Caesar, EFA et robots de déminage: victoire commerciale française en Ukraine mais la guerre n’est pas gagnée

Caesar, EFA et robots de déminage: victoire commerciale française en Ukraine mais la guerre n’est pas gagnée

 

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par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 30 septembre 2023

https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/


La visite à Kiev de Sébastien Lecornu et d’une délégation d’industriels de la Défense français, jeudi, s’est soldée par la signature de plusieurs contrats et accords. A Kiev, le ministre français venu défendre des partenariats avec des industriels ukrainiens, a rencontré le ministre Oleksandr Kamychine, chargé des industries stratégiques (photo ci-dessus. Les photos de ce post sont de moi), et Rustem Umerov, le nouveau ministre de la Défense. 

Sa visite a précédé l’ouverture par le président Zelensky du premier forum international consacré à l’industrie de la défense, qui veut attirer des fabricants étrangers capables de produire des armes en Ukraine et de lui « construire un arsenal » face à la Russie. « Nous sommes intéressés par la localisation de la production des équipements nécessaires à notre défense et des systèmes de défense avancés utilisés par nos soldats », a résumé Zelensky dans son discours d’introduction, diffusé ce samedi.

Voici la liste  des accords et contrats signés vendredi (c’est moi qui souligne):
Coopération DGA / DPA
La direction générale pour l’armement (DGA) et son homologue ukrainienne, la Defense Procurement Agency (DPA) ont signé un accord pour favoriser la coopération en matière d’armement entre les deux pays.

Coopération industrielle
Le GICAT a signé deux accords, avec les Ministère de la Défense et Ministères de l’Industrie Stratégique ukrainiens sur le développement de la coopération en matière d’industrie de défense entre la France et l’Ukraine.

Artillerie
Fourniture de 6 systèmes d’artillerie supplémentaires. Au-delà des canons Caesar déjà fournis, que ce soit au titre des cessions par l’armée françaises (18) ou au titre des acquisitions par le ministère ukrainien directement auprès de KNDS (12), KNDS va fournir 6 canons Caesar supplémentaires.
MCO (maintien en conditions opérationnelles) des systèmes Caesar fournis. Le MCO des systèmes CAESAR est d’ores et déjà assuré par KNDS via un flux de pièces de rechanges. Par ailleurs, KNDS a signé un accord avec une société ukrainienne pour assurer le MCO des Caesar dans la durée sur le territoire ukrainien, comprenant la production de pièces localement. Cet accord prend également en compte le MCO des AMX 10 cédés par l’Armée de Terre.

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Véhicules terrestres
Intégration d’armements : La société KNDS a signé un accord avec une société industrielle ukrainienne pour l’intégration en Ukraine d’armements sur les véhicules des Forces Armées Ukrainiennes.
MCO des véhicules fournis : ARQUUS, fabriquant de VAB (Véhicules de l’avant blindé), s’est engagé, au travers d’un accord signé avec une société ukrainienne, à soutenir les véhicules cédés par les Armées françaises – notamment à travers de la production locale de pièces – et à étudier la mise en place d’un partenariat avec des entreprises ukrainiennes afin de produire des VAB neufs dans le pays.
Fabrication additive : La société Vistory a signé un accord avec une société ukrainienne pour des solutions de fabrication additive de pièces de rechange. Ce sujet est très prometteur pour autonomiser les Ukrainiens, y compris potentiellement pour déployer des solutions mobiles de fabrication de pièces de rechange sur le théâtre d’opérations.
Fourniture d’engins amphibie : La société CEFA va fournir 8 engins amphibie qui permettent le franchissement de cours d’eau.

Drones
Drones Delair : Au-delà du premier contrat de drones, et dont les premiers exemplaires sont en cours de livraison auprès des Ukrainiens, la société Delair a signé un nouveau contrat avec le MOD ukrainien pour la fourniture de drones supplémentaires, ainsi qu’un accord portant sur la maintenance des drones livrés et ouvrant la voie à une production locale.
Partenariats industriels : les sociétés Thales d’une part et Turgis & Gaillard d’autre part ont chacune signé un accord avec des sociétés ukrainiennes pour co-développer des drones, avec comme perspective une fabrication locale de drones.

Déminage
L’entreprise CEFA a signé un contrat pour la fourniture de 8 premiers robots SDZ de déminage. C’est un moins qu’espéré (10 unités) mais le résultat témoigne de la confiance des Ukrainiens dans ce matériel. 

Quelques remarques personnelles:

Ces bons résultats et ses bonnes perspectives sont dus aux efforts conjoints des équipementiers français, du ministère des Armées et du GICAT qui a organisé du 18 au 20 septembre, à Kiev, un premier séminaire de coopération industrielle franco-ukrainien. 

En termes de fournitures, on notera les drones Delair (type non spécifié), les 6 Caesar supplémentaires mais surtout les 8 robots de déminage SDZ de l’entreprise CEFA (deux livrables à l’armée de Terre française pourraient être déviés vers l’Ukraine). En matière de déminage, la France s’avère malgré tout en retrait d’autres pays dont les entreprises spécialisées ont capté une partie du marché il y a déjà plusieurs mois (je reviendrai sur ce sujet dans un prochain post).

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Cette même entreprise va aussi livrer 8 EFA (engins de franchissement de l’avant. Photo ci-dessus prise lors d’Orion 4); ces systèmes d’occasion issus de l’ex-parc du génie pourront être livrés très rapidement. 

Léo Péria-Peigné : « L’armée allemande a une stratégie claire, contrairement à la France »

Léo Péria-Peigné : « L’armée allemande a une stratégie claire, contrairement à la France »

 

par Léo PÉRIA-PEIGNÉ, interviewé par Clément Daniez pour L’Express– IFRI _ publié le 29 septembre 2023

https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/leo-peria-peigne-larmee-allemande-une-strategie-claire-contrairement


La montée en puissance de l’armée allemande rebat les cartes en Europe, explique Léo Péria-Peigné, qui vient de publier une étude sur le sujet pour l’Ifri.

Laissée en déshérence pendant des années, l’armée allemande, la Bundeswehr, remonte en puissance. La décision a été prise juste après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, un événement menant, pour l’Allemagne, à un nécessaire « changement d’époque » (« Zeitenwende »), comme l’a qualifié le chancelier Olaf Scholz. Grâce à un fonds de 100 milliards d’euros, Berlin multiplie les commandes, dans le cadre d’un programme de rééquipement destiné à en faire la « première armée d’Europe ».

Dans un rapport invitant la France à mieux appréhender la révolution en cours de l’autre côté du Rhin – « La Bundeswehr face au Zeitenwende » –, Elie Tenenbaum et Léo Péria-Peigné, du centre des études de sécurité de l’Institut français des relations internationales (Ifri), auscultent la transformation de l’outil militaire allemand. « L’Allemagne a un but stratégique unique et clair, quand la France, elle, court trois lièvres à la fois : être une alliée crédible en Europe, ne pas lâcher sa présence en Afrique et être présente dans l’espace indo-pacifique », explique Léo Péria-Peigné à L’Express. Entretien.

