L’armée de Terre veut un nouveau missile anti-char « abordable » et « répondant à des besoins précis »

L’armée de Terre veut un nouveau missile anti-char « abordable » et « répondant à des besoins précis »

 

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Pour l’essentiel, l’armée de l’Air & de l’Espace ainsi que la Marine nationale en seront les principales bénéficiaires… En effet, selon son chef d’état-major [CEMAT], le général Pierre Schill, l’armée de Terre disposera d’une enveloppe de 2,6 milliards d’euros sur la période 2024-30 pour financer l’acquisition de ses munitions, dont « 16 millions de munitions ‘petit calibre’, 300’000 obus de mortiers, 3’000 missiles moyenne portée et 2’000 munitions télé-opérées ».

Or, selon un rapport du Sénat, publié en 2018, un Missile Moyenne Portée [MMP, appelé maintenant Akeron MP] coûtait à l’époque près de 198’000 euros l’unité. Aussi, l’achat de 3’000 exemplaires consommerait le quart du budget alloué à l’armée de Terre pour ses munitions. Celui-ci aurait-il dû être plus élevé? C’est, en tout cas, ce que laissent entendre les propos tenus par le général [air] Cédric Gaudillière, chef de la division « Cohérence capacitaire » de l’État-major des armées, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, en avril [le compte-rendu vient d’être publié].

« Avec les 16 milliards d’euros alloués aux munitions, il est prévu de commander plus de 6’000 munitions complexes telles que des missiles antichar, anti-navires, air-air ou de croisière, ainsi que des torpilles, et d’en livrer plus de 4’000. Notre objectif est de compléter les stocks de munitions complexes et de remédier aux fragilités identifiées dans certains secteurs », a d’abord précisé le général Gaudillière.

Et d’ajouter : « Dans le détail, environ 11 milliards d’euros sont consacrés aux programmes à effet majeur, qui incluent des munitions complexes, tandis que 3 milliards permettront d’acheter des munitions plus classiques comme les obus et 2 milliards, d’assurer le maintien en condition opérationnelle de l’ensemble des munitions. Une rénovation des munitions à la moitié de leur vie peut en effet être nécessaire pour en garantir l’efficacité car certains de leurs composants deviennent obsolètes après environ douze ans d’utilisation ».

Mais plus généralement, l’approche retenue pour élaborer le projet de LPM 2024-30 consiste à « privilégier la cohérence avant la masse »… Cela étant, l’un des leviers pour générer de la masse est la « différenciation ».

Ainsi, a expliqué le général Gaudillière, il a été décidé de « ne pas commander 10’000 missiles antichar » de haute technologie, « longs et coûteux à produire ». Et s’il a été fait le choix d’acquérir « plusieurs milliers de missiles de haute technologie MMP développés par MBDA », il est aussi question de « travailler simultanément sur un missile différencié à bas coût, répondant à certaines besoins spécifiques, tels que les tirs de char en milieu urbain », a-t-il dit.

De tels missiles peu onéreux existent déjà… Comme par exemple le NLAW. Conçu par Saab Bofors Dynamics et produit par Thales Air Defence pour un prix unitaire de 20’000 livres sterling, il a démontré l’étendue de ses capacités en Ukraine puisque engins livrés par le Royaume-Uni aux forces ukraniennes seraient responsables de la destruction de 30 à 40% des 600 blindés que les forces russes ont perdus entre le février et avril 2022.

Par ailleurs, en janvier dernier, la Direction générale de l’armement [DGA] a commandé un nouveau lot de roquettes anti-char AT4 F2 [ou NG, pour nouvelle génération] auprès de Saab Bofors Dynamics pour 24 millions d’euros. Et cela en complément des missiles Eryx.

Mais, a priori, le ministère des Armées envisage le développement d’un nouveau missile anti-char peu onéreux. « En utilisant les leçons tirées de l’expérience ukrainienne, nous travaillons à la conception d’un missile abordable et pouvant être acquis en grande quantité, et qui réponde à des besoins opérationnels précis », a en effet avancé le général Gaudillière.

Par ailleurs, celui-ci a aussi laissé entendre que l’approvisionnement en obus de 155 mm pour l’artillerie était actuellement compliqué, alors que 20’000 ont récemment été commandés.

« La livraison des 20’000 obus ne sera pas aussi rapide qu’espéré, car les poudres, qui arrivent d’Allemagne, se trouvent sur le chemin critique. Nous recevrons les premiers obus l’année prochaine, mais la livraison s’accélérera à partir de 2025 », a-t-il dit.

D’où l’intérêt de relocaliser une filière poudre en France, et plus précisément à Bergerac, via le groupe Eurenco, comme l’a annoncé Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, en février dernier.

En attendant, il s’agit de « faire autrement »… Et de se lancer dans le recyclage. « Nous avons trouvé [dans l’Établissement Principal des Munitions] de Brienne-le-Château des munitions d’artillerie : nous allons utiliser les poudres, les reconditionner à Bergerac et fabriquer des charges modulaires pour des munitions de 155 millimètres », a en effet expliqué le général Gaudillière. « Nous ne nous interdisons plus rien et nous déployons des processus novateurs ; si nous parvenons à livrer des charges modulaires plus rapidement, l’arrivée de certains des composants de ces 20’000 munitions pourrait être avancée », a-t-il conclu.

Photo : Missile Eryx tiré lors d’un exercice au Royaume-Uni – MoD

LPM 2024-2030 : Audition du général de corps d’armée Jacques Langlade de Montgros, Directeur de la DRM (Assemblée nationale, 13 avril 2023)

LPM 2024-2030 : Audition du général de corps d’armée Jacques Langlade de Montgros, Directeur de la DRM (Assemblée nationale, 13 avril 2023)


 

M. le président Thomas Gassilloud. Nous recevons M. le général de corps d’armée Jacques Langlade de Montgros, directeur du renseignement militaire (DRM) depuis avril 2022.

Avec cette audition, nous achevons le cycle consacré aux services du premier cercle dépendant du ministère des armées.

Général, nous sommes ravis de vous accueillir. Saint-cyrien, vous êtes passé par l’École d’application de l’arme blindée cavalerie de Saumur. Vous avez effectué la première partie de votre carrière parmi les parachutistes, servant notamment en Bosnie, au Rwanda, au Tchad, en République centrafricaine ainsi qu’en Afghanistan. Vos derniers postes vous ont amené à commander la 11e brigade parachutiste à Toulouse, puis la mission de l’Union européenne en RCA.

À la tête de la DRM, vous avez de nombreux défis à relever : le recrutement et la fidélisation du personnel, comme souvent dans l’armée ; la coordination de la fonction interarmées du renseignement et les échanges avec les autres services de renseignement ; la réorganisation interne de la direction et l’amélioration de l’exploitation des données du renseignement militaire. Dans la mesure où les capteurs sont de plus en plus précis et nombreux, vous avez une avalanche de données à traiter pour trouver l’information pertinente.

Lors de ses vœux aux armées, le Président de la République a annoncé un doublement des crédits consacrés à la DRM. Vous reviendrez sans doute sur la manière dont vous envisagez d’utiliser ces crédits.

