Pour garantir son activité opérationnelle, l’US Navy va prolonger la durée de vie de ses plus anciens destroyers

Pour garantir son activité opérationnelle, l’US Navy va prolonger la durée de vie de ses plus anciens destroyers

https://www.opex360.com/2024/11/02/pour-garantir-son-activite-operationnelle-lus-navy-va-prolonger-la-duree-de-vie-de-ses-plus-anciens-destroyers/


Lancé dans les années 1990 , le programme DD(X) [ou DD21] prévoyait la construction de trente-deux « destroyers » furtifs de nouvelle génération au profit de l’US Navy. Ayant la signature radar d’un bateau de pêche malgré leurs 15 480 tonnes de déplacement ainsi que la capacité de produire assez d’électricité pour alimenter l’équivalent de 78 000 foyers, ces navires devaient révolutionner le combat naval. Seulement, il n’en a rien été : devant la hausse exponentielle des coûts, le Pentagone dut revoir drastiquement ses ambitions à la baisse… Et seulement trois unités ont été construites.

Dans le même temps, le programme LCS [Littoral Combat Ship], censé doter l’US Navy de cinquante-deux navires rapides et polyvalents grâce à l’intégration de « modules de mission » en fonction des tâches qu’ils devaient accomplir, s’est aussi soldé par un échec cuisant… Au point que certaines unités ont été désarmées seulement cinq ans après avoir été admises au service actif.

D’où le programme « Constellation », lancé afin de remplacer les LCS [surnommés Little Crappy Ships] par des navires conçus selon le modèle de la frégate multimissions [FREMM] italienne. Seulement, la prise en compte de nouvelles exigences fait que la construction de ces nouveaux navires [six ont été commandés à ce jour] accumule les retards.

Si le remplacement des LCS est prévu, il en va de même pour les « destroyers » appartenant à la classe Arleigh Burke, dont les premières unités [version Flight 1] ont été admise au service dans les années 1990, ainsi que pour les croiseurs de type Ticonderoga. Pour cela, le Pentagone a lancé le programme DDG[X], avec l’objectif de disposer d’un premier navire à l’horizon 2032.

Seulement, l’US Navy est contrainte de désarmer certains de ses navires sans pouvoir les remplacer dans l’immédiat. Tel est le cas des LCS mais aussi celui des croiseurs de type Ticonderoga, dont il ne reste plus que huit exemplaires en service sur les vingt-sept construits. En outre, les difficultés que rencontre actuellement l’industrie navale américaine ne sont pas sans conséquences sur la disponibilité technique de ses bateaux.

Enfin, la marine américaine doit financer d’autres programmes tout aussi importants, comme son futur avion de combat embarqué ou encore son sous-marin nucléaire lanceur d’engins [SNLE] de nouvelle génération, etc.

Résultat : la flotte de navires de premier rang diminue progressivement, alors que l’activité opérationnelle, déjà très importante, pourrait s’intensifier si la situation dans la région Indopacifique venait à se dégrader.

Dans ces conditions, l’une des solutions consisterait à prolonger la durée de vie de certains navires. Et c’est d’ailleurs ce qu’a annoncé l’US Navy, le 31 octobre.

Ainsi, devant être désarmés entre 2028 et 2032, douze « destroyers » sur les vingt-et-un que compte la série « Arleigh Burke Flight 1 », joueront les prolongations. Cette décision a été prise en fonction de l’état des navires concernés ainsi que sur la faisabilité de leurs mises à niveau.

« Le contexte budgétaire actuel contraint la Marine à faire des investissements prioritaires pour garder plus de joueurs prêts sur le terrain. La Marine tire activement les bons leviers pour maintenir et développer ses forces de combat afin de soutenir les intérêts mondiaux des États-Unis […] et de remporter une victoire décisive en cas de conflit », a fait valoir Mme l’amiral Lisa Franchetti, la cheffe des opérations navales [CNO, c’est-à-dire de l’US Navy, ndlr].

Tous les « destroyers » de type Arleigh Burke Flight I ne seront pas logés à la même enseigne. Ainsi, la durée de vie des USS Stethem et USS Carney ne sera prolongée que d’un an. Il est question d’aller jusqu’à trois ans pour les USS Barry et USS The Sullivans. Enfin, les USS John Paul Jones, Curtis Wilbur, Stout, John S. McCain, Laboon, Paul Hamilton, Gonzalez et Cole seront maintenus en service pendant cinq années de plus.

À noter que l’US Navy avait précédemment décidé de prolonger les USS Arleigh Burke, USS Mitscher, USS Milius, USS Ramage et USS Benfold. Le désarmement des USS Russell, USS Fitzgerald, USS Hopper et USS Ross devrait se faire comme prévu.

« La prolongation de ces ‘destroyers’ hautement performants et bien entretenus renforcera encore nos moyens alors que de nouveaux navires de guerre en construction rejoindront la flotte », a commenté Carlos Del Toro, le secrétaire de l’US Navy. « Cela témoigne également de leur rôle durable dans la projection de puissance à l’échelle mondiale et de leur capacité avérée à se défendre […] contre les attaques de missiles et de drones » comme l’a montré leur engagement en mer Rouge, a-t-il ajouté.

Rapport Niinistö : « Plus sûrs ensemble : renforcer la préparation et l’état de préparation civils et militaires de l’Europe »

Rapport Niinistö : « Plus sûrs ensemble : renforcer la préparation et l’état de préparation civils et militaires de l’Europe »

par Giuseppe Gagliano* –  CF2R – NOTE D’ACTUALITÉ N°657 / octobre 2024

https://cf2r.org/actualite/rapport-niinisto-plus-surs-ensemble-renforcer-la-preparation-et-letat-de-preparation-civils-et-militaires-de-leurope/

*Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). Membre du comité des conseillers scientifiques internationaux du CF2R.


Le récent rapport de Sauli Niinistö, ancien président de la Finlande, commandé par Ursula von der Leyen pour évaluer la préparation de l’Union européenne face aux crises et aux conflits, dessine une vision qui pourrait représenter un tournant politique, stratégique et en matière de renseignement pour l’Union européenne.

Politiquement, la proposition de créer un service de renseignement européen démontre une reconnaissance croissante au sein de l’UE de la nécessité de construire une défense intégrée et autonome, réduisant ainsi la dépendance vis-à-vis des États membres et des alliés étrangers, en particulier les États-Unis. La demande d’une structure de renseignement unifiée répond au besoin de défendre le territoire européen contre des menaces internes et externes de manière plus efficace, améliorant la capacité de réponse collective. Cependant, l’idée d’une agence de renseignement centralisée se heurte aux préoccupations de certains États membres, qui pourraient craindre une perte de souveraineté concernant leurs capacités de renseignement et leur sécurité nationale.

D’un point de vue stratégique, la proposition de Niinistö arrive à un moment crucial, avec le conflit en Ukraine qui continue de menacer la stabilité de tout le continent et les activités russes qui demeurent une menace pour les États membres de l’UE. La Russie a intensifié ses opérations de renseignement et de sabotage dans les pays de l’Union, profitant de la fragmentation des réponses des différents pays. Dans ce contexte, la création d’une agence de renseignement européenne pourrait non seulement améliorer le flux d’informations entre les États membres, mais aussi renforcer la résilience contre les attaques informatiques, les sabotages d’infrastructures critiques et les opérations clandestines. La proposition d’un système « anti-sabotage » mentionnée par Niinistö, visant à protéger les infrastructures essentielles, montre comment l’UE évolue vers un concept de défense plus large, qui ne concerne pas seulement la dimension militaire mais aussi la sauvegarde des ressources et des réseaux internes. La guerre en Ukraine a clairement montré la vulnérabilité des infrastructures critiques, comme les gazoducs et les réseaux de communication sous-marins, incitant l’UE à adopter une approche proactive pour éviter d’autres perturbations et interruptions à l’avenir.

Du point de vue du renseignement, le projet de Niinistö s’inspire probablement des modèles déjà utilisés par les alliés occidentaux, comme le réseau des « Five Eyes » entre les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, qui partagent largement le renseignement pour coordonner leur protection. Bien que l’UE dispose déjà de mécanismes de partage d’informations entre les États membres, l’établissement d’une agence de renseignement pleinement opérationnelle représenterait un changement de paradigme, en consolidant et en standardisant les processus de collecte, d’analyse et de diffusion des informations. Niinistö souligne également la nécessité de renforcer le contre-espionnage au sein des institutions européennes, notamment à Bruxelles, ville devenue un point central pour les opérations de renseignement de nombreuses puissances étrangères, en particulier russes, en raison de la présence des institutions communautaires et d’ambassades. La recommandation d’un service de renseignement européen vise donc non seulement à protéger les citoyens et les infrastructures de l’UE, mais aussi à garantir l’intégrité et la sécurité de ses propres institutions.

Les propos de Niinistö reflètent le besoin croissant de confiance et de coopération entre les États membres, essentiel pour faire face efficacement aux menaces modernes. Cependant, il existe un scepticisme quant à la possibilité de mettre en place une véritable agence de renseignement européenne, car certains États membres considèrent le partage de renseignement comme une question de souveraineté nationale. Von der Leyen a déjà reconnu que la collecte de renseignement est traditionnellement une prérogative des États nationaux, et de nombreux pays pourraient voir d’un mauvais œil une entité supranationale traitant de questions aussi sensibles. Cette réticence souligne une fois de plus les limites de l’UE à surmonter les barrières nationales dans des domaines clés de la sécurité et de la défense, et montre que, bien qu’il y ait une vision claire de renforcement de l’autonomie stratégique, la réaliser sera loin d’être simple. En définitive, le rapport de Niinistö pose les bases d’une discussion critique et nécessaire sur l’autonomie stratégique de l’UE, dans un contexte mondial où la coopération entre les États européens sera cruciale pour faire face aux défis de sécurité posés par les puissances rivales.

Le rapport de Sauli Niinistö et la proposition de créer une agence de renseignement unique au niveau européen offrent de nombreux sujets de réflexion. D’une part, les avantages de cette initiative sont évidents : une agence de renseignement centralisée permettrait à l’Union européenne de répondre de manière plus coordonnée et rapide aux menaces communes, telles que le terrorisme, le sabotage et les opérations d’espionnage. Une structure unifiée pourrait réduire la fragmentation des informations entre les différents services nationaux, garantissant un flux plus rapide et fiable de données stratégiques et opérationnelles. Cela permettrait aux États membres de prendre des décisions éclairées et fondées sur la base de renseignements complets et partagés. Une agence unique pourrait également renforcer la sécurité des institutions européennes, notamment à Bruxelles. En outre, une initiative de ce type représenterait un pas en avant vers l’autonomie stratégique de l’UE, réduisant en partie la dépendance aux informations provenant d’alliés extérieurs, notamment des États-Unis.

