Le ministère allemand de la Défense a notifié les premiers contrats pour le futur char Leopard 3

Le ministère allemand de la Défense a notifié les premiers contrats pour le futur char Leopard 3


Comme l’a répété la Direction générale de l’armement [DGA] à l’occasion de la commande des 100 derniers chars Leclerc devant être portés au standard XLR, le ministère des Armées n’envisage pas, pour le moment, de financer une solution « intérimaire » permettant d’attendre 2045 et la mise en service du Système principal de combat terrestre [MGCS – Main Ground Combat System], dont le développement fait l’objet d’une coopération entre la France et l’Allemagne.

Pour rappel, comme le prévoit un protocole d’accord signé en avril dernier par le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, et son homologue allemand Boris Pistorius, ce projet doit être réorganisé selon huit piliers capacitaires afin de garantir un partage des tâches à 50-50 entre les industriels des deux pays. Cependant, certains choix technologiques ne seront confirmés qu’à l’issue d’évaluations technico-opérationnelles. Ce sera ainsi le cas pour l’armement principal du futur char de combat de ce « système de systèmes ».

Sur ce point, deux solutions sont en lice. Ainsi, KNDS France défend son système ASCALON [Autoloaded and SCALable Outperforming guN], qui a la particularité de pouvoir tirer des obus de 120 ou de 140 mm, tandis que Rheinmetall entend imposer son canon de 130 mm, par ailleurs censé équiper le char KF-51 Panther. « Censé » car les deux pays qui l’ont choisi, à savoir la Hongrie et l’Italie ont préféré s’en tenir au traditionnel canon de 120 mm pour le moment.

Quoi qu’il en soit, lors de l’examen du projet de loi de finances 2025, l’automne dernier, plusieurs rapports parlementaires ont insisté sur la nécessité de soutenir l’ASCALON en s’appuyant sur char E-MBT du groupe KNDS ou sur une évolution du Leclerc. Ce qui est donc exclu pour le moment, même si le Délégué général pour l’armement, Emmanuel Chiva, a admis que « la question de la prolongation du char Leclerc jusqu’en 2040 [était] aujourd’hui identifiée ».

Outre-Rhin, on estime, au contraire, qu’une « solution de pont » permettant d’attendre le MGCS est nécessaire. Et celle-ci ne reposera pas sur le Leopard 2A8, c’est-à-dire la dernière version du char Leopard 2.

Chef des opérations de l’équipe du projet MGCS au sein de l’Office fédéral de l’équipement de la Bundeswehr, des technologies de l’information et de l’appui en cours d’emploi [BAAINBw], le colonel Armin Dirks n’avait laissé aucun doute à ce sujet lors de la dernière conférence annuelle « International Armoured Vehicle », organisée au Royaume-Uni, en janvier.

Alors qu’il est question d’un Leopard 2AX [ou Leopard 3, tant les évolutions attendues seront importantes] depuis plusieurs mois, le BAAINBw vient de notifier plusieurs contrats pour développer cette « solution de pont ». C’est en effet ce que vient de révéler la presse spécialisée allemande, sur la foi d’avis d’attribution de marché publiés le 5 février via la plateforme européenne « EU Tenders » [ou TED].

Ainsi, ce Leopard 3 devrait être armée d’un canon de 130 mm étant donné que Rheinmetall s’est vu notifier des contrats pour mener des études techniques en vue de développer au moins trois modèles d’obus de ce calibre.

« Cela suggère qu’une décision préliminaire a été prise en faveur du canon de 130 mm de Rheinmetall, au moins pour la solution du pont et peut-être même pour le MGCS » a résumé Europaïsche Sicherheit & Technik [ESUT].

En outre, le BAAINBw a retenu Hensoldt et KNDS Deutschland pour mener des études sur un nouveau système de conduite de tir.

La première vise à mettre au point un « système de réglage automatique sur le terrain » pouvant être adapté « à toutes les variantes du Leopard 2 » avec un canon de 120 mm et quelle que soit la variante de l’ordinateur de contrôle de tir. Quant à la seconde, confiée à KNDS Deutschland, elle doit permettre de « corriger automatiquement les influences thermiques sur le canon, lesquelles sont susceptibles de réduire sa précision ».

Enfin, KNDS Deutschland a également été chargé de développer un nouveau groupe motopropulseur, appelé OLYMP. D’après des sources sollicités par Hartpunkt, le moteur serait produit par Liebherr, qui « motorise » déjà les véhicules de combat d’infanterie Marder 1 et Lynx KF41.

« Dans le cadre de l’étude visant à augmenter l’agilité de la chaîne cinématique, un moteur alternatif [moteur à combustion] doit être développé. Il convient d’utiliser autant de composants du système existant [pièces identiques] que possible », a précisé le BAAINBw dans son avis de marché.

Les résultats de ces études devront être communiqués en novembre 2026, au plus tard. Ce qui est conforme au calendrier qui avait été évoqué par ESUT en janvier dernier, l’objectif étant de mettre en service ce Leopard 3 au début des années 2030.

Carte – Le canal de Panama

Carte – Le canal de Panama

Mandatory Credit: Photo by Daren Fentiman/ZUMA Press Wire/Shutterstock (15121068ae)

par Revue Conflits avec AFP – publié le 7 février 2025

https://www.revueconflits.com/le-canal-de-panama/


Le canal de Panama, reliant l’océan Pacifique à la mer des Caraïbes sur environ 80 kilomètres, est une infrastructure clé du commerce maritime international. Grâce à son système d’écluses, il permet le passage de navires de grande capacité, évitant ainsi un détour de plusieurs milliers de kilomètres par le cap Horn.

Ouvert en 1914 et modernisé à plusieurs reprises, le canal de Panama est aujourd’hui un passage maritime incontournable. Selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (UNCTAD), il représente environ 3 % du commerce maritime mondial. Il est particulièrement stratégique pour le transport des hydrocarbures, des conteneurs et des céréales entre les États-Unis, l’Asie et l’Europe. D’après l’Autorité du Canal de Panama, près de 14 000 navires empruntent cette voie chaque année, représentant plus de 300 millions de tonnes de marchandises.

Élargissement de 2016 et nouveaux défis

Face à la croissance du commerce maritime et à l’augmentation de la taille des navires, un programme d’expansion a été initié et achevé en 2016. Cette modernisation a inclus la création d’une nouvelle voie de navigation, permettant le passage des porte-conteneurs Neo-Panamax, capables de transporter jusqu’à 14 000 EVP (équivalents vingt pieds), contre 5 000 EVP pour les navires Panamax traditionnels. L’Autorité du Canal de Panama indique que cette expansion a permis d’augmenter de 50 % la capacité de transit.

Cependant la raréfaction de l’eau douce, essentielle au fonctionnement des écluses, est un véritable défi pour le canal. En effet, le changement climatique et les sécheresses récurrentes affectant les bassins du lac Gatún et du lac Alajuela compliquent l’approvisionnement en eau du canal. En 2023, ces conditions ont contraint l’Autorité du Canal de Panama à réduire le nombre de transits quotidiens de 36 à 24, impactant ainsi le trafic maritime mondial.

Trump et l’influence chinoise

Sous la première présidence de Donald Trump, la relation entre Washington et Panama avait déjà évolué, notamment en raison des tensions commerciales avec la Chine, l’un des principaux utilisateurs du canal. Les États-Unis ont ainsi exprimé leurs inquiétudes quant à l’implication croissante des entreprises chinoises dans l’économie panaméenne, y compris dans des projets portuaires liés au canal. Le renforcement des relations entre Panama et Pékin après l’établissement de relations diplomatiques en 2017 a conduit à des pressions diplomatiques américaines pour limiter l’influence chinoise sur le canal.

Tout juste investi pour son 2e mandat, Donald Trump a une nouvelle fois annoncé son intention de réévaluer les relations commerciales avec Panama, critiquant une influence chinoise jugée grandissante sur le canal et une surtaxation des navires américains qui empruntent le canal. Il a menacé de réduire les accords commerciaux avec Panama et de renforcer la présence américaine dans la région – voire prendre le contrôle du canal – pour sécuriser les routes commerciales vitales des États-Unis. Cette annonce a suscité une réaction immédiate du gouvernement panaméen, qui a réaffirmé son engagement envers la neutralité du canal et son autonomie totale dans la gestion de cette infrastructure stratégique.

« La seule armée taillée pour la haute intensité » : comment la Pologne devient la première armée d’Europe

« La seule armée taillée pour la haute intensité » : comment la Pologne devient la première armée d’Europe

Avec près de 5 % de son PIB consacré à la défense et des milliers de commandes de chars, lance-roquettes et avions de combat, Varsovie devient le géant militaire de l’Europe sur le segment terrestre. Mais cette montée en puissance va se heurter à quelques écueils.

La Pologne, première armée d’Europe ? Il y a dix ans, le simple énoncé aurait fait sourire le microcosme de la défense. En ce début d’année, plus personne ne rit. Depuis 2014, le budget de défense polonais a triplé, à 44,2 milliards d’euros en 2025, selon les chiffres du gouvernement. Il dépasse désormais celui de l’Italie et n’est plus devancé, au sein de l’UE, que par l’Allemagne et la France. Et la part du PIB consacrée aux armées est passée de 1,88 % en 2014 à 4,7 % en 2025, le chiffre le plus élevé de tous les pays de l’Otan, Etats-Unis compris. Quant aux effectifs militaires, ils ont plus que doublé en dix ans : avec plus de 216 000 soldats, l’armée polonaise devance désormais son homologue française (204 000).

La Pologne ne fait pas mystère de ses ambitions. « Aujourd’hui, nous construisons l’armée la plus moderne d’Europe, expliquait le premier ministre Donald Tusk en septembre lors d’un déplacement à Gdansk, dans le nord du pays. La Pologne réalise un effort extraordinaire pour développer ses capacités de défense. Le monde entier commence à s’en apercevoir. » Varsovie veut désormais atteindre un effectif de 300 000 militaires à l’horizon 2035, dont 250 000 soldats d’active et 50 000 soldats rattachés aux forces de défense territoriale (opérations défensives, contre-insurrection, gestion de crise…).