L’Express : Le gouvernement allemand a annoncé qu’il disposerait bientôt de la première armée d’Europe. En prend-elle vraiment le chemin ? 

Oui, mais pas de la façon dont on l’imagine d’un premier abord. La Pologne est l’autre pays qui a l’ambition d’être la première armée de terre d’Europe. Mais elle pense d’abord à elle-même, alors que l’Allemagne ambitionne cela de manière européenne. Elle se dote de moyens de commandements, de communications, de supports logistiques, qui vont permettre à d’autres nations de brancher leur armée sur ce système, pour amplifier les synergies dans le cadre de l’Otan. L’Allemagne pourrait ainsi devenir la première, en devenant la base d’une « armée européenne », pas forcément en nombre de chars. 

Beaucoup d’experts, en Allemagne, soulignent que les 100 milliards du fonds spécial serviront surtout à combler les retards accumulés… 

 Oui, un peu comme l’augmentation du budget pour la France selon sa loi de programmation militaire (LPM, 413 milliards d’euros de 2024 à 2030). Le fonds de 100 milliards est un plan de restauration, pour faire fonctionner ce qui existe et redensifier certaines capacités perdues. Ils ne dureront que quelques années, mais permettront d’atteindre l’objectif de l’équivalent de 2% du PIB consacré à la défense, comme le préconise l’OTAN. L’idée est ensuite qu’en 2027, les 2% seront assurés par le seul budget, sans un fonds complémentaire. Pour le prochain gouvernement allemand, il faudra cependant que ce soit politiquement acceptable. Pour cela, il faudra que le « Zeitenwende » atteigne les consciences. 

Jusqu’à quand la Bundeswehr va-t-elle rester « à sec », avec très peu de disponibilité de matériel, comme la dit le chef de son armée de terre ? 

La situation s’améliore déjà et cela devrait continuer. Par exemple, il y avait un gros problème de disponibilité dans la marine allemande, lié à l’encombrement des chantiers navals civils. En 2017, aucun des six sous-marins allemands n’était disponible. La marine a acheté des infrastructures existantes qui lui sont maintenant dédiées pour résoudre ce problème. Les améliorations vont s’amplifier, mais jusqu’à un certain seuil. Car il faut que les ressources humaines suivent. Il faut des spécialistes et des volontaires pour utiliser les nouveaux équipements. 

L’Allemagne n’ayant plus le service militaire, elle doit attirer des talents, des jeunes, avec des compétences de plus en plus pointues. Dans un pays plus vieillissant – bien plus que la France –, c’est déjà un problème. A cela s’ajoute le fait que le marché du travail civil est plus attractif. Si les Allemands n’arrivent pas attirer de nouveaux soldats, l’effet de la revitalisation restera limité. Il y a un travail à mener pour rendre la fonction militaire plus attirante pour les jeunes. 

Pourquoi ce Zeitenwende renforcent-ils plus le partenariat de l’Allemagne avec les Etats-Unis qu’avec la France ? 

Le Zeitenwende va servir à renforcer non seulement le partenariat avec les USA, très important pour l’Allemagne [achat de nombreux appareils américains, en particulier des avions et des hélicoptères], très attachée à l’Otan. Mais il va aussi lui servir à renforcer son partenariat avec l’Europe, plus qu’avec la France. Pour une raison très importante : si, en Europe, l’Allemagne est le principal partenaire de la France, l’inverse n’est pas vrai. Son principal partenaire, ce sont les Pays-Bas. A l’heure actuelle, les trois brigades qui composent l’armée de terre néerlandaise sont intégrées dans les trois divisions de l’armée allemande.  

L’Allemagne développe des partenariats avec d’autre pays européens pour les intégrer dans son modèle de force et constituer une plateforme commune. D’autres pourraient se monter avec la Hongrie, ou au niveau des différentes armées de la Baltique, en particulier les marines. Celui lui vaut certaines critiques, à Paris, comme quoi l’Allemagne fournit les fonctions non-combattantes pour envoyer les autres Européens sur le front à leur place.   Mais la France pourrait tenter de faire la même chose avec la Belgique, comme elle a commencé à le faire avec son partenariat stratégique sur les capacités motorisées CaMo. Une unité luxembourgeoise pourrait aussi être intégré au sein des divisions françaises. 

En quoi, les deux pays veulent se constituer deux armées différentes ? 

L’armée française se perçoit comme une armée d’emploi, qui peut faire la guerre et intervenir là où on a besoin d’elle, même loin. Après la fin de l’URSS et la réunification, l’Allemagne s’est lancée elle aussi dans une logique d’interventions internationales, comme en Afghanistan, mais cela n’a pas vraiment bien marché. Depuis, elle est revenue à sa culture d’armée d’avant la chute du mur : une armée conventionnelle, qui doit maintenir un niveau de puissance suffisant pour dissuader tout agresseur potentiel, axé sur la haute intensité. La France, elle court trois lièvres à la fois : être un allié crédible en Europe, ne pas lâcher sa présence en Afrique et être présent en Indopacifique, avec un budget en grande partie consacré à la dissuasion nucléaire. La LPM a acté cette absence de choix.  

Peut-on être sûr que les deux grands programmes franco-allemands phare, le SCAF (l’avion du futur) et le MGCS (le char du futur), se feront ? 

Ces projets ont été lancés pour des raisons politiques et avancent lentement et de manière chaotique. Mais ils ont du mal à avancer sur le plan militaire et industriel. Les armées ne veulent pas la même chose. Concernant le SCAF, les Français veulent qu’il puisse atterrir sur un porte-avion et porter les futurs missiles nucléaires ASM4G. Les Allemands ne sont pas forcément prêts à payer pour ces capacités-là, dont ils se fichent. Sur le plan industriel, Airbus et Dassault, en plus d’être rivaux, se détestent, car Airbus a essayé de racheter Dassault au début des années 2000. 

Du côté du MGCS, le projet devait associer le français Nexter, très bon dans la fabrication de canons, et KMW, le concepteur de la caisse du Leopard 2. Mais le Bundestag a exigé qu’on ajoute Rheinmetall, une entreprise de défense beaucoup plus grosse que les deux autres. Or KMW craint de se faire racheter par Rheinmetall, dont le canon de 130 est en concurrence avec celui de 140 de Nexter pour équiper le MGCS…. 

Que faudrait-il faire pour relancer un partenariat franco-allemand dans la défense ? 

Il faudrait que les structures qui existent soient revitalisées et qu’on leur redonne une pertinence. Qu’on sache ce qu’on pourrait faire de la brigade franco-allemande. Pour la Marine, il y avait la Force navale Franco-Allemande (FNFA), une structure d’entrainement commun, tombée en désuétude.