Sur l’ensemble de ces sujets et tous ceux que vous souhaiteriez aborder, nous serions ravis d’avoir votre analyse.

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros, directeur du renseignement militaire. Voilà un an, jour pour jour, que j’ai pris mes fonctions. La DRM agit à la fois pour le chef d’état-major des armées, au niveau stratégique, et au profit des forces en opération, au niveau tactique. Cette dualité est une singularité de la DRM par rapport aux autres services de renseignement. Elle joue un rôle de coordination de la fonction renseignement entre toutes les unités de renseignement des armées.

Nous produisons du renseignement d’intérêt militaire, c’est-à-dire une compréhension des capacités militaires des compétiteurs et groupes armés susceptibles de nuire à nos intérêts ou à nos forces. Ma mission est de réduire le niveau d’incertitude.

J’agis simultanément dans trois espaces-temps différents : le temps long, qui est celui de l’anticipation, de six à vingt-quatre mois – au-delà, c’est de la prospective, pas du renseignement ; le temps moyen, qui est celui de la décision, au cours duquel le chef d’état-major des armées pose les options stratégiques en conseil de défense ; le temps court, qui est celui de l’action, à savoir l’appui aux forces armées en opération.

Parmi les défis auxquels est confronté le renseignement militaire, il y a tout d’abord le fait que le renseignement est un domaine infini, tandis que, par principe, les moyens dont nous disposons sont finis. Ce défi est propre à tous les services de renseignement. Il s’agit donc avant tout de prioriser, c’est-à-dire de renoncer.

Le deuxième défi consiste à trouver l’équilibre entre les données recueillies et les données exploitées. Or on observe un écart croissant entre les deux.

Le troisième défi réside dans l’illusion de la transparence, qui consiste à croire que tout existe en sources ouvertes et que tout renseignement est susceptible d’être déclassifié.

Plus globalement, on constate un élargissement du champ d’action du renseignement d’intérêt militaire, dans tous les milieux – terre, air, mer, espace et cyberespace – et la nécessité impérieuse de s’adapter au contexte stratégique. C’est ce qu’a fait la DRM il y a deux ans, soit bien avant le 24 février 2022, pour identifier la montée en puissance du dispositif russe autour de l’Ukraine.

Ma priorité, en matière de recherche – non seulement pour la DRM mais aussi pour l’ensemble de la fonction interarmées du renseignement que je coordonne –, est de contribuer à la capacité d’action de la force de dissuasion en fournissant des renseignements sur les forces nucléaires adverses.

S’agissant de la zone européenne, la guerre en Ukraine est la priorité. À cet égard, on constate une guerre d’usure s’inscrivant dans la durée. Cela nécessite de mesurer de façon aussi précise que possible les capacités de régénération de chacun des belligérants et l’évolution du rapport de forces entre les deux. Cette crise a des effets dominos dans d’autres parties du monde, peut-être moins visibles mais tout aussi réels – je pense à la guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, qui a retrouvé de la vigueur.

L’Afrique, pour autant, n’est pas sortie du spectre de notre intérêt. Plusieurs compétiteurs y font preuve d’un entrisme croissant, notamment la Russie et la Chine, chacune de façon différente. La menace terroriste n’a pas disparu ; elle continue même à s’étendre vers le golfe de Guinée. La fragilité de certains États africains est une réalité. Cette situation est liée notamment aux trafics qui s’entremêlent – trafics de migrants, de drogue et d’armes – ainsi qu’à des fragilités intrinsèques.

Dans la zone du Moyen-Orient, la menace terroriste est contenue, mais la vigilance est nécessaire sur le moyen terme. La situation fait l’objet d’une recomposition très rapide. La versatilité est telle que cette recomposition est probablement le prélude d’autres recompositions. L’Iran et la Syrie, en particulier, redeviennent des partenaires fréquentables pour de nombreux pays de la région.

En Asie, nous suivons la montée en puissance des capacités militaires chinoises et ses conséquences sur nos intérêts, notamment dans l’océan Indien.

De façon plus marginale, nous contribuons de façon indirecte à la sûreté du territoire national : si je n’ai pas compétence pour renseigner ou organiser des manœuvres de recherche de renseignement sur le territoire national, j’y contribue en partageant avec les autres services le renseignement que je détiens et qui pourrait être utile sur le territoire national.

Les menaces s’ajoutent les unes aux autres, car peu disparaissent. Elles nécessitent que nous travaillions sur le temps long pour être en mesure d’apporter des réponses sur le temps court. La nécessité absolue pour nous est de capitaliser sur le renseignement recueilli, de façon à être efficaces.

Pour mener toutes ces actions, je bénéficie d’un écosystème un peu particulier par rapport aux autres services du premier cercle. Mes ressources sont imbriquées dans les programmes budgétaires 178, 146 et 212. Je dispose d’un petit budget opérationnel de programme (BOP), qui constitue le budget de la DRM et correspond à 5 % environ de ce qui me permet de produire du renseignement. Je fonctionne donc grâce aux armées qui acquièrent pour moi des capteurs, les mettent en œuvre selon les orientations que je donne et me fournissent des ressources humaines. Cette imbrication présente à la fois des avantages et des inconvénients, mais pour rien au monde je ne voudrais m’en affranchir, car elle est cohérente avec la mission d’appui aux opérations qui constitue le cœur de mon métier.

Le projet de LPM 2024-2030 contient des mesures fortes en matière de renseignement, avec une augmentation de 60 % des crédits alloués à cette activité et un doublement du budget de la DRM sur la période. La dynamique nous est donc favorable. Qui plus est, elle s’inscrit dans un calendrier pluri-LPM, puisque la loi en vigueur avait déjà amorcé un effort en matière de renseignement.

Indépendamment du patch renseignement, qui bénéficie d’une augmentation substantielle de ses ressources, à hauteur de 5 milliards d’euros, je profite de l’augmentation d’autres entités et périmètres budgétaires, notamment celle du patch espace, dont je suis l’un des principaux clients.

Pour l’édification de la LPM, ma priorité est de garantir la cohérence du dispositif de renseignement – c’est ce que j’ai demandé à mes troupes dans les travaux préparatoires.

Cohérence, tout d’abord, entre les différents types de renseignement, quelle que soit leur origine – image, électromagnétique, humaine ou cyber. C’est bien l’accumulation des différents types de renseignement et leur confrontation qui me permettent de produire des appréciations de situation avec un niveau d’incertitude limité. Si je n’ai que des images ou que du renseignement d’origine humaine, j’estime que l’information est peu robuste et l’analyse est peu fiable.

Cohérence, également, entre les niveaux stratégique et tactique. Il doit exister une cohérence entre les capteurs de niveau stratégique que j’utilise en propre et les capteurs tactiques, bien souvent délégués ux unités de renseignement des différentes armées. C’est un gage d’efficacité.

Cohérence, enfin, entre les capteurs à proprement parler et les outils permettant de les exploiter. Cette cohérence doit être pensée dès l’origine pour éviter un gaspillage d’argent public.