Cette montée en puissance, inédite en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale, est en train de bousculer les équilibres traditionnels. « La Pologne sera la première armée terrestre et aéroterrestre à la fin de la décennie, avec une puissance de feu unique en Europe », résume Léo Péria-Peigné, auteur, avec Amélie Zima, d’un rapport du think tank Ifri publié le 5 février, intitulé « Pologne, première armée d’Europe en 2035 ? ».

40 fois plus de lance-roquettes que la France

Pour mener à bien cet objectif, Varsovie a multiplié les contrats d’armement ces dernières années. Le pays a commandé un millier de chars sud-coréens K2 (dont 380 fermes), 366 chars américains Abrams, mais aussi 672 obusiers coréens K9 Thunder et environ un millier de lance-roquettes multiples (Himars américain, K239 Chunmoo sud-coréen). « L’objectif est de construire une dissuasion conventionnelle crédible pour pallier l’absence de dissuasion nucléaire indépendante face une Russie plus agressive que jamais », résument Léo Péria-Peigné et Amélie Zima dans leur note.

Vers une arme nucléaire sud-coréenne ? Considérations politiques et stratégiques

Vers une arme nucléaire sud-coréenne ? Considérations politiques et stratégiques

Note

par Emmanuelle Maitre – Fondation pour la recherche stratégique – publié le 29 janvier 2025

Le 11 janvier 2023, le président sud-coréen Yoon Suk-yeol a provoqué de vives réactions en indiquant que la Corée du Sud pourrait envisager de se doter de l’arme nucléaire « si les menaces nord-coréennes [devenaient] plus sérieuses »

Cette réflexion est principalement alimentée par les progrès des capacités nord-coréennes et l’évolution de l’asymétrie perçue entre le Nord et le Sud. Sous l’administration Biden, les États-Unis n’ont pas ménagé leurs efforts pour rassurer leur allié sud-coréen et afficher la robustesse de l’alliance américano-sud-coréenne, et en particulier de la dissuasion élargie américaine dans la région. Cependant, l’élection de Donald Trump le 5 novembre 2024 soulève de nouvelles questions sur la fiabilité du soutien américain.

Si le débat sur l’opportunité pour la Corée du Sud de développer sa propre dissuasion nucléaire n’est pas nouveau, il est probablement appelé à connaître de nouveaux développements en 2025.

État du débat à Séoul

Certains observateurs estiment qu’on ne peut parler de débat nucléaire à Séoul, mais plutôt de « cacophonie »

En effet, on observe davantage des déclarations souvent politisées à fins électoralistes, et peu de réflexions construites sur les tenants et aboutissants des différentes options. En particulier, les avantages stratégiques mais également les coûts liés au développement d’un programme nucléaire ne sont pas mis en avant dans cette discussion

L’objectif des appels au développement de capacités nucléaires autonomes semble être avant tout de répondre à une demande de l’opinion publique, qui apparaît de manière constante favorable à ce projet. En effet, l’analyse de différentes études et sondages d’opinion montre depuis plusieurs années un soutien marqué au développement d’un programme nucléaire. Ainsi, depuis 2016, dans une enquête d’opinion conduite à fréquence régulière, entre 60 % et 70 % des sondés se positionnent en faveur de cette option

Ce soutien est particulièrement fort chez les électeurs du parti conservateur PPP. De manière notable, cette adhésion populaire ne reflète pas simplement un manque de confiance dans l’allié américain et la stratégie de dissuasion élargie américaine. Au contraire, les personnes se situant en faveur de l’option nucléaire sont plus susceptibles, selon les sondages, d’être confiantes dans la solidité de cette alliance. Au-delà d’une crainte d’un moindre engagement américain, ce positionnement reflète donc principalement un calcul stratégique des sondés, qui jugent en majorité que seule la possession d’armes nucléaires par Séoul pourrait rétablir un équilibre stratégique sur la péninsule et dissuader une agression nord-coréenne

Il est également à souligner que le soutien à la nucléarisation du pays s’effrite peu lorsque les sondés sont informés des coûts probables d’un programme nucléaire, par exemple en termes de sanctions et d’isolement international

Dans ce contexte, des discussions régulières sont observées non seulement sur la péninsule, mais aussi à l’extérieur, avec une interrogation de plus en plus sérieuse quant à la possibilité pour les dirigeants sud-coréens de résister à cette pression populaire en faveur d’un programme national. Cette préoccupation est d’autant plus forte que la Corée du Nord est perçue comme une menace dont l’acuité s’accroît, et que l’élection de D. Trump ajoute de l’incertitude sur la possible trajectoire de la politique américaine dans la région.

Rapports de force sur la péninsule

Le développement des capacités militaires, en particulier nucléaires, de la Corée du Nord est un facteur important de tension à Séoul et d’interrogations sur la meilleure stratégie à mettre en œuvre pour dissuader Pyongyang de s’en prendre aux intérêts du pays.

Parmi les développements préoccupants figurent les efforts produits par la Corée du Nord pour développer une capacité de seconde frappe crédible, capable de toucher non seulement Guam et Hawaii mais également l’Alaska et le territoire continental américain. À travers le développement de plusieurs programmes de missiles balistiques intercontinentaux à vocation nucléaire, Pyongyang a considérablement crédibilisé sa posture de dissuasion

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Par ailleurs, le développement en Corée du Nord d’un arsenal fourni d’armes de courte portée, missiles balistiques et quasi-balistiques, en particulier, accentue la vulnérabilité de certaines infrastructures critiques sud-coréennes et suscite de nouveaux scénarios d’escalade reposant sur l’emploi d’armes conventionnelles, chimiques ou nucléaires

Les responsables sud-coréens ont cherché à prendre en compte ces évolutions en adaptant leur stratégie de dissuasion et de défense. En 2013, le ministère a mentionné pour la première fois la notion de « kill chain », qui vise à conduire des frappes préventives sur les sites nucléaires et de missiles nord-coréens en amont d’une frappe

Cette stratégie a été rebaptisée « Strategic Target Strike » en 2019. En parallèle, en septembre 2016, l’administration de Park Geun-hye a détaillé une nouvelle stratégie intitulée « Korea Massive Punishment and Retaliation » (KMPR). Ce plan prévoit des représailles massives en cas d’attaque nord-coréenne, et notamment des frappes de précision contre les dirigeants du pays et des cibles militaires d’importance. Il est à l’origine du développement d’un arsenal balistique particulièrement développé côté sud-coréen, avec la gamme des Hyunmoo, qui inclut des systèmes quasi-balistiques, des missiles mer-sol ou encore des systèmes extrêmement lourds visant à frapper des cibles enfouies, comme le Hyunmoo-5, présenté à l’été 2024

Enfin, Séoul investit massivement dans des capacités de défense antimissile, avec l’acquisition de systèmes américains sur étagère mais également le développement de technologies nationales. La combinaison de ces trois dimensions (frappe préemptive, dissuasion par représailles et dissuasion par interdiction) forme la stratégie des « trois axes »

Malgré ces réflexions doctrinales et ses efforts capacitaires offensifs et défensifs, Séoul considère que ces éléments de dissuasion conventionnelle ne peuvent être suffisants face à un adversaire nucléarisé. Elle insiste donc fortement sur la nécessité de la dissuasion élargie américaine et réclame à Washington des assurances sur le fait que toute agression nucléaire nord-coréenne aurait pour réponse une riposte nucléaire

Comme évoqué précédemment, les garanties américaines ne parviennent cependant pas à rassurer une majorité de Coréens, qui préfèreraient disposer d’une force nucléaire indépendante. Le retour à la Maison Blanche de l’administration Trump pourrait renforcer ces questionnements.

La dissuasion élargie américaine et l’administration Trump II

Le débat nucléaire en Corée du Sud a été perçu avec inquiétude par l’administration Biden, qui a investi de nombreuses ressources diplomatiques pour convaincre le gouvernement sud-coréen de la solidité de ses engagements. Ces initiatives ont notamment débouché sur la déclaration de Washington, publiée le 26 avril 2023

Dans ce document, Joe Biden et Yoon Suk-yeol ont rappelé que « toute attaque nucléaire par la Corée du Nord contre la Corée du Sud sera contrée par une réponse rapide, puissante et décisive [swift, overwhelming and decisive response] ». Le texte pointe la création d’un nouveau forum de concertation sur les questions nucléaires, le Nuclear Consultative Group (NCG), qui a pour vocation de « renforcer la dissuasion élargie, discuter de planification nucléaire et stratégique, et gérer la menace au régime de non-prolifération posée par la Corée du Nord ». Est également prévue une meilleure intégration des forces conventionnelles sud-coréennes aux exercices nucléaires américains et la réalisation de simulations conjointes de gestion de crises nucléaires sur la péninsule. Washington indique que ses capacités stratégiques, bombardiers mais également sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, seront plus fréquemment déployées en Corée du Sud, ce qui n’était pas le cas précédemment

Yoon Suk-yeol lui-même a décrit ces engagements comme « une extension sans précédent et un renforcement de la stratégie de dissuasion intégrée », et a noté que cette déclaration devrait « soulager les inquiétudes des Sud-Coréens liées aux armes nucléaires nord-coréennes »

Kim Gi-hyeon, le président du Parti conservateur au pouvoir, le PPP, a pour sa part jugé que l’accord était « très important » et constituait un « succès diplomatique notable »

Kim Tae-hyo, directeur adjoint au National Security Office, a déclaré que les « citoyens sud-coréens pourront de facto considérer être en situation de partage nucléaire avec les États-Unis »

Cette démarche venait répondre à des doutes et interrogations vis-à-vis de l’alliance américano-sud-coréenne nées lors de la première administration Trump. D’une part, le président républicain avait prononcé un certain nombre de commentaires et de remarques regrettant les coûts pour les États-Unis de la défense sud-coréenne

Tout comme avec l’Europe, Trump avait appelé les Sud-Coréens à contribuer davantage à leur propre défense

Cette logique transactionnelle a pu atténuer la confiance de Séoul vis-à-vis de son partenaire. De plus, les initiatives diplomatiques de Trump envers Kim Jong-un, matérialisées par la rencontre de Singapour le 12 juin 2018, ont également été perçues avec circonspection à Séoul. En particulier, cette rencontre avait eu pour conséquence l’annulation par Washington de certains exercices conjoints, une décision regrettée en Corée du Sud.