[…]

> Lire l’interview intégrale sur le site de L’Express (réservé aux abonnés)

Un sous-marin nucléaire d’attaque français fait une escale remarquée en Norvège

Un sous-marin nucléaire d’attaque français fait une escale remarquée en Norvège

 

https://www.opex360.com/2023/09/27/un-sous-marin-nucleaire-dattaque-francais-fait-une-escale-remarquee-en-norvege/


 

Ainsi, en est-il avec le SNA Suffren, récemment admis au service actif. Ces derniers mois, on a pu suivre son déploiement en Méditerranée, au sein du groupe aéronaval formé autour du porte-avions Charles de Gaulle, ainsi que, plus récemment, son périple dans l’océan Indien, avec une escale médiatisée aux Émirats arabes unis et sa participation, au côté de la frégate multimissions [FREMM] Languedoc, à plusieurs manoeuvres navales, dont l’exercice Varuna 23.2, organisé par la marine indienne. En prime, des photographies le montrant avec son hangar de pont amovible [qui permet au Commando Hubert d’utiliser ses Propulseurs sous-marin de 3e génération – PSM3G, ndlr] ont été publiées.

Mais, le 26 septembre, ce n’est pas le Suffren qui a fait l’objet d’une communication de la part de la Marine nationale [ou, plus précisément, de l’État-major des armées]… mais l’un des trois derniers SNA de la classe Rubis encore en service au sein de la Force océanique stratégique [FOST].

« Les déploiements réguliers des bâtiments de la Marine nationale dans le grand Nord revêtent un caractère stratégique du fait des enjeux géopolitiques et environnementaux de cette zone. Ils garantissent à la France une capacité d’intervention et d’appréciation autonome de la situation », a en effet expliqué l’EMA, dans un commentaire accompagnant plusieurs photographies d’un SNA et d’un Bâtiment de soutien et d’assistance métropolitain [BSAM].

« Déployés en eaux glaciales, BSAM et SNA témoignent par leur endurance et leurs performances, de la capacité de la Marine nationale à se déployer sur toutes les mers du monde », a enchéri la Marine nationale, sans plus de précision.

Étant donné que l’on peut voir le pavillon norvégien au niveau du kiosque du SNA, il est facile d’en déduire que les deux navires français ont fait une escale en Norvège, plus précisément à Tromsø [nord de la Norvège]. Ce qu’a confirmé la presse locale, selon laquelle la présence d’un sous-marin nucléaire français dans cette base navale est « inédite ».

 

« Le sous-marin nucléaire français a accosté la semaine dernière dans le port de Grøtsund, juste au nord de la ville de Tromsø. C’est la première fois qu’un sous-marin français visite ce port », a en effet avancé le journal indépendant novégien High North News, qui a identifié le BSAM comme étant la « Garonne ». Or, jusqu’à présent, et dans le cadre de l’Otan, les SNA américains et, dans une moindre mesure, britanniques, étaient les seuls à régulièrement faire escale dans cette partie de la Norvège.

Si le nom du SNA envoyé à Tromsø n’a pas été précisé, les photographies publiées par l’État-major des armées suggèrent qu’il s’agit de l’Améthyste. Du moins, c’est ce qu’indique le numéro de coque [ou « pennant number »] S605, que l’on devine sur l’une d’entre elles. D’ailleurs, ce détail peut intriguer étant donné que la Marine nationale a récemment décidé d’effacer les marques de ses navires afin de compliquer leur identification.

À noter que la présence du SNA français dans les eaux norvégiennes coïncide avec celle du porte-avions britannique HMS Queen Elizabeth, dans le cadre de l’opération Firedrake. D’ailleurs, pour High North News, il n’est pas impossible que le SNA et le BSAM Garonne fassent partie, « du côté français », des « unités participantes » à ce déploiement du navire de la Royal Navy, laquelle semble avoir quelques soucis de disponibilité avec ses sous-marins d’attaque.

Quoi qu’il en soit, durant la Guerre Froide, le Grand Nord était stratégiquement important pour les deux blocs qui se faisaient face. Et c’est sans doute encore plus le cas actuellement… dans la mesure où la compétition stratégique a été relancée, tandis que les dérèglements climatiques ouvrent de nouvelles perspectives économiques qui ne laissent pas indifférents les États de la région… et même ceux qui en sont éloignés géographiquement, comme la Chine.

En tout cas, résume le Centre d’études stratégiques de la Marine, « le Grand Nord est toujours d’une importance capitale pour la dissuasion nucléaire de la Russie et des États-Unis. Les patrouilles des forces sous-marines y sont nombreuses, ce qui génère une compétition sur l’accès aux fonds marins, notamment pour la dilution des sous-marins. »

Que pense l’armée russe de sa guerre en Ukraine ? Critiques, recommandations, adaptations Russie.Eurasie.Reports, n° 44, Ifri, septembre 2023

Que pense l’armée russe de sa guerre en Ukraine ? Critiques, recommandations, adaptations Russie.Eurasie.Reports, n° 44, Ifri, septembre 2023

 

par Dimitri Minic – IFRI – publié le 21 septembre 2023

https://www.ifri.org/fr/publications/etudes-de-lifri/russieeurasiereports/pense-larmee-russe-de-guerre-ukraine-critiques


L’armée russe est très critique de sa guerre en Ukraine. Non seulement de la première phase de l’opération militaire spéciale (SVO) ratée et inspirée par la théorisation du contournement, mais aussi de la phase de dissuasion stratégique qui l’a précédée.

Le constat d’un manque profond de préparation à la SVO rejoint celui d’une impréparation – et ce dans beaucoup de domaines – à conduire la guerre hétérotélique sur laquelle a découlé la SVO.

Les faiblesses de l’armée russe par rapport à l’armée ukrainienne sont globalement, et parfois assez directement, reconnues. Les élites militaires russes ont fait de nombreuses recommandations pour améliorer la conduite russe de la guerre, et se sont principalement concentrées sur les forces terrestres et les forces aérospatiales. Parallèlement, l’armée russe s’est largement adaptée (avec plus ou moins de succès) aux difficultés rencontrées depuis un an et demi en Ukraine.

Si le régime poutinien est autoritaire et s’est évertué à réduire les espaces de liberté d’expression au sein de la société, l’existence et la tolérance de certains discours de vérité à ce niveau de l’appareil militaire montrent que l’armée et l’État russes ont un potentiel d’adaptation qui ne doit pas être sous-estimé.

Dimitri Minic est chercheur au Centre Russie/Eurasie de l’Ifri. Il est docteur en histoire des relations internationales de Sorbonne Université (2021). Il est l’auteur de Pensée et culture stratégiques russes : du contournement de la lutte armée à la guerre en Ukraine (Paris, Maison des sciences de l’homme, avril 2023), pour lequel il a reçu le Prix Thibaudet.

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Lire et  Télécharger : Que pense l’armée russe de sa guerre en Ukraine Critiques, recommandations, adaptations – Retex_sept2023

Fin de la présence militaire française au Niger : ce qu’il faut savoir de cette annonce de Macron

Fin de la présence militaire française au Niger : ce qu’il faut savoir de cette annonce de Macron

Le président français a annoncé ce dimanche 24 septembre 2023 la fin de la présence militaire française au Niger « d’ici à la fin de l’année ». Une annonce qui doit conduire au rapatriement de 1 500 soldats déployés sur les bases françaises au Niger, et rapprocher un peu plus la France de la fin de son engagement contre le terrorisme au Sahel. Voici ce qu’il faut savoir sur cette annonce.

