« La culture générale est essentielle pour élaborer une stratégie ».

« La culture générale est essentielle pour élaborer une stratégie ».

Entretien avec Benoît Durieux – par Revue Conflits – publié le 18 mai 2025https://www.revueconflits.com/la-culture-generale-est-essentielle-pour-elaborer-une-strategie/


La stratégie militaire est-elle guidée par des lois immuables ? Ou change-t-elle de nature avec le temps et selon les pays ? L’analyse du général Benoît Durieux, codirecteur, avec l’historien Olivier Wieviorka, d’un livre somme : Les Maîtres de la stratégie. De Sun Zi à Warden (Seuil).

Article paru dans le N57 : Ukraine Le monde d’après

Entretien avec le général Benoît Durieux
Propos recueillis par Charles-Henri d’Andigné

Pourquoi ce livre ?
Deux facteurs nous ont incités à publier cet ouvrage. D’abord l’évolution très rapide du contexte géopolitique : plus que jamais, nous avons besoin de penser, de parler stratégie. Ensuite, un tel ouvrage n’existait pas en France, ni d’ailleurs aux États-Unis, à savoir un ouvrage qui analyse les réflexions des principaux auteurs dans ce domaine.

Il y a de nombreuses définitions de la stratégie dans votre ouvrage. Quelle est la vôtre ?
La stratégie est la combinaison dans le temps d’actions militaires et non militaires pour atteindre un objectif politique avec des ressources limitées, dans un contexte de compétition ou de conflit
. Nous avons ainsi affaire à trois dialectiques : celle du présent et de l’avenir, du court terme et du long terme ; ensuite, la dialectique entre nous et notre adversaire, qui a comme nous des objectifs, une volonté et des raisons de se battre – ce que l’Occident a tendance à oublier ; la troisième dialectique, c’est entre les moyens matériels et les fins politiques : quel est le bon degré d’ambition, et quels moyens faut-il mettre en œuvre pour y parvenir.

Concernant les raisons de se battre de l’adversaire, que l’Occident appréhende mal, à quoi faites-vous allusion ?
Si vous prenez l’opération de la communauté internationale en Afghanistan, ou celle de la France au Sahel, je pense que nous n’avons pas suffisamment prêté attention aux objectifs de nos adversaires. Quand on se limite à ses propres objectifs pour penser l’action, et que l’on considère l’adversaire comme un « terroriste », on se comporte comme un policier vis-à-vis d’un délinquant, pas comme un stratège. Dans le cas d’un djihadiste, il faut considérer sérieusement les mobiles qui sont les siens. Nul ne risque sa vie sans raisons. Tant qu’on n’a pas compris ces raisons en question, on court au-devant de grands déboires.

Comment s’articulent le politique et le militaire dans une réflexion stratégique ?
C’est le dirigeant politique qui décide, bien entendu. Mais il serait simpliste et faux d’imaginer que le politique imagine la solution et que le militaire l’exécute. En cas de crise grave, le politique pense recourir à la force ; le militaire propose alors des options stratégiques, à savoir des options militaires qui ont une dimension politique. Il y a donc un dialogue entre le politique et le militaire. Et le politique pourra décider, in fine, de renoncer à l’action militaire envisagée.

Vous faites la distinction entre les stratégistes et les stratèges ; peu nombreux sont ceux qui sont les deux en même temps. Il y a Foch…

Le stratège est sur le terrain, à la manœuvre. Le stratégiste élabore une réflexion à partir des stratégies. Certains sont les deux, comme Foch, en effet. Clausewitz est un stratégiste, bien sûr, mais, sans parvenir aux plus hautes responsabilités militaires, il a tout de même occupé des postes assez importants. Est-ce pour autant un stratège ? Il y a Mao, qui s’inscrit dans cette liste, il y a le général Beaufre, qui a écrit sur la stratégie et qui a été stratège. Bernard Brodie n’a été que stratégiste. La plupart des personnalités présentées dans notre livre ont exercé des responsabilités dans le domaine de la guerre.

Alexandre de Marenches, directeur des services secrets pendant onze ans, regrettait qu’en France on fasse étudier aux militaires Clausewitz et non pas Sun Zi. A-t-il été entendu, et êtes-vous d’accord avec lui ?

Je crains que Marenches n’ait été très optimiste : dans mes études militaires, étant jeune, je n’ai jamais étudié Clausewitz ! Mais depuis quelques années, à l’École de guerre comme au Centre des hautes études militaires, l’accent a été mis sur la stratégie : on y étudie et Clausewitz et Sun Zi. Et oui, je suis d’accord sur la nécessité pour un militaire de connaître Sun Zi. En sachant qu’il est très difficile à lire, contrairement à ce que l’on pourrait croire au regard de la brièveté de L’art de la guerre. D’où la nécessité de passer par un spécialiste comme Yann Couderc, qui lui consacre un chapitre de notre livre, pour interpréter sa pensée.

Pourquoi Clausewitz, dont vous êtes un spécialiste, est-il aussi connu ?
Clausewitz a été très lu en France après la guerre franco-prussienne de 1870. Les Français, qui cherchaient à comprendre leur défaite, voyaient dans Clausewitz l’inspirateur des victoires prussiennes, l’analyste de Napoléon – celui qui avait su percer le secret de ses victoires. Et après une éclipse, il a connu un regain d’intérêt dans les années 1970, notamment grâce à Raymond Aron. Enfin, il a été très lu dans les cercles marxistes : le lien entre guerre et politique trouvait des échos dans la théorie marxiste.

Le chapitre sur Machiavel fait ressortir l’importance de l’aspect moral de la stratégie militaire…
On ne trouve pas cet élément dans toutes les contributions, mais on le trouve chez Sun Zi, chez Machiavel en effet, chez Clausewitz, chez Guibert, chez Foch, chez Beaufre… C’est une constante. Tous ces auteurs soulignent le rôle de la volonté, mais pas seulement celle du chef, celle aussi du soldat et de la collectivité. La guerre, ce n’est pas seulement deux généraux qui s’affrontent et qui jouent aux échecs. L’aspect moral et psychologique est très important. Il est même premier chez tous les auteurs de la guerre révolutionnaire, Mao, Galula, Lacheroy…

Y a-t-il une mondialisation de la stratégie, ou bien y a-t-il encore une école française, une école allemande, une école américaine… ?

La stratégie, à partir du moment où elle envisage l’affrontement contre l’autre, est nécessairement internationale. Si nous avons choisi ces auteurs, c’est que nous avons considéré qu’ils faisaient partie d’une sorte de patrimoine commun de l’humanité en matière de réflexion stratégique. Néanmoins, cela n’empêche pas que perdurent des cultures stratégiques. En Europe, on n’envisage pas la guerre de la même façon que les Américains, par exemple. La société américaine est née de l’affrontement avec la force occupante britannique. D’où une méfiance américaine qui a longtemps existé contre l’institution militaire. La guerre, pour les Américains, doit être faite très vite, avec toute la violence nécessaire, pour ramener les boys à la maison. Et comme les États-Unis sont une île-continent, les militaires ne vivent pas à côté du pays à qui ils ont fait la guerre (Irak, Afghanistan, etc.). Si vous êtes français et que vous faites la guerre aux Allemands, le jour d’après, les Allemands seront toujours là, il vous faudra vivre avec… Si vous l’oubliez, vous le payez très cher très longtemps. C’est un des éléments qui expliquent les différences d’approches.

Est-on passé, au xixe siècle, de la guerre à l’ancienne à la guerre totale ? D’un côté, une guerre contre des adversaires avec qui on fera la paix, et de l’autre, une guerre d’anéantissement, où l’adversaire est un ennemi absolu à éradiquer. Ce qui aurait des conséquences sur la stratégie…

Tant Machiavel que Clausewitz considèrent qu’il y a deux types de guerre : les guerres qui visent à conquérir un territoire, et officialisées par des négociations. Et puis les guerres qui visent à anéantir l’adversaire (la guerre totale, où toute la société est mise à contribution, c’est autre chose ; elle n’a jamais existé, c’est une tendance). La Première Guerre mondiale commence comme une guerre du premier type. Et peu à peu, elle va basculer dans une guerre du deuxième type, où le but est d’éliminer l’adversaire. Mais cela ne veut pas dire que la guerre de la première espèce est morte à l’époque contemporaine.

