisations du Monde » de Sciences Po Rennes, elle enseigne la géopolitique des espaces maritimes et le droit de la mer à l’ENSTA Brest et à l’Ecole navale.

Pour l’IHEDN, elle décrypte les impacts géopolitiques de la fonte des glaces en Arctique, une région désormais au cœur des rivalités internationales. Elle analyse notamment les nouvelles dynamiques de compétition entre grandes puissances, et le rôle clé des acteurs comme l’Union européenne, l’OTAN, la Russie et la Chine dans cette course aux ressources et à l’influence.

© Sciences Po Rennes
© Sciences Po Rennes

Comment la fonte des glaces en Arctique alimente-t-elle la compétition géopolitique entre grandes puissances ?

Il est essentiel de souligner que la compétition en Arctique est souvent surévaluée. Bien que la fonte des glaces soit réelle et s’accélère, cette évolution est fréquemment exagérée, notamment en ce qui concerne l’ouverture des routes maritimes et la rivalité dans la région. Certaines routes s’ouvrent partiellement, mais elles n’entraînent pas nécessairement un gain de temps significatif ni une transformation majeure du commerce maritime international. Cela n’empêche cependant pas les acteurs régionaux et extra-régionaux de s’y intéresser. Par exemple, la Russie souhaite développer ces routes, en particulier pour le commerce de ses hydrocarbures, principalement destinés à la Chine et à l’Asie. Toutefois, ces routes ne sont pas destinées à devenir des axes de transit pour le commerce international, mais plutôt des voies de destination spécifiques.

Par ailleurs, les États riverains de l’océan Arctique respectent la Convention de Montego Bay et se sont officiellement engagés à la mettre en œuvre en Arctique depuis 2008, avec pour effet une répartition claire des ressources maritimes. Il n’y a donc pas de véritable conflit sur les zones économiques exclusives (ZEE), chaque État ayant des droits sur les ressources situées dans sa propre ZEE.

Quant à l’extension du plateau continental, les États peuvent demander des droits supplémentaires sur les ressources si la continuité géologique de leur plateau terrestre vers la mer est prouvée. Ces demandes sont souvent simultanées, et un accord bilatéral est nécessaire pour valider l’extension, ce qui a conduit à des coopérations plutôt qu’à des conflits, comme le montrent les accords entre la Norvège et la Russie ou le Danemark et le Canada. La seule réelle dispute qui demeure concerne la délimitation maritime entre les États-Unis et le Canada. En 2024, les États-Unis ont annoncé leur demande d’extension du plateau continental en Arctique, chevauchant les prétentions des voisins, ce qui pourrait devenir un sujet de discorde.

Certains États « souhaitent limiter la liberté de passage »

L’ouverture des routes maritimes a aussi créé un litige sur le statut des navires qui les emprunteraient : faut-il accorder une liberté totale de navigation, comme le réclament les États-Unis et l’Union européenne (UE), ou bien un contrôle strict, comme le préfèrent le Canada et la Russie ? Les préoccupations environnementales, notamment les risques accrus d’accidents liés aux conditions difficiles de navigation, poussent ces derniers à vouloir limiter le passage et à exercer un contrôle.

Selon les lois internationales, la responsabilité des zones de recherche et de sauvetage incombe aux États côtiers, ce qui confère un rôle central à la Russie et au Canada. Étant les États directement concernés par tout accident maritime sur leurs littoraux, ce sont eux qui devraient déployer les moyens nécessaires pour les opérations de secours. Dans ce contexte, le Canada et la Russie souhaitent limiter la liberté de passage dans ces zones et exercer un certain contrôle sur les routes maritimes, afin de mieux gérer les risques et protéger leurs intérêts. Par ailleurs, l’article 243 de la Convention de Montego Bay permet d’imposer des restrictions de navigation dans les zones polaires pour des motifs environnementaux, soutenant ainsi les préoccupations de ces pays.

« Sur le plan militaire, l’Arctique est crucial pour la Russie »

Sur le plan militaire, l’Arctique est crucial pour la Russie, non seulement pour ses exportations d’hydrocarbures, mais aussi pour ses objectifs stratégiques. Environ 12 % du PIB russe provient de cette région, et 80 % de ses hydrocarbures y sont extraits. Cela justifie la nécessité, selon la Russie, de sécuriser cet espace. L’Arctique est également le seul point de passage stratégique pour la flotte russe, lui permettant d’accéder à l’océan mondial sans négocier avec d’autres États. Sa flotte du Nord est donc d’une importance capitale, notamment pour les sous-marins et la dissuasion nucléaire. La stratégie russe en Arctique repose sur une défense renforcée, l’utilisation de la dissuasion et un contrôle strict des accès. Depuis les années 2000, Vladimir Poutine a engagé une remilitarisation progressive de la région, renforcée par la mise en place de bases militaires et de zones de brouillage.