L’entrée en fonction de Donald Trump en janvier 2025 pourrait à nouveau compromettre la confiance du gouvernement sud-coréen dans la solidité des garanties américaines. A peine élu pour un second mandat, le président républicain a rapidement critiqué l’accord entre les deux pays sur le stationnement de troupes américaines en Corée renégocié en octobre 2024, jugeant que s’il avait été à la Maison Blanche, il aurait demandé bien plus à Séoul, à laquelle il a reproché de considérer les États-Unis comme un « distributeur de billets »

Le caractère imprévisible de D. Trump et l’absence de stratégie assumée et annoncée pendant la campagne empêche d’anticiper la politique qui sera menée vis-à-vis de Pyongyang. Néanmoins, il est possible que Trump cherche à reprendre ses efforts de négociations avec Kim Jong-un. De tels développements seraient observés avec beaucoup d’intérêt à Séoul, en particulier si les États-Unis acceptaient des concessions sur leur présence sur la péninsule, en termes de troupes ou d’armements. Enfin, les menaces du président républicain de réduire la présence américaine de manière unilatérale pour forcer ses alliés à davantage financer leur défense sont également une cause de préoccupation en Corée du Sud. 

Cependant, à l’inverse, si certains conseillers républicains devaient avoir des marges de manœuvre dans la définition de la politique coréenne, cela pourrait favoriser un certain renforcement de la dissuasion élargie, compatible avec certaines préférences exprimées à Séoul. En effet, plusieurs experts ayant servi dans la première administration Trump ont soutenu l’accroissement des capacités nucléaires en Asie, en particulier la remise en service de missiles de croisière nucléaires embarqués (SLCM-N) ou le déploiement d’un plus grand nombre de systèmes de défense antimissile dans la région

Ces propositions découlent notamment de la perception de la Chine comme menace justifiant le renforcement de la posture de dissuasion en Indopacifique. Enfin, certains ont noté que Trump pourrait adopter une attitude tolérante vis-à-vis de Séoul si le pays venait à se lancer dans un programme nucléaire, suivant ainsi l’analyse selon laquelle cela lui permettrait de se défendre plus efficacement à moindre coût pour Washington

Les obstacles au développement d’un programme national

La période qui s’ouvre se caractérise donc par une grande incertitude, et il est certain que les appels au développement d’un programme nucléaire national sud-coréen risquent de redoubler d’intensité. Ces pressions sont préoccupantes, en particulier pour la robustesse du régime de non-prolifération. Pour autant, une éventuelle nucléarisation de la Corée du Sud fait face à un certain nombre d’obstacles.

Premièrement, un retrait du TNP et le développement d’un programme nucléaire militaire porteraient un risque énorme de fracturation de l’alliance avec les États-Unis et donc un coût immédiat majeur en termes de sécurité. Certains experts sud-coréens sont certains que les États-Unis, notamment des membres du cercle rapproché de D. Trump, pourraient in fine faire preuve d’une certaine tolérance vis-à-vis de Séoul et ne soumettraient pas le pays à un régime de sanctions sévères. Il est néanmoins très probable que Washington s’opposerait à ce changement de statut, y compris en application automatique de ses lois nationales comme le Nuclear Non-Proliferation Act de 1978, qui interdit toute coopération avec des États proliférants, et le Nuclear Proliferation Prevention Act de 1994, qui requiert l’adoption de sanctions à l’égard des entités proliférantes. Outre le risque d’un retrait des troupes américaines stationnées en Corée du Sud, Séoul serait donc très probablement également confrontée à des conséquences économiques et technologiques

Même dans le cas le plus favorable où les États-Unis accepteraient plus ou moins tacitement la situation, de nombreux pays imposeraient des sanctions à la Corée du Sud, qui, du fait de sa forte intégration au sein de l’économie mondiale, subirait des retombées économiques majeures. En raison des coopérations approfondies avec plusieurs pays, dont les États-Unis, sur le secteur du nucléaire, une telle décision aurait également des effets technologiques puisque la filière serait lourdement impactée, en particulier en ce qui concerne l’approvisionnement en combustible nucléaire

Les élites coréennes sont vraisemblablement conscientes des conséquences majeures qu’entraînerait la nucléarisation du pays et des sacrifices engendrés. En effet, les responsables politiques, notamment au sein du Parti conservateur, ont pu se montrer moins revendicatifs sur ce sujet une fois aux responsabilités. Néanmoins, comme indiqué précédemment, le fait que la crainte des sanctions dissuade peu l’opinion publique dans son soutien au lancement d’un programme nucléaire national semble traduire deux éléments : tout d’abord, une confiance peut-être excessive dans le fait que les sanctions seraient légères et que Washington en particulier chercherait des moyens de s’extraire de sa propre législation de non-prolifération pour des motifs d’intérêt stratégique. Deuxièmement, ce positionnement pourrait refléter une réelle crainte de la Corée du Nord qui justifie aux yeux des personnes interrogées des sacrifices y compris au regard des autres priorités nationales

Conclusion

Dès le 11 novembre 2024, des élus du parti présidentiel PPP discutaient des options s’offrant à la Corée du Sud suite à l’élection de Donald Trump. La majorité des participants soutenaient l’idée d’à tout le moins développer les capacités nucléaires pour être un État du seuil, prêt à revendiquer son statut d’État nucléaire en cas de besoin. Certains élus proposaient l’adoption d’une loi forçant le pays à acquérir une arme nucléaire en cas de nouvelle « provocation » du Nord

Cette réunion traduit une atmosphère d’inquiétude à Séoul, qui fait face à une Corée du Nord qui ne ralentit pas ses efforts de modernisation, y compris dans le domaine nucléaire, et un allié américain redevenu imprévisible. 

Dans ces circonstances, il sera inévitable pour Séoul de faire émerger un débat construit sur ce sujet, prenant en compte l’ensemble des variables et conséquences liées à un changement de politique : les effets stratégiques bien sûr, et les conséquences dans les relations intercoréennes d’une prolifération sud-coréenne, mais aussi les conséquences dans les relations avec les autres États de la région. Les retombées sur les alliances et partenariats qu’entretient aujourd’hui Séoul devront être correctement anticipées, tout comme les effets économiques et technologiques. Enfin, le retrait du TNP par la Corée du Sud affecterait durablement la norme de non-prolifération, ce qui aurait des effets dommageables d’ordre global.

Défense : face à l’urgence, la réunion de crise en Europe

Défense : face à l’urgence, la réunion de crise en Europe

Face aux conflits du moment et à la pression américaine, l’Europe s’est réunie en urgence pour parler Défense.

par Jean-Baptiste Leroux – armees.com – Publié le
L'Europe a organisé une réunion de crise en urgence sur le sujet de la Défense. Pixabay
L’Europe a organisé une réunion de crise en urgence sur le sujet de la Défense. Pixabay | Armees.com

Face aux tensions croissantes liées à la guerre en Ukraine et aux pressions de Washington, l’Union européenne a organisé une réunion exceptionnelle sur la défense. Objectif : renforcer l’autonomie stratégique du continent.

Un sommet sous haute tension pour renforcer l’autonomie européenne

Les dirigeants de l’Union européenne se sont retrouvés lundi 3 février à Bruxelles pour une réunion cruciale consacrée à la Défense. Aux côtés des 27, le Premier ministre britannique Keir Starmer et le secrétaire général de l’Otan, Mark Rutte, prennent part aux discussions. Cette rencontre intervient dans un contexte de pression accrue de la part des États-Unis et de leur nouveau président, Donald Trump, qui exige une hausse significative des dépenses militaires européennes. L’inquiétude est grande face à l’avenir du soutien américain à l’Ukraine. Le conflit en cours avec la Russie place l’Europe devant ses responsabilités. Bruxelles plaide pour une augmentation des investissements militaires, mais les modalités de financement restent un point de friction entre les États membres.

Le message de l’Union européenne est clair : il est temps de prendre en main sa propre sécurité. Antonio Costa, président du Conseil européen, insiste sur la nécessité d’une Europe plus résiliente, efficace et stratégiquement autonome. Si l’Otan demeure un pilier fondamental de la sécurité du continent, la dépendance envers les États-Unis est de plus en plus remise en question. La proposition d’un grand emprunt européen pour financer ces ambitions fait débat. Tandis que plusieurs États, dont la France et l’Espagne, plaident en faveur d’un soutien de la Banque européenne d’investissement, l’Allemagne demeure réticente. Le pays, en pleine préparation électorale, craint les conséquences budgétaires d’un tel engagement.

Défense : un tournant dans les relations internationales

Cette réunion marque aussi une tentative de rapprochement avec le Royaume-Uni, cinq ans après le Brexit. Keir Starmer, désireux de retisser des liens avec Bruxelles, pourrait jouer un rôle clé dans la future coopération européenne en matière de sécurité. L’hypothèse d’un accord de défense commun est évoquée, bien que les tensions post-Brexit persistent.

Par ailleurs, les menaces de Donald Trump envers ses alliés européens, notamment ses exigences financières accrues et son intérêt pour le Groenland, inquiètent les dirigeants du Vieux Continent. Face à cette incertitude, un message uni et ferme pourrait être essentiel pour préserver les intérêts stratégiques de l’Europe.

Vers une criminalisation de la prise d’otages ?

Vers une criminalisation de la prise d’otages ?