Cependant, les inconvénients sont tout aussi importants. Tout d’abord, il existe un problème de confiance : de nombreux États membres pourraient hésiter à partager intégralement leurs informations avec une entité supranationale, craignant des fuites de données ou la possibilité que des informations sensibles tombent entre de mauvaises mains. La tradition historique des services de renseignement nationaux, considérés comme un symbole de souveraineté et de sécurité, pourrait se heurter à l’idée de céder un pouvoir décisionnel et opérationnel à une agence centrale européenne. De plus, la création d’une agence de renseignement commune pourrait ne pas garantir pleinement l’indépendance de l’UE vis-à-vis de l’influence américaine. Au contraire, une structure de renseignement centralisée pourrait faciliter le conditionnement extérieur, car les États-Unis pourraient chercher à établir des relations privilégiées avec l’agence européenne pour garder le contrôle d’informations sensibles et orienter les choix politiques et de sécurité européens. La force de l’alliance transatlantique, consacrée par des décennies de collaboration et de liens économiques et militaires, rendrait difficile pour l’UE de se libérer complètement de l’influence de Washington, qui pourrait exercer des pressions ou accéder indirectement aux informations recueillies par l’agence européenne à travers des accords ou des partenariats bilatéraux.

En définitive, la création d’une agence de renseignement unique pourrait représenter un progrès important pour la sécurité européenne, mais générer également des complexités importantes qui ne doivent pas être sous-estimées. Pour atteindre une véritable indépendance stratégique, l’UE devrait non seulement développer une structure opérationnelle centralisée, mais aussi garantir une protection adéquate contre les interférences extérieures, en maintenant une gestion autonome et confidentielle de ses propres informations. Le succès de ce projet dépendra de la capacité de l’UE à construire une agence qui sache combiner efficacement collaboration et confidentialité, en respectant les souverainetés nationales et en résistant aux possibles conditionnements extérieurs, afin que l’Europe puisse véritablement consolider son rôle d’acteur indépendant et stratégiquement autonome sur la scène internationale.

La France aurait proposé de vendre 24 Rafale au Brésil

La France aurait proposé de vendre 24 Rafale au Brésil

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Depuis les années 2000, marquées par la vente de cinquante hélicoptères de manœuvre Super Cougar et celle de quatre sous-marins Scorpène, l’industrie française de l’armement est à la peine au Brésil.

Ainsi, la Force aérienne brésilienne [Força Aérea Brasileira, FAB] a préféré le JAS-39 Gripen E/F du suédois Saab au Rafale de Dassault Aviation, dans des conditions ayant donné matière à maintes controverses.

Plus récemment, le CAESAr [Camion équipé d’un système d’artillerie] de KNDS France a perdu un appel d’offres lancé par l’armée brésilienne [Exército Brasileiro] pour se procurer trente-six obusiers automoteurs, celle-ci ayant choisi l’ATMOS 2000 du groupe israélien Elbit Systems. Cependant, la procédure d’acquisition n’est pas encore finalisée en raison de considérations politiques et judiciaires.

Pour autant, la partie française ne désespère pas… Et elle entend profiter du prochain sommet du G20, qui se tiendra à Rio de Janeiro, les 18 et 19 novembre, pour pousser ses pions. Du moins, c’est ce qu’affirme le journaliste brésilien Claudio Dantas.

En effet, selon ses informations, Paris aurait proposé de vendre à Brasilia cinquante hélicoptères H145 [proposés par Airbus Helicopters], trente-six CAESAr, un cinquième Scorpène et… vingt-quatre Rafale. En outre, un transfert de technologie concernant la chaufferie du sous-marin nucléaire d’attaque [SNA] souhaité par la marine brésilienne [Marinha do Brasil] dans le cadre du programme Prosub est toujours sur la table. Pour rappel, il avait été évoqué par le président Macron lors d’une visite officielle au Brésil, en mars dernier.

À cette occasion, le locataire de l’Élysée avait plaidé pour renforcer significativement la coopération entre la France et le Brésil dans le domaine militaire.

« Je veux qu’à vos côtés nous puissions continuer le formidable travail qui a été mené dans la cadre de la production des hélicoptères. Regardons aussi d’autres champs, des tourelles de combat aux satellites et à l’espace, qui doit être, là aussi, un instrument de coopération concrète. […] Nous avons là aussi à bâtir des coopérations technologiques […] pour l’intérêt de nos pays », avait en effet déclaré M. Macron, lors du lancement du Toneloro, le troisième sous-marin de type Scorpène de la Marinha do Brasil.

Et d’insister : « Et qui sait ? Au-delà de ces sous-marins, d’avoir d’autres équipements et d’avoir peut-être, pour fêter dans quelques années le sous-marin à propulsion nucléaire que vous aurez bâti […], avoir des Rafale qui passeront demain car nous aurons aussi, sur ce sujet, su bâtir une coopération nouvelle ».

Quoi qu’il en soit, ce qui est certain, c’est que la Força Aérea Brasileira souhaite acquérir des avions de combat supplémentaires afin de compléter sa flotte de J-39 Gripen E/F [70 exemplaires prévus, au total]. Ces appareils remplaceraient ainsi une partie de ses F-5 Tiger II ainsi que ses chasseurs légers AMX, soit une quarantaine d’avions au total.

Cependant, d’autres pays lorgnent sur ce marché. C’est ainsi le cas de l’Inde, qui propose le HAL Tejas, en mettant dans la balance un possible achat massif d’avions de transport C-390 « Millenium » auprès du constructeur brésilien Embraer. C’est aussi celui de l’Italie, qui, à l’occasion du G20, devrait remettre une proposition portant sur la vente de trente M346 « Master », un chasseur léger développé par Leonardo. Enfin, le T-7A Red Hawk , produit par Boeing et Saab, serait également sur les rangs.

« Le temps est venu pour l’Europe de se réarmer » Entretien avec Pierre Lellouche

« Le temps est venu pour l’Europe de se réarmer »

Entretien avec Pierre Lellouche

par Pierre Lellouche – Revue Conflits – publié le 30 octobre 2024

https://www.revueconflits.com/le-temps-est-venu-pour-leurope-de-se-rearmer-entretien-avec-pierre-lellouche/


Observateur attentif des relations internationales, Pierre Lellouche publie une analyse fouillée de la guerre en Ukraine et de ses conséquences mondiales : Engrenages – La guerre d’Ukraine et le basculement du monde. Dénonçant, une guerre de l’émotion engagée par les occidentaux, sans réflexion stratégique, en réaction à l’agression Russe de février 2022, il appelle les Européens en particulier à un réarmement intellectuel, politique et militaire pour relever les défis de l’après-guerre en Europe, comme dans le reste du monde déjà impacté par ce conflit.

Co-fondateur de l’IFRI (Institut Français des Relations internationales), puis Député, Ministre, Président de l’Assemblée Parlementaire de l’Otan, et Représentant Spécial de la France en Afghanistan-Pakistan, Pierre Lellouche a consacré l’essentiel de sa carrière aux questions internationales. Il vient de publier Engrenages. La guerre d’Ukraine et le basculement du monde (Odile Jacob).

Propos recueillis par Jean-Baptiste Noé

J.-B. N. : Dans votre dernier livre, Engrenages. La guerre d’Ukraine et le basculement du monde, vous analysez les dynamiques géopolitiques de ce conflit. Vous parlez notamment de la guerre en Ukraine comme d’une « sécession ». Pourquoi utiliser ce terme ?

P. L. : Ce terme s’impose, si l’on considère la longue histoire des relations entre ces deux peuples slaves, notamment les 300 ans d’intégration de l’Ukraine dans la Russie impériale, puis l’URSS, après 600 ans de domination, polonaise et lituanienne. En vérité, la Russie n’a jamais véritablement accepté que ce pays échappe à son orbite, même après l’indépendance de l’Ukraine en 1991. L’Ukraine, pour sa part, cherche à se libérer définitivement de cette tutelle historique, en particulier depuis l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014. Cette guerre n’est donc rien d’autre qu’une guerre de sécession, prise dans l’affrontement entre Américains et Russes, où l’Ukraine tente de consolider son indépendance en s’appuyant cette fois sur l’Amérique et l’Europe face à une Russie qui souhaite la maintenir dans sa sphère d’influence. Le conflit actuel est l’aboutissement d’une série de tensions non résolues depuis la fin de la Guerre froide.

J.-B. N. : Vous comparez souvent cette situation avec la période qui a suivi le traité de Versailles. Pouvez-vous expliquer ce parallèle historique ?

 P. L. : Le parallèle est pertinent, car le traité de Versailles, de 1919 avait laissé sans réponse, nombre de questions géopolitiques capitales, comme le comprit très rapidement Jacques Bainville dans son ouvrage Les conséquences politiques de la paix (1919). À Versailles, d’ailleurs, la question ukrainienne avait été purement et simplement ignorée : par les vainqueurs comme par les vaincus, tandis qu’en Russie, les Bolcheviques comme les Russes Blancs considéreraient eux aussi l’Ukraine comme faisant partie intégrante de la Russie. En 1945, Staline traça les frontières de l’Ukraine moderne, mais à l’intérieur de l’Union soviétique, et Khrouchtchev y ajouta la Crimée en 1956, comme « cadeau » à la République Soviétique de Kiev.

La question se posa à nouveau en 1991 lors de l’effondrement de l’URSS : qu’allait-on faire de ce pays, à l’époque de 52 millions d’habitants et trois fois plus vaste que la France ? Confirmer son ancrage vers la Russie, ou l’accueillir à l’ouest, ou simplement lui donner un rôle de pont entre les deux camps et donc un statut de neutralité garantie par la communauté internationale ?  En vérité, les Occidentaux n’ont jamais voulu, ou su traiter cette question de manière explicite, pour des raisons tenant à l’indifférence, à l’ignorance, au business (le gaz russe bon marché), bref à une négligence stratégique, similaire aux années 1930. Aujourd’hui, la guerre en Ukraine rappelle ces tensions géopolitiques mal gérées, amplifiées par l’élargissement de l’OTAN et l’incapacité des grandes puissances à s’entendre sur le statut de l’Ukraine.

J.-B. N. : Vous avez parlé d’une « guerre par procuration » entre l’OTAN et la Russie. Pouvez-vous expliciter cette notion ?

