L’Arctique : un espace hautement stratégique

L’Arctique : un espace hautement stratégique

Par Institut FMES, Pascal ORCIER – Diploweb – publié le 28 mai 2025

https://www.diploweb.com/Carte-commentee-L-Arctique-un-espace-hautement-strategique.html


L’institut Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES) est un centre de recherches qui décrypte les questions géopolitiques et stratégiques de la zone couvrant le bassin méditerranéen et le Moyen-Orient, de même que les recompositions entre acteurs globaux.
Pascal Orcier, professeur agrégé de géographie, docteur, cartographe, auteur et co-auteur de plusieurs ouvrages.

Pourquoi Donald Trump, qui n’hésite pas à sidérer ses partenaires comme ses rivaux pour imposer des accords avantageux pour les États-Unis, a-t-il volontairement déstabilisé le Danemark (UE) et le Canada, tout en cherchant à s’entendre avec la Russie ? Une réponse par une carte commentée par l’équipe de direction de la FMES.

LES déclarations de Donald Trump relatives à son souhait d’annexer le Canada et le Groenland, au-delà de la provocation assumée, illustrent le caractère hautement stratégique de l’Arctique sur trois plans illustrés par cette carte.

Carte commentée. L'Arctique : un espace hautement stratégique
Carte. L’Arctique : un espace hautement stratégique
Réalisation P. Orcier. Copyright février 2025-Orcier/FMES
Orcier/FMES

Tout d’abord sur un plan stratégique dans le cadre de la dissuasion nucléaire, car l’espace arctique demeure la voie la plus courte et donc la plus efficace permettant aux missiles intercontinentaux d’atteindre le cœur du territoire adverse (Russie-Chine d’un côté, Etats-Unis de l’autre), qu’ils soient basés à terre ou à bord de sous-marins lanceurs d’engins navigant en Atlantique Nord ou en Arctique. Cette représentation « polaire » le montre clairement, à l’inverse des représentations Mercator classiques. S’approprier des îles ou des terres permettant de repérer, de suivre et d’intercepter le plus tôt possible de tels missiles balistiques revêt donc une importance cruciale. Tout comme construire des voies ferrées qui permettent d’accéder au cercle arctique.

Donald Trump et le Pentagone ne cherchent pas l’affrontement avec la Russie, mais ils souhaitent étendre le plus possible le bouclier antimissile des Etats-Unis en direction de la Russie et de la Chine, tout en inscrivant dans le temps long la présence en Arctique de bases américaines liées à ce même bouclier.

Ensuite sur un plan économique lié aux enjeux de souveraineté, car l’espace arctique est riche en ressources hydrocarbures offshore, mais aussi en terres rares et minerais stratégiques. Si la Russie et la Norvège se sont entendues sur leur délimitation maritime et le partage des hydrocarbures, et si le Canada et le Danemark ont conclu un accord sur la délimitation maritime et l’accès aux ressources de certaines îles voisines du Groënland, des différends subsistent entre le Canada et les Etats-Unis au niveau du passage du Nord-Ouest. Les Etats riverains (Russie, Norvège, Danemark, Canada et Etats-Unis) poussent leurs revendications en direction du pôle Nord. La Russie considère l’océan Arctique comme un immense « lac russe » ; elle a planté son drapeau sous le pôle par 4 267 mètres de profondeur, mis en place des infrastructures militaires permanentes sur certaines îles, et installé des bases temporaires sur la banquise. Elle s’apprête à déployer un câble sous-marins de communication (Polar Express) reliant Vladivostok à Mourmansk.

La France a obtenu en 2000 le statut d’observateur au Conseil de l’Arctique et a adopté une stratégie pour l’Arctique.

Enfin sur un plan maritime, deux routes concurrentes traversent l’espace arctique pour relier l’Europe et la côte Est américaine à l’Asie du Nord par la voie maritime la plus courte. La route maritime du Nord longe les côtes de Norvège et de Russie, alors que le passage du Nord-Ouest longe le littoral du Groënland, du Canada et de l’Alaska. A terme, avec le réchauffement climatique, la fonte de la banquise pourrait permettre d’emprunter en été une route maritime directe encore plus courte passant par le pôle Nord. Ces trois routes convergent au niveau du détroit de Béring qui pourrait devenir à terme un détroit aussi convoité que celui d’Ormuz, tant pour les Etats-Unis et la Russie qui en contrôlent l’accès, que pour la Chine qui ambitionne de le sécuriser à des fins commerciales et stratégiques.

Si les compagnies maritimes russes et chinoises utilisent de plus en plus ces routes maritimes, les grandes compagnies occidentales ont annoncé qu’elles renonçaient à court-moyen terme à la voie arctique, arguant des difficultés de navigation : nuit de six mois, absence de ports et d’infrastructures permettant de réparer des avaries graves ou de soigner des membres d’équipages en cas d’urgence.

On comprend dès lors mieux pourquoi Donald Trump, qui n’hésite pas à sidérer ses partenaires comme ses rivaux pour imposer des accords avantageux pour les États-Unis, a volontairement déstabilisé le Danemark (UE) et le Canada, tout en cherchant à s’entendre avec la Russie.

L’équipe de direction de l’Institut FMES
Manuscrit clos en février 2025.
Copyright Février 2025-institut FMES-Orcier.


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Carte. L’Arctique : un espace hautement stratégique
Réalisation P. Orcier. Copyright février 2025-Orcier/FMESDocument ajouté le 29 mai 2025
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Pourquoi Donald Trump a-t-il volontairement déstabilisé le Danemark (UE) et le Canada, tout en cherchant à s’entendre avec la Russie ? Une réponse par une carte commentée par l’équipe de direction de la FMES.

Les difficultés de l’industrie navale américaine

Les difficultés de l’industrie navale américaine

 

par Gil Mihaely – Revue Conflits – publié le 29 ami 2025


L’industrie navale militaire américaine traverse une période difficile, marquée par d’importantes contraintes capacitaires et technologiques. La production de sous-marins nucléaires connaît des retards chroniques, liés à la complexité technique, au manque de main-d’œuvre qualifiée et à l’essoufflement de la chaîne logistique.

L’industrie navale militaire américaine traverse actuellement une période difficile, marquée par d’importantes contraintes capacitaires et technologiques. La production de sous-marins nucléaires, pierre angulaire de la dissuasion stratégique, connaît des retards chroniques, liés à la complexité technique, au manque de main-d’œuvre qualifiée et à l’essoufflement d’une chaîne logistique trop peu résiliente. Parallèlement, les grands chantiers navals capables de construire ou de moderniser des bâtiments de surface sont en nombre limité et peinent à suivre le rythme des besoins de la marine. Cette faiblesse de la base industrielle navale américaine,  identifiée comme un problème critique dans plusieurs rapports du Congrès et du Pentagone,  limite la capacité des États-Unis à renouveler leur flotte, à renforcer leur présence dans les zones de tension et à répondre aux avancées rapides de leur rival stratégique, la Chine.

Ce constat rappelle, en miroir inversé, le dynamisme industriel du projet des Liberty Ships pendant la Seconde Guerre mondiale, qui permit aux États-Unis de surmonter un goulet d’étranglement logistique grâce à la production en série de navires simples, robustes et rapidement assemblés. Une ambition similaire est aujourd’hui nécessaire, mais adaptée aux technologies du XXIe siècle.