Jean Daspry – CF2R – TRIBUNE LIBRE N°172 / janvier 2025

Pseudonyme d’un haut fonctionnaire français, docteur en sciences politiques

https://cf2r.org/tribune/vers-une-criminalisation-de-la-prise-dotages/


« L’expérience prouve qu’il est beaucoup plus facile de prendre des otages que de les relâcher » (André Frossard). C’est ce que doivent penser les preneurs d’otages et ceux qui en sont victimes. La prise d’otages est aussi vieille que le monde. Depuis la plus haute Antiquité, les otages sont consubstantiels aux relations entre puissants qui entendent disposer de garanties de la parole donnée. Jusqu’au XVIIIe siècle, les otages sont associés aux alliances et aux traités. Si l’avènement du droit international met entre parenthèses cette pratique, elle renaît de ses cendres à la faveur des guerres et, plus près de nous, avec l’irruption du terrorisme. Considérée comme un crime de guerre dès 1945, la prise d’otages – si elle persiste dans les relations entre États – est désormais le fait du terrorisme, qui y voit une sorte de duel[1]. Et, c’est bien de ce terrorisme qu’il soit l’apanage d’États ou de groupes dont il s’agit. L’actualité la plus récente fournit de multiples exemples d’une pratique pérenne et déroutante. Manifestement, les États semblent désemparés dans le traitement global et efficace du phénomène[2]. Existe-t-il des réponses envisageables ? Et si oui, lesquelles ?

LA PRISE D’OTAGES : UNE PRATIQUE PÉRENNE ET DÉROUTANTE

Confrontés à une pratique incontournable dans les relations internationales de ce siècle, les États semblent déconcertés dans la manière de la traiter.

Un élément incontournable du monde du XXIe siècle : la diplomatie des otages

Même s’ils n’épuisent pas le sujet, plusieurs exemples concrets actuels méritent d’être mentionnés pour prendre l’exacte mesure du phénomène de la prise d’otages au XXIe siècle.

L’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, n’est-il pas pris en otage par les autorités algériennes en raison des positions adoptées par le président de la République, Emmanuel Macron sur la marocanité du Sahara occidental (déclaration du 30 juillet 2024 suivie d’une visite officielle au Maroc) ? Alger entend utiliser, celui qu’elle considère comme Algérien en moyen de pression (otage) pour amener Paris a quia. Une sorte de repentance de ses propos inadmissibles sur des sujets sensibles de l’autre côté de la Méditerranée. Ne soyons pas naïfs ! Ce ne sont pas les échanges de noms d’oiseaux qui mettront un terme à cette situation inadmissible. Situation qui laisse de marbre les droits de l’hommistes des dîners en ville et autres défenseurs des droits humains de salon. La question générale des réponses aux prises d’otages par des États clairement identifiés est posée dans toute son acuité. N’est-elle pas notre talon d’Achille ? Conduit-elle à une réflexion d’ensemble sur la problématique ? Gouverner, n’est-ce pas prévoir pour mieux anticiper et mieux se préparer au pire ? Nous n’en sommes pas encore là. Malheureusement pour les personnes prises en otage hier, aujourd’hui et, vraisemblablement, encore demain.

Les otages français en Iran ne constituent-ils pas une « monnaie d’échange » pour le régime des mollahs aux abois ?[3] Un odieux marchandage dont l’objectif principal est clair : faire vibrer la corde sensible humanitaire de l’opinion publique française et culpabiliser Paris pour son manque d’humanité dans la protection de ses ressortissants embastillés dans des conditions précaires[4]. Rappelons que, dans le passé, l’Iran n’hésite pas à faire prendre en otages des Français au Liban en faisant intervenir des groupes terroristes qui lui sont liés, comme le Hezbollah ! La liste est longue des méfaits imputables aux mollahs au pays du Cèdre. N’oublions pas la détention des membres de l’ambassade des États-Unis à Téhéran à partir du 4 novembre 1979 qui durera 444 jours ! Seule une réponse ferme et coordonnée de tous les États victimes de cet acte de piraterie des temps modernes permettrait de trancher le nœud gordien persan. Ne rêvons pas !

La guerre à Gaza, et ses ramifications au Liban, a pour point de départ chronologique la prise d’otages israéliens dont des franco-israéliens – principalement des civils innocents, y compris des femmes, des enfants, des bébés, des vieillards – par le Hamas, qualifié d’organisation terroriste, le 7 octobre 2023. Ces innocents sont soumis à des traitements dégradants et inhumains, au sens juridique du terme. Leur libération fait l’objet d’odieux marchandages qui, de facto si ce n’est de jure, conduisent à légitimer ex post cette pratique[5]. Elle aboutit, en contrepartie, à la libération de centaines de prisonniers palestiniens accusés, à tort ou à raison, de terrorisme. Ces derniers ne rêvent que d’en découdre avec Israël dès qu’ils seront libres et que l’occasion se présentera. La libération du soldat Gilat Shalit (citoyen franco-israélien capturé en 2006 et liberé en 2013) n’a été possible qu’au prix de la liberté accordée à un millier de Palestiniens. Parmi eux figurent certains des organisateurs du massacre du 7 octobre 2023. Ce point mérite d’être médité par Israël. Mais aussi par la France menacée par des terroristes ayant une idéologie proche de celle du Hamas, sans parler de ceux que l’on qualifie improprement « d’influenceurs » dans le cas de l’Algérie mais qui sont avant tout des propagateurs de haine. Méfions-nous du fameux « ça n’arrive qu’aux autres ! ». Ce vaste marchandage ne devrait-il pas constituer l’occasion d’une réflexion holistique sur le sujet entreprise dans la discrétion, seul gage de son efficacité à moyen et à long terme ? Seule une telle démarche permettrait de redonner cohérence à un tableau chaotique. Comme le souligne Edgar Morin : « La première et fondamentale résistance est celle de l’esprit. Elle nécessite de résister à tout mensonge asséné comme vérité (…). Elle exige de résister à la haine et au mépris. Elle prescrit le souci de comprendre la complexité des problèmes et des phénomènes plutôt que des visions partielles ou unilatérales. Elle requiert la recherche, la vérification des informations et l’acceptation des incertitudes »[6]. Le sociologue français ne fournit-il pas certaines pistes de réflexion et d’action à nos décideurs pris dans les urgences du temps médiatique ?

N’oublions pas les prises d’otages effectuées dans notre pays à l’occasion d’attentats terroristes sur notre sol depuis plusieurs décennies ![7] Le plus souvent, leurs auteurs se réclament également de l’idéologie frériste, phénomène bien documenté qui vaut à l’auteur d’un ouvrage scientifique sur le sujet de vivre sous la protection permanente de forces de sécurité[8]. Est-ce acceptable au pays de la liberté d’expression ? Qu’attendons-nous pour nous livrer à un exercice de retour d’expérience (« Retex ») des décennies passées sans le moindre tabou, comme le font les militaires après chaque opération ? Nous y apprendrions des choses intéressantes sur le passé pouvant orienter notre réflexion présente et notre posture future. Tel n’est-il pas l’objet d’une authentique approche prospective des relations internationales ? N’est-ce pas le contraire que nos dirigeants font, privilégiant en permanence les contraintes du temps court et médiatique aux exigences du temps long et stratégique ?

Face au phénomène d’une rare violence qui caractérise la prise d’otages, les États concernés pratiquent la politique du chien crevé au fil de l’eau ou diplomatie du dos rond.

Une pratique déroutante pour les États victimes : la diplomatie du dos rond

La liste des exemples présentée plus haut est loin d’être exhaustive si l’on souhaite dresser un panorama complet des actions terroristes accompagnées de leurs lots de prise d’otages occidentaux depuis la fin des années 1960. Hormis, certaines réflexions conduites par les services de renseignement, qui demeurent confidentielles par nature, la question n’a jamais fait l’objet – à notre connaissance – de rapports de l’exécutif, voire du Parlement. À titre d’exemple, le Sénat a publié, il y a quelques mois déjà, un rapport complet sur le phénomène du narcotrafic, clairvoyant à maints égards. Ne pourrait-il en être de même sur la question de la prise d’otages ?

Pourquoi ne pas s’atteler à l’étude et au traitement de la problématique du terrorisme et de ses prises d’otages qui intéresse la sécurité de nos concitoyens en France ou à l’étranger ? La France ne manque pas de bons esprits indépendants auxquels elle pourrait faire appel pour s’atteler au travail. Le temps presse. La Maison brûle et nous regardons ailleurs alors que notre pays n’est pas à l’abri de prises d’otages de grande ampleur de certains de ses concitoyens sur notre sol ou à l’étranger. Au pays de l’inflation des comités Théodule, des missions d’information sur tout et sur rien, des groupes spéciaux traitant de questions générales, des barnums à tout-va… il y aurait place pour un organisme en charge de faire la lumière sur les prises d’otages : état des lieux, propositions, y compris les plus iconoclastes.

Dans un monde fracturé, divisé, marqué au sceau de la conflictualité, la pratique des prises d’otages n’est pas en voie d’extinction. Chaque libération d’otages effectuée au prix de concessions importantes de la part des États concernés constitue un sérieux encouragement donné aux apprentis preneurs d’otages de poursuivre sur cette voie mortifère. Qui plus est, la faiblesse de la réaction des gouvernements touchés par ce phénomène ne peut que les conforter dans leur approche contraire à toutes les règles du droit humanitaire. Qu’importe. Ils connaissent nos faiblesses (notre inertie, notre droit, nos pudeurs de gazelle, nos idiots utiles…) et les utilisent à leur avantage. Comment les dissuader de poursuivre sur leur lancée ? En empruntant la voie ambitieuse de la rupture.

Une rupture avec les pratiques anciennes s’impose tant elles montrent leurs limites, leur inefficacité intrinsèque. La diplomatie du dos rond, du pas de vague, pour des raisons tenant à la sécurité bien comprise des otages, démontre sa vacuité. Nous ne pouvons que le déplorer. Dans le même temps, nous pourrions nous souvenir de ce que déclarait F.D. Roosevelt : « En politique, rien n’arrive par accident. Si cela arrive, vous pouvez être certains que cela a été planifié ». On ne saurait mieux dire dans le cas des prises d’otages par des États ou des groupes structurés. Ils apprécient à sa juste valeur le désarroi des familles d’otages et en tirent le meilleur profit[9]. Dans ce combat asymétrique, nous devrions essayer de rétablir un certain équilibre à notre avantage. Nous le pouvons à condition de le vouloir, pas seulement en paroles mais surtout dans nos actes.