P. L. : La guerre d’Ukraine est devenue une guerre par procuration non déclarée entre l’OTAN et la Russie à partir d’avril 2022. Après l’échec de l’armée russe devant Kiev, et son retrait vers Karkiv en mars, les États-Unis, suivis par les pays européens, ont commencé à fournir des quantités massives d’armes, ainsi que des soutiens financiers considérables (au moins 300 milliards de dollars à ce jour). Le Secrétaire à la Défense américain, Lloyd Austin, a été l’un des premiers à dire ouvertement que l’objectif était d’affaiblir l’armée russe et de « lui ôter toute envie de recommencer». On est alors entrés dans une dynamique de confrontation entre les deux camps autour de l’avenir de cette zone tampon, l’Ukraine, comprise entre l’Allemagne et la Russie. Comme à leur habitude, les Russes ont rapidement renversé leur discours : d’agresseur, ils prétendaient désormais être la victime d’une agression, de la part de « l’Occident collectif». Cependant, ce qui manque toujours du côté occidental, c’est une vision claire des buts de guerre. Clausewitz disait : « Le dessein politique est le but. La guerre est le moyen. Un moyen sans but ne se conçoit pas. » Une sentence que nos dirigeants devraient méditer…

Car on ne sait toujours pas ce que l’Occident veut réellement obtenir à l’issue de cette guerre. Est-ce la libération totale du territoire ukrainien, ce qui semble aujourd’hui hors de portée ? Ou bien la chute du régime de Poutine ? Cette ambiguïté affaiblit la stratégie occidentale, tandis que la lassitude gagne en Europe comme aux États-Unis, et que les caisses sont vides…

J.-B. N. : Donc l’Occident n’a pas d’objectif de guerre clair ?

P. L. : Exactement. Contrairement à la Russie, qui a défini des objectifs – même s’ils ont évolué au fil du conflit – l’Occident semble manquer de but précis. Au début, la Russie voulait sans doute occuper toute l’Ukraine et installer un régime pro-russe, mais cette ambition a échoué. Les Russes ont alors concentré leurs efforts sur le Donbass et la Crimée. L’objectif russe est donc plus ou moins clair aujourd’hui : maintenir le contrôle de ces régions. En revanche, du côté occidental, le discours se résume à un slogan assez flou : « aussi longtemps que nécessaire», sans que l’on sache vraiment ce que cela signifie. Nous sommes dans une guerre où les émotions dominent, mais sans véritable plan stratégique à long terme.

J.-B. N. : Vous mentionnez dans votre livre que la guerre en Ukraine entraîne des répercussions plus larges et s’inscrit dans un basculement du monde. Pouvez-vous nous en dire plus ?

P. L. : La guerre d’Ukraine marque un tournant majeur dans l’histoire du monde, 30 ans après la fin de la guerre froide, et ce pour deux raisons.

Cette guerre est d’abord fondamentale pour le devenir du système de sécurité en Europe même : le statut de cette zone stratégique, essentielle, comprise entre l’Allemagne et la Russie en est l’enjeu.  Cette question constituera le cœur de la future négociation de paix, sans doute à partir de l’an prochain.

Mais cette guerre est également fondamentale en ce qu’elle a provoqué l’accélération de nombre de mouvements telluriques déjà à l’œuvre dans la communauté internationale et dans les rapports de force entre les nations. Sans nous en rendre compte, nous avons fabriqué une alliance stratégique entre la Chine et la Russie – le cauchemar d’Henry Kissinger – une alliance à laquelle se sont joints deux États particulièrement toxiques, l’Iran et la Corée-du-Nord. Quatre puissances nucléaires : ce que j’appelle dans le livre, « les Quatre cavaliers de l’apocalypse ».

Nous assistons à une recomposition des alliances internationales, avec d’un côté l’Occident, et de l’autre, une grande alliance révisionniste, certes hétérogènes, formée par la Russie, la Chine, l’Iran, et la Corée du Nord. Cette alliance s’oppose de plus en plus ouvertement à l’ordre international établi après la Seconde Guerre mondiale, dominé par les États-Unis et leurs alliés. Ce bloc révisionniste est soutenu par ce que la Russie appelle « la majorité du Sud global », des pays émergents et des puissances régionales qui ne veulent plus être soumis à la domination occidentale. Ils cherchent à construire un ordre alternatif, avec des institutions comme les BRICS ou des structures financières alternatives au système du dollar. Cette transformation marque un tournant majeur dans l’histoire du monde.

J.-B. N. : Vous soulignez également l’imbrication de la guerre en Ukraine avec d’autres conflits, notamment au Moyen-Orient. Pouvez-vous expliquer ce lien ?

P. L. : Oui, la guerre d’Ukraine a déjà métastasé. Il y a une connexion très nette entre la guerre d’Ukraine et d’autres zones de conflit, notamment au Moyen-Orient, où l’on retrouve les mêmes acteurs. L’Iran, par exemple, joue un rôle crucial dans ces deux théâtres. Il fournit des drones et des armes à la Russie, qui les utilise contre l’Ukraine. En même temps, l’Iran mène une guerre contre Israël, soutenu par des puissances comme la Chine qui contourne les sanctions en achetant du pétrole iranien.

Ces guerres sont interconnectées à travers des alliances stratégiques, économiques et militaires. Par exemple, la Corée du Nord, qui soutient la Russie en fournissant des armes et désormais des soldats, se voit en retour protégée par Moscou et Pékin sur la scène internationale. Ces dynamiques montrent que la guerre en Ukraine a déclenché une série de répercussions dans d’autres régions du monde, notamment au Moyen-Orient, en Asie, et même en Afrique, où l’influence américaine et française est remise en question.

J.-B. N. : À quoi pourrait ressembler une issue négociée à ce conflit selon vous ?

P. L. : Un accord de paix est possible, mais sera-t-il solide et surtout durable ? Où allons-nous refermer la plaie en laissant l’infection à l’intérieur ? Dans les grandes lignes, l’essentiel de l’accord a déjà été négocié entre les belligérants dès avril 2022, sous médiation turque (je publie en annexe, dans mon livre, l’essentiel du projet d’accord alors négocié).

Les deux parties devront d’abord se mettre d’accord sur un partage territorial que naturellement ni l’Ukraine, ni les Occidentaux ne reconnaîtront comme définitif, de même que dans les années 40, nous n’avions pas, nous Occidentaux, reconnu la partition de l’Allemagne comme définitive. La réalité sur le terrain, est que la Russie contrôle déjà 20 % du territoire de l’Ukraine, notamment la Crimée et une grande partie du Donbass, lui-même annexé d’ores et déjà par Moscou. La réalité militaire est que l’Ukraine ne pourra pas reprendre ces territoires par la force armée. Dès lors, le futur accord ne pourra que constater cet état de fait.

Reste le plus difficile : le statut de l’Ukraine et les garanties de sécurité. La réalité, là encore, au-delà des beaux discours, est que l’Ukraine ne pourra pas entrer dans l’OTAN : ni les Américains, ni les Allemands ne souhaitent franchir cette ligne par crainte d’une confrontation directe avec la Russie. Funeste ironie pour qui se souvient que l’origine de cette affaire remonte au sommet de l’OTAN à Bucarest en 2008, où George W Bush tenait absolument à faire entrer l’Ukraine immédiatement ! Reste alors le statut de neutralité, compatible avec l’entrée de l’Ukraine dans l’UE, qui serait garanti par la communauté internationale. Cette fois cependant il devra s’agir de garanties extrêmement solides, à un moment où les États-Unis sont tentés de basculer vers l’Asie. Cela signifie que l’Europe devra jouer un rôle crucial dans la sécurisation et la reconstruction de l’Ukraine de l’après-guerre : un pays amputé, économiquement dévasté, politiquement instable et de surcroît sur militarisé. En clair : une tâche immense s’annonce donc pour les européens.

J.-B. N. : Vous semblez pessimiste quant à la capacité des Européens à relever ce défi. Pourquoi ?

P. L. : Je suis en effet, très préoccupé par l’absence de vision stratégique en Europe, comme de tout débat sur l’après-guerre. Les gouvernements européens sont faibles et peu préparés à faire face aux enjeux post-conflit. Nous avons des gouvernements fragiles en Allemagne, en France, au Royaume-Uni, et l’Europe semble obsédée par des crises internes, notamment économiques. Il y a très peu de réflexions sur la manière dont nous pourrions stabiliser durablement l’Europe centrale, qui est pourtant un enjeu essentiel pour la sécurité du continent.

Ce manque de leadership et de vision stratégique en Europe est extrêmement inquiétant, d’autant plus que les Américains, à long terme, vont sans doute se concentrer de plus en plus sur leur rivalité avec la Chine. L’Europe devra donc prendre ses responsabilités, mais pour l’instant, je vois peu de signes qu’elle se prépare à relever ce défi.

J.-B. N. : Quel serait le principal message de votre livre ?

P. L. : Mon livre cherche à alerter sur les engrenages géopolitiques dans lesquels nous nous sommes embarqués, sans la moindre réflexion stratégique. La guerre en Ukraine est bien plus qu’un conflit local. Elle marque un tournant historique qui réorganise l’ordre mondial. Transformation qu’a reconnu, certes à sa manière, le Secrétaire général de l’ONU en se rendant au sommet des Brics de Kazan, accueilli par Vladimir Poutine pourtant inculpé par la Cour pénale internationale.

Si nous ne prenons pas conscience de la profondeur de ces changements, nous risquons de subir un monde plus chaotique et violent sans être préparés. Le temps est venu pour l’Europe et l’Occident de se réarmer intellectuellement, politiquement, et militairement pour faire face à ces nouveaux défis.

Guerre en Ukraine : la Russie déploie des chars « vintage » de la Seconde Guerre mondiale

Guerre en Ukraine : la Russie déploie des chars « vintage » de la Seconde Guerre mondiale

Par Paolo Garoscio – armees.com – Publié le 29 octobre 2024

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guerre-ukraine-russie-chars-vintage-WWII-strategie – © Armees.com

 

Depuis le 28 octobre 2024, des rapports indiquent que la Russie utilise des chars anciens de la Seconde Guerre mondiale sur le front en Ukraine. Face à des difficultés matérielles et logistiques, Moscou a décidé de recourir à des équipements militaires « vintage » pour combler les lacunes de son arsenal moderne. Des modèles emblématiques comme le T-34, le IS-3, et le canon automoteur ISU-152 ont été repérés, marquant un tournant stratégique surprenant.

Les modèles de chars de la Seconde Guerre mondiale repérés en Ukraine

Ces véhicules représentent des reliques militaires, autrefois au cœur des batailles de la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, leur technologie et leurs capacités sont dépassées par les standards modernes, mais ils possèdent encore certains atouts dans des situations spécifiques.

Le T-34 : le char de légende

  • Production : 1939 – 1958, principalement en URSS.
  • Armement : Initialement équipé d’un canon de 76,2 mm, puis amélioré avec un canon de 85 mm pour contrer les blindés allemands.
  • Blindage et mobilité : Grâce à une inclinaison intelligente de son blindage, le T-34 offrait une protection renforcée contre les tirs directs. Sa capacité à évoluer sur différents terrains et sa relative vitesse en faisaient un char redoutable pour l’époque.