Un certain nombre de stratégistes (Foch, Mahan…) parlent du rôle important de la culture générale. Qu’en pensez-vous ?

Cela me semble essentiel. De Gaulle disait que la culture générale est la meilleure école de commandement. C’est indispensable, parce que, pour réfléchir sur la guerre et la paix, donc sur la stratégie, il faut d’abord connaître l’histoire, et, le plus possible, comprendre les sociétés. La guerre n’est pas un acte technique indépendant du reste. Il faut comprendre la société, la sienne propre et celle de l’adversaire. Il faut comprendre l’économie, également. Il faut comprendre la politique, l’art, que sais-je. Tout cela, que l’on regroupe sous l’expression « culture générale », est essentiel pour appréhender les uns et les autres et élaborer une stratégie.

Violences, menaces, bizutages : des militaires racontent l’enfer vécu au 8e RPIMa

Violences, menaces, bizutages : des militaires racontent l’enfer vécu au 8e RPIMa

Quatre anciens soldats du 8e RPIMa ont porté plainte, notamment pour violences volontaires et harcèlement moral, contre des cadres de ce régiment.

Par Clément Machecourt – Le point –

https://www.lepoint.fr/societe/violences-menaces-bizutages-des-militaires-racontent-l-enfer-vecu-au-8e-rpima-16-05-2025-2589736_23.php


Quatre anciens militaires du 8e RPIMa basé à Castres ont porté plainte contre 16 supérieurs, notamment pour violences et harcèlements. 
Quatre anciens militaires du 8e RPIMa basé à Castres ont porté plainte contre 16 supérieurs, notamment pour violences et harcèlements.  © FREDERIC SCHEIBER/SIPA / SIPA / FREDERIC SCHEIBER/SIPA

 

Des pratiques que le ministère des Armées condamne « fermement » et des comportements « totalement contraires à la mission et aux valeurs de l’Armée de terre ». France 2 et Le Parisien ont dévoilé jeudi 15 mai la plainte de quatre anciens militaires du 8e régiment parachutiste d’infanterie de marine (RPIMa) basé à Castres, déposée auprès du tribunal de Paris, qui comprend plusieurs faits graves : violences volontaires, harcèlement moral, menaces, mise en danger de la vie d’autrui et provocation au suicide. Engagées en 2021, les quatre jeunes recrues sont fières d’intégrer le 8e RPIMa, une unité prestigieuse de la 11e brigade parachutiste, régulièrement envoyée en opérations extérieures.

Mais rapidement, selon eux, les premières brimades arrivent. Âgé alors de 22 ans, l’un d’eux poste une photo de lui en uniforme sur les réseaux sociaux. Un comportement qui est interdit dans l’armée, mais qui va être sanctionné de la plus brutale des manières. « Mon chef nous a donné l’ordre de nous mettre en rang et, d’un coup, il est venu derrière, il m’a mis une balayette comme on dit. Il s’est mis sur moi, il a sorti un couteau et me l’a mis sous la gorge. À cause de tes photos, on peut retrouver ta p… de mère, ta p… de sœur », témoigne-t-il au micro de France 2.

Déployé en Roumanie en 2022 dans le cadre de la mission Aigle, il fait alors une tentative de suicide en ingurgitant des médicaments. L’un de ses camarades le trouve et prévient la hiérarchie. « L’adjudant est venu en courant. […] Il m’a mis une très grosse claque de toutes ses forces, je n’entendais plus rien », se remémore-t-il.

Seize supérieurs visés

Un soldat, qui assiste à la convocation d’un de ses camarades par trois de ses supérieurs, enregistre à leur insu la conversation : « Je vais t’éclater, tu te sentiras comme une merde et, ensuite, on va te dégager. Mais bien sûr qu’on en a après toi. Tu vas devenir la p… de la compagnie, et jusqu’à ce que j’en ai marre. » Il enchaîne en lui disant qu’il n’a qu’une option : déserter. Des échanges violents et dégradants, corroborés par d’autres témoignages anonymes. Sur les quatre militaires qui ont porté plainte, trois auraient effectivement déserté, le quatrième serait en arrêt maladie longue durée.

En tout, seize supérieurs (sous-officiers et/ou officiers) sont visés par les plaintes pour des faits compris entre 2021 et 2023. L’un d’eux, enregistré à son insu par France 2, nie toute forme de violence et explique : « C’est un problème de personnes. Il y a des gens qui ne sont pas faits pour être militaires, et d’autres qui sont faits pour l’être. C’est aussi simple que ça. ll faut comprendre quelque chose de simple : quand on se trompe dans notre métier, il y a des gens qui meurent, voire des copains, et du coup, on n’aime pas trop l’erreur. »

« Tolérance zéro »

De son côté, le ministère des Armées « prend très au sérieux ces accusations et rappelle sa politique de tolérance zéro vis-à-vis de ces pratiques qu’il condamne fermement ». « Dès connaissance des accusations, une enquête de commandement a été initiée pour établir les responsabilités. Si ces dernières sont avérées, des sanctions disciplinaires seront prononcées contre les responsables. »

À Découvrir Le Kangourou du jour Répondre Interrogée par Le Point, l’institution souligne que cette affaire ne concerne que quelques cadres dans une section, dont le comportement et l’attitude ne sont pas systématiques. Sur les 46 soldats engagés en 2021 dans cette section, seuls 16 sont encore présents. « Au-delà des faits, on peut aussi l’expliquer par des mutations, des fins de contrat ou des blessures, explique-t-on encore à Balard. Le taux de désertion au sein de la 11e brigade parachutiste n’est pas plus haut qu’ailleurs, c’est même plutôt la fourchette basse. »

« L’armée, ce n’est pas ça. Notre position est claire et constante : tolérance zéro », a réagi également le ministre des Armées, Sébastien Lecornu. Après un tardif #MeToo des Armées avec les témoignages de femmes victimes de violences sexistes et sexuelles, ces plaintes libéreront-elles la parole sur les bizutages dégradants et les violences gratuites qui font encore partie des « traditions » qui forgent « l’esprit de corps » des soldats ?

RETEX SOFINS 2025 : l’action des forces spéciales face à la haute intensité

RETEX SOFINS 2025 : l’action des forces spéciales face à la haute intensité


 

RETEX SOFINS 2025  : un point sur les conférences organisées par l’état-major du commandement des opérations spéciales (COS)

La 7ème édition du SOFINS qui s’est tenue sur le camp de Souge du 1 au 3 avril derniers, a accueilli une série de conférences organisée par l’état-major du COS et des commandements d’armées qui lui sont rattachés (brigade des forces spéciales air -BFSA, commandement des actions spéciales terre -CAST, force maritime des fusiliers marins et commandos -FORFUSCO, 1ère chefferie du service de santé des armées pour les forces spéciales -CSS1).

Ces dernières ont porté sur de très nombreux sujets allant de la place des opérations spéciales dans la haute intensité, en passant par les enjeux de l’externalisation en zone grise militarisée, la place de l’intelligence artificielle dans la conflictualité de demain, les conséquences pour les opérateurs des forces spéciales (FS) de l’avènement d’interventions menées dans des conditions climatiques extrêmes, les enjeux associés à l’usage intensif de drones, ainsi que les conséquences du retour de la haute intensité pour la chaîne santé et les composantes de milieu terrestre et maritime.

Différentes personnalités – militaires et civils – sont ainsi intervenu dans ce cadre : commandeurs, décideurs, opérateurs et médecins issus de la communauté des opérations spéciales ou d’entités de premier ordre du ministère des armées et de l’OTAN (centre expert du commandement interarmées -CECIA, Agence pour l’innovation de défense -AID, Service de santé des armées, structure Otaniennes,), mais aussi chercheurs issus de l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), de l’Institut français des relations internationales (IFRI) et de l’Université de technologie de Troyes (UTT).