Dans quelle mesure la reconfiguration des rapports de force dans la région accroît-elle les risques d’escalade, et quels défis cela soulève-t-il ?

La Russie a souhaité réinvestir l’Arctique à des fins économiques et militaires, ce qui a entraîné des réactions des autres acteurs. Cela a mené à des initiatives telles que la réactivation de la 2e flotte des États-Unis et la multiplication des déclarations politiques américaines, faisant de l’Arctique une zone stratégique à réinvestir. Le Canada, de son côté, a annoncé le renforcement de sa flotte de brise-glaces, bien que cet engagement soit resté plutôt symbolique, sans suivi concret. Une escalade verbale a eu lieu, certains acteurs affirmant l’importance stratégique de la région, mais l’impact opérationnel de ces déclarations reste incertain.

En Russie, bien que des annonces aient été faites pour réinvestir la flotte du Nord, ces promesses n’ont pas été pleinement concrétisées, en grande partie à cause de la guerre en Ukraine. Les acteurs voisins observent qu’un engrenage défensif semble se mettre en place : l’armement de l’un entraîne celui des autres. Cependant, cette dynamique reste contenue pour l’instant. L’Arctique est un miroir des tensions internationales, sans engendrer une véritable compétition pour la région elle-même.

« Un terrain d’affrontement indirect dans la compétition sino-américaine »

Un autre acteur a émergé dans cet espace : la Chine, qui suscite de plus en plus de préoccupations. Au début des années 2000, la Chine considérait l’Arctique comme un espace international, sans droits particuliers pour les États riverains. Mais au fil du temps, elle a signé des accords économiques et scientifiques, en particulier avec la Russie dans le secteur des hydrocarbures.

En 2013, la Chine devient Observateur au Conseil de l’Arctique et annonce les « routes polaires de la soie » en 2018. Elle se déclare ensuite « État proche de l’Arctique » et plus récemment « État partie prenante », renforçant ses intérêts dans la région. Bien que la Chine déploie sa présence militaire de manière limitée, son intérêt économique est perçu comme une menace par les États-Unis, transformant l’Arctique en un terrain d’affrontement indirect dans la compétition sino-américaine, notamment autour du Groenland.

« L’OTAN continue d’y mener des exercices réguliers »

L’OTAN, quant à elle, continue de mener des exercices réguliers en Arctique depuis la fin de la guerre froide, impliquant principalement les États riverains, notamment la Norvège. Ces exercices, de mise en condition opérationnelle extrême mais aussi de démonstration de force, montrent à la Russie l’intérêt pour cette zone. La Russie y répond également par des exercices similaires. Les récentes tensions politiques, comme celles générées sous l’administration Trump, n’ont d’ailleurs pas eu de répercussions sur les activités opérationnelles dans la région.

Dans ce contexte, quel rôle l’Union européenne et la France peuvent-elles jouer pour promouvoir un ordre multilatéral et durable en Arctique ?

L’Union européenne, bien qu’elle ne soit pas membre observateur du Conseil de l’Arctique, a exprimé plusieurs fois son désir de rejoindre cette instance. Cela limite néanmoins sa capacité d’influence directe. L’UE cherche à investir la question arctique et dispose notamment d’un ambassadeur pour l’Arctique, mais sa position sur l’Arctique tarde à être précisément définie et son rôle demeure limité. Certains de ses États membres sont pourtant impliqués dans les instances de gouvernance pour cette région. L’UE a cependant pris position sur des enjeux environnementaux et de sécurité maritime, puis plus récemment à travers sa « Boussole stratégique », où ces sujets sont abordés. Sa position reste toutefois en évolution.

La France, quant à elle, est plus clairement engagée en Arctique. Observateur du Conseil de l’Arctique depuis les années 2000, elle participe activement aux travaux de cette instance. En matière de défense, la France pratique la navigation dans la région pour maintenir l’Arctique comme une zone de liberté de circulation. Elle entend également contribuer à la coopération internationale dans cette région, en mettant en avant sa stratégie polaire et grâce à son ambassadeur dédié. En soutenant les initiatives régionales et en défendant l’application de la Convention de Montego Bay, la France pourrait renforcer son rôle dans cette zone.

