Reconstruire des partenariats stables en Afrique à partir du cas malien

Reconstruire des partenariats stables en Afrique à partir du cas malien

par Gildas Lemarchand – Revue Conflits – publié le 21 octobre 2024

https://www.revueconflits.com/reconstruire-des-partenariats-stables-en-afrique-a-partir-du-cas-malien/


Onze ans après le début de l’intervention française, quatre ans après le premier coup d’État militaire au Mali, l’addition de problèmes sécuritaires que connaît le Sahel demeure. Sortie du cœur immédiat des préoccupations françaises, l’Afrique de l’Ouest reste l’espace d’une compétition renouvelée.

Dans le cadre d’une opposition Nord-Sud rendue lumineuse par la guerre russo-ukrainienne[1], les influences militaires russe et turque y trouvent un espace d’expression aussi fertile que celles religieuses des États du Golfe.

Pour un léger inventaire des évènements les plus récents, les Groupes Armés Terroristes (GAT) ont récemment mené une double attaque à Bamako, visant l’aéroport et l’école de Gendarmerie.  Les groupes indépendantistes ont également fait la preuve de leur adaptation aux putschs, au déploiement de Wagner, ainsi qu’à la perte de Kidal à la fin 2022. L’embuscade de Tin Zaouatine de fin juillet en témoigne amplement. Si elle enlève 84 hommes à Wagner et 47 aux Forces Armées Maliennes (FAMA), elle rend aussi possible la réunion de rebelles nigériens et maliens dans le même lieu le mois suivant afin de définir des axes communs de lutte contre les juntes. Bamako, Ouagadougou et Niamey sont en effet rassemblés depuis un an sous la bannière de l’Alliance des États du Sahel (AES) : nouvelle entente sécuritaire – peut-être un jour monétaire – concomitante à la sortie de ces pays du G5. Cela étant, la vague de rupture engagée par ces trois pays via une série de coups d’État entre 2020 et 2023 s’étend à toute la région. La rhétorique souverainiste à teinte anti-française atteint ainsi Dakar avec l’élection de Diomaye en avril dernier. À l’autre extrémité du Sahel francophone, le Tchad se prépare à accueillir des troupes hongroises sur son sol.

Battue en brèche, l’heure est à la réinvention des partenariats[2]. Les conclusions qui sont tirées de ce revers concernent cependant tous les pays qui ont pour volonté d’intervenir en Afrique : tout soupçon de domination est désormais condamné[3]. Dans ce nouveau concert, Paris hésite jusqu’à la passivité. Entre un alignement forcené dans un pôle occidental, au risque d’y perdre son identité et son indépendance stratégique, et le refus du manichéisme qui se traduirait par un regain de crédibilité comme par une reprise de sa tradition d’équilibre et de réinvention des Relations internationales[4]. Une des voies d’expression de cette deuxième option est précisément le Sud. Après avoir été conçus comme un pré-carré, puis comme un espace à démocratiser, les pays africains envoient leur message de souveraineté. Dans ce cadre, l’article qui suit s’applique à penser ces derniers en partenaires.

Errements français et césure malienne

Il est toutefois évident que la refondation de ces coopérations ne peut se concevoir qu’à l’aune des dernières tribulations. Il ne s’agit pas de sombrer dans l’uchronie, mais simplement d’appréhender les incompréhensions successives qui ont mené à un tel revers dans les relations franco-africaines. Quelques enseignements peuvent être tirés des décisions politiques, en particulier dans le cas malien.

À l’origine du déchirement entre Paris et Bamako, on trouve des divergences dans les « buts de guerre ». Alors que la France souhaite éviter qu’un sanctuaire djihadiste ne s’établisse au Sahel, le Mali compte s’appuyer sur l’intervention pour liquider définitivement le problème de l’Azawad.  Cette discordance trouve un premier écho dans la définition des groupes armés. Dès le début de la guerre en 2011, Mohamed Ag Najim et Bilal Ag Acharif[5] s’imposent en leaders de l’indépendantisme. Ag Ghali, tenu à l’écart, verse désormais dans le djihadisme en fondant Ansar Dine. Premier désaccord entre Paris et Bamako : l’État-hôte n’y voit que deux types du même séparatisme. La France accepte pourtant les services des groupes indépendantistes en 2013 et l’alliance tacite entre les Daoussak et Paris dure même tout le long de l’opération. L’Accord d’Alger de 2015 consacre définitivement les groupes indépendantistes comme des interlocuteurs légitimes. Certains Groupes Armés Signataires (GAS) entretiennent pourtant des relations avec les GAT[6]. À partir de là, Bamako ne fait que subir cette catégorisation, n’ayant pas les moyens d’évoquer l’unité, ni le courage de trouver une solution fédérale. Par la suite, la question des négociations avec des groupes djihadistes devient un des principaux points de discorde. Dès 2020, la junte nouvellement arrivée au pouvoir libère en effet 200 djihadistes. Pour elle, le Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM) obéit à des logiques très communautaires qui rendent, avec le passé diplomatique d’Iyad Ag Ghali[7], audible l’idée d’entrer en tractations. Universaliste et engagée contre le djihadisme, la France continuera d’appliquer au conflit ses propres clés de lecture qui ne seront jamais celles de l’État malien. Un certain « manque de courtoisie » est à relever. Cette expression, décrivant la volonté de Paris d’imposer des solutions purement françaises, est employée auprès du Chef d’État-major des Armées mi-2022 par ses homologues du golfe de Guinée.

La présence française est encore caractérisée par une absence d’opération de communication. Cela témoigne d’une posture trop morale de Paris, mais aussi d’une trop grande confiance dans sa popularité. Aidé par l’accueil malien de 2013, l’Élysée est convaincu d’avoir une assise suffisamment ancrée. La France subit pourtant une véritable guerre d’influence tout au long de son intervention. À Gossi, Paris passe enfin à la contre-offensive en avril 2022. Quelques jours avant de remettre les clés de la base aux FAMA, des personnels russes sont enregistrés par un drone en train d’ensevelir des corps. Le but était de faire croire à la communauté internationale que Barkhane avait eu recours aux massacres dans sa guerre au Mali. Malheureusement, Paris ne porte le conflit sur ce terrain qu’en quittant le pays. Depuis 2013 pourtant, la France est suspectée par Bamako de porter un projet de partition du pays favorable à l’Azawad, d’avancer ses pions par le biais d’un agenda caché. Elle empêche alors les FAMA de pénétrer dans certaines villes par crainte de massacres[8]. La rumeur ne cesse d’enfler tout le long de l’intervention. S’y ajoute la campagne d’influence russe qui naît en Centrafrique en 2013, au Sénégal en 2015, et au Mali en 2017. L’institutionnalisation du discours anti-français n’a lieu qu’en octobre 2020. La ville de Farabougou est alors assiégée pendant un mois à 80 kilomètres de la capitale. La junte, qui a justifié son coup d’État par son activisme sécuritaire, n’a d’autre choix que de trouver un responsable exogène. D’urbain, le discours anti-français devient gouvernemental. L’exemple malien sert de base rhétorique à toute une série de pays voisins.

De ces principaux points, quelques non-dits de la rupture méritent d’être soulignés. De l’absence de courtoisie que constitue le fait de vouloir imposer ses clés de lecture, les pays clament que le fait de rester se fait désormais à leurs conditions. De ce qu’a coûté l’absence d’opération d’influence de la France, on sait déjà qu’elle ne sera plus jamais seule dans ce qu’elle a longtemps considéré comme un espace exclusif. Mettant en avant une communauté de destin, en valorisant l’histoire et en séduisant des diasporas, l’Élysée croit longtemps que son avantage comparatif en Afrique lui y confère une place de droit. Désormais elle doit prouver, en concurrençant les autres acteurs, que le rôle qu’elle peut y jouer est constructif.

Les options d’une présence rénovée

Largement échaudée, la France garde comme luxe de ses revers de ne plus choisir que des partenaires proactifs sur les sujets de sécurité et de gouvernance. À cet égard, pour le Sahel l’exemple mauritanien est particulièrement parlant. Investie sur les questions théologiques, Nouakchott utilise sa profondeur stratégique pour mettre en place une zone militaire, des groupements spéciaux d’intervention ainsi que des unités méharistes. Elle muselle par ailleurs toute communication sur un apport extérieur en termes de sécurité, en même temps qu’elle diversifie ses partenariats[9]. Appuyée sur des pays volontaires, Paris réarticule sa présence à partir de ses bases régionales pour y mener une sorte de « leadership from behind » à la française. Le modèle des bases en Afrique de l’Ouest est également rénové. Avec des effectifs réduits et concentrés sur des opérations de formation, Abidjan et Dakar sont destinées à rayonner dans toute la sous-région.

Au Sénégal, on l’a vu, la rhétorique souverainiste africaine est portée au pouvoir avec l’élection de Diomaye Faye. Le premier geste du président à l’égard de la communauté internationale est de déclarer que « le Sénégal restera l’allié sûr et fiable de tous les partenaires étrangers respectueux ». Cette citation est caractéristique du message envoyé en creux par ces pays d’Afrique. Le défi de l’émergence est en effet difficile à relever sans aide. Autrement dit, certaines portes restent ouvertes, mais encore une fois aux conditions locales. Concernant cette question du développement, la France doit regagner sa crédibilité dans le domaine. Des années d’opération ont participé à un dévoiement de l’aide au profit de gouvernements jouissant d’une rente sécuritaire. Confortant l’État dans son absence de gestion, l’aide internationale est alors devenue une compétition d’ego des bailleurs sur les sommes débloquées. Mahamat Idriss Déby ne s’y trompe pas en lançant à Macron en 2023 : « aidez-nous sur le plan social par des coopérations économiques, industrielles, culturelles, éducatives, sanitaires […] alors nous resterons votre meilleur allié en Afrique ». Conscient du poids du verrou sécuritaire tchadien, il l’est aussi de la dérive de l’aide au développement dans la région. Un accroissement aveugle des aides ne suffit donc plus.

On le comprend, les axiomes des partenariats dans la région restent des gages dans les domaines de la sécurité et du développement. À cet égard, isolée dans une Union européenne (UE) considérée initialement comme un levier de puissance, délaissée par Berlin comme par l’axe Washington – Londres – Varsovie, Paris pourrait trouver au Sud un espace de regain de crédibilité sur la scène internationale. Si l’idée d’un partenariat respectueux peut paraître crédule, c’est sans compter sur la naissance d’une politique italienne volontariste et pour l’instant couronnée de succès. Dès son discours d’investiture, Meloni met en avant la nécessité de mettre en place une véritable politique africaine : le plan Mattei. Celui-ci se présente comme une méthode d’approche dont découle une structure de coordination dès fin 2023. Il se matérialise surtout par la conférence Italie-Afrique en janvier 2024, à laquelle vingt-six chefs d’États africains sont présents. L’idée est de mettre en avant une « diplomatie du sourire », un dialogue sur un pied d’égalité absolu et des gains partagés. Des partenariats de haut niveau jouxtent une aide au développement orientée localement. L’un des premiers effets pour Rome est une meilleure régulation de l’immigration[10]. L’Italie est également engagée dans une mission de formation militaire au Niger depuis 2017, toujours en cours malgré le coup d’État de 2023, ce qui atteste d’une lecture propre de l’État-major italien. Au niveau du minutage, cette position est adoptée en période de réorientation énergétique : Rome se veut un catalyseur des ressources africaines vers l’Europe. Elle s’engouffre encore dans un besoin évident de liaison entre les deux continents au moment où la France semble sortie du jeu.

Pour tous les pays du sud de l’UE, le continent africain reste une priorité, qu’il s’agisse des questions migratoires, économiques, énergétiques ou tout simplement de la proximité géographique. Afin d’y mener une politique ambitieuse, la France doit d’abord regagner sa crédibilité auprès des opinions locales. L’exemple italien est inspirant pour l’égalité complète instituée entre les acteurs. Celle-ci a pour corollaire la reprise en main de la notion de rapport de force, trop longtemps délaissée par la diplomatie au profit de la mise en avant d’impératifs sociaux ou de valeurs libérales. La France focaliserait a priori son action sur les pays du golfe de Guinée. Le partenariat global Nord-Sud serait porteur de gains conséquents pour les pays méditerranéens de l’UE : souveraineté réaffirmée et maîtrise sécuritaire de ses abords.