Les FS, filles de la HI

L’esprit d’innovation et la recherche d’adaptation aux nouveaux enjeux induits pour les opérations spéciales (OS) par le retour de la guerre de haute intensité (HI) ont été les fils directeurs de l’ensemble desdites conférences. Elles ont été notamment l’occasion de rappeler que les OS sont historiquement nées de la HI, comme par exemple la création des célèbres SAS Britanniques : pour rappel, le Special Air Service (SAS) était en effet une unité de forces spéciales des forces armées britanniques, mise au point en 1941 en Égypte par le lieutenant David Stirling. Cette unité s’est fait connaître pendant la Seconde Guerre mondiale en se livrant à des raids audacieux menés sur les arrières des lignes allemandes en Afrique du Nord. Dissoute à la fin de la guerre, l’unité fut recréée au Royaume-Uni en 1947. Elle est considérée comme l’une des références mondiales en matière de forces spéciales et d’unité de contre-terrorisme. A noter que durant la Seconde Guerre mondiale les régiments SAS étaient placés sous le commandement d’officiers français.

Les OS ont en un sens été le précurseur de l’approche dite multi-milieux multi-champs dans les armées, la conflictualité moderne s’inscrivant à l’heure actuelle dans de multiples milieux et champs, interconnectés les uns aux autres : milieux terrestre, maritime, aérien, mais aussi extra-atmosphérique et cyber ainsi que dans les champs informationnel et électromagnétique, c’est que l’on nomme le M2MC.

S’inscrire dans la manœuvre globale HEM

L’un des enjeux majeurs pour les FS d’aujourd’hui et de demain réside dans le fait de travailler en complément de la manœuvre globale conduite par les forces conventionnelles dans le cadre de l’hypothèse d’un engagement majeur (HEM) pour les armées françaises. En ce sens, le retour de la HI conduit nécessairement le COS à agir autrement qu’à l’époque de l’asymétrie et du contre-terrorisme ayant dominé les vingt dernières années.

L’hypothèse d’un engagement majeur conduirait donc les FS à proposer des modes opératoires à différents niveaux ainsi qu’à différent moments de la conduite des hostilités. Dans un contexte d’engagement majeur, les FS pourraient être amenées à agir en amont de la HI dans cette zone d’incertitude que l’on nomme aujourd’hui la zone grise militarisée (ZGM[1]) en proposant des effets qui permettraient de prendre l’ascendant sur le ou les compétiteurs stratégiques. Puis d’agir de manière intégrée et combinée avec les forces armées conventionnelles lors de la conduite des hostilités.

En ce qui concerne les commandos marine de la FORFUSCO, chaque bâtiment de la marine nationale constitue déjà une plateforme potentielle pour les opérations spéciales, en particulier dans le cadre de la lutte contre le trafic de stupéfiants (NARCOPS[2]). Une généralisation de ce modus operandi permettrait de fait à l’état-major des armées (EMA) de renforcer encore davantage la capacité d’action de la mer vers la terre pour les armées françaises.


Confronter l’extrême

La confrontation à des milieux réputés extrêmes ou difficiles est aussi un sujet majeur de préoccupation pour les FS. Que l’on parle de jungle, de haute montagne, de zone de grand froid ou de zone désertique, l’adaptation des opérateurs et du matériel aux milieux abrasifs et au réchauffement climatique est d’ores et déjà un sujet d’attention et de préoccupation majeure[3]. Ecoles de rigueur, de rusticité et de résilience, le combat en milieu extrême implique une préparation particulière pour l’opérateur des FS, préparation à la fois physique, psychologique et technologique.

La question de la gestion du stress aussi bien que celle de la santé (éviter l’hypothermie par exemple) aussi bien que celle de l’approvisionnement ou du maintien des liaisons et moyens de communication sont au cœur des enjeux de la conflictualité de demain dans ces milieux où l’humain et le matériel sont soumis à très rudes épreuves. C’est tout autant la préparation physique des opérateurs que le renouveau de leur équipement matériel qui est ici sollicité. Afin de permettre la mise en œuvre de certaines technologies de rupture la recherche duale (civilo-militaire) doit ici être fortement sollicitée afin de permettre le développement de nouvelles solutions.

Favoriser le recours aux technologies disruptives

Enfin, la question de l’usage des drones ainsi que celle de l’intelligence artificielle fut au cœur de toutes les attentions lors des différentes tables rondes tant ces deux vecteurs technologiques s’imposent comme de véritables Game Changer opérationnels ainsi que le prouvent les retours d’expériences de l’actuel conflit russo-ukrainien. Comment par exemple permettre un ciblage de qualité en zone aérienne saturée ou continuer de permettre la furtivité en infiltration ou en exfiltration ? Comment parvenir à démarquer des véhicules ? Comment parvenir à leurrer l’ennemi dans un champ de bataille numérisé et quadrillé par des moyens technologiques de plus en plus puissants ? Autant de questions qui constituent les enjeux de la guerre de demain et qui sont déjà des pistes de recherche pour mettre au point des solutions innovantes pour les forces spéciales.Seuil de renouvellement organique RH : s’inscrire dans la durée

Enfin la question de la capacité à durer s’est également trouvée au cœur des débats. Là encore, la question des ressources humaines et du seuil de renouvellement organique constitue un défi majeur de la haute intensité pour les OS. Le maintien d’un vivier d’opérateurs de très haute qualité dans l’armée d’active, ainsi que la montée en puissance d’une réserve opérationnelle choisie, composée de compléments individuels à haute valeur ajoutée, s’imposent là aussi, à l’instar de l’ensemble des forces conventionnelles, comme un axe d’effort pour le monde des forces spéciales.


Notes :

[1] Sur cette question lire : Christophe Prazuck, En deçà de la guerre, au-delà de la paix : les zones grises, revue de défense nationale, n°828, 2020 ; Laurent Bansept, Le retour de la haute intensité en Ukraine, Quels enseignements pour les forces terrestres ?, études de l’IFRI n°111 ; Romain Petit, Spécial trente ans du COS : FS et ZGM, Opérationnels SLDS, mai 2022 (https://operationnels.com/2022/05/23/special-30-ans-du-cos-fs-et-sgm/).

[2] Sur ce sujet lire : Le narcotrafic maritime : une menace stratégique en mutation, sur le site https://www.defense.gouv.fr/cesm/actualites/narcotrafic-maritime-menace-strategique-mutation; ou : Narcotrafic: les commandos, “dernier rempart” en mer contre la cocaïne, www.france24.com/fr/info-en-continu/20250115-narcotrafic-les-commandos-dernier-rempart-en-mer-contre-la-coca

[3] Sur ces questions voir par exemple les travaux menés par l’équipe de Julia Tasse de l’IRIS, ainsi que les études menées par le Human Adaptation Institut de Christian Clot. 

Photo :  démo FS lors du dernier SOFINS 2025 © SOFINS, 2025

Traité de Nancy : vers un renforcement stratégique et sécuritaire des relations franco-polonaises ?

En quoi ce traité marque-t-il une évolution significative des relations bilatérales franco-polonaises, notamment dans le domaine de la défense ? Plus largement, dans quelle mesure le traité de Nancy peut-il être perçu comme une tentative de partenariat multiforme dépassant le domaine militaire ?

La signature de ce traité s’inscrit dans la continuité du rapprochement opéré entre la France et la Pologne au cours des derniers mois – et même des deux dernières années, après une période de relative crispation depuis 2015.

Un premier traité d’amitié et de solidarité avait été signé en 1991 et complété en 2008 par un Partenariat stratégique – deux documents de moindre ampleur et datés par rapport aux réalités politiques et géopolitiques du continent et des deux pays. Le début des années 2010 avait déjà été marqué par une tendance au rapprochement au niveau politique, notamment à partir de 2012 avec des échanges réguliers entre les présidents François Hollande et Bronisław Komoroski, ainsi que les ministres de la Défense Jean-Yves Le Drian et Tomasz Siemoniak. En parallèle, des entreprises du secteur de la défense, telles qu’Airbus (European Aeronautic Defence and Space Company à l’époque), avaient tenté de s’implanter sur le marché polonais – en témoigne le rachat de l’avioniste polonais PZL-Okęcie dès 2001. Airbus Helicopter devait fournir à la Pologne 50 hélicoptères Caracal dans le cadre d’un contrat de plus de 3 milliards d’euros, avant l’annonce de la rupture des négociations par Varsovie en 2016 à la suite du changement de gouvernement.