Projet Port Alpha

C’est précisément cette ambition que cherche à incarner le projet Port Alpha, développé par l’entreprise Saronic Technologies. Fondée en septembre 2022 à Austin, au Texas, Saronic Technologies est l’un des fleurons émergents de l’innovation militaire américaine dans le domaine de l’autonomie navale. L’entreprise a été créée par un trio aux profils complémentaires : Dino Mavrookas, ancien opérateur des Navy SEALs, Rob Lehman, officier vétéran du Corps des Marines et Vibhav Altekar, ingénieur spécialiste des systèmes autonomes. Cette combinaison d’expérience militaire de terrain et de compétence technologique a permis à Saronic de s’imposer rapidement comme un acteur stratégique. Dès ses débuts, la société a signé plusieurs contrats de recherche et développement avec la marine américaine. Grâce à des levées de fonds spectaculaires (55 millions de dollars en série A, 175 millions en série B, et 600 millions en série C en février 2025), avec le soutien de fonds prestigieux comme Andreessen Horowitz, General Catalyst et Elad Gil, Saronic atteint aujourd’hui une valorisation estimée à 4 milliards de dollars. L’acquisition en avril 2025 du chantier naval Gulf Craft en Louisiane témoigne de son ambition industrielle : produire rapidement, sur le sol américain, des drones marins à grande échelle. Ce dynamisme place Saronic au cœur du projet Port Alpha, dont elle est à la fois l’initiatrice et le principal moteur.

Produire des drones navals

Il ne s’agit pas ici de construire des destroyers ou des sous-marins, mais bien de créer un chantier naval entièrement dédié à la production de drones marins, autrement dit de navires de surface autonomes (Uncrewed Surface Vessels, USV). En réponse à l’évolution des menaces et à la pression croissante sur les ressources humaines et matérielles, ces systèmes sans équipage sont appelés à jouer un rôle stratégique de plus en plus central dans les opérations navales modernes : missions de surveillance à longue portée, guerre électronique, frappes précises en environnement contesté, ou encore leurre pour saturer les défenses ennemies.

Le cœur du projet repose sur l’idée d’industrialiser la construction de ces drones marins en s’appuyant sur des méthodes de production inspirées du secteur technologique, notamment des processus modulaires, automatisés et rapides. Le chantier naval Port Alpha doit permettre la fabrication en masse de plusieurs types de drones de surface, dont le Corsair (24 pieds, 1 000 livres de charge utile) et le Marauder (150 pieds, 40 tonnes de charge utile), deux plateformes destinées à des missions variées et complémentaires. Leur capacité à opérer sans équipage, à basse signature radar, et avec une autonomie prolongée, en fait des outils idéaux pour des engagements asymétriques et des opérations en zones contestées.

L’enjeu stratégique de Port Alpha est de combler rapidement les lacunes structurelles de la marine américaine en proposant une flotte de drones marins capable d’intervenir en soutien ou en remplacement des unités classiques. Là où un destroyer nécessite des années de construction et un équipage pléthorique, un USV peut être assemblé en quelques mois, mobiliser peu de ressources humaines, et opérer en essaim ou en binôme avec des navires habités. En intégrant ces systèmes dans une flotte hybride, la marine américaine renforce sa flexibilité, sa résilience et sa capacité de dissuasion, notamment face à la Chine, qui investit massivement dans des technologies navales similaires.

Connexion avec le Golfe

Les fonds levés cette année doivent permettre de construire le chantier Port Alpha et de le rendre opérationnel dans un délai de cinq ans. Bien que son implantation n’ait pas encore été arrêtée, les régions du Texas ou de la côte du Golfe, historiquement ancrées dans l’industrie maritime, sont les plus sérieusement envisagées.

À terme, Port Alpha pourrait jouer un rôle transformateur non seulement pour la marine américaine, mais pour l’ensemble de l’industrie de défense navale, en inaugurant un modèle de production souple, agile et adapté aux nouveaux paradigmes technologiques. Il s’agirait là d’un tournant doctrinal autant qu’industriel : faire de la mer un espace où les drones de surface formeraient la première ligne d’une nouvelle stratégie navale. En somme, Port Alpha n’est pas seulement un chantier naval. C’est un manifeste technologique et stratégique qui marque la transition vers une marine du futur, où la domination des mers passera aussi par la supériorité algorithmique et la robotisation de la force.

À Cherbourg, le quatrième sous-marin nucléaire d’attaque de type Suffren a rejoint le dispositif de mise à l’eau

À Cherbourg, le quatrième sous-marin nucléaire d’attaque de type Suffren a rejoint le dispositif de mise à l’eau


À Cherbourg, moins de deux ans après le sous-marin nucléaire d’attaque [SNA] Tourville, actuellement en arrêt technique après son déploiement de longue durée [DLD], prélude à son admission au service actif, le SNA De Grasse, quatrième de la série « Barracuda », vient de quitter son chantier de construction pour être transféré vers le dispositif de mise à l’eau [DME]. C’est en effet ce qu’ont annoncé Naval Group et le ministère des Armées, le 27 mai.

« Cette opération de transfert sur le dispositif de mise à l’eau constitue une étape majeure du programme Barracuda, piloté par la Direction générale de l’armement [DGA], dont l’objectif est de renouveler les six SNA de classe Rubis de la Marine nationale par six SNA de classe Suffren », a rappelé le ministère des Armées, via un communiqué.

« Je salue l’investissement et les compétences mis en œuvre par nos équipes, celles de TechnicAtome, de la DGA, du CEA, de la Marine nationale, ainsi que de tous nos partenaires. Le franchissement de cette nouvelle étape est une démonstration du savoir-faire de la filière industrielle navale française qui œuvre avec fierté au service de nos forces armées », a commenté Pierre Éric Pommellet, le PDG de Naval Group.

Une cérémonie a été organisée à cette occasion, en présence de représentants de la DGA, du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives [CEA], de Naval Group, de TechnicAtome et de la Marine nationale.

À noter que l’équipage « bleu » du SNA De Grasse a déjà été constitué. Commandé par le capitaine de frégate Owen, il sera chargé d’assurer la première phase des essais en mer du sous-marin, jusqu’à sa livraison à la Marine nationale.

La mise en l’eau de ce quatrième SNA de type Barracuda [ou classe Suffren] est prévue en 2026. Cette phase sera suivie par la première divergence de sa chaufferie nucléaire K-15, cette opération consistant à déclencher une réaction en chaîne de fission de l’uranium dans le cœur du réacteur. Puis, il effectuera ses premiers essais en mer, avant d’être livré à la Marine nationale. Son admission au service actif devrait être prononcée en 2027.

D’ici-là, un cinquième SNA de la classe Rubis, à savoir l’Améthyste, aura entamé son processus de désarmement. Le dernier de cette série, la Perle, suivra la même voie après que les cinquième et sixième SNA de type Barracuda – le Rubis et le Casabianca – auront été remis à la Marine nationale.

Pour rappel, affichant un déplacement de 5 300 tonnes en plongée pour une longueur de 99 mètres et un diamètre de 8,8 mètres, un SNA de type Barracuda est équipé de capteurs dix à quinze fois plus performants que ceux de ses prédécesseurs de la classe Rubis. Encore plus discret que ces derniers, il est armé de missiles antinavires Exocet SM39 modernisés, de torpilles lourdes filoguidées F-21, de mines et de missiles de croisière navals [MdCN]. Enfin, il peut être doté d’un hangar de pont [« Dry Deck Shelter »], abritant un sous-marin de troisième génération [PSM3G] utilisé par les commandos marine.

Le chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM], l’amiral Nicolas Vaujour, ne tarit pas d’éloges à l’égard de ce nouveau type de sous-marin.

« Le Suffren est une ‘bête de guerre’, dont nous sommes très satisfaits. […] Il est particulièrement adapté à la lutte contre les sous-marins et il embarque un certain nombre de technologies [intelligence artificielle, mât optronique, etc.]. Il est notamment équipé d’une barre en X, qui le rend plus manœuvrable. Le MdCN ajoute une capacité militaire redoutable : il permet au sous-marin de s’approcher d’une côte sans être vu et de porter la frappe souhaitée », avait-il ainsi détaillé, lors d’une audition parlementaire.

Photo : Naval Group

Guerre en Ukraine : La Russie mène le jeu

AASDN – 28/05/2025

https://aassdn.org/amicale/guerre-en-ukraine-la-russie-mene-le-jeu/


La Russie mène le jeu.
L’équilibre des puissances dans la guerre russo-ukrainienne

Excellent article du commandant (à la retraite) Steven Jermy, Royal Navy, récemment publié sur NATO watch.
Steven a commandé 4 navires de guerre, le 5e escadron de destroyers et l’Armée de l’air de la Flotte. Il a servi dans la guerre des Malouines, déployé dans les campagnes de Bosnie et du Kosovo, et sa dernière tournée opérationnelle était en Afghanistan en tant que Directeur de la stratégie à l’Ambassade britannique.
Il est l’auteur de
« Strategy for Action: Using Force Wisely in the 21st Century » et travaille maintenant dans le secteur de l’énergie offshore.

