La construction des 2 derniers SNLE Boreï de la Marine russe débutera cette année.

La construction des 2 derniers SNLE Boreï de la Marine russe débutera cette année.

Alors qu’elle vient d’annonce la prochaine entame des travaux pour ses deux derniers SNLE Boreï, la Russie est, aujourd’hui, le seul pays qui parvient à lancer et livrer, chaque année, plus de sous-marins que de destroyers et de frégates.

Mieux encore, la Marine russe ne recevra, dans les six années à venir, que six frégates de la classe Admiral Gorshkov, un navire de seulement 5 400 tonnes, qui est, pourtant, la plus importante unité de surface combattante produite par l’industrie navale russe post-soviétique.

Elle va admettre au service, sur la même période, cinq, peut-être sept, SSGN de la classe Iassen, de 8 600 tonnes en surface, ainsi que six SNLE des classes Boreï-A et Boreï-AM, de 15 000 tonnes chacun en surface, soit au moins 11 grands sous-marins à propulsion nucléaire.

Sommaire

La construction des deux derniers SNLE Boreï-AM débutera en 2024 pour la Marine russe

C’est précisément la construction des deux derniers SNLE de la classe Boreï, qui débutera en 2024, selon l’agence Tass, citant une source au ministère de la Défense russe.

Ces navires seront les troisièmes et quatrièmes unités, du troisième lot de SNLE russes de la classe Boreï. Le premier lot de trois navires de la classe Boreï, a été livré à la flotte du Nord (un navire) et à la flotte du Pacifique (deux navires), de 2012 à 2014, à raison d’un sous-marin chaque année.

SSBN Borei
La classe Borei aura été divisée en trois lots, et autant de sous-classes : Boreï, Boreï-A et Boreï-AM.

Le second lot porta sur 5 sous-marins d’une version évoluée, baptisée Boreï-A, disposant d’équipements de communication et de détection plus modernes, ainsi que d’une hydrodynamique redessinée, pour leur conférer une vitesse supérieure, une plus grande manœuvrabilité et une discrétion renforcée.

Comme les premiers Boreï, les Boreï-A emportent 16 missiles balistiques SLBM RSM-56 Bulava, d’une portée estimée supérieure à 10 000 km, pouvant emporter jusqu’à 10 têtes nucléaires à trajectoire indépendante MIRV. Le premier des Boreï-A, le Knyaz Vladimir, est entré en service en 2020, alors que la dernière unité du second lot, le Knyaz Pozharskiy, doit l’être en 2024, deux pour la flotte du Nord, les trois autres pour celle du Pacifique.

Le troisième, et pour l’heure, dernier lot de SNLE Boreï, porte sur quatre navires. La construction des deux premiers, le Knyaz Potemkin et le Dmitry Donskoy, a débuté en 2021. Les deux navires doivent rejoindre la flotte du Nord en 2026 et 2028.

Les troisièmes et quatrièmes Boreï de ce lot, et derniers navires de la classe, selon la planification actuelle, devraient être livrés, selon la source citée par Tass, en 2029 et 2030, à raison d’un navire par flotte.

6 SNLE pour la flotte du Nord, et 6 pour la flotte du Pacifique en 2030

De fait, selon cette source, les deux flottes principales de la Marine russe, la Flotte du Nord, basée à Mourmansk, et la Flotte du Pacifique, à Vladivostok, disposeront chacune de 6 SNLE Boreï en 2030.

SNLE Borei
Sur la GPV actuelle, chacune des deux grandes flottes russes alignera à la fin de la decennie, 6 SNLE de la classe Borei, soit autant que l’US Navy ne prevoit d’avoir de SSBN de la classe Columbia.

Ce format doit leur permettre, chacune, de conserver deux navires en patrouille en permanence, ainsi qu’un navire en alerte, conférant à Moscou un potentiel de 6 SNLE à la mer en temps de crise, peut-être davantage, autant que les États-Unis, et 50 % plus importante que la flotte de SNLE européenne.

La Marine russe disposera également de 576 à 960 têtes nucléaires prêtes au tir, au travers de cette flotte, soit bien plus qu’il n’en faut pour participer au dialogue stratégique mondial, en dépit d’un PIB 30 % inférieur à celui de la France, et d’une flotte de surface de haute mer en décrépitude.

Les quatre derniers sous-marins appartiendront à une nouvelle version Boreï-AM

L’Agence Tass fait référence, dans son article, non pas à des sous-marins de la classe Boreï-A, comme les 5 navires formant le second lot, mais d’une nouvelle sous-classe, baptisée Boreï-AM. Le M fait référence à une version Modernisée (модернизированный) de l’équipement, et apparait aussi dans la nomenclature du programme, le Projet 955AM.

La nature des modernisations apportées à ces nouveaux navires, n’est pas encore dévoilée. On peut penser, en application de la logique employée jusqu’ici dans ce programme par l’Amirauté russe, comme des chantiers navals Sevmash, qui construiront les navires, que les deux navires les précédant, appartiendront, eux aussi, à cette sous-classe.

Davantage de SNLE russes au-delà de 2030 ?

Les deux derniers SNLE dont la construction vient d’être annoncée, devraient, selon la planification russe actuelle, être les derniers navires de ce type à entrer en service. Pour autant, il se pourrait bien que Moscou table sur une flotte de SNLE plus imposante, dépassant celle des États-Unis, avec 12 SSBN classe Columbia planifiés.

SSGN Iassen
Le dernier des SSGN classe Iassen devrait être livré au debut de la prochaine decennie.

En effet, la fin annoncée du programme P955-A-AM Boreï d’une part d’ici à 2030, mais aussi du programme P885-M Iassen, va laisser l’outil productif russe dans le domaine des sous-marins nucléaires, sans activité suffisante pendant près de deux décennies, ce après avoir fourni un effort colossal pour retrouver ses compétences et moderniser la flotte sous-marine russe, en 20 ans seulement.

Pour l’heure, aucun programme de sous-marins à propulsion nucléaire n’a été annoncé par Moscou pour cette période, ni de SSN pour remplacer les Akula et renforcer les SSGN Iassen et Anteï, ni pour étendre la flotte de SNLE.

Il est probable, cependant, que de nouvelles annonces interviendront lors de la préparation de la prochaine loi de programmation militaire pluriannuelle, ou GPV, celle actuelle se terminant en 2027.

Cette hypothèse est d’autant plus probable que, dans une interview donnée à RIA Novosti, igor Vilnit, le PDG de Rubin, a indiqué que si la classe Arktur, qui doit succéder aux Anteï et Iassen, n’entrera pas en service avant 2050, le « remplacement des Boreï », en revanche, devrait débuter à partir de 2037.

Sachant qu’à ce moment-là, le plus ancien des Boreï, le Yury Dolgorukiy, n’aura que 25 ans, et que les Delta IV russes qui l’ont précédé, ont navigué pendant plus de 40 ans, on peut supposer que Moscou prévoit d’accroitre sa flotte de SNLE au début de la prochaine décennie, peut-être jusqu’à 16 navires, pour maximiser son ascendant stratégique dans ce domaine, face aux États-Unis, mais également face à la Chine, et ainsi garantir sa position dans le concert des super-puissances militaires mondiales, si pas économiques.

Article du 28 mars en version intégrale jusqu’au 12 mai 2024

MOSCOU :  « Khorasan »: un État islamique, terroriste non-identifié

MOSCOU :  « Khorasan »: un État islamique, terroriste non-identifié

Xavier Raufer* – Esprit Surcouf – publié le 3 mai 2024
Criminologue

https://espritsurcouf.fr/securite_moscou-khorasan-un-etat-islamique-terroriste-non-identifie/


Le terrible attentat qui a frappé Moscou le 22 mars dernier (150 morts et plus de 450 blessés )est l’occasion pour l’auteur, spécialiste du terrorisme) de se poser quelques questions sur l’origine des acteurs de cet attentat. Certainement pas l’Ukraine , comme a voulu le faire croire la propagande russe. Mais sans doute « l’État islamique du Khorasan ». L’auteur explique les racines et les modes d’action de cette organisation terroriste méconnue en occident mais inquiétante.

QUE sait-on à ce jour des terroristes ayant frappé Moscou (désormais, quelque 150 morts) ? Tous quatre sont arrivés d’Istanbul peu avant l’attentat. La « spécialité » de l’État islamique – ci-après ISIS-K – au Khorasan (Aire historique entre Iran oriental et Asie centrale) étant l’attaque de mosquées en mode « stratégie de la tension », la trouvaille (outre des photos du complexe culturel moscovite) de celles de mosquées d’Istanbul dans le smartphone d’un des terroristes a précipité la coopération entre le renseignement russe (FSB) et son homologue turc, le MIT.

Peu après, le MIT découvrait près d’Istanbul deux bases secrètes d’ISIS-K et y arrêt- tait 32 Tadjiks et 9 Kirghizes. Après interrogatoire des plutôt rugueux services turcs, les aveux ont afflué. Selon nos sources, ils ont permis d’identifier en Russie cinq réseaux dormants, entre Moscou et Toula ; et des métastases de l’appareil d’ISIS-K, jusqu’en Afghanistan et en Syrie.

Des prises de sang ont révélé qu’avant l’assaut, ces quatre terroristes Tadjiks de 19 à 32 ans se sont dopés au Capta gon, la « Drogue du courage » des milices du Moyen-Orient, amphétamine violemment stimulante, permettant de veiller des nuits entières. Ici, première incohérence : la guerre « sainte », Djihad, diffère de la « mission de sacrifice » (Shahadat) dont on ne revient pas et où des « martyrs » sacrifient leur vie pour l’Oumma (communauté des croyants). On a pu autopsier de ces « martyrs » après de telles missions : nul d’entre eux, jamais, n’avait absorbé d’alcool ou d’excitants.

Ceux de Moscou, oui. Étrange.

Mais l’enquête des services russes, turcs et tadjiks ne saura se borner aux constatations humaines ou matérielles : une tâche autrement plus ardue les attend : découvrir ce que camoufle l’appellation (tout sauf claire) d’ »État islamique au Khorasan ». De fait, poser un diagnostic juste suppose l’usage de termes appropriés mais d’abord, de savoir de quoi on parle. Or après le terrible attentat de Moscou, les médias dépeignent l’ »État islamique », Daesh de son acronyme arabe, comme une entité terroriste banale et bien connue, genre al-Qaïda, pour garder le registre islamiste.