Les experts estiment qu’environ 80 000 unités de T-34 ont été produites, et plusieurs pays en possèdent encore. En raison de sa facilité d’entretien et de sa conception robuste, ce char reste fonctionnel, mais face aux armes antichars modernes, sa survie serait limitée.

L’IS-3 : la réponse soviétique aux chars lourds

  • Conception : Mis en service en 1945, le char IS-3 (Iosif Stalin) visait à surpasser les chars lourds allemands tels que le Tiger II.
  • Blindage : Sa particularité réside dans son blindage avant, formé en pointe de flèche, un choix technique qui améliore sa résistance aux projectiles. Sa conception était en avance sur son temps et a influencé la conception de chars modernes.
  • Armement : Équipé d’un canon de 122 mm, l’IS-3 pouvait engager des cibles lourdes à des distances modérées.

L’IS-3, bien qu’impressionnant, souffre d’une vitesse de déplacement lente, de difficultés de manœuvre, et d’un habitacle étroit, rendant son équipage vulnérable dans les combats modernes. Peu adapté aux besoins de mobilité des guerres contemporaines, ce modèle reste néanmoins intimidant en parade militaire.

L’ISU-152 : le « Briseur de fortifications »

  • Rôle stratégique : Le canon automoteur ISU-152 a été conçu pour des opérations de destruction massive contre des structures défensives et des positions fortifiées.
  • Armement : Son obusier de 152 mm est capable de tirer des projectiles explosifs puissants, idéaux pour neutraliser des bunkers et des formations de blindés.
  • Limites : Ce modèle est lourd et son armement principal, bien que destructeur, manque de précision à longue distance, ce qui limite son efficacité dans les environnements de combat modernes.

L’ISU-152, surnommé le « Zveroboy » (tueur de bêtes), a été produit à environ 4 600 exemplaires. Toutefois, son impact reste limité en raison de la lenteur de son canon à se repositionner et de sa faible cadence de tir.

Contexte stratégique : pourquoi la Russie déploie ces vieux chars en Ukraine ?

L’apparition de ces chars relève d’une stratégie de dernier recours. Plusieurs facteurs contribuent à cet usage :

  1. Pénurie de matériel moderne : Les rapports indiquent que la Russie fait face à un épuisement de son équipement militaire moderne, dû à une consommation excessive en raison de la durée du conflit.
  2. Mobilisation des ressources de réserve : Face à une pression logistique croissante, le Kremlin se tourne vers des équipements des entrepôts. L’objectif serait de compenser les pertes matérielles tout en conservant les ressources modernes pour des opérations plus stratégiques.
  3. Usage dans des scénarios d’entraînement ou pour des campagnes de propagande : La réintroduction de ces véhicules sur le terrain pourrait aussi être un message adressé à la population russe et aux observateurs étrangers, symbolisant une résilience historique.

Selon Anton Gerashchenko, ex-ministre ukrainien de l’Intérieur, « des vidéos montrent un T-34, un IS-3 et un ISU-152, tous issus de la Seconde Guerre mondiale ». Son analyse laisse entendre que la Russie pourrait utiliser ces chars pour former les recrues ou même préparer des parades symboliques.

NOELREPORTS, une source d’information sur Twitter, confirme également la présence de ces équipements en précisant qu’ils « ont été sortis de l’entrepôt ». De nombreux analystes estiment qu’ils pourraient être utilisés pour des démonstrations de force ou des manœuvres dans des zones sécurisées loin des lignes de front actives.

Vieux chars russes : Une stratégie de la dernière chance… mais pas que

Avantages potentiels

  • Utilisation dans des zones rurales ou en soutien logistique : Ces chars pourraient être efficaces dans des contextes limités, où l’ennemi dispose de peu d’armes antichars modernes.
  • Effet dissuasif psychologique : Bien que datés, ces modèles de chars peuvent créer une forte impression, rappelant aux observateurs les sacrifices et la persévérance de la Russie durant la Seconde Guerre mondiale.

Limites et vulnérabilités

  • Vulnérabilité aux armes modernes : Ces chars seraient facilement neutralisés par des missiles antichars modernes tels que le Javelin ou le NLAW.
  • Obsolescence technique : Comparativement aux chars contemporains, leur blindage, leur puissance de tir et leur maniabilité sont inférieurs, réduisant leur impact sur le champ de bataille moderne.

Le retour de ces véhicules anciens reflète une situation difficile pour l’armée russe. Elle semble être poussée à trouver des solutions alternatives face aux pertes cumulées et aux sanctions internationales qui entravent la production de matériel moderne. Cette stratégie de « recyclage » pourrait avoir des impacts à court terme, mais demeure une solution temporaire qui révèle la complexité croissante de maintenir un front actif en Ukraine.

Ces chars, bien qu’emblématiques, risquent de devenir des cibles faciles pour les forces ukrainiennes mieux équipées. En somme, ce déploiement symbolise davantage une tentative de pallier une pénurie plutôt qu’une réelle avancée stratégique.

Face à l’envoi de troupes nord-coréennes, la Corée du Sud pourrait aussi se mêler à la guerre en Ukraine

Face à l’envoi de troupes nord-coréennes, la Corée du Sud pourrait aussi se mêler à la guerre en Ukraine

Le rapprochement entre Vladimir Poutine et Kim Jong-un ne fait pas les affaires de Séoul qui n’aura peut-être pas d’autres choix que de réagir.

Un défilé militaire organisé lors de la 76e Journée des Forces armées sud-coréennes, le 1er octobre 2024, sur la base aérienne de Seongnam, près de Séoul. | Jung Yeon-je / AFP

Repéré sur Business Insider

Vous ne trouverez pas plus belle illustration de l’adage «les ennemis de mes ennemis sont mes amis». Le soutien croissant apporté par la Corée du Nord à la Russie dans sa guerre d’invasion de l’Ukraine, tant sur le plan matériel que sur le plan humain avec l’envoi récent de troupes, ne plaît pas du tout à son voisin du sud qui a menacé d’envoyer à son tour du matériel et des armes à Kiev pour aider le pays à se défendre. Pour l’instant, rien n’est fait. Mais si cette aide se matérialise, il pourrait s’agir d’un coup de pouce précieux pour Volodymyr Zelensky, analyse le média en ligne américain Business Insider.

La Corée du Sud a fermement condamné l’envoi de plusieurs milliers de soldats nord-coréens en Ukraine, plusieurs hauts responsables s’exprimant sur le sujet après une réunion d’urgence du Conseil de sécurité nationale, le 22 octobre. Ils ont également évoqué la possibilité de livraisons d’armes à l’Ukraine qui s’inscrirait dans le cadre de contre-mesures graduelles, n’excluant pas au passage l’envoi de troupes sur le terrain pour surveiller de près la présence nord-coréenne et son rôle dans le conflit. La déclaration n’a pas plu à la Russie, qui l’a fait savoir par la voix de Maria Zakharova, la porte-parole du ministère des Affaires étrangères. Le 23 octobre, elle a ainsi menacé la Corée du Sud de «conséquences en matière de sécurité» si elle se décidait à intervenir, a rapporté l’agence de presse sud-coréenne Yonhap.

«Les armes sud-coréennes pourraient potentiellement faire une différence significative, à la fois sur les capacités défensives et offensives de l’Ukraine», estime Jeremy Chan, analyste au sein du cabinet de conseil Eurasia Group et interrogé par Business Insider. La Russie aurait donc raison de s’inquiéter d’une possible entrée de la Corée du Sud –alliée des États-Unis– dans la guerre en Ukraine. Le pays asiatique s’est constitué un arsenal robuste au fil des années, notamment en raison du conflit larvé avec son voisin du nord.

Systèmes de défenses antiaérienne et antimissile, mais aussi canons automoteurs K9 Thunder, chars de combat K2, lance-roquettes multiples: de quoi soulager grandement Kiev en permettant de mieux protéger les villes et les infrastructures du pays, tout en renforçant la puissance de feu sur le front. Cette aide matérielle ne serait pas exactement une première. La Corée du Sud a déjà participé de manière indirecte à l’approvisionnement de l’Ukraine en obus de calibre 155 mm, en envoyant des munitions à des alliés occidentaux qui ont servi d’intermédiaires.

Ira, ira pas?

Mais l’arrivée de troupes nord-coréennes change la donne, d’après Ellen Kim, experte des Corées pour le groupe de réflexion américain Center for Strategic and International Studies. «La Corée du Sud pourrait également contribuer à une campagne de guerre psychologique contre les soldats nord-coréens qui pourraient ne pas vouloir se battre dans la guerre», avance l’analyste. Mais le chemin vers un soutien matériel et humain de la Corée du Sud à l’Ukraine est encore long. La Constitution du pays et plusieurs lois nationales limitent grandement les exportations d’armes vers des pays en guerre. L’impopularité du président sud-coréen Yoon Suk-yeol serait un frein pour faire évoluer ces lois et les abroger, du moins tant qu’il n’y a pas de menace claire pour le pays.

La Corée du Sud ne tient pas non plus à s’aliéner totalement la Russie, malgré les services passés et futurs que le pays peut rendre à Pyongyang. «En échange des obus nord-coréens et du soutien militaire en Ukraine, le Kremlin a cherché à freiner les inspections de l’ONU concernant le programme nucléaire de la Corée du Nord et pourrait être prêt à lui fournir une technologie militaire sophistiquée», explique Business Insider. Selon Jeremy Chan, le président sud-coréen Yoon Suk-yeol cherche le meilleur moyen de dissuader la Russie. «Séoul pense que la menace de fournir des armes lui donne plus d’influence sur Moscou qu’elle n’en aurait si la Corée du Sud commençait à fournir des armes directement», affirme l’analyste. Autrement dit, Yoon Suk-yeol bluffe.

Les véhicules nord-coréens livrés à la Russie vont-ils changer le cours de la guerre en Ukraine?

Les véhicules nord-coréens livrés à la Russie vont-ils changer le cours de la guerre en Ukraine?

Les relations diplomatiques et commerciales de la Corée du Sud avec la Russie et dans la région sont également un frein pour Yoon Suk-yeol. «Il y a une possibilité que la Corée du Sud puisse tirer sur des Russes et/ou des Nord-Coréens, ce qui internationaliserait et élargirait encore la guerre. Le pire des scénarios est que cela déclenche une guerre nucléaire dans la péninsule coréenne, qui entraînerait les États-Unis et la Chine dans un conflit armé», anticipe Sean McFate, professeur de stratégie géopolitique à l’université Georgetown (située à Washington, D.C.).