Theodore Roosevelt a déclaré « Parlez avec douceur tout en portant un gros bâton« . Les dirigeants européens font le contraire et sont offensés lorsqu’ils ne sont pas invités aux négociations russo-ukrainiennes. Au lieu de cela, et depuis la ligne de touche, les Européens insistent pour que la Russie accepte des conditions de cessez-le-feu que ni eux ni les Américains n’ont les moyens politiques ou militaires d’imposer. Il n’est donc pas surprenant que les Russes continuent patiemment d’insister sur leurs propres conditions, ni que les Américains se rallient lentement à la position de la Russie. Pourtant, les dirigeants européens se sentent offensés. Pourquoi donc ?

Au niveau le plus fondamental, je crains qu’ils n’aient pas la capacité de calculer l’équilibre des puissances, une compétence pourtant essentielle en temps de guerre. Si nous, Européens, voulons jouer un rôle intelligent dans la conclusion de la guerre en Ukraine, nous devons revenir aux bases de la stratégie et calculer les rapports de force relatifs. Cela nous permettrait de comprendre le véritable levier – ou manque de levier – qu’à l’Occident sur la Russie.

Un excellent point de départ est le travail du professeur John Mearsheimer, en particulier compte tenu de son étonnante prescience sur ce sujet, qui contraste fortement avec les prévisions des commentateurs occidentaux conventionnels. Mearsheimer souligne que la richesse économique et la taille de la population sont des déterminants fondamentaux de la puissance nationale. Toutes choses égales par ailleurs, les grandes populations sont plus puissantes que les petites populations, les plus riches plus puissantes que les plus pauvres.

Mais la richesse économique est régulièrement, et paresseusement, évaluée à l’aide des chiffres du PIB, un moyen particulièrement médiocre de calculer la puissance militaire nationale. L’économie des services compte peu sur le champ de bataille ; dans les affaires militaires, c’est la capacité industrielle qui compte.

Il y a un autre facteur tout aussi fondamental à ajouter à la liste de Mearsheimer, l’énergie. La capacité industrielle, tout comme les opérations militaires, dépend de manière critique d’un approvisionnement fiable en énergie bon marché, de haute qualité et abondante, comme les Européens le constatent à leurs propres frais. En effet, dans la guerre et les opérations militaires, le combat et la logistique sont tous deux extrêmement énergivores.

Ces facteurs fondamentaux étaient visibles pendant la Seconde Guerre mondiale. Les États-Unis, la Russie et la Grande-Bretagne avaient de grands secteurs industriels ; mais aussi des approvisionnements énergétiques fiables, provenant de sources locales et des colonies britanniques pour ce dernier pays. L’échec de l’armée allemande à capturer le pétrole russe et les succès des sous-marins de la marine américaine à gêner les approvisionnements en pétrole indonésien du Japon ont été des facteurs clés de la défaite finale des deux nations de l’Axe.

Nerveusement, l’amiral Isoroku Yamamoto, avant la Seconde Guerre mondiale face aux États-Unis, reconnaissait cette logique : “Quiconque a vu les usines automobiles de Detroit et les champs pétrolifères du Texas sait que le Japon n’a pas la puissance nationale pour une course navale contre l’Amérique.”

La capacité industrielle et l’énergie sont peut-être les fondements de la puissance nationale, mais l’utilité de la puissance militaire est aussi conditionnée géopolitiquement. Dans mon livre « Strategy for action », je fais la distinction entre l’équilibre des puissances nationales et l’équilibre des passions politiques. Cette distinction, rarement faite, explique les défaites au Vietnam et en Afghanistan : les Vietcongs et les Talibans, même plus faibles, se ralliaient beaucoup plus autour de leurs causes et étaient prêts à payer un prix du sang plus élevé que les populations occidentales. La géographie joue également un rôle dans les calculs politiques : les gens se soucient généralement moins des problèmes se passant loin de chez eux.

La distance compte aussi pour des raisons militaires. Plus une campagne est éloignée, plus le défi logistique et les dépenses y afférant sont importants. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Américains, dans un exploit industriel historiquement inégalé, ont construit 2 751 navires de style liberty de 10 000 tonnes pour former l’épine dorsale d’une énorme chaine d’approvisionnement logistique militaire mondial. L’autre facteur géographique important est la nature maritime ou terrestre d’une campagne. Les marines des puissances maritimes ont moins d’utilité dans les campagnes terrestres, et vice versa pour les armées des puissances terrestres. Ce n’est pas une distinction manichéenne, elle est plus nuancée que cela, mais elle est néanmoins importante pour juger de l’utilité de la puissance maritime ou terrestre.

Armés de ce cadre, nous sommes en terrain plus solide pour examiner la guerre en Ukraine avec une rigueur militaro-stratégique plutôt qu’avec la superficialité politique. Évaluons les participants à la guerre par ordre croissant de puissance.

Fondamentalement, l’Ukraine a commencé la guerre en position de faiblesse. Avec le soutien soutenu de l’OTAN depuis 2014, elle avait formé une grande armée, mais sa capacité industrielle était limitée et elle dépendait d’approvisionnements énergétiques externes, y compris du pétrole russe. Sa position fondamentale est maintenant bien pire, après le ciblage délibéré par la Russie de ses infrastructures industrielles et énergétiques.

L’unité géopolitique de la puissance ukrainienne se dissipe également. La passion politique pour la cause, déjà faible dans les régions ethniquement russes, semble maintenant s’éroder parmi les fatigués de la guerre et les victimes des gangs de rabatteurs de l’armée ukrainienne. Les ultranationalistes resteront sans doute fidèles à leur cause, peut-être jusqu’à une fin apocalyptique, mais mis à part eux, il est facile d’envisager un consensus populaire en chute libre quand l’armée russe roulera vers l’ouest.

Certains disent qu’il est évident que les fondements et l’utilité de la puissance sont calculés de cette manière. Mais ce n’est clairement pas le cas pour les dirigeants américains et européens engagés dans la guerre en Ukraine, qui démontrent, par leurs paroles et leurs actes, qu’ils n’ont pas le moindre soupçon d’une telle compréhension.

Mis à part son bellicisme, l’Europe est fondamentalement faible. Pour se rapprocher des niveaux de capacité industrielle de la Guerre froide, les Européens devront doubler leurs dépenses de défense et dépasser 5% du PIB. En 1986, au point culminant de la guerre froide, la Grande-Bretagne dépensait 6% pour sa défense.

De plus, en tant que premier importateur d’hydrocarbures au monde, avec 12,8 millions de barils par jour de pétrole, la situation de l’Europe est caractérisée par une vulnérabilité énergétique aiguë. La cohésion géopolitique limitée de l’Europe est également en jeu. La Hongrie, la Slovaquie, la Bulgarie et la Serbie ont toujours été sceptiques, la position neutre de l’Autriche est restée nuancée, et le soutien politique d’autres pays, comme l’Italie et l’Espagne, s’affaiblit. Alors que les ressources nationales sont redirigées, loin des dépenses en capital constructif ou en biens de société vers une course aux armements impossible à gagner pour soutenir une guerre perdue, il est difficile d’imaginer comment les choses pourraient s’améliorer.

Fondamentalement, les États-Unis sont plus puissants que l’Europe ou l’Ukraine, mais ce n’est pas si important. Industriellement, le monde entier sait qu’ils ont un problème ; la preuve en est que la logique primaire des taxes douanières est la réindustrialisation du pays. Au niveau de l’énergie, c’est un peu mieux mais loin d’être parfait. Bien qu’exportateurs d’hydrocarbures raffinés, les États-Unis restent importateurs nets de pétrole, à hauteur de près de 3 millions de barils par jour.