La France, patrie des droits de l’homme, estime-t-elle tolérable cette pratique barbare ? Si tel n’est pas le cas, notre pays ne devrait-il pas prendre la tête d’une coalition de volontaires destinée à réfléchir et à tenter de trouver les réponses idoines à apporter à un phénomène récurrent (Algérie, Azerbaïdjan[10], Iran, Russie…). Un phénomène qui met dans l’embarras les familles d’otages qui font pression sur les gouvernements concernés pour obtenir la libération de leurs proches à n’importe quelle condition[11]. Il est grand temps de retrouver nos repères, de réveiller notre esprit critique. Penser, c’est parfois savoir dire non, se confronter à l’invraisemblable vérité ! Tel est le défi à relever à court, moyen et long terme. Le voulons-nous ? Le pouvons-nous ?

Alors qu’aucune inversion de tendance ne se dessine et que la situation tourne souvent au désastre en matière de prises d’otages, nous devons interroger notre cécité et repenser notre logiciel.

LA PRISE D’OTAGES : DES RÉPONSES CLAIRES ET DISSUASIVES

Comme souvent dans la pratique des relations internationales, il importe de ne pas mettre la charrue avant les bœufs. La définition précise du sujet doit précéder le périmètre de la réponse souhaitée et souhaitable dans une démarche en deux temps.

La définition du périmètre du sujet : la diplomatie du concret

Rien n’est possible sans savoir de quoi on parle. En un mot abandonner la langue de bois épaisse et les formules médiatiques creuses.

Sans se voiler la face sur la difficulté de l’exercice, la diplomatie française ne se grandirait-elle pas en prenant l’initiative sur cette problématique lancinante ? Surtout, alors qu’elle est à la peine dans plusieurs régions du monde où elle se pensait incontournable comme en Afrique[12]. Pareille démarche se situerait dans le droit fil de sa vocation de passeuse d’idées, de lanceuse d’alerte, en sa qualité d’étendard de la défense des droits humains. Mais aussi à son attachement indéfectible à un multilatéralisme efficace. À nos yeux, elle s’imposerait aux yeux du monde libre en prenant à bras le corps le traitement d’une pratique prégnante dans le concert des nations du XXIe siècle. Mais, ceci apparaît plus facile à dire qu’à faire au pays d’un certain conformisme ambiant.

Ignorer l’existence d’un problème ne constitue jamais le meilleur moyen de l’appréhender pour en être en mesure de mieux le traiter. Telle est la parabole attachée à la pratique de la diplomatie : le temps du diagnostic doit précéder celui du remède. Et si le premier est erroné, il y a de fortes chances que le second soit inadapté ou contre-productif. C’est pourquoi, il conviendrait de confier à un groupe de juristes spécialisés en droit international (au Quai d’Orsay et au ministère des Armées) et en matière de terrorisme (ministère de l’Intérieur en y ajoutant les experts, d’hier et d’aujourd’hui, de la DGSE et de la DGSI qui connaissent les arcanes de la problématique de la prise d’otages) le soin de faire le point sur l’approche juridique du concept de prise d’otages (textes déjà existants, déclarations éventuelles de l’ONU, de l’OTAN, de l’UE…) afin d’en dégager une définition acceptable par une majorité d’États. Une substantifique moëlle diplomatico-sécuritaire.

Même si les obstacles paraissent insurmontables, impossible n’est pas français. Apprenons à mettre des mots sur les maux. Juristes et diplomates sont qualifiés et outillés pour le faire. Nos décideurs devraient les réunir pour qu’ils préparent l’ébauche d’un texte de convention internationale définissant le crime de prise d’otages et les sanctions s’y attachant ainsi que les juridictions (existantes ou ad hoc) appelés à connaître de ces actes. En dépit de sa lourdeur, la judiciarisation internationale de la prise d’otages ne serait pas un exercice inutile. A minima, elle constituerait un message clair adressé aux apprentis sorciers et à leurs parrains. Cette phase préalable devrait être lancée à froid en dehors de toute publicité intempestive et de toute pression médiatique. De la discrétion avant toute chose. Telle est l’essence de la diplomatie à l’ancienne et de ses avantages incontestables.

La définition du périmètre de la réponse : la diplomatie de l’efficacité

Cette étape doit être la conséquence de la première. Elle doit être marquée au sceau de la globalité dans le temps et l’espace et éviter de sombrer dans la diplomatie du coup d’éclat.

Cette approche juridique du phénomène doit être replacée dans le contexte d’une démarche de boîte à outils pour le traitement global des prises d’otages. Les autres outils déjà utilisés sont les suivants : assassinats ciblés ou opérations « homo » conduites par les services de renseignement (comme la DGSE) des terroristes et preneurs d’otages ayant commis des crimes contre nos ressortissants ; dénonciation publique des fauteurs de trouble (« Naming and shaming ») : pressions de toute nature exercées sur les auteurs et complices… La première pratique est bien connue des Israéliens qui ne laissent aucun répit aux assassins. N’oublions pas la diplomatie de la carte postale[13]. C’est dans ce contexte que doit s’insérer la diplomatie juridique. La globalité et la cohérence de notre réponse est le gage de son succès.

Ensuite, pareille démarche devrait être précédée par un état des lieux objectif sur le phénomène des prises d’otages dans le monde : nombre, personnes visées, pays ou groupes à l’origine de ce phénomène… afin de ne pas parler dans le vide mais sur la base d’une documentation précise. À cette fin, il importe de disposer du retour d’expérience de la communauté du renseignement (actifs et retraités) qui a souvent été impliquée – discrètement le plus souvent – dans ce genre d’affaires sensibles. Leur contribution nous paraît incontournable pour définir les paramètres d’une approche concrète se situant au plus près de la réalité du phénomène au cours des dernières décennies. Rappelons que diplomatie et renseignement ne sont pas des métiers tout à fait étrangers, souvent complémentaires, parfois antagonistes. Et cela d’autant plus que « ce que nous sommes en train de vivre est plutôt de l’ordre d’une grande bascule et d’un grand bouleversement » (Emmanuel Macron). Tout ceci n’incite-t-il pas à la réflexion et à l’adaptation de notre diplomatie aux contraintes sécuritaires des temps mauvais ? Agir, c’est prendre appui sur le passé (l’Histoire) pour comprendre ce qui change aujourd’hui et demain. C’est aussi être à même de prévoir, d’anticiper, d’agir sur le long terme tout en ne négligeant pas le court terme.

Pour produire le maximum d’effets, l’équipe chargée de la rédaction d’un cadre juridique international devrait travailler sur deux questions clés que sont la vérification et la sanction. Les experts des questions politico-militaires savent d’expérience qu’un traité d’interdiction d’une activité déterminée ne peut produire tous ses effets qu’à deux conditions. Outre l’existence d’une définition précise et incontestable du phénomène, la première condition consiste à mettre en place un organisme indépendant et impartial chargé d’établir la réalité des faits allégués en dehors de toute pression extérieure. L’on connaît la célèbre formule de Ronald Reagan : « Trust but verify » (« faire confiance mais vérifier ») à propos des accords de désarmement nucléaire américano-soviétique durant la Guerre froide. La seconde condition a trait à la palette de sanctions envisagées contre les preneurs d’otages et surtout contre les États qui les encouragent ou/et les financent : traduction devant des juridictions internationales comme la Cour pénale internationale ; limitation des déplacements des plus hauts responsables des États concernés (cf. mesures frappant les dirigeants russes, israéliens et du Hamas au titre des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité) ; mise à l’écart des organisations internationales de la famille des Nations Unies ; gel des avoirs détenus dans les pays ayant adhéré à la convention… Cette liste est purement indicative. Elle pourrait s’enrichir d’autres mesures coercitives pénalisant durement les « États voyous » pour reprendre un langage suranné du temps du 43e président des États-Unis, Georges W. Bush que pourrait aisément reprendre le 47e président dès son investiture le 20 janvier 2025.

Enfin, et seulement après que les étapes précédentes aient été conduites à leur terme, convocation d’une conférence internationale à Paris préparée et non improvisée. On imagine le questionnement, l’inquiétude réelle dans ces États peu scrupuleux. Ainsi la France retrouverait sa vocation décrite par un diplomate-écrivain du nom de Jean Giraudoux à la veille de la Seconde Guerre mondiale dans une comédie aux accents très réalistes :

« Permets-moi de te dire que c’est sur ce point que tu as tort. Laisse-moi rire quand j’entends proclamer que la destinée de la France est d’être ici-bas l’organe de la retenue et de la pondération ! La destinée de la France est d’être l’embêteuse du monde. Elle a été créée, elle s’est créée pour déjouer dans le monde le complot des rôles établis, des systèmes éternels. Elle est la justice, mais dans la mesure où la justice consiste à empêcher d’avoir raison ceux qui ont raison trop longtemps. Elle est le bon sens, mais au jour où le bon sens est le dénonciateur, le redresseur de tort, le vengeur. Tant qu’il y aura une France digne de ce nom, la partie de l’univers ne sera pas jouée, les nations parvenues ne seront pas tranquilles, qu’elles aient conquis leur rang par le travail, la force ou le chantage. Il y a dans l’ordre, dans le calme, dans la richesse, un élément d’insulte à l’humanité et à la liberté que la France est là pour relever et punir. Dans l’application de la justice intégrale, elle vient immédiatement après Dieu, et chronologiquement avant lui. Son rôle n’est pas de choisir prudemment entre le mal et le bien, entre le possible et l’impossible. Alors elle est fichue. Son originalité n’est pas dans la balance, qui est la justice, mais dans les poids dont elle se sert pour arriver à l’équité, et qui peuvent être l’injustice… La mission de la France est remplie, si le soir en se couchant tout bourgeois consolidé, tout pasteur prospère, tout tyran accepté, se dit en ramenant son drap : tout n’irait pas trop mal, mais il y a cette sacrée France, car tu imagines la contrepartie de ce monologue dans le lit de l’exilé, du poète et de l’opprimé »[14].

Tout est dit et bien dit de la prétention à l’universalisme de la France éternelle. Dans le cas d’espèce, à la condition de remplir toutes les conditions énoncées plus haut, la conférence envisagée ne serait pas à ranger dans la catégorie de grand-messe de plus caractérisée par beaucoup d’incantations et peu de résultats tangibles. Elle ne déboucherait pas non plus sur un chef d’œuvre diplomatique, un monument d’hypocrisie. Elle se confronterait au réel dans ce qu’il a de plus trivial et, parfois, de dérangeant.