Beaucoup à perdre, donc, mais peu à gagner… pour le moment. L’alliance de plus en plus forte entre la Russie et la Corée du Nord pourrait pousser la Corée du Sud à agir, qu’elle le veuille ou non. Si le leader nord-coréen Kim Jong-un reçoit, en échange de ses services en Ukraine, des armes sophistiquées et de la technologie de pointe, la menace serait de plus en plus pressante pour la Corée du Sud. «L’implication de la Corée du Nord augmente considérablement le risque que la Corée du Sud soit obligée de s’engager dans la guerre», conclut Ellen Kim.

La faiblesse de l’armée britannique est reconnue par le ministre de la Défense du Royaume-Uni : Le pays serait incapable de soutenir une guerre

La faiblesse de l’armée britannique est reconnue par le ministre de la Défense du Royaume-Uni : Le pays serait incapable de soutenir une guerre

La faiblesse de l'armée britannique est reconnue par le ministre de la Défense du Royaume-Uni : Le pays serait incapable de soutenir une guerre
La faiblesse de l’armée britannique est reconnue par le ministre de la Défense du Royaume-Uni : Le pays serait incapable de soutenir une guerre

 

Alerte du ministre de la défense britannique : « Nous ne sommes pas prêts pour la guerre » !

Doit-on en rire ou en pleurer ? Le ministre britannique de la Défense, John Healey, a fait un aveu qui sonne comme un avertissement : le Royaume-Uni n’est pas prêt à mener une guerre. Cette déclaration, faite lors d’un discours relayé par The Telegraph le 24 octobre 2024, révèle des lacunes significatives dans la préparation militaire du pays.

Une armée britannique sous-équipée et mal préparée

Malgré un budget de défense supérieur à 2% du PIB, conformément aux engagements de l’OTAN, le Royaume-Uni se trouve avec des forces armées qui laissent à désirer en termes de modernité et de préparation. Selon un récent rapport parlementaire, l’armée de terre britannique, la British Army, n’a pas évolué significativement depuis l’époque de la bataille de Waterloo. De son côté, la Royal Air Force manque cruellement d’avions de combat adaptés aux conflits de haute intensité, et la Royal Navy, bien que dotée de deux porte-avions, souffre d’un manque de navires de premier rang et rencontre des difficultés de recrutement et de disponibilité pour ses sous-marins nucléaires et ses frégates.

Une déclaration sans précédent

Pour la première fois, un ministre de la Défense britannique admet publiquement que le pays n’est pas prêt à soutenir une guerre. Cette révélation est d’autant plus inquiétante qu’elle intervient dans un contexte où les menaces globales, notamment de la part de la Chine et de la Russie, sont en augmentation. John Healey insiste sur le fait que sans une capacité réelle de combattre, le Royaume-Uni ne peut pas dissuader efficacement les agressions potentielles. Le constat du ministre Healey sur l’état des finances et des forces armées britanniques est alarmant. Pris au pouvoir après les élections législatives, il a été confronté à une situation bien plus précaire que prévu, avec des implications graves pour la sécurité nationale et la capacité de défense du pays.

Incertitudes budgétaires

Alors qu’une nouvelle revue stratégique de défense est en cours, il semble peu probable que le ministère de la Défense obtienne les fonds nécessaires pour rectifier le tir. Des hauts responsables militaires ont exprimé des doutes quant à l’augmentation du budget de la défense pour l’exercice 2025, ce qui pourrait entraver les efforts de modernisation et de préparation requise.

Réactions officielles et garanties de sécurité

Malgré ces défis, un porte-parole du 10 Downing Street a réaffirmé que le gouvernement prendrait toutes les mesures nécessaires pour défendre le pays. Il a souligné que les forces armées britanniques, parmi les meilleures au monde, assurent la défense du pays en permanence et travaillent en étroite collaboration avec les alliés pour anticiper et se préparer à tout événement.

Un avenir militaire incertain

Cette situation intervient alors que le général Roland Walker, chef d’état-major de la British Army, a averti que le Royaume-Uni avait peu de temps pour se préparer à un conflit majeur potentiel, en particulier une confrontation avec la Chine. De plus, quelle que soit l’issue du conflit en Ukraine, la menace russe restera prégnante et probablement vengeresse.

Cet article explore la récente déclaration choc du ministre britannique de la Défense, révélant que le Royaume-Uni n’est pas préparé à affronter les défis militaires actuels et futurs. Cette révélation met en lumière les lacunes dans la préparation militaire du pays et soulève des questions sur sa capacité à maintenir sa sécurité et à dissuader les menaces externes dans un contexte géopolitique de plus en plus tendu.

Source : Telegraph

ANALYSE – La Turquie face au terrorisme du PKK

Attentat terroriste contre l’industrie aérospatiale turque
Image par Hüseyin Özgün de Pixabay

ANALYSE – La Turquie face au terrorisme du PKK

Par Alain Rodier  – Le Diplomate Média – publié le 27 octobre 2024

Le 23 octobre vers 15 h 30 (heure locale), une attaque terroriste s’est déroulée contre le site industriel de la TAI (Turkish Aerospace Industries – TUSAŞ -) à Kahramankazan, ville située à une quarantaine de kilomètres de la capitale Ankara. 15.000 personnes travaillent sur ce complexe industriel. TAI est un acteur clé de l’industrie aérospatiale turque, qui conçoit, développe et fabrique divers avions civils et militaires.

L’attentat a eu lieu alors qu’un grand salon professionnel des industries de la défense et de l’aérospatiale se tenait la même semaine à Istanbul. Pour mémoire, la Turquie a une puissante industrie de défense qui exporte de nombreux armements dont les plus célèbres sont les drones fabriqués par la société Baykar qui appartient au gendre du président turc.

Un couple d’assaillants lourdement armés est arrivé dans un taxi qu’il avait dérobé en assassinant le chauffeur et en cachant sa dépouille dans le coffre, devant l’entrée des personnels à l’heure d’une relève du poste de sécurité. Ils ont tiré dans toutes les directions essayant d’atteindre tous ceux qui passaient à leur portée. Au moins un terroriste a pénétré à l’intérieur du site, armé d’un fusil d’assaut AK-74 équipé d’un système d’aide à la visée et d’une arme de poing, les deux étant dotés de modérateurs de son.

La femme qui l’accompagnait a utilisé un AKS-74U (version courte de l’AK-74) équipé d’un Aimpoint et de deux chargeurs « tête bêche ».

Cinq personnes avaient été tuées lors de l’action et 22 blessées.

Les deux terroristes seraient morts, l’un se faisant exploser avec la charge qu’il avait dans son sac à dos.

On ne savait pas immédiatement qui pouvait être derrière l’attaque mais l’hypothèse Daech était exclue car les salafistes-jihadistes n’emploient pas de femmes dans des rôles opérationnels (l’exception qui confirme la règle sont les « veuves noires » tchétchènes et les kamikazes nigérianes de Boko Haram).

Il restait des groupuscules d’extrême-gauche et le PKK qui ont mené des opérations terroristes meurtrières par le passé.

Le semi-professionnalisme de l’action a permis d’en déduire que les deux activistes avaient suivi un entrainement militaire au tir.

En 24 heures, les deux activistes ont été identifiés. Le ministre de l’intérieur Ali Yerlikaya, a d’abord nommé Ali Örek alias « Rojger ».

Ce dernier avait publié des messages sur les réseaux sociaux faisant l’éloge du terrorisme et des violences qu’il aurait commis au cours des dernières années. Dans un message datant de 2015, il pose brandissant une arme de poing sur sa tempe accompagné du message disant « il est mort ».

La femme terroriste a été identifiée comme étant Mine Sevjin Alçiçek présentée par les autorités turques comme également membre du PKK.

Ce qui est certain, c’est qu’en 2014 elle était co-présidente du parti pro-Kurdes HDP pour la province du Hakkari dans le sud-est de la Turquie. Cette région est la zone d’implantation principale du PKK sur le territoire turc en raison de la proximité de l’Irak et de l’Iran.

C’est à la même époque que Recep Tayyip Erdoğan, alors Premier-ministre, a fait arrêter près de 26.000 militants (dont les principaux dirigeants) et sympathisants du HDP pour « liens avec les terroristes du PKK ».

Le 15 octobre 2023, le HDP a changé de nom pour devenir le Parti pour l’égalité des peuples et la démocratie (Hedep) puis Parti Dem mais ses militants se sont dilués dans d’autres formations (extrême-gauche, écologistes…) craignant à tout moment la dissolution.

Cette dernière action terroriste risque de provoquer sa fin… mais pas la disparition de la cause kurde.

Enfin est venue une revendication du PKK : « l’action sacrificielle commise contre l’enceinte des TAI à Ankara vers 15H30 le mercredi 23 octobre a été menée par une équipe duBataillon des Immortels’ ». Pour le PKK, il s’est agi d’envoyer « des avertissements et des messages contre les pratiques génocidaires, les massacres et les pratiques d’isolement du gouvernement turc […] Nous savons que les armes produites par TAI ont massacré des milliers de nos civils au Kurdistan, y compris des enfants et des femmes ». Il conclue que c’est son « droit légitime » à frapper « les centres où ces armes de massacre sont produites ».

Contexte

Cet attentat a eu lieu alors que le président Recep Tayyip Erdoğan assistait au sommet des BRICS+ à Kazan en Russie. Cette organisation économique regroupe pour le moment le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud, l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Éthiopie et l’Iran. Ces neuf pays représentent à eux seuls près de la moitié de la population mondiale mais que 26 % du produit intérieur brut mondial en valeur nominale contre 44 % pour les pays du G7. L’attaque na pas semblée suffisamment grave pour qu’il rentre immédiatement. Il faut dire qu’il défend la candidature de la Turquie à cette organisation – une première pour un pays de l’OTAN.

Le 21 octobre, il s’était aussi passé un évènement important pour Erdoğan : le décès du prédicateur musulman Fethullah Gülen âgé de 83 ans qui vivait en exil aux États-Unis depuis 1999.

Depuis près de quinze ans, il était recherché par la justice d’Erdoğan qu’il avait pourtant soutenu secrètement dans sa montée vers le pouvoir depuis les années 1980.

Gülen souffrait depuis longtemps de problèmes de santé – raison officielle de son exil aux USA en 1999 – . En réalité, à l’époque il craignait de se faire arrêter par l’armée qui avait lancé des enquêtes à son sujet. Curieusement, il n’était pas rentré en Turquie après l’arrivée au pouvoir en 2022 de l’AKP, le parti islamique d’Erdoğan.

C’est dans les années 1980 que son mouvement « Hizmet » (en turc, « services ») avait commencé à infiltrer des importants ministères : la Justice, l’Intérieur et même l’armée plaçant ses adeptes à des postes clefs.