Conclusion

Manque de courtoisie et absence d’opération d’influence ont donc conditionné l’échec de la France au Sahel. Un autre point a également précipité la sortie de la France de la région : le discours à géométrie variable. Pressant les colonels de Bamako d’impératifs de transition, l’Élysée est mis devant ses incohérences à l’occasion de la mort d’Idriss Déby en avril 2021. Elle soutient en effet son fils Mahamat, Général d’Armée, à la tête du Conseil de transition, puis dans son élection à la présidence du Tchad. Cette différence de traitement a fourni une série d’arguments aux juntes et encouragé des reproches surréalistes. Elle parachève surtout l’image arrogante de la France, accusée de choisir les régimes en fonction de ses intérêts. Déjà lassées par des armées inopérantes, les militaires français plaident, dès la généralisation du discours anti-français, pour un retrait des forces. Quoi qu’il en soit, la France se heurte sur le continent à l’influence d’autres puissances, Russie, Chine, Turquie, mais aussi États-Unis. Pour éviter l’isolement, il paraît clair qu’établir une stratégie ambitieuse et de long terme s’impose. Un partenariat Nord-Sud suivant l’exemple italien permettrait non seulement à la France de regagner sa crédibilité, mais aussi de faire valoir son expertise auprès de l’Europe méditerranéenne. Cette option a pour avantage de ne pas contrevenir à nos engagements actuels, mais aussi de se placer dans la continuité et le respect de notre tradition stratégique. Le moment est plus indiqué qu’il n’y paraît. La volonté de souveraineté de certains États africains peut prendre des formes incompréhensibles. On pense ainsi à la Centrafrique qui se tourne vers la cryptomonnaie en 2022, ou aux efforts actuels de l’AES sur des passeports communs. Cela étant, le message envoyé appelle aussi à des partenariats plus réalistes qui seront désormais soumis aux conditions locales. Même à ce prix, les concurrents se multiplient, décuplant la certitude du continent de compter dans ce début de siècle où les camps s’organisent.

[1] Emmanuel Todd, La défaite de l’Occident, Paris, Gallimard, 2023.

[2] Revue de la Défense Nationale, Afrique, France, une nouvelle relation…, numéro 860, mai 2023.

[3] Général Bruno Clément-Bollée, « Fini, l’Afrique dominée, place à l’Afrique souveraine et son message : l’Afrique aux Africains ! », Le Monde, 26 janvier 2023.

[4] Pascal Boniface, Le gaullo-mitterrandisme, un concept toujours pertinent, Revue internationale et stratégique, N° 109, 2018, pp.22-35.

[5] Respectivement chef militaire et secrétaire général du Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) créé en 2011.

[6] Des membres du HCUA sont par exemple accusés d’avoir participé à l’attaque de Tongo Tongo et de profiter des prises sur l’Armée nigérienne, voir RFI, Mali : le Niger accuse des membres du HCUA de complicité avec les terroristes, http://www.rfi.fr/fr/afrique/20190919-mali-le-niger-accuse-membres-hcua-complicite-terroristes, mis en ligne le 19 septembre 2019.

[7] Ancien cadre de la légion verte libyenne, leader de la révolte des années 1990, principal artisan des Accords de Tamanrasset en 1991, il devient par la suite représentant consulaire du Mali et négociateur pour Bamako dans les années 2000. Il fonde Ansar Dine en 2012 et le JNIM en 2017.

[8] Marc-André Boisvert, « Autopsie d’une défaillance : cohésion, discipline et leadership au sein des Forces armées maliennes en 2012-2013 », présentation lors du colloque « Les nouveaux visages des armées africaines », Paris, IRSEM, 5-6 octobre 2016.

[9] Membres du dialogue méditerranéen de l’OTAN, elle signe un accord de défense secret avec la Russie en 2021 et accepte les opérations de formation de la France. Le pays n’a pas connu d’attaque depuis 2011.

[10] D’après les statistiques du ministère de l’Intérieur italien, à la date du 16 septembre 2024, le nombre d’entrées de migrants en Italie a baissé de 65,4 % par rapport à 2023 et de 33,8 % par rapport à 2022.

Les mers : lieux de tous les conflits, durant les guerres comme en temps de paix

Les mers : lieux de tous les conflits, durant les guerres comme en temps de paix

Par La rédaction d’Armées.comPublié le 21 octobre 2024

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Les mers : lieux de tous les conflits, durant les guerres comme en temps de paix – © Armees.com

La maîtrise des océans est depuis toujours un enjeu majeur pour les puissances mondiales. Mais aujourd’hui, dans un contexte de tensions géopolitiques au plus haut en Europe et au Moyen-Orient, le contrôle des routes maritimes revêt une importance stratégique capitale pour la sécurité internationale, le commerce mondial et la projection de puissance militaire.

L’US Navy demeure la force navale prédominante sur la scène internationale. Avec environ 300 navires de combat, dont onze porte-avions nucléaires de classe Nimitz et Gerald R. Ford, et une aviation navale forte de près de 4 000 aéronefs militaires opérationnels, elle assure une présence constante sur l’ensemble des océans. Une capacité de projection de puissance qui permet aux États-Unis de protéger leurs intérêts stratégiques et de garantir la liberté de navigation, essentielle au commerce international. Toutefois, la montée en puissance de la marine chinoise, qui modernise rapidement sa flotte et étend sa zone d’influence, remet en question l’équilibre des forces navales mondiales.

L’impact économique des conflits sur le transport maritime

Si la marine et la sécurité des mers sont si stratégiques, c’est que le transport maritime est le pilier de l’économie mondiale. Il représente environ 80 % du commerce international en valeur et 90 % en volume. Les navires transportent des marchandises variées, des conteneurs aux vracs liquides comme les hydrocarbures (39 % du total) et les vracs solides tels que les minerais, le charbon et les céréales (21 % du trafic total). Sans compter, évidemment, le transport de produits finis dont une grande partie de ce qui est acheté sur Internet.

De fait, les détroits stratégiques, comme Bab el-Mandeb et Ormuz, sont des points de passage essentiels pour le commerce mondial et la distribution des ressources énergétiques. Le détroit de Bab el-Mandeb, situé entre le Yémen et Djibouti, voit transiter entre 12 % et 15 % du trafic maritime mondial. Les rebelles Houthis du Yémen, soutenus par l’Iran, ont menacé d’attaquer les navires à destination d’Israël empruntant ce détroit, en représailles aux actions israéliennes dans la bande de Gaza. Ces menaces ont déjà conduit à des attaques contre des navires commerciaux, provoquant une réorientation des routes maritimes.

Face à ces risques, les compagnies maritimes ont choisi de contourner l’Afrique par le Cap de Bonne-Espérance, allongeant les trajets de plusieurs milliers de kilomètres, ce qui engendre une augmentation significative des coûts opérationnels et des délais de livraison. Les primes d’assurance maritime ont également flambé. Les armateurs doivent en effet souscrire plusieurs types d’assurances pour leurs navires :

L’assurance corps de navire : couvre les dommages matériels subis par le navire.

L’assurance de la cargaison : protège les marchandises transportées contre les pertes ou les dommages.

L’assurance protection et indemnisation (P&I) : couvre la responsabilité civile pour les dommages causés à des tiers, y compris les dommages environnementaux.

Dans les zones à haut risque, les primes pour ces assurances ont été multipliées par cinq à dix. Selon des sources spécialisées, les taux d’assurance pour les navires traversant la mer Rouge ont atteint des niveaux sans précédent. Par exemple, une prime de guerre, qui s’ajoute aux assurances traditionnelles dans les zones de conflit, peut représenter jusqu’à 0,4 % de la valeur du navire par voyage, contre 0,02 % en temps normal. Pour un navire valant 100 millions de dollars, une telle différence signifie une prime passant de 20 000 à 400 000 dollars par voyage.

Défis pour les forces navales face aux menaces asymétriques

Le détroit d’Ormuz est une autre zone stratégique sensible. Situé entre l’Iran et Oman, il est le passage obligé pour environ 20 % de la demande mondiale de pétrole et un tiers du gaz naturel liquéfié. Une escalade du conflit impliquant l’Iran pourrait conduire à la fermeture de ce détroit, ce qui aurait des conséquences désastreuses sur les marchés énergétiques mondiaux. Les oléoducs terrestres existants ne peuvent pas compenser le flux interrompu, et l’absence de voies alternatives suffisantes accentue la vulnérabilité de cette route maritime.

La capacité des forces navales occidentales à sécuriser ces détroits est mise à l’épreuve. Malgré sa puissance, l’US Navy a rencontré des difficultés pour contrer les menaces asymétriques posées par les Houthis. Ces derniers utilisent des tactiques non conventionnelles, comme des embarcations rapides chargées d’explosifs, des missiles anti-navires et des drones maritimes, rendant la défense complexe. L’Iran, de son côté, possède des capacités militaires loin d’être négligeables, avec une stratégie de déni d’accès/déni de zone (A2/AD) dans le Golfe Persique. Son arsenal comprend des missiles balistiques, des mines navales, des sous-marins de poche et des navires rapides équipés de missiles, ce qui constitue une menace crédible pour la navigation commerciale et militaire.

La question du transport du pétrole russe pour contourner les sanctions

En Europe de l’Est, le conflit entre l’Ukraine et la Russie a également des répercussions sur la sécurité maritime. L’Union européenne, le G7 et l’Australie ont imposé un embargo sur le pétrole russe transporté par voie maritime, assorti d’un plafonnement du prix à 60 dollars le baril. Pour contourner ces sanctions, la Russie a constitué une « flotte fantôme » composée de plus de 200 navires opérant sous des pavillons de complaisance ou sans identification claire. Ces navires transportent environ 1,7 million de barils de pétrole par jour vers des pays n’appliquant pas les sanctions, tels que la Chine et l’Inde.

Cette flotte clandestine représente un risque majeur pour la sécurité maritime et l’environnement. En effet, ces navires sont souvent âgés et moins bien entretenus que d’autres. C’est notamment le cas quand ils ne sont pas couverts par de grands assureurs. En cas d’accident, il n’y aurait alors aucune garantie que les dommages environnementaux, comme les marées noires, soient indemnisés. De plus, l’absence de suivi et de transparence rend difficile la prévention des incidents et, en cas de besoin, la coordination des secours.

Une situation qui pourrait bien se dégrader : l’Union européenne, dans un futur paquet de sanctions, pourrait renforcer les sanctions qui touchent les assurances de la flotte clandestine, notamment en s’attaquant aux grands assureurs russes. De quoi, potentiellement, réduire encore un peu le niveau déjà bas d’assurance pour ces navires, ce qui aurait pour conséquence d’augmenter les risques d’accidents

Vers une stratégie de défense maritime coordonnée

Les compagnies d’assurance occidentales sont confrontées à des défis importants. Certaines, malgré les sanctions, continuent d’assurer des navires transportant du pétrole russe au-delà du prix plafonné, enfreignant les réglementations en vigueur. Cette situation crée une distorsion du marché et affaiblit l’efficacité des sanctions économiques. Les assureurs qui respectent les sanctions voient leurs parts de marché diminuer face à une concurrence moins scrupuleuse, ce qui peut les inciter à revoir leurs positions.

Les forces navales doivent adapter leurs stratégies et leurs capacités opérationnelles. La lutte contre les menaces asymétriques nécessite le développement de nouveaux moyens, tels que des systèmes de surveillance avancés, des drones de surface et sous-marins, ainsi que des équipements de guerre électronique. La coopération internationale est également essentielle. Des opérations conjointes, comme l’opération « Sentinelle » dans le Golfe Persique, permettent de mutualiser les ressources et d’améliorer la coordination entre les différentes marines impliquées.