Alors que Daesh est tout sauf ça – et traîne même dès son émergence, voici près de vingt ans, une persistante réputation d’agent provocateur.

Son fondateur – Abu Musab al-Zarkawi (kuniya, nom de guerre, de Ahmed Fadel Nazar al-Khalaylah), voyou toxicomane issu de la ville de \arka, proche d’Amman en Jordanie, islamisé en prison. Lourdement condamné puis bizarrement libéré, Oussama ben Laden le soupçonne d’avoir été recruté par les services spéciaux jordaniens et le tient à distance. Ensuite, Karkawi multiplie les attentats-provoc’ contre des mosquées chi’ites irakiennes, déclenchant une guerre sectaire bien utile à l’armée américaine, en mode « diviser pour régner ». Et quand Karkawi quitte Al-Qaïda  en Irak, première étape de la fondation de « l’État islamique », on ne voit pas al-Qaïda s’en désoler beaucoup.

Son architecte – Plus bizarre encore : toute l’architecture de l’appareil politico-militaire de Daesh – son « code-source » dit un expert irakien de l’islamisme – revient à Samir abd Muhammad al-Khlifawi dit « Hajj Bakr ». Un fanatique moudjahid ? Non : un colonel du renseignement de l’armée de l’air de Saddam Hussein. Retrouvé aux archives de l’état-major irakien, son dossier contient des photos d’un bon vivant trin- quant, verre de whisky en main, près de son épouse en robe légère et cheveux au vent. Pas très salafiste, tout ça…

Son encadrement – Fin 2017, des « Sources informées israéliennes » – difficile d’être plus clair… – produisent une remarquable étude sur l’encadrement de l’État islamique, partant des dossiers de 129 de ses dirigeants, dûment identifiés : à 73% irakiens et TOUS issus de l’armée, des services spéciaux ou de la police de Saddam… Pas vraiment la sociologie d’un groupe islamiste… À Bagdad, un dignitaire chi’ite ironise : « l’État islamique, c’est l’appareil régalien de Saddam, plus les barbes et les siwak » (Bâtonnets en bois odorant servant de brosse à dents ; populaires chez les islamistes, car le Prophète en usait souvent).

Dans la galaxie État islamique, ISIS-K n’est qu’une lointaine filiale, issue en 2014 d’une scission des Taliban du Pakistan différents de ceux de Kaboul. Depuis, ISIS- K survit à l’est du pays, commettant parfois un attentat meurtrier : 13 soldats américains tués lors de l’évacuation de Kaboul à l’été 2021, un attentat-suicide à l’ambassade russe locale, en septembre 2022.

Autre mystère : au pouvoir à Kaboul, les Taliban afghans surveillent les bases d’ISIS-K à l’est du pays et affirment aux services russes qu’aucun téléphone des terroristes ayant frappé Moscou ne les a contactées. Mais qui donc finance ISIS-K ? Qui déclenche ses attentats ? On l’ignorera jusqu’à ce que l’enquête Russo-turco-tadjike ait abouti si ses résultats sont un jour dévoilés. 

(*) Xavier Raufer, criminologue, est directeur d’études au pôle sécurité-défense du Conservatoire National des Arts et Métiers. Il est Professeur associé à l’institut de recherche sur le terrorisme de l’université Fu Dan à Shanghaï, en Chine, et au centre de lutte contre le terrorisme, la criminalité transnationale et la corruption de l’Université Georges Mason (Washington DC). Directeur de collection au CNRS-Editions, il est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés à la criminalité et au terrorisme.

Il a écrit  “A qui profite le djihad ?”  publié en mars 2021 aux Éditions Cerf, et présenté dans la rubrique LIVRES dans le numéro 164.

Comment la guerre d’Ukraine change l’Europe ? S. Kahn

Comment la guerre d’Ukraine change l’Europe ? S. Kahn

Par Arthur Robin, Marie-Caroline Reynier, Pierre Verluise, Sylvain Kahn -Diploweb – publié le 4 mai 2024  

https://www.diploweb.com/Video-Comment-la-guerre-d-Ukraine-change-l-Europe-S-Kahn.html


Sylvain Kahn, professeur agrégé d’histoire à Sciences Po, docteur en géographie, chercheur au Centre d’histoire de Sciences Po. Auteur de « L’Europe face à l’Ukraine », PUF, 2024.
Synthèse de la conférence par Marie-Caroline Reynier, diplômée d’un M2 de Sciences Po. Co-organisation de la conférence Pierre Verluise, fondateur du Diploweb et l’ADEA MRIAE de l’Université Paris I, CINUP et Centre géopolitique. Images et son : Arthur Robin. Montage : Arthur Robin et Pierre Verluise.

Alors que la guerre d’Ukraine a débuté le 24 février 2022, quelle est la situation sur le front 2 ans après ? Quelles sont les transformations induites par la guerre d’Ukraine en Europe ? En quoi cette guerre a-t-elle un impact sur la société européenne ainsi que sur la construction européenne ? Est-ce que la guerre d’Ukraine a un impact sur les opinions publiques européennes ? Le Pr Sylvain Kahn répond. La vidéo est accompagnée d’une synthèse rédigée par Marie-Caroline Reynier, validée par S. Kahn.

Cette vidéo peut être diffusée en amphi pour nourrir un cours et un débat. Voir sur youtube/Diploweb

Synthèse de la conférence complète par Marie-Caroline Reynier pour Diploweb, validée par S. Kahn

Alors que la guerre d’Ukraine a débuté le 24 février 2022, quelle est la situation sur le front 2 ans après ?

Sylvain Kahn [1] rappelle la chronologie de l’opération militaire lancée par l’État russe en février 2022, dont l’objectif était d’envahir et de contrôler la totalité de l’Ukraine. Cette offensive est rapidement stoppée, à la grande surprise des observateurs puisque l’armée ukrainienne est, sur le papier, bien moins importante que celle de l’État russe. Durant l’automne 2022, l’armée russe est repoussée au-delà de la rive droite du Dniepr. La Russie occupe mi-mars 2024 une partie (17 à 20 %) du territoire ukrainien, dans l’Est.

S. Kahn constate que la guerre d’Ukraine est partie pour durer longtemps, et fait l’analogie, en termes de durée et de forme de front, avec la Première Guerre mondiale (1914-1918). Plus précisément, il compare la situation de mars 2024 avec la ligne de front en 1916, figée mais caractérisée par des combats quotidiens, durs et très meurtriers. En effet, le front en Ukraine n’est actuellement pas gelé mais bien figé. Le fait que cette guerre puisse durer longtemps incite les Ukrainiens à demander davantage de matériel à leurs alliés européens. Si les Européens et les Américains ont puisé dans leurs stocks, l’Ukraine n’est mi-mars 2024 pas suffisamment approvisionnée pour riposter comme elle le souhaite. Les Ukrainiens s’adaptent donc pour fabriquer une zone de défense et éviter une contre-offensive russe au printemps 2024. Enfin, en raison des dissensions américaines concernant le soutien à l’Ukraine, S. Kahn souligne que la capacité ukrainienne à changer le cours de la guerre repose de plus en plus sur les épaules des Européens. Pour que les pays membre de l’UE atteignent leur objectif, fixé en Conseil européen, à savoir que l’Ukraine recouvre l’entièreté de son intégrité territoriale, ceux-ci doivent faire plus pour aider l’Ukraine.

S. Kahn fait également le point sur le lourd bilan humain causé par cette guerre. Du côté ukrainien (dont la population est de 38 millions d’habitants), si le gouvernement avance officiellement le chiffre de 31 000 morts, la fourchette se situerait plutôt entre 50 000 et 80 000 morts, et 100 000 retirés (personnes blessées). Ce bilan est d’autant plus coûteux pour l’Ukraine que l’armée russe a pour tactique de bombarder systématiquement les villes (ce faisant, les populations civiles) et les infrastructures critiques que les Ukrainiens reconstruisent quasiment au jour le jour. Du côté russe (dont la population atteint 144 millions d’habitants), le nombre de morts au combat serait 2 fois plus élevé que chez les Ukrainiens. En effet, le gouvernement russe ne cherche pas à économiser ses troupes, au contraire. La Russie envoie ainsi des prisonniers au front, verse des soldes élevées pour attirer les citoyens de la Fédération de Russie, en particulier des territoires périphériques défavorisés, et offre d’importants dédommagements afin d’éviter les mouvements de contestation des familles.

Sylvain Kahn
Sylvain Kahn, professeur agrégé d’histoire à Sciences Po, docteur en géographie, chercheur au Centre d’histoire de Sciences Po. Auteur de « L’Europe face à l’Ukraine », PUF, 2024.

Quelles sont les transformations induites par la guerre d’Ukraine en Europe ? En quoi cette guerre a-t-elle un impact sur la société européenne ainsi que sur la construction européenne ?

S. Kahn note que l’expression « la guerre est de retour en Europe » est beaucoup usitée. Cependant, aucun pays européen (au sens des 30 pays membres de l’Union européenne et de l’Espace économique européen) ne fait la guerre. Même si la question de l’envoi de troupes au sol a été soulevée par le président français E. Macron le 26 février 2024 lors de la Conférence de soutien à l’Ukraine, aucun pays membre de l’UE n’envoie actuellement de contingent en Ukraine (hors forces spéciales, par définition peu nombreuses et clandestines). S. Kahn mentionne également l’utilisation de l’expression « économie de guerre », employée lorsque le politique décide d’orienter l’appareil productif vers l’industrie militaire de manière coercitive, sans que cela ne se matérialise pour l’instant. Pour autant, comme l’illustrent de nombreuses enquêtes d’opinion, dont les Eurobaromètres, les Européens peuvent avoir le sentiment d’être menacé actuellement.

En outre, cette guerre permet aux Européens de réaliser qu’ils disposent d’une boîte à outils, l’UE et ses politiques publiques, construite depuis 3 générations. En effet, S. Kahn souligne la longévité de la construction européenne, depuis la Déclaration Schuman (1950), le Traité de Paris (1951) instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) et le Traité de Rome (1957).

Durant ce qu’il désigne comme la « crise des 15 ans » (2005 à 2020), le sentiment dominant était que l’Union européenne faisait partie du problème et des nombreuses difficultés à résoudre. Depuis 2020, au vu de sa réponse – collective – au Brexit, puis de celles données aux chocs externes du COVID et de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’impression dominante est que l’UE fait partie de la solution.