Plus pertinent, l’Ukraine est loin de la patrie américaine, la base électorale de Trump est généralement contre la guerre et les perspectives de financement du Congrès au-delà de juin sont incertaines. La politique intérieure joue également son rôle. La responsabilité principale du soutien initial des États-Unis à la guerre incombe à l’administration Biden. Mais plus longtemps les Etats-Unis resteront coincés dans la mangrove ukrainienne, plus l’administration Trump risque d’en assumer le blâme.

La Russie, quant à elle, démontre sur le champ de bataille la valeur analytique du calcul de l’équilibre des puissances. Mobilisée industriellement pour son « opération militaire spéciale« , la production russe d’obus de 155 mm est supérieure à celle des États-Unis, des Européens et des Ukrainiens réunis. Le pays est aussi une superpuissance en hydrocarbures, totalement indépendante énergétiquement et qui regarde avec perplexité les Européens accélérant leur suicide industriel en appliquant des sanctions contre l’énergie russe leur revenant comme un boomerang. La cohésion géopolitique de la Russie est également claire. Puissance terrestre majeure, elle opère sur des lignes logistiques intérieures qui sont ses atouts. Politiquement, les Russes pensent mener une guerre existentielle contre un Occident expansionniste. Dès 2008, le télégramme diplomatique « Nyet means Nyet » [Non veut dire non] de Bill Burns expliquait que l’expansion de l’OTAN était considérée comme un problème « névralgique » par tous les Russes et pas seulement par Poutine. Ils défendent donc l’existence de la Russie et les chiffres d’approbation politique de 85% de Poutine reflètent l’engagement de son peuple à la victoire.

Implications : La Russie mène le jeu. Et alors ?

Selon cette analyse, l’équilibre des puissances – sur le champ de bataille et à la table des négociations – favorise largement la Russie. Malgré cela, les dirigeants européens – avec le soutien réduit des Américains – semblent croire que c’est aux perdants de dicter les conditions du cessez-le-feu ou de la reddition. Puis protestent bruyamment quand ni la situation ni Poutine ne veulent les suivre. En temps de guerre, ce sont les vainqueurs qui dictent les conditions, et cette guerre se terminera en grande partie aux conditions de la Russie. Bien que les propagandistes essaieront sans aucun doute de présenter cela comme autre chose qu’une défaite de l’OTAN, cela ne servira à rien, car telle sera la situation sur le terrain.

Mieux vaut reconnaître et accepter cette inévitabilité stratégique, faire preuve d’une certaine humilité politique européenne et commencer, enfin, à travailler de manière constructive avec les Américains et les Russes. Afin que nous puissions, à notre tour, aborder la question immédiate la plus importante pour nous tous. La guerre se terminera-t-elle plus lentement, brutalement et coûteusement, sur le champ de bataille ? Ou plus rapidement, humainement et à moindre coût à la table des négociations ?

Si nous reconnaissons le manque relatif de puissance de l’Occident et acceptons les réalités géopolitiques sur le terrain, nous, Européens, pouvons commencer à faire une différence positive, plutôt que de chercher à nous accrocher à notre récit politique raté et à retarder l’inévitable.

Nos appels continus à la Russie à accepter des conditions que l’Occident est incapable d’imposer devraient cesser. Nous devrions modifier notre position sur les principes fondamentaux de la négociation. La Russie aussi a des intérêts légitimes en matière de sécurité. Pousser l’OTAN aux frontières de la Russie tout en ignorant volontairement leurs intérêts était forcément susceptible de conduire à un conflit. La diplomatie met fin aux guerres ; ce qui signifie que les dirigeants européens commencent à parler personnellement à Poutine et aux ministres des Affaires étrangères Lavrov, et essaient de mieux comprendre de première main ce qu’eux et tous les Russes veulent.

Cette dernière question ne devrait pas être trop difficile car les Russes nous disent ce qu’ils veulent depuis au moins trois ans. Fondamentalement, ils recherchent une solution sécuritaire qui élimine la cause première de la guerre et conduit à une paix à long terme sur le continent européen. Lorsqu’il y aura un large accord sur la manière d’y parvenir, alors – et seulement alors – ils seront prêts à parler d’un cessez-le-feu. Et commencer à mettre fin à la destruction catastrophique des infrastructures ukrainiennes, à la perte de vies russes et ukrainiennes supplémentaires et à la gabegie de fonds européens, alors que beaucoup déjà ont été gaspillés.

En 1965, le général Andres Beaufre déclarait « À la guerre, le perdant mérite de perdre car sa défaite est due à des échecs de réflexion avant ou pendant la campagne. » Je suis d’accord. Cela peut aller à l’encontre de la pensée européenne conventionnelle, mais l’histoire montrera bientôt qu’avec les Américains, nous, Européens, portons une responsabilité substantielle dans cette guerre et dans la défaite de l’OTAN.

Avec une réflexion stratégique compétente, nous aurions pu éviter cette guerre en premier lieu.
Avec une réflexion compétente sur l’équilibre des puissances, nous pourrions – et devrions – maintenant aider à y mettre fin plus rapidement et de manière humaine.


Steven JERMY
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
Publié le mai 21, 2025 par Wayan
Et par Ian Proud – Le 15 mai 2025 – Source The Peace Monger

Après avoir acheté des dizaines de Rafale français, l’Inde lance le programme de son propre avion de combat

Après avoir acheté des dizaines de Rafale français, l’Inde lance le programme de son propre avion de combat

L’Inde a approuvé mardi un programme visant à développer un prototype d’avion de chasse.HAL

L’Inde qui a représenté à elle seule 28% des exportations d’armement de la France est prête à avancer dans son autonomie en matière de défense. Le pays a fait de la modernisation de son armée une priorité absolue notamment en raison des tensions avec la Chine et le Pakistan.

L’Inde a approuvé mardi un programme visant à développer un prototype d’avion de chasse, un projet destiné à accroître son autonomie en matière de défense, près de trois semaines après la confrontation militaire avec le Pakistan, a annoncé le ministère de la Défense.

Le ministre de la Défense, Rajnath Singh, a approuvé le prototype d’un avion de combat avancé de 5e génération (AMCA), selon un communiqué de son ministère.

L’Agence de développement aéronautique (ADA) de l’Inde, qui dépend du ministère de la Défense, “est sur le point d’exécuter ce programme via un partenariat industriel”, a-t-elle ajouté, affirmant que “ce sera une avancée majeure vers l’autosuffisance dans le secteur aérospatial”.

L’entreprise d’état indienne HAL (Hindustan Aeronautics Ltd) avait annoncé en mars la fabrication du premier bord d’attaque du prototype de cet avion de combat.

Cet AMCA, d’une masse de 25 tonnes, aura une charge utile interne de 1,5 tonne et une charge utile externe de 5,5 tonnes en addition de 6,5 tonnes de carburant, indique le Gifas sur son site. Il sera disponible en version furtive et non furtive.

10% des importations indiennes

L’Inde a fait de la modernisation de son armée une priorité absolue notamment en raison des tensions avec la Chine et le Pakistan, deux pays voisins dotés de l’arme nucléaire.

Le pays est l’un des plus grands importateurs d’armes au monde.

En moyenne, les achats d’armement ont représenté près de 10% de ses importations en 2019-2023, a affirmé l’an dernier l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI).

L’Inde s’affirme également de plus en plus au sein d’alliances multilatérales comme le “Quad”, comprenant le Japon, l’Australie et les États-Unis, de plus en plus préoccupés par l’influence militaire et économique de la Chine.

Dans le même temps, elle se détourne lentement de la Russie, son allié traditionnel et principal fournisseur d’armement depuis des décennies, pour privilégier des contrats avec des pays occidentaux.

Fin mars, New Delhi a annoncé la signature d’un accord en vue d’acheter 156 hélicoptères de combat légers fabriqués localement. L’Inde est aussi un client de Dassault Aviation. Fin avril, New Dehli a acté la commande de 26 Rafale français pour sa marine. Le pays avait déjà acheté 36 Rafale en 2016, pour équiper ses forces aériennes. Un potentiel contrat de 40 appareils supplémentaires serait par ailleurs en cours de discussion entre l’Inde et la France.