L’Union européenne et la France, en particulier, ont un rôle à jouer. Elles doivent renforcer leur présence navale dans les zones stratégiques, investir dans la modernisation de leurs flottes et développer des partenariats avec les pays riverains pour assurer la sécurité des routes maritimes. Une approche diplomatique proactive est également nécessaire pour désamorcer les tensions et promouvoir des solutions pacifiques aux conflits.

Himalaya : des soldats français sauvent deux alpinistes coincées à plus de 6000 m d’altitude

Himalaya : des soldats français sauvent deux alpinistes coincées à plus de 6000 m d’altitude


Deux alpinistes britannique et américaine se sont retrouvées coincées dans l’Himalaya pendant deux jours, début octobre.

 

À plus de 6000 mètres d’altitude, elles ont été sauvées par trois militaires de l’armée française qui réalisaient leur propre ascension.

Des soldats français héroïques. Trois membres du Groupe militaire de haute montagne de Chamonix (Haute-Savoie) ont secouru le 5 octobre dernier deux alpinistes britannique et américaine coincées à plus de 6000 mètres d’altitude, dans l’Himalaya (nouvelle fenêtre) (Inde). Pendant deux jours, Fay Manners, 37 ans, et Michelle Dvorak, 31 ans, se sont retrouvées bloquées sans nourriture ni tentes et ont lancé un SOS pour être sauvées.

« Tenter l’impossible »

Ce sont finalement trois soldats français qui ont interrompu leur propre ascension « pour tenter l’impossible », relève l’Armée de Terre dans un post sur X. L’impossible, car aucun sauvetage en hélicoptère n’était envisageable. Les deux alpinistes étaient tombées dans un ravin en raison d’un éboulement, souligne The Guardian (nouvelle fenêtre).

Après avoir « fait des signaux de lampe avec les filles coincées là-haut », les militaires tricolores sont parvenus à leur hauteur et ont entamé la descente. « La nuit dernière, nous avons eu tellement froid », rapporte l’un d’elles dans la vidéo diffusée par l’Armée de Terre (voir ci-dessous). Après une nuit passée dans une tente, les cinq personnes sont finalement redescendues, saines et sauves.

 

« On l’a fait, mec« , s’est félicité l’un des soldats français, après ce spectaculaire sauvetage. « Tout le monde est vivant !«  Toujours d’après The Guardian, l’opération a duré un total de 80 heures, et a également impliqué les armées indiennes.


L’OTAN et l’Europe dans la stratégie américaine

L’OTAN et l’Europe dans la stratégie américaine

Giuseppe GAGLIANO* – TRIBUNE LIBRE N°160 / octobre 2024 – CF2R

https://cf2r.org/tribune/lotan-et-leurope-dans-la-strategie-americaine/

*Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). Membre du comité des conseillers scientifiques internationaux du CF2R.


Au cours des dernières décennies, l’OTAN s’est révélée être un instrument fondamental dans la stratégie géopolitique des États-Unis pour maintenir le contrôle sur le Rimland européen et sur les industries militaires du continent. La théorie géopolitique, développée par des figures telles que Halford Mackinder et Nicholas Spykman, identifie dans le contrôle des régions côtières européennes et asiatiques une clé pour empêcher l’émergence de rivaux potentiels capables de défier l’hégémonie mondiale des États-Unis. Selon cette vision, l’Europe, avec son potentiel économique et industriel, représente une zone d’intérêt stratégique qui doit rester sous contrôle afin d’éviter qu’elle ne devienne une puissance indépendante ou pire, qu’elle collabore étroitement avec la Russie, créant un axe qui affaiblirait la domination américaine.

L’OTAN, née dans le contexte de la Guerre froide, avait pour mission principale de contenir l’expansion soviétique et de protéger l’Europe occidentale des menaces du bloc communiste. Cependant, avec la fin de la Guerre froide et la dissolution de l’Union soviétique, l’alliance a maintenu sa centralité en tant qu’instrument de contrôle géopolitique, en particulier vis-à-vis de la Russie et de ses aspirations à redevenir un acteur majeur sur la scène internationale. Plus qu’une simple alliance défensive entre égaux, l’OTAN a fini par représenter une forme d’influence directe des États-Unis sur les politiques de sécurité et de défense européennes.

Entretenir la dépendance militaire et énergétique de l’Europe

L’un des aspects centraux de ce contrôle est le monopole que les États-Unis exercent sur l’industrie militaire européenne. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec le Plan Marshall, les États-Unis ont fourni une aide militaire et économique massive à l’Europe, s’assurant ainsi une position privilégiée dans la fourniture d’armes et de technologies aux pays européens. Cela s’est traduit par une dépendance qui, avec le temps, est devenue systématique : les armées européennes, au lieu de développer leur propre industrie de défense autonome et compétitive, ont souvent choisi d’acheter des armes américaines.

Un exemple emblématique de ce processus est le « Pacte du Siècle » de 1975, lorsque plusieurs pays européens, dont la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark et la Norvège, ont été poussés à acheter le chasseur américain F-16, bien que des alternatives européennes telles que le Mirage F-1 français ou le Saab Viggen suédois, tous deux mieux adaptés aux besoins des forces aériennes européennes, étaient disponibles. Ce scénario s’est répété à de nombreuses reprises, comme dans le cas de l’achat des F-35 par la Belgique en 2018, où le gouvernement de Bruxelles a choisi le chasseur américain malgré sa réputation peu fiable et difficile à moderniser, rejetant des options européennes comme le Rafale français ou le Typhoon d’Eurofighter.

Ce phénomène ne se limite pas seulement à l’achat de systèmes d’armes, mais s’étend au contrôle des principales industries militaires européennes. Grâce à des acquisitions et des fusions, des groupes financiers américains ont absorbé bon nombre des entreprises européennes opérant dans le secteur de la défense. L’un des cas les plus significatifs est l’acquisition de la division aéronautique Fiat Avio par des investisseurs américains, une opération qui a permis aux États-Unis de mettre la main sur des technologies stratégiques utilisées dans des projets tels que l’Eurofighter et l’Airbus A400M, ainsi que dans le programme spatial européen Ariane.

La pénétration américaine dans l’industrie militaire européenne ne s’est pas arrêtée là. Des entreprises allemandes comme MTU Aero Engines, qui produit des composants pour l’Eurofighter, ont été acquises par des groupes américains, tout comme la suédoise Bofors et l’espagnole Santa Bárbara Blindados, productrice des chars Leopard 2-E. Cette stratégie a conduit à une dépendance accrue de l’Europe vis-à-vis de la technologie militaire américaine, rendant difficile pour les pays européens de développer une industrie de défense compétitive et autonome.

L’objectif principal de cette stratégie est évident : empêcher l’Europe de développer une capacité de défense indépendante et empêcher toute collaboration étroite entre l’Europe et la Russie, une éventualité que Washington considère comme une menace pour son hégémonie mondiale. La rupture des relations entre l’Europe et la Russie a toujours été une priorité stratégique pour les États-Unis et le conflit en Ukraine n’est que le dernier exemple de cette politique. Le sabotage des gazoducs en mer Baltique, qui a interrompu les approvisionnements énergétiques russes vers l’Europe, et l’isolement de régions stratégiques telles que le Donbass et la mer Noire, démontrent clairement l’intention de Washington d’empêcher une coopération économique et stratégique entre l’Allemagne et la Russie.

Sur le plan énergétique, l’Europe se trouve aujourd’hui dans une position vulnérable, avec ses approvisionnements en gaz fortement compromis. Le conflit israélo-palestinien a encore compliqué la situation, empêchant l’exploitation de gisements de gaz en Méditerranée orientale, ce qui pourrait avoir des répercussions durables sur la sécurité énergétique européenne. Cet isolement énergétique, combiné au contrôle américain des industries militaires, laisse l’Europe dans une position de dépendance qu’elle aura du mal à surmonter sans un changement radical de stratégie politique et industrielle.

En définitive, le contrôle que les États-Unis exercent sur l’Europe à travers l’OTAN n’est pas seulement une question de sécurité, mais représente un obstacle structurel au développement d’une Europe autonome et compétitive. La survie de l’OTAN et son influence croissante, notamment après la fin de la Guerre froide, montrent que l’Europe est considérée par Washington non pas comme un allié égal, mais comme une région à contrôler et à gérer pour éviter qu’elle ne devienne un rival mondial. La dépendance militaire, énergétique et industrielle de l’Europe vis-à-vis des États-Unis est le résultat de décennies de politiques visant à maintenir le continent fragmenté et faible, incapable de développer sa propre vision stratégique autonome.

La volonté de l’OTAN de renforcer ses capacités confrontée à de multiples difficultés

L’analyse stratégico-militaire et économique des plans de renforcement de l’OTAN, tels qu’ils ont été récemment révélés, permet de mettre en lumière une série de complexités et de contradictions qui reflètent les difficultés structurelles des alliances militaires dans le contexte d’une crise internationale en constante évolution. La proposition d’augmenter le nombre de brigades de l’OTAN de 82 à 131 d’ici 2030, comme mentionné dans le document confidentiel cité par Die Welt[1], est clairement une réponse à l’escalade des tensions entre l’Occident et la Russie, notamment après l’invasion de l’Ukraine. Un tel renforcement se justifie aux yeux de l’alliance par la perception d’un risque croissant d’affrontement direct avec Moscou, alimenté par l’implication croissante de l’OTAN dans le soutien logistique et militaire à Kiev. Cependant, ce plan se heurte à un certain nombre de difficultés économiques, sociales et politiques, qui pourraient rendre sa mise en œuvre difficile.

D’un point de vue géopolitique, l’idée d’un renforcement des capacités militaires de l’OTAN découle de la nécessité de répondre à la menace d’une éventuelle attaque russe contre l’Europe, bien que le Kremlin continue de nier avoir une telle intention, la qualifiant de propagande occidentale visant à justifier des dépenses militaires supplémentaires. Cette politique de l’Alliance reflète la polarisation croissante entre la Russie et l’Occident, alimentée par la guerre en Ukraine et la rhétorique agressive qui domine le discours international. La décision de l’OTAN d’augmenter le nombre de brigades et de commandements militaires, ainsi que de renforcer la défense aérienne et le nombre d’hélicoptères[2], s’inscrit dans une logique de préparation à un conflit de longue durée, qui pourrait toutefois ne pas être perçu comme imminent par les opinions publiques des États membres. En effet, bien que les gouvernements occidentaux soient engagés à renforcer leurs capacités défensives, le soutien populaire à ces mesures reste incertain, notamment dans un contexte de difficultés économiques, de récession et de crise énergétique.

L’aspect économique est en effet crucial. L’Europe traverse une période de désindustrialisation et d’augmentation des coûts énergétiques, ce qui rend difficile le financement d’un vaste programme de réarmement. Le plan de renforcement de l’OTAN nécessiterait des investissements bien au-delà des 2% du PIB, un seuil que beaucoup de pays peinent déjà à atteindre. Seuls 23 des 32 membres de l’OTAN respectent actuellement cette exigence et parmi les principaux contrevenants figurent des nations comme l’Italie, l’Espagne et la Belgique. Cela met en évidence une disparité claire entre les pays les plus riches et ceux plus petits ou économiquement fragiles, qui pourraient ne pas être en mesure de supporter le poids financier requis. En outre, le plan implique que les grandes nations, telles que l’Italie, la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, devraient constituer au moins trois ou quatre nouvelles brigades chacune, ce qui nécessite des ressources supplémentaires et pourrait ne pas être bien accueilli par les opinions publiques nationales, de plus en plus sceptiques quant aux dépenses militaires.

Le plan de l’OTAN pourrait par ailleurs s’avérer irréalisable en raison de facteurs internes aux armées occidentales. L’un des défis les plus importants concerne la pénurie de personnel militaire, un problème qui affecte presque toutes les forces armées de l’Occident. Ces dernières années, il y a eu un déclin des vocations militaires dans tous les principaux pays de l’OTAN, avec un exode de personnel qualifié et une diminution des recrutements. Cette tendance est particulièrement grave dans des pays comme le Royaume-Uni, où le nombre de soldats en service est à son plus bas niveau historique, et aux États-Unis, qui n’atteignent plus leurs objectifs de recrutement depuis des années. Les marines occidentales connaissent également de graves difficultés, avec de nombreux navires laissés à quai par manque d’équipages. Dans ce contexte, augmenter le nombre de brigades et renforcer les capacités militaires semble être un objectif difficile à atteindre, voire utopique. L’OTAN pourrait ainsi se trouver confrontée à un dilemme : comment concilier l’ambition de renforcer ses défenses avec la réalité d’une pénurie de ressources humaines et financières ?