La guerre d’Ukraine concerne tout particulièrement l’UE puisque l’UE partage 2257 km de frontières communes avec la Russie – dont l’exclave de Kaliningrad – et 1300 km de frontière avec l’Ukraine qui est un pays associé à l’UE depuis 2017.

Enfin, la guerre d’Ukraine a un impact décisif sur la construction européenne en ce que les États européens ont décidé d’agir de façon géopolitique depuis février 2022 : ils décident d’élargir à nouveau l’UE pour lutter contre la Russie ; et ils se posent avec acuité la question de leur défense collective dans le cadre de l’UE. Comme le soulignent les enquêtes Eurobaromètre, les citoyens européens s’expriment nettement en faveur de la mise en place d’une politique européenne de défense. Néanmoins, en dépit de cette demande citoyenne pour une défense européenne, la classe politique ne se presse pas d’y répondre de façon effective. Or, cette demande devient urgente. S. Kahn met donc en avant l’opportunité que représentent les élections européennes de juin 2024 pour que les gouvernements et les citoyens se saisissent du thème de débat suivant : qu’est-ce que serait une politique européenne de défense ? Ce sujet est paradoxal puisque la construction européenne se caractérise par l’absence de guerre entre les pays qui en sont membres.

En ce sens, S. Kahn reprend à son compte l’interrogation formulée par Jean-Louis Bourlanges, président de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale : est-ce que les Européens sont en paix parce qu’ils ont fait l’UE ou est-ce qu’ils ont fait l’UE car ils sont en paix ? Il avance l’hypothèse suivante : lorsqu’un pays demande à entrer dans l’UE, il sait que faire la guerre à ses voisins n’est plus une option. Les Européens ont ainsi rompu avec leur histoire pluriséculaire, à savoir « qu’en Europe, l’État a fait la guerre et la guerre a fait l’État » (Charles Taylor).

Le prix Nobel de la paix attribué à l’UE en 2012 est venu souligner que les Européens ne se font plus la guerre entre eux depuis 60 ans (près de 75 ans maintenant). Néanmoins, un changement prégnant est à l’œuvre : alors que les Européens se sont construits autour de l’idée qu’ils ont mieux à faire que la guerre entre eux, ils se demandent désormais comment ils peuvent ensemble se préparer à se défendre et à faire la guerre à un État extérieur à eux susceptible de les agresser d’une façon ou d’une autre.

Est-ce que la guerre d’Ukraine a un impact sur les opinions publiques européennes ?

Les enquêtes Eurobaromètre, notamment, montrent un clair soutien de l’opinion publique européenne aux mesures prises par l’Union européenne en réponse à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Si les Européens s’expriment majoritairement en faveur de la politique européenne pour l’Ukraine, cette majorité peut être écrasante (Portugal, Pays-Bas, Estonie) ou nette ; elle peut-être plus mesurée dans certains pays seulement (Grèce, Slovaquie, Bulgarie).

Plus précisément, ces enquêtes mesurent le soutien aux différentes manières dont l’UE soutient l’Ukraine, à savoir l’aide humanitaire aux populations touchées par la guerre, le soutien financier et budgétaire, le soutien militaire, les sanctions économiques contre la Russie. Sur ces quatre items, le soutien humanitaire recueille la plus grande approbation ; le soutien financier fait l’unanimité, avec des nuances sensibles selon les pays ; le soutien militaire, majoritaire, est le soutien qui est le plus nuancé. Ainsi, le Portugal, l’Irlande, la Suède, les Pays-Bas, la Pologne, la Finlande, l’Estonie sont les pays où l’opinion publique exprime la plus nette approbation concernant le soutien militaire. Si certains de ces pays (Suède, Finlande, Estonie, Pologne) ont pour point commun d’avoir été directement confronté à l’impérialisme russe puis soviétique, d’autres (Portugal, Pays-Bas, Irlande) partagent avec eux le trait caractéristique d’avoir été en proie à l’impérialisme d’un pays voisin au cours de leur histoire.

Enfin, S. Kahn note que, mi-mars 2024, le débat concernant la politique européenne de défense n’est pas présent dans la campagne des élections européennes. Sans doute car ce sujet est consensuel. Les sujets structurants sont plutôt le Pacte vert et la politique migratoire européenne. Il explique cette absence de débat en matière de défense par le net soutien à la politique menée par l’UE en appui à l’Ukraine. Mais, S. Kahn souligne que ce débat serait opportun, afin de déterminer concrètement la nature de cette politique ainsi que les choix industriels et budgétaires.

Copyright Mai 2024-Reynier/Diploweb.com

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Les États-Unis installent des missiles à moyenne portée aux Philippines

Les États-Unis installent des missiles à moyenne portée aux Philippines

par Alex Wang – Revue Conflits – publié le 2 mai 2024

https://www.revueconflits.com/les-etats-unis-installent-des-missiles-a-moyenne-portee-a-philippines/


Les États-Unis ont récemment déployé le système de missiles terrestres à moyenne portée aux Philippines en invoquant des exercices conjoints. Cette initiative, la première du genre dans la région indopacifique, est perçue comme provocatrice et irresponsable par de nombreux pays locaux. Elle pourrait aggraver les tensions dans une région déjà très instable, à moins qu’il ne s’agisse d’une action délibérée.

Les États-Unis ont récemment déployé le système de missiles terrestres à moyenne portée (MRC : Mid Range Capability), également appelé système Typhon, aux Philippines pendant un exercice militaire conjoint.

Un geste perçu comme provocateur et irresponsable

Le système Typhon est équipé du missile Standard Missile 6 (SM-6), à tête conventionnelle ou nucléaire, capable de défense antimissile et de ciblage naval jusqu’à 370 kilomètres, ainsi que du missile d’attaque terrestre Tomahawk, avec une portée de 1 600 kilomètres. Son déploiement envoie un message clair selon lequel les États-Unis sont prêts à utiliser des armes offensives près des installations chinoises en mer de Chine méridionale, au sud de la Chine continentale, le long du détroit de Taiwan et même dans la région extrême-orientale de la Russie.

Cette action survient dans un contexte régional déjà tendu, suscitant de vives réactions, notamment de la part de la Chine, qui s’est opposée fermement à cette installation devant sa porte, sachant que la distance entre Luçon et la province du Hainan, terre chinoise la plus proche, est à près de 900 km. Le déploiement du système Typhon soulève des préoccupations quant à l’escalade des tensions et à la possibilité de conflits dans cette région stratégique.

Tout cela nous fait penser tout de suite à la crise des missiles de Cuba.

L’antécédent de la crise des missiles de Cuba

La crise des missiles de Cuba, également connue sous le nom de crise de Cuba, a eu lieu en octobre 1962 et a été l’un des moments les plus tendus de la guerre froide. Elle a été déclenchée lorsque les États-Unis ont découvert que l’Union soviétique déployait des missiles nucléaires à Cuba, à seulement 160 km des côtes américaines.

Cette découverte a provoqué une confrontation intense entre les États-Unis et l’Union soviétique, menaçant de déclencher une guerre nucléaire. Pendant plusieurs jours, le monde a retenu son souffle alors que les deux superpuissances se faisaient face. Les États-Unis ont imposé un blocus naval autour de Cuba pour empêcher d’autres livraisons d’armes, et le président américain de l’époque, John F. Kennedy, a exigé le retrait des missiles soviétiques de Cuba.

Finalement, après des négociations intenses entre Kennedy et le dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev, un accord a été conclu. L’Union soviétique a accepté de retirer ses missiles de Cuba en échange de la promesse des États-Unis de ne pas envahir Cuba et de retirer leurs missiles de Turquie, armés de têtes nucléaires. Leur présence en Turquie était considérée comme une provocation par l’Union soviétique, car ils étaient à portée de frappe de certaines régions soviétiques.

Cet épisode a été considéré comme un moment crucial de la guerre froide, soulignant à quel point les tensions entre les deux superpuissances pouvaient être dangereuses et les conséquences catastrophiques d’un conflit nucléaire.

Allons-nous revivre une crise similaire ? Est-ce un accident ou une stratégie délibérée ?

Une stratégie des cercles de feu

Le Centre for Strategic and Budgetary Assessments (CBA) a publié en 2022 une étude détaillée intitulée : « Cercles de feu : une stratégie de missiles conventionnels pour un monde post-traité INF » (Rings of fire : A Conventional Missile Strategy For A Post-INF Treaty World).

Les figues 3 et 4 de ce rapport (Cf. ci-dessous) montrent très clairement que les cercles de feu font partie intégrante d’une stratégie américaine en Indo-Pacifique, avec la Chine comme cible, et en Europe, visant la Russie.

  

FIGURE 3 (gauche) : LES TROIS ANNEAUX DU THÉÂTRE INDO-PACIFIQUE

FIGURE 4 (droit) : LES TROIS ANNEAUX DU THÉÂTRE EUROPÉEN

Le déploiement à Philippines est donc un test de cette stratégie, en utilisant la tactique du Fait accompli.

L’impact sur l’équilibre géopolitique de la région

Les États-Unis cherchent à empêcher la Chine de gagner du terrain dans le Pacifique en établissant, avec ses alliés, des bases militaires à proximité de ses frontières. L’introduction de missiles à moyenne portée marque une évolution significative dans cette stratégie.

La stratégie des chaînes d’îles, également connue sous le nom de « containment » maritime, fait partie de son approche. Cela fait référence à la méthode de défense employée par les États-Unis et leurs alliés pour empêcher la Chine de sortir vers le Pacifique. Dans cette stratégie, les États-Unis et leurs partenaires cherchent à maintenir une présence navale importante dans les eaux stratégiques de la région.

Les États-Unis utilisent également des alliances et des partenariats régionaux pour renforcer cette stratégie. Par exemple, des exercices militaires conjoints sont régulièrement organisés avec des pays comme le Japon, les Philippines et l’Australie pour renforcer la coopération en matière de sécurité, sous prétexte de garantir la stabilité de la région.

Cette dynamique entre les États-Unis et la Chine dans la région Asie-Pacifique reste l’un des points chauds de la géopolitique mondiale, avec des implications importantes pour la sécurité régionale et la stabilité économique. La Chine, de son côté, considère cette stratégie comme une tentative d’endiguer son ascension en tant que puissance régionale et mondiale. Elle a régulièrement appelé à des négociations bilatérales pour résoudre les différends maritimes.

On a beaucoup de mal à croire que l’installation des missiles à moyenne portée capable de porter des têtes nucléaires devant la porte de la Chine vise à garantir la stabilité de la région.

