Le projet de LPM 2019-2025 : « oui, mais… »

Le projet de LPM 2019-2025 : « oui, mais… »  

Libre opinion du Général (2s) Pierre Zammit. Posté le jeudi 15 /02/ 2018

Source de diffusion : www.asafrance.f

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Un « oui, mais… ». C’est ce qu’inspire le projet de loi de programmation militaire 2019-2025 présenté au conseil des ministres de jeudi dernier. Un « oui » est largement mis en avant jusqu’à en faire oublier le « mais » pourtant bien réel.

Le « oui », c’est :

 La confirmation de la relance de l’effort de défense – 300 milliard d’euros sur la période 2019-2025 – qui marque enfin la prise en compte de la dynamique belliqueuse qui caractérise le contexte international, des menaces jusque sur le territoire national, de la bataille de l’avant que conduit notre pays au Moyen-Orient et au Sahel et de l’impérieuse nécessité de remettre de la cohérence entre les missions confiées aux armées depuis plus de 15 ans (Balkans : 1994 – 2001 ; Côte d’Ivoire : 20002-2006 ; Libye : 2011 ; Afghanistan : 2001-2014) et les moyens qui leur sont accordés.
L’effort financier annoncé répond enfin à l’exigence de redonner du muscle à un modèle qui est bon et que les chefs militaires ont su préserver (capacité nucléaire et capacité conventionnelle) mais qui a été rongé par 25 années de baisse continue du budget de la Défense jusqu’en 2015, date des attentats perpétrés par l’islamisme politique en France. 

Effectivement, on ne peut que se féliciter de l’accélération du programme Scorpion qui prévoit l’arrivée d’une nouvelle gamme de véhicules blindés dans l’armée de Terre (fin 2017, 60% des véhicules de combat de l’armée de Terre n’étaient pas blindés), le remplacement de véhicules de 40 ans d’âge, la modernisation et le renforcement d’une partie de la flotte de surface de la Marine (avec 11 millions de km2, la France possède le 2e domaine maritime mondial dont il faut assurer la sécurité et protéger les ressources) et pour l’armée de l’Air enfin le remplacement d’avions ravitailleurs en bout de course. Cet effort budgétaire devrait également permettre un meilleur maintien en condition opérationnel des matériels suremployés en OPEX. S’y ajoute enfin « l’amélioration de la vie des militaires », si tant est que l’arrivée de gilets pare-balles nouvelle génération concerne la simple « amélioration de la vie » des soldats alors qu’il s’agit d’un équipement susceptible de leur sauver la vie. Tout ceci, c’est du positif. Les armées en avaient perdu l’habitude.

Le « mais », c’est : 

Pourtant, le « mais » n’en est pas moins là. La loi couvre la période jusqu’en 2025 alors que le mandat de l’actuel Président se termine en 2022… et surtout la hausse prévue des crédits augmente considérablement précisément à partir de 2023 « après une actualisation des ressources prévues en 2021 selon la situation macroéconomique à cette date ».

Autrement dit, rien de sûr. L’expérience des dernières lois de programmation a montré que ce type de prévision s’est toujours traduit par l’attribution annuelle de crédits moindre que ceux qui étaient prévus dans la loi quinquennale. Compte tenu des besoins pressants des armées, c’est en début et pas en fin de période que cette augmentation forte aurait été la bienvenue. 2% du PIB en 2025 : c’était l’effort de défense de la France en 1996 ! Aujourd’hui, cet effort (hors pensions) affleure péniblement les 1,7% ! À titre indicatif, les dépenses sociales de la France atteignent 31% du PIB et nos amis les Anglais sont déjà à 2% du PIB pour la défense.

La réalité incite à considérer avec un enthousiasme moins débordant la présentation qui en est faite. 50% du programme Scorpion (véhicules blindés) sont prévus être livrés en 2025. Certes ! Mais il restera encore 50% du parc qui aura plus de 50 ans d’âge. Imaginez-vous rouler en R8 aujourd’hui sur nos autoroutes ? Même chose pour 50% du parc hélicoptères dont 30% seulement étaient opérationnels en 2017. Enfin, dernière finesse de cette loi, il y a certes plus d’argent mais « le périmètre » est élargi puisque le coût des OPEX et MISSINT (missions intérieures, Sentinelle entre autres) sera désormais progressivement mais totalement imputé aux armées (1,1 milliard prévus en 2020 pour 450 millions en 2017). Quant à la « sincérité de la loi », l’expérience des dernières années nous renvoie à l’arlésienne. Un seul exemple : cette loi 2019-2024 prévoit la livraison de pétroliers ravitailleurs, des avions de reconnaissance et avions ravitailleurs qui auraient dû être livrés avant la fin de la loi 2014-2019 qui se termine. Alors…

Finalement, si cette loi de programmation marque effectivement un début d’inversion de tendance, elle n’en demeure pas moins timide au regard des missions bien réelles, elles, confiées aujourd’hui aux armées et aux besoins immenses créés pas 25 ans de baisse continue du budget de la défense.  Il aura fallu « la guerre chez nous » pour inverser cette tendance. Raison de plus pour exercer une « vigilance active » sur son exécution. Rendez-vous en 2025 ?

Pierre Zammit
Officier général (2s)