Quand la Russie recrute des saboteurs sur Telegram

Quand la Russie recrute des saboteurs sur Telegram

Sabotages, cryptomonnaie, agents dormants : comment la Russie utilise Telegram pour mener une guerre secrète sur le sol européen.

par Augustin Lormeau – armees.com – Publié le

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Quand la Russie recrute des saboteurs sur Telegram | Armees.com

Le 12 mars 2025, la nouvelle cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas, s’est exprimée avec une clarté inhabituelle pour les cénacles bruxellois : les actions de la Russie — et de l’Iran — relèvent du « terrorisme d’État ». L’accusation, relayée par Politico Europe le 22 mai 2025, ne porte pas seulement sur l’invasion continue de l’Ukraine ou la désinformation systémique ; elle vise désormais une stratégie d’actions clandestines directement menées sur le territoire de l’Union européenne : cyberattaques, sabotages, recrutement d’agents dormants.

Telegram, canal de guerre secrète

Cette intensification de la guerre hybride menée par Moscou s’est traduite ces derniers mois par une recrudescence d’attaques contre les infrastructures critiques et les forces de soutien à l’Ukraine. La Lituanie, la Pologne, l’Allemagne et la République tchèque ont toutes identifié des réseaux d’agents recrutés en ligne, rémunérés en cryptomonnaie et chargés de missions simples : vandaliser, observer, transmettre.

L’un des cas les plus emblématiques a été révélé en mars 2024 en Pologne. Un ressortissant ukrainien vivant à Rzeszów a été arrêté alors qu’il filmait des convois militaires en direction de l’Ukraine et repérait des points sensibles sur le réseau ferroviaire. L’homme, recruté via un canal Telegram administré depuis l’étranger, recevait des instructions précises et éphémères : poser des traceurs GPS, filmer les entrées de dépôts d’armes, observer les rondes de sécurité. À chaque mission accomplie, une somme en cryptomonnaie était versée. Ce n’était pas un agent de carrière, mais un pion d’une guerre de basse intensité menée au cœur de l’UE. Son arrestation s’inscrit dans une série d’enquêtes menées par les services polonais, lettons et tchèques sur des réseaux de sabotage pro-russes.

Une guerre sans uniforme

Ce modus operandi s’appuie sur la désintermédiation des moyens de recrutement : plus besoin de contacts physiques ou de voyages suspects. Il suffit d’une messagerie chiffrée et d’un transfert en crypto pour activer un agent opérationnel sur le territoire européen. C’est ce que souligne encore l’article de Politico en évoquant la montée d’un activisme clandestin, télécommandé depuis Moscou, qui vise à semer la discorde et l’insécurité dans les sociétés européennes.

Face à cette offensive hybride, l’UE renforce sa coopération avec l’OTAN : déploiement de troupes sur le flanc Est, augmentation des budgets de cyberdéfense, adoption de sanctions économiques ciblées. Mais ces réponses, bien qu’indispensables, ne suffisent pas à inverser le rapport de force.

L’Europe en terrain miné

La reconnaissance par Bruxelles du « terrorisme d’État » pratiqué par la Russie constitue certes un tournant, mais elle appelle à une riposte à la hauteur : coordination du renseignement, protection des systèmes d’information, lutte contre la propagande, traque des circuits de financement clandestins.

À l’heure où les démocraties sont ciblées non pas pour ce qu’elles font, mais pour ce qu’elles sont, une stratégie purement défensive ne suffit plus. Comme le notait déjà Politico dans un précédent article de mars 2024, « l’Europe est entrée dans l’ère du sabotage invisible ». Elle doit désormais choisir comment elle veut répondre à ces agressions.

