«Pour un service national obligatoire qui ne soit pas seulement militaire»

«Pour un service national obligatoire qui ne soit pas seulement militaire»


«Pour cela, une grande politique de réarmement moral, militaire et civique doit être entreprise.»

«Pour cela, une grande politique de réarmement moral, militaire et civique doit être entreprise.» Dragoș Asaftei / stock.adobe.com

FIGAROVOX/TRIBUNE – Face aux bouleversements géostratégiques en cours, le général de La Chesnais, ancien major général de l’armée de terre, plaide pour relancer un service national opérationnel obligatoire, différent de l’ancien service militaire, et refonder la défense opérationnelle du territoire.

Ancien numéro deux de l’armée de terre, le général (2S) Bertrand de la Chesnais a été directeur de la campagne présidentielle d’Éric Zemmour.


Après la chute du Mur de Berlin, les budgets de défense de la France sont tombés à 1,7% du PIB. Il a fallu attendre 2015 pour que la tendance s’inverse sous la pression des attentats terroristes. Et depuis le printemps 2022, nous vivons un véritable retournement stratégique. Mais cette prise de conscience est encore bien timide : le budget de la défense atteint péniblement 1,9% du PIB et la prochaine LPM 2024-2030 poursuit une trop lente remontée.

L’armée française dispose certes d’une «armée complète», mais constituée d’échantillons de capacités, sans masse ni réserve. Or, les conflits d’aujourd’hui nous démontrent que, pour tenir dans la durée, il nous faut du nombre et de la Réserve.

Il y a aujourd’hui urgence ! Alors que notre stratégie a été durant des années d’aller chercher nos ennemis au plus loin, à la racine (Afghanistan, Moyen Orient, Sahel), nous sommes aujourd’hui contraints de les combattre sur le continent européen comme sur notre sol, (Sentinelle, Ukraine). Demain, devrons-nous combattre y compris dans nos villes ? Face à un ennemi diffus qui se manifeste à travers des attaques terroristes et des émeutes, les forces de l’ordre seraient-elles suffisantes ?

Puisque nous sommes contraints d’abandonner l’ère de l’armée de projection, l’heure est venue de réfléchir à l’armée dont a besoin notre nation pour faire face aux dangers d’aujourd’hui. Ce changement de paradigme nécessiterait, à l’évidence, un nouveau livre blanc et un plan aussi ambitieux que celui qui a été mis en place après-guerre pour nous doter de l’armement nucléaire autonome.

Mais le temps long ne nous exonère pas de prendre des mesures immédiates, justement pour être au rendez-vous de l’histoire. Il est certes urgent de rééquiper nos armées pour mener une guerre de haute intensité à laquelle elles ne sont absolument pas prêtes, mais il est impératif de faire tomber deux tabous que n’ose affronter l’intelligentsia, tant militaire que politique :

– remettre en place un véritable service national opérationnel obligatoire pour l’ensemble d’une classe d’âge ;

– et renouveler de fond en comble la défense opérationnelle du territoire, pour préparer l’armée à combattre un ennemi sur notre territoire, aux côtés des forces de l’ordre.

Et pourtant, un service national opérationnel, obligatoire pour tous au sein d’une classe d’âge, aurait de multiples avantages qui dépassent largement toutes les difficultés soulevées.

L’ancien premier ministre Édouard Philippe a lancé un pavé dans la mare il y a peu en indiquant que l’idée d’un service militaire était une possibilité à étudier à condition qu’il ait un intérêt sur le plan militaire. D’autres soulèvent les questions de coûts pour répondre aux besoins d’infrastructure, d’encadrement et d’équipement que nécessiterait la remise en route d’un tel service. D’autres des questions de faisabilité pratique face à l’ampleur d’une classe d’âge : près de 800.000 jeunes, garçons et filles, à encadrer. Les derniers, enfin, craignent qu’on arme ceux-là mêmes que l’on pourrait avoir à combattre demain. Il est certain que si on commence par additionner les difficultés, il vaut mieux ne rien faire.