En complément de cet impératif de cohérence, un deuxième impératif, pour la LPM, est de réussir la transformation numérique. Cela passe par l’exploitation des données de masse, à travers le programme d’architecture de traitement et d’exploitation massive de l’information multisources par l’intelligence artificielle (Artemis.IA). Ce programme est structurant à la fois pour la DRM et pour la fonction interarmées du renseignement. Il s’agit de capitaliser toutes les données que nous recueillons, de les faire interagir et de les partager – c’est une forme de centralisation des données puis de décentralisation des accès à l’ensemble des unités de la fonction interarmées du renseignement. Ce virage est essentiel : à défaut de l’opérer, nous en resterions au deuxième millénaire et nous ne pourrions pas optimiser l’usage des capteurs que l’on nous confie.

Le troisième défi concerne les ressources humaines – j’y reviendrai.

Le quatrième consiste à pérenniser l’organisation que j’ai mise en place le 1er septembre dernier à travers le plan de transformation de la DRM. Cette nouvelle organisation est en quelque sorte une révolution copernicienne, rapprochant la recherche de l’exploitation, sous la forme d’entités géographiques ou thématiques. Elle mettra deux à trois ans avant de produire ses pleins effets, mais j’en perçois déjà les premiers balbutiements au bout de six mois.

Tous les capteurs qu’il est prévu de renouveler au cours de la LPM verront les données collectées partagées avec l’ensemble des services de renseignement du premier cercle, qu’il s’agisse de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ou de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), principaux services avec lesquels je collabore au quotidien.

Le doublement du budget de la DRM nous permettra, de disposer d’une forme d’agilité. il nous permet, par exemple, de codévelopper avec des start-up des outils innovants selon un rythme plus rapide que celui des grands programmes d’armement s’inscrivant dans la perspective pluriannuelle des LPM. Nous l’avons déjà fait durant la LPM en cours. L’enjeu est de conserver cette capacité pour rester dans la dynamique des évolutions technologiques.

Ensuite, le budget doit nous conférer une forme d’agilité permettant d’acheter des services. L’enjeu est de trouver un équilibre entre les outils patrimoniaux, achetés en propre, propriété de l’État, et l’achat de services. Je suis intimement persuadé que la complémentarité existant entre ces deux types de capacités permet à la fois de préserver une autonomie stratégique et de bénéficier d’une grande diversité de services, de redondance, de capacités, disponible pour tous.

Enfin, le budget nous permettra de développer les partenariats en matière de renseignement, notamment en Afrique, pour aider certains États à combattre le terrorisme. Cela passe par l’acquisition de capacités à leur profit, le développement de formations ou encore l’échange d’officiers de liaison.

Sur le plan des capacités à proprement parler, la LPM permettra le renouvellement de composantes spatiales, en matière d’imagerie et de systèmes électromagnétiques, le renouvellement de capteurs tactiques, que ce soit dans le domaine électromagnétique – le programme d’avions de renseignement à charge utile de nouvelle génération (Archange), par exemple, pour l’armée de l’air –, dans celui des drones – dans tous les milieux : terre, air et mer – ou celui des systèmes de biométrie dont nous avons besoin pour nos bases de données. Ces dispositifs relèvent principalement des armées et du patch renseignement.

Enfin, l’effort principal – car vraiment structurant – est celui qui portera sur les outils d’exploitation, à travers la convergence de nos systèmes d’information et l’outil Artemis.

Dans le domaine des ressources humaines également, la LPM devrait permettre de poursuivre la croissance de la DRM, sur le plan quantitatif comme sur le plan qualitatif, à travers l’acquisition de nouvelles compétences, rendues nécessaires par les développements technologiques et qui n’existent pas forcément au sein des armées :je pense, par exemple, au métier de data scientist, liés au développement de l’outil Artemis, la gestion du besoin d’en connaître ou dans le domaine numérique qui nécessitent d’utiliser des compétences qui n’existent pas dans les armées, notamment dans. Là encore, il faudra faire preuve d’agilité dans le recrutement de ce type de profils. Dans le même temps, j’ai pour ambition de développer les parcours de carrières croisés, entre services du premier cercle, d’une part, mais aussi entre la DRM et la fonction interarmées du renseignement, d’autre part. Je pars en effet d’un principe simple : être performant dans les métiers du renseignement suppose un investissement en matière de formation beaucoup plus important aujourd’hui qu’il y a quelques années, du fait de la complexité de l’environnement technique dans lequel nous évoluons.

J’ai l’ambition de maintenir les proportions actuelles entre le personnel militaire et le personnel civil – lequel représente environ 30 % des effectifs. Je compte, par ailleurs, confier à cette catégorie de personnel plus de responsabilités, comme j’ai commencé à le faire depuis l’été dernier.

Il est impératif également de travailler sur l’attractivité et la fidélisation du personnel de la DRM. Nous devons, enfin, augmenter le nombre de réservistes : l’ambition est de le doubler, comme dans l’ensemble du ministère, à l’horizon de 2030.

En conclusion, la DRM, avec la fonction interarmées du renseignement, est chargée d’apporter du renseignement militaire tant au CEMA qu’aux forces en opération. Les menaces s’additionnent les unes aux autres, avec chaque jour plus de missions à remplir. Cela nécessite un effort, qui est inscrit dans la LPM.

Je perçois trois lignes directrices : maintenir le cap de la transformation organisationnelle que j’ai engagée le 1er septembre dernier, qui s’accompagne d’une transformation culturelle ; mener à bien la transformation numérique, qui va commencer à se concrétiser dans les semaines à venir ; s’adapter aux évolutions stratégiques permanentes, comme la DRM a pu le faire par le passé.

M. le président Thomas Gassilloud. Le budget de la DRM est proche de 55 millions d’euros. Le doublement dont il est question concerne-t-il directement la DRM, ou bien inclut-il un cofinancement des autres capteurs, notamment des patchs espace et cyber ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Le budget de la DRM doublera effectivement à l’horizon de la fin de la LPM. Cela permettra de financer l’agilité dans plusieurs volets, comme je l’expliquais. En complément, nous bénéficierons de l’effort consenti dans d’autres segments par chacune des armées pour renouveler les capteurs, notamment dans des domaines particuliers comme l’espace et le numérique, avec le remplacement du Multinational Space-based Imaging System for Surveillance (MUSIS) par l’infrastructure de résilience et d’interconnexion sécurisée par satellite (IRIS), et le développement du programme de capacité électromagnétique spatiale (Céleste).

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Le projet Artemis est très intéressant. Il permettra peut-être d’optimiser le renseignement capté sur le terrain par les différents corps d’armée. Il est toujours difficile de savoir si une information est véridique et consolidée. L’écart par rapport à la vérité vous paraît-il très grand, au point de relativiser l’information passant par Artemis, ou bien le système tape-t-il dans le mille presque à chaque fois ?

Il me semble que vous avez dit : « tout renseignement est susceptible d’être déclassifié ». Ai-je bien entendu ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. La livraison d’Artemis commencera le mois prochain. Ensuite, le système montera en puissance jusqu’en 2030. C’est une opération d’armement à part entière, codéveloppée avec des industriels depuis plusieurs années. Les premiers appareils ont été livrés la semaine dernière à Creil. Initialement porté par la DRM, le projet l’est désormais par la DGA, ce qui est une très bonne chose, car le système est d’une complexité qui nous dépasse. C’est un outil de capitalisation de données dont le premier cas d’usage est le renseignement, et qui sera utilisé à d’autres fins, par d’autres entités du ministère, telles que le service de santé des armées ou la maintenance aéronautique, dans d’autres configurations mais sur le même principe : créer des lacs de données, c’est-à-dire les centraliser pour les confronter les unes aux autres, avec des outils d’intelligence artificielle, puis en décentraliser l’utilisation à travers des outils de déport.

