Pour le moment, ce programme, lancé en 2017 sous la direction de l’Allemagne, reste bloqué à la phase d’étude d’achitecture, dite « SADS Part 1 », régulièrement prolongée, le temps de trouver un accord entre les industriels concernés sur le partage des tâches. Ne devant initalement pas participer à ce projet mais imposé par Berlin, Rheinmetall s’oppose à Nexter, associé à Krauss-Maffei Wegmann [KMW] au sein du groupe franco-allemand KNDS, au sujet de l’armement de ce futur char de combat, appelé à remplacer le Leclerc et le Leopard 2.
Plus précisément, Rheinmetall cherche à imposer son canon de 130 mm L/51 associé à un chargeur automatique de « pointe » tandis que Nexter veut pousser sa solution ASCALON. Mais ce point n’est pas la seule pomme de discorde… le principe de cette coopération reposant sur un partage industriel équitable [soit à 50-50] entre la France et l’Allemagne.
Cependant, fin novembre, La Tribune a indiqué qu’un accord venait d’être trouvé par les Nexter et Rheinmetall… Mais, pour le moment, et contrairement pour le SCAF, aucune annonce officielle n’a été faite.
Et pour cause : selon l’hebdomadaire économique Wirtschaftswoche, qui s’appuie sur les confidences de responsables « proches du dossier », il n’y a « pas de réel progrès sur aucun point crucial » en raison de « divergences persistantes » entre Rheinmetall et KNDS.
« Il s’agit de répartir le travail sur ce projet de 100 milliards d’euros entre les trois industriels [Nexter, Krauss-Maffei Wegmann et Rheinmetall] de manière à ce que l’Allemagne n’obtienne pas plus que la France au final », a résumé l’une des sources du magazine allemand. Et celle-ci d’ajouter : « Le différend dure depuis maintenant longtemps car les gouvernements n’incitent pas les industriels à trouver un accord, contrairement pour le SCAF. Or, sans cette pression, un accord semble actuellement pratiquement impossible ».
En effet, les positions des uns et des autres semblent inconciliables en l’état… Surtout entre les deux industriels allemands impliqués dans le programme.
Lors du dernier salon d’EuroSatory, dédié à l’armement aéro-terrestre, Rheinmetall a dévoilé un nouveau char de combat, le KF-51 « Panther », en le présentant comme un potentiel successeur du Leopard 2.
« Dans toute l’Europe, environ 1’000 des 8’000 chars de combat seront remplacés d’ici 2030. Avec notre nouveau Panther, nous voulons livrer au moins la moitié de ce volume, soit environ 500 unités », expliquera Armin Papperger, le Pdg de Rheinmetall, dans les pages du quotidien Handelsblat. Difficile de ne pas y voir la volonté du groupe de Düsseldorf de mettre la main sur le programme franco-allemand, si ce n’est de le torpiller.
Cependant, dans un entretien accordé au magazine « European Defence Matters » [.pdf], publié par l’Agence européenne de Défense [AED], M. Papperger s’est défendu de vouloir concurrencer le MGCS.
« Le Panther est notre réponse aux exigences actuelles. Au vu de la la situation sécuritaire en Europe aujourd’hui, je suis très heureux que nous ayons décidé de le développer. […] Les concepts des chars existants ont 40 ans pour la plupart. De nombreux pays envisagent de renouveler leurs anciens systèmes, ce qui est plus urgent que jamais » mais « nous voyons le Panther comme un pont vers le MGCS, qui d’ailleurs ne sera disponible qu’au milieu de la prochaine décennie au plus tôt. De plus, il offre une alternative aux pays qui ne souhaitent pas participer à ce programme », a soutenu M. Papperger, assurant que le char franco-allemand « bénéficiera [des] technologies » de Rheinmetall.
Sauf que, et même si KNDS a développé l’ »Enhanced Main Battle Tank » [EMBT], Ralf Ketzel, le Pdg de Krauss-Maffei Wegmann [et par ailleurs administrateur de Nexter] n’est pas du tout de cet avis… Au point de tirer à boulets rouges sur Rheinmetall, dans les colonnes du quotidien Münchner Merkur.
« Le but du projet MGCS n’est pas seulement de construire un nouveau char. Nous pouvons le faire rapidement. Il s’agit de développer une technologie toute nouvelle, avec la mise en réseau et l’utilisation de systèmes pouvant être mis en oeuvre sans équipage », a d’abord rappelé M. Ketzel. Et pour lui, l’arrivée de Rheinmetall dans ce programme a conduit à une « complexité considérablement accrue » tout en « affaiblissant » sa direction.
« KMW est le leader européen des systèmes pour les chars lourds. La décision a été prise en Allemagne d’intégrer également Rheinmetall. En France, en revanche, Nexter est le seul partenaire qui accompagne l’armée française dans tous ses aspects. Dans un projet commun franco-allemand, il aurait été naturel de miser sur Nexter et KMW. L’implication de Rheinmetall n’est donc pas claire pour moi », a insisté Ralf Ketzel.
Et celui-ci est allé en encore plus loin. « Nous portons un regard très critique. [Avec le KF-51 « Panther »], Rheinmetall se lance dans un domaine où nous envisageons une coopération franco-allemande. […] Aujourd’hui, l’un des trois partenaires propose sa propre solution. D’un point de vue économique, c’est logique. Mais si vous violez un partenariat au sein d’un consortium, vous ne pouvez plus en faire partie », a-t-il déclaré. En clair, à ses yeux, le groupe de Düsseldorf n’a plus sa place dans le programme MGCS.
Quant au KF-51 en lui-même, le Pdg de KMW a été très sévère à son endroit. C’est « essentiellement un concept de char conventionnel construit autour d’un canon de 130 mm, avec une coque de Leopard 2. Il n’a rien de nouveau », a-t-il dit, avant de décocher d’autres flèches.
« Le Leopard est et restera à la pointe de la technologie dans un avenir proche. Nous nous attendons à ce que le Leopard reste l’épine dorsale des forces terrestres de nombreuses armées pour les décennies à venir. Le KF-51, en revanche, est davantage un projet PowerPoint 3D », a taclé M. Ketzel. « Au final, la question décisive sera : Voulons-nous abandonner la coopération fonctionnelle entre les 14 nations européennes qui utilisent le Leopard au profit d’un nouveau char qui n’offre pas du tout le bond technologique attendu? », a-t-il demandé.