Les missiles à moyenne portée américains déployés aux Philippines pourraient aussi potentiellement menacer les installations militaires russes dans l’Extrême-Orient, y compris des villes comme Vladivostok, en fonction de leur portée et de leur capacité à atteindre ces cibles. Le déploiement de tels missiles et leur utilisation éventuelle dans une région aussi sensible auraient des implications stratégiques majeures et pourraient rapidement intensifier également les tensions entre les États-Unis et la Russie, ainsi que perturber davantage l’équilibre géopolitique de la région.

Dans un contexte de relations tendues entre les États-Unis et la Russie, tout mouvement visant à déployer des missiles américains à sa proximité est perçu comme une provocation par la Russie, et cela pourrait entraîner des réponses militaires ou diplomatiques de la part de Moscou.

Une série d’escalades possibles ?

L’installation des missiles à moyenne portée aux Philippines a déclenché des réactions importantes de la part de la Chine et de la Russie, en raison de leurs propres intérêts géopolitiques dans la région.

La Chine considère le déploiement de missiles américains aux Philippines comme une provocation directe et une menace pour sa sécurité nationale. La Chine peut intensifier ses activités militaires dans la région pour contrebalancer la présence américaine, ce qui pourrait inclure le déploiement de ses propres missiles et d’autres systèmes de défense, ainsi que des démonstrations de force navale.

Lors d’une conférence de presse régulière la semaine dernière, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Lin Jian, a accusé les États-Unis de chercher à obtenir un « avantage militaire unilatéral » et a souligné l’opposition vigoureuse de la Chine au déploiement. Il a appelé les États-Unis à prendre sincèrement en compte les préoccupations sécuritaires des autres pays, à cesser de nourrir les confrontations militaires, à cesser de compromettre la paix et la stabilité régionales, et à prendre des mesures tangibles pour réduire les risques stratégiques.

Les actions concrètes suivent les paroles. Un drone du type WZ-7 chinois, capable des longues heures de vol, a été envoyé immédiatement à la proximité de 55 km des Philippines. Il se peut également que l’Armée populaire de Libération (APL) renforce davantage ses forces en mer de Chine méridionale, notamment près des Philippines.

La Russie a perçu également ce geste américain comme une menace pour ses propres intérêts régionaux, en particulier en ce qui concerne ses bases militaires dans l’Extrême-Orient russe. Ils peuvent répondre en renforçant sa présence militaire dans la région, en augmentant le déploiement de forces navales et aériennes, ainsi qu’en renforçant les défenses antiaériennes et antimissiles autour de Vladivostok. La Russie peut chercher à renforcer sa coopération stratégique avec la Chine et d’autres acteurs régionaux pour contrer l’influence américaine.

Le vice-ministre des Affaires étrangères russe Sergey Ryabkof a déclaré très récemment

« Comme cela a été récemment discuté lors de la visite du ministre russe des Affaires étrangères [Sergueï Lavrov] à Pékin, nous devons répondre au double confinement par une double contre-mesure. L’un des points de cette contre-attaque sera sans aucun doute une révision de notre approche du moratoire unilatéral sur le déploiement de tels systèmes annoncés en 2018 par notre président [Vladimir Poutine] »» Le message est très clair.

Washington devrait considérer que certaines opérations ou installations militaires de leurs concurrents pourraient également être situées à proximité géographique des États-Unis comme dans le cas de la crise de Cuba. Une série d’escalades est tout à fait possible.

Il ne faudrait pas jouer avec le feu

Dans un contexte géopolitique aussi complexe, même une présence temporaire de missiles à moyenne portée aux Philippines entraînerait des conséquences significatives pour la sécurité et la stabilité régionales.

Selon certains généraux, l’Armée américaine va installer, cette année, de nouveaux missiles à moyenne portée dans l’Asie-Pacifique. Les États-Unis doivent se rendre compte de l’impact de ses actions provocatrices et y réfléchir sérieusement quant à la suite des événements.

Il est essentiel pour tous les acteurs de trouver rapidement une solution pour apaiser cette source de tension dans la région. Il est préférable de ne pas prendre de risques inutiles en jouant avec le feu.

Le troisième porte-avions chinois est sur le point de commencer ses essais en mer

Le troisième porte-avions chinois est sur le point de commencer ses essais en mer

https://www.opex360.com/2024/04/30/le-troisieme-porte-avions-chinois-est-sur-le-point-de-commencer-ses-essais-en-mer/


Aussi, tout laisse à penser que la première campagne d’essais de ce nouveau navire est sur le point de commencer. Certainement que plusieurs seront nécessaires avant son admission au service actif, d’autant plus qu’il présente plusieurs nouveautés par rapport aux deux autres qui l’ont précédé, à savoir le CNS Liaoning [ex-Varyag] et le CNS Shandong.

Affichant un déplacement d’au moins 80’000 tonnes pour une longueur de 320 mètres, le CNS Fujian a été construit selon une configuration dite CATOBAR [Catapult Assisted Take-Off But Arrested Recovery], c’est à dire qu’il est doté de catapultes et de brins d’arrêt, comme les porte-avions français et américains. Pour l’aéronavale chinoise, ce changement est de taille puisque le pont d’envol des CNS Liaoning et CNS Shandong est muni d’un tremplin en lieu et place des catapultes.

La configuration CATOBAR permet plus de flexibilité et de souplesse dans les opérations aériennes. Le CNS Fujian pourra ainsi mettre en œuvre l’avion de guet aérien KJ-600 ainsi que le chasseur-bombardier J-35, dérivé du FC-31 « Gyrfalcon ». Des maquettes de ces deux types d’appareils ont d’ailleurs été récemment photographiées sur le pont du navire.

En outre, comme les porte-avions américains de la classe Gerald Ford, le CNS Fujian est doté d’au moins trois catapultes électromagnétiques [EMALS], comme l’ont confirmé les images des récents tests dont elles ont fait l’objet. Par rapport aux catapultes à vapeur, un tel dispositif présente plusieurs avantages, dont des contraintes mécaniques moindres sur les aéronefs, une maintenance plus facile et une fréquence plus élevée des lancements.

 

Pour rappel, le principe de l’EMALS, dont le développement a donné du fil à retordre à l’US Navy, repose sur un moteur linéaire à induction électromagnétique [LIM]… lequel consomme une importante quantité d’énergie en quelques secondes. D’où la nécessité de recourir à des volants d’inertie, pouvant emmagasiner jusqu’à 100 mégajoules et être rechargés en moins d’une minute. Sur le porte-avions Gerald Ford, l’énergie nécessaire est fournie par ses deux puissantes chaufferies nucléaires… Or, le CNS Fujian dispose d’une propulsion classique…

Premier porte-avions de construction entièrement chinoise, le CNS Shandong avait démarré ses essais à la mer en 2018. Mais ceux-ci donnèrent lieu à des « ajustements » et son admission au service actif fut officialisée en décembre 2019, avec quelques mois de retard [et trente-deux mois après son lancement]. Aussi, l’objectif d’engager le CNS Fujian en opération en 2025 paraît bien ambitieux.

Quoi qu’il en soit, en mars, le commissaire politique de la marine chinoise, l’amiral Yuan Huazhi, a confirmé qu’un quatrième porte-avions serait construit, sans préciser s’il disposera d’une propulsion nucléaire.

Le port flottant pour Gaza entre dans sa phase initiale de construction

Le port flottant pour Gaza entre dans sa phase initiale de construction

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par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 26 avril 2024

https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/


Les États-Unis ont commencé la construction d’une jetée flottante à Gaza, a annoncé jeudi le Pentagone. Ce projet est destiné à faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire dans le territoire palestinien bombardé et assiégé par Israël. Jusqu’à présent, les Américains ont largué 2200 tonnes d’aide alimentaire, mais c’est insuffisant; d’où la mise en place d’une infrastructure flottante pour acheminer par voie maritime un supplément d’aide;

L’information a été donnée lors du point presse de jeudi soir par un officier américain qui a annoncé « que l’assemblage des éléments de la jetée a débuté au large de la côte de Gaza ». 

Les travaux ont donc commencé en dépit des mésaventures de ces derniers jours avec deux des huit navires acheminant les éléments des quais et jetées connaissant des problèmes techniques (voir mon post). Mais, selon le Pentagone, « tous les navires et les personnels nécessaires pour l’exécution de la phase initiale  de la mission sont en place dans l’est de le Méditerranée« . 

L’aide arrivera dans un premier temps à Chypre, où elle fera l’objet de vérifications, puis sera préparée en vue de son acheminement, a précisé un haut responsable militaire américain. Elle sera ensuite transportée par des navires commerciaux sur une plateforme flottante au large de la bande de Gaza, puis par des navires plus petits jusqu’à la jetée. La capacité opérationnelle sera au début de 90 camions d’aide par jour, puis de 150 par jour. Actuellement, en moyenne 220 camions entrent chaque jour dans la bande de Gaza.

Retrait des troupes américaines au Niger : un revers pour Washington ?

Retrait des troupes américaines au Niger : un revers pour Washington ?

Pointant du doigt un manque de souveraineté, les dirigeants nigériens ont poussé les États-Unis à retirer leurs troupes du Niger le 19 avril dernier. Alors que les Américains disposaient d’une place stratégique au Sahel, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme islamiste, le départ forcé des Américains représente un nouveau revers pour les Occidentaux dans la région alors que la Russie ou la Chine gagnent du terrain. Quelle analyse peut-on tirer de la situation et l’influence états-unienne au Niger et au Sahel ? Éléments de réponse avec Jeff Hawkins, ancien diplomate américain et chercheur associé à l’IRIS.

Le 19 avril dernier, Washington a annoncé le retrait de ses militaires au Niger sous la pression de la junte au pouvoir. Pourquoi le Niger a-t-il décidé de rompre avec les États-Unis ? Quel rôle occupaient les Américains sur place ?