Otages : trois petits tours et puis s’en vont…

Otages : trois petits tours et puis s’en vont…

par Jean Daspry* – TRIBUNE LIBRE N°186 / mai 2025 – CF2R 

*Pseudonyme d’un haut fonctionnaire français, docteur en sciences politiques

 

« Trop tard, le mot qui résume toutes les défaites » (général Mac Arthur). Le moins que l’on soit autorisé à dire est que le combat contre les preneurs d’otages – certains évoquent des otages d’État – est loin d’être gagné. La France, qui en est victime depuis plusieurs décennies, tarde à mettre au point une stratégie de long terme pour lutter contre ce phénomène sournois. Elle hésite à agir clairement et durement par crainte de représailles sur la vie des otages. Elle met également en avant les avantages de la discrétion dans le traitement de ces affaires délicates. Le résultat est devant nos yeux. Nos otages, qui n’en peuvent mais, croupissent dans les très accueillantes geôles algériennes, iraniennes et russes. Et, les États « voyous », qui pratiquent la diplomatie des prises d’otages, se frottent les mains face à l’impuissance de la « Grande Nation ». Ils disposent ainsi d’un puissant levier d’action pour neutraliser nos éventuelles réactions de contre-attaque sur d’autres terrains : diplomatiques, économiques, sécuritaires… Face à cette situation problématique à maints égards, notre pays adopte une réponse timide qui a, au moins, l’immense mérite d’exister.

Une situation encore problématique

Pour mieux appréhender la question, nous devons aller du général au particulier.

Au cours des dernières semaines, nous avons tenté de poser la problématique générale de la prise d’otages à travers les tribunes 165 (« De la diplomatie des otages à la diplomatie de la carte postale ! »), 172 (« Vers une criminalisation de la prise d’otages ») et 174 (« Otages : l’étrange défaite »). Notre démarche se fonde sur le triptyque suivant : connaître le passé pour comprendre le présent afin d’anticiper l’avenir. C’est pourquoi, nous nous sommes efforcés d’analyser la genèse du phénomène ; ses développements récents ; les réactions – plutôt la faiblesse, voire parfois l’absence de réactions – et la feuille de route (avec ses différents volets) que nous devrions adopter pour maitriser le phénomène. Or, nous n’en sommes pas encore là. Nos décideurs privilégient une approche marquée au sceau du misonéisme ambiant, cette hostilité à la nouveauté et au changement, avec une constance qui force le respect ! Ils en appellent, en particulier, le président algérien à faire preuve d’humanité à l’égard de Boualem Sansal, se refusant à mettre en avant son innocence des crimes dont on l’accuse. Pour ce qui est de la Russie, les inutiles et inefficaces saillies jupitériennes permanentes contre le maître du Kremlin n’arrangent rien à l’affaire. Avec l’Iran, nous prêchons dans le désert. Notons que Donald Trump utilise sa position de force pour contraindre les autorités de Téhéran à négocier sérieusement sur leur programme nucléaire militaire. C’est donc que le rapport de force paie avec ces fauteurs de troubles à condition d’avoir des objectifs clairs et des moyens crédibles pour y parvenir. Ce qui n’est pas le cas.

Depuis ces présentations, la situation de nos otages est allée en se dégradant en dépit des appels des uns et des autres en vue de leur libération. Est-ce vraiment une surprise ? Pas vraiment. Pris dans un tourbillon médiatique sans fin, le plus haut sommet de l’État refuse de se livrer à un incontournable exercice de questionnement dans cette période d’incertitude. Il privilégie la fameuse politique/diplomatie du chien crevé au fil de l’eau. Comme le rappelle Charles Péguy : « L’idéaliste a les mains propres, mais n’a pas de mains ». Qui plus est, le président de la République et son ministre de l’Europe et des Affaires étrangères peinent à comprendre ce qui se passe sous leurs yeux. Alors qu’ils n’ont pas de mots assez forts pour réclamer des sanctions exemplaires contre Vladimir Poutine dans le dossier ukrainien et contre Benjamin Netanyahou dans la crise à Gaza, ils restent particulièrement timorés vis-à-vis des États pratiquant le terrorisme d’État à travers la prise d’otages innocents. À leurs yeux, gouverner, c’est surseoir à prendre les décisions courageuses. Leur devoir serait de suivre nos intérêts bien compris. Comme le souligne l’ancien commissaire européen, Thierry Breton : « Quand la France n’a plus de politique, la France va à la dérive ». Il est grand temps de retrouver nos repères perdus, de réveiller notre esprit critique. C’est à ce prix, et seulement à ce prix, que nous pourrons trouver une réponse à la question de la libération de tous nos otages détenus arbitrairement dans le monde. Le veut-on ? Le peut-on ? Il n’y a pas de pire glaive qu’un sabre de bois.

Au cours des derniers jours, l’exécutif semble vouloir emprunter un autre chemin, toutes choses égales par ailleurs.