L’intérêt de l’Inde pour les avions français n’est d’ailleurs pas nouveau: le pays est client de Dassault Aviation depuis plus de 70 ans. Le premier achat remontant à 1953. Sur la période 2020-2024, l’Inde a représenté 28% des exportations d’armement de la France, selon les données du Stockholm International Peace Research Institute.

Au cours de la dernière décennie, l’Inde s’est dotée de son premier porte-avions fabriqué localement, de navires de guerre et de sous-marins.

L’Inde est également devenue l’un des six pays ayant des capacités de frappe nucléaire sur terre, mer et air après avoir testé un missile balistique depuis son premier sous-marin nucléaire produit localement.

Un Rafale perdu au combat

L’Inde et le Pakistan se sont affrontés quatre jours ce mois-ci, leur pire confrontation depuis des décennies, jusqu’au cessez-le feu annoncé le 10 mai.

Cette opération militaire a été lancée par l’Inde en représailles à l’attaque qui a fait 26 morts, tous des civils, le 22 avril dans une ville touristique du Cachemire indien.

Islamabad a affirmé que ses avions de chasse, construits par la Chine, avaient abattu six appareils indiens – dont trois Rafale de fabrication française. L’Inde n’a pas confirmé officiellement la perte d’avions.

Un haut responsable de la sécurité a indiqué à l’AFP que trois appareils se sont écrasés sur le territoire indien sans préciser leur modèle ou la cause.

Selon un haut gradé français, les Indiens ont perdu “non pas trois, mais un Rafale” au cours du conflit, dans des circonstances qu’il reste à établir. “Toutes les hypothèses sont sur la table”, selon cette source.

Frédéric Bianchi (avec AFP)

Les capacités anti-drones de l’armée française : état des lieux et perspectives

Les capacités anti-drones de l’armée française : état des lieux et perspectives

Alors que les drones s’imposent comme des armes majeures dans les conflits modernes, l’armée française renforce discrètement mais résolument ses capacités de lutte anti-drones.

par Adélaïde Motte – armees.com – Publié le
parade, drone
Les capacités anti-drones de l’armée française : état des lieux et perspectives | Armees.com

Alors que les drones s’imposent comme des armes majeures dans les conflits modernes, l’armée française renforce discrètement mais résolument ses capacités de lutte anti-drones. De la guerre en Ukraine aux tensions en zone sahélienne, les microdrones armés ou kamikazes redéfinissent les menaces. Où en est la France ? Quels moyens déploie-t-elle pour y faire face ? Et quelles sont les pistes explorées pour rester dans la course technologique ?
drones

Avec les drones, la menace change d’échelle

L’ère du drone est bel et bien entrée dans sa phase de généralisation. Longtemps cantonnés à des missions de surveillance stratégique ou à des frappes ponctuelles dans des zones à haut risque, les drones sont devenus des armes omniprésentes sur le champ de bataille. Leur utilisation massive dans la guerre russo-ukrainienne a bouleversé les doctrines militaires. Qu’ils soient de simples quadricoptères commerciaux équipés de grenades ou des munitions rôdeuses complexes, les drones représentent une menace à bas coût et à fort impact.

Cette prolifération de drones, notamment dans les conflits asymétriques, oblige les armées modernes à repenser en profondeur leur défense. L’armée française n’échappe pas à cette exigence. Des unités conventionnelles aux postes avancés dans la bande sahélo-saharienne, les forces françaises sont confrontées à des incursions de drones bon marché mais redoutables, capables de perturber des opérations, de désorganiser des convois ou de cibler des personnels. La maîtrise de l’espace aérien à basse altitude est devenue un enjeu vital.

Parade : le programme central du ministère des Armées

Face à cette évolution, la France a lancé dès 2021 le programme PARADE (Protection déployAble modulaiRe Anti-DronEs), piloté par la Direction générale de l’armement (DGA). Il s’agit du premier programme anti-drones industriel et modulaire à grande échelle adopté par les armées françaises.
Attribué au tandem Thales–CS Group, PARADE vise à équiper les bases militaires, les emprises sensibles et les événements majeurs (Jeux Olympiques 2024, notamment) d’une solution complète de lutte anti-drones. Il combine plusieurs briques technologiques :

  • Détection : radar, capteurs acoustiques, optroniques et radiofréquences pour identifier des objets volants de petite taille dans un rayon d’environ 3 à 5 km.
  • Identification : capacité à discriminer le type de drone, son comportement, sa trajectoire, sa charge éventuelle.
  • Neutralisation : utilisation de brouilleurs (jamming), de leurrage GNSS, et à terme, de lasers ou d’intercepteurs physiques (drones chasseurs ou projectiles dédiés).

PARADE est conçu pour être déployable en moins de 15 minutes, transportable par véhicule léger, et interopérable avec les systèmes de commandement existants. L’objectif est clair : sécuriser les forces et les installations dans un environnement saturé de menaces aériennes de très basse altitude.

Des solutions portatives pour les forces déployées

En complément des dispositifs fixes comme PARADE, les forces françaises disposent aussi d’équipements portatifs ou tactiques, adaptés aux opérations de terrain.

Parmi eux, le Brouilleur NEROD-F5 (développé par MC2 Technologies) s’impose comme une référence. Cet appareil, ressemblant à un fusil, permet de brouiller à distance les liaisons entre un drone et son opérateur, ou de bloquer son GPS. Il est déjà utilisé dans des unités comme le GIGN, certaines forces spéciales, ou des groupes en mission Sentinelle.

Plusieurs unités conventionnelles, y compris en régiments d’infanterie, sont désormais dotées de versions allégées de ce type de brouilleur, faciles à transporter et à déployer rapidement. L’efficacité de ces armes électroniques dépend toutefois fortement du type de drone et de son niveau d’autonomie : les drones préprogrammés ou fonctionnant en mode GPS-free sont plus difficiles à neutraliser. La quantité de matériels reste cependant très limitée et l’entrainement à la lutte anti-drone reste embryonnaire hors unités spécialisées.

Des menaces asymétriques en constante mutation

La principale difficulté pour les armées réside dans l’imprévisibilité de la menace. Les adversaires non étatiques — groupes armés terroristes ou insurgés — n’ont ni doctrine, ni modèle fixe. Ils adaptent en permanence leur usage des drones :

  • Commercialisation de masse : des quadricoptères DJI achetés en ligne peuvent être modifiés pour larguer des charges ou se transformer en projectiles.
  • Munitions artisanales : en Ukraine ou en Syrie, on a vu des drones porter des obus de mortier, des grenades thermobariques, voire des charges creuses.
  • Approches suicides : de plus en plus de groupes utilisent des drones kamikazes, agissant comme des missiles de croisière low-cost.

Ces évolutions posent de redoutables défis techniques. Un drone de 250 g en fibre plastique, volant à 50 km/h, à 15 m d’altitude, est difficile à détecter au radar. Le risque ne concerne plus seulement les installations stratégiques, mais chaque patrouille, chaque checkpoint, chaque base avancée.

Vers une panoplie technologique complète : laser, IA, drones intercepteurs

Le ministère des Armées prépare déjà l’étape suivante. L’objectif est de disposer à l’horizon 2025-2030 d’un système multi-couches intégrant plusieurs technologies complémentaires.

Le laser, arme silencieuse du futur ?

Le programme HELMA-P (High Energy Laser for Multiple Applications – Prototype), développé par Cilas (groupe Ariane), vise à doter l’armée d’un laser de puissance capable de détruire en vol des mini-drones. Testé avec succès sur des cibles mobiles, il a été déployé en expérimentation pendant les JO 2024. Ses avantages :

  • Neutralisation rapide (moins d’une seconde sur un petit drone),
  • Aucune munition à transporter,
  • Faible coût à l’usage.
    Ses limites restent la portée (quelques centaines de mètres) et la dépendance aux conditions météo. Cependant, son efficacité a conduit la DGA (Direction Générale de l’Armement) à commander des systèmes supplémentaires pour équiper les 3 armées françaises.