Cela enverrait un signal clair aux fauteurs de troubles et à leurs complices. On peut imaginer l’édiction de sanctions lourdes et dissuasives contre les preneurs d’otages, leurs donneurs d’ordre, leurs complices directs ou indirects mais aussi et surtout pour les chefs d’État des pays impliqués dans cette forme de guerre asymétrique. On pourrait envisager une mise au ban des Nations par la publication de listes noires des États coupables comme cela déjà est le cas pour le terrorisme. Cela leur donnerait matière à réflexion et aurait un effet dissuasif. L’on pense aussitôt à la duplicité du Qatar, qui abrite sur son sol plusieurs organisations terroristes qu’il finance manu larga, et joue les médiateurs entre le Hamas et Israël pour la libération des otages détenus à Gaza. Ceci ne l’empêche pas d’être courtisé par bon nombre de pays Occidentaux (dont la France) dont il sait corrompre habilement les élites, y compris celles ayant occupées les fonctions les plus prestigieuses dans la hiérarchie des États. Mais, voulons-nous et pouvons-nous utiliser cette carte dans notre jeu ? Qui veut la fin veut les moyens. Mais est-ce imaginable pour un président de la République attaché à la pratique du en même temps diplomatique et de l’indignation à géométrie variable ? Sans oublier l’essentiel, il n’apporte pas, le plus souvent, de solutions crédibles aux problèmes qu’il prétend résoudre. La « twitterisation » de la diplomatie érode la confiance dans notre Douce France.

La poursuite cette approche de la judiciarisation de la pratique de la prise d’otages conduirait à des choix délicats, mais salutaires en termes de sécurité intérieure et internationale. Où mettre le curseur ? Tel est le cas avant le lancement de toute négociation internationale importante. Cet exercice se révèle très salutaire tant il nous renvoie à nos incertitudes et à nos contradictions inhérentes à toute pratique diplomatique qu’elle soit bilatérale ou multilatérale. La problématique est souvent simple à énoncer, mais complexe à résoudre. La diplomatie, faut-il le rappeler, est l’art du possible, à défaut d’être celui du souhaitable. Son objectif affiché n’est-il pas de contribuer au renforcement de la sécurité collective, bien mal en point en ce début d’année 2025 ? Ce qui reste du système de sécurité collective mise en place en 1945 apparaît désormais en lambeau. Comme nous le rappelle Raymond Aron, cette démarche ambitieuse aurait pour principal objectif de « gagner la guerre limitée pour ne pas avoir à mener une guerre totale » dans un temps où nous sommes déjà entrés dans une nouvelle ère stratégique. Un temps nécessitant l’abandon des postures de surplomb, d’une communication faisant office d’action et le passage incontournable de l’ambition à l’action. Le signe du passage à une diplomatie efficace et crédible.

DE L’ESPRIT DE LA DIPLOMATIE À LA DIPLOMATIE DE L’ESPRIT

« Il y a deux classes de qualité qui entrent dans la composition de l’esprit et de l’honneur de la profession de diplomate : les qualités de l’âme et les qualités de l’esprit » (Talleyrand). Face au bouleversement du monde et à la révolution copernicienne qui l’accompagne, il faut chercher quelques clés de compréhension. Dans cette quête, nous avons plus que jamais besoin d’un retour de la diplomatie de l’esprit, loin du brouhaha médiatique et des postures politiciennes. Méfions-nous des bons sentiments qui affaiblissent la France ! On se rassure comme on peut en évitant les remises en cause douloureuses en louvoyant entre ligne claire et clair-obscur. C’est ce qui se passe aujourd’hui dans le domaine spécifique de la lutte contre le terrorisme et contre les prises d’otages alors que la géopolitique des otages rebat les cartes de la géopolitique mondiale. Avoir le courage de dire, la volonté de faire, telle devrait être la boussole stratégique de nos décideurs. Donner un cadre juridique international le plus large possible pour inquiéter parrains et auteurs des privateurs de liberté ! Tel devrait être l’objectif premier de la criminalisation de la prise d’otages.


[1] Gilles Ferragu, Otages, une histoire. De l’Antiquité à nos jours, Folio Histoire, 2020.

[2] Géraldine Woessner (propos recueillis par), Pierre Vermeren : « La France est considérée comme un État faible », Lepoint.fr, 18 janvier 2025.

[3] Jean-Pierre Perrin, « Iran : le régime tremble de toute part », Mediapart, 16 janvier 2025.

[4] Olivier Grondeau, « Si seulement l’innocence rendait immortel », Le Monde, 15 janvier 2025, p. 29.

[5] Samuel Forey/Piotr Smolar, « Israël Hamas : un accord fragile sous pression de Trump et Biden », Le Monde, 15 janvier 2025, pp. 2-3.

[6] Edgar Morin, « Face à la polycrise que traverse l’humanité, la première résistance est celle de l’esprit », Le Monde, 22 janvier 2024, p. 26.

[7] Louis Caprioli/Jean-François Clair/Michel Guérin, La DST sur le front de la guerre contre le terrorisme, Mareuil éditions, 2024.

[8] Florence Bergeaud-Blackler (Préface de Gilles Kepel), Le frérisme et ses réseaux, l’enquête, Odile Jacob, 2023.

[9] Samuel Forey/Raphaëlle Rérolle, « Israël-Gaza : l’attente des familles avant les premières libérations », Le Monde, 19-20 janvier 2025, p. 3.

[10] Faustine Vincent, « Huit anciens hauts dirigeants arméniens du Haut-Karabakh jugés en Azerbaïdjan », Le Monde, 19-20 janvier 2025, p. 6.

[11] Raphaëlle Rérolle, Les proches d’otages : « Nous avons perdu six mois », Le Monde, 17 janvier 2025, p. 3.

[12] Marc-Antoine Pérouse de Monclos, « En Afrique, l’Élysée se fait désormais dicter sa conduite », Le Monde, 17 janvier 2025, p. 27.

[13] Jean Daspry, « De la diplomatie des otages à la diplomatie de la carte postale ! », Tribune libre n°165, CF2R, 30 novembre 2024.

[14] Jean Giraudoux, L’impromptu de Paris, pièce en un acte, Grasset, 1937.

Les premiers matériels de la 7e brigade blindée bientôt en route pour l’exercice Dacian Spring 2025

Les premiers matériels de la 7e brigade blindée bientôt en route pour l’exercice Dacian Spring 2025

Roumanie, sur le camp de Cincu, 2022, un char Leclerc et un VBCI (véhicule Blindé de Combat de l’infanterie (Photo by Frederic Petry / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP).

 

Trois rouliers de la CMN vont bientôt charger, dans le port de Toulon, du matériel militaire français à destination de la Roumanie.

Ces équipements sont destinés aux forces françaises qui participeront en mai à l’exercice Dacian Spring 2025 en Roumanie. Un départ est prévu fin février et deux autres en mars (autour du 12 puis autour du 25), à destination du port grec d’Alexandropoulis. Le matériel y sera réceptionné par les spécialistes français du 519e RT qui déploieront un centre opérationnel pour coordonner les mouvements.

Le défi à relever est de taille : il s’agira de déployer une brigade opérationnelle (« une brigade multinationale entière« , indiquait en mai 2024 le général Loïc Girard, représentant national français en Roumanie), en seulement « 10 jours », sur le flanc est de l’OTAN. C’est là que la France déploie, depuis février 2022, un bataillon multinational qui compte actuellement 1500 hommes dans le cadre de la mission Aigle.

Pour l’armée de Terre française, l’édition 2025 de Dacian Spring constitue une occasion cruciale d’évaluer l’état de préparation de ses forces en vue d’une guerre de haute intensité. L’ambition est de déployer, loin de ses bases, tout ou partie d’une brigade « bonne de guerre », c’est-à-dire apte au combat au terme de sa projection.

L’unité retenue par l’état-major des Armées est la 7e brigade blindée de Besançon, une unité de 7500 soldats déjà fléchée pour le théâtre est-européen.

Cette brigade rassemble les unités suivantes:

  • le 35e régiment d’infanterie ;
  • le 152e régiment d’infanterie;
  • le 1er régiment de tirailleurs ;
  • le 1er régiment de chasseurs ;
  • le 5e régiment de dragons ;
  • le 68e régiment d’artillerie d’Afrique ;
  • le 3e régiment du génie
  • la 7e compagnie de commandement et de transmissions.

Plus pratiquement, la France projettera à partir de la métropole un Groupement tactique interarmes (GTIA) blindé et l’ensemble des appuis interarmes de la brigade (génie, artillerie, aviation légère, etc.). Cela représentera, selon le ministère des Armées, plusieurs milliers de soldats (au moins 4000) et plusieurs centaines de véhicules blindés.

Pour rappel, la projection en Roumanie de 500 soldats français, fin février 2022, avait pris 7 jours et exigé 28 rotations d’avions gros porteurs. Par ailleurs, le déploiement initial ne comportait aucun blindé lourd, les VBCI et Leclerc n’étant déployés, par la voie routière, qu’à partir d’octobre 2022.

Mobilité et réactivité

L’exercice vise également à tester, voire améliorer, les capacités logistiques et la mobilité militaire (sur ce dernier point, voir mon post du 9 janvier). Ce sont deux domaines où des progrès sont attendus en raison de procédures transfrontalières pénalisantes et des limitations imposées par les infrastructures insuffisantes ou mal adaptées dans les pays d’Europe que les forces de l’Otan doivent traverser avant d’engager le combat. Des améliorations dans ces deux domaines garantiront des mouvements de troupes plus rapides et plus efficaces et un renforcement des capacités de réaction rapide de l’OTAN.

A ce titre, les conditions du mouvement vers la Roumanie de la 7e brigade blindée, dans le cadre de Dacian Spring, constitueront un autre test crucial pour l’armée de Terre française qui, à la différence de l’US Army, n’a jamais testé ses capacités de projection au niveau brigade. On comprend dès lors pourquoi le chef d’état-major de l’armée de Terre française, le général Schill, a déclaré dans sa Lettre de janvier 2025 que cette année sera « l’année des brigades ».