Une réponse encore timide

Si de récentes mesures prises par l’exécutif à l’encontre de l’Algérie vont dans le bon sens, elles doivent s’inscrire dans un continuum à définir au préalable.

Deux signaux positifs méritent d’être relevés. Le 16 mai 2025, la France éternelle se résout à utiliser la voie coercitive devant une juridiction internationale. En effet, elle dépose plainte contre l’Iran devant la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye pour « violation de son obligation de donner droit à la protection consulaire » concernant ses deux ressortissants français encore détenus dans ce pays. Que ne l’avons-nous pas fait plus tôt ? Cette démarche possède l’immense mérite de mettre la balle dans le camp iranien en contraignant le régime des mollahs à s’expliquer devant la communauté des nations. Même si l’affaire ne sera pas traitée avec célérité par cette Cour, elle stigmatisera les agissements contraires au droit international de Téhéran. Depuis le 17 mai 2025, notre pays exige désormais un visa pour les détenteurs d’un passeport diplomatique algérien. Que ne l’avons-nous pas fait plus tôt ? Nous nous nous situons encore au bas de l’échelle de la diplomatie de la réciprocité. Cela s’appelle du donnant-donnant. Mais, cela constitue un bon début tout en gardant à l’esprit la prédiction de notre ex-ambassadeur à Alger, Xavier Driencourt. Le 17 mai 2025, ce dernier estime qu’Alger prendra prochainement un autre otage. Parfois, la fiction annonce la réalité ! Mais, mieux vaut tard que jamais. Avec une bonne dose d’optimisme, croyons à la vertu des crises. Nous y décelons un appel au doute et à la réflexion critique.

La diplomatie du président de la République à l’encontre de l’Algérie, de l’Iran et de la Russie, au regard de la prises d’otages français, gagnerait à être moins tapageuse. À force d’oublier l’essentiel pour l’urgence, on oublie l’urgence de l’essentiel. Emmanuel Macron est « ce voyageur sans boussole, qui saute d’une conviction à l’autre comme une grenouille sur des nénuphars » comme le rappelle François Hollande. La recherche du coup médiatique est souvent la règle alors qu’elle devrait être l’exception. Quand se décidera-t-il à remplacer la force des mots par les maux de la force pour ne plus acquitter le prix de son inconstance ? À titre d’exemple, pour le Kremlin, Emmanuel Macron parle trop, est trop déclaratif et pas assez concret. Or, l’on sait bien que dans l’action internationale les bonnes intentions ne remplacent pas les leviers. Il serait grand temps d’apprendre de nos erreurs sur le traitement de la problématique des prises d’otages. Malheureusement, l’heure est moins que jamais à l’autocritique. Le statu quo n’est pas une option tenable. Reconnaissons tout de même que les quelques mesures prises à l’encontre de l’Algérie et de l’Iran constituent peut-être un premier pas dans la bonne direction ! Si tel était le cas, elles signifieraient la victoire de la méthode et de la clarté, un grand réveil. Mais également l’écriture d’un nouveau livre intitulé crises et châtiments. Pour ce faire, il faut impérativement anticiper et se préparer à agir dans les champs du possible. Mais, aussi, il faut travailler à réduire l’écart entre annonces et réalités. Ce n’est qu’à ces conditions que nous serons bien armés pour aborder et traiter la question des prises d’otages, fidèles à notre tradition de passeur d’idées.

Le confort du renoncement ?

« Il n’y a que le premier pas qui coûte ». Ce dicton tiré de la sagesse populaire éclaire parfaitement la problématique de la prise d’otages au XXIe siècle. Comme le relève Guiliano da Empoli : « Le combat contre la barbarie se renouvelle avec chaque génération, mais il faut adapter les moyens à l’époque ». Et, c’est bien de cela dont il s’agit dans la lutte contre la prise d’otages. Voulons-nous prendre le sujet à-bras-le corps ou bien voulons-nous être otage des preneurs d’otages, y compris de certains États peu scrupuleux ? L’ambiguïté n’est plus de mise. La clarté et la cohérence de notre réaction s’imposent pour être crédible. N’est-il pas grand temps de sortir de cet angélisme, de cet aveuglement qui confine parfois à la bienveillance coupable ? Gouverner, c’est faire des choix courageux, y compris et surtout les plus délicats. Le moment est venu de passer le cap difficile avec détermination. Faute de quoi les quelques mesures récentes prises à l’encontre de l’Algérie et de l’Iran se résumeront au refrain de la chanson : « Ainsi font font font les petites marionnettes », à savoir : « Ainsi font font font font, trois petits tours et puis s’en vont » !