Le retour au pouvoir du parti eurosceptique de Jarosław Kaczyński Droit et Justice (PiS) en 2015 a en effet marqué un tournant dans les relations franco-polonaises, tant au niveau politique qu’industriel. L’« épisode des Caracals » a non seulement entrainé une action par Airbus devant un tribunal arbitral international mais a aussi eu d’importantes répercussions au niveau diplomatique. En parallèle, la coopération franco-polonaise s’est dégradée au niveau européen, puisque Varsovie a initialement rejeté le projet franco-allemand de lancement de la Coopération structurée permanente. En 2017, la France n’a donc pas non plus proposé à la Pologne de se joindre à l’Initiative européenne d’intervention. De plus, les déclarations du président Emmanuel Macron sur la « mort cérébrale de l’OTAN », en 2019, ont été particulièrement mal reçues en Pologne et ont alimenté la détérioration des relations stratégiques et la réticence polonaise à coopérer avec la France dans le domaine de la défense.

Un premier rapprochement s’est opéré en 2020 avec une déclaration conjointe sur la coopération en matière européenne, notamment industrielle, suivie d’une déclaration d’intention de coopération dans le domaine spatial en 2021. L’année suivante, la Pologne a fait l’acquisition de deux satellites d’observation français auprès d’Airbus Defence and Space. Le traité de Nancy entend d’ailleurs prolonger cette coopération dans le domaine spatial, mentionné à plusieurs reprises comme une aire de coopération prioritaire.

Le timide retour à la coopération à partir de 2020 était néanmoins limité par la difficulté des relations au niveau politique et les divergences de vues opposant les chefs d’État des deux pays sur des sujets clés comme l’Europe de la défense, la relation transatlantique et l’attitude à l’égard la Russie. L’invasion massive de l’Ukraine par la Russie à partir de 2022, la défaite du PiS aux élections législatives de l’automne 2023 et enfin l’attitude de Donald Trump depuis son retour à la Maison-Blanche en 2024 ont donc contribué au rapprochement progressif des positions françaises et polonaises sur ces dossiers ainsi qu’à une amélioration fondamentale des relations bilatérales au plus haut niveau.

Le traité signé le 9 mai à Nancy vient désormais acter ce rapprochement. Le document est comparable en termes d’ampleur et d’ambition aux traités signés par la France avec d’autres partenaires stratégiques européens : l’Allemagne (traité dit « d’Aix-la-Chapelle » en 2019), l’Italie (traité de Quirinal en 2021) et l’Espagne (traité de Barcelone en 2023). Le texte instaure un sommet bilatéral annuel présidé par le Premier ministre polonais et le président français et vise à fournir un cadre pour le renforcement de la coopération entre les deux pays dans tous les domaines : Union européenne, politique étrangère, sécurité et défense, politique migratoire, justice et affaires intérieures, industrie et numérique, développement durable et protection de l’environnement, infrastructures, énergie, agriculture, recherche, culture, éducation…

Dans quel contexte international s’inscrit la signature du traité de Nancy scellant la coopération franco-polonaise ? À quelles inquiétudes stratégiques cette alliance cherche-t-elle à répondre et quelles réponses propose-t-elle ?

Le rapprochement entre Paris et Varsovie est indubitablement lié aux bouleversements de la sécurité européenne par la guerre d’agression russe en Ukraine, couplé à la possibilité de plus en plus concrète d’un désengagement américain du continent. Cette double menace a eu pour conséquence de réaligner progressivement les analyses et priorités stratégiques françaises et polonaises. Le rapprochement des dernières années résulte donc d’une convergence des intérêts français et polonais. Pour Varsovie, il s’agit de renforcer son poids au sein de l’Union européenne (UE) et de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) en approfondissant des partenariats bilatéraux avec des États membres influents, ainsi que de diversifier ses garanties de sécurité face à l’incertitude croissante entourant l’engagement américain. Pour Paris, cette dynamique offre l’opportunité d’ancrer ses relations avec l’Europe centrale et orientale, dans un contexte où le centre de gravité stratégique du continent tend à se déplacer vers l’est.

D’une part, Paris a donc entrepris de recalibrer sa politique étrangère vis-à-vis de la région et a adopté un discours de plus en plus ferme sur la Russie, regagnant ainsi en crédibilité dans les capitales orientales. La visite présidentielle française en Ukraine à l’été 2022 et surtout le discours du président Emmanuel Macron au forum Globsec à Bratislava en 2023 ont été bénéficié d’une forte visibilité et ont été reçus positivement en Pologne. Désormais, Paris est donc davantage perçue comme un partenaire, voire un pourvoyeur de sécurité potentiel au sein de l’UE. Réciproquement, dans la perspective d’une réélection de Donald Trump et sous l’impulsion pro-européenne de Donald Tusk, la Pologne s’est efforcée depuis 2023 de revitaliser ses relations avec les pays européens. La stratégie de partenariats internationaux de Varsovie pour garantir la sécurité de son territoire vise à la fois l’ancrage américain dans la sécurité européenne – notamment par l’élargissement de la présence militaire des États-Unis sur son sol – et le développement de coopérations opérationnelles accrues avec ses partenaires européens les plus proches.

Le traité de Nancy établit une analyse commune des menaces et rappelle l’architecture de sécurité européenne dans laquelle il s’inscrit. Ces deux fondamentaux sont posés dès le préambule, qui souligne à la fois « la menace sécuritaire persistante que fait peser la guerre d’agression russe contre l’Ukraine » et « le rôle de l’OTAN en tant que fondement de la défense collective de la [Pologne] et de la [France] ». La vision commune pour la sécurité européenne est précisée dans les articles sur la coopération au sein de l’UE (article 2) et sur la sécurité et la défense (article 4). Les deux pays y affirment une volonté de renforcer la défense européenne, qui doit passer par une complémentarité entre l’UE et l’OTAN. Le traité s’en tient à l’objectif de renforcer le fameux « pilier européen de l’OTAN », sans aller jusqu’à une européanisation de l’organisation. La nécessité pour l’Europe d’assumer davantage la responsabilité de sa propre défense ainsi que le développement d’une capacité d’action autonome est néanmoins soulignée. En termes de menaces identifiées, l’accent est mis dans le traité sur les cyberattaques et les attaques informationnelles.

Les garanties de sécurité mutuelles rappelées par le traité s’inscrivent donc dans le cadre multilatéral de l’OTAN et celui de l’UE. Le Premier ministre Donald Tusk avait annoncé, peu avant la signature du traité, que celui-ci aurait pour essence même une clause de soutien mutuel en cas d’agression. Si cette disposition est effectivement présente à l’article 4.2 du document, celui-ci n’introduit pas véritablement de nouvelle garantie, puisqu’il rappelle en fait simplement les engagements pris au titre de l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord et de l’article 42§7 du Traité sur l’Union européenne. Il précise néanmoins que l’assistance mutuelle est mise en œuvre « y compris par des moyens militaires ». Les garanties de sécurité que pourrait fournir la France à la Pologne ne sont pas précisées dans le traité, qui n’aborde pas l’éventualité d’un déploiement de troupes françaises en Pologne (même s’il prévoit des missions et déploiements conjoints) ni ne mentionne le sujet complexe de la dissuasion nucléaire.

Jusqu’où la coopération militaire s’étend-elle à l’issue de cet accord entre la France et la Pologne ? Quelles implications ce traité peut-il avoir sur les programmes d’armement communs et le développement d’une base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne ?

Le rapprochement sur le plan politique depuis 2023 ne s’est pas pour l’instant traduit par des contrats et/ou des coopérations majeures entre la France et la Pologne dans le domaine de l’armement. Thales participe au programme de frégates polonais en fournissant le système de gestion de combat et les radars qui équiperont les trois navires de facture polono-britannique. Safran a également fait son entrée sur le marché polonais avec la fourniture de systèmes de navigation inertielle pour les plateformes antiaériennes et poursuit le développement de sa coopération avec la BITD polonaise. Ces exemples restent limités en comparaison des contrats passés auprès de l’industrie américaine ou sud-coréenne.