Et pourtant, un service national opérationnel, obligatoire pour tous au sein d’une classe d’âge, aurait de multiples avantages qui dépassent largement toutes les difficultés soulevées. Ici, tous les mots ont leur importance : service pour gratuité et sens ; national pour action collective répartie dans les services régaliens de l’État ; opérationnel pour efficacité immédiate et dans la durée, au minimum 6 mois ; obligatoire pour garçons et filles.

Le bon sens populaire appelle de ses vœux le « retour du service militaire », même s’il n’en voit pas forcément l’intérêt opérationnel. À l’inverse, l’institution militaire, et la plupart des décideurs politiques ou chercheurs et analystes, y sont généralement opposés pour les raisons évoquées plus haut. Pour éviter de penser autrement, ils rappellent avec force comme unique argument que la vocation d’un service militaire n’est pas de faire de la cohésion sociale. Il convient pourtant d’admettre que cela reste une vertu secondaire importante qui participe de la résilience de la nation ; les exemples d’Ukraine et d’Israël nous le montrent.

Il reste à imaginer comment utiliser cette force humaine que constituerait un contingent de près de 400.000 jeunes de 18 à 25 ans, dont la composante militaire ne serait qu’une branche. Ma suggestion est de commencer par une sélection précise et approfondie sur tous les plans, physique, scolaire, sécuritaire, social, afin de déterminer les aptitudes et restrictions, notamment au service des armes, pour définir l’affectation qui sera proposée au jeune.

La répartition de cette demi-classe d’âge doit correspondre à des besoins opérationnels au regard des menaces à venir ou potentielles et des missions régaliennes ou d’urgence de l’État. Il est donc proposé de répartir le contingent dans les armées (100.000) pour répondre à leurs besoins, notamment pour la défense opérationnelle du territoire ; dans les forces de sécurité, police, gendarmerie et douanes (100.000), pour renforcer leur présence au quotidien ; dans les corps non armés (100.000) tels que les Pompiers, les Eaux et Forêts, gardes côtes et gardes de Parcs naturels, pour reprendre pied sur l’ensemble du territoire ; dans les services de proximité, enfin, en mairie, dans les services dédiés aux personnes âgées et dans les services sociaux publics ou musées, afin de combler les déficits que nous connaissons et de tenir compte des inaptitudes, tout en permettant à chacun de se mettre au service d’une cause nationale.

À l’issue de son service, le contingent serait automatiquement affecté dans la Garde nationale pour une durée active de 5 ans, afin de servir comme réserviste rappelable 2 semaines par an quel que soit son emploi. Ainsi, outre la mission opérationnelle immédiate remplie par le service national obligatoire, celui-ci nourrira la réserve opérationnelle nécessaire à la mobilisation de la nation en cas d’attaque et fournira ainsi le réservoir indispensable pour tenir dans la durée en cas de conflit et d’assurer la continuité des services de l’État.

Ni la Gendarmerie, ni l’armée n’ont le volume suffisant pour assurer cette mission. Il faut donc créer à nouveau des unités dédiées, afin de laisser à l’armée d’active sa capacité d’action en cas de conflit de haute intensité.

La défense opérationnelle du territoire (DOT) vise à tenir notre pays, préventivement ou en réaction à un ennemi dévoilé, en disposant de forces militaires connaissant le terrain. En le sillonnant régulièrement, elles sont susceptibles d’agir de manière décentralisée en cas de morcellement de notre pays ou de dysfonctionnement de l’État.

Or, ni la Gendarmerie, ni l’armée n’ont le volume suffisant pour assurer cette mission. Il faut donc créer à nouveau des unités dédiées, afin de laisser à l’armée d’active sa capacité d’action en cas de conflit de haute intensité. C’est là que prend toute la valeur opérationnelle du service militaire, au sein d’un service national obligatoire.

Un régiment par département serait placé sous le commandement opérationnel des zones de défense dont la DOT est une des missions principales. Les unités élémentaires doivent disposer de casernements répartis sur le département avec une autonomie d’action leur permettant d’agir de façon autonome et isolée, tout en étant coordonnées par leur colonel au niveau du département. Ce quadrillage de l’ensemble du territoire sera la force préventive qui débusquera l’adversaire quel qu’il soit, trafics, réseaux, zones refuge, qui pourront être traités par les forces de l’ordre dont cela reste la mission ou des forces d’intervention d’active en cas d’agression caractérisée. Cela permettra, en cas de déclenchement d’un conflit sur notre sol, de maintenir la résilience de la nation et des services déconcentrés de l’État.