Des soldats français du 2e Régiment Étranger de Parachutistes (2eREP) et des soldats nigériens se préparent à une mission sur la base aérienne française BAP, à Niamey, le 14 mai 2023.
Des soldats français du 2e Régiment Étranger de Parachutistes (2eREP) et des soldats nigériens se préparent à une mission sur la base aérienne française BAP, à Niamey, le 14 mai 2023. | ALAIN JOCARD / AFP

Voici ce qu’il faut comprendre des annonces d’Emmanuel Macron concernant le départ de la présence française du Niger.

1 500 militaires à rapatrier

Après avoir annoncé que la France allait rapatrier son ambassadeur au Niger, Sylvain Itté, retenu à Niamey, Emmanuel Macron a annoncé le départ des troupes françaises du Niger « d’ici à la fin de l’année ».

« Nous mettrons fin à notre coopération militaire avec les autorités de fait du Niger, car elles ne veulent plus lutter contre le terrorisme », a annoncé le président.

Cette annonce devrait donc engendrer le retour de tous les militaires stationnés au Niger, environ 1 500.

Trois bases françaises au Niger

Ils seraient aujourd’hui environ 1 500 soldats, principalement sur la base aérienne projetée située près de l’aéroport de Niamey. D’autres étaient déployés sur des bases à Ouallam, au nord de la capitale Niamey, et Ayorou, à la frontière du Mali.

Comme l’indique le site de la BBC, la base de Niamey, située sur le site de l’aéroport international Hamani Diori, servait de base de départ pour les drones Reaper qui effectuent des missions de renseignement et de reconnaissance dans le cadre de l’opération Barkhane au Sahel.

Après le coup d’État du 26 juillet dernier, qui a vu la junte prendre le pouvoir et une hausse des tensions entre le Niger et la France, les soldats étaient confinés dans leurs bases, où les conditions se font de plus en plus précaires.

La fin de dix ans d’opération militaire antiterroriste au Sahel

L’annonce du départ français du Niger n’est pas vraiment une surprise. Après leur coup d’État du 26 juillet, les putschistes avaient rompu les accords de coopération militaire qui liaient jusqu’ici Paris à Niamey et avaient donné un mois à la France pour se retirer militairement et diplomatiquement du territoire nigérien.

Thierry Vircoulon, chercheur associé au Centre Afrique subsaharienne de l’Institut français de relations internationales (Ifri), interrogé dans nos colonnes au début du mois de septembre, affirmait que le départ des troupes françaises signerait « la fin de la guerre de la France contre le djihadisme au Sahel ».

L’engagement militaire français au Sahel contre le djihadisme avait commencé en 2013, « avec l’opération Serval », précisait Thierry Vircoulon. Le départ met donc fin à dix ans d’opération contre le terrorisme au Sahel.

Après le Mali et la Burkina Faso, la France voit donc son engagement en Afrique être stoppé dans un troisième pays parmi ceux « qui constituaient le champ de bataille de la lutte contre le djihadisme au Sahel ».

Dans la région, la France disposerait alors uniquement d’une présence au Tchad. Aucun redéploiement de forces françaises vers ce pays n’a pour l’instant été annoncé. Pour Thierry Vircoulon, les troupes « vont très probablement rentrer en France ».

L’ambassadeur également rapatrié

Il « fait partie du package » déclarait encore Thierry Vircoulon dans nos colonnes le 6 septembre. Sylvain Itté, ambassadeur de la France au Niger, était, selon Emmanuel Macron « retenu en otage » à l’ambassade à Niamey.

Après la hausse des tensions diplomatiques entre le Niger et la France, successive au coup d’État, et à des manifestations « anti-France » devant l’ambassade à Niamey, les putschistes avaient annoncé, le vendredi 25 août 2023, l’expulsion de l’ambassadeur de France au Niger. La France avait considéré que les « putschistes n’ont pas autorité pour faire cette demande, l’agrément de l’ambassadeur émanant des seules autorités légitimes nigériennes élues », à savoir le gouvernement renversé de Mohamed Bazoum, considéré comme légitime par Paris.

Ce dimanche, le président Emmanuel Macron a confirmé que l’ambassadeur français au Niger serait bien rapatrié.

Guerre en Ukraine : « Ce que fait le commandement russe relève de l’improvisation »

Guerre en Ukraine : « Ce que fait le commandement russe relève de l’improvisation »

                               Le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgu lors du défilé militaire à la Place Rouge, Moscou, 9 mai 2023.

 
 
Dimitri MINIC, interviewé par Clément Daniez pour L’Express
publié l’IFRI le 21 septembre 2023

Il n’y a pas que les forces ukrainiennes, actuellement en pleine contre-offensive, qui s’adaptent à leur adversaire. Depuis le début de la guerre, l’armée russe se révèle capable d’autocritique, pour faire évoluer ses dispositifs de combat. C’est ce que confirme Que pense l’armée russe de sa guerre en Ukraine ?, une nouvelle étude de Dimitri Minic, du centre Russie-Eurasie de l’Institut français des relations internationales.

« Plutôt qu’une guerre de mouvements, l’armée russe s’est vue contrainte de mener une lutte armée de haute intensité et d’usure », résume le chercheur, auteur de Pensée et culture stratégiques russes. Du contournement de la lutte armée à la guerre en Ukraine (Editions de la Maison des sciences de l’homme). Entretien.

L’Express : Quelles leçons les Russes ont-ils tirées de leurs échecs en Ukraine ?

Dimitri Minic : Les élites militaires russes ont discuté de quelques domaines liés aux actions de combat : l’artillerie, les formations tactiques terrestres et la capacité à les manœuvrer efficacement, les drones, ainsi que les forces aérospatiales. Plusieurs inquiétudes remontent : le gaspillage et la pénurie de ressources matérielles et humaines, la difficulté à les mobiliser, et enfin la disparition des personnels qualifiés pour employer des équipements complexes et modernes.

Ces élites en sont venues à prodiguer des conseils élémentaires, comme le fait de ne pas masser des troupes en mouvement sur des petits espaces ou de disposer d’informations cartographiques fiables. Il en ressort deux recommandations pour le champ de bataille : le développement des moyens de renseignement, surveillance et reconnaissance, combinés aux frappes, en insistant sur l’importance des drones tactiques et de leur utilisation en « essaim » ; ensuite, la prise en compte de la « transparence » du champ de bataille, nécessitant des unités dispersées, plus petites, plus mobiles et décentralisées que l’organisation précédente.

Justement, depuis le début de cette guerre, l’armée russe a pu donner l’image de forces inadaptées aux combats du moment. A quel point a-t-elle fait son autocritique ?