À l’horizon de 2030, nous bénéficierons de l’ensemble des fonctionnalités d’Artemis, aussi bien sur le porte-avions en Méditerranée orientale qu’au PC des forces françaises au Sahel, à N’Djamena.

Le principe est de collecter l’ensemble des données existantes – qu’il s’agisse de celles qui sont hébergées ou collectées par la DGSE, boulevard Mortier, au profit de tous les services du premier cercle, de celles qui sont collectées par les satellites, dont je suis le principal client, de celles qui sont collectées en sources ouvertes sur internet et de celles qui sont collectées par des sources humaines dans le monde entier, etc… – et de les faire interagir dans le temps et selon leur nature. Faire en sorte que ces données très hétérogènes puissent interagir nécessite, en amont, un travail normatif considérable, ainsi qu’une gestion du besoin d’en connaître, de façon à ce que les secrets les plus stratégiques relatifs à la dissuasion ne soient pas forcément accessibles aux spécialistes de la traque de terroristes.

Il s’agit d’un outil stratégique pour la DRM. Au début de la précédente LPM, un retard industriel a obligé mes prédécesseurs à basculer vers Artemis. Nous avons quelques semaines de retard par rapport au calendrier idéal, mais cela reste dans l’épaisseur du trait. La balle est dans le camp des industriels : du côté de la DRM, des armées et de la programmation, tout est bien structuré.

Je suis profondément attaché à la transparence. Mais la notion de secret est également essentielle. Elle n’a pas pour objet de faire chic : il s’agit de protéger nos accès, car c’est ce qu’il y a de plus précieux pour un service de renseignement. C’est non seulement ce qui nous a permis d’avoir du renseignement aujourd’hui, mais aussi ce qui nous permettra d’en avoir demain. Le secret a aussi pour but de protéger les forces engagées en opération, et plus globalement les intérêts de la nation.

Il peut être décidé de manière conjoncturelle, au niveau politique, de déclassifier des documents à des fins d’influence, dans le cadre de la stratégie nationale. Les Anglo-Saxons ont fait un grand usage de cette méthode depuis le début de la guerre en Ukraine – avec succès, parfois, mais la pratique a également montré certaines limites. C’était l’objet de mon message subliminal : faire un usage immodéré de la déclassification de documents peut avoir des effets pervers. Du reste, le recours régulier à cette pratique en amont du 24 février 2022 n’a pas empêché Vladimir Poutine d’envahir l’Ukraine. Par ailleurs, quand on habitue l’opinion publique, les partenaires ou les adversaires à déclassifier systématiquement, le jour où on ne le fait pas, on inverse en quelque sorte la charge de la preuve. Déclassifier crée des fragilités. Il est possible de le faire de temps en temps, mais cela doit rester une décision politique exceptionnelle.

M. le président Thomas Gassilloud. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Anne Le Hénanff (HOR). Dans le cadre de la révision de la LPM, en juillet 2022, les services de renseignement rattachés aux armées avaient formulé des demandes auprès du Président de la République à propos des algorithmes, des données et des cookies. L’article 21 du projet de loi alloue globalement 5 milliards d’euros d’investissements dans le renseignement militaire et élargit le champ du renseignement dans plusieurs domaines. Ce n’est pas le cas en ce qui concerne la surveillance algorithmique et la détection de cyberattaques. Comment le renseignement militaire continuera-t-il d’intensifier la détection des menaces cyber avec les crédits alloués et le périmètre qui a été défini ? Des discussions sont-elles en cours pour élargir la surveillance dans ce domaine – ce qui, je l’espère, arrivera dans un avenir proche ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Le recours aux algorithmes est un champ nouveau. Il est complexe. La pratique reste donc expérimentale, même si elle commence à produire des effets. Cela permet, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, d’avoir une approche prédictive. Ce champ n’est pas encore pleinement utilisé par le renseignement militaire. L’appropriation de l’outil nécessite du temps et une technicité que la DRM n’a pas encore aujourd’hui, mais qu’elle a pour ambition d’acquérir demain. Cette mesure ne figure pas dans la LPM, mais il est envisagé de la faire figurer dans les textes ultérieurs.

Mme Anne Le Hénanff (HOR). Vous dites « demain » : quelle est l’échéance ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Le projet est étudié par les services de renseignement et des discussions sont en cours avec la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT).

Mme Anne Genetet (RE). La LPM prévoit une augmentation globale des effectifs. Qu’est-ce qui vous a été promis en la matière ? Que souhaiteriez-vous obtenir ?

Le départ d’agents civils ou militaires vers des structures dépendant d’intérêts étrangers, en France ou ailleurs, fait l’objet de l’article 20. Cet outil législatif vous suffit-il ou faut-il le compléter ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Je ne suis pas entré dans le détail en ce qui concerne les effectifs. La DRM rassemble 1 900 personnes, en augmentation depuis l’entrée en vigueur de la LPM actuelle, et il est prévu que la hausse se poursuive, à raison de 300 personnes environ. Dans le même temps, un doublement des effectifs de la réserve est prévu. Je dispose de 250 réservistes environ. L’objectif est de monter à 500 à l’horizon de la fin de la LPM.

Au-delà des chiffres, ce sont des compétences qui m’intéressent. Avoir des compétences précises tout en s’inscrivant dans les volumes nécessaires pour optimiser l’usage des nouveaux outils dont nous disposerons relève d’une dentelle assez fine.

En ce qui concerne la possibilité pour les militaires de se reconvertir, les dispositions prévues répondent aux attentes des services.

M. Vincent Bru (Dem). La France s’est retirée du Mali, mais elle reste présente en Afrique. Sa présence dans l’est de l’Europe – en particulier dans les États baltes et en Roumanie – a connu une évolution notable. Par ailleurs, elle poursuit ses missions au Levant. Comment comptez-vous réorganiser la DRM au regard de la redéfinition des zones d’opération et de l’augmentation des effectifs ?

Le cyber et le spatial font partie des nouveaux dangers mentionnés dans la LPM. Comment entendez-vous appréhender ces nouveaux espaces de conflictualité ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Les menaces et les zones de crise s’ajoutent les unes aux autres. L’évolution des priorités oblige à certains renoncements. Comme je vous l’expliquais, le domaine du renseignement est infini, alors que les moyens, par nature, sont finis. Ma mission principale est de prioriser.

J’ai profondément réorganisé la DRM le 1er septembre dernier. En réalité, j’ai créé sept petites DRM et rapproché, dans chacune d’entre elles, la recherche et l’exploitation, selon une logique géographique ou thématique. J’ai donné à chaque chef de plateau une totale autonomie, sous ma responsabilité et mon contrôle bienveillant, pour la gestion de son plan de recherche et l’animation d’une certaine forme de subsidiarité par rapport aux unités de la fonction interarmées du renseignement. Le plateau chargé de l’Ukraine travaille avec les unités de la marine nationale qui s’occupent de la surveillance de la situation maritime en mer Noire, avec l’unité de l’armée de l’air dédiée au suivi de situation  dans la zone, etc. Chaque petite DRM est également responsable de la production et de la diffusion du renseignement, ainsi que d’une politique partenariale décentralisée à son niveau, tout en sachant que la tour de contrôle est située au niveau de mon état-major.