L’intelligence artificielle, aide à la détection

La DGA mise également sur des solutions d’intelligence artificielle embarquée, capables de reconnaître automatiquement un comportement suspect (trajectoire d’approche, survol anormal, etc.) et de signaler une alerte en moins d’une seconde. Plusieurs start-ups françaises travaillent sur ces algorithmes, avec un effort particulier sur le traitement d’images en temps réel.

Drones contre drones

Enfin, les intercepteurs autonomes suscitent un intérêt croissant. Ces « drones chasseurs » sont conçus pour localiser, poursuivre, puis neutraliser un drone hostile, soit par collision, soit par filet. Plusieurs prototypes sont en cours d’évaluation en France. Ils permettraient une riposte dynamique, mobile, et réutilisable.

Une coopération européenne et OTAN essentielle

La lutte anti-drones dépasse les capacités nationales. En 2023, la France a intégré le programme européen JEY-CUAS (Joint European sYstem for Countering Unmanned Aerial Systems), aux côtés de l’Allemagne, de l’Italie et de l’Espagne. Objectif : développer une doctrine commune, tester des briques technologiques, et mutualiser les retours d’expérience.

Au sein de l’OTAN, la France participe aussi à la définition des standards de détection, de brouillage, de couverture radar basse altitude, et à l’intégration des moyens anti-drones dans les réseaux C2 interalliés.

L’enjeu : ne pas rater la “prochaine guerre”

Comme l’a récemment rappelé le chef d’état-major des armées, le général Thierry Burkhard, lors d’une audition au Sénat : « Celui qui dominera l’espace aérien à basse altitude dominera le champ tactique. »

La guerre en Ukraine en est la preuve vivante : les drones ont inversé des rapports de force, détecté des unités d’élite, précipité des pertes massives. Une guerre de haute intensité demain, avec des essaims de drones en première vague, exigerait une défense très en amont. Ne pas posséder cette capacité reviendrait à exposer ses troupes et à renoncer à l’initiative.

La France, avec ses choix industriels (PARADE, HELMA-P, drones intercepteurs), avance vite — mais ses adversaires aussi. La compétition est permanente, agile, low cost. La lutte anti-drones est donc bien plus qu’un sujet technique : c’est une question stratégique, de souveraineté, et de survie tactique.

3,5+1,5= 5: les pays de l’Otan condamnés à augmenter leurs dépenses militaires

3,5+1,5= 5: les pays de l’Otan condamnés à augmenter leurs dépenses militaires

Des paras du 503rd Infantry Regiment, de la 173rd Airborne Brigade, à Pabradė Training Area, Lituanie, en mai, lors de  Swift Response 2025. (U.S. Army photo by Sgt. Jose Lora)


Depuis la présidence de Barack Obama, les États-Unis exigent de leurs alliés de l’Alliance atlantique des efforts financiers conséquents. Actuellement, ces efforts visant à renforcer les engagements budgétaires sont soumis à l’intense pression de l’administration Trump, qui se plaint que les États-Unis assument une part trop importante du coût de la sécurité européenne.

Mark Rutte, le secrétaire général de l’Otan, était à Dayton (USA), lundi, pour la réunion de printemps de l’assemblée parlementaire de l’Otan. « Nous finalisons un plan pour augmenter dramatiquement les dépenses de défense de l’Alliance », a-t-il confirmé, précisant qu’au prochain sommet de l’Otan, en juin, à La Hague, les responsables politiques devront « prendre des décisions pour rendre l’Alliance atlantique plus forte, plus équilibrée et plus létale. « Nous devons agir maintenant et renforcer nos défenses. Reporter ces décisions serait dangereux ».

Les dirigeants de l’Otan doivent effectivement se réunir les 24 et 25 juin. Il s’agira de fixer de nouveaux objectifs en matière de capacités militaires et surtout de répondre à la question du montant que les membres doivent consacrer à la défense. Washington exige que les Etats membres consacrent au moins 5% de leur Produit intérieur brut (PIB) à leur défense d’ici 2032 et menace ses alliés d’un possible désengagement, une menace brandie régulièrement comme une épée de Damoclès. L’ambassadeur américain auprès de l’Otan, Matthew Whitaker, a récemment laissé entendre qu’après le sommet de juin (auquel Trump n’a pas confirmé sa présence), des discussions pourraient s’ouvrir sur le maintien ou l’adaptation du dispositif US en Europe.

Pete Hegseth et Mark Rutte au Pentagone, Washington, D.C., en avril. (DoD photo by U.S. Navy Petty Officer 1st Class Alexander Kubitza)


Mark Rutte est soutenu par des chefs d’Etat et de gouvernement des pays de l’Otan, comme l’Allemand Friedrich Merz qui a déclaré récemment que « les capacités de défense européennes doivent être renforcées à long terme et notre industrie de défense doit accroître ses capacités ».

Mais atteindre la cible des 5% n’est pas à la hauteur de tous les pays européens membres de l’Alliance. Seule la Pologne est proche de l’objectif de 5% exigé par Washington avec 4,7%, et elle a promis de l’atteindre dès l’an prochain, à l’instar des pays baltes. Encore faut-il que le résultat du 2e tour de la présidentielle polonaise du 1er juin soit favorable au  maire pro-européen de Varsovie.

Un pour cent de PIB en plus représente 200 milliards d’euros pour l’ensemble des pays de l’UE, dont 23 sont membres de l’Otan, selon le commissaire européen à la Défense Andrius Kubilius.

D’où le plan hybride concocté à Bruxelles.

3,5% ou 5%?

Le secrétaire général de l’Otan propose en effet que les pays membres acceptent de porter la part de leur PIB consacrée à la défense à 5%.

Mais ce niveau de 5% serait atteint en faisant l’addition de deux types de dépenses:
– d’abord des dépenses militaires stricto sensu à 3,5% du PIB d’ici 2032,
– ensuite, au-delà de cet objectif – déjà ambitieux – de 3,5%, Mark Rutte souhaite que les pays de l’Otan portent à 1,5% de leur PIB leurs dépenses liées à la sécurité au sens large, comme la protection des frontières, la mobilité militaire, la sécurité maritime ou encore la cybersécurité.

Quid de la France?

Avec un PIB à 2 600 milliards d’euros en 2024, un budget militaire à 5 % représenterait au bas mot quelque 130 milliards d’euros, soit un budget des Armées en hausse de 80 milliards d’euros.

Actuellement, le président Macron s’en tient donc aux 3,5% de dépenses militaires stricto sensu et au 1,5% financé par des dépenses annexes (cyber, infrastructures, etc.). Avec ses 2,1 % actuels, la France devrait quand même faire passer le budget de ses armées de 50,5 milliards (pour 2025) à 100 milliards d’euros pour être à 3% et à 122 milliards pour être à 3,5% du PIB.

« Nous continuons d’augmenter, nous allons augmenter, et j’annoncerai dans les semaines à venir, des décisions pour l’année en cours et l’année prochaine », a indiqué Emmanuel Macron, le 17 mai.

Pékin conteste la volonté de l’Australie de reprendre le contrôle du port stratégique de Darwin à un groupe chinois

Pékin conteste la volonté de l’Australie de reprendre le contrôle du port stratégique de Darwin à un groupe chinois


Alors que l’Otan avait mis en garde contre les investissements effectués par la Chine pour prendre le contrôle de certaines infrastructures critiques de ses pays membres, le gouvernement allemand autorisa le groupe chinois COSCO à acquérir 24,9 % des parts du capital de la société gestionnaire du port de Hambourg.

Cela étant, en Australie, le gouvernement du Territoire du Nord, alors en manque de liquidités, concéda, pour 99 ans, la gestion du port – stratégique – en eaux profondes de Darwin à la société Landbridge Industry Australia, filiale du groupe Shandong Landbridge Group, dont le principal actionnaire n’était autre que le milliardaire Ye Cheng, un proche du Parti communiste chinois, décrit, en 2013, comme étant l’un des dix plus importants « acteurs du développement de la défense nationale ».