L’armée russe n’avait pas été réformée ni préparée à la conduite d’une telle guerre. La pensée stratégique russe était en effet axée, depuis la chute de l’URSS, sur le contournement de la lutte armée. Cependant, les élites militaires comme les dirigeants russes ont surestimé à la fois l’efficacité du contournement et leur propre capacité à le mettre en œuvre. La mise en oeuvre de cette pensée, combinée aux spécificités de la culture stratégique russe, ont conduit à l’échec initial de l' »opération militaire spéciale ». Moscou a dû, dès les premiers jours, intensifier son effort conventionnel et finira par changer de stratégie quelques semaines plus tard. Plutôt qu’une guerre de mouvements, l’armée russe s’est vue contrainte de mener une lutte armée de haute intensité et d’usure, où la puissance de destruction et l’artillerie sont devenus centrales. Tout cela a été identifié et critiqué par les élites militaires, qui ont produit des analyses sur les défaillances de la prévision et du renseignement, le manque de planification, la préparation inadéquate des troupes ou encore l’emploi médiocre des troupes aéroportées (VDV).

L’armée ukrainienne a du mal à percer sur le front de Zaporijia. Sur quelle pensée stratégique l’armée russe s’est-elle fondée pour préparer et tenir ses lignes de défense ?

Il faut d’abord rappeler que l’armée russe ne s’attendait pas et n’était pas préparée à livrer ce type d’opérations ni de combats. Dans le plan de « l’opération militaire spéciale », le rôle joué par les actions indirectes (dissuasion stratégique, actions subversives armées et non armées, actions psychologico-informationnelles et cybernétiques…) était censé surpasser celui des forces armées, lequel devait être final et limité. Mais cela a largement échoué, dès le 24 février. Depuis, ce que fait le commandement russe relève de l’improvisation, avec plus ou moins de succès.

La défense mise en place par l’armée russe dans l’oblast de Zaporijia date de l’ère Sourovikine, qui fut le plus compétent des commandants des troupes russes en Ukraine [d’octobre 2022 à janvier 2023]. Cette défense relativement efficace est profonde et assez traditionnelle avec une première zone saturée de mines, de moyens de reconnaissance et des frappes associées, très difficile à franchir, même si l’armée ukrainienne y est parvenue à Robotyne. Cependant, des développements théoriques sur la défense, produits avant la contre-attaque ukrainienne de l’été 2023, ont révélé deux sentiments grandissants chez les élites militaires russes : la pénurie d’hommes et de moyens.

Les dernières analyses se montrent également lucides sur l’aspect contreproductif de la cruauté et des crimes de guerre, sans visiblement être écoutées…

Personne ne défend, dans les sources que j’ai lues, la cruauté de l’armée. Reste que la responsabilité de l’armée russe dans certains crimes de guerre et exactions, comme à Boutcha, n’est pas directement pointée du doigt. Quand il est mentionné, ce massacre est présenté comme une savante mise en scène des « scénaristes » occidentaux en Ukraine. Il a même pu arriver que la stratégie russe d’intimidation et de menace de destruction des infrastructures (y compris nucléaires) et de la population ukrainienne soit louée.

Dans tous les cas, depuis le 24 février, dans leurs écrits, les élites militaires ont invité à la modération et expliqué l’importance pour une armée d’invasion d’adopter une attitude bienveillante à l’égard de la population, et de la protéger des affres de la guerre. La destruction des villes et des infrastructures, et la cruauté envers la population sont jugées contre-productives car elles nuisent aux objectifs fixés, l’argument moral étant absent. Les faibles dispositions psychologiques et morales des soldats russes (mais aussi de la population russe), dont il est reconnu qu’ils n’ont pas été préparés à mener l’opération militaire spéciale, et encore moins la guerre qui en a découlé, ont aussi intéressé les élites militaires russes.

Vous notez dans les publications stratégiques une réflexion tardive sur l’utilisation des chars…

La question des chars de combat a d’abord été abordée de façon indirecte, en soulignant notamment l’importance de protéger leur tourelle contre les armes antichars portatives et les munitions rôdeuses, via des solutions rudimentaires tels des cages et écrans métalliques. Il a fallu attendre juillet pour voir la parution du premier article à traiter de la question. Le constat est sans appel : l’opération militaire spéciale a modifié la façon d’employer les chars de combat, dans un espace saturé de troupes équipées d’armes antichars portatives modernes (Javelin, NLAW), passés à un rôle d’appui feu à l’infanterie. Diverses adaptations sont cependant louées chez les tankistes : quantité minimale requise d’obus dans le coffre à munitions, conduite systématique de la reconnaissance via des drones…

Une guerre longue se mène avec un soutien industriel. Que recommandent les cercles stratégiques ?

Bien qu’elle soit affaiblie par les sanctions, l’industrie d’armement russe ne s’est pas effondrée. Pourtant, la production russe reste très dépendante des technologies de pointe occidentales – qu’elle continue de se procurer dans une certaine mesure – et l’Etat privilégie des produits chinois de moindre qualité, y compris des drones de petite taille. Les élites militaires brossent un portrait pessimiste de cet ensemble et sont pleinement conscientes de l’impact délétère des sanctions occidentales sur le complexe militaro-industriel russe. Certains acteurs gravitant à l’intersection des communautés militaires et industrielles russes y voient aussi l’opportunité de proposer leurs solutions et projets particuliers (simulateurs tactiques, systèmes de lutte anti-drone, drones, service logistique), et, peut-être, d’en tirer des bénéfices.

[…]

 

> Lire l’interview sur le site de L’Express

Aperçu historique et juridique du conflit arméno-azerbaïdjanais

Aperçu historique et juridique du conflit arméno-azerbaïdjanais

 

par Laurent Leylekian – CF2R – publié le 30 août 2023

Analyste politique

L’Azerbaïdjan a déclenché l’assaut en sachant que les Russes ne mettront pas de feu rouge

par Tigrane Yegavian* – CF2R – publié le 19 septembre 2023

https://cf2r.org/presse/lazerbaidjan-a-declenche-lassaut-en-sachant-que-les-russes-ne-mettront-pas-de-feu-rouge/

*Chercheur (Moyen-Orient, monde lusophone)

New Delhi veut accroitre le format de la Marine indienne de 30 % d’ici à 2030 pour faire face à la Chine

New Delhi veut accroitre le format de la Marine indienne de 30 % d’ici à 2030 pour faire face à la Chine


Indian Navy INS Nilgiri News Photo Video Constructions Navales militaires | Contrats et Appels d'offre Défense | Coopération internationale technologique Défense

New Delhi veut accroitre le format de la Marine indienne de 30 % d’ici à 2030 pour faire face à la Chine


La Marine indienne a entrepris, depuis une vingtaine d’années, un vaste effort pour se moderniser et étendre son format. Plusieurs programmes emblématiques ont ainsi été lancés durant cette période, comme P75 pour 6 sous-marins conventionnels de la classe Kalvari dérivés du Scorpène de Naval Group, le porte-avions de 45.000 tonnes INS Vikrant ou encore les destroyers du projet 15A de la classe Kolkata.

Si les efforts et les budgets ont été incontestablement croissants, l’Indian Navy souffre toutefois de deux handicaps importants. Le premier est lié à la difficulté dans le pays pour faire avancer rapidement des programmes majeurs, mobilisant d’importants crédits.