Hizmet avait aussi d’étendre aussi son influence dans plus de 180 pays dont beaucoup en Afrique et en Asie via des écoles et des dispensaires privés très appréciés des populations locales pour leur excellence.

À l’intérieur, Hizmet a participé à la mise au pas de l’armée après les procès du « complot Ergenekon », une parodie de justice mais cette dernière et la police étaient à sa botte. La haute hiérarchie militaire – majoritairement politiquement laïque – avait été décapitée et la carrière d’officiers acquis à la cause de Gülen avait été propulsée.

Mais le danger militaire étant écarté, Gülen a commencé à être jugé comme une menace pour Erdoğan qui voulait concentrer tous les pouvoirs dans sa main (c’est lui qui a fait adopter la nouvelle Constitution qui a transformé la Turquie en régime présidentiel grâce à un amendement de 2017).

La rupture intervint en 2013 lorsqu’un scandale de corruption a éclaboussé des proches d’Erdoğan. Les juges et les policiers impliqués dans l’enquête – aux ordres de Gülen – se sont retrouvés à leur tour derrière les barreaux sur instructions du pouvoir politique en place à Ankara (Erdoğan était alors Premier ministre). Beaucoup qui avaient participé à la mise au pas de l’armée ont rejoint à leur tour les geôles turques. En retour, la plupart des officiers généraux emprisonnés ont été blanchis des accusations qui avaient été portées contre eux. Ils sont sortis de prison mais ont été mis à la retraite car ils avaient atteint les limites d’âge de leur grade. Ils ne constituaient plus un danger pour Erdoğan…

Il restait à régler le cas des officiers proches de Gülen. Le 16 juillet 2016, il y eut un coup d’État militaire aussitôt attribué par Erdoğan au Hizmet rebaptisé « organisation terroriste FETÖ ».

Cela permis de purger l’armée de ces éléments jugés « séditieux » – mais cette fois « islamistes » mais aussi d’autres administrations, la presse, et les mouvements politique pro-kurdes – qui n’avaient strictement rien à voir avec ce putsch -…

En réalité, tous les opposants au premier ministre mais aussi futur président turc (2018 puis 2023) ont été écartés.

Aujourd’hui, le président turc se retrouve sans adversaires sérieux en dehors des Kurdes.

À l’extérieur, il est au sommet de son pouvoir faisant plier les Occidentaux à sa volonté et se désignant comme le leader des croyants face à Israël.

Sa position est confortable mais risquée pour la suite d’autant qu’il n’a pas encore de dauphin désigné.

Peut-être le « fidèle parmi les fidèles » Hakan Fidan, actuel ministre des Affaires étrangères mais surtout ancien directeur des services spéciaux turcs de 2010 à 2023, le redouté MIT compétents à l’intérieur comme à l’extérieur. À son poste, il a certainement joué un rôle central dans la lutte contre le mouvement Hizmet et son chef Gülen.  Il représente vraiment l’« État profond » turc et il sait tout sur tout le monde…

Le « rêve » d’être le « Sultan » du monde musulman.

Le président Erdoğan a fait des déclarations virulentes contre Israël et l’Occident dans un discours rapporté par le Turkish Daily News le 20 octobre : en tant qu’« ennemie des oppresseurs et protectrice des opprimés », la Turquie soutient la Palestine dans sa  lutte pour la liberté et la dignité contre le réseau du génocide […] Les États-Unis, l’Europe et le Conseil de sécurité de l’ONU sont devenus de simples jouets entre les mains d’un meurtrier impitoyable connu sous le nom de Netanyahou […] 20. 000 enfants sont morts [dans la bande de Gaza]. Pas une seule personne ne s’est manifestée pour dire : c’est une honte […] Des dizaines de milliers de femmes sont mortes et les organisations de défense des droits des femmes n’ont pas prononcé un mot […] Quelques 175 journalistes sont morts et les médias internationaux ne s’en soucient pas du tout […] La responsabilité du massacre de 50.000 innocents incombe sans aucun doute aux forces d’occupation israéliennes sans foi ni loi ».

Il a ajouté que ceux « qui apportent un soutien inconditionnel au gouvernement israélien et envoient des armes et des munitions sont également ouvertement complices de ce massacre ».

Cette charge est à inscrire dans le contexte de la volonté toujours assumée d’Erdoğan de devenir « le » leader du monde musulman d’où le surnom qui lui donné par ses opposant de « Sultan ».

Il utilise la cause palestinienne depuis des années profitant du fait que les pays arabo-sunnites s’en désintéressent depuis des décennies.

Il se retrouve par contre en concurrence avec l’Iran – le vieil adversaire de la Turquie – qui, comme lui, exploite les Palestiniens à des fins politiques. Sur le fond, le régime de Téhéran n’a rien à faire des Palestiniens – qui sont sunnites – mais ils sont « intéressants » dans la guerre maintenant à « grands bruits » menée contre l’État hébreu via des proxies. Les mouvements palestiniens lui permettent de menacer Israël depuis le sud et l’est, comme le Hezbollah le fait depuis le Liban, au nord. Cela pourrait changer dans les temps à venir…

C’est un peu la même chose pour Erdoğan, à la différence près que ce n’est pas l’État hébreu qui est directement visé par ses invectives ; il s’en sert pour affirmer sa volonté d’être le « nouveau Sultan » du monde musulman.

Jusqu’à maintenant, sa manœuvre n’a pas fonctionné malgré l’appui des Frères musulmans dont il est – au minimum – très proche. En effet, les révolutions arabes de 2011 sur lesquelles il comptait pour établir son leadership ont échoué en Égypte, en Syrie et en Libye.

La guerre de Gaza lui permet de revenir en première ligne.

Toutefois, si le discours récents d’Erdoğan peut être considéré comme un « classique » que tout le monde laissait plus ou moins passer auparavant, la suite est plus qu’inquiétante. En effet, il a exprimé son « respect » pour les dirigeants et les membres de la résistance palestinienne, « qui est devenue légendaire non seulement par leurs luttes mais aussi par leurs martyrs, et pour tous les héros qui ont arrosé les terres de Gaza de leur sang béni (…). Je souhaite la miséricorde de Dieu à Yahya Sinwar, le chef du Hamas qui est tombé en martyr récemment ».

Comme tous les dirigeants de la planète, il joue sur la corde sensible des Occidentaux et leurs  valeurs « universelles », au premier rang desquelles se trouvent les Droits humains. Il est pourtant très mal placé pour donner la moindre leçon de morale. Certes, il n’a pas connu la période du génocide arménien – mais il l’a toujours nié en tant que responsable politique -, par contre sa violence à l’égard des Kurdes (après avoir pourtant tenté de négocier en 2013 via Abdullah Öcalan incarcéré sur l’île d’Imrali) est patente, que ce soit à l’égard des Kurdes turcs qui croupissent dans les geôles ou des Kurdes syriens et irakiens jugés comme des « cousins » du PKK.

La raison de l’attaque du PKK

Mais la raison de l’attaque est peut-être autre. En effet, le président du MHP (parti du mouvement nationaliste) Devlet Bahçeli, principal allié de l’AKP au pouvoir, avait invité Abdullah Öcalan, emprisonné depuis 1999, à s’exprimer devant le Parlement pour annoncer la dissolution de son parti et son renoncement au terrorisme.

Dans la foulée, le 23 octobre, le neveu du leader kurde, Ömer Öcalan, député du principal parti pro-Kurdes (ex-HDP) a pu le rencontrer dans sa prison d’Imrali. « Notre dernière rencontre en face-à-face avec Abdullah Öcalan avait eu lieu le 3 mars 2020 » a rappelé son neveu sur X.  Entre-temps Abdullah Öcalan, 75 ans, à l’isolement, n’avait eu droit qu’à un bref échange téléphonique avec lui en mars 2021.

Cette démarche a certainement déplu en haut lieu au sein du PKK. Le 24 octobre, le président du Parlement Numan Kurtulmus a estimé à propos de cet attentat qu’il « ne peut s’agir d’une coïncidence ».

Les terres rares, nouvel enjeu de puissance et terrain d’affrontement stratégique ?

Les terres rares, nouvel enjeu de puissance et terrain d’affrontement stratégique ?

Par AB PICTORIS, Clément Alberni – Diploweb – publié le 23 octobre 2024

https://www.diploweb.com/Carte-commentee-Les-terres-rares-nouvel-enjeu-de-puissance-et-terrain-d-affrontement-strategique.html


AB Pictoris est une entreprise française fondée par Blanche Lambert, cartographe indépendante. Passionnée de cartographie et de géopolitique, elle a obtenu un Master en Géopolitique (parcours cyber, IFG, Paris VIII) et en Géostratégie (Sciences Po Aix) après une licence de Géographie et Aménagement du Territoire (Paris I).
Clément Alberni est diplômé d’un Master en Histoire et Relations internationales, de l’Université Catholique de Lille. Après un stage au Ministère des Armées, il occupe chez AB Pictoris un poste d’analyste-cartographe dans le cadre d’un stage se déroulant d’août à octobre 2024.

La République populaire de Chine est le leader historique de la production de terres rares. Les Etats-Unis mettent en oeuvre une volonté de reprendre le contrôle stratégique par l’autonomisation. L’Union européenne tente une stratégie de réduction de la dépendance mais se trouve face à ses propres limites. Autrement dit, les terres rares en disent long sur les dynamiques de puissance aujourd’hui.

Carte disponible sous deux formats : JPG et PDF haute qualité d’impression.

« Le Moyen-Orient a son pétrole, la Chine a ses terres rares », cette phrase prononcée en 1992 par Deng Xiaoping, alors dirigeant de la République populaire de Chine, illustre l’importance stratégique de ces métaux, même s’ils sont encore trop méconnus aujourd’hui.

Les terres rares, utilisées dans de nombreux objets électroniques et numériques (téléphones portables, disques durs, écrans, vélos ou voitures électriques, turbines d’éoliennes, robots), sont devenues incontournables. Sur le marché des terres rares, la Chine occupe aujourd’hui une position dominante et place, notamment l’Europe et la France, dans un rapport de dépendance marqué. Revenons sur les enjeux géopolitiques et les perspectives à moyen-long terme autour de ces matériaux dont l’importance ne cesse de croître depuis plusieurs décennies.