L’institutionnalisation du rapprochement politico-stratégique par le traité de Nancy pourrait désormais fournir les bases d’une coopération approfondie dans le domaine de l’armement. Le traité prévoit un renforcement de la coopération dans le domaine de l’innovation et de la recherche et développement (R&D) dual (IA, quantique, technologies spatiales, nouvelles énergies, etc.) ainsi que de l’armement à travers des projets capacitaires conjoints, sans préciser lesquels. Le directeur général de l’armement Emmanuel Chiva a déjà rencontré en mars cette année le vice-ministre de la Défense polonaise Paweł Bejda en vue de renforcer la coopération industrielle et militaire entre la France et la Pologne, remettant sur la table à cette occasion la proposition de Naval Group pour le marché des sous-marins polonais. Le président du groupe Airbus, Guillaume Faury, a quant à lui échangé avec le ministre de la Défense polonais pour renforcer la coopération avec la Pologne, qui pourrait entrer au capital du groupe et dont l’armée cherche à acquérir une capacité de ravitaillement en vol. La concrétisation de ces opportunités dépendra de la capacité des entreprises françaises à proposer des coopérations incluant à un niveau suffisant l’industrie polonaise.

Au niveau européen, le traité de Nancy témoigne d’un effort de convergence entre la France et la Pologne, qui parviennent à articuler une position commune malgré des intérêts parfois divergents en matière d’industrie de défense. Varsovie considère en effet que l’objectif prioritaire des initiatives européennes devrait être de renforcer les capacités militaires du continent à court terme, y compris au moyen d’acquisitions et de coopérations avec des pays tiers. De plus, si la Pologne soutient le renforcement de l’industrie de défense européenne, elle souhaite néanmoins garantir que la BITD nationale en développement ait d’abord le temps de monter en compétences au moyen de transferts de technologie, proposés aujourd’hui par des pays comme la Corée du Sud. Le traité de Nancy promeut donc « l’établissement progressif d’une préférence européenne par l’acquisition d’équipements de défense conçus et produits par la BITD européenne », « compatible avec le développement des programmes nationaux d’acquisition de défense des Parties ». La conciliation des visions française et polonaise du renforcement de l’industrie de défense européenne est affaire de temporalité. À terme, les deux parties ont intérêt à la réduction des dépendances stratégiques et des lacunes capacitaires grâce à une BITD européenne plus autonome et capable de « fournir des équipements dans les quantités et aux rythmes accélérés qui sont nécessaires ».

Afin de traduire en pratique les orientations prévues par le traité en matière de défense et de sécurité, Paris et Varsovie prévoient d’établir un programme de coopération. La mise en œuvre effective du traité de Nancy dépendra de la capacité des deux parties à traduire leurs engagements politiques en coopérations concrètes et durables.

Sous-marins : et si l’Australie achetait quand même français demain ?

Sous-marins : et si l’Australie achetait quand même français demain ?

Face aux retards du pacte AUKUS et à l’urgence de renouveler sa flotte, l’Australie pourrait sérieusement reconsidérer l’offre de sous-marins nucléaires français.

par Jean-Baptiste Giraud – armees.com – Publié le
Naval Group, Australie, sous-marins, nucléaire, USA, France, contrat, flotte, US Navy, Virginia, AUKUS
Sous-marins : et si l’Australie achetait quand même français demain ? | Armees.com

Il y a des ruptures qui laissent des traces. Celle entre l’Australie et la France, en 2021, en fait partie. Dans une volte-face spectaculaire, Canberra annonçait mettre fin au “contrat du siècle” passé avec le groupe français Naval Group pour la construction de douze sous-marins dits “Attack-class”, dérivés de la technologie nucléaire française mais adaptés à une propulsion conventionnelle. À la place : un virage anglo-saxon, un pacte secret (AUKUS) avec les États-Unis et le Royaume-Uni, et la promesse floue de sous-marins nucléaires d’origine anglo-américaine. L’affaire, au-delà du coup diplomatique, posait une question plus simple et plus pressante : l’Australie aura-t-elle un jour les sous-marins dont elle a besoin ?

Une flotte australienne à bout de souffle

L’armée australienne s’appuie aujourd’hui sur six sous-marins de la classe Collins, construits dans les années 1990. Un âge vénérable pour des bâtiments militaires qui, malgré des modernisations, souffrent d’une usure structurelle. En 2030, ces submersibles auront 40 ans pour les plus anciens. Dans la région indo-pacifique, où les tensions maritimes ne cessent de croître — Chine en mer de Chine méridionale, frictions en mer de Timor, expansionnisme naval — cette faiblesse opérationnelle est un talon d’Achille.

Le besoin est donc urgent. Mais depuis la rupture du contrat français, tout traîne. Le partenariat AUKUS, annoncé en grande pompe, promet la livraison de sous-marins nucléaires américains de classe Virginia dans les années 2030, peut-être 2040. Et une future classe de submersibles “AUKUS” entièrement co-développée n’est envisagée que pour… les années 2050. Un gouffre temporel, stratégique, technologique.

Les sous-marins anglo-américains fantômes

Acheter des Virginia aux États-Unis ? Encore faut-il qu’ils soient disponibles. Or l’US Navy est déjà en pénurie de ces sous-marins nucléaires d’attaque, et peine à produire assez pour son propre usage. Et construire localement, en Australie ? Il faudrait créer de toutes pièces une filière nucléaire militaire, former les ingénieurs, bâtir des infrastructures, maîtriser des technologies complexes. Un chantier pharaonique, risqué, long.

C’est ici que la solution française retrouve, peu à peu, un certain bon sens. Naval Group proposait un sous-marin à propulsion conventionnelle, mais dérivé du Barracuda nucléaire français. Une technologie éprouvée, déjà en service, et que la France maîtrise intégralement, du design à la mise à l’eau. Et surtout : un calendrier réaliste, une production partagée avec l’industrie australienne, et une indépendance stratégique bien plus grande qu’avec des modèles américains ou britanniques sous contrôle opérationnel partagé.

La diplomatie, ça se répare

Depuis 2021, les relations entre Paris et Canberra se réchauffent. Le gouvernement australien a reconnu que la rupture avait été mal gérée. La France, de son côté, a tourné la page sans fermer la porte. Naval Group est toujours présent dans la région, en Indonésie notamment. Et le président Emmanuel Macron n’a jamais exclu un retour à la table.

Surtout, l’opinion publique australienne commence à douter du plan AUKUS. Trop cher, trop lent, trop dépendant. Plusieurs experts militaires australiens plaident pour une alternative plus réaliste — quitte à ressortir le dossier français. Avec une différence de taille : cette fois, ce seraient des sous-marins nucléaires français, et non plus des modèles convertis à la propulsion diesel-électrique.

Et si acheter des sous-marins français était la seule option viable ?

La France a ce que l’Australie cherche : des sous-marins nucléaires d’attaque modernes, construits en série, livrables à horizon 10-15 ans, et une volonté politique de partager cette technologie dans un cadre maîtrisé. Et contrairement aux États-Unis ou au Royaume-Uni, la France n’impose pas de lien de dépendance militaire : elle propose un transfert de savoir-faire, pas une mise sous tutelle.

Alors oui, après une rupture aussi fracassante, l’idée de relancer un partenariat avec Paris peut sembler incongrue. Mais au fond, quelle est l’alternative ? Un pays qui a besoin de remplacer ses sous-marins dans les quinze ans à venir ne peut se permettre d’attendre les années 2050.

En matière de stratégie navale comme d’amitiés internationales, il arrive que la meilleure voie soit celle que l’on avait quittée un peu trop vite.

Le 2e RIMa voudrait disposer de 450 réservistes dans un avenir proche

Le 2e RIMa voudrait disposer de 450 réservistes dans un avenir proche

Photo Ouest-France

Les réservistes du 2e RIMa (Régiment d’infanterie de Marine) du Mans qui servent dans les 6e et 12e compagnies de combat terrestre (UCT), ont été réunis au camp d’Auvours pour un « moment de cohésion », samedi 10 mai, à Champagné.

Les trois fourragères du régiment de la 9e BIMa ont été remises à 80 nouveaux « marsouins » de réserve, qui ont terminé leur formation générale initiale quelques semaines plus tôt. Une cérémonie a rappelé leur appartenance au régiment, son histoire et ses traditions. Au cours de cette cérémonie, la médaille d’or de la Défense nationale a été décernée au chef de bataillon Simonin, au sergent-chef Parmentier, au sergent Moussu, au sergent Bacouet et au caporal-chef Cussoneau pour leurs années de service au sein de la réserve.