Revenir sur les idées reçues, préparer sans tabou la guerre de demain qui sera sur notre sol en faisant en sorte que l’ensemble des forces de résilience de la nation soient non pas armées par un petit nombre mais par la nation entière. Nous aurons ainsi les moyens de tenir dans la durée et en autonomie, tout en renforçant la cohésion de notre nation par la participation de tous.

Pour cela, une grande politique de réarmement moral, militaire et civique doit être entreprise. Nos anciens ont su le faire pour relever notre pays au lendemain de la Seconde guerre mondiale, nous pouvons le faire, c’est une question de choix politique. C’est surtout une urgence !

Le débat sur le possible rétablissement du service militaire prend de l’ampleur en Allemagne

Le débat sur le possible rétablissement du service militaire prend de l’ampleur en Allemagne

https://www.opex360.com/2023/12/23/le-debat-sur-le-possible-retablissement-du-service-militaire-prend-de-lampleur-en-allemagne/


Mais c’est sans doute en Allemagne que la question sur l’éventuel rétablissement du service militaire, suspendu en 2011, se pose avec d’autant plus d’acuité que la Bundeswehr [forces fédérales allemandes] peine à recruter, alors qu’elle doit porter ses effectifs à 203’000 militaires, contre 183’000 actuellement.

Dans un entretien récemment accordé au quotidien Die Zeit, le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, a de nouveau estimé que la suspension du service militaire était une « erreur ». Et d’ajouter que son rétablissement était possible « compte tenu de la situation actuelle en matière de sécurité ». Cependant, il a également admis qu’une telle décision entraînerait « d’importants problèmes constitutionnels et structurels ». En tout cas, a-t-il prédit, le « débat sur ce sujet va prendre de l’ampleur ».

« D’une manière générale, les Allemands doivent être prêts à un changement de mentalité. L’époque des dividendes de la paix […] est révolue. Nous devons désormais être à nouveau capables de dissuader un éventuel agresseur. Et la Bundeswehr doit être à la hauteur, que cela plaise ou non », a insisté M. Pistorius.

En attendant, la structure de la Bundeswehr va être modifiée « afin de lui permettre de remplir au mieux » ses missions. « Ensuite, nous verrons ce que cela signifie pour son format et tout le reste », a dit le ministre allemand.

Quoi qu’il en soit, ces derniers jours, et comme M. Pistorius l’avait prédit, le débat sur le retour du service militaire a effectivement pris de l’ampleur outre-Rhin. Pourtant à l’origine de sa suspension, le Parti chrétien-démocrate [CDU/CSU] est sans doute le plus enclin à le rétablir.

Ainsi, le vice-président de son groupe parlementaire au Bundestag [chambre basse du Parlement allemand], Johann Wadephul, a plaidé pour un « service général obligatoire », qui, en plus de satisfaire les besoins de la Bundeswehr, permettrait de répondre à ceux exprimés par d’autres services publics, comme, par exemple, la sécurité civile.

Cela étant, la question divise le Parti social-démocrate [SPD], dont M. Pistorius est issu.

« Je suis favorable à ce que la Bundeswehr devienne plus attractive. Mais je considère que le service obligatoire est très discutable. Et pas seulement d’un point de vue constitutionnel. Je ne pense pas que mon parti soutienne un tel modèle », a déclaré Kevin Kühnert, le secrétaire général du SPD, dans les pages du Rheinische Post.

La co-présidente de ce parti, Saskia Esken, est sur la même ligne. « Réintroduire un devoir ou une obligation pour les adultes est fondamentalement en dehors de ma vision de l’humanité », a-t-elle dit. « Je pense que la Bundeswehr est désormais bien positionnée en tant qu’armée professionnelle et qu’elle doit être développée davantage », a-t-elle ajouté.

Seulement, également membre du SPD, la commissaire parlementaire de la Bundeswehr, Eva Högl, s’était prononcée en faveur d’un service militaire inspiré du modèle suédois. Et c’est cette solution qu’étudie M. Pistorius, comme il l’a confié dans un entretien publié par l’édition dominicale du quotidien Die Welt, la semaine passée.