Les relations américano-nigériennes sont actuellement au plus bas et ce n’est pas ce que souhaitaient les États-Unis. Jusqu’à l’année dernière, le gouvernement américain considérait le Niger comme un partenaire essentiel dans la région, un allié démocratique pleinement engagé dans la lutte contre l’extrémisme islamiste. Le coup d’État de juillet 2023 à Niamey, qui a porté au pouvoir le Conseil pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), a tout changé. Peu après le coup d’État, Washington a été contraint, en vertu de la législation américaine, de suspendre la majeure partie de l’aide américaine au Niger. Cette aide comprenait 200 millions de dollars d’assistance bilatérale et la planification d’un projet de transport de 302 millions de dollars financé par le Millennium Challenge Account des États-Unis. Les États-Unis ont également suspendu leurs opérations militaires dans le pays, notamment celles menées à partir de la base aérienne 201 d’Agadez, sans toutefois retirer les plus de 1 000 personnes qui constituaient la présence américaine sur place. En mars, le CNSP de plus en plus hostile s’est retiré de l’accord sur le statut des forces régissant la présence militaire américaine au Niger. Peu après, une délégation américaine de haut niveau s’est rendue à Niamey, dans l’espoir d’aider à remettre le Niger sur la voie de la démocratie et de trouver un moyen de reprendre la coopération militaire. Les Nigériens ont repoussé cet effort. D’autres négociations à Washington n’ont pas non plus réussi à faire fléchir le CNSP. Le coup d’État a peut-être empêché les États-Unis de poursuivre leurs activités habituelles, mais cela ne signifie pas que Washington ait cherché la rupture.  Ce sont plutôt les Nigériens qui ont torpillé la relation.

Pourquoi Niamey a-t-elle agi de la sorte ? Les dirigeants nigériens ont formulé leur décision en termes de souveraineté. Un nouveau gouvernement patriote, selon le CNSP, a cherché à renverser une présence américaine « illégale » « en tenant compte des intérêts et des aspirations de son peuple ».  Cette décision fait suite au renvoi tout aussi brutal de la présence militaire et diplomatique française au Niger l’année dernière.  Ces deux actions peuvent être considérées comme un effort pour obtenir la légitimité d’un gouvernement militaire non légitime et non démocratique.  Dans de nombreuses régions d’Afrique francophone, les mesures anti-françaises attirent toujours les foules. En chassant les Français, il était certain que la junte bénéficierait d’un certain soutien populaire. Bien que la présence américaine au Niger s’accompagne de beaucoup moins de bagages que la présence française, les actions des Nigériens à l’égard des États-Unis peuvent être considérées de la même manière.  Compte tenu des inévitables préoccupations concernant la démocratie et les droits de l’homme, tant à Paris qu’à Washington, et de la suspension de l’aide, le choix du CNSP n’a pas été difficile. Comme nous le verrons, les Russes ont fourni une alternative toute trouvée. Les impacts à plus long terme de la décision sur le Niger, notamment en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, seront presque négatifs.

Jusqu’au gel actuel des relations, les États-Unis étaient un acteur important au Niger. La présence militaire américaine à Agadez et à Niamey était l’une des plus importantes d’Afrique subsaharienne et se concentrait sur les cibles d’Al-Qaïda et de l’État islamique. Le pays était l’un des principaux bénéficiaires de l’aide américaine ainsi qu’un pays cible pour le Millennium Challenge Account des États-Unis, qui fournit une aide à long terme et à grande échelle aux États ayant des antécédents particulièrement bons en matière de gouvernance démocratique. Les liens entre les États-Unis et l’ancien président nigérien Mohamed Bazoum, renversé par le coup d’État, étaient cordiaux.

Que peut-on retenir sur la stratégie américaine dans les autres pays du Sahel, notamment au Tchad ? Quels sont les intérêts américains dans la région ?

Les États-Unis cherchent à établir avec la sous-région des relations à la fois larges et profondes. Les relations militaires, jusqu’à récemment très visibles au Niger, en sont une composante importante.  La menace terroriste islamiste, en particulier dans le Sahel et la Corne de l’Afrique, est l’une des principales préoccupations des Américains sur le continent.  Le commandement américain pour l’Afrique (AFRICOM) mène des opérations militaires dans la région, mais se concentre également sur l’établissement de partenariats avec les armées africaines.  Comme l’a expliqué le commandant de l’AFRICOM, le général Michael Langley, au Congrès le mois dernier, l’engagement militaire des États-Unis a pris de l’importance à mesure que les présences française, européenne et des Nations unies diminuaient.   Les États-Unis sont un partenaire commercial et d’investissement important pour les pays de la région, et l’administration Biden a fait du renforcement de ces liens une priorité lors du sommet des dirigeants américano-africains de 2022.  Les investissements américains dans l’extraction des ressources naturelles – avec des majors pétrolières et gazières américaines opérant dans des pays comme le Nigeria et le Tchad – sont substantiels.  L’aide américaine vise à renforcer la gouvernance démocratique, à soutenir les investissements dans les services sociaux tels que la santé et l’éducation, et à répondre aux crises humanitaires.  Malheureusement, les relations entre les États-Unis et le Tchad pourraient suivre une trajectoire similaire à celle du Niger voisin.  Ce mois-ci, les Tchadiens ont demandé aux États-Unis de retirer une petite présence militaire à l’aéroport de N’Djamena.  Le porte-parole du département d’État américain a indiqué que les responsables américains « sont en conversation permanente avec les responsables tchadiens sur l’avenir de notre partenariat en matière de sécurité ».

Peut-on parler d’une perte d’influence des États-Unis au profit d’une influence russe dans la région ?

Un déclin catastrophique de l’influence occidentale en Afrique est certainement souhaité par les Russes, et l’ours russe, bien sûr, a ses empreintes partout sur le renversement des fortunes occidentales au Niger. La présence de la Russie en Afrique, surtout dans le domaine de la défense, est ancienne. La Fédération de Russie est le plus grand fournisseur d’armes du continent, loin devant la France et les États-Unis. Alors que les tensions montent entre l’Occident et la Russie au sujet de l’Ukraine, les Russes jouent un rôle de plus en plus perturbateur, cherchant à renverser les liens de sécurité établis de longue date entre les principaux pays de l’OTAN et leurs partenaires africains. Les Russes ont effectivement utilisé leur propre assistance militaire bilatérale et des groupes de mercenaires associés au Kremlin, comme le groupe Wagner (aujourd’hui le Russian African Corps), pour offrir une alternative à l’engagement occidental. Comme le souligne la stratégie américaine de l’administration Biden à l’égard de l’Afrique subsaharienne, « la Russie considère la région comme un environnement permissif pour les entreprises parapubliques et les sociétés militaires privées, qui fomentent souvent l’instabilité pour en tirer des avantages stratégiques et financiers ». Nous pouvons également supposer que les services de sécurité russes font tout ce qu’ils peuvent en coulisses pour attiser les sentiments anti-français et antiaméricains au sein du public africain. En fin de compte, les régimes autoritaires comme celui du CNSP sont très heureux de renoncer aux exigences françaises ou américaines en matière de réformes démocratiques et de respect de l’État de droit et d’accepter à la place l’aide russe sans condition. Les forces russes de l’Africa Corps sont arrivées à Niamey ce mois-ci dans le cadre d’un nouvel accord de défense.

À plus long terme, cependant, il reste à voir quel terrain les Russes gagneront et conserveront en Afrique. Jusqu’à présent, Moscou a remporté de nombreux succès dans des pays comme le Mali et le Niger. Mais perturber les relations entre les États-Unis et le Niger et envoyer des mercenaires russes à Niamey ne signifie pas établir des liens profonds et durables. La Russie est un acteur économique secondaire sur le continent, par exemple, les flux commerciaux russes vers l’Afrique (environ 18 milliards de dollars en 2021) étant éclipsés par le commerce Afrique-Chine (282 milliards de dollars).  La véritable menace à long terme pour les intérêts américains sur le continent africain est la Chine, et non la Russie. Compte tenu de l’engagement diplomatique intense de la Chine dans la région, de ses vastes liens économiques avec l’Afrique et de son intérêt croissant pour la sécurité sur l’ensemble du continent, la véritable menace pour les intérêts américains vient de Pékin et non de Moscou.

L’économie chinoise surprend avec des résultats du premier trimestre dépassant les attentes

L’économie chinoise surprend avec des résultats du premier trimestre dépassant les attentes

SHANGHAI, CHINA – MARCH 25, 2024 – Citizens are walking past the Shanghai Stock Exchange in front of the Lujiazui Securities Building in Pudong, Shanghai, China, March 25, 2024. (Photo by CFOTO/Sipa USA)/52171136//2403251447

par Alex Wang – Revue Conflits – publié le 25 avril 2024

https://www.revueconflits.com/leconomie-chinoise-surprend-avec-des-resultats-du-premier-trimestre-depassant-les-attentes/


La Chine a enregistré une croissance de 5,3% au cours du premier trimestre, une performance surprenante pour les observateurs extérieurs, qui dépasse même les attentes des grandes banques d’investissement. Certains commencent à revoir à la hausse leurs prévisions, ce qui souligne clairement que, tout en poursuivant ses transformations en cours, l’économie chinoise continue de croître.

Pour éviter d’être influencés par le ton souvent négatif de certains médias occidentaux et afin d’avoir une vision précise de la réalité économique en Chine, il nous paraît utile de passer en revue de manière objective et cohérente certains chiffres et faits à l’occasion de la publication des résultats du premier trimestre.

Résultats du premier trimestre

Le 16 avril, le Bureau national des statistiques de la Chine a dévoilé ses données de croissance (1), surprenant les observateurs extérieurs avec un PIB en hausse de 5,3 % pour le premier trimestre. Cette performance dépasse les attentes pessimistes du monde extérieur, surpassant même les prévisions des grandes banques d’investissement comme Goldman Sachs et Morgan Stanley, ainsi que celles des analystes interrogés par les agences Reuters et Bloomberg.

Pour rappel, le FMI avait prévu une croissance de 4,6 %, tandis que la Chine avait annoncé un objectif de 5 % en mars. Il faudra attendre la fin de l’année pour confirmer cette reprise, à la fois attendue pour une Chine confiante et surprenante pour les observateurs sceptiques.

Certaines institutions financières ont rapidement révisé à la hausse leurs prévisions de croissance annuelle pour l’économie chinoise. Les économistes d’ANZ prévoient désormais une croissance de 4,9 % pour cette année, comparé à leur prévision précédente de 4,2 %, tandis que ceux de DBS Bank ont augmenté leurs perspectives pour 2024 de 4,5 % à 5 %. Société Générale a également relevé sa prévision de croissance pour 2024, passant de 4,7 % à 5 %, tandis que Deutsche Bank anticipe désormais une croissance de 5,2 %, soit un demi-point de pourcentage de plus que leur précédente prévision (2).