Les obstacles qui freinent la progression de la Marine indienne

De nombreux obstacles, qu’ils soient politiques ou industriels, viennent, en effet, souvent retarder, voire faire dérailler, des programmes de défense pourtant critiques. C’est ainsi que le programme P-75i, censé permettre la construction de six nouveaux sous-marins à propulsion anaérobie, n’a toujours pas sélectionné son prestataire principal, alors qu’il a été lancé il y a quatre ans.

Le second des handicaps n’est autre que la croissance fulgurante, et pour le coup maitrisé, de la flotte chinoise, bien plus rapidement qu’elle ne peut, elle-même, progresser. Cela crée un évident effet de loupe sur ses propres difficultés, et tend à accroitre les tensions politiques qui entourent ces enjeux de sécurité.

INS Kalvari sent to the dock for setting afloat to Naval Dockyard Mumbai e1634215958315 Constructions Navales militaires | Contrats et Appels d'offre Défense | Coopération internationale technologique Défense
Lancement de l’INS Kalvari, premier sous-marin de la classe éponyme construit par les chantiers navals Mazagon en coopération avec Naval Group.

En effet, bien que fréquemment présentée comme alignée sur la Chine au sein des BRICS, New Delhi est surtout directement menacée par la montée en puissance de l’Armée Populaire de Libération, que ce soit sur les haut-plateaux Himalayens, lieux de tensions récurrentes entre les deux pays, qu’au sujet du soutien militaire intensif de Pékin à Islamabad, l’ennemie juré de l’Inde depuis sa création.

Le défi des marines chinoises et pakistanaises

La Marine indienne, elle, se voit directement menacé par une Marine chinoise dont le format évolue aussi rapidement que sa modernisation, et qui par ailleurs fait activement profiter son allié pakistanais de ses propres avancées.

C’est ainsi que, ces dernières années, la Marine Pakistanaise a commandé, outre les quatre corvettes de la classe Barbur dérivées des Ada Turques, huit sous-marins AIP Type 039A formant la classe Hangor, ainsi que quatre frégates anti-sous-marines Type 054 AP formant la classe Tughril.

De fait, les navires de combat formant aujourd’hui la Marine indienne, sont bien insuffisants pour répondre aux enjeux sécuritaires dans le golfe du Bengale face à la Chine et en Mer d’Oman face au Pakistan.

Porte-avions Liaoning et son escorte
La Marine chinoise est passée en deux décennies d’une flotte de défense côtière à la rivale directe de l’US Navy sur les océans de la planète.

C’est ainsi que le format actuel de 127 navires, doit être porté d’ici à 2030 à 160 navires, soit une augmentation du 25 % planifiée pour les sept années à venir, et d’atteindre 175 unités navales, voire 200, en 2035.

68 navires militaires en commande à ce jour

Pour y parvenir, les chantiers navals indiens peuvent aujourd’hui s’appuyer sur un carnet de commande particulièrement bien rempli, avec 68 unités navales officiellement en commande à ce jour.

Il va du destroyer de 7.400 tonnes de la classe Visakhapatnam (2 unités livrées, 2 en construction) aux corvettes anti-sous-marines du programme AntiSubmarine Warfare Shallow Water Craft (ASW-SWC) de 700 tonnes (16 unités), en passant par les 7 frégates furtives de 6.500 tonnes de la classe Nilgiri, et les 5 grands navires de soutien de 44.000 tonnes pour l’heure désignés sous le nom de classe HSL.

Pour autant, la plupart de ces navires ne permettront que de remplacer les unités déjà en service et ayant atteint leurs limites, comme les destroyers de la classe Raiput ou les 7 corvettes lance-missiles de la classe Veer, entrés en service dans les années 80.

destroyer INS Visakhapatnam
Construction du premier destroyer de la classe Visakhapatnam – 2 navires ont déjà été livrés, deux autres le seront dans les années à venir.

Il est donc aujourd’hui indispensable, pour l’Indian Navy, de lancer rapidement certains programmes critiques, comme le programme de sous-marins AIP P75i, mais aussi les programmes de destroyers, frégates, corvettes et OPV devant prendre la suite des classes actuellement commandées.

 

Sous-marins classe Kalvari et porte-avions classe Vikrant supplémentaires

Cet écart entre nécessité opérationnelle et réalité programmatique, est à ce titre au cœur de la future commande 3 sous-marins Scorpene supplémentaires annoncée par Narendra Modi à l’occasion de sa visite officielle en France pour les célébrations du 14 juillet.C’est cette pression qui, en partie, pèse aujourd’hui sur l’avenir du nouveau porte-avions indien, l’amirauté préférant construire un nouveau navire de la classe de l’INS Vikrant de 45.000 tonnes, plutôt qu’un nouveau, donc long et onéreux, porte-avions de 65.000 tonnes équipés de catapultes, comme précédemment évoqué.C’est aussi la raison qui pousse l’Indian Navy à privilégier, parmi l’ensemble des programmes à venir, la construction d’une flotte de sous-marins nucléaires d’attaque, domaine dans lequel l’aide de la France a été sollicité semble-t-il, ceci ayant pesé dans la commande des 3 Scorpene supplémentaires à venir.

 

Marine indienne INS Vikrant
La Marine indienne privilégie la construction d’un second porte-avions de la classe Vikrant de 45.000 tonnes, à celle d’un nouveau porte-avions de 65.000 tonnes équipés de catapultes.

Quoi qu’il en soit, si la Marine Indienne veut effectivement relever le défi chinois, et sa flotte de plus de 360 navires aujourd’hui, de plus de 500 en 2035, elle devra trouver les moyens de lever toutes les difficultés, notamment politique et industrielle, qui entravent considérablement son développement.

On notera, à ce titre, que ces mêmes difficultés touchent aussi les forces aériennes et terrestres indiennes, l’ensemble des armées étant engagées dans une course contre-la-montre pour ne pas se laisser distancer face à Pékin et Islamabad qui, eux, avancent à marche forcée.

Sanctions occidentales contre la Russie : l’Asie à la rescousse de Moscou

Sanctions occidentales contre la Russie : l’Asie à la rescousse de Moscou

ANALYSE. La relative résistance de l’économie russe s’explique notamment par la place grandissante du yuan chinois dans ses échanges financiers extérieurs. Par Carl Grekou, CEPII; Lionel Ragot, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières et Valérie Mignon, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

                                                                                                  (Crédits : Reuters)

 

Avant d’envahir l’Ukraine en février 2022, la Russie avait, semble-t-il, anticipé les sanctions financières occidentales. Malgré celles-ci, et celles qui ont ciblé son commerce, l’économie russe a en effet affiché une relative solidité dans les mois qui ont suivi le début de la guerre. Ce résultat reflète la réallocation géographique rapide de son commerce extérieur et sa préparation aux sanctions, avec la mise en place de nombreux circuits de contournements et un pivot manifeste vers l’Inde, la Turquie, et surtout la Chine.