Cette nouvelle organisation permet de gagner en agilité dans la production du renseignement, d’avoir un cycle du renseignement beaucoup plus rapide entre la recherche et l’exploitation, une capacité d’approfondissement accrue, et chacun des plateaux est en liaison avec toutes les unités de la fonction interarmées du renseignement – c’est-à-dire de l’armée de terre, de la marine, de l’armée de l’air, du commandement de l’espace, du comcyber et du commandement des opérations spéciales. Au quotidien, chacun de ces plateaux interagit et organise une certaine forme de subsidiarité dans la recherche de renseignement entre le niveau stratégique – à savoir la DRM – et le niveau tactique.

M. Frédéric Boccaletti (RN). Mes propos ne visent en aucun cas à juger le travail des agents de la DRM, qui prennent des risques, et je salue votre action précieuse. Toutefois, en ce qui concerne l’Ukraine, vos services n’ont pas totalement appréhendé la virulence et l’imminence de l’attaque russe. Que s’est-il passé ? Comment éviter que cela ne se reproduise – même si les pistes de réorganisation que vous avez évoquées sont déjà des réponses pertinentes ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Je comptais aborder le sujet de ma propre initiative, mais finalement je l’ai enlevé de mon propos liminaire. Je vous remercie donc de me poser la question.

Il convient de distinguer trois choses : le renseignement que l’on produit, ce qui en est fait et ce que l’on en dit. En ce qui concerne la guerre en Ukraine – j’en parle d’autant plus librement que je n’étais pas en fonction –, plus d’un an avant le 24 février 2022, la DRM avait suivi la montée en puissance du dispositif russe sur le pourtour de l’Ukraine. Elle avait vu les capacités augmenter et les potentialités que celles-ci offraient, ainsi que le coût qu’aurait cette guerre pour les armées russes si elle était déclenchée. Quatorze mois plus tard, force est de constater que les faits ont plutôt donné raison aux analyses de la DRM.

M. le président Thomas Gassilloud. Qu’est-ce qui relève de la DGSE et qu’est-ce qui relève de la DRM, notamment en ce qui concerne l’analyse de l’intentionnalité politique des forces russes ? Si nous comprenons bien, la DRM est chargée d’évaluer objectivement les moyens déployés, mais est-il aussi de votre responsabilité de déterminer si telle ou telle partie a l’intention politique d’avancer, ou bien bascule-t-on alors du côté de la DGSE ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. L’intentionnalité politique ne relève pas de la mission de la DRM. L’analyse des rapports de force, des capacités des belligérants, de leur profondeur stratégique dans le domaine militaire, des capacités de leur base industrielle et technologique de défense, de la régénération des capacités : tel est le cœur du métier de la DRM.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES).  Nous avons compris, en auditionnant vos collègues des autres services, que les arbitrages définitifs n’avaient pas encore été rendus. Je vous invite donc à nous préciser vos attentes.

En ce qui concerne la mutualisation avec les autres services, quelle serait, selon vous, la formule optimale ? La ventilation par patch n’est pas très lisible pour nous. Comment espérez-vous récolter, dans les différents patchs, la part qui vous revient ?

S’agissant de l’achat de services, quel est selon vous le bon mix ? La DGA a notifié à Preligens un contrat de sept ans d’un montant de 240 millions. Quand on met ce chiffre en rapport avec les 55 millions de votre budget courant, on ne peut que s’interroger sur le poids de ces entreprises et leur force par rapport aux services souverains. Quelles garanties de sécurité avez-vous vis-à-vis de ces grands prestataires qui s’imposent progressivement ?

Le dimensionnement du programme Archange est-il pertinent ? Quant au calendrier, on a l’impression qu’il a été décalé : alors que certains appareils étaient attendus pour 2025, le tableau figurant dans le rapport annexé en mentionne trois à l’horizon de 2030. Restera-t-on dans l’expectative jusqu’à cette date ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Les besoins de la DRM sont satisfaits par de nombreuses entités : elle est beaucoup moins homogène que ne le sont les autres services de renseignement. Cela constitue à la fois une faiblesse et une force. Le fait que mon service et les différentes armées soient profondément imbriqués et que nous soyons tributaires d’elles est en parfaite cohérence avec la mission que nous exerçons au quotidien, puisque nous fournissons un appui en renseignement aux armées en opération.

Ce dont j’ai besoin, ce sont des militaires, recrutés et formés par les différentes armées ; de personnel civil, recruté par la direction des ressources humaines du ministère de la défense (DRH-MD) ; enfin, de capteurs tactiques portés par le projet global de chacune des armées. Ces capteurs de renseignement sont absolument nécessaires pour garantir la cohérence globale de ma mission. En complément, il existe des capteurs de niveau stratégique, qui sont plus visibles, plus volumineux et plus onéreux. Ceux-là aussi sont, pour l’essentiel, également portés par d’autres entités que le DRM, en dépit du fait que j’en sois le client principal. Le patch renseignement héberge le budget de la DRM et non l’intégralité du budget servant à la DRM pour produire du renseignement. C’est du budget de la DRM que nous parlons ; il permettra d’avoir l’agilité dont je parlais, s’agissant du développement technologique, de l’achat de services et de l’appui aux partenaires.

Preligens est une start-up avec laquelle nous avons développé, pendant quelques années, un outil qui nous permet, grâce à l’intelligence artificielle, d’exploiter beaucoup plus rapidement des images satellites. Le concept est très simple : il s’agit de détecter des anomalies ou changements par rapport à l’image initiale. Au lieu de charger un analyste d’interpréter inutilement des milliers d’images, il est averti quand une image semble être différente des précédentes. C’est un outil qui nous permet de traiter un volume de données énorme.

Vous vous référiez à un contrat de 240 millions d’euros. En fait, c’est un plafond de contractualisation sur une durée de sept ans avec cette start-up. Rien ne dit que le contrat avec Preligens atteindra cette somme.

Je suis persuadé que, si nous voulons rester compétitifs par rapport à nos adversaires, nous devons être agiles sur le plan technologique et essayer de codévelopper avec des start-up des outils permettant de progresser. Nos ennemis, eux, ne prennent pas de pincettes quand il s’agit de faire preuve de créativité et de se doter d’outils leur permettant de mettre en œuvre leurs mauvaises intentions.

Archange est une capacité de renseignement d’origine électromagnétique aéroportée qui succédera aux avions Transal C160 Gabriel, dont le retrait a été décidé en 2022. Une mesure de réduction de cette perte temporaire de capacité a été prise par l’armée de l’air : le contrat Solar permettra ainsi, pendant la période 2024-2028, de bénéficier d’une capacité de renseignement d’origine électromagnétique aéroportée, dans l’attente de l’arrivée des Archange. S’agissant de ce programme, trois vecteurs sont prévus à l’horizon de 2030, avec une première livraison en 2028.