Ceux qui sont derrière les chiffres

L’économie chinoise est-elle sortie de l’affaire ? Une lecture plus détaillée et nuancée de l’ensemble des éléments, derrière ces chiffres, nous aide à saisir toute la complexité de la situation, concernant les moteurs et les freins.

La Chine vise une croissance d’environ 5 % pour l’année, un objectif jugé ambitieux par de nombreux économistes. Avec une croissance à 5,3% au 1er trimestre, l‘économie chinoise a pris un bon départ, mais les bases d’une croissance économique stable et saine ne sont pas encore complètement solides (3).

Pour soutenir sa croissance, la Chine a investi massivement dans son secteur manufacturier, notamment en construisant de nouvelles usines qui ont boosté les ventes mondiales de panneaux solaires, de voitures électriques, de batteries et d’autres produits. Certains experts voient cette expansion comme une sorte de « pic de sucre » alimentée par des prêts bancaires massifs, en hausse de 9,9 % par rapport à l’année précédente. C’est une situation à surveiller attentivement.

Au premier trimestre, l’économie chinoise a enregistré une croissance de 1,6 % par rapport au trimestre précédent, ce qui, sur une base annuelle, équivaut à une croissance d’environ 6,6 %. Cependant, la croissance des ventes au détail a été modeste, avec une augmentation de 4,7 % par rapport à l’année précédente, et plus faible en mars. La Chine doit continuer à encourager la consommation pour réduire le chômage des jeunes et aider les entreprises et les ménages endettés.

Les exportations robustes en début d’année ont également contribué à la croissance, bien que la baisse des prix ait limité les gains réels. Le tourisme intérieur et les ventes de smartphones ont connu une hausse pendant le Nouvel An lunaire (sauf pour Apple), dépassant les niveaux prépandémiques. Cependant, la baisse généralisée des prix reste un défi, en particulier pour les exportations et le commerce de gros.

On a observé le ralentissement de la construction de nouveaux logements et la baisse des prix des appartements. En même temps, les banques ont été encouragées par le Gouvernement à donner plus de prêts pour finir les appartements sur le point de terminer, sachant qu’en 2023, les achèvements ont atteint 7,8 milliards de pieds carrés (square feet) en 2023, éclipsant pour la première fois les mises en chantier (4).

Bien sûr, les taux d’intérêt américains élevés ont un impact négatif.

Il est important de considérer tous ces éléments lors de l’évaluation de la situation globale. La route à parcourir est encore longue et difficile. Des efforts sont indispensables pour promouvoir les transformations déjà initiées (5).

Y a-t-il un problème de surcapacité (overcapacity) ?

Lors de réunions de haut niveau au début du mois avec des responsables chinois, la secrétaire au Trésor Janet L. Yellen a estimé qu’il y a un problème de surcapacité de l’industrie chinoise qui inonderait les marchés d’exportations, perturberait les chaînes d’approvisionnement et menacerait les industries et les emplois.

Madame Yellen, une experte en économie, devrait comprendre que l’expansion des parts de marché d’un produit est étroitement liée à ses avantages comparatifs, tels que les coûts de production, la qualité et le marketing. Dans un marché concurrentiel, il n’y a pas de problème de surcapacité, car les produits de qualité avec un coût moindre se vendent naturellement mieux que les autres. Par ailleurs, la capacité de production relève d’une décision librement prise des acteurs en présence.

De plus, certains produits concernés, tels que les voitures électriques, sont encore au stade initial de leur développement sur le marché mondial des automobiles. D’où vient donc cette notion de surcapacité ? Sinon, comment doit-on qualifier la situation d’ASML qui domine complètement le marché des machines de lithographies notamment les EVU ?

La vérité est que les exportations chinoises inquiètent de nombreux pays et entreprises étrangers. Lorsque leurs produits possèdent les pleins avantages comparatifs, ils sont 100% pour la libre concurrence vers la Chine ; quand cela ne soit pas le cas, ils craignent qu’un afflux de livraisons chinoises vers des marchés lointains ne porte atteinte à leurs industries manufacturières.Il semble que l’histoire d’Overcapacity soit simplement un nouveau prétexte inventé pour justifier le protectionnisme.

Un autre cas mérite d’être soulevé. Depuis plusieurs années, nous observons des sanctions touchant les chipsets, notamment les machines et les produits haut de gamme. Les entreprises américaines et européennes sont interdites de les vendre à la Chine. Le jour où la Chine serait en mesure de produire ces chipsets en grande quantité, avec la qualité requise et à moindre coût, peut-être entendrons -nous la même histoire de surcapacité chinoise ?

Plutôt que de rêver à imposer une sorte de VER à la japonaise (Volontary Export Restraintlimitation volontaire des exportations) (6), il serait plus judicieux d’être franc et de s’engager pleinement dans le dialogue en respectant intégralement les règles de l’OMC.

Le nouveau modèle / la nouvelle productivité

Beaucoup parlent de la nouvelle productivité ou du nouveau modèle économique en Chine. De quoi s’agit-il ? L’objectif est d’augmenter la production en tirant parti des progrès technologiques et scientifiques, en particulier dans les secteurs de pointe, pour dynamiser l’économie et créer davantage de valeur ajoutée (7). Le trio des véhicules électriques, des batteries et des panneaux solaires est souvent cité en exemple.

Conclusion

Depuis 2019, le ralentissement de la croissance en Chine a conduit de nombreux observateurs à affirmer que le pays avait déjà atteint son apogée en tant que puissance économique. Cependant, dans son récent article intitulé La Chine se développe encore (China Is Still Rising), publié dans la Revue Foreign Affairs, l’économiste américain de renom Nicholas Lardy estime que cette vision témoigne d’une compréhension insuffisante de la résilience de la Chine.

Il est indéniable que la Chine est confrontée à d’énormes défis, tels que la bulle immobilière, les sanctions imposées par les États-Unis, relatives aux exportations de technologies de pointe, notamment les semi-conducteurs haut de gamme, une population vieillissante, le chômage croissant des jeunes, le surendettement des gouvernements locaux et la nécessité de stimuler la consommation intérieure. En même temps, il convient de rappeler que la Chine a surmonté des défis bien plus importants par le passé lorsqu’elle a entamé ses réformes et son ouverture.

Nicholas Lardy est convaincu que la Chine continuerait de croître à un rythme deux fois plus rapide que les États-Unis à l’avenir (8). Il prédit que la Chine contribuerait, à hauteur d’un tiers, à la croissance économique mondiale, tout en étendant son influence, principalement en Asie. La solide performance du premier trimestre confirme cette tendance.


1. Cf. Bureau national des statistiques de la Chine. PIB : 29 630 milliards de RMB (4 100 milliards de dollars) ; +5,3% sur un an. Ventes au détail : 12 000 milliards de RMB (1 660 milliards de dollars) ; +4,7%. Valeur ajoutée industrielle : +4,5%. Valeur ajoutée des services : +5%2. Joe Cash and Kevin Yao, China’s economy grew faster than expected in the March quarter, Reuters, April 16, 2024 Ceux qui sont derrière les chiffres.

3. China’s Economy, Propelled by Its Factories, Grew More Than Expected, Keith Bradsher, Alexandra Stevenson, April 17; 2024.

4. Nicholas R. Lardy, China Is Still Rising, Don’t Underestimate the World’s Second-Biggest Economy, Foreign Affairs,

5. Alex Wang, L’économie chinoise : douleurs transitoires ou début d’effondrement, Revue Conflits, le 14 février 2024.

6. Les VER sont apparus dans les années 1930 et ont gagné en popularité dans les années 1980, lorsque le Japon en a utilisé un pour limiter les exportations automobiles vers les États-Unis. En 1994, les membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ont convenu de ne pas mettre en œuvre de nouveaux VER et d’éliminer progressivement ceux qui existaient déjà (Cf. Marshall Hargrave, September 20, 2023)

7. Cf. 新质生产力的内涵特征和发展重点, 习近平经济思想研究中心, 2024/03/01

8. Nicholas R. Lardy, China Is Still Rising, Don’t Underestimate the World’s Second-Biggest Economy, Foreign Affairs,

Renforcement blindé

Renforcement blindé

Israeli soldiers carry heavy shells past battle tanks deployed at a position along the border with the Gaza Strip and southern Israel on December 31, 2023, amid the ongoing conflict between Israel and the militant group Hamas. (Photo by Menahem KAHANA / AFP)

par Blablachars – publié le 24 avril 2024

https://blablachars.blogspot.com/2024/04/renforcement-blinde.html


Après le 22 février 2022, plusieurs pays européens ont choisi de muscler leur composante blindée mécanisée en lançant des programmes (souvent ambitieux) de modernisation ou d’acquisition d’engins blindés, parmi lesquels l’achat de chars modernes figure en bonne place dans les différents processus en cours ou à venir. Cet engouement pour la « chose blindée » étant basée sur l’observation du conflit ukrainien et de la place tenue par les différents engins dans les opérations. Loin d’une Europe confrontée au retour de la guerre de haute intensité, un autre pays a également fait le choix de muscler sa composante blindée pour répondre aux menaces actuelles et futures. 

On a appris aujourd’hui que les Forces de Défense Israéliennes (FDI) avaient décidé d’augmenter le nombre de compagnies de chars dans chaque bataillon du Corps blindé. Cette décision semble être le résultat direct des enseignements tirés des opérations menées par Tsahal, depuis six mois dans la Bande de Gaza. Cette décision qui vise à augmenter le nombre d’unités blindées annule une décision prise il y a plus de dix ans, qui visait à réduire le nombre de chars dans l’armée israélienne. L’observation des engagements dans la bande de Gaza a confirmé l’utilité des chars dans la conduite des opérations en milieu urbain, au sein duquel les destructions contribuent à entraver l’action des engins. Les zones ouvertes hors des localités ont également permis aux chars de tirer le meilleur parti de leurs capacités de jour comme de nuit, comme ce fut le cas lors des premières incursions de Tsahal au mois d’octobre dernier. 