En 2022, la Russie a enregistré un excédent commercial de 284 milliards de dollars vis-à-vis de ses principaux partenaires commerciaux. Cet excédent considérable, plus du double de celui de 2019, masque néanmoins les tendances du commerce russe depuis le déclenchement du conflit. En effet, l’excédent commercial qui atteignait près de 33 milliards de dollars en mars et avril 2022 s’est considérablement réduit depuis – 14 milliards en décembre (graphique 1a) -, mais reste toutefois supérieur à ce qu’il était en moyenne mensuelle entre 2019 et 2021 (10 milliards de dollars).

Sous les effets cumulés de la hausse des prix de l’énergie et de la montée en puissance progressive des sanctions, les exportations russes, après avoir progressé en début d’année, ont entamé une baisse graduelle à partir d’avril 2022 (graphique 1b). Mais, grâce à la réorientation de ses échanges vers les pays non alignés – ceux qui n’ont pas pris de sanctions à son encontre à la suite de l’invasion de l’Ukraine – la Russie a pu préserver des recettes plus élevées que celles enregistrées en moyenne entre 2019 et 2021.

Un tournant commercial vers l’Asie

Du côté des importations, la chute massive, dans la foulée de l’invasion de l’Ukraine, de 18 milliards à 8,5 milliards de dollars entre février et avril 2022, a été suivie d’une reprise lente jusqu’à un retour, au dernier trimestre 2022, au niveau mensuel moyen observé sur la période 2019-2021, essentiellement grâce à la Chine (graphique 1c).

Graphique 1 : Une réallocation du commerce extérieur russe vers les pays non alignés

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 Les pays alignés sont ceux qui ont appliqué des sanctions commerciales durant l’année 2022 à l’encontre de la Russie ; les « non-alignés » sont les pays qui n’ont pas adopté de sanctions.Source: Calculs des auteurs à partir de Eurostat, base de données Comext, Nations unies, base de données UN Comtrade et Service des douanes de la Corée du Sud.Récupérer les données.

En décembre 2022, cette dernière fournissait en effet 52 % des importations russes, contre 27,6 % en moyenne sur la période 2019- 2021, de quoi compenser la baisse des importations en provenance des pays alignés, essentiellement de l’Union européenne (UE) dont la part dans les importations russes n’était plus que de 24 % en décembre 2022 contre 48 % en moyenne sur la période 2019-2021. En définitive, l’Inde, la Chine et la Turquie ont offert des débouchés aux exportations russes tandis que, côté importations, la Chine a remplacé les pays alignés.

De nouvelles destinations pour le pétrole russe

Représentant 52 % de ses exportations en 2022, les produits pétroliers ont permis à la Russie d’engranger 238 milliards de dollars (exportations nettes) au cours de l’année. Malgré les restrictions croissantes visant ces produits, dans le but d’affaiblir ses recettes d’exportations et de rendre l’effort de guerre plus difficile, la Russie a profité de la hausse des prix de l’énergie, dans un contexte de reprise post-crise sanitaire, et de la fragmentation internationale quant aux sanctions à adopter en réponse à son agression pour maintenir, voire accroître sa rente pétrolière (graphique 2).

Alors qu’à partir de mars 2022, du fait des embargos mis en place rapidement, les flux à destination des États-Unis et du Royaume-Uni déclinent et atteignent, dès le mois de mai des quantités négligeables, que l’UE – un peu plus lentement – réduit ses importations (passant d’environ 12 milliards de dollars en mars à 6 milliards en décembre 2022), la Chine, et surtout l’Inde ont vu leurs importations augmenter (graphique 2).

Graphique 2 : Les exportations de produits pétroliers déroutées vers l’Inde et la Chine

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Source: Calculs des auteurs à partir de Eurostat, base de données Comext, Nations unies, base de données UN Comtrade et Service des douanes de la Corée du Sud.Récupérer les données

Une relative résilience des importations

Si, grâce à la Chine, les importations russes ont fait preuve de résilience, cela ne signifie pas pour autant qu’elle s’est substituée à l’Europe sur les produits sanctionnés. La Chine peut en effet avoir accru ses exportations sur les produits non sanctionnés ou les avoir augmentées au-delà de la baisse des exportations européennes vers la Russie sur certains produits sanctionnés, et peu sur d’autres, de telle sorte que l’on observe une variation des exportations chinoises d’une ampleur qui ne reflète pas la réalité de la substitution.

Et c’est, d’une certaine manière, ce que l’on constate : sur plus de 2 milliards de dollars de baisses d’importations en provenance de l’UE, la compensation a été de moins de 10 %, tandis qu’elle n’a été supérieure à 80 % que pour 515 millions de dollars de baisses d’importations.

Ainsi, alors que la Chine est le principal pays qui a compensé les baisses d’importations en provenance d’Europe du fait des sanctions, moins de 24 % l’ont été ; le cas le plus flagrant étant celui des importations de matériel de transport en provenance d’Europe pour lesquelles plus des 75 % de la baisse – très forte – n’ont pas été compensées.

Une dédollarisation en faveur du yuan

En revanche, la Chine a offert à la Russie des moyens de contourner les sanctions financières. Il faut dire que depuis les sanctions liées à l’annexion de la Crimée en 2014, la banque centrale russe a non seulement fortement accumulé des réserves, mais aussi diversifié ses avoirs étrangers. Alors que la part du dollar dans les réserves s’élevait à 44 % 2014, celle-ci n’était plus que de 11 % en 2022, une partie importante des réserves ayant été transférée vers le yuan et l’or : le yuan représentait 17 % des réserves et 22 % d’entre elles étaient détenues en or fin 2022 (graphique 3a).

Contrairement à 2014, la banque centrale s’était donc préparée aux restrictions avant l’invasion de l’Ukraine, en « dédollarisant » ses réserves de change, ce qui a permis au rouble, après s’être fortement déprécié face au dollar à la suite du déclenchement du conflit et des sanctions de février 2022, de rapidement revenir à son niveau d’avant-guerre, atteignant le taux de 54,5 roubles pour un dollar en juin 2022, niveau jamais connu depuis 2015 – en moyenne mensuelle.

En autorisant en septembre 2022 la Chine à payer ses achats de gaz russe en yuans et en roubles, Moscou a aussi, par ce biais, accentué la dédollarisation de l’économie russe. Cette inflexion concerne l’ensemble des exportations : ainsi, avant l’invasion de l’Ukraine, plus de 80 % des exportations étaient libellées en monnaies des pays alignés comme le dollar et l’euro, contre 12 % pour le yuan ; ce dernier atteint fin 2022 plus de 35 % dans le paiement des exportations, la part du dollar et de l’euro étant quant à elle passée sous la barre des 50 % (graphique 3b).

Graphique 3 : La diversification des réserves internationales et la dédollarisation de l’économie russe en 2022

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Au total, l’évolution des échanges commerciaux et du rouble montre qu’il ne fallait pas attendre des sanctions occidentales un effondrement immédiat de l’économie russe. Leurs effets devront être appréhendés à plus longue échéance puisqu’en rendant l’effort de guerre plus difficile pour la Russie, elles devraient peser à terme sur les plans économique, financier et technologique. Ces effets commencent d’ailleurs à se faire sentir avec une dépréciation du rouble de l’ordre de 30 % depuis le début de l’année 2023 – particulièrement marquée depuis la fin du printemps – en raison notamment du poids financier de la guerre, couplé à la baisse des recettes pétrolières du fait des sanctions entrées en vigueur fin 2022.