La décision du gouvernement du Territoire du Nord fut prise malgré les réserves exprimées par le ministère australien de la Défense… lequel n’alla toutefois pas jusqu’à s’y opposer formellement. En tout cas, elle lui permit de récolter 506 millions de dollars australiens… qui furent très vite dépensés.

« En accordant la concession du port commercial de Darwin à une personne risquant d’être un adversaire potentiel lors des 99 prochaines années, c’est comme si on avait loué ce port aux Japonais en 1938 », avait fulminé Neil James, directeur exécutif de l’Australian Defence Association [ADA], en 2019.

D’autant plus que le gestionnaire chinois du port de Darwin pouvait avoir une idée très précise des mouvements des navires militaires non seulement australiens mais aussi américains. Voire d’entraver les opérations de la Royal Australian Navy [RAN] et de l’US Navy dans la région.

En outre, le Territoire du Nord abrite des bases essentielles pour les forces australiennes et américaines ainsi que des moyens de renseignement, de surveillance et de reconnaissance.

À l’époque, il fut avancé que Canberra envisageait la construction d’un autre port en eaux profondes, situé à seulement 40 km de celui de Darwin. Mais il n’en fut plus question par la suite.

En effet, l’actuel gouvernement australien, dirigé par Anthony Albanese, est visiblement déterminé à reprendre le bail concédé à Landbridge Industry Australia… mais tout en restant flou sur la façon dont il compte s’y prendre.

Sauf que Pékin ne l’entend pas ainsi… L’ambassadeur de la République populaire de Chine [RPC] en Australie, Xiao Qian, s’est en effet invité dans les débats, en publiant une tribune pour dénoncer le projet du gouvernement australien de reprendre le contrôle du port de Darwin.

« Il y a dix ans, le groupe Landbridge a obtenu le bail du port de Darwin grâce à l’issue d’un appel d’offres ouvert et transparent, entièrement conforme aux lois australiennes et aux principes du marché », a d’abord rappelé le diplomate.

« Au cours des 10 dernières années, Landbridge Group a réalisé des investissements importants dans l’entretien et la construction des infrastructures du port de Darwin, l’optimisation de ses opérations et de sa gestion et l’élargissement de sa clientèle », a poursuivi M. Xiao. « Ces efforts ont apporté des améliorations remarquables au port, en rétablissant sa situation financière et en contribuant positivement au développement local », a-t-il insisté.

Aussi, a ensuite fait valoir l’ambassadeur de Chine, « une telle entreprise et un tel projet méritent d’être encouragés, et non d’être punis » et « il est éthiquement discutable de louer un port quand il n’était pas rentable et de chercher ensuite à le récupérer une fois qu’il l’est devenu ».

Pour le moment, les autorités australiennes n’ont pas réagi aux remarques faites par M. Xiao.

L’Arctique, « miroir des tensions internationales »

L’Arctique, « miroir des tensions internationales »

par Virginie Saliou – IHEDN – Interview – mai 2025

Nouvelles routes maritimes, militarisation, statut des navires et exploitation des ressources : Virginie Saliou, chercheuse en sécurité maritime à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), nous éclaire sur l’Arctique, un territoire stratégique devenu le théâtre de rivalités croissantes entre grandes puissances.

Virginie Saliou, chercheuse en sciences politiques spécialisée en gouvernance maritime, est titulaire d’un doctorat sur le gouvernement de la mer. Elle combine un parcours académique de haut niveau et une expérience de conseillère stratégique auprès de ministères. Titulaire de la chaire « Mers, Maritimités et Maritimisations du Monde » de Sciences Po Rennes, elle enseigne la géopolitique des espaces maritimes et le droit de la mer à l’ENSTA Brest et à l’Ecole navale.

Pour l’IHEDN, elle décrypte les impacts géopolitiques de la fonte des glaces en Arctique, une région désormais au cœur des rivalités internationales. Elle analyse notamment les nouvelles dynamiques de compétition entre grandes puissances, et le rôle clé des acteurs comme l’Union européenne, l’OTAN, la Russie et la Chine dans cette course aux ressources et à l’influence.

© Sciences Po Rennes
© Sciences Po Rennes

Comment la fonte des glaces en Arctique alimente-t-elle la compétition géopolitique entre grandes puissances ?

Il est essentiel de souligner que la compétition en Arctique est souvent surévaluée. Bien que la fonte des glaces soit réelle et s’accélère, cette évolution est fréquemment exagérée, notamment en ce qui concerne l’ouverture des routes maritimes et la rivalité dans la région. Certaines routes s’ouvrent partiellement, mais elles n’entraînent pas nécessairement un gain de temps significatif ni une transformation majeure du commerce maritime international. Cela n’empêche cependant pas les acteurs régionaux et extra-régionaux de s’y intéresser. Par exemple, la Russie souhaite développer ces routes, en particulier pour le commerce de ses hydrocarbures, principalement destinés à la Chine et à l’Asie. Toutefois, ces routes ne sont pas destinées à devenir des axes de transit pour le commerce international, mais plutôt des voies de destination spécifiques.

Par ailleurs, les États riverains de l’océan Arctique respectent la Convention de Montego Bay et se sont officiellement engagés à la mettre en œuvre en Arctique depuis 2008, avec pour effet une répartition claire des ressources maritimes. Il n’y a donc pas de véritable conflit sur les zones économiques exclusives (ZEE), chaque État ayant des droits sur les ressources situées dans sa propre ZEE.

Quant à l’extension du plateau continental, les États peuvent demander des droits supplémentaires sur les ressources si la continuité géologique de leur plateau terrestre vers la mer est prouvée. Ces demandes sont souvent simultanées, et un accord bilatéral est nécessaire pour valider l’extension, ce qui a conduit à des coopérations plutôt qu’à des conflits, comme le montrent les accords entre la Norvège et la Russie ou le Danemark et le Canada. La seule réelle dispute qui demeure concerne la délimitation maritime entre les États-Unis et le Canada. En 2024, les États-Unis ont annoncé leur demande d’extension du plateau continental en Arctique, chevauchant les prétentions des voisins, ce qui pourrait devenir un sujet de discorde.

Certains États « souhaitent limiter la liberté de passage »

L’ouverture des routes maritimes a aussi créé un litige sur le statut des navires qui les emprunteraient : faut-il accorder une liberté totale de navigation, comme le réclament les États-Unis et l’Union européenne (UE), ou bien un contrôle strict, comme le préfèrent le Canada et la Russie ? Les préoccupations environnementales, notamment les risques accrus d’accidents liés aux conditions difficiles de navigation, poussent ces derniers à vouloir limiter le passage et à exercer un contrôle.

Selon les lois internationales, la responsabilité des zones de recherche et de sauvetage incombe aux États côtiers, ce qui confère un rôle central à la Russie et au Canada. Étant les États directement concernés par tout accident maritime sur leurs littoraux, ce sont eux qui devraient déployer les moyens nécessaires pour les opérations de secours. Dans ce contexte, le Canada et la Russie souhaitent limiter la liberté de passage dans ces zones et exercer un certain contrôle sur les routes maritimes, afin de mieux gérer les risques et protéger leurs intérêts. Par ailleurs, l’article 243 de la Convention de Montego Bay permet d’imposer des restrictions de navigation dans les zones polaires pour des motifs environnementaux, soutenant ainsi les préoccupations de ces pays.

« Sur le plan militaire, l’Arctique est crucial pour la Russie »

Sur le plan militaire, l’Arctique est crucial pour la Russie, non seulement pour ses exportations d’hydrocarbures, mais aussi pour ses objectifs stratégiques. Environ 12 % du PIB russe provient de cette région, et 80 % de ses hydrocarbures y sont extraits. Cela justifie la nécessité, selon la Russie, de sécuriser cet espace. L’Arctique est également le seul point de passage stratégique pour la flotte russe, lui permettant d’accéder à l’océan mondial sans négocier avec d’autres États. Sa flotte du Nord est donc d’une importance capitale, notamment pour les sous-marins et la dissuasion nucléaire. La stratégie russe en Arctique repose sur une défense renforcée, l’utilisation de la dissuasion et un contrôle strict des accès. Depuis les années 2000, Vladimir Poutine a engagé une remilitarisation progressive de la région, renforcée par la mise en place de bases militaires et de zones de brouillage.