La réserve n’est pas une unité d’appoint; elle fait partie intégrante de l’armée aujourd’hui précisait le colonel Pierre de Lassus Saint-Geniès, chef de corps du 2e RIMa, à une consoeur du Maine libre. « Nous comptons 310 réservistes au 2e RIMa et 1 100 personnels d’active. Nous continuons à recruter, des personnes de tous profils. Nous aimerions passer à 450 d’ici quelques années, c’est en droit fil de ce que le président de la République a annoncé. Les réservistes ont de vraies missions : notamment au sein de Sentinelle, la protection des citoyens face à la menace terroriste, ou encore de défense de la base si les circonstances l’exigeaient. »

Et le colonel Pierre de Lassus Saint-Geniès de poursuivre : « Les réservistes ont fait leurs preuves : l’an dernier, aux Jeux olympiques, beaucoup étaient engagés dans le dispositif de surveillance. Les réservistes ont souvent des compétences professionnelles intéressantes. Nous pouvons aussi leur offrir des formations complémentaires. C’est du gagnant-gagnant pour eux, pour nous et leurs employeurs ».

Accroître le nombre de réservistes au sein du régiment signifie aussi disposer de capacités d’accueil au sein de la caserne Martin-des-Pallières, à Champagné. Un bâtiment affecté aux réservistes a été inauguré; il s’agit de locaux libérés par une des compagnies d’active qui disposera sous peu d’un nouveau bâtiment en cours de construction. Les locaux destinés aux réservistes ont été baptisés du nom du sergent-chef Ananias-Vital Cassanté. Cette instructrice est décédé brutalement en 2017, au cours d’une mission de formation de réservistes.

Pour rejoindre les réservistes du 2e RIMa, toutes les informations nécessaires sont à retrouver sur le site www.servir-au-2rima.fr

Le Centaure et l’emploi des blindés dans la gendarmerie. Entretien avec le général Christophe Daniel

Le Centaure et l’emploi des blindés dans la gendarmerie

par Revue Conflits – Entretien avec le général Christophe Daniel – publié le 15 mai 2025

https://www.revueconflits.com/le-centaure-et-lemploi-des-blindes-dans-la-gendarmerie-entretien-avec-le-general-christophe-daniel/


85 ans après la bataille de Stonne, les blindés de la gendarmerie défileront le 14 juillet. Dans cet entretien, le général Christophe Daniel, commandant du Groupement Blindé de la Gendarmerie Mobile (GBGM), revient sur l’héritage militaire issu de la bataille de 1940 et l’emploi des blindés dans la doctrine de la gendarmerie.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Noé

Commençons par un retour historique. Comment s’est construite la capacité blindée de la Gendarmerie ?

Général Christophe Daniel. Pour comprendre cet héritage, il faut remonter à 1933, date de la création à Satory d’une unité de maintien de l’ordre déjà équipée de véhicules blindés, comme le char Renault FT-17 et d’automitrailleuses blindées Panhard.

En octobre 1939, face à la menace grandissante de guerre, la direction de la Gendarmerie décide de créer une unité combattante. C’est ainsi que naît le 45e Bataillon de Chars de Combat de la Gendarmerie, une unité mixte unique composée à moitié de gardes et gendarmes de Satory et à moitié de soldats de l’armée de Terre.

La bataille de Stonne joue un rôle fondateur

Elle est confiée à un capitaine de gendarmerie, Martial Bézanger, et sera engagée dans la bataille de Stonne (15-25 mai 1940), un village des Ardennes qui présente une position géographique stratégique. Ce fut un affrontement extrêmement violent, parfois surnommé le « Verdun de 1940 », contre des unités allemandes d’élite, notamment la 10e Panzerdivision du général Guderian. Les pertes furent importantes, et plusieurs quartiers de Satory portent encore aujourd’hui les noms d’officiers et sous-officiers tombés au combat là-bas.

La bataille de Stonne est méconnue du grand public. C’est pourtant une bataille cruciale, où l’armée française a fait preuve de beaucoup de bravoure.

La bataille de Stonne débute le 15 mai 1940. C’est un tout petit village dans les Ardennes, situé sur une position stratégique, en hauteur. Il est situé sur une ligne de crête qui permet d’avoir une grande vision sur les débouchés des forces adverses. Dix jours durant, Français et Allemands ne vont cesser de se battre pour le contrôle du village.

Le 45e bataillon de chars de combat fait donc partie, au sein de la 3e division cuirassée d’un ensemble d’unités, d’infanterie, d’artillerie et de chars qui combattent dans ce secteur. Les pertes en chars sont nombreuses, tant du côté allemand que français. Les Allemands ont fait usage de l’aviation durant cette bataille, ce qui leur a donné une supériorité tactique. Le général allemand Paul Wagner, qui a combattu à Stonne, a dit qu’il y avait pour lui trois grandes batailles dans cette guerre : Stalingrad, Monte-Cassino et Stonne.

La mémoire du 45e est fortement entretenue à Satory : elle est présente au pied du mat des couleurs où un monument aux morts reprend la liste des disparus durant cette bataille. Elle vit également à travers la croix de guerre avec palme, accroché à l’étendard du GBGM.

Et après la Seconde Guerre mondiale ?

Après l’armistice, il n’y a plus d’unité blindée constituée dans la Gendarmerie jusqu’à la fin de la guerre. En 1945, les gendarmes de Satory reçoivent de nouveaux matériels blindés, notamment américains (sherman, half Track, auto-mitrailleuses AM8) .

En 1968, après les événements de mai, la Gendarmerie conçoit son propre véhicule : le VBRG (Véhicule Blindé à Roues de la Gendarmerie), adapté au maintien de l’ordre. Sa spécificité : un blindage protecteur, une lame pour dégager les axes, et des équipements non létaux. Ce véhicule bleu emblématique est encore en service, notamment en outre-mer (Nouvelle-Calédonie, Mayotte…).

Le nouveau véhicule blindé polyvalent Centaure a une couleur spécifique (le bleu) et une silhouette propre, qui est adaptée aux terrains d’engagement et notamment au maintien de l’ordre.

Une lame est ainsi installée à l’avant. Quand on fait du maintien ou du rétablissement de l’ordre, de temps à autre ou régulièrement dans certains secteurs, les axes sont bloqués par des obstacles, donc il était important pour nous d’avoir un engin blindé, qui sert à amener une protection balistique de ses équipages et des troupes embarquées ou des troupes à pied qui se mettent derrière. Et derrière, cette lame va nous servir à dégager les axes pour que les troupes à pied puissent assurer les opérations de maintien de l’ordre.  Donc, c’est le premier véhicule pensé, spécifique, pour le maintien de l’ordre.

Parlons du nouveau véhicule, le Centaure. Qu’est-ce qui le distingue de ses prédécesseurs ?

Le Centaure, c’est un engin du 21e siècle. Il est plus imposant que le VBRG, mais il reste très maniable. Il peut notamment atteindre 100 km/h. Son blindage est plus performant (niveau Stanag II), et il est conçu pour des opérations variées.

Il est doté de systèmes modernes : caméra thermique, vision nocturne, détecteur de tirs capables d’identifier la position du tireur et le calibre de l’arme utilisée. Il dispose aussi d’une tourelle téléopérée en 7.62 mm, de lanceurs de grenades lacrymogènes multi-coups, et d’un système de surpression avec filtres NRBC pour opérer en zone contaminée. Il peut ainsi intervenir sur un large spectre de mission, permettant par exemple, en cas de catastrophe industrielle, la protection des équipages aux risques NRBC.

À bord, on trouve trois membres d’équipage (pilote, chef d’engin, opérateur radio/tir) et jusqu’à sept personnels embarqués.

Centaure (c) Gendarmerie

Combien de Centaures ont été acquis, et comment sont-ils répartis ?

Nous avons reçu 90 Centaures. Un tiers est à Satory, un tiers dans les groupements de provinces, et le dernier tiers est déployé outre-mer (Nouvelle-Calédonie, Mayotte, Réunion, Antilles, Polynésie). Quatre sont aussi stationnés à Saint-Astier pour la formation des escadrons.