M. le président Thomas Gassilloud. Le programme Archange est développé sur la base de Falcon, n’est-ce pas ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Exactement.

M. le président Thomas Gassilloud. Ces avions emmagasineront-ils des données pour qu’elles soient traitées au retour, ou bien les enverront-ils en temps réel par l’intermédiaire d’un satellite de communication ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Les deux. Il y aura un équipage à l’arrière du Falcon, ce qui permettra de réorienter en boucle courte les capteurs embarqués, tout en en retransmettant une partie des données vers des stations au sol.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Merci de nous rappeler votre action essentielle aux côtés des forces armées en opération.

La DRM était particulièrement impliquée dans le renseignement opérationnel en soutien à Barkhane et à la force Sabre, au Sahel. Dans quelle mesure la réarticulation du dispositif et le désengagement progressif marquent-ils une rupture dans les missions de votre direction ? Au regard du budget des opérations extérieures (Opex), comment la LPM prend-elle en compte ce changement majeur et rapide ? La coordination avec la DGSE sera-t-elle revue pour les théâtres où les armées sont encore présentes ?

En ce qui concerne l’anticipation et la prospective, on a reproché à la DRM de ne pas avoir cru à l’invasion russe. Dans quelle mesure ce reproche imprègne-t-il la rénovation de votre direction ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. La guerre en Ukraine et l’évolution du dispositif en Afrique ont nécessité une réorganisation profonde de la DRM. Il a fallu opérer une bascule de priorités. Toutefois, il est impératif de préserver une capacité de renseigner sur la menace terrorisme, car celle-ci n’a pas disparu. Nous sommes encore présents dans plusieurs pays d’Afrique ; nous aidons nos partenaires africains à faire face à l’extension de la menace terroriste, notamment vers le golfe de Guinée. Cet appui à différents pays nécessite que nous maintenions une compétence dans ce domaine.

La réorganisation se traduit par des changements rapides, engagés il y a plus de deux ans en ce qui concerne la question russo-ukrainienne. L’atteinte de la pleine efficacité de la nouvelle organisation est progressive ; elle ne saurait être parfaite en peu de temps. L’acquisition de certaines spécificités et compétences demande du temps – je pense aux linguistes, par exemple : j’ai besoin de beaucoup plus de linguistes russophones que mes prédécesseurs, il y a cinq ans, et c’est aussi vrai pour les sinisants. Nous en avions quelques-uns, naturellement, mais jamais assez. Nous faisons appel à des outils d’intelligence artificielle, mais ils ne sont pas assez précis. Nous montons donc en puissance dans ce domaine également. Il y a donc à la fois une adaptation de l’organisation de la DRM depuis le 1er septembre 2022 et la préservation de compétences spécifiques, par exemple la connaissance des doctrines russes, ou tout simplement celle de la guerre de haute intensité. Mes prédécesseurs ont été visionnaires en ne renonçant pas complètement à celles-ci.

La coordination avec la DGSE se poursuit d’autant plus facilement que cette direction s’est réorganisée à peu près en même temps que nous – à compter du 1er novembre en ce qui la concerne ; Bernard Émié a dû vous en parler hier. Même si cette nouvelle organisation n’est pas similaire à celle de la DRM, une sorte de continuité existe pour certaines missions, notamment s’agissant des domaines géographiques. Un dialogue très naturel, presque quotidien s’est établi entre les centres de mission de la DGSE et les plateaux de la DRM, ce qui permet d’assurer une bonne complémentarité.

Pour ma part, je fais une différence entre l’anticipation et la prospective. J’estime que l’anticipation concerne une période de six à vingt-quatre mois et qu’au-delà on passe dans le domaine de la prospective. Selon moi, la prospective n’est pas nourrie par du renseignement : elle s’appuie sur des études géographiques, historiques, sociologiques ou démographiques. Le renseignement a une durée de validité courte : au-delà de deux ans, un renseignement collecté a peu de chance d’être réellement utile. Je confie à chaque plateau la mission d’agir sur les trois temps du renseignement : court, moyen et long – cela concerne donc aussi l’anticipation.

Concernant l’Ukraine, la DRM avait suivi la montée en puissance du dispositif russe à travers l’exercice Zapad, qui s’est déroulé en 2021, puis en 2022, l’évolution du dispositif dans la profondeur russe, avant le franchissement de la frontière le 24 février 2022. Elle avait analysé le coût qu’aurait cette intervention pour l’outil de défense russe, au regard des capacités détenues par les Ukrainiens. Bien évidemment, c’est l’analyse du rapport de forces entre les belligérants qui fait la pertinence du propos. C’est ce à quoi je m’efforce au quotidien.

M. le président Thomas Gassilloud. Nous en arrivons aux questions des autres députés.

Mme Delphine Lingemann (Dem). Ma question porte sur le recours au renseignement d’origine sources ouvertes (Osint) dans le cadre du renseignement militaire. Ce type de renseignement est largement utilisé pour contrecarrer la diffusion de fake news et la désinformation. Elle est aussi d’un grand secours sur le plan tactique, voire stratégique, pour glaner des informations à caractère militaire. L’une des forces de l’Osint est qu’il s’appuie sur la société civile, créant d’efficaces réseaux transnationaux. Sa faiblesse tient à la fiabilité des informations et au risque de désinformation, voire de manipulation.

Comment traitez-vous spécifiquement les données recueillies par ce moyen ? Pensez-vous qu’un cadre législatif soit utile en la matière ? Pourrions-nous faire appel aux réserves opérationnelles pour faire remonter les informations recueillies de cette façon, voire pour les traiter ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. L’Osint est une partie du champ informationnel ; nous ne pouvons donc le négliger. Au quotidien, nous utilisons  l’Osint : chaque plateau compte plusieurs « osinteurs », chargés de travailler sur des sources ouvertes de façon à recueillir des informations. Elles sont ensuite retraitées et complétées par les productions des capteurs– de l’imagerie, de l’électromagnétique, de l’humain ou du renseignement d’origine cyber– pour accroître leur niveau de fiabilité. Une information en sources ouvertes est fiable à 50 % ou 60 %, en fonction de la connaissance que vous avez du fil twitter ou du blog. Or mon métier est de fournir une information fiable à 95 % ou 96 %. Augmenter le niveau de certitude, consolider la source ouverte nécessite une approche « multi-int ».

L’Osint joue pour nous le rôle de lanceur d’alerte ; à ce titre, il est très utile. À partir de là, nous approfondissons le renseignement. En dehors de la source ouverte disponible pour tous, il y a des outils de recherche dans l’internet profond, non accessible par un moteur de recherche comme Google. Ces outils nous permettent de puiser dans 90 % des informations existant sur internet, contre 10 % pour le grand public. Le risque face à un tel volume d’informations est évident : c’est celui de se noyer.

L’Osint est une source d’information que nous intégrerons dans l’outil global Artemis. Nous confronterons ces informations à d’autres, issues de capteurs de renseignement.