Un autre aspect à prendre en compte est la capacité des nations de l’OTAN à soutenir un long programme de réarmement dans un contexte d’incertitude économique et politique. Le soutien militaire à l’Ukraine, de plus en plus critiqué par les opinions publiques européennes, combiné aux difficultés économiques internes, pourrait réduire le consensus politique en faveur de telles mesures. Dans de nombreux pays européens, les citoyens demandent « du beurre » plutôt que « des canons », c’est-à-dire une plus grande attention aux politiques économiques et sociales plutôt qu’à des programmes de défense coûteux. Cette dynamique pourrait affaiblir la détermination des gouvernements à s’engager dans le renforcement des forces armées, en particulier si le risque d’une invasion russe est perçu comme lointain ou exagéré.

En conclusion, bien que le plan de renforcement de l’OTAN soit une réponse logique aux tensions croissantes avec la Russie, il risque de rester davantage un vœu pieux qu’une réalité concrète. La combinaison de difficultés économiques, de pénurie de personnel militaire et d’un consensus politique incertain rend ce projet difficile à réaliser, voire impossible. L’OTAN devra donc faire face à des défis importants dans les années à venir, en cherchant à équilibrer les besoins en matière de sécurité avec les ressources limitées dont disposent ses membres.


[1] https://www.agenzianova.com/fr/news/Le-monde-de-l%27OTAN-est-prêt-à-demander-aux-États-membres-une-augmentation-des-troupes-et-des-armes-pour-se-protéger-de-Moscou/

[2] https://www.nato.int/cps/fr/natohq/news_227685.htm

Guerre en Ukraine : Gazprom, aide française… Le point sur la nuit

Guerre en Ukraine : Gazprom, aide française… Le point sur la nuit

Le gouvernement hongrois a annoncé négocier avec Gazprom pour des livraisons de gaz russe en 2025. L’aide française à l’Ukraine devrait dépasser les deux milliards d’euros en 2024. Retour sur les événements qui ont marqué la nuit du lundi 14 au mardi 15 octobre 2024.

Le gouvernement hongrois et le géant énergétique public russe Gazprom sont en négociations pour conclure un contrat prévoyant des livraisons supplémentaires de gaz à la Hongrie en 2025.
Le gouvernement hongrois et le géant énergétique public russe Gazprom sont en négociations pour conclure un contrat prévoyant des livraisons supplémentaires de gaz à la Hongrie en 2025. | FILIP SINGER / EPA-EFE

Selon le ministre français des Armées Sébastien Lecornu, l’aide militaire française à l’Ukraine dépassera deux milliards d’euros en 2024, mais n’ira pas jusqu’aux trois milliards évoqués en début d’année.

Des centaines d’organisations ont reçu des alertes à la bombe lundi, forçant certains bâtiments publics à évacuer. Ces menaces interviennent vraisemblablement à la suite d’une enquête journalistique du média Radio Free Europe sur l’emploi de jeunes Ukrainiens par les services de renseignement russes pour incendier les voitures de membres de l’armée.

La Hongrie discute avec Gazprom pour des livraisons de gaz en 2025

Le gouvernement hongrois et le géant énergétique public russe Gazprom sont en négociations pour conclure un contrat prévoyant des livraisons supplémentaires de gaz à la Hongrie en 2025, a déclaré le ministre hongrois des Affaires étrangères Peter Szijjarto, cité mardi par l’agence de presse russe RIA.

Gazprom a annoncé la semaine dernière avoir signé un mémorandum d’entente avec Budapest en vue d’une possible augmentation des ventes de gaz russe. Le groupe n’a pas donné de détails.

Le chef de la diplomatie hongroise a par ailleurs fait savoir que Budapest mettrait son veto à toute sanction de l’Union européenne contre Moscou si les exemptions permettant à la Hongrie de se procurer du gaz russe sont révoquées. « Habituellement les sanctions sont examinées tous les six mois. Et tant que les sanctions (visant la Russie) sont en place, ces exemptions doivent rester applicables, parce qu’autrement nous mettrons notre veto aux sanctions », a-t-il dit.

Plus de 2 milliards d’euros d’aide française à l’Ukraine en 2024

L’aide militaire française à l’Ukraine dépassera deux milliards d’euros en 2024, notamment grâce à l’utilisation d’intérêts d’avoirs russes gelés, mais n’atteindra pas le maximum de trois milliards envisagé dans un accord de sécurité conclu avec Kiev, a affirmé lundi le ministre des Armées Sébastien Lecornu.

« Il était arrêté politiquement au début de l’année 2024 que cette aide pouvait aller jusqu’à trois milliards d’euros. Dans les faits, nous serons au-dessus de deux milliards d’euros, mais pas à trois milliards d’euros », a annoncé le ministre devant les députés de la commission de la Défense.

La France avait garanti son soutien à l’Ukraine dans un accord bilatéral de sécurité conclu le 16 février entre Paris et Kiev. L’aide militaire française a atteint 1,7 milliard d’euros en 2022 et 2,1 milliards en 2023, selon Paris.

Des organisations ukrainiennes menacées après une enquête journalistique

Des centaines d’écoles, d’entreprises, d’ambassades ou encore de médias ukrainiens ont reçu des alertes à la bombe par mail lundi, entraînant l’évacuation de bâtiments publics. Ces menaces semblent liées à une enquête menée par le média Radio Free Europe, montrant comment les services de renseignement russes ont recruté des jeunes Ukrainiens, dont des mineurs, pour incendier les véhicules de membres de l’armée et de dirigeants de centres de conscription.

« J’ai placé plusieurs engins explosifs dans votre bâtiment, et il va bientôt exploser », disait le message reçu par le média ukrainien The Kyiv Independent, également visé par ces menaces.

Radio Free Europe rapporte que des officiers de la police nationale ukrainienne ont inspecté leurs locaux, sans trouver trace d’engin explosif. Les messages de menaces comportaient les noms des trois journalistes auteurs de l’enquête, Iryna Sysak, Valeria Yegoshyna et Yulia Khymerik. « Nous ne nous laisserons pas intimider et nous soutiendrons nos journalistes qui continueront à informer le public ukrainien sans crainte ni faveur », a réagi Stephen Capus, président de Radio Free Europe.

Missiles balistiques à la Russie : des sanctions « injustifiées » selon l’Iran

L’Union européenne a annoncé lundi avoir décidé de prendre des sanctions contre l’Iran, accusé de livrer des missiles balistiques à la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine. Le Royaume-Uni a annoncé de son côté des sanctions contre plusieurs dirigeants de l’armée iranienne après l’attaque de missiles lancée par l’Iran contre Israël le 1er octobre.

Le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Esmail Baghaei, a rejeté mardi ces sanctions, les qualifiant d’« injustifiées et contraires au droit international ».

« Il a également souligné le droit inaliénable de l’Iran à la défense et à la coopération militaire avec d’autres pays, y compris la Russie », a rapporté l’agence de presse officielle iranienne Irna.

L’Otan menacée par Poutine : la mise en garde des services secrets allemands

L’Otan menacée par Poutine : la mise en garde des services secrets allemands


Les trois services de renseignement allemands, qui étaient auditionnés, ont tous mis en garde contre le danger croissant de la menace russe qui se déplace «d’est en ouest».

La Russie sera «probablement» en mesure d’attaquer l’Alliance nord-atlantique à partir de la fin de l’actuelle décennie, ont averti ce lundi les services secrets allemands en mettant en garde contre le «niveau inédit» des actes d’ingérence actuels de Moscou. «En termes humains et matériels, les forces armées russes seront probablement en mesure de mener une attaque contre l’Otan dès la fin de cette décennie», a estimé le patron des services d’espionnage et contre-espionnage allemands (BND), Bruno Kahl, lors d’une audition publique à la chambre des députés. Selon lui, «un conflit militaire direct avec l’Otan devient une option pour la Russie».

Les trois services de renseignement allemands, qui étaient auditionnés, ont tous mis en garde contre le danger croissant, selon eux, représenté par les activités des services secrets russes dans le pays. La présidente du service de contre-espionnage militaire, Martina Rosenberg, a fait état d’une «augmentation significative des actes d’espionnage et de sabotage» visant l’armée allemande. «L’espionnage et le sabotage russes augmentent en Allemagne, tant quantitativement que qualitativement», a abondé le chef du Renseignement intérieur, Thomas Haldenwang.

«un véritable ouragan»

Le chef du Renseignement intérieur a accusé Moscou d’être derrière le cas d’un colis qui a pris feu dans un centre du transporteur DHL à Leipzig (est) en juillet. Si le colis «avait explosé à bord pendant le vol, il y aurait eu un crash», a-t-il dit, mentionnant aussi des campagnes de désinformation et des cas d’utilisation de drones espions. De «tempête», la menace russe est «devenue un véritable ouragan» qui se déplace «d’est en ouest», a-t-il ajouté dans une métaphore avec les Etats baltiques et la Pologne, où les actions russes «sont beaucoup plus brutales qu’elles ne le sont actuellement ici».

«Moscou se prépare à une escalade de plus en matière d’actions hybrides et secrètes», a estimé Bruno Kahl. Avec des actes d’ingérences qui ont atteint un «niveau inédit», le Kremlin veut «tester les lignes rouges de l’Occident », a estimé le directeur des services secrets. Le gouvernement allemand a annoncé mercredi en parallèle des mesures visant à renforcer les contrôles de sécurité, notamment sur les réseaux sociaux, face aux risques accrus d’espionnage dans les ministères et de sabotage d’infrastructures critiques.

L’affaire Nord Stream (1/2) : la piste douteuse de l’Andromeda, et les indices d’une opération états-uno-norvégienne

L’affaire Nord Stream (1/2) : la piste douteuse de l’Andromeda, et les indices d’une opération états-uno-norvégienne

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Sabotage des gazoducs Nord Stream

L’affaire Nord Stream (1/2) : la piste douteuse de l’Andromeda, et les indices d’une opération états-uno-norvégienne

Par Maxime Chaix – le Diplomate Média – publié le 1er octobre 2024

https://lediplomate.media/2024/10/affaire-nord-stream-1-2/maxime-chaix/monde/russie-et-ukraine/


Le 14 août dernier, nous avons appris que l’Allemagne avait émis un mandat d’arrêt européen contre un ressortissant ukrainien accusé d’avoir fait partie d’un commando qui aurait exécuté, en septembre 2022, le sabotage de trois des quatre gazoducs Nord Stream. Le même jour, le Wall Street Journal publiait un article affirmant qu’il s’agissait d’une « opération ukrainienne [ayant] coûté environ 300 000 dollars, selon des personnes qui y ont participé. Elle impliquait [l’Andromeda,] un petit yacht loué par un équipage de six membres, dont des plongeurs civils formés [au sabotage sous-marin]. L’un d’eux était une femme, dont la présence a contribué à créer l’illusion qu’ils étaient un groupe d’amis en croisière de plaisance. “J’éclate de rire à chaque fois que je lis des spéculations dans les médias sur une énorme opération impliquant des services secrets, des sous-marins, des drones et des satellites”, a déclaré un officier qui a participé à ce plan. “Toute cette affaire est née d’une nuit bien arrosée et de la détermination inébranlable de quelques personnes qui avaient le courage de risquer leur vie pour leur pays.” »

Toujours d’après le Wall Street Journal, « Volodymyr Zelensky avait initialement approuvé ce plan, selon un officier impliqué dans cette mission et trois personnes proches du dossier. Mais plus tard, lorsque la CIA en a pris connaissance et a demandé au Président ukrainien de stopper l’opération, il a ordonné d’y mettre fin, d’après ces sources. Cependant, le commandant en chef de Zelensky, Valeriy Zaloujny, qui dirigeait cet effort, a malgré tout décidé de le concrétiser. » Outre le fait improbable de confier une telle opération à une équipe partiellement composée de plongeurs civils, qui auraient navigué en mer Baltique avec le drapeau ukrainien accroché sur le mât de l’Andromeda, qui étaient mal équipés et qui n’auraient pas nettoyé ce bateau après y avoir transporté des explosifs, il est à noter que cet article disculpe opportunément la CIA autant que le Président Zelensky. En d’autres termes, son ex-chef d’état-major des armées Valeriy Zaloujny est présenté comme le seul responsable de ce sabotage, ce qui permet subtilement ne pas faire porter la responsabilité de cet acte de guerre sur les autorités présidentielles ukrainiennes, ni sur l’administration Biden.