Sur quoi le chantage algérien repose-t-il ? Editorial de Bernard Lugan

Sur quoi le chantage algérien repose-t-il ?

Editorial de Bernard Lugan – février 2025

Le jusqu’auboutisme algérien se manifeste par des errements diplomatiques apparentés à une fuite en avant. 
En plus de l’état de quasi-guerre que l’Algérie entretient avec le Maroc, de ses provocations à l’égard de la France, de sa rupture avec le Mali et des sanctions commerciales qu’elle vient de décider contre la Colombie et le Panama qui ont reconnu la marocanité du Sahara occidental, voilà que les gérontes au pouvoir à Alger viennent de provoquer une grave crise avec la Turquie (voir page 17 de ce numéro).
L’amateurisme-fanatisme d’Alger est le reflet d’un régime aux abois qui se raidit et se crispe au lieu de tenter d’acheter sa survie par une profonde remise en cause. La situation de l’Algérie est en effet dramatique à deux grands titres :
– L’État meurt de l’intérieur, écrasé par ses propres contradictions et ruiné par les prévarications de sa nomenklatura.
– Cette agonie de l’État provoque l’isolement de l’Algérie, sa perte de crédibilité et sa marginalisation sur la scène internationale. Ce qui conduit à une crispation débouchant aujourd’hui sur une impasse répressive qui va finir par faire exploser le pays.
Le pire est que les dirigeants algériens semblent se comporter comme des suicidaires cherchant névrotiquement à se rapprocher du pire. 
A y regarder de près le pouvoir en place à Alger parait en effet avoir clairement décidé de s’auto-détruire et de précipiter le pays dans l’abîme. Comme si, seule la politique du pire pouvait lui fournir une ultime bouffée d’oxygène avant de trépasser. Après avoir dilapidé ses ressources humaines et financières, l’Algérie est aujourd’hui exsangue.
Or, au lieu de profiter de la situation pour enfin mettre à plat le contentieux qui oppose la France et l’Algérie, les dirigeants français vont une fois de plus composer. 
Et pourquoi ? 
Ce n’est pas une pression économique que peut exercer l’Algérie puisque le gaz et le pétrole ne représentent respectivement que 8% et 9% de la consommation française. Quant au commerce de la France avec l’Algérie, il ne compte pas puisqu’il n’est en moyenne que de 12 milliards d’euros pour un commerce extérieur français global moyen de 770 milliards d’euros. 
– Ce n’est pas davantage le poids d’une cinquième colonne immigrée dont les éventuels agissements illégaux pourraient être facilement réglés par de fermes mesures de simple police…
Alors ? Là est en effet toute la question…

Le plus long tunnel immergé du monde est presque terminé : un projet de 7 milliards de dollars sans tunnelier

Le plus long tunnel immergé du monde est presque terminé : un projet de 7 milliards de dollars sans tunnelier

Le tunnel Fehmarnbelt va réduire vos trajets entre Copenhague et Hambourg à seulement 7 minutes ! Découvrez comment cette innovation pourrait transformer vos voyages et booster l’économie régionale d’ici 2029. Ne manquez pas cette révolution sous-marine !


Le tunnel Fehmarnbelt : une aventure sous-marine époustouflante
Le plus long tunnel immergé du monde est presque terminé : un projet de 7 milliards de dollars sans tunnelier | Armees.com

Le tunnel Fehmarnbelt, en plein chantier entre l’Allemagne et le Danemark, promet de chambouler les trajets et le commerce en Europe. Ce futur plus long tunnel immergé au monde est une belle avancée pour connecter l’Europe tout en misant sur l’innovation et le respect de la planète. Avec un budget qui avoisine les 7 milliards de dollars, ce projet impressionne par son ampleur et sa capacité à redessiner les échanges entre pays.

Un défi technique hors du commun

Ce qui frappe avec le tunnel Fehmarnbelt, c’est sa méthode de construction inédite. Oubliez les traditionnels tunnels creusés à la machine : ici, on utilise des segments préfabriqués. Pas moins de 89 segments énormes seront assemblés, chacun pesant 73 500 tonnes et mesurant 217 mètres de long. Ces morceaux sont fabriqués sur terre avant d’être plongés sous l’eau avec une précision chirurgicale. Ils sont équipés de cloisons étanches pour éviter toute infiltration, assurant ainsi la sécurité du passage.

Cette technique innovante accélère non seulement la construction mais réduit aussi au minimum l’impact sur l’environnement (une vraie prouesse !). Des mesures strictes sont prises pour protéger le fragile écosystème de la mer Baltique.

Début de la construction d'un tunnel sous la mer Baltique pour relier l'Allemagne au Danemark

Quand écologie rime avec technologie

L’environnement est vraiment pris au sérieux dans le projet Fehmarnbelt. Les équipes mettent tout en œuvre pour réduire le bruit pendant les travaux afin de ménager la vie marine locale. Les sections du tunnel sont positionnées avec soin pour éviter toute perturbation superflue. En plus, des solutions durables comme un éclairage et une ventilation économes en énergie font partie intégrante du design final.

Ce souci constant pour l’environnement montre non seulement une responsabilité écologique mais aussi un désir d’intégrer des solutions vertes dans nos infrastructures modernes.

Des chiffres qui donnent le vertige

Le tunnel Fehmarnbelt s’étendra sur 18 kilomètres sous la mer Baltique, détrônant ainsi le tunnel Øresund comme plus long tunnel immergé mondialement parlant. Il proposera une autoroute à quatre voies et une voie ferrée à deux voies, offrant un passage fluide entre les deux pays.

Les travaux devraient se terminer d’ici 2029, avec un premier segment déjà descendu début 2024. Une fois opérationnel, il raccourcira drastiquement les trajets entre Copenhague et Hambourg.

Voyagez autrement : fini les longues attentes

Grâce au tunnel Fehmarnbelt, traverser la mer Baltique sera un jeu d’enfant : au lieu des 45 minutes actuelles en ferry, il ne faudra que 7 minutes en train ou 10 minutes en voiture ! Cette réduction spectaculaire incitera sûrement à préférer le train aux vols courts, donc un choix bien plus écologique.

En prime, ce projet facilitera grandement le transport de marchandises entre l’Allemagne et le Danemark, simplifiant ainsi les échanges commerciaux et boostant l’économie régionale.

L’union fait la force : un exemple à suivre

Au-delà des aspects techniques et économiques, ce tunnel est aussi un symbole fort de coopération transfrontalière entre l’Allemagne et le Danemark. Il reflète parfaitement les valeurs européennes d’innovation, de durabilité et de progrès communs.

En fin de compte, ce n’est pas juste une prouesse technique ; c’est surtout une étape vers un avenir où connectivité européenne rime avec infrastructures modernes et respectueuses de notre planète. Alors qu’on s’approche doucement mais sûrement de son achèvement prévu en 2029, cela nous pousse tous à réfléchir à combien il est important d’unir nos forces pour construire ensemble un avenir durable !

Le Kosovo : un territoire aux crises non résolues

Le Kosovo : un territoire aux crises non résolues

par Natalia Tatarchuk – Revue Conflits – publié le 29 janvier 2025

https://www.revueconflits.com/le-kosovo-un-territoire-aux-crises-non-resolues/


Petit territoire disputé par l’Albanie et la Serbie, le Kosovo a été l’objet d’une guerre intense dans les années 1990. Le problème n’est pas résolu pour autant. Enjeu d’une mythologie politique, le Kosovo sert aussi d’exemple pour les drames de la guerre d’Ukraine.

Toute l’histoire du Kosovo, faite de grandes batailles, de luttes souterraines, de provocations, représente le résultat d’un processus complexe, marqué par la formation des États nationaux serbe et albanais et la formation de leurs nationalismes respectifs.

L’émergence de la question du Kosovo et son évolution dans la première moitié du XXe siècle.

Au fil du temps, le sens de la question du Kosovo a changé. Elle a émergé au lendemain de la guerre russo-turque de 1877-1878. Jusqu’en 1913 (fin de la Deuxième Guerre balkanique), les Serbes ont poursuivi le but de rattacher à leur pays le Kosovo, ancien centre de la Serbie aux XIVe-XVe siècles. L’Empire ottoman n’était plus en mesure de conserver le Kosovo. Mais les intentions expansionnistes serbes se sont tout de suite heurtées au nationalisme albanais, sur un terrain majoritairement peuplé d’Albanais. Cette collision est la clef de toute l’évolution de la question. La première phase de cette opposition prit fin en 1913, où le Kosovo est en effet rattaché à la Serbie, avec le soutien de la Russie, seule des grandes puissances à avoir pris le parti des Serbes sur ce point. L’Albanie venait à peine d’accéder à l’indépendance, le 28 novembre 1912.

Kosovo

Entre la Serbie et l’Albanie

De ce moment et jusqu’en 1941, pour la Serbie et ensuite pour la première Yougoslavie (1918–1941), la question du Kosovo résida dans la nécessité de s’approprier cette région et pour ce faire, de régler la question de l’intégration des Kosovars (à savoir les Albanais du Kosmet) dans l’État slave et de modifier la structure de la population au profit des Slaves, surtout des Serbes. Proclamé le 1er décembre 1918, le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes réunit, outre le Kosovo au sein de la Serbie, la Métochie comme partie intégrante du Monténégro. Dès lors, la question du Kosovo est en réalité devenue celle du Kosmet (Kosovo-Métochie). Parallèlement, à partir de 1913, le principal objectif du mouvement nationaliste albanais devint le rattachement du Kosovo à l’Albanie. On vit alors apparaître sur le terrain le mouvement des kačaks, partisans du rattachement à Tirana, mouvement étouffé par Belgrade vers le milieu des années 1920.

D’autre part, des pétitions contre la violation des droits des Kosovars furent adressées à la Société des Nations. C’est aussi pendant cette seconde phase de l’évolution de la question du Kosovo que commença son instrumentalisation par des acteurs extérieurs, notamment l’Italie, désireuse d’accroître son empire.