Nous contribuons également à lutter contre les opérations d’influence Nous travaillons en coordination étroite avec les structures dédiées qui existent au sein des armées, de façon à leur permettre de bâtir des narratifs ou des contre-narratifs et de déjouer certaines opérations d’influence de nos compétiteurs. Cette question est pleinement intégrée dans l’espace de conflictualité dans lequel nous agissons.

Le cadre législatif pour agir dans le domaine de l’Osint existe et il est suffisant.

Nous recourons aux réservistes, parmi d’autres personnes. Certains de mes « ostineurs » sont réservistes, d’autres d’active. Ils sont parfaitement interchangeables, et j’ai besoin des deux.

M. Christophe Blanchet (Dem). Avec plusieurs collègues, nous avons assisté à l’opération Poker. C’était une expérience passionnante. Lorsque l’on passe à l’ordre terminal, tout retour en arrière est impossible. Continuez-vous cependant à diffuser de l’information au-delà ? Si oui, quelle est-elle ? Jusqu’à quel moment agissez-vous, et à partir de quand la DGSE prend-elle le relais ?

Il y a quelques mois, trois de nos interlocuteurs nous ont parlé de communautés d’internautes qui, à partir de l’image d’un simple aileron, étaient capables d’identifier un avion et d’indiquer où il se trouvait. L’organisation d’une réserve citoyenne, ou la désignation de référents citoyens pour animer de telles communautés, permettraient-elles de vous accompagner, de structurer le renseignement et de le diffuser ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Votre question relative à l’opération Poker est sensible… Je vous répondrai de façon volontairement imprécise. Nous recueillons du renseignement en permanence, bien évidemment.

La DRM s’en tient aux capacités militaires des adversaires, quand la DGSE s’intéresse aux décisions politiques. Chacune des deux maisons recueille en permanence des informations, comme il se doit, pour nourrir l’échelon décisionnel, c’est-à-dire les responsables politiques et le chef d’état-major des armées.

M. le président Thomas Gassilloud. Vous avez dit que le renseignement sur la dissuasion était votre première priorité. Cela concerne-t-il aussi bien la force de frappe de nos adversaires que leurs capacités d’interception ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Cela concerne leurs capacités offensives et défensives.

M. le président Thomas Gassilloud. La direction des applications militaires (DAM), au Commissariat à l’énergie atomique (CEA), a des capteurs dans le monde entier pour détecter d’éventuelles explosions nucléaires. Vous apportent-ils également des informations relatives aux essais nucléaires ?

M. le général d’armée Jacques Langlade de Montgros. Nous travaillons avec eux, effectivement, de la même façon que nous travaillons avec la DGA et les armées.

En ce qui concerne les communautés d’internautes, c’est un sujet sur lequel nous réfléchissons. Il existe des capacités d’expertise que nous n’avons pas forcément en propre. Nous faisons déjà appel à des réservistes ayant une expertise dans des domaines très techniques que nous ne serions pas en mesure de détenir en propre dans la durée, à entretenir parfois même, les personnes auxquelles nous faisons appel n’ont pas de contrat de réserve. Il ne faut pas être prisonnier d’un formalisme excessif, dans un monde où l’on a parfois besoin de compétences extrêmement variées ou relevant de niches. Je vise plutôt à développer notre carnet d’adresses en complément de l’augmentation du volume des réservistes.

Le recours à des communautés d’internautes est envisagé, mais la chose n’est pas simple. Il y a des risques d’instrumentalisation, la fiabilité des internautes doit être évaluée. Nous n’avons donc pas encore franchi le pas, et il me paraît compliqué de le faire.

M. le président Thomas Gassilloud. Nous espérons que le système d’information des réservistes opérationnels connectés (ROC) sera déployé et qu’il vous permettra, au-delà des réservistes servant dans votre direction, d’aller piocher dans les compétences qui s’y trouvent. Parmi les 40 000 réservistes des armées, je suis sûr que des dizaines parlent russe et pourraient être mobilisés ponctuellement pour exercer des missions de linguistes.

Merci beaucoup, général. Nous sommes désormais mieux renseignés sur la DRM. Nous serons mobilisés, dans le cadre de la LPM, pour que des moyens adaptés soient mis à votre disposition.

Safran propose une version sol-sol de l’A2SM pour la capacité de frappe à longue portée de l’armée de Terre

Safran propose une version sol-sol de l’A2SM pour la capacité de frappe à longue portée de l’armée de Terre

 

 

 

Lors de son audition à l’Assemblée nationale dans le cadre de l’examen du projet de Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30, le Délégué général pour l’armement [DGA], Emmanuel Chiva, a dit ne pas exclure une solution « souveraine » pour le remplacement des Lance-roquettes unitaires [LRU] de l’armée de Terre, un investissement de 600 millions d’euros étant prévu pour moderniser et renforcer les capacités de frappe à longue portée de cette dernière.

Et, citant « MBDA, Ariane et Safran », M. Chiva a indiqué que la Direction générale de l’armement [DGA] avait déjà engagé des « discussions pour une solution nouvelle », qui présenterait « l’avantage de préserver notre souveraineté » tout en renforçant « notre base industrielle, qu’elle soit française ou européenne ».

Évidemment, compte-tenu de ses savoir-faire, MBDA semble le mieux placé pour proposer une solution de frappe à longue portée. D’ailleurs, auditionné le lendemain [le 3 mai, ndlr] par les députés de la commission de la Défense, son Pdg, Éric Béranger, s’est félicité des investissements envisagés par le projet de LPM 2024-30 dans ce domaine. Toutefois, il s’est gardé d’esquisser une solution que son groupe serait susceptible de proposer à la DGA, se contentant seulement d’évoquer le Futur missile antinavire/Futur missile de croisière [FMAN/FMC], lequel fait l’objet d’une coopération entre la France et le Royaume-Uni.

En revanche, lors d’une audition réalisée le même jour, le Pdg de Safran Electronics & Defense, Franck Saudo, a été beaucoup plus loquace au sujet de la solution défendue par son groupe.

« Le besoin de frappe dans la profondeur est désormais avéré. La proposition de Safran est à la fois pragmatique et simple : elle est de s’appuyer sur un système démontré, existant, aux performances avérées et qui est un succès à l’exportation : l’A2SM [Armement Air-Sol Modulaire] », a en effet affirmé M. Saudo.

Selon lui, le dialogue qui a été engagé avec la DGA est « intense » et « extrêmement constructif », ce qui laisse entendre que l’adaptation de l’A2SM « des frappes sol-sol de longue portée » suscite un certain intérêt.

En tout cas, pour le Pdg de Safran, cette solution est un « cas d’école de l’application dde l’économie de guerre », avec une « modalité de développement à la fois agile et rapide, une solution pragmatique et également compétitive puisque, plutôt que de développer un nouveau système, on concilierait l’adaptation d’un système existant tout en étant dans l’autonomie stratégique »

Toujours d’après M. Saudo, il y aurait « beaucoup d’écoute et d’envie autour de cette solution pragmatique » qui « reste à concrétiser » avec les partenaires de Safran, dont Thales.

Pour rappel, l’A2SM [ou ASSM Hammer] est une munition qui été mise en service il y a environ 15 ans au sein de l’armée de l’Air & de l’Espace [AAE] et de l’Aéronautique navale. D’une portée de 15 à 70 km [cela varie en fonction de l’altitude à laquelle elle est tirée], elle affiche un taux de réussite de 99%. En outre, elle est très précise grâce à ses kits de guidage [intertiel/GPS, Inertiel/GPS/Infrarouge et Inertiel/GPS/Laser].