 

 Selon le Cne AMITAI, commandant une compagnie de chars au sein du 82ème Bataillon blindé « Gaash » appartenant à la 7ème Brigade blindée « Saar me-Golan« , les véhicules blindés ont joué un rôle essentiel dans le conflit. Engagée aux côtés de la 188ème Brigade blindée « Barak » et de la 401ème Brigade blindée  » Ikvot HaBarzel » dans la Bande de Gaza, la 7ème Brigade blindée a été engagée le long du littoral afin de contrôler les accès sud et centre de la ville de Gaza, en vue de l’isoler. Pour l’officier israélien, les chars ont permis de protéger et de fournir des feux aux fantassins et sapeurs engagés en zone urbaine, tout en offrant une capacité de déplacement rapide en tout terrain. A la tête d’une compagnie de Merkava IV, le Cne AMITAI a évidemment souligné le rôle essentiel du système de protection active Trophy dans l’engagement des chars à Gaza, permettant de décupler l’efficacité des engins et de renforcer la confiance des équipages. Pour illustrer l’efficacité du Trophy, l’officier israélien évoque une embuscade au cours de laquelle le char du commandant de bataillon a été ciblé par deux missiles antichars, interceptés par le système de protection israélien, tout en permettant au char poursuivre son action. 

Jonathan SPYER, chercheur à l’Institut de stratégie et de sécurité de Jérusalem indique que les forces blindées ont joué un rôle central et vital dans les combats à Gaza menés au sein de dispositifs interarmes et que la décision de recréer les compagnies dissoutes s’inscrit dans le cadre de l’augmentation du budget de la défense qui devrait suivre la guerre. Selon le chercheur, l’augmentation de la capacité blindée de  Tsahal reflète l’idée selon laquelle les FDI doivent être équipées pour lutter contre des forces semi-régulières et régulières, perspective d’emploi qui qui crée des besoins différents et exige donc des moyens également différents de ceux liés aux opérations de contre-terrorisme ou de contre-insurrection.  

 

Cette augmentation de potentiel blindé, qui se traduit par la réactivation de compagnies de chars consiste à transformer la troisième compagnie de chars des bataillons blindés. Armée jusqu’à présent par des réservistes, cette unité devrait donc devenir une unité d’active, donnant aux bataillons une véritable troisième unité, dont les réservistes disponibles pourraient être engagés dans d’autres missions. Selon les FDI, trois compagnies ont déjà été réactivées au sein du 82eme, 52eme et 71ème Bataillon blindé, appartenant respectivement à la 7ème, 401ème et 188ème brigade, les prochaines pourraient l’être d’ici la fin de l’année. Cette remontée en puissance est en outre permise par l’afflux de volontaires pour servir au sein des unités blindées, avec un accroissement de 30% du volume de recrues au sein des brigades de chars par rapport aux années passées. Cette vague pourrait constituer le plus grand volume de recrutement du Corps blindé pour les prochaines années. La transformation en unités d’active des unités de chars de réserve souligne l’objectif affiché par les FDI de ne pas compter sur les réservistes pour la mise en œuvre de leurs blindés, dont plus de 300 000 furent rappelés au lendemain des attaques du 7 octobre. Selon le Times Of Israël, de nombreux réservistes ont manifesté leur volonté de ne pas rejoindre leur unité pour marquer leur opposition au projet de réforme du système judiciaire. En dépit de la signature par 6000 réservistes d’une déclaration affirmant leur engagement à servir le pays, il est probable que la décision de ne plus confier ces unités aux seuls réservistes, ne traduit pas uniquement le manque d’adaptation de l’armée israélienne à soutenir un conflit dans la durée, mais aussi la crainte de devoir composer avec d’éventuelles oppositions en cas de mobilisation massive. Avec ces nouvelles unités, Tsahal augmente donc sa capacité à occuper plus longtemps le terrain sans que cela ne se traduise par le rappel de réservistes supplémentaires ou par l’augmentation du nombre de chars en service. Au sein du 82ème bataillon blindé, la compagnie nouvellement créée sert sur des Merkava IV, à la différence des unités de réserve habituellement équipées de chars de versions plus anciennes, comme le Merkava III. Ce choix devrait donc se traduire par une plus grande homogénéité en matière de formation et d’entrainement, synonyme d’une efficacité accrue. 

 

Même si elle constitue l’un des volets d’une probable stratégie de contournement destinée à prévenir les problèmes liés au rappel des réservistes, la nouvelle organisation traduit surtout l’importance du char et des blindés dans la stratégie de Tsahal. Comme les pays européens concernés et à la différence de la France, l’armée israélienne reste convaincue de la polyvalence du char et de son utilité dans les différents conflits potentiels. Il est important de noter qu’au moment où plusieurs armées européennes se heurtent à des difficultés accrues de recrutement, Tsahal ne semble pas connaitre de problèmes pour armer ses unités blindées en raison de l’afflux de volontaires désireux de servir dans les chars. Cet afflux qui pourrait être également  lié à l’attitude de certains réservistes est probablement motivé par le côté technologique des engins utilisés ainsi que par la protection offerte aux équipages blindés, qui peuvent se sentir moins exposés que leurs camarades fantassins ou sapeurs. Cette opération, qui ne se limite pas à une simple manipulation RH souligne également l’importance de disposer d’unités de réserve équipées et spécialisées. Dans ce domaine, l’armée française a probablement raté une occasion au moment du retrait des AMX 30B2, qui aurait pu s’accompagner de la création d’escadrons de réserve au sein des Régiments de chars. Servis par des équipages de réserve (anciens d’active ou réservistes) suivant de véritables cycles d’entrainement et de contrôle, ces unités auraient pu contribuer de façon significative aux missions des régiments de chars auxquelles elles auraient été rattachées. En outre, on peut imaginer que ces unités auraient très certainement favorisé le recrutement de réservistes, attirés par ce métier et accru le rayonnement des régiments de chars. Au moment où la spécialisation des brigades revient à l’ordre du jour avec la création d’écoles de milieu au sein de la 9ème BIMa (Brigade d’Infanterie de Marine) et de la 11ème BP (Brigade Parachutiste), la constitution d’une véritable réserve blindée pourrait contribuer à confirmer la spécificité des brigades blindées et à renforcer leur attractivité, à défaut de créer une école de milieu blindé mécanisé.

Attaques des houthis en mer rouge : un rebondissement pour la Jeune École ?

Attaques des houthis en mer rouge : un rebondissement pour la Jeune École ?

The frigate « Hessen » leaves the port at Wilhelmshaven, Germany, Thursday, Feb. 8, 2024 for the Red Sea. A German Navy frigate set sail on Thursday toward the Red Sea, where Berlin plans to have it take part in a European Union mission to help defend cargo ships against attacks by Houthi rebels in Yemen that are hampering trade. (Sina Schuldt/dpa via AP)/amb808/24039359943113/GERMANY OUT; MANDATORY CREDIT/2402081126

 

par Revue Conflits – publié le 24 avril 2024

https://www.revueconflits.com/attaques-des-houthis-en-mer-rouge-un-rebondissement-pour-la-jeune-ecole/


Les attaques incessantes des Houthis sur les navires marchands en mer Rouge sont un coup dur pour le commerce mondial. Pour les protéger, les marines de guerre occidentales livrent aux rebelles une petite guerre navale, surtout défensive. Mais les opérations sont coûteuses et la stratégie des Yéménites de harcèlement à coûts faibles est fonctionnelle. Un parallèle est à faire avec les idées de la Jeune École, qui ambitionnait de révolutionner la guerre navale en pensant une marine française qui serait comme David contre le Goliath britannique.

Article de Kevin D. McCranie paru sur War On The Rocks. Traduction de Conflits.

Kevin D. McCranie est titulaire de la chaire Philip A. Crowl de stratégie comparative à l’U.S. Naval War College. Il est l’auteur de Mahan, Corbett, and the Foundations of Naval Strategic Thought (Mahan, Corbett et les fondements de la pensée stratégique navale). Les positions exprimées dans cet article n’engagent que l’auteur et ne représentent pas celles du Naval War College, de la marine américaine, du ministère de la défense ou de tout autre organe du gouvernement américain.

Récemment, un journaliste a interrogé le vice-amiral Brad Cooper, du commandement central des États-Unis, sur les opérations navales en mer Rouge et dans le golfe d’Aden : « À quand remonte la dernière fois où la marine américaine a opéré à ce rythme pendant deux mois ? » La réponse de l’amiral est éloquente : « Je pense qu’il faut remonter à la Seconde Guerre mondiale pour trouver des navires engagés dans le combat. Quand je dis « engagés dans le combat », c’est qu’ils se font tirer dessus, que nous nous faisons tirer dessus et que nous ripostons ». M. Cooper a décrit les combats qui se sont déroulés depuis la fin de l’année 2023 avec des drones et des missiles houthis ciblant les navires. L’utilisation de ces armes devient de plus en plus sophistiquée, les rapports indiquant que les Houthis ont lancé au moins 28 drones en une seule journée au début du mois de mars.

Pour mieux comprendre le conflit entre les Houthis et les puissances navales qui protègent la navigation dans la région, il est important de revenir sur les idées divergentes concernant la stratégie navale à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. L’un des camps mettait l’accent sur les flottes traditionnelles et la puissance navale, tandis que l’autre, y compris un groupe originaire de France connu sous le nom de Jeune École, proposait une autre approche de la guerre navale. Elle s’appuyait sur de petites flottilles armées de torpilles pour mettre en péril les flottes traditionnelles et exposer leurs navires commerciaux à des attaques incessantes. Aujourd’hui, les États-Unis et leurs partenaires navals possèdent la flotte traditionnelle, tandis que les Houthis sont en train de réimaginer la Jeune École pour le XXIe siècle.

Approches de la stratégie navale

À l’aube du XXe siècle, beaucoup de choses ont changé depuis la dernière grande guerre comportant un élément naval important, qui s’est achevée avec la défaite de Napoléon. Les nouvelles technologies ont transformé la guerre en mer, mais les modalités de cette transformation font l’objet d’un débat sans fin. Après la publication de The Influence of Sea Power upon History (L’influence de la puissance maritime sur l’histoire) en 1890, Alfred T. Mahan est devenu le commentateur le plus reconnu des affaires navales. Dix ans et demi plus tard, Mahan affirmait : « L’histoire navale témoigne de deux courants continus de croyance, l’un dans l’efficacité supérieure des grands navires, l’autre dans la possibilité d’atteindre un moyen d’attaque bon marché qui supplantera la nécessité des grands navires ». Plus précisément, il se lamente :

« Aucune déception ne tue cette attente ; l’expérience ne peut rien contre elle, et elle est tout aussi impuissante à réprimer la théorie, qui revient sans cesse, selon laquelle une certaine catégorie de petits navires, dotés de qualités particulièrement redoutables, sera trouvée pour combiner résistance et économie, et ainsi mettre fin à la suprématie, jamais ébranlée jusqu’à présent, du grand navire de l’ordre de bataille … le contrôle de la mer passera aux mains du destructeur ».