Il a été utilisé en Nouvelle-Calédonie lors des émeutes de mai 2024, mais aussi lors des violences urbaines de 2023, du cyclone à La Réunion ou pour dégager des axes à Mayotte. Il est aussi un outil de dissuasion psychologique, par exemple lors des mobilisations agricoles de 2024. Il est présent lors d’événements majeurs, comme les JO ou les commémorations du 80e anniversaire du Débarquement.

Pour la première fois, des Centaures participeront au défilé du 14 juillet.

Tout à fait. Nous avons eu la chance et la fierté d’être désignés pour le défilé de cette année. Le dernier défilé de la gendarmerie avec ses engins blindés mobile date de 2000, lors du retour d’un déploiement au Kosovo. Avant cela, il y avait eu 1988. 2025 sera donc un grand événement pour notre unité, et l’occasion de mettre en avant cette nouvelle composante blindée.

Comment est-il utilisé pour les opérations de maintien de l’ordre ?

Il convient de rappeler que cet engin blindé ne doit pas être banalisé. C’est pour cette raison que sa mise en œuvre est strictement encadrée. L’autorisation d’engagement relève ainsi du Premier ministre en ce qui concerne les opérations de maintien de l’ordre, et des préfets de zone de défense pour la définition des missions, avec un certain formalisme.

L’engament de ces moyens blindés est évidemment lié aux capacités qu’il prodigue, mais leur déploiement a également un effet psychologique. Il participe à la démonstration de l’autorité.

Rappelez-vous le mouvement de contestation agricole de début 2024, puis de fin 2024 et la remontée des tracteurs vers Paris. Très clairement, l’engagement des engins blindés, marquait la volonté politique et, sur un plan tactique, permettait de définir une ligne d’interdiction aux engins agricoles.

Je tiens surtout à dire que son utilisation, lors des émeutes qu‘a connues la Nouvelle-Calédonie, à compter du 13 mai 2024 et ce, pendant plusieurs mois, a permis de protéger les forces déployées,des nombreuses séquences de tirs par armes à feu qui ont caractérisé cette opération. C’est en effet une des premières vocations d’un engin blindé :  assurer la protection balistique de ses équipages et des troupes embarquées.

Centaure (c) Gendarmerie

Est-ce que le Centaure est aussi utilisé dans des opérations extérieures ?

Cela peut être envisageable, comme ce fut le cas avec le VBRG au Kosovo ou en Côte d’Ivoire. Pour l’opération conduite en Afghanistan, nous avions par exemple fait le choix d’acquérir auprès de nos camarades des armées le véhicule de l’avant blindé, (VAB). Le Centaure pourrait être projeté, mais évidemment après analyse et définition des missions qui seraient confiées à la gendarmerie. C’est à nos responsables politiques de nous en définir le cadre et bien sûr à la direction générale de la gendarmerie d’en assurer la déclinaison, en prenant en compte de nombreux paramètres.

Guerre en Ukraine : des avions français équipés d’armes nucléaires ? Ce que souhaite faire Emmanuel Macron

Guerre en Ukraine : des avions français équipés d’armes nucléaires ? Ce que souhaite faire Emmanuel Macron

Emmanuel Macron se dit prêt à déployer des avions français équipés de l’arme nucléaire et à en discuter avec les autres pays européens. Pourquoi le chef de l’État fait-il ce choix et sous quelles conditions ?

“Nous sommes prêts à ouvrir cette discussion”. Emmanuel Macron a franchi un pas supplémentaire vers l’élargissement de la dissuasion nucléaire française à l’Europe et veut en discuter avec les partenaires européens. Il annoncera le cadre de cet élargissement “dans les semaines et les mois qui viennent”, a-t-il dit sur TF1 mardi soir.

Début mars, Emmanuel Macron avait annoncé pour la première fois “d’ouvrir un débat stratégique” sur la protection de l’Europe par l’arme nucléaire française, en réponse à une interrogation de Friedrich Merz, alors futur chancelier allemand.

Trois conditions selon Emmanuel Macron

Face aux Français, mardi soir, Emmanuel Macron a fixé trois conditions à cette possibilité d’élargir la dissuasion nucléaire française :

  • La France ne paiera pas pour la sécurité des autres
  • Cet élargissement potentiel “ne viendra pas en soustraction de ce dont la France a besoin
  • “La décision finale reviendra toujours au président de la République, chef des armées”

Le président de la République a assuré que ce possible déploiement ne modifierait pas, selon lui, la doctrine française. “Depuis qu’une doctrine nucléaire existe, depuis le général de Gaulle, il y a toujours eu une dimension européenne dans la prise en compte de ce qu’on appelle les intérêts vitaux. On ne le détaille pas parce que l’ambiguïté va avec la dissuasion”, a-t-il rappelé.

Le possible élargissement à l’Europe de notre arme nucléaire intervient sur fond de rapprochement entre les États-Unis de Donald Trump et la Russie de Vladimir Poutine et la crainte d’un désengagement américain majeur sur le Vieux Continent alors que l’alliance Etats-Unis-Europe dure depuis la deuxième guerre mondiale.

Cette possibilité a fait réagir le Kremlin dans la matinée. “Le déploiement d’armes nucléaires sur le continent européen, ce n’est pas ce qui apportera de la sécurité, de la prévisibilité et de la stabilité“, a déclaré Dmitri Peskov, le porte-parole de Vladimir Poutine.

Notre Europe, elle a été faite d’abord pour la paix

En Europe occidentale, seuls deux pays possèdent l’armé nucléaire : la France et le Royaume-Uni. Les autres pays européens membres de l’Otan sont jusqu’ici sous le parapluie nucléaire américain.

Aujourd’hui, la doctrine française n’offre que des options limitées de coopération en matière de dissuasion nucléaire, telle que la participation d’avions européens aux exercices nucléaires français, en fournissant par exemple des chasseurs d’escorte. “Le moment que nous vivons, c’est celui d’un réveil géopolitique. Notre Europe, elle a été faite d’abord pour la paix“, a rappelé Emmanuel Macron mardi. “Le défi des défis pour nous, c’est de rester libres”.

Indopacifique, l’Inde à la croisée des chemins

Indopacifique, l’Inde à la croisée des chemins


Par le LCL (ER) Christian Huc – Même si ses frontières physiques restent liées à une vison géostratégique nationale, la zone dite de l’Indopacifique demeure dans son ensemble sous les projecteurs, ainsi qu’en ténoigne plus que jamais l’actualité de ces dernières semaines. Cet article propose un point sur la capacité de projection indienne dans le domaine naval.

 

Forte capacité de projection de puissance

La confrontation latente sino-américaine, centrée actuellement sur Taïwan, met en exergue les risques d’escalade militaire dans cette partie du monde. Celle-ci représente près du 1/3 des mers du globe et si l’immensité de l’Océan Pacifique prévaut, les souvenirs de la guerre du Pacifique ne doivent pas faire oublier l’existence d’un autre espace maritime à la fois plus oriental et plus méridional, l’Océan Indien.

La récente campagne Clémenceau du groupe aéronaval français autour du porte-avions Charles de Gaulle1 a montré avec deux exercices majeurs l’importance du principal pays de la région, l’Inde. Pays le plus peuplé du monde, nation reconnue comme détentrice de l’arme nucléaire, sa marine possède des sous-marins lanceurs d’engins (SNLE), d’attaque (SNA) et deux porte-aéronefs, équipés à terme de Rafale Marine, montrant largement ses capacités en matière de projection de puissance2.

Faiblesse avérée pour la projection de force

En revanche, s’agissant de projection de force, alors même que les gouvernements indiens successifs n’ont jamais caché leur volonté hégémonique sur l’océan éponyme, l’inféririté navale du pays est devenue criante face à la montée en puissance chinoise dans ce domaine liée à la multiplication des accords diplomatiques régionaux. L’Indian Navy ne dispose aujourd’hui que d’un LPD ex-US Navy classe Austin (16.600 t pour 173 m) datant de 1971 et d’une flotte de quatre LST (Landing Ship Tanks) de 5.600 t plus récents et fabriqués localement ainsi que de huit LCU de 830 t. Ces navires ne permettent pas l’application forte d’une politique expéditionnaire, ne serait-ce qu’en cas d’intervention urgente de type humanitaire après une catastrophe naturelle comme la région peut en subir fréquemment. Une brigade de l’Indian Army, la 91 Infantry Brigade (à trois bataillons d’infanterie, leurs appuis et leurs soutiens), est en charge de la partie amphibie.