 
Carte. Les terres rares, nouvel enjeu de puissance et terrain d’affrontement stratégique
La République populaire de Chine, leader historique de la production de terres rares. Les Etats-Unis, une volonté de reprendre le contrôle stratégique par l’autonomisation. L’Union européenne, une stratégie de réduction de la dépendance face à ses propres limites. Conception AB Pictoris et C. Alberni. Réalisation C. Alberni pour AB Pictoris. Voir la carte au format PDF haute qualité d’impression
Alberni/AB Pictoris

Une définition des terres rares

Rémy Sabathié, géo-politologue et auteur de l’ouvrage La France et les Terres rares [1] le décrit comme “Un groupe restreint de 17 éléments de la classification périodique de Mendeleïev (94 éléments), soit environ 18% des éléments connus.“

Il s’agit plus précisément de 15 lanthanides – lanthane, cérium, praséodyme, néodyme, prométhium, samarium, europium, gadolinium, terbium, dysprosium, holmium,erbium, thulium, ytterbium, lutécium – auxquels il faut ajouter le scandium et l’yttrium qui ne sont pas à proprement parler des terres rares mais qui leur sont assimilés.

Ces terres rares (qui seront appelés REE ou ETR) sont des métaux, issus de minéraux, et donc extraits des sous-sols. Pour autant, une de leurs principales caractéristiques est leur faible concentration dans la terre. Ainsi, pour ne récupérer qu’une toute petite quantité de terres rares, il est nécessaire d’en traiter de très gros volumes. De plus, l’obtention d’un produit pur est un processus long, coûteux en énergie et très polluant. Les applications industrielles des terres rares nécessitent des niveaux de pureté très élevés, jusqu’à 99,9% [2]. Les effets de l’activité minière des terres rares sur l’environnement (spécialement les argiles latéritiques d’ion-adsorption) portent principalement sur une destruction sévère de la végétation ainsi qu’une dégradation importante des sols et de la qualité des eaux [3].

Toujours selon Rémy Sabathié, les terres rares se regroupent en deux sous-catégories, les terres rares légères, et les terres rares lourdes, qui sont considérées comme beaucoup plus rares car « présentes dans les couches géologiques dans des concentrations encore plus faibles que les terres rares légères ».

Aujourd’hui, près de 90% des réserves connues de terres rares sont réparties entre quatre pays. En effet, selon les données de Statista en 2022, la Chine dispose d’environ 44 000 tonnes d’oxydes de terres rares, soit environ 37% des réserves totales, le Vietnam dispose d’environ 22 000 tonnes (environ 20%), tandis que le Brésil et la Russie disposent de 21 000 tonnes (environ 15%) chacun.

Analysons les enjeux autour des terres rares sous le prisme de la domination chinoise, et des stratégies adoptées en retour par les États-Unis et l’Union européenne.

La position dominante de la Chine sur le marché des terres rares

Dans sa note, “La Chine et les terres rares : son rôle critique dans la nouvelle économie”, le chercheur John Seaman affirme que “la domination de la Chine dans la production de terres rares illustre la compétition qui se joue autour des ressources minérales dans un monde toujours plus axé sur le numérique et le bas-carbone”. En effet, ce dernier ajoute qu’au cours des deux dernières décennies, la Chine a été à l’origine de 80 à 95 % de la production mondiale de terres rares [4].

Bien que les États-Unis aient été les premiers producteurs mondiaux de terres rares au début des années 1980, la majorité de la production mondiale a basculé en Chine à partir du milieu des années 1990.

Cette évolution favorable s’explique d’abord par différentes décisions du gouvernement chinois comme la modernisation économique marquée par une exploitation intense des ressources naturelles, la réglementation de l’industrie sur les acteurs du marché intérieur et la limitation des conditions d’accès à l’exploitation par des étrangers. En parallèle, la relative libéralisation du commerce et de l’investissement a encouragé les entreprises chinoises dans l’acquisition d’un savoir-faire technologique étranger dans le secteur des terres rares. Cette avance technologique a conduit la Chine à une domination progressive des chaînes de valeurs [5] permettant l’utilisation de certains types de terres rares. C’est le cas des éléments Nfdeb, utilisés dans des domaines tels que l’automobile et l’aéronautique.

Cette domination s’accentue encore à mesure que d’autres producteurs, notamment aux États-Unis, ferment leurs mines en raison de la concurrence chinoise et des préoccupations environnementales montantes. Dans les années 2000, la Chine continue d’améliorer sa position dominante sur le marché, atteignant près de 95 % de la production mondiale [6] de terres rares. Elle développe également des capacités de traitement sophistiquées, ce qui lui permet de contrôler non seulement l’extraction, mais aussi le raffinement des terres rares, une étape cruciale dans la chaîne de valeur.

Dès l’année 2005, la mise en place de quotas d’exportation et la restriction de ventes de terres rares par la Chine, officiellement pour des raisons environnementales, mais également pour favoriser les industries locales utilisant ces matériaux et ainsi conserver sa domination sur le marché, alertent quant à la capacité de nuisance chinoise.

Au cours de l’année 2010, un incident diplomatique sino-japonais provoque un embargo chinois [7] sur les terres rares et marque un tournant dans la prise de conscience mondiale concernant la dépendance envers l’État chinois. La capacité de la Chine à influencer ce marché pousse de nombreux pays à repenser leurs stratégies d’approvisionnement pour se prémunir contre l’éventuelle utilisation des terres rares comme un outil de pression politique ou économique. Ainsi, de nouveaux projets miniers sont relancés ou initiés (Australie, aux États-Unis et au Canada) pour réduire la dépendance à l’égard de Pékin. En parallèle, les recherches sur le recyclage des terres rares et le développement de matériaux de substitution s’intensifient.

Dans un contexte de tensions économiques exacerbées, les États-Unis réagissent et mettent en place une stratégie qui vise à développer leur capacité à maîtriser les différents éléments de la chaîne de valeurs sur certaines terres rares, tout en cherchant des solutions alternatives d’approvisionnement, dans le but de réduire leur niveau de dépendance vis à vis de la Chine.

Les États-Unis, une stratégie d’autonomisation et de diversification des approvisionnements

A la veille de la transition énergétique, du tournant vers des technologies plus respectueuses de l’environnement et du développement du numérique, les minerais et les métaux occupent une place de plus en plus centrale dans le développement économique. Dans ce contexte, la sécurisation des approvisionnements et l’organisation de chaînes de valeurs durables est indispensable.

Les États-Unis, principaux concurrents de la Chine, ont emboîté le pas du Japon (précurseur de la mise en place de politiques publiques pour gérer cette dépendance) en adoptant une stratégie à deux dimensions [8]. La première, visant à relancer l’industrie américaine, la seconde visant à établir une coopération internationale spécifique et pouvant parfois s’imbriquer avec d’autres alliances préexistantes comme le Quad [9], regroupant les États-Unis, le Japon, l’Inde et l’Australie.

Les terres rares en disent long sur les dynamiques de puissance aujourd’hui

Le volet portant sur la relance de l’industrie a été initié durant le mandat de Donald Trump. En décembre 2017, ce dernier signe l’Executive Order 13817 [10] visant à établir un inventaire complet des minerais critiques pour apporter une réponse rapide et adaptée sur l’approvisionnement, le traitement et le recyclage de ces métaux. L’étude a permis de dégager les (24) buts à atteindre, des recommandations (61) et 6 domaines d’action [11]. Le nouvel Executive Order publié le 30 septembre 2020 en est une traduction législative concrète. Ce dernier demande « l’utilisation de tous les pouvoirs (des ministères concernés) afin d’accélérer la délivrance de permis et l’achèvement des projets permettant l’expansion et la protection de la chaîne d’approvisionnement minière domestique ».

Sur le plan de la coopération extérieure, les États-Unis développent leurs relations bilatérales avec l’Australie, le Canada et le Brésil pour diversifier leurs sources d’approvisionnement. En parallèle, ils continuent de structurer leur relations avec le Groenland, l’une des rares régions du monde abritant des ressources encore inexploitées et regorgeant de métaux rares [12]. Les enjeux sont considérables dans cette région autonome qui cherche à obtenir son indépendance, et qui voit déjà de nombreux pays comme la Russie, la Chine et les États-Unis se positionner.

L’administration Biden poursuit les politiques engagées en mettant l’accent sur des leviers comme le développement des technologies alternatives aux terres rares et l’amélioration de l’efficacité des procédés de production, ainsi que la promotion du recyclage des terres rares à partir de produits électroniques usagés et autres matériaux. Il est certain que la relance de l’industrie américaine prendra des années avant de produire des effets significatifs. D’ici là il s’agit de réduire la dépendance vis-à-vis des sources primaires tout en diminuant l’impact environnemental de l’extraction minière.

L’Union européenne, une stratégie de réduction de la dépendance face à ses propres limites

Dès le début du XXIe siècle, les instances décisionnelles de l’Union européenne (UE) ont manifesté un intérêt croissant pour les terres rares, en réaction à une transformation significative de la chaîne d’approvisionnement mondiale qui s’est produite au cours des années 1990, et leur nouvelle dépendance à la République populaire de Chine. Ainsi en 2023, le site français Vie Publique affirme que “Sur toute la chaîne de valeur des terres rares, la France et l’Europe sont dans un rapport de dépendance marqué par rapport à la Chine. La situation peut même être qualifiée d’instable et de dangereuse face aux possibilités de restriction de la Chine sur ses exportations à base de terres rares, en raison de la hausse prévue de la consommation chinoise. [13]

Depuis la prise de conscience de ce retard important, l’Union européenne élabore une stratégie visant à réduire sa dépendance et à sécuriser ses approvisionnements en ces matériaux indispensables pour les technologies vertes et numériques. Elle lance en 2020, à l’initiative de la commission européenne, une première phase à travers le “Plan d’action sur les matières premières critiques” qui répond à quatre objectifs :

. développer des chaînes de valeur résilientes pour les écosystèmes industriels de l’UE ;

. réduire la dépendance vis-à-vis les matières premières critiques primaires grâce à l’utilisation circulaire des ressources, des produits durables et de l’innovation ;

. renforcer l’approvisionnement domestique de matières premières dans l’UE ;

. diversifier l’approvisionnement auprès des pays tiers et éliminer les distorsions du commerce international, en respectant pleinement les obligations internationales de l’UE.

Pour se donner les moyens d’y parvenir, elle se fixe 10 engagements concrets à moyen-long terme (cf article source [14]). Parmi ces objectifs, le plan prévoit la création d’une alliance européenne des matières premières. Créée en 2020, l’alliance européenne pour les matières premières fédère les industriels du secteur et identifie des projets d’extraction et de recyclage de terres rares en Europe.

Dans la continuité de ce plan d’action, le Conseil européen, institution qui réunit les chefs d’État ou chefs de gouvernement des vingt-sept États membres de l’Union européenne (précision importante pour souligner le poids politique de cette décision), adopte le Critical Raw Material Act [15], une réglementation qui matérialise la stratégie de l’Union sur ces matières essentielles au fonctionnement et à l’intégrité d’un large éventail d’écosystèmes industriels. Une stratégie qui, pour rappel, repose sur trois piliers : accroître et diversifier l’approvisionnement de l’UE en matières premières critiques, renforcer la circularité y compris le recyclage, soutenir la recherche et l’innovation en matière d’utilisation efficace des ressources et de mise au point de substituts.