Or, de solides indices jamais relayés par les médias grand public occidentaux viennent renforcer le retentissant article de Seymour Hersh publié en février 2023, et accusant le gouvernement des États-Unis d’avoir clandestinement détruit trois des quatre gazoducs Nord Stream. Ces indices suggèrent également que ce sabotage fût potentiellement planifié avec l’aide de l’OTAN et des services spéciaux norvégiens, mais exécuté uniquement par des spécialistes états-uniens, et non grâce à un Poseidon P8-A de la Marine norvégienne, tel que Seymour Hersh l’avait affirmé. Après avoir exposé ce faisceau d’indices, nous expliquerons pourquoi cet acte de sabotage industriel sans précédent favorisera de manière durable et décisive 1) les exportations de gaz naturel de la Norvège vers l’Europe via le Baltic Pipe, un gazoduc construit par le Danemark et la Pologne, et inauguré le lendemain des attaques contre Nord Stream, et 2) les importations de gaz naturel liquéfié des États-Unis par les pays d’Europe centrale et orientale via l’architecture de l’Initiative des Trois Mers, un projet soutenu par Washington et élaboré par l’Atlantic Council à partir de 2014, lancé par la Pologne et la Croatie l’année suivante, et grâce auquel le Baltic Pipe livre du gaz norvégien via le territoire polonais depuis début octobre 2022.

Le conspirationnisme antirusse et la « zone d’exclusion intellectuelle » qu’est l’affaire Nord Stream

Avant d’expliquer et de documenter ces arguments clés, il convient de rappeler que, immédiatement après les attaques contre Nord Stream, une cohorte d’experts, de politiciens et de journalistes occidentaux ont accusé sans preuve Vladimir Poutine d’être l’instigateur de ce sabotage. Fondées sur de simples raisonnements sophistiques, ces allégations auraient dû être rejetées comme des théories du complot par des autorités et des médias occidentaux pourtant obsédés par la vérification des faits et la lutte contre les fausses informations. Cependant, et sans surprise, la presse dominante en Occident a largement diffusé ces analyses biaisées sans aucune conséquence en termes de réputation pour les auteurs de ces accusations, même après qu’elles furent discréditées au profit de l’hypothèse tout aussi douteuse du voilier Andromeda loué par une équipe de plongeurs ukrainiens. Comme l’a observé FAIR.org en octobre 2022, après les attaques contre l’infrastructure Nord Stream, « une grande partie de la presse a docilement répété la ligne officielle occidentale. Le Washington Post a rapidement publié un article titré “Les dirigeants européens accusent la Russie de sabotage après les explosions de Nord Stream”, ne citant que des responsables de l’UE qui affirmaient que, bien qu’ils n’avaient aucune preuve de l’implication russe, “seule le Kremlin avait la motivation, les équipements sous-marins et la capacité” [de planifier et d’exécuter cette attaque – une évaluation totalement inexacte, tel que nous le démontrerons]. Une grande partie des médias ont dirigé leurs soupçons vers la Russie, y compris Bloomberg, Vox, l’Associated Presset la plupart des chaînes d’information. À de rares exceptions près, toute spéculation sur l’implication [éventuelle] des États-Unis fut manifestement considérée comme une “zone d’exclusion intellectuelle”. »

Comme l’on pouvait s’y attendre, les médias occidentaux ont été appuyés dans cette offensive de désinformation par plusieurs think tanks militaristes et antirusses. Par exemple, seulement deux jours après cet événement, le chercheur Daniel Kochis écrivait sur le site de la Heritage Foundation – un cercle de réflexion notoirement belliciste –, que « l’arsenal de guerre de la Russie [semblait alors] inclure le sabotage de pipelines sous-marins (…) [, ce qui] devrait être clairement interprété comme un autre exemple frappant de la manière dont la Russie continu[ait] à utiliser tous les outils à sa disposition pour faire pression sur l’Occident et le déstabiliser. Poutine considère sa guerre en Ukraine et ses attaques plus larges contre le monde occidental comme un conflit à long terme qui ne sera pas résolu de sitôt, et c’est pourquoi il est prêt à littéralement couper les liens avec l’Europe en sabotant les mêmes gazoducs Nord Stream dans lesquels il a investi tant d’argent (y compris en achetant de l’influence) et de capital politique et diplomatique il n’y a pas si longtemps. » Alors que l’hypothèse d’une responsabilité russe dans ce sabotage est désormais écartée en privé comme en public par la plupart des autorités occidentales, cet article n’a pas été modifié ni retiré jusqu’à présent.

Au lendemain de cette attaque, Elisabeth Braw, une chercheuse du tout aussi belliciste think tank American Enterprise Institute, écrivait que « le coupable semble être le gouvernement russe. Avec les pays européens réduisant leurs importations de gaz en provenance de Russie, les pipelines n’étaient de toute façon pas pleinement utilisés, d’autant plus que l’Allemagne a refusé d’homologuer Nord Stream 2 [deux jours avant l’invasion russe du 24 février 2022 en Ukraine]. Par ailleurs, Moscou tente désespérément de faire peur à l’Occident. À plusieurs reprises (…), des responsables russes – y compris Vladimir Poutine –, ont brandi la menace nucléaire dans le but d’effrayer les gouvernements occidentaux pour qu’ils stoppent leur soutien militaire à l’Ukraine. Mais cela n’a pas fonctionné. Désormais, la Russie semble tester une nouvelle stratégie : causer discrètement des dommages à la mer Baltique, un petit océan déjà extrêmement pollué. » Cependant, nous allons constater que des indices disponibles en source ouverte suggèrent non pas un complot russe – un scénario désormais écarté par des responsables de la diplomatie et des services de renseignement occidentaux –, mais une potentielle opération clandestine des États-Unis et de la Norvège, tel que nous le résumerons à travers cette analyse.

Les révélations sous-médiatisées et malhonnêtement discréditées de Seymour Hersh

Le 8 février 2023, le célèbre journaliste d’investigation Seymour Hersh rapporta que la CIA, avec l’aide de l’OTAN, de la Marine états-unienne et des services spéciaux norvégiens, aurait planifié et exécuté une opération clandestine pour détruire les gazoducs Nord Stream. Sans surprise, l’article de Hersh a été soit largement ignoré aux États-Unis, soit rejeté avec des arguments discutables et des tentatives malhonnêtes de discréditer son auteur. Comme il l’a affirmé dans son article, « des plongeurs de la marine [états-unienne], opérant sous la couverture d’un exercice estival de l’OTAN largement médiatisé, et connu sous le nom de BALTOPS 22, ont mis en place les charges explosives déclenchées à distance qui, trois mois plus tard, ont détruit trois des quatre gazoducs Nord Stream, selon une source ayant une connaissance directe de cette planification opérationnelle. (…) La Norvège était l’endroit idéal pour baser la mission. Ces dernières années, au cœur de la crise Est-Ouest, l’armée états-unienne a considérablement renforcé sa présence sur le territoire norvégien, dont la frontière occidentale s’étend sur 2 250 kilomètres le long de l’océan Atlantique Nord et fusionne au-dessus du cercle polaire avec la Russie. Le Pentagone a créé des emplois bien rémunérés et signé divers contrats, malgré quelques controverses locales, en investissant des centaines de millions de dollars pour étendre et moderniser les installations navales et aériennes états-uniennes en Norvège. »

Dans cet article, Hersh écrivit que les services spéciaux norvégiens auraient participé à la planification de ce sabotage, et qu’ils « avaient trouvé une solution à la question cruciale de savoir quand [cette] opération devait avoir lieu. Chaque mois de juin, depuis 21 ans, la Sixième Flotte états-unienne, dont le navire amiral est basé dans la ville italienne de Gaeta, au sud de Rome, parraine un exercice majeur de l’OTAN en mer Baltique impliquant des dizaines de navires alliés de toute la région. Organisé en juin, il serait nommé Baltic Operations 22, ou BALTOPS 22. Les Norvégiens ont suggéré que cet exercice constituerait la couverture idéale pour poser les mines. (…) Leurs partenaires états-uniens ont fourni un élément crucial : ils ont convaincu les planificateurs de la Sixième Flotte d’ajouter au programme un exercice de recherche et de développement. L’exercice, tel que rendu public par l’U.S. Navy, impliquait la Sixième Flotte en collaboration avec les “centres de recherche et de guerre” de la Marine. L’événement en mer se tiendrait au large de l’île de Bornholm [– dans la même zone où les pipelines Nord Stream ont été détruits –,] et impliquerait des équipes de plongeurs de l’OTAN déployant des mines, avec des unités concurrentes utilisant les dernières technologies sous-marines pour les localiser et les détruire », tel qu’annoncé par l’U.S. Navy elle-même.

Toujours selon Hersh, alors que les explosifs devaient initialement se déclencher 48 heures après BALTOPS 22, l’administration Biden aurait décidé de reporter le sabotage en déclenchant ces bombes à distance via « une bouée sonar larguée par un avion à la dernière minute », affirmant que ce système aurait été activé trois mois plus tard, « le 26 septembre 2022, [après] qu’un avion de surveillance [Boeing P-8A Poseidon] de la marine norvégienne [et de fabrication états-unienne] ait effectué un vol de routine et largué une bouée sonar. Le signal s’est propagé sous l’eau, d’abord vers Nord Stream 2, puis vers Nord Stream 1. Quelques heures plus tard, les explosifs C4 à forte puissance ont été déclenchés et trois des quatre gazoducs ont été mis hors service. » Produite par le chercheur suédois Ola Tunander, une importante enquête en deux volets confirme la plausibilité des principaux arguments de Hersh, bien que ce spécialiste ait une autre hypothèse sur les auteurs du déclenchement des explosifs ayant détruit ces gazoducs.

Les indices d’une opération états-unienne « pas si secrète », et la douteuse piste de l’Andromeda

Tel que documenté par Ola Tunander, chaque nuit entre le 22 et le 25 septembre 2022, un « P-8A [Poseidon] immatriculé aux États-Unis, mais avec une “identité masquée”, (…) a quitté la base navale de Cuxhaven/Nordholz, dans le nord de l’Allemagne » et a survolé deux fois la zone du sabotage, tandis qu’un hélicoptère militaire états-unien, un « Sikorsky MH-60R Seahawk (…) survolait pendant des heures le sud-est de la mer Baltique. Il aurait été en mesure de capter tout signal émis par une bouée sonar larguée par un P-8A Poseidon. » Cette même mission a été répétée durant la nuit des 23/24 septembre et celle des 24/25 septembre. Comme il l’a expliqué dans un autre article, « nous savons qu’un avion Poseidon états-unien a quitté la base aérienne navale de Keflavik pour la mer Baltique [environ] deux heures avant que la première explosion n’ait lieu à 02h03 CEST (heure d’été d’Europe centrale) le 26 septembre 2022, et que cet avion devait couvrir la zone à l’est de Bornholm pendant plusieurs heures dans la nuit et la matinée du 26 septembre, avant la première explosion. Nous le savons car un avion ravitailleur états-unien a été envoyé d’Allemagne pour ravitailler le Poseidon au-dessus de la Pologne exactement à la même minute que la première explosion sur le Nord Stream 2, ce qui supposait que le Poseidon devait être utilisé pour une période prolongée. » Comme l’a observé en février 2024 le spécialiste des questions militaires Laurent Lagneau, « le fait qu’un avion de patrouille maritime P-8A Poseidon [états-unien] volait au-dessus de la Baltique peu avant les explosions pouvait (…) susciter des interrogations… d’autant plus qu’il avait coupé son transpondeur », un fait également détecté par Tunander.