En Suède, « tous les jeunes hommes et femmes sont concernés, et seul un nombre restreint d’entre eux finissent par effectuer un service militaire. La question de savoir si quelque chose comme cela serait également envisageable ici se pose », a-t-il en effet déclaré, avant de rappeler que, quel que soit le modèle retenu, une majorité politique sera nécessaire.

Pour rappel, les jeunes suédois aptes au service militaire ne peuvent pas se dérober à leurs obligations s’ils sont retenus par une sorte de conseil de révision. Le nombre de conscrits – environ 4000 par an – est déterminé en fonction des besoins exprimés par les forces suédoises.

Photo : Ministère allemand de la Défense

Et si Berlin rejouait la carte du service militaire?

Et si Berlin rejouait la carte du service militaire?

Nathan Gain – Forces Opérations Blog – 6 août 2018

http://forcesoperations.com/et-si-berlin-rejouait-la-carte-du-service-militaire/

Ce n’est plus qu’un secret de polichinelle : la Bundeswehr peine à remplir ses rangs. Après l’évocation récente de la création d’une « Légion étrangère » allemande, le parti allemand au pouvoir, la CDU, relance aujourd’hui l’épineux débat du service militaire obligatoire, révélait hier le quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ).

En 2011, l’Allemagne tournait le dos au service militaire obligatoire afin de professionnaliser son armée et, au passage, diminuer les dépenses. L’initiative, alors initiée par la chancelière Angela Merkel (CDU), visait également à lutter contre un certain « conservatisme ». Sauf que… depuis lors, le nombre d’engagés volontaires a diminué drastiquement, laissant un trou béant de 21 000 postes vacants en 2017. Face au péril annoncé, la secrétaire générale de la CDU et potentiel dauphin de Merkel, Annegret Kramp-Karrenbauer, s’est donc engagée à discuter de manière « très intensive » du service militaire et de la conscription, annonçait FAZ vendredi dernier.

Reste que, pour l’instant, Kramp-Karrenbauer n’a que très peu délimité les contours de sa proposition : un service obligatoire d’un an pour les hommes et femmes de plus de 18 ans, aussi bien parmi les forces armées qu’au sein des structures médicales et autres services d’intervention d’urgence. Rien de révolutionnaire en soi, mais l’idée fait directement écho à l’un des credos défendu par la CDU : qu’elle soit de nature civile ou militaire, elle ne peut que contribuer à la cohésion sociale et à l’élaboration d’un sentiment de communauté. « Nous vivons dans un pays magnifique et riche », a ainsi déclaré Paul Ziemak, leader des jeunes CDU, à l’hebdomadaire allemand Bild am Sonntag. « Une année communautaire donnerait l’occasion d’offrir quelque chose en retour et, en même temps, de renforcer l’unité du pays », défendait-il.

Sans grande surprise, l’idée a été applaudie par le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), grand vainqueur des élections législatives de septembre 2017. L’AfD avait alors surfé sur la montée du populisme et la crise migratoire pour grappiller des millions d’électeurs à la CDU. De là à avancer que la sortie de Kramp-Karrenbauer a aussi pour objectif de récupérer de l’électorat, il n’y a qu’un pas (que nous ne nous risquerons pas à franchir). Car, justement, l’idée semble faire son bout de chemin du côté de l’électorat. D’après un récent sondage mené par le centre d’études Civey, près de 55,6% des Allemands s’annoncent favorables au retour de la conscription.

Si elle plait aux « moutons noirs » du paysage politique allemand, l’idée s’est néanmoins heurtée au scepticisme des partis d’opposition. Tant les libéraux du FDP que la gauche et les écologistes ont d’ores et déjà dénoncé une proposition « absurde » et susceptible de déboucher sur un « affreux gaspillage d’argent ».

Alors, simple coup électoral ou pragmatisme désespéré ? A défaut d’attirer les candidats « naturellement », la Bundeswehr devra-t-elle faire marche arrière et forcer les vocations ? S’il survit au débat acharné qui s’annonce, le plan défendu par Kramp-Karrenbauer devrait être discuté lors du prochain meeting de la CDU, en décembre prochain, en vue de son intégration au programme pour 2020.