Le texte rappelle cependant que si l’UE ne sera jamais autosuffisante, elle vise à diversifier son approvisionnement [16].

Malgré les efforts de l’Union européenne, plusieurs défis internes freinent la mise en œuvre d’une stratégie cohérente et efficace. Le principal défi est celui de l’hétérogénéité entre ses États membres qui ont des priorités industrielles et économiques divergentes, ce qui complique la coordination des efforts au niveau européen. Certains pays, comme l’Allemagne, sont fortement engagés dans le développement de technologies vertes et sont particulièrement intéressés par l’accès sécurisé aux terres rares pour alimenter leur industrie des énergies renouvelables. D’autres, en revanche, comme les pays d’Europe de l’Est, sont plus préoccupés par les implications économiques et sociales de l’exploitation minière, et sont moins disposés à accepter des projets d’envergure. Ces divergences se manifestent également dans la manière dont les États membres abordent les partenariats internationaux.

Enfin, l’impact environnemental et les déchets générés à différentes étapes (extraction, raffinage) de la chaîne de valeur des terres rares sont un problème majeur. L’Union accélère sa transition vers une industrie verte et durable, et doit parvenir à trouver un équilibre entre le respect des normes environnementales, les revendications sanitaires de ses citoyens, et la nécessité de s’autonomiser avec la mise en place de nouveaux projets d’exploitation minière sur son sol.

Pour surmonter ces obstacles, l’UE devra non seulement renforcer la coordination entre ses États membres, mais aussi développer des solutions innovantes pour minimiser l’impact environnemental de l’exploitation minière. La mise en place de standards environnementaux européens doit permettre d’harmoniser les pratiques minières à travers l’Union, tout en respectant les attentes des citoyens en matière de durabilité. La capacité de réponse à ces problématiques apparaît d’autant plus importante que l’UE prévoit une explosion de la demande en matières premières critiques d’ici 2030 et 2050, pour certains comme l’aluminium, le cuivre, le nickel elle devrait être multiplié par 10 [17]. Du côté des métaux rares, un rapport de l’association européenne des métaux [18] prévoit des augmentations de la demande vertigineuse : + 3 500 % pour le lithium, + 2 600 % pour le dysprosium , + 330 % pour le cobalt.

Ainsi, la Chine est aujourd’hui en position de forte domination sur le marché, une position dont l’utilisation comme arme diplomatique est à relativiser. Cependant, les efforts investis par les États-Unis et l’Union européenne, qui tendent à réduire leur dépendance et à combler ce retard, témoignent de l’importance à venir des terres rares. Ces nouvelles stratégies, dont les effets mettront plusieurs années à se produire, sont indispensables, dans un contexte d’augmentation exponentiel de la demande globale des précieux métaux. Cet enjeu aujourd’hui majeur sera demain un enjeu hautement stratégique pour les États.

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Carte. Les terres rares, nouvel enjeu de puissance et terrain d’affrontement stratégique
La République populaire de Chine, leader historique de la production de terres rares. Les Etats-Unis, une volonté de reprendre le contrôle stratégique par l’autonomisation. L’Union européenne, une stratégie de réduction de la dépendance face à ses propres limites. Conception AB Pictoris et C. Alberni. Réalisation C. Alberni pour AB Pictoris.Document ajouté le 21 octobre 2024
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La Chine est leader historique de la production de terres rares. Les Etats-Unis mettent en oeuvre une volonté de reprendre le contrôle stratégique par l’autonomisation. L’UE affiche une stratégie de réduction de la dépendance mais se trouve face à ses propres limites.


[1] Sabathié, R. (2016). La France et les Terres rares. Les Éditions du Net.

[2] CNRS. (2010, 6 août). Les terres rares : Quels impacts ? ÉcoInfo. https://ecoinfo.cnrs.fr/2010/08/06/les-terres-rares-quels-impacts/

[3] Wong, M. H., Wong, J. W. C., & Baker, A. J. M. (2014). Impacts of rare earth mining on the environment and the effects of ecological measures on soil. In Remediation and management of degraded lands (chap. 10).

[4] Vasselier, A. (2021). Chine et terres rares : Un rôle critique dans la nouvelle économie. Ifri. https://www.ifri.org/fr/publications/notes-de-lifri/chine-terres-rares-role-critique-nouvelle-economie

[5] La chaîne de valeur est l’ensemble des étapes déterminant la capacité d’un domaine d’activité stratégique (DAS), d’une entreprise ou d’une organisation à obtenir un avantage concurrentiel.

[6] Humphries, M. (2010). Rare earth elements : The global supply chain. Congressional Research Service.

[7] Le Monde. (2010, 23 septembre). Tension Pékin-Tokyo : La Chine suspend ses exportations de terres rares vers le Japon. https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2010/09/23/tension-pekin-tokyo-la-chine-suspend-ses-exportations-de-terres-rares-vers-le-japon_1414929_3216.html

[8] Laplane, M. (2021). Stratégie et souveraineté minérale américaine (p.3). Ifri. https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/laplane_strategie_souverainete_minerale_americaine_2021.pdf

[9] Géoconfluences. (2021). Quadrilateral pour la sécurité (Quad) : Dialogue quadrilatéral. Géoconfluences. https://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/quad-dialogue-quadrilateral-pour-la-securite

[10] Executive Office of the President. (2017, 26 décembre). A federal strategy to ensure secure and reliable supplies of critical minerals. Federal Register. https://www.federalregister.gov/documents/2017/12/26/2017-27700/a-federal-strategy-to-ensure-secure-and-reliable-supplies-of-critical-minerals

[11] 1. Faire progresser la R&D et le déploiement de solutions tout au long des chaînes d’approvisionnement en minerais critiques 2. Renforcer les chaînes d’approvisionnement en minéraux critiques des États-Unis et le tissu industriel de la défense 3. Améliorer les règles du commerce international ainsi que la coopération toutes deux liées aux minerais critiques 4. Améliorer la connaissance autour des ressources minérales critiques nationales 5. Améliorer l’accès aux ressources minérales sur les terres fédérales et réduire les délais de délivrance des permis fédéraux 6. Augmenter la main-d’œuvre américaine dans l’industrie des minerais critiques.

[12] Le Monde. (2022, 28 juillet). Le Groenland, nouvel eldorado des terres rares. Le Monde. https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/07/28/le-groenland-nouvel-eldorado-des-terres-rares_6136429_3234.html

[13] Vie publique. (2022, 9 février). Terres rares : Quels enjeux pour la France et l’Europe ? Vie Publique. https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/289457-terres-rares-quels-enjeux-pour-la-france-et-leurope#terres-rares-les-enjeux-du-futur

[14] Comité économique et social européen. (2023). Résilience des matières premières critiques : La voie à suivre pour un renforcement de la sécurité et de la durabilité. https://www.eesc.europa.eu/fr/our-work/opinions-information-reports/opinions/resilience-des-matieres-premieres-critiques-la-voie-suivre-pour-un-renforcement-de-la-securite-et-de-la-durabilite

[15] Conseil de l’Union européenne. (2024). Critical raw materials. https://www.consilium.europa.eu/fr/infographics/critical-raw-materials/

[16] Actuellement, pour certaines matières premières critiques, l’UE dépend uniquement d’un seul pays : la Chine fournit 100 % de l’approvisionnement de l’UE en terres rares lourdes, la Turquie fournit 98 % de l’approvisionnement de l’UE en bore, l’Afrique du Sud fournit 71 % des besoins de l’UE en platine

[17] Conseil de l’Union européenne. (2024). Critical raw materials. (Paragraphe 5. L’avenir de la demande) (https://www.consilium.europa.eu/fr/infographics/critical-raw-materials/

[18] Eurometaux. (2022). Policymaker summary report. https://eurometaux.eu/media/20ad5yza/2022-policymaker-summary-report-final.pdf

La Suède et le Royaume-Uni a bord de l’initiative européenne sur les frappes longue portée

La Suède et le Royaume-Uni a bord de l’initiative européenne sur les frappes longue portée

par – Forces opérations Blog – publié le

Deux pays ont formalisé leur entrée dans l’ « European Long Range Strike Approach » (ELSA), initiative lancée en juillet dernier par la France pour progresser conjointement sur le développement de la frappe longue portée de demain. 

La famille d’ELSA s’agrandit. La Suède et le Royaume-Uni, deux pays dont l’adhésion était pressentie, ont rejoint le quatuor initial formé par la France, l’Allemagne, l’Italie et la Pologne à l’occasion d’une réunion des ministres de la Défense de l’OTAN organisée cette semaine à Bruxelles. 

Ensemble, les six acolytes plancheront sur un nouveau missile de croisière terrestre doté d’une portée de 1000 à 2000 km. Il s’agira de « jouer un rôle clé dans la défense de l’Europe d’ici les années 2030 », pointe un partenaire britannique pour qui il est également question de « travailler plus étroitement avec ses alliés européens dans des domaines clés de la sécurité ». 

« La guerre en Ukraine a montré que des capacités de frappe en profondeur à longue portée sont nécessaires non seulement à des fins de dissuasion, mais aussi pour empêcher un ennemi de lancer des attaques suffisamment hors de portée pour que nous ne puissions l’arrêter », commentait le ministre de la Défense suédois Pål Jonson en marge de la signature d’une lettre d’intention. Reste à éclaircir le cas de l’Espagne, septième partenaire potentiel mentionné en amont de la signature intervenue mi-juillet.

« La question se pose : devons-nous, nous aussi, posséder ce type d’arme ? Nous voyons bien que ce type d’arme prend tout son sens si c’est un pilier européen de la Défense qui est capable de le développer et ensuite de le posséder », notait à ce sujet le chef d’état-major des armées, le général Thierry Burkhard, en audition parlementaire.

Chaque pays dispose de son lot d’acteurs industriels susceptibles d’amener les briques nécessaires. Le champion européen MBDA, par exemple, a déjà progressé sur la question en dévoilant au salon Eurosatory un « Land Cruise Missile », application terrestre du missile de croisière naval (MdCN).

Côté français, ELSA se veut complémentaire d’un programme national de frappe longue portée terrestre (FLP-T), effort de remplacement du lance-roquettes unitaire pour lequel la livraison d’un démonstrateur est espérée d’ici 18 mois. La notification d’une étude auprès d’industriels français, attendue en 2024, doit encore se matérialiser afin d’avancer sur la piste d’une solution souveraine. 

Crédits image : MBDA