Confirmant l’argument de Hersh selon lequel ce sabotage a été préparé et exécuté par des acteurs étatiques – une évaluation partagée par les enquêteurs officiels suédois et danois –, Ola Tunander a conclu à l’issue de ses recherches approfondies que «toute cette opération a été planifiée à l’avance [par les services spéciaux états-uniens]. Cela n’indique pas seulement [leur] connaissance préalable de l’explosion, mais (…) du moment exact de la première détonation. On n’envoie pas sans raison un Poseidon depuis l’Islande vers la mer Baltique en pleine nuit [, appuyé par] un avion ravitailleur [qui décolle à la même minute que l’explosion initiale] afin d’assurer une opération de longue durée. » Tunander a pu ainsi cumuler de nombreux indices trahissant ce qu’il perçoit comme une « vaste et (…) arrogante opération états-unienne impliquant l’usage [d’équipements de] haute technologie, [mais] pas si secrète. » En effet, les missions nocturnes suspectes de l’U.S. Navy qu’il a détectées entre le 22/23 et le 24/25 septembre au-dessus de la mer Baltique – et qui impliquaient chacune deux survols de la zone de Bornholm –, étaient traçables sur FlightRadar24.com. Elles n’étaient donc pas véritablement furtives. Un tel manque de discrétion fut observable dans le périple maritime, en mer Baltique, de l’équipe d’Ukrainiens aujourd’hui accusée par l’Allemagne et les médias grand public occidentaux d’avoir saboté les gazoducs Nord Stream. Dans l’un de ses articles, Tunander estima que les « plongeurs ukrainiens à bord de l’Andromeda [, qui auraient été commandés par le chef d’état-major des armées Valeriy Zaloujny,] ont peut-être joué un rôle dans cette affaire, mais plutôt en tant que couverture pour la véritable opération. »

Cet argument est corroboré par de multiples sources officielles occidentales indiquant que la piste du voilier Andromeda n’est pas crédible, du moins pour expliquer qui étaient les planificateurs et les auteurs de cette attaque. Tel que rapporté par le New York Times en avril 2013, « après que des saboteurs ont gravement endommagé les gazoducs Nord Stream en septembre dernier, les autorités allemandes se sont concentrées sur un voilier loué [dont l’équipage] semblait avoir participé à la pose d’engins explosifs en profondeur sous la mer Baltique. Or, après des mois d’enquête, ces autorités judiciaires soupçonnent désormais que le yacht de 15 mètres, l’Andromeda, n’était probablement pas le seul navire utilisé dans cette attaque audacieuse. Ils estiment également que ce bateau pourrait avoir été un leurre, mis en mer pour détourner l’attention des véritables auteurs, qui sont toujours en fuite, selon des responsables informés d’une investigation dirigée par le Procureur général d’Allemagne. Ils se sont exprimés anonymement pour partager des détails sur l’enquête en cours, y compris des doutes sur le rôle de l’Andromeda qui n’avaient pas encore été rapportés [par d’autres médias]. (…) Des responsables états-uniens et européens ont déclaré qu’ils ne savaient toujours pas avec certitude qui était à l’origine de l’attaque sous-marine [contre l’infrastructure Nord Stream]. Mais plusieurs d’entre eux ont affirmé qu’ils partageaient le scepticisme allemand quant à l’idée qu’un équipage de six personnes à bord d’un seul voilier ait posé les centaines de kilos d’explosifs qui ont désactivé Nord Stream 1 et une partie de Nord Stream 2, un ensemble de gazoducs plus récent qui n’avait pas encore commencé à livrer du gaz aux clients. »

Comme l’a ajouté le New York Times dans cet important article, «des experts ont noté que, bien que poser manuellement des explosifs sur les gazoducs soit théoriquement possible, même des plongeurs expérimentés auraient du mal à s’immerger à plus de 60 mètres de profondeur et à remonter lentement à la surface pour laisser le temps à leur corps de se décompresser. Une telle opération aurait nécessité plusieurs plongées, exposant l’Andromeda à une détection par des navires à proximité. La mission aurait été plus facile à dissimuler et à réaliser en utilisant des véhicules submersibles télépilotés ou de petits sous-marins, ont déclaré des experts en plongée et en récupération ayant travaillé dans la zone de l’explosion, caractérisée par des mers agitées et un trafic maritime dense. » Discréditant d’avance l’article douteux du Wall Street Journal paru l’année suivante, ces expertises tendent à conforter les révélations sous-médiatisées de Seymour Hersh, tandis que le récit du « groupe pro-ukrainien » de l’Andromeda a été largement diffusé dans les médias occidentaux un mois plus tard, malgré son manque flagrant de crédibilité. Pointant la Norvège comme un allié des États-Unis qui serait impliqué dans les préparatifs de ce sabotage, Hersh affirma que les planificateurs norvégiens auraient proposé le « vaste exercice de l’OTAN en mer Baltique (…) [nommé] BALTOPS 22 (…) [comme] la couverture idéale pour poser les mines. » Bien sûr, ces allégations doivent être prouvées par d’autres sources que Seymour Hersh, et si possible par une institution judicaire. Cependant, le comportement suspect du Premier Ministre norvégien après sa visite aux États-Unis avec son Ministre de la Défense – et ce quelques jours seulement avant ce sabotage –, ne peut que renforcer les soupçons légitimes d’une opération possiblement planifiée par les États-Unis et la Norvège contre les gazoducs Nord Stream, comme nous allons l’expliquer.

Le Premier Ministre norvégien était-il au courant de la destruction imminente de Nord Stream ?

Deux jours après le sabotage de l’infrastructure Nord Stream, James Crisp spécula dans The Telegraph, avec un argumentaire qui aurait certainement été qualifié de théorie du complot si ces accusations avaient visé Washington, que Poutine cherchait « à briser le moral [des Européens] pour que [leurs] gouvernements (…) subissent la pression des électeurs en colère, craignant une chute brutale des températures cet hiver. Le timing était parfait. Un nouveau gazoduc entre la Norvège et la Pologne [nommé le Baltic Pipe] a été inauguré le [27 septembre], tout près du gazoduc Nord Stream 2, alors que la nouvelle du sabotage présumé était annoncée. » Dans ce contexte, comme Ola Tunander l’a souligné dans sa première enquête complétant l’article de Hersh à propos de cette attaque, il est extrêmement important d’analyser le comportement de Jonas Gahr Støre, le Premier Ministre norvégien, quelques jours avant que le sabotage ne soit commis.

En effet, ce dernier était inexplicablement absent de l’inauguration du Baltic Pipe le 27 septembre 2022, soit le lendemain de l’attaque contre Nord Stream, bien qu’il s’agissait d’une cérémonie de la plus haute importance, décrite par Tunander comme « un évènement norvégo-polono-danois des plus médiatisés, probablement l’inauguration la plus capitale pour la Norvège ces dernières années. Jonas Gahr Støre aurait dû y être présent, mais il ne l’était pas. » Ayant initialement annoncé sa participation à cette cérémonie le 20 septembre, l’annulation soudaine et inexpliquée de Støre le 22 septembre, juste avant son départ des États-Unis, soulève de sérieuses questions jusqu’à présent irrésolues. L’agenda officiel de Støre avant cet événement détaillait ses rencontres aux États-Unis – avec son Ministre de la Défense –, jusqu’au 23 septembre, suivies d’activités non spécifiées en Norvège jusqu’au lendemain du sabotage de Nord Stream. Par conséquent, l’annulation discrète de sa participation prévue à l’inauguration du Baltic Pipe à la fin de son voyage aux États-Unis est indéniablement suspecte.

Comme l’a observé Tunander, « le 20 septembre, le Bureau du Premier Ministre norvégien avait annoncé que le Premier Ministre Støre se rendrait en Pologne, à Szczecin, le 27 septembre pour l’inauguration du Baltic Pipe, le gazoduc [norvégo-polono-danois]. (…) Cependant, le Bureau du Premier Ministre a modifié cette annonce le 22 septembre, en déclarant que le Ministre du Pétrole et de l’Énergie, [Terje] Aasland, remplacerait le Premier Ministre Støre. Cet avis n’a pas été publié dans le calendrier gouvernemental habituel. L’annonce initiale du voyage de Støre à Szczecin a été retirée de son agenda. Où se trouvait le Premier Ministre Støre durant cette période ? Le dimanche 18 septembre, Støre et son Ministre de la Défense, Bjørn Arild Gram, se sont rendus aux États-Unis. Le lendemain, ils ont visité le porte-avions états-unien USS Gerald R. Ford et le Commandement des Forces Conjointes de l’OTAN à Norfolk, près de Washington DC. Ils ont été guidés par Carlos Del Toro, le Secrétaire de la Marine états-unienne, [c’est-à-dire de l’U.S. Navy accusée par Hersh et Tunander d’être impliquée dans le sabotage de Nord Stream]. Ils ont visité le quartier général de la Deuxième Flotte des États-Unis et du Commandement de l’OTAN, où ils ont également rencontré des officiers norvégiens. Le soir, le Premier Ministre Støre a rendu visite à Nancy Pelosi et à Mitch McConnell au Congrès. Le 20 septembre, Støre a assisté à l’ouverture de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York et il a eu une réunion avec le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres. Støre a prononcé le discours de la Norvège devant l’Assemblée générale le 22 septembre, ainsi qu’au Conseil de Sécurité le même jour. Le soir, il a participé à une réunion transatlantique des Ministres des Affaires étrangères dirigée par [le Secrétaire d’État] Antony Blinken, avant de rentrer en Norvège. » Décidée à la fin de sa visite aux États-Unis, après sa rencontre avec le Secrétaire de l’U.S. Navy Del Toro, puis avec le principal architecte de la guerre par procuration de l’OTAN en Ukraine Antony Blinken, son absence inexpliquée à l’inauguration du Baltic Pipe ne prouve pas, mais suggère fortement – à la lumière des éléments précités –, sa possible pré-connaissance d’un sabotage imminent de l’infrastructure Nord Stream.

Tel qu’analysé par Tunander, « le problème de Støre était qu’une attaque contre (…) [ces] gazoducs le 26 septembre rendrait impossible sa participation à la cérémonie d’inauguration [du Baltic Pipe] en Pologne [le lendemain]. Sa participation à l’évènement de Szczecin risquait d’être perçue comme une célébration norvégienne de la destruction de Nord Stream, (…) comme si la Norvège fêtait l’élimination de la Russie en tant que principal concurrent gazier de la Norvège, et comme si l’Europe entrait désormais dans une nouvelle ère avec le gaz russe remplacé par du gaz occidental [, y compris grâce au Baltic Pipe]. Nous savons que les dirigeants polonais étaient plus qu’heureux de célébrer la destruction de Nord Stream. Le député européen polonais et président de sa délégation auprès des États-Unis, l’ancien Ministre de la Défense et des Affaires étrangères Radosław Sikorski, a écrit sur Twitter le 27 septembre, juste après l’attaque contre les gazoducs : “Merci, les USA”. Peu de temps après, le Premier Ministre polonais Mateusz Morawiecki l’a critiqué pour ce tweet, le qualifiant d’irresponsable, mais si un ministre ou un politicien norvégien avait exprimé un tel sentiment, cela aurait provoqué un tollé majeur. (…) La présence de Støre à Szczecin aurait été tout aussi scandaleuse, attirant l’attention sur les bénéfices accrus de la Norvège après la destruction des gazoducs germano-russes. »

Sur le long terme, la Norvège et les États-Unis bénéficieront de la destruction de Nord Stream