Le ministre allemand de la Défense n’exclut pas de rétablir le service militaire obligatoire

Le ministre allemand de la Défense n’exclut pas de rétablir le service militaire obligatoire


En juin 2022, ayant annoncé la création d’un fonds de soutien doté de 100 milliards d’euros pour combler les lacunes capacitaires de la Bundeswehr, Olaf Scholz, alors chef du gouvernement allemand, affirma que l’Allemagne allait créer la « plus grande armée conventionnelle dans le cadre de l’Otan en Europe ».

Quelques semaines plus tard, lors d’un discours prononcé devant les cadres de la Bundeswehr, M. Scholz justifia cette intention. « En tant que nation la plus peuplée, dotée de la plus grande puissance économique et située au centre du continent, notre armée doit devenir le pilier de la défense conventionnelle en Europe, la force armée la mieux équipée d’Europe », avait-il expliqué.

Cela étant, dépenser d’importantes sommes d’argent pour réparer un outil militaire longtemps négligé ne suffit pas : encore faut-il que cela soit accompagné par des efforts en matière de préparation opérationnelle, de soutien, de recrutement et de formation.

Or, en matière de recrutement et de fidélisation, la Bundeswehr est à la peine, avec seulement 180 000 militaires alors qu’il lui en faudrait au moins 75 000 de plus pour lui permettre de tenir ses engagements à l’égard de l’Otan. D’où l’idée d’instaurer un service militaire volontaire, en s’inspirant, dans les grandes lignes, du modèle en vigueur en Suède.

Cette mesure, défendue par Boris Pistorius, reconduit à la tête du ministère allemand de la Défense par le nouveau chancelier, Friedrich Merz, sera-t-elle suffisante ? Rien n’est moins sûr…

Comme son prédécesseur, M. Merz a dit vouloir doter l’Allemagne de « l’armée conventionnelle la plus puissante d’Europe »… et être prêt à y mettre beaucoup de moyens pour atteindre cet objectif. « Compte tenu des dangers qui menacent notre liberté et la paix sur notre continent, le mot d’ordre pour notre défense doit être : quoi qu’il en coûte ! », a-t-il pu dire.

Le débat sur le rétablissement de la conscription, suspendue en 2011 [une « erreur » pour M. Pistorius, ndlr], est récurrent outre-Rhin. Mais, depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il a pris une tout autre ampleur.

« La suspension de la conscription ne correspond plus à la situation de menace actuelle », a ainsi récemment estimé Florian Hahn, le porte-parole de l’Union chrétienne-démocrate d’Allemagne [CDU/CSU]pour les affaires de défense. « Sans une sorte de nouvelle obligation de servir, nous ne parviendrons pas à recruter et à fidéliser le personnel dont nous avons besoin », a abondé le colonel André Wüstner, le président de l’Association de la Bundeswehr. Ex-commissaire parlementaire aux forces armées, Eva Högl, du Parti social-démocrate [SPD] ne dit pas autre chose…

Aussi, l’idée de rétablir le service militaire obligatoire en Allemagne fait son chemin… En tout cas, M. Pistorius ne l’exclut pas.

Pour le moment, le service militaire volontaire que ce dernier défend n’est pas encore entré en vigueur, alors qu’il était censé permettre de recruter 5 000 soldats de plus dès cette année. Cependant, a prévenu M. Pistorius dans les pages de la Frankfurter Allgemeine Zeitung, s’il ne permet pas à la Bundeswehr de disposer des effectifs dont elle a besoin, alors « il sera peut-être décidé que nous passerons à une conscription obligatoire ».

En attendant, le ministre espère que la loi sur le service militaire volontaire soit adoptée « rapidement », afin qu’elle puisse entrer en vigueur dès janvier 2026.

Même s’il est basé sur le volontariat, ce service suppose cependant quelques obligations, les hommes étant ainsi tenus de remplir un questionnaire dès l’âge de dix-huit ans afin de déterminer leurs capacités à servir au sein de la Bundeswehr. Cette démarche est facultative pour les femmes. Ceux qui se disent prêts à effectuer une période militaire sont ensuite contactés en vue de leur éventuel recrutement.