Mahan décrit une tension palpable entre ceux qui affirment que l’histoire n’est plus un guide efficace pour comprendre l’environnement maritime contemporain, et ceux qui pensent que l’histoire, si elle est utilisée judicieusement, peut donner un aperçu des conditions contemporaines. Mahan appartenait à ce dernier groupe. La plupart des écrivains anglophones de l’époque, y compris Julian Corbett, étaient d’accord avec lui.

Mahan et Corbett ont défendu la pertinence d’une flotte équilibrée. En temps de guerre, la mission de la flotte était d’assurer la « maîtrise de la mer », définie par Corbett comme « le fait de s’établir dans une position telle que nous puissions contrôler les communications maritimes de toutes les parties concernées ». Pour ce faire, la marine doit vaincre ou bloquer les flottes rivales, puis utiliser la force brute pour réguler les activités commerciales et militaires en mer.

La Jeune École entre en scène

La Jeune École est née en France dans les dernières décennies du XIXe siècle. Ses membres sont issus de la marine, du gouvernement et de la presse. Parmi ces derniers, Gabriel Charmes a joué un rôle important dans la propagande des idées de la Jeune École. Auguste Gougeard, officier de marine à la retraite, est l’un des premiers partisans à accéder à un poste gouvernemental important lorsqu’il est nommé ministre de la marine pendant quelques mois en 1881 et 1882. La figure centrale est cependant Théophile Aube. Il atteint le rang d’amiral et devient ministre de la Marine.

Ensemble, les membres de la Jeune École reconnaissent l’Allemagne comme l’ennemi principal de la France. En raison de l’immédiateté de cette menace terrestre contiguë, l’armée française est prioritaire. En revanche, la marine française n’obtiendrait jamais suffisamment de fonds pour défier symétriquement la Royal Navy britannique pour le commandement de la mer – au lieu de cela, les partisans de la Jeune École développent une stratégie pour affronter la Grande-Bretagne à moindre coût. Contrairement à Mahan et à ses partisans qui s’appuient sur la pertinence de l’histoire, ils affirment que de nouvelles technologies relativement peu coûteuses ont révolutionné la guerre navale au point que l’histoire ne peut plus servir de guide. Faisant la promotion de petites flottilles peu coûteuses, Aube explique que « l’escadre, qui est plus ou moins une collection de cuirassés, n’est plus la garantie de la puissance navale ». Et Gougeard d’ajouter : « Il est et il sera toujours ridicule de risquer 12 à 15 millions, et même davantage, contre 200 000 ou 300 000 francs, et six cents hommes contre douze ». Le risque encouru par des navires de guerre coûtant des millions et dotés de centaines d’hommes d’équipage devrait être mis en balance avec l’utilisation agressive de navires beaucoup plus petits coûtant une fraction de ce montant et dotés d’une poignée d’hommes d’équipage. Les partisans de la Jeune École pensent pouvoir chasser la flotte britannique des côtes françaises.

En empêchant la Royal Navy de bloquer les ports français, les pilleurs de commerce français pourraient s’échapper vers les océans où ils pourraient infliger des chocs catastrophiques à la navigation commerciale britannique en coulant les navires avec leurs passagers et leurs équipages. Compte tenu de l’importance du commerce pour l’économie britannique, les membres de la Jeune École pensent que les effets économiques sur la Grande-Bretagne seront décisifs. Selon Charmes, « la rivalité économique sera plus chaude que la compétition militaire ». Il spécule que « la prime d’assurance contre les pertes en mer deviendra si élevée que la navigation sera impossible ».

L’obtention d’effets à partir des nouvelles technologies d’armement est au cœur de l’argumentation de la Jeune École. Pour eux, le mariage des petites embarcations de flottille avec la torpille est essentiel, voire décisif, car il permet de disposer d’un moyen rentable pour mettre en péril les navires de guerre les plus grands et les plus coûteux. Même ceux qui remettaient en question les idées de la Jeune École admettaient que le torpilleur changeait la donne. Corbett décrit comment ces petites embarcations de flottille armées de torpilles ont acquis une « puissance de combat ». Il affirme : « C’est une caractéristique de la guerre navale qui est entièrement nouvelle. À toutes fins utiles, elle était inconnue jusqu’au développement complet de la torpille mobile ».

Philip H. Colomb, officier de marine britannique à la retraite et commentateur important de la puissance navale à la fin du XIXe siècle, explique que la Jeune École « peut avoir tout à fait tort dans ses spéculations, et tout à fait raison dans ses conseils pratiques, qui n’ont pas grand-chose à voir avec ses spéculations ». Colomb est d’accord avec la Jeune École pour dire que la flotte de guerre française n’a aucune chance face à la Royal Navy, et il reconnaît également la vulnérabilité du commerce britannique. Cependant, Colomb pense que la méthode technologique de la Jeune École pour déstabiliser la position commerciale de la Grande-Bretagne sera moins efficace que ne le croient ses adeptes.

Rétrospectivement, la stratégie de la Jeune École était pour le moins prématurée. Ils avaient identifié plusieurs vulnérabilités critiques de la puissance navale dominante, mais les technologies des années 1880 s’avéraient incapables de les exploiter pour obtenir un effet décisif. Bien plus tard, le développement du sous-marin et ce qu’il a accompli au cours des guerres mondiales ont donné un nouveau souffle à la Jeune École. Lors des deux guerres mondiales, l’Allemagne, puissance navale la plus faible, avait utilisé le sous-marin en combinaison avec la torpille pour obtenir des effets plus proches de ceux postulés par la Jeune École, mais dans les deux guerres mondiales, les puissances navales dominantes se sont montrées résistantes. À l’inverse, la campagne sous-marine la plus efficace des deux guerres mondiales a été menée par la marine américaine dans le Pacifique, mais au moment où cette campagne a produit ses plus grands effets, la marine américaine était devenue la puissance navale dominante, et les sous-marins n’ont été qu’un instrument parmi d’autres pour mettre en péril la navigation japonaise.

Pertinence contemporaine

La dernière grande guerre navale s’est achevée en 1945 avec la défaite du Japon impérial. Au cours des décennies suivantes, les changements technologiques ont transformé l’environnement maritime international, mais ce que ces changements signifient pour la guerre navale reste flou.

Il est toutefois possible d’y voir un peu plus clair en étudiant les événements actuels en mer Rouge. Les Houthis, officiellement connus sous le nom d’Ansar Allah, sont un groupe militant chiite au Yémen. Le groupe contrôle de vastes zones de l’ouest du Yémen. Depuis la fin de l’année 2023, les Houthis ont utilisé divers types de technologies d’armement relativement peu coûteuses, notamment des drones aériens et maritimes ainsi que des missiles de croisière et balistiques, pour attaquer des navires de guerre et des navires commerciaux autour de l’entrée sud de la mer Rouge. On pourrait dire que les Houthis modernisent les méthodes de la Jeune École.

À l’époque où la Jeune École a écrit, le monde était devenu de plus en plus dépendant du commerce maritime pour les biens dont la société avait besoin pour survivre. Les partisans de la Jeune École ont cherché à transformer cette dépendance à l’égard du transport maritime mondial en un risque. L’interruption des lignes de communication maritimes peut toujours avoir des effets démesurés. Il suffit de penser aux coûts engendrés par le blocage du canal de Suez par un grand porte-conteneurs, l’Ever Given, en 2021. Bien que la situation du porte-conteneurs soit due à un accident, les Houthis exercent une pression similaire sur les chaînes d’approvisionnement mondiales. Pour ce faire, les Houthis mettent en péril la navigation maritime en utilisant des drones et des missiles. La Jeune École ne s’attendait pas à couler un grand nombre de navires marchands ; son objectif était plutôt de perturber le commerce et d’augmenter les coûts de transport. Les actions des Houthis semblent avoir des effets similaires.

En ce qui concerne les attaques des Houthis contre les navires de guerre, la Jeune École a identifié l’écart de coût entre les navires de guerre et les armes tueuses de navires. Depuis lors, les navires de guerre sont devenus encore plus chers et les technologies permettant de les attaquer ont proliféré. En apparence, l’argument technologique de la Jeune École semble se vérifier, bien qu’avec différents types de missiles et de drones plutôt que des torpilles et des flottilles.

Cependant, les technologies défensives continuent également de progresser, ce que la Jeune École n’a pas su apprécier à sa juste valeur. Il s’agit d’un thème récurrent. L’une des parties, souvent l’attaquant, utilise une nouvelle arme avec succès, et le défenseur exploite d’autres technologies pour la vaincre. Les événements survenus en mer Rouge au cours des derniers mois montrent l’efficacité des technologies défensives. Bien que les armes défensives se soient généralement avérées efficaces contre les armes offensives des Houthis, le coût d’utilisation de ces armes pourrait s’avérer prohibitif à long terme. La protection des navires par des missiles défensifs semble plus coûteuse que les missiles offensifs et les drones utilisés par les Houthis. Cela s’explique par le fait que la défense s’attaque à un problème plus difficile. Il est plus facile de cibler de grands navires se déplaçant à faible vitesse que des missiles se déplaçant rapidement. Les défenseurs cherchent toutefois de nouvelles solutions avec des canons et même des armes à énergie dirigée. Il reste à voir comment les risques liés à l’utilisation de ces moyens défensifs alternatifs s’équilibrent avec leur efficacité.

À l’heure actuelle, les combats dans la mer Rouge sont à peu près dans une impasse. Les puissances navales ont réussi à stopper la grande majorité des attaques des Houthis, bien qu’en utilisant des armes défensives coûteuses. Pourtant, les attaques se poursuivent et les coûts commerciaux augmentent. Les cas historiques concernant la protection du commerce, y compris les exemples de l’ère de la voile et des guerres mondiales, indiquent que ce type d’impasse est généralement résolu en faveur de la puissance navale la plus forte, à condition qu’elle ait la volonté et la capacité, sur le long terme, de payer les coûts de la défense.

Nous ne pouvons toutefois pas nous fier à la réponse facile selon laquelle le passé sert toujours de guide pour le présent. Il est important de se demander si le coût des transporteurs commerciaux et les dernières avancées technologiques se conjuguent pour favoriser un argument de type Jeune École ou si les marines peuvent maintenir leur présence et continuer à exercer efficacement leur commandement sur la mer.