En 1941-1944, durant la Seconde Guerre mondiale et jusqu’à la libération du Kosmet, les dirigeants de deux Partis communistes yougoslave et albanais, se souciaient avant tout d’obtenir l’engagement des Kosovars dans la lutte contre les occupants italiens et allemands. Mais le mouvement nationaliste albanais envisageait déjà l’intégration du Kosmet dans l’Albanie ethnique, en vue de la formation ultérieure de la Grande Albanie.

La question du Kosovo dans la Yougoslavie socialiste.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et jusqu’au milieu des années 1950, pour la deuxième Yougoslavie (1945-1992), la question du Kosovo signifia la réintégration du Kosmet dans l’État yougoslave, y compris l’engagement des Kosovars dans les structures d’État et du Parti communiste yougoslave. Cette période fut aussi marquée par des tentatives d’instrumentalisation de la question du Kosovo par le Kremlin, suite à la rupture entre Staline et Tito. À partir de la fin des années 1960, pour les pouvoirs serbe et yougoslave, la question du Kosovo devint un problème de séparatisme intérieur, caractérisé par la lutte des Kosovars pour l’élargissement des droits du Kosmet au sein de la Yougoslavie. Dans les années 1980, ce mouvement se changea en lutte pour l’indépendance des Kosovars de la République de Serbie au sein de la Yougoslavie et la question du Kosovo prit alors la forme sous laquelle elle allait être connue de toute la communauté internationale.

Pendant toute l’histoire de la Yougoslavie socialiste, la question du Kosovo revêtit aussi une dimension serbe, avec les revendications propres des Kosovci (Serbes du Kosmet), ce que les autorités yougoslaves et serbes essayaient de dissimuler en partant de la thèse que la question nationale était résolue. Mais c’est cette dissimulation qui allait contribuer beaucoup à l’essor du nationalisme serbe et à l’émergence du phénomène Slobodan Milošević à la fin des années 1980.

Dans les années 1960-1980, la question du Kosovo prit, jour après jour, la forme d’une crise.

Le plenum de Brioni (1966) marqua un changement notable dans la politique fédérale vis-à-vis du Kosmet, ouvrant un certain processus de libéralisation. C’est ainsi que la réforme constitutionnelle (1967-1971), puis la nouvelle Constitution yougoslave transformèrent la Province autonome de Kosovo et Métochie en un élément constitutif de la République fédérative socialiste de Yougoslavie, lui accordant les compétences d’un État au sein de la fédération yougoslave, avec le droit de promulguer ses lois. Cependant, ces compétences très larges se trouvaient en contradiction avec le statut du Kosmet au sein de la Yougoslavie, car il restait une province autonome serbe et non une république de plein droit. Cette contradiction aggrave les tensions au lieu de les résoudre, dans une région économiquement sous-développée, mais en plein essor démographique. Cet essor provoqua à son tour l’augmentation de la jeunesse étudiante ou instruite, mais sans-travail. Les années 1980 se caractérisent par des turbulences accrues, également nourries par les revendications des Kosovci de plus en plus teintées de nationalisme. C’est alors que Slobodan Milošević, leader de la Ligue des communistes de Serbie depuis 1986, puis, à partir de 1991, président de la Serbie, fit du Kosovo son tremplin politique.

L’aggravation permanente de la crise du Kosovo dans les années 1990.

En 1989 est promulguée une révision de la Constitution de la Serbie visant à la diminution des compétences du Kosmet. En réponse se forme la Ligue démocratique du Kosovo (LDK), le plus grand parti des Kosovars, avec à sa tête Ibrahim Rugova, favorable à une solution non-violente. Dans les années suivantes, les Kosovars firent tout pour constituer un État indépendant au Kosmet, tandis que les autorités serbes tâchaient de les soumettre et de rattacher complètement la province à la Serbie. Le démembrement de la Fédération yougoslave, par la sécession de la Slovénie et de la Croatie en 1991, ne marque donc pas  l’éclatement de la crise au Kosovo, mais il contribue à sa radicalisation. Se forme alors l’UÇK[1], aile militaire du mouvement pour l’indépendance des Kosovars, tandis que le régime de S. Milošević s’affaiblit, tout en tentant de profiter de la question du Kosovo pour rester au pouvoir.

L’achèvement de la guerre de Bosnie, en décembre 1995, voit la communauté internationale se préoccuper de la violation des droits des Kosovars. La situation sur le terrain se caractérise par une aggravation permanente – explosions et assassinats, ce qui montre à tout le monde que les autorités serbes ne maîtrisent plus la région. Quand elles tentent de résoudre la crise par le recours à la force militaire, l’internationalisation s’accroît, encourageant les Kosovars à revendiquer l’indépendance, tandis que les Serbes locaux sont assimilés aux agresseurs. Cette étape se partage en deux phases : le conflit entre l’UÇK et les forces serbes (mars 1998 – mars 1999), puis l’entrée en action de l’OTAN et l’internationalisation militaire du conflit (24 mars – 10 juin 1999).

L’instrumentalisation comme la force motrice.

Le nationalisme albanais et le nationalisme serbe ont été les forces motrices de la question du Kosovo, de l’éclatement et de la radicalisation du conflit. Cependant, d’autres paramètres ont joué. Il y a eu une instrumentalisation intérieure de la question, du fait des dirigeants yougoslaves et serbes, mais aussi des dirigeants albanais du Kosmet, et une instrumentalisation extérieure, de la part de l’État albanais et des puissances occidentales. Du « mythe kosovien », faisant de la région le cœur de l’identité serbe, jusqu’à la tragédie à Račak (massacre de 45 Albanais en janvier 1999), chaque situation a fait l’objet d’une exploitation politique, rendant impossible une évaluation non-engagée de la question du Kosovo.

L’Albanie, qui, dès 1945, cherchait l’appui de Staline pour obtenir le rattachement du Kosmet a soutenu les manifestations des Kosovars dans les années 1980 et a été le premier État reconnaissant la République autoproclamée du Kosovo en octobre 1992. La proximité géographique de l’Albanie, la frontière commune albano-yougoslave, a naturellement encouragé les espoirs des Kosovars et des partisans de la « Grande Albanie », tout en permettant d’approvisionner les indépendantistes de l’UÇK. 

Les Occidentaux devant la crise du Kosovo.

Les Occidentaux, en particulier les Européens, n’ont vraiment commencé à s’engager dans le règlement de la crise du Kosovo qu’à la fin de 1997, quand il était probablement déjà trop tard pour une diplomatie préventive. Ils ont  multiplié les pressions sur S. Milošević, d’abord au moyen de sanctions, sans chercher à conjurer le renforcement de l’UÇK. C’est dans ce contexte que la diplomatie américaine en vint peu à peu à prendre des initiatives et à agir à partir de mai 1998, en entamant des pourparlers avec les indépendantistes, en proposant aux deux parties des projets sur l’autonomie future du Kosmet et enfin en initiant l’adoption des résolutions 1199 et 1203 par le CS de l’ONU et la signature de trois accords sur le Kosmet, acceptés par S. Milošević en octobre 1998. L’internationalisation de la crise du Kosovo en septembre – octobre 1998 mit en relief le facteur militaire : c’est en prenant en considération la puissance militaire croissante des États-Unis dans les Balkans, d’un côté, et au sein de l’OTAN, de l’autre, que les pays européens acceptèrent l’intervention militaire au Kosmet.

Le 24 mars 1999, l’OTAN commença à bombarder le territoire de la Serbie. Cette opération a été jugée de manière très tranchée. Si les spécialistes occidentaux la jugent légitimée par les résolutions onusiennes 1199 et 1203, les Serbes, mais aussi les Russes, la considèrent comme illégale, car elle ne fut pas fondée sur une résolution spécifique du CS de l’ONU. Après une longue éclipse, la Russie revient alors aux côtés de la Serbie, comme en 1913. Avant même l’installation de Vladimir Poutine, la Russie considère l’OTAN comme une menace. Les bombardements de l’OTAN durèrent 78 jours et furent suspendus le 10 juin 1999, avec l’adoption par le CS de l’ONU de la résolution 1244 qui devint la base pour le déploiement au Kosmet de la Kosovo Force (KFOR), force armée multinationale sous l’égide de l’OTAN. La KFOR se déploya le 12 juin 1999 et continue son travail jusqu’à nos jours. Mais elle n’a pas réussi à conjurer de nouveaux affrontements interethniques au Kosmet dont le plus grave qui est appelé parfois « la nuit de Cristal » a eu lieu en mars 2004. D’après les données Human Rights Watch, en deux jours, les 17 -18 mars, 19 Serbes furent tués, au moins 550 maisons serbes et 27 églises et monastères orthodoxes incendiées, 4 100 Serbes forcés à quitter leurs foyers. C’est pourquoi cette organisation humanitaire a constaté qu’au Kosmet, l’OTAN et l’ONU sont « incapables de protéger les minorités ». À son tour, en 2006, l’UNESCO a inscrit les monuments médiévaux du Kosovo et de la Métochie – les églises et monastères orthodoxes sur la Liste du patrimoine mondial en péril.

Placé jusqu’à aujourd’hui sous les auspices de la KFOR, le Kosmet est reconnu depuis 2008 comme un État indépendant – la République du Kosovo (Republika e Kosovës) par plus de 100 pays, y compris les grandes puissances occidentales (États-Unis, Grande-Bretagne, Allemagne, France, Italie), mais il est considéré comme une partie intégrante de la République de Serbie (Republika Srbija) par d’autres 35 pays, parmi lesquels la Russie, la Chine, l’Espagne et, évidemment, la Serbie. Étant toujours un des sujets les plus litigieux de l’agenda international actuel, la question du Kosovo continue de rendre compliquée la situation régionale dans les Balkans. Elle sert d’exemple aux Russes pour dénoncer la « mauvaise foi » de l’Occident et justifier la création de « Républiques populaires » de Donetsk et Luhansk, prises sur le territoire internationalement reconnu de l’Ukraine.

[1] Ushtria Çlirimtare e Kosovës (Armée de libération du Kosovo)


Natalia Tatarchuk

Docteur HDR en histoire. Sorbonne-Université, SIRICE