À la suite de l’invasion illégale de l’Ukraine par la Russie en février 2022, « la Norvège a continuellement renforcé sa position en tant que principal fournisseur [gazier du continent] européen. Le pays a augmenté ses exportations vers l’Allemagne à des niveaux sans précédent, représentant 48 % des importations de gaz au cours des neuf premiers mois de 2023, contre moins de 20 % il y a moins de deux ans », selon HighNorthNews.com. Comme l’a observé le New York Times en avril 2023, « alors que la Russie réduisait ses exportations de gaz naturel l’année dernière, la Norvège les augmentait, devenant désormais le principal fournisseur de ce combustible en Europe. La Norvège fournit également de plus grandes quantités de pétrole à ses voisins, remplaçant le carburant russe sous embargo. “La guerre et la situation énergétique actuelle ont montré que l’énergie norvégienne est extrêmement importante pour l’Europe”, a déclaré Kristin Fejerskov Kragseth, directrice générale de Petoro, une entreprise publique qui gère les actifs pétroliers norvégiens. “Nous avons toujours été importants”, a-t-elle ajouté, “mais peut-être que nous ne le réalisions pas”. »

Il faut souligner que la hausse de la demande européenne en gaz norvégien ne résulte pas du sabotage des gazoducs, sachant que le gouvernement allemand avait refusé d’homologuer Nord Stream 2 juste avant l’invasion russe de l’Ukraine. De plus, en septembre 2022, « la Russie avait réduit ses approvisionnements en gaz via Nord Stream 1 pendant plusieurs mois. En juin [de la même année], elle avait diminué les livraisons par ce gazoduc de 75 % – passant de 170 millions de mètres cubes de gaz par jour à environ 40 millions. En juillet [2022], la Russie l’a fermé pendant 10 jours, invoquant la nécessité de travaux de maintenance. Lors de sa réouverture, le flux avait été réduit de moitié à 20 millions de mètres cubes par jour. Fin août [2022], elle a complètement arrêté Nord Stream 1, prétextant des problèmes d’équipement. Le gazoduc n’avait pas été rouvert depuis », si bien que le gaz qu’il contenait ne circulait plus vers l’Allemagne et l’Europe lorsqu’il a été détruit. Cependant, cette attaque sans précédent contre l’infrastructure énergétique européenne a probablement éliminé toute possibilité d’exportations massives de gaz russe vers l’UE à l’avenir, tout en privant le Kremlin d’un levier d’influence majeur sur l’Europe. Ce fait diminue davantage la plausibilité d’une implication russe dans cette attaque. En effet, ce sabotage a consolidé de manière décisive la position de la Norvège en tant que principal fournisseur de gaz à l’Europe sur le long terme, tandis que le GNL exporté par les États-Unis est devenu une nouvelle source majeure de substitution au gaz russe. Il est également à noter que la Commission européenne prévoit d’arrêter toutes les importations de gaz russe à l’horizon 2027.

Dans un tel contexte, il est difficile d’expliquer l’annulation soudaine – et non justifiée par une urgence publiquement connue –, de la participation du Premier Ministre norvégien à l’inauguration du Baltic Pipe autrement que par sa possible pré-connaissance de l’opération contre les gazoducs Nord Stream. Bien entendu, ce soupçon n’aurait pas nécessairement de pertinence si Seymour Hersh n’avait pas suggéré la complicité potentielle de la Norvège dans la préparation de ces attaques. Cependant, les services spéciaux norvégiens ont-ils participé à leur mise en œuvre ? Sur cette question cruciale, Hersh a affirmé qu’un P8-A Poseidon de la Marine norvégienne aurait été l’avion qui a largué la bouée sonar pour déclencher les explosifs. Tunander a une évaluation différente, basée sur son enquête approfondie qui révèle les sorties nocturnes hautement suspectes de plusieurs P8-A de la Marine états-unienne au-dessus de la mer Baltique entre le 8 et le 26 septembre 2022 – en particulier les nuits du 22/23 et du 24/25 septembre, tel que documenté précédemment.

Selon lui, « le fait que les pipelines aient été mis hors service la veille de l’inauguration du gazoduc [norvégo-polono-danois] (…) peut s’expliquer d’une manière ou d’une autre, et il est certain que l’on n’aurait pas pu, du point de vue norvégien, choisir un jour pire que celui-ci. (…) Peut-être que quelqu’un, (…) y compris le Premier Ministre Støre lui-même, a fait marche arrière, en estimant que la Norvège “n’était pas prête à s’en charger”, parce que les États-Unis avaient livré leurs P-8A Poseidon trop tard. Le 22 septembre, cinq jours avant la cérémonie d’inauguration du Baltic Pipe norvégo-polono-danois à Szczecin, (…) et après une journée complète de visites avec le Secrétaire de la Marine des États-Unis (…) à la base navale de Norfolk, près de Washington, puis [peu] après sa rencontre avec le Secrétaire d’État Antony Blinken, Støre a inexplicablement annulé sa participation à cet évènement. » Dès lors, il est possible que l’utilisation d’un P8-A norvégien alléguée par Hersh ait été refusée par Støre après avoir été initialement prévue pour couvrir les probables architectes états-uniens de cette opération – du moins si l’on considère avec le sérieux qu’il mérite le « Merci, les USA » tweeté par l’influent député polonais et figure néoconservatrice Radosław Sikorski à la suite du sabotage de Nord Stream.

Dans la seconde partie de cette analyse, nous replacerons cette attaque et la mise en service, dès le lendemain, du Baltic Pipe dans le plus large contexte géostratégique de la méconnue Initiative des Trois Mers (ITM), dont la Pologne est un acteur central, et qui permet à la Norvège d’amplifier ses exportations de gaz naturel vers l’Europe centrale et méridionale depuis début octobre 2022. Nous reviendrons alors sur la vieille obsession stratégique de Washington, qui est d’empêcher tout rapprochement durable entre l’Allemagne et la Russie. En substance, cet objectif clé est en train d’être parachevé grâce à la guerre en Ukraine provoquée par les néoconservateurs états-uniens – en particulier depuis le coup d’État du Maïdan de février 2014 –, au redéploiement irresponsable de l’OTAN en Europe de l’Est et dans les pays baltes à partir de 2015, et au sabotage de Nord Stream qui est opportunément attribué au général Valeriy Zaloujny par les médias occidentaux.


Sabotage des gazoducs Nord Stream
Maxime Chaix

Journaliste indépendant, essayiste et traducteur, Maxime Chaix est spécialisé dans l’étude approfondie des opérations clandestines occidentales, de la politique étrangère des États-Unis et de l’instrumentalisation étatique du terrorisme islamiste. Entre 2009 et 2015, il a traduit trois ouvrages de l’universitaire, essayiste et ancien diplomate canadien Peter Dale Scott. En 2019, il a publié son premier essai, intitulé La guerre de l’ombre en Syrie, aux Éditions Erick Bonnier. Déplorant le soutien irréfléchi de la majorité des médias français pour le militarisme de Washington et de ses principaux alliés, dont l’État français, Maxime Chaix pratique un journalisme à l’anglo-saxonne, résolument critique envers les excès militaires occidentaux et le conformisme universitaire, politique et médiatique qui les légitime.

L’armée de terre forme actuellement une brigade ukrainienne dans l’est de la France

L’armée de terre forme actuellement une brigade ukrainienne dans l’est de la France


Emmanuel Macron a échangé ce mercredi avec des soldats ukrainiens de la Brigade 155 formés par l’armée française.

À quelques jours d’un sommet crucial pour l’Ukraine, organisé samedi par ses soutiens à Ramstein en Allemagne, la France voudrait démontrer qu’elle joue un rôle de premier plan. Mercredi le président de la République Emmanuel Macron s’est rendu sur le terrain à la rencontre des soldats ukrainiens de la Brigade 155 formés par l’armée française. La localisation exacte du camp d’entraînement dans l’est de la France est tenue secrète pour des raisons de sécurité. Le chef de l’État voudrait aussi s’extraire du brouhaha politique au moment où vont commencer des débats budgétaires périlleux. Ceux-ci n’épargnent pas la loi de programmation militaire. Par sa seule présence auprès de soldats qui vont risquer leur vie, Emmanuel Macron espère sans doute rappeler la gravité des enjeux.

Plus de deux ans et demi après le début de la guerre contre l’invasion russe et alors que le front demeure bloqué, les alliés de l’Ukraine cherchent comment adapter leur soutien. Il en sera question à Ramstein tout comme sera discuté le «plan pour la victoire» de Volodymyr Zelensky. En attendant, la France veut rappeler qu’elle assume sa part de l’effort. Lors de sa visite en juin du président ukrainien, elle s’était engagée à former «une brigade», c’est-à-dire un niveau de combat supérieur à celui de la compagnie. L’expérience des mois précédents et de l’échec de la contre-offensive de 2023 a montré les limites des manœuvres ukrainiennes sur le terrain. De leur côté, les forces ukrainiennes avaient critiqué les formations fournies par les Occidentaux en les trouvant parfois déconnectées de la réalité de leur terrain.

La brigade 155 sera complète, ou presque, et «bonne de guerre», c’est-à-dire à partir pour le front entièrement équipée «dans quelques mois», explique-t-on à l’Élysée. 2300 soldats seront ainsi formés pour constituer trois bataillons d’infanterie et leurs appuis : génie, artillerie, reconnaissance et de surveillance sol air. Pour compléter les effectifs et porter la brigade à 4500 hommes, d’autres soldats seront formes en Ukraine par l’armée ukrainienne. Les effectifs sont composés de soldats ayant déjà une expérience des combats et d’autres sans.

Combat «interarmes»

La France veut mettre l’accent sur une partie négligée des formations : le combat «interarmes», c’est-à-dire qui combine les effets, et l’encadrement. La formation est le fruit de «discussions avec les Ukrainiens et la création d’entraînements au plus près des conditions dans lesquelles ils sont actuellement engagés», poursuit-on à l’Élysée. Au moment de repartir, la brigade sera entièrement équipée et dotée de 128 véhicules de l’avant blindé, de 18 canons Caesar, de 18 blindés de reconnaissance AMX10RC, de 10 TRM et de 20 postes Milan. «Les exercices et l’entraînement sont construits avec des phases successives», explique-t-on. Une première phase technique porte sur les matériels cédés et la formation des cadres. Une deuxième phase consiste à former les bataillons d’infanterie, «donc une intégration un peu plus importante». Enfin, une troisième phase conclut avec «l’intégration interarmes, c’est-à-dire des différentes capacités et des exercices au niveau bataillon, puis au niveau brigade». La France est la seule à fournir ce type d’entraînement, fait-on valoir. La formation d’une deuxième brigade n’est pas prévue pour l’instant. Cette formation pèse lourd sur l’armée de terre qui y a consacré 1500 militaires.

Même si la contribution française est marginale comparée au soutien militaire américain ou limitée, comparée à celui d’autres États européens qui y consacrent plus en volume ou en proportion, le soutien Français ne se limite pas à la brigade 155, la France continue de fournir des munitions et notamment des bombes A2SM. Elle s’est aussi engagée dans la livraison d’avions Mirage 2000 et la formation de pilotes, comme l’a confirmé le ministre des Armées Sébastien Lecornu dans une interview à Sud-Ouest. Les appareils sont en cours d’adaptation pour pouvoir mener des opérations air air mais aussi air sol. Ils pourraient être livrés à l’Ukraine au premier semestre 2025. Tout dépendra de la progression de la formation des pilotes.

Vers un changement de posture pour la présence militaire française en Irak ? 

Vers un changement de posture pour la présence militaire française en Irak ? 

– Force opérations Blog – publié le

Une décennie après sa création, la coalition internationale formée pour combattre Daech en Irak et en Syrie touche à sa fin. Rien n’est pour l’instant arrêté mais la décision pourrait rebattre quelques cartes pour l’opération Chammal, volet français d’une opération multinationale lancée il y a 10 ans. 

L’État islamique « est vaincu, mais n’est pas éliminé et demeure une menace pour la région et au-delà » déclarait le Pentagone le 27 septembre dans un communiqué annonçant la fin de l’opération Inherent Resolve (OIR). Il appartient désormais à chacun des quelque 30 pays de la coalition de poursuivre son soutien aux forces irakiennes et de maintenir la pression sur Daech en s’appuyant sur les partenariats de sécurité bilatéraux, à l’instar du traité stratégique signé en janvier 2023 par Paris et Bagdad.