Dans quelle mesure la reconfiguration des rapports de force dans la région accroît-elle les risques d’escalade, et quels défis cela soulève-t-il ?

La Russie a souhaité réinvestir l’Arctique à des fins économiques et militaires, ce qui a entraîné des réactions des autres acteurs. Cela a mené à des initiatives telles que la réactivation de la 2e flotte des États-Unis et la multiplication des déclarations politiques américaines, faisant de l’Arctique une zone stratégique à réinvestir. Le Canada, de son côté, a annoncé le renforcement de sa flotte de brise-glaces, bien que cet engagement soit resté plutôt symbolique, sans suivi concret. Une escalade verbale a eu lieu, certains acteurs affirmant l’importance stratégique de la région, mais l’impact opérationnel de ces déclarations reste incertain.

En Russie, bien que des annonces aient été faites pour réinvestir la flotte du Nord, ces promesses n’ont pas été pleinement concrétisées, en grande partie à cause de la guerre en Ukraine. Les acteurs voisins observent qu’un engrenage défensif semble se mettre en place : l’armement de l’un entraîne celui des autres. Cependant, cette dynamique reste contenue pour l’instant. L’Arctique est un miroir des tensions internationales, sans engendrer une véritable compétition pour la région elle-même.

« Un terrain d’affrontement indirect dans la compétition sino-américaine »

Un autre acteur a émergé dans cet espace : la Chine, qui suscite de plus en plus de préoccupations. Au début des années 2000, la Chine considérait l’Arctique comme un espace international, sans droits particuliers pour les États riverains. Mais au fil du temps, elle a signé des accords économiques et scientifiques, en particulier avec la Russie dans le secteur des hydrocarbures.

En 2013, la Chine devient Observateur au Conseil de l’Arctique et annonce les « routes polaires de la soie » en 2018. Elle se déclare ensuite « État proche de l’Arctique » et plus récemment « État partie prenante », renforçant ses intérêts dans la région. Bien que la Chine déploie sa présence militaire de manière limitée, son intérêt économique est perçu comme une menace par les États-Unis, transformant l’Arctique en un terrain d’affrontement indirect dans la compétition sino-américaine, notamment autour du Groenland.

« L’OTAN continue d’y mener des exercices réguliers »

L’OTAN, quant à elle, continue de mener des exercices réguliers en Arctique depuis la fin de la guerre froide, impliquant principalement les États riverains, notamment la Norvège. Ces exercices, de mise en condition opérationnelle extrême mais aussi de démonstration de force, montrent à la Russie l’intérêt pour cette zone. La Russie y répond également par des exercices similaires. Les récentes tensions politiques, comme celles générées sous l’administration Trump, n’ont d’ailleurs pas eu de répercussions sur les activités opérationnelles dans la région.

Dans ce contexte, quel rôle l’Union européenne et la France peuvent-elles jouer pour promouvoir un ordre multilatéral et durable en Arctique ?

L’Union européenne, bien qu’elle ne soit pas membre observateur du Conseil de l’Arctique, a exprimé plusieurs fois son désir de rejoindre cette instance. Cela limite néanmoins sa capacité d’influence directe. L’UE cherche à investir la question arctique et dispose notamment d’un ambassadeur pour l’Arctique, mais sa position sur l’Arctique tarde à être précisément définie et son rôle demeure limité. Certains de ses États membres sont pourtant impliqués dans les instances de gouvernance pour cette région. L’UE a cependant pris position sur des enjeux environnementaux et de sécurité maritime, puis plus récemment à travers sa « Boussole stratégique », où ces sujets sont abordés. Sa position reste toutefois en évolution.

La France, quant à elle, est plus clairement engagée en Arctique. Observateur du Conseil de l’Arctique depuis les années 2000, elle participe activement aux travaux de cette instance. En matière de défense, la France pratique la navigation dans la région pour maintenir l’Arctique comme une zone de liberté de circulation. Elle entend également contribuer à la coopération internationale dans cette région, en mettant en avant sa stratégie polaire et grâce à son ambassadeur dédié. En soutenant les initiatives régionales et en défendant l’application de la Convention de Montego Bay, la France pourrait renforcer son rôle dans cette zone.

Quand la Russie recrute des saboteurs sur Telegram

Quand la Russie recrute des saboteurs sur Telegram

Sabotages, cryptomonnaie, agents dormants : comment la Russie utilise Telegram pour mener une guerre secrète sur le sol européen.

par Augustin Lormeau – armees.com – Publié le

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Quand la Russie recrute des saboteurs sur Telegram | Armees.com

Le 12 mars 2025, la nouvelle cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas, s’est exprimée avec une clarté inhabituelle pour les cénacles bruxellois : les actions de la Russie — et de l’Iran — relèvent du « terrorisme d’État ». L’accusation, relayée par Politico Europe le 22 mai 2025, ne porte pas seulement sur l’invasion continue de l’Ukraine ou la désinformation systémique ; elle vise désormais une stratégie d’actions clandestines directement menées sur le territoire de l’Union européenne : cyberattaques, sabotages, recrutement d’agents dormants.

Telegram, canal de guerre secrète

Cette intensification de la guerre hybride menée par Moscou s’est traduite ces derniers mois par une recrudescence d’attaques contre les infrastructures critiques et les forces de soutien à l’Ukraine. La Lituanie, la Pologne, l’Allemagne et la République tchèque ont toutes identifié des réseaux d’agents recrutés en ligne, rémunérés en cryptomonnaie et chargés de missions simples : vandaliser, observer, transmettre.

L’un des cas les plus emblématiques a été révélé en mars 2024 en Pologne. Un ressortissant ukrainien vivant à Rzeszów a été arrêté alors qu’il filmait des convois militaires en direction de l’Ukraine et repérait des points sensibles sur le réseau ferroviaire. L’homme, recruté via un canal Telegram administré depuis l’étranger, recevait des instructions précises et éphémères : poser des traceurs GPS, filmer les entrées de dépôts d’armes, observer les rondes de sécurité. À chaque mission accomplie, une somme en cryptomonnaie était versée. Ce n’était pas un agent de carrière, mais un pion d’une guerre de basse intensité menée au cœur de l’UE. Son arrestation s’inscrit dans une série d’enquêtes menées par les services polonais, lettons et tchèques sur des réseaux de sabotage pro-russes.

Une guerre sans uniforme

Ce modus operandi s’appuie sur la désintermédiation des moyens de recrutement : plus besoin de contacts physiques ou de voyages suspects. Il suffit d’une messagerie chiffrée et d’un transfert en crypto pour activer un agent opérationnel sur le territoire européen. C’est ce que souligne encore l’article de Politico en évoquant la montée d’un activisme clandestin, télécommandé depuis Moscou, qui vise à semer la discorde et l’insécurité dans les sociétés européennes.

Face à cette offensive hybride, l’UE renforce sa coopération avec l’OTAN : déploiement de troupes sur le flanc Est, augmentation des budgets de cyberdéfense, adoption de sanctions économiques ciblées. Mais ces réponses, bien qu’indispensables, ne suffisent pas à inverser le rapport de force.

L’Europe en terrain miné

La reconnaissance par Bruxelles du « terrorisme d’État » pratiqué par la Russie constitue certes un tournant, mais elle appelle à une riposte à la hauteur : coordination du renseignement, protection des systèmes d’information, lutte contre la propagande, traque des circuits de financement clandestins.

À l’heure où les démocraties sont ciblées non pas pour ce qu’elles font, mais pour ce qu’elles sont, une stratégie purement défensive ne suffit plus. Comme le notait déjà Politico dans un précédent article de mars 2024, « l’Europe est entrée dans l’ère du sabotage invisible ». Elle doit désormais choisir comment elle veut répondre à ces agressions.