Un avenir incertain pour la construction navale indienne

Depuis plus de cinq ans, le pays a largement fait part de son intention d’acquérir à l’étranger les licences de construction locale pour quatre grands navires amphibies du type LHD. Les problèmes administratifs du pays entre gouvernement, chantiers d’État et chantiers privés ne facilitent cependant pas une prise de décision pour laquelle un appel d’offre est administrativement nécessaire3. Les constructeurs étrangers, Naval Group, Navantia, Fincantieri, mais aussi Hyundai ont déjà pris leurs marques avec un associé indien et prennent leur mal en patience.

Recherche permanente d’accords multinationaux via des exercices

En attendant, les amphibiens indiens s’entraînent dans un cadre multinational comme ces derniers jours avec l’US Navy et l’US Marine Corps au cours de l’exercice annuel Tiger Triumph 2025 en baie de Bengale4. À cette occasion, les Américains n’ont déployé aux côtés du LPD INS Jalashwa (L-41) et du LST INS Gharial (L23, classe éponyme) qu’un seul de leurs navires de l’Amphibious Ready Group présent dans la région, le LSD-45 USS Comstock (classe Whidbey Island) afin vraisemblablement de ne pas froisser la susceptibilité d’une contrepartie indienne5 largement sous-équipée. Mais cela n’a pas empêché la marine indienne6 de déployer un de ses destroyers lance-missiles l’INS Visakhapatnam acompagné d’un LST l’INS Kesari pour un exercice multinational inédit sur les côtes orientales de l’Afrique, l’Africa India Key Maritime Engagement, dont les premières lettres de chaque mot forment le nom en sanskrit d’UNITÉ (AIKEYME)7. Tout un programme d’action face à l’influence de la Chine en Afrique8


Notes & références

1 Bilan de l’exercice franco-indien Varuna >>>  CLEMENCEAU 25 – Bilan de l’exercice bilatéral franco-indien VARUNA | Ministère des Armées

2 Achat des Rafale Marine par l’Inde >>>  https://www.opex360.com/2025/04/10/le-gouvernement-indien-approuve-lachat-de-rafale-marine-f4-pour-66-milliards-deuros/

3 Priorité à l’industrie locale indienne >>> India boosts domestic arms industry and looks West to pare back Russia reliance ; Modi en France >>> Inde : Narendra Modi attendu mi-février à Paris pour signer l’achat de 26 Rafale et trois Scorpène

Exercice amphibie indo-américain Tiger Triumph (vision US) >>> S. and Indian Naval Forces Deepen Strategic Cooperation Through Joint Amphibious Exercise

5 Exercice amphibie indo-américain Tiger Triumph (vision indienne) >>> India, U.S. tri-service HADR exercise Tiger Triumph concludes on Eastern seaboard – The Hindu

6 Exercice Africa-India Key Maritime Engagement Exercise >>> Des exercices maritimes inédits entre l’Inde et dix pays Africains dans l’océan Indien

7 Exercice AIKEYME >>>  Press Release: Press Information Bureau

8 Politique africaine indienne >>>  En Afrique, l’Inde tente de rattraper son retard face à la Chine

 

Photo © Exercice américano-indien Tiger Triumph 2025, 1st Sgt. James Tomlinson, US Army National Guard, Kakinada Beach, Inde, 11 avril 2025

Ukraine : vers un nouveau monde

Ukraine : vers un nouveau monde

par Jean-Baptiste Noé* – Revue Conflits – publié le 14 mai 2025

*Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d’économie politique à l’Institut Albert le Grand. Rédacteur en chef de Conflits.

https://www.revueconflits.com/editorial-2/


Nouveau monde. Editorial de Jean-Baptiste Noé pour le numéro 57 de Conflits

Article paru dans le N57 : Ukraine Le monde d’après

En janvier 2022, l’Europe naviguait encore sur les eaux délicieuses de la fin de l’histoire : la Belgique et la France annonçaient la fermeture de leurs centrales nucléaires ; l’Allemagne vivait du gaz russe ; l’Union européenne multipliait les normes environnementales contre sa propre industrie ; les budgets militaires étaient réduits à peu de chose. En envahissant l’Ukraine, Vladimir Poutine a fait sauter ce mythe.

Penser le monde. L’enjeu du nouveau monde qui s’ouvre consiste d’abord à le penser de façon juste. La manie de rattacher chaque événement contemporain à un événement du passé, comme si l’histoire était cyclique, empêche de comprendre les changements en cours. Nous ne sommes pas dans les années 1930, les négociations européennes ne sont pas une réitération des accords de Munich de 1938 et le maréchal Pétain n’est plus au pouvoir depuis 1945. Il serait temps de regarder le monde pour ce qu’il est et non pas à travers des lunettes intellectuelles bloquées entre 1933 et 1945. De la même façon que l’affrontement en cours entre les États-Unis et la Russie n’est pas une nouvelle guerre froide et qu’il n’y a plus de « Sud » depuis longtemps, qui voudrait combattre le « Nord ». La rhétorique tiers-mondiste a fait son temps, il faut cesser de penser en réactionnaire en ramenant tous les faits actuels à ceux d’autrefois. Certes l’histoire peut aider, elle est maîtresse de vie et explique bien des choses, mais elle ne se répète pas. Nos années 2020 ne sont pas les mêmes que les années 1920.

Penser l’époque. Le trait essentiel de l’époque contemporaine, c’est le retour de la Chine, qui a rattrapé son retard. Elle fut autrefois une grande puissance économique et politique ; elle a repris la place qui était la sienne jusqu’au xviiie siècle, entraînant avec elle l’ensemble de l’Asie de la mer et de la terre. L’espace eurasiatique, qui relie l’Asie chinoise à l’Europe, concentre l’essentiel des routes commerciales et énergétiques. C’est là que se joue désormais la grande partie mondiale, que se situe la nouvelle terre du Milieu. Pour en être, il faut une armée, des entrepreneurs, des analystes, des hommes de livres et de terrain.

L’autre trait saillant de notre nouvelle époque est la montée en puissance des réseaux dissolvants : trafiquants de drogue, réseaux criminels, passeurs d’êtres humains. Une criminalité qui touche tant le sommet des États que les bases de la société, détruisant les liens humains. En dix ans, le Mexique a eu plus de morts par balle du fait des trafics de drogue, que la Syrie du fait de la guerre.

Troisième donne qui structure la nouvelle époque, la guerre cognitive, qui passe par l’information et l’encerclement intellectuel. Celle-ci a toujours existé. La propagande et le détournement médiatique à des fins politiques ne sont pas une nouveauté. Mais la puissance étant décuplée par les évolutions techniques, et l’accès à l’information facilité, la guerre cognitive est entrée dans une nouvelle dimension.

Repenser l’État. Nous ne pourrons faire l’économie de repenser le rôle et la place de l’État. Dans la vision philosophique classique, l’État a été créé par la population pour assurer sa sécurité dans une mutualisation des moyens et une coordination des fins. Ce rôle s’est transformé, mais sans le dire aux citoyens. Entre 1938 et 2023, la part des dépenses sociales est passée de 6 % de la dépense publique à 57 %. Sur la même période, la part des dépenses de défense est passée de 50 à 4 %. Ce croisement des courbes démontre un changement dans la nature de l’État et dans l’usage de l’impôt. Nous sommes passés d’un État protecteur (qui assure la défense et la sécurité) à un État-providence (qui assure les retraites et la santé)[1]. En clair, depuis 1945, la France finance l’État-providence par l’impôt de ses citoyens et sa défense, via l’OTAN, par l’impôt des Américains. D’où la colère de Trump, qui ne souhaite plus que ses contribuables financent la sécurité des Européens. Si l’on veut augmenter le budget des armées, il faudra baisser les dépenses sociales et revoir l’architecture de l’État-providence. C’est possible, mais cela impose un vrai débat de fond sur ce que nous voulons être à l’intérieur et comment nous voulons nous projeter à l’extérieur.


[1] Julien Damon, « Dépenses militaires versus dépenses sociales ? », Telos, 25 février 2025.