Approuvé par l’ensemble des partenaires, ce plan de transition sera conduit en deux phases. Déjà engagé, le retrait des forces coalisées de certaines bases irakiennes s’achèvera le 1er septembre 2025. Les opérations militaires menées en Syrie seront quant à elles clôturées le 1er septembre 2026, délai nécessaire pour prévenir toute résurgence du groupe terroriste. 

Chammal mobilise actuellement 600 militaires français. Environ 300 d’entre eux relèvent de l’armée de Terre et sont actifs sur le territoire irakien. La moitié contribue à l’appréciation sécuritaire régionale par des actions d’appui et de conseil. Une centaine d’autres constituent la Task Force Lamassu, cette unité chargée de former cinq bataillons du désert au sein de l’armée irakienne. Enfin, une trentaine de militaires de l’armée de Terre sont insérés en état-major dans le cadre de la NATO Mission Iraq (NMI), autre mission de conseil et de formation établie en 2018 à la demande du pouvoir irakien. 

Et pour la suite ? « Les discussions sont en cours, rien n’est totalement arrêté », expliquait-on vendredi dernier du côté de l’armée de Terre. Exit néanmoins le confort fourni par le « parapluie OIR » et ses infrastructures, son soutien quotidien et sa protection, notamment anti-aérienne et anti-drones. Une fois OIR clôturée, il faudra revoir la posture et « répartir toutes ces tâches entre les différents détachements qui resteraient », indiquait le commandant des opérations et de la force terrestre, le général de corps d’armée Bernard Toujouse.

Si OIR disparaît progressivement, la présence française se maintiendra au moins jusqu’à l’horizon 2026. En matière de planification, ce qui a été fixé en bilatéral dans le domaine terrestre se poursuivra comme prévu. L’année 2025 verra d’ailleurs les militaires français prendre le commandement de la mission NMI, « investissement complémentaire de la France et de l’armée de Terre en particulier » à la clef. Quant à la TF Lamassu, deux bataillons du désert sont déjà à pied d’œuvre. La formation d’un troisième est en cours depuis mi-juillet. Les deux derniers suivront d’ici au printemps 2025. 

Crédits image : EMA COM

Planisphère. Où en-est le Moyen-Orient un an après le 7 octobre 2023 ? Avec L. Foucher

Planisphère. Où en-est le Moyen-Orient un an après le 7 octobre 2023 ? Avec L. Foucher

Par Emilie Bourgoin, Laure Foucher, Pierre Verluise – Diploweb –  publié le 9 octobre 2024

https://www.diploweb.com/Planisphere-Ou-en-est-le-Moyen-Orient-un-an-apres-le-7-octobre-2023-Avec-L-Foucher.html   


Laure Foucher, Maitre de recherche sur le Moyen-Orient à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS). Cette émission s’inscrit dans le cadre des Rencontres Stratégiques de la Méditerranée RSMED 2024, dont la FRS est partenaire aux côtés de la FMES. Laure Foucher a précédemment travaillé de nombreuses années pour le ministère des Affaires étrangères et le ministère des Armées, à Paris comme au Moyen-Orient. Laure Foucher a également travaillé durant 4 ans pour l’International Crisis Group sur la politique européenne au Moyen-Orient.
Interview organisée et conduite par Pierre Verluise, docteur en Géopolitique, fondateur du Diploweb.com, il anime Planisphère sur Radio Notre Dame et RCF depuis septembre 2024. Cette émission a été diffusée en direct le 8 octobre 2024.
Synthèse rédigée par Émilie Bourgoin, étudiante en quatrième année au BBA de l’EDHEC et alternante au sein de la cellule sûreté d’un grand groupe. Elle est en charge depuis septembre 2024 du suivi hebdomadaire de l’actualité des livres, revues et conférences géopolitiques comme de la rédaction des synthèses des épisodes de l’émission Planisphère pour Diploweb.com.

Où en-est le Moyen-Orient un an après le 7 octobre 2023 ? Quelle est la situation en Israël et dans la bande de Gaza ? Pourquoi le conflit israélo-palestinien déborde-t-il au Liban ? Au-delà du Liban, quelles sont ses répercussions régionales ? Enfin, dans ce conflit, quel est le poids des différents acteurs internationaux comme les Etats-Unis, la Chine et la Russie, ou bien encore l’Union européenne ? Pour répondre, nous avons l’honneur de recevoir Laure Foucher. En plus du podcast, cette page offre une synthèse rédigée par E. Bourgoin, relue et validée par L. Foucher.

Cette émission, Où en-est le Moyen-Orient un an après le 7 octobre 2023 ? Avec L. Foucher, sur RND

Cette émission, Où en-est le Moyen-Orient un an après le 7 octobre 2023 ? Avec L. Foucher, sur RCF

Lien direct vers cette émission sur RCF

Synthèse de cette émission, Où en-est le Moyen-Orient un an après le 7 octobre 2023 ? Avec L. Foucher. Rédigée par Emilie Bourgoin pour Diploweb.com , relue et validée par L. Foucher

LE 7 octobre 2023 marque une date clé dans l’histoire du Moyen-Orient. Un an plus tard, en octobre 2024, il est essentiel de comprendre les répercussions de cet événement sur la situation en Israël, à Gaza, en Cisjordanie, ainsi que son impact régional et international. Cette synthèse explore les conséquences de cette rupture stratégique, les calculs des différents acteurs impliqués et les perspectives pour l’avenir.

Un bouleversement des calculs stratégiques

La rupture du 7 octobre 2023 ne réside pas dans un renversement des tendances de long terme, mais plutôt dans une réévaluation des stratégies des acteurs régionaux, notamment d’Israël. Cet événement a poussé Israël à revoir sa perception de son environnement stratégique et à ajuster sa manière de traiter ses ennemis. Les calculs du Hamas, du Hezbollah et de l’Iran n’ont pas su anticiper l’ampleur du changement. Le Hamas, par exemple, a sous-estimé l’impact stratégique des otages capturés, pensant qu’ils serviraient de levier de négociation.

Le Hezbollah a également mal évalué la détermination d’Israël à affaiblir ses forces. Israël a démontré une tolérance zéro vis-à-vis du Hamas, du Hezbollah et des proxys iraniens. Ce changement stratégique se manifeste par la volonté d’Israël de briser l’encerclement mis en place par l’Iran à travers ses alliés régionaux. Pour Israël, il ne s’agit plus de contenir la menace, mais de l’éliminer de manière systématique, notamment en frappant directement les capacités militaires du Hezbollah et sa chaine de commandement.

Cette réévaluation stratégique a des répercussions profondes, non seulement pour Israël, mais aussi pour l’ensemble de la région. La démonstration de force d’Israël pourrait entraîner un bouleversement durable des rapports de force au Moyen-Orient. Le pays cherche à restaurer une dissuasion qui a été mise à mal par les événements du 7 octobre 2023, montrant que son armée et son leadership politique sont capables de reprendre l’avantage face à ses ennemis.

Une situation humanitaire désastreuse à Gaza

En octobre 2024, la bande de Gaza fait face à une catastrophe humanitaire sans précédent. Les chiffres sont accablants : plus de 41 000 morts, 96 000 blessés, et 17 000 enfants séparés de leurs familles. De plus, 96 % de la population se trouve en situation de précarité alimentaire. La destruction quasi totale de Gaza laisse planer une incertitude sur son avenir : sera-t-elle un jour à nouveau habitable ? L’absence de perspectives d’un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas laisse présager une dégradation continue de la situation.

 
Laure Foucher
Laure Foucher, Maitre de recherche sur le Moyen-Orient à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS). Crédit photographique : Pierre Verluise
Foucher/Verluise

Absence de perspectives de cessez-le-feu

Les négociations pour un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas ont échoué à plusieurs reprises. Israël refuse d’inscrire la fin des opérations militaires dans un tel accord, tandis que le Hamas réclame un cessez-le-feu permanent. La prise de Rafah par l’armée israélienne a définitivement fermé la porte à toute possibilité de compromis à ce stade. Tant qu’Israël n’obtient pas les garanties sécuritaires exigés de l’Égypte, la guerre semble vouée à se poursuivre.

L’extension du conflit

Depuis le 7 octobre 2023, la Cisjordanie est également le théâtre d’opérations militaires israéliennes. Ces interventions, justifiées comme visant à neutraliser les bastions armés, se sont intensifiées, avec des bombardements aériens et des restrictions sévères sur les déplacements. Parallèlement, la colonisation israélienne a connu une expansion sans précédent, renforçant le projet du « Grand Israël ». Cette dynamique met en péril tout espoir de solution politique pour les Palestiniens.

Le Hezbollah a ouvert un front au nord d’Israël dès le 8 octobre 2023, liant son sort à celui d’un cessez-le-feu à Gaza. L’élimination de Hassan Nasrallah a marqué un tournant majeur. Ce dernier était une figure de proue de l’axe de la résistance, tant idéologiquement qu’opérationnellement. Cette élimination affaiblit non seulement le Hezbollah mais également l’Iran, qui a développé une stratégie de défense avancée reliant ses partenaires régionaux à sa propre sécurité.

Les gains tactiques d’Israël ne doivent pas masquer son impasse stratégique.

Les limites de la stratégie d’Israël

Israël cherche à restaurer la dissuasion vis-à-vis de l’Iran, notamment en affaiblissant le Hezbollah et en éliminant ses capacités militaires. En éliminant le Hezbollah, Israël vise à avoir les mains libres en cas d’escalade directe avec l’Iran. Cependant, cette stratégie comporte des limites importantes.

Du côté iranien, malgré son soutien au Hezbollah, l’Iran a jusqu’à présent évité une confrontation directe avec Israël. La mort de Nasrallah, leader du Hezbollah, pourrait rebattre les cartes, mais Téhéran reste prudent. L’Iran est conscient de sa vulnérabilité militaire face à Israël et préfère se concentrer sur le long terme, notamment en évitant un conflit qui favoriserait un retour de Donald Trump au pouvoir, ce qui compromettrait les négociations sur les sanctions économiques et le dossier nucléaire.En outre, les gains tactiques d’Israël ne doivent pas masquer son impasse stratégique.

Le rôle des puissances internationales

Dans ce contexte, les acteurs internationaux jouent un rôle crucial, mais souvent limité. Les États-Unis, traditionnellement alliés d’Israël, ont été critiqués pour leur soutien inconditionnel à Tel-Aviv, notamment en fournissant des armes et en refusant de faire pression pour un cessez-le-feu. De l’autre côté, la Russie et la Chine profitent de l’affaiblissement diplomatique de l’Occident pour consolider leurs positions stratégiques au Moyen-Orient, bien que leur implication directe dans la crise reste limitée.

L’Union européenne, pour sa part, se trouve marginalisée, incapable de peser sur les négociations malgré son rôle important dans l’aide humanitaire. Si certains États européens tentent de jouer un rôle diplomatique, notamment par le biais de groupes comme l’E3, ils peinent à influencer significativement le cours des événements.

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Présentation du concept de l’émission Planisphère par Pierre Verluise

Planisphère est une émission de géopolitique proposée par Radio Notre Dame et RCF. Planisphère est animée par Hugo Billard jusqu’au 31 août 2024 ; par Pierre Verluise (Diploweb.com) depuis le 3 septembre 2024. Chaque semaine des historiens, des géographes, des géopoliticiens, des diplomates, des stratèges et des acteurs des relations internationales prennent le temps de mettre en perspective les soubresauts du monde. Planisphère cherche à comprendre l’actualité mondiale dans l’espace et dans le temps, en privilégiant la clarification des jeux des acteurs comme des résultats sur les territoires. Pierre Verluise cherche à mettre à jour l’interaction des échelles et les dynamiques de la puissance, définie comme une capacité de faire, de faire faire, de refuser de faire ou d’empêcher de faire.
Cette émission est disponible en podcast sur les sites et les applications de ces deux radios, comme sur le Diploweb.com qui offre en bonus une synthèse rédigée, validée dans la mesure du possible par l’intervenant.