Quoi qu’il en soit, si, en France, les principaux responsables militaires ne sont pas favorables à un retour de la conscription car attachés à une armée de métier, le chef d’état-major de la Bundeswehr, le général Carsten Breuer, est sur une tout autre ligne.

S’il estime possible que la Bundeswehr atteigne ses objectifs en matière de recrutement avec le service militaire volontaire, le général Breuer n’a pas écarté l’idée de rétablir la conscription dans le cas où la situation l’exigerait.

« Le service militaire obligatoire est une sorte de réassurance. Il pourrait être activé rapidement si la solution basée sur le volontariat n’était pas suffisante », a-t-il en effet déclaré auprès de Deutschlandfunk. « Si nous manquons de personnel et que la menace continue d’augmenter, alors une autre décision politique devra être prise », a-t-il insisté.

Drones ukrainiens, renseignements, pièces d’armements… Entre Paris et Kiev, une coopération militaire renforcée

Drones ukrainiens, renseignements, pièces d’armements… Entre Paris et Kiev, une coopération militaire renforcée

Drones ukrainiens, renseignements français… Entre la France et l’Ukraine, une coopération militaire étroite, bien au-delà des livraisons d’armes. Et avec des bénéfices mutuels.

par Pierre Alonso – Challenges – publié le

Entre la France et l’Ukraine, la coopération militaire va bien au-delà des livraisons d’armes, dont le volume reste assez modeste (3,77 milliards d’euros à la fin février 2025 selon le Kiel Institute, contre 12,6 milliards pour l’Allemagne). Et elle n’est pas à sens unique : Paris observe avec profit les frappes à longue portée menées par l’Ukraine grâce à ses drones. « Nous avons des centres d’entraînement conjoints avec des Français. Ils viennent se former chez nous. C’est avec eux que nous avons la collaboration la plus productive », confie le général Youri Shchyhol, du renseignement militaire ukrainien (HUR).

Les drones sont la grande innovation et l’arme massive qui permet la résistance de l’Ukraine face à la Russie. Suppléant aux pénuries de missiles et munitions, les drones kamikazes infligent désormais environ 70 % des pertes sur le champ de bataille. Et dans ce domaine, l’Ukraine est devenue « le plus grand producteur de drones en Europe », vantait Volodymyr Zelensky en janvier.

L’armée française « particulièrement intéressée » par les drones navals

Tout un écosystème a éclos, de PME industrielles mais aussi de petits ateliers artisanaux animés par des ingénieurs aussi bien que des bricoleurs autodidactes qui conçoivent et assemblent les machines. Les drones les plus récents peuvent frapper à longue distance, tels ceux de la PME Zli Ptakhy (Les oiseaux en colère), qui peuvent voler près de 200 kilomètres et emporter des charges de cinq à six kilos (tête explosive, mines antichars, ravitaillement à larguer…), pour un coût unitaire d’environ 18 000 euros.

L’armée française est aussi « particulièrement intéressée » par les drones navals, qui ont permis à Kiev de repousser les navires russes et de rouvrir des couloirs d’exportation pour ses céréales. Fin avril, la Marine nationale française a rendu public un premier essai à la mer de drones de surface explosifs.

KNDS s’installe en Ukraine

Pour ses frappes à longue distance, l’Ukraine dispose de ses propres sources, y compris des civils russes retournés par ses services, mais aussi de renseignements fournis par ses alliés. « Nous avons une coopération permanente avec la France, notamment sur le renseignement », glisse le général Shchyhol, refusant d’être plus spécifique pour « ne pas mettre la France en difficulté ». Ce partage de renseignement, évoqué par le ministre des armées Sébastien Lecornu, a pris une importance nouvelle après la décision de la Maison Blanche d’interrompre brièvement la transmission d’informations sensibles à l’Ukraine, en mars.

Les échanges entre Paris et Kiev sont également nourris en matière industrielle. KNDS, qui fabrique notamment les canons Caesar, a ouvert une filiale en Ukraine cet automne. Le géant de l’armement terrestre Arquus s’est engagé à produire localement des pièces de rechange pour des blindés de transport (VAB) en partenariat avec une société ukrainienne. Afin de renforcer ce domaine de coopération, Arsen Zhumadilov, qui dirige l’agence de l’approvisionnement de la défense (DPA) a reçu une invitation de son homologue de la DGA française pour venir dans l’Hexagone cet été.