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Par Carl Grekou, Économiste, CEPII ; Lionel Ragot, Conseiller scientifique au CEPII, professeur d’économie, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières et  Valérie Mignon, Professeure en économie, Chercheure à EconomiX-CNRS, Conseiller scientifique au CEPII, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

Cet article reprend des extraits de la lettre du Cepii de juillet-août 2023 intitulée « Russie : sanctions occidentales et échappatoires orientales » et accessible gratuitement en version intégrale sur le site du Cepii.

Le Niger…et après

Le Niger…et après

 

par Vincent Gourvil (*) – Esprit Surcouf – publié le 8 septembre 2023
Docteur en Sciences Politiques

https://espritsurcouf.fr/humeurs_le-niger-et-apres_par_vicent-gourvil/


« Le respect de la souveraineté signifie ne pas autoriser les actions anticonstitutionnelles et les coups d’État, la destitution du pouvoir légitime ». Cette allégation de Vladimir Poutine ne manque pas de sel à la lumière des derniers développements au Sahel. Après les coups d’état au Mali, en Guinée, au Burkina Faso et en République centrafricaine, c’est au tour du Niger de s’éloigner de la France et de l’Occident… et de se rapprocher de la Russie.

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Rares étaient les experts ayant envisagé l’hypothèse d’un renversement par une junte militaire (le 27 juillet) du président nigérien Mohamed Mazoum, élu en mars 2021. Le pays paraissait stable, à l’abri des spasmes traversant l’Afrique de l’Ouest. Et pourtant !

Deux questions méritent d’être posées. Pourquoi le Niger aujourd’hui ? Et, par effet domino, pourquoi d’autres demain ?

Niger : l’étrange surprise;

Lors du conseil de défense du 29 juillet, Emmanuel Macron aurait reproché à Bernard Émié de n’avoir rien vu du putsch du général Abdourahmane Tchiani, au Niger. Il aurait ainsi apostrophé le DGSE (Directeur Général de la Sécurité Extérieure) : « Le Niger, après le Mali, cela fait beaucoup ». Ce reproche pourrait être retourné contre le chef de l’État tant sa politique africaine repose sur une conjugaison d’erreurs d’appréciation et de certitudes infondées (lire son discours devant les ambassadeurs du 18 août 2023). Il ne semble pas avoir pris la mesure du sentiment anti-France qui se développe sur le continent, se renforce à la faveur de la guerre russo-ukrainienne. Ne nous étonnons pas de voir la RCA, le Mali, le Burkina Faso et d’autres se tourner vers Moscou. Nos discours sur la démocratie et ses valeurs …. agacent.

Le Niger n’échappe pas à ce tsunami qui balaie notre présence en Afrique. La population nous reproche notre présence militaire, l’association du pays à notre lutte contre le djihadisme, notre acceptation des dérives démocratiques du président déchu. Nous négligeons l’exercice de la prévision, si risqué et si aléatoire soit-il dans le monde aussi incertain et complexe d’aujourd’hui. Envisageons-nous encore que la seule réponse sécuritaire puisse résoudre des problèmes aux causes plurifactorielles dépassant la seule problématique de la lutte contre le terrorisme ?

Réalisons-nous que le temps joue en faveur des putschistes nigériens ? Réalisons-nous que l’option d’une intervention militaire de la CEDEAO ne fait pas consensus en Afrique ? Réalisons-nous que la junte joue la division entre Paris et Washington ? Elle n’a signifié aucun « avis d’expulsion » aux 1 100 soldats américains présents sur place. Toutes ces questions sont-elles posées alors que l’avenir semble problématique pour notre pays au Sahel, voire au-delà ?

 

Après l’attaque par la foule de l’ambassade française à Niamey, tous les ressortissants français et européens qui le souhaitaient ont été évacués par avions A 400M français et belges.  Photo d’archives.


L’effet domino :

Le moins que l’on puisse dire est que notre politique étrangère souffre d’un défaut d’approche globale spatio-temporelle des grandes problématiques internationales du moment. La récente réforme du corps diplomatique n’est pas faite pour pallier ce lourd handicap. Aujourd’hui, plusieurs questions incontournables se posent au sujet de l’Afrique. Avons-nous pris conscience que l’Afrique change ? A-t-on lancé une vaste réflexion sans tabou sur notre politique africaine pour anticiper et nous préparer à l’impensable ? Quid si tous les États du Sahel (Sénégal dont le président réduit l’opposition au silence, Côte d’Ivoire, Tchad …) rejoignaient, par effet domino, le groupe des contempteurs de la France dans un avenir rapproché à la suite de coups d’État militaires ? À son tour, après 50 ans de dictature, le Gabon connaît un renversement du régime d’Ali Bongo le 30 août 2023.

Quid de la présence de nos bases en Afrique alors que les Américains y sont de plus en plus présents ? Quid de la pérennité de nos intérêts économiques menacés par d’autres ? Quid de l’analyse du sentiment croissant de rejet de la France par une jeunesse désemparée ? Quid de la stratégie française future au Niger et sur le continent ? Cette liste de questions n’est pas exhaustive.

Il y a fort à parier que la dimension prospective de notre politique étrangère est limitée. Pourtant, l’adage rappelle que gouverner, c’est prévoir. Or, dans les allées du pouvoir, on privilégie la communication et la tactique. On en mesure les résultats concrets. Où sont donc les passeurs d’idées, les fonctionnaires clairvoyants, les conseillers courageux qui osent écrire le contraire de ce que l’on attend d’eux en haut lieu alors que le coup d’État au Niger, sans oublier celui du Gabon, n’annonce rien de bon pour notre présence en Afrique ?

La pensée stratégique en crise;

« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres » (Antonio Gramsci). Nous sommes les témoins de l’évolution d’un monde d’où émergent de nouveaux acteurs, de nouvelles règles du jeu. Ce tournant nous aveugle sur la complexité du temps. Souhaitons-nous en tirer les conséquences qui s’imposent, la remise à plat de notre politique étrangère ?

Ce qui vaut pour l’ensemble de la planète (nos échecs en Afghanistan, en Syrie…dans la guerre contre le terrorisme), vaut également pour l’Afrique (notre échec en Libye). Nous pensons au Sahel après le coup d’état au Niger, voire au Gabon plus au Sud. Faute d’un changement complet de logiciel, nous courons le risque d’aller de mauvaise surprise en mauvaise surprise pour les autres pays de la zone qui entretiennent – mais pour combien de temps encore ? – de « bonnes » relations avec la France. Un sursaut salutaire s’impose de toute urgence.

Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur.


(*) Vincent Gourvil est le pseudonyme d’un haut fonctionnaire, par ailleurs Docteur en Sciences Politiques.