Le projet de LPM prévoit l’acquisition d’au moins 13 nouveaux systèmes avant 2030 afin de remplacer les LRU. Et 13 autres entreront en dotation d’ici 2035.

Vers une solution intermédiaire pour faire le lien entre le Leclerc et le char franco-allemand du projet MGCS?

Vers une solution intermédiaire pour faire le lien entre le Leclerc et le char franco-allemand du projet MGCS?

https://www.opex360.com/2023/05/03/vers-une-solution-intermediaire-pour-faire-le-lien-entre-le-leclerc-et-le-char-franco-allemand-du-projet-mgcs/


 

D’ailleurs, de l’aveu même de Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, ce retard commence à devenir préoccupant… alors que, dans le même temps, le ministère allemand de la Défense envisage de passer une importante commande de chars Leopard 2A8.

Au début, le programme MGCS ne devait pas poser de problème particulier, notamment au niveau du partage des tâches [à 50-50], étant donné que la co-entreprise KNDS, formée par le français Nexter et l’allemand Krauss-Maffei Wegmann [KMW] avait été mise sur les rails pour le mener à bien. Seulement, l’arrivée dans le projet de Rheinmetall – qui mise par ailleurs sur son char KF-51 « Panther » – a bousculé les équilibres… D’où les difficultés à se mettre d’accord sur les questions industrielles et technologiques.

Cependant, le 2 mai, lors de son audition par les députés de la commission de la Défense, dans le cadre de l’examen du projet de Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30, le Délégué général pour l’armement [DGA], Emmanuel Chiva, s’est voulu rassurant, malgré les difficultés.

« Ce n’est pas parce qu’on dit que c’est compliqué ou que l’on est inquiet que ça va dans le mur. Nous avons la volonté, de toute manière, d’avoir un avenir à notre feuille de route de char de combat. C’est suivi au plus haut niveau de l’État. Et donc, là aussi, il y a des jalons […] qui nous permettront de développer des solutions alternatives si jamais on se rend compte que le programme MGCS ne se réalise pas comme prévu », a expliqué M. Chiva aux députés. À noter que cette démarche vaut aussi pour le Système de combat aérien du futur [SCAF].

Cela étant, a poursuivi le DGA, il « n’y a pas d’inquiétude à avoir » pour l’instant, précisant que huit MTD [Main Technical Demonstrateurs] devraient être lancés », après avoir fait l’objet d’une récente discussion entre M. Lecornu et son homologue allemand, Boris Pistorius. Toutefois, le programme MGCS doit compter treize MTD… Et M Chiva n’a pas précisé ceux qui ont été évoqués par les deux ministres. En tout cas, a-t-il assuré, « nous sommes en train d’essayer d’accélérer » et « nous sommes très conscients des différents […] points de passage obligés afin de pouvoir conserver notre capacité opérationnelle en matière de char de combat ».

À noter que le MGCS n’est cité qu’une seule fois dans le projet de LPM 2024-30. Et pour dire qu’il « doit préparer l’avenir du combat terrestre ». Ce qui est vague… En outre, le texte confirme que l’armée de Terre pourra aligner 200 chars Leclerc portés au standard XLR… dont 160 en 2030, les quarante derniers devant lui être livrés au cours des cinq années suivantes. À moins qu’il en aille autrement…

En effet, le char de combat du futur n’est qu’un élément du programme MCGS, lequel vise à mettre au point d’autres capacités [robots terrestres, drones, combat collaboratif, munitions, etc]. Aussi, son développement pourrait être remis à une échéance plus lointaine… D’où l’éventualité d’une « solution intermédiaire » pour remplacer le Leclerc d’ici-là.

Cette hypothèse a été évoquée par Nicolas Chamussy, le Pdg de Nexter, à l’occasion d’une nouvelle audition à l’Assemblée nationale, ce 3 mai. « Le MGCS reste en ligne de mire pour la préparation de l’avenir d’un programme de char de combat en coopération avec l’Allemagne. […] Il faudra une solution intermédiaire, d’une manière ou d’une autre, pour succéder au char Leclerc. Solution qui s’impose petit à petit, du fait du contexte ukrainien et de l’arrivée de chars avec de nouvelles capacités », a-t-il dit.

Pour répondre à ce besoin de solution intermédiaire [déjà évoquée par M. Lecornu, selon lui], « on a proposé le concept d’E-MBT, un char qui capitalise sur les compétences et les acquis en Allemagne et en France du groupe KNDS », a précisé le Pdg de Nexter.

Cet E-MBT « fait clairement partie des solutions envisagées en réponse à la demande du ministre de trouver une solution intermédiaire, quoi qu’il arrive », a insisté M. Chamussy.

Probablement que l’on en saura davantage quand M. Lecornu sera auditionné par la commission sénatoriale des Affaires étrangères et des Forces armées… où à l’occasion des débats sur le projet de LPM 2024-30.

La DGA n’exclut par une solution « souveraine » pour la future capacité de feux dans la profondeur de l’armée de Terre

La DGA n’exclut par une solution « souveraine » pour la future capacité de feux dans la profondeur de l’armée de Terre

 

https://www.opex360.com/2023/05/03/la-dga-nexclut-par-une-solution-souveraine-pour-la-future-capacite-de-feux-dans-la-profondeur-de-larmee-de-terre/


 

D’après le rapport mis en annexe du projet de Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30, les préoccupations exprimées par le général Schill ont été prises en compte puisqu’il y est en effet question de doter l’armée de Terre « d’au moins » treize nouveaux systèmes de frappes dans la profondeur d’ici 2030… et de porter cette dotation à 26 exemplaires à l’horizon 2035.

Cela étant, le sujet du remplacement des LRU n’est pas nouveau. En janvier 2021, dans une réponse à une question écrite d’un député, le ministère des Armées avait expliqué que le renouvellement de cette capacité allait se faire dans le cadre d’un « dialogue » avec l’Allemagne [alors dotée d’un système similaire], tout en soulignant les projets européens FIRES [Future Indirect fiRes European Solutions] et E-COLORSS [European COmmon LOng Range indirect Fire Support System], le second devant permettre de « préparer une solution européenne pour le remplacement du châssis et de la conduite de tir LRU à l’hozizon 2030 ».

La guerre en Ukraine a modifié ces plans… Ainsi, en Allemagne, Krauss-Maffei Wegmann s’est associé à l’israélien Elbit Systems pour proposer un lance-roquette multiple « européen », basé sur le PULS [Multi-Purpose Universal Launching System ou système de lancement universel polyvalent]. Lequel PULS a récemment été choisi par le Danemark et les Pays-Bas. De son côté, Rheinmetall a conclu un accord avec Lockheed-Martin pour produire le M142 HIMARS [High Mobility Artillery Rocket System].

Si autre solution – le K239 Chunmoo sud-coréen, déjà choisi par la Pologne – est sur le marché, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, n’a évoque que le M142 HIMARS pour remplacer le LRU.

« Le principe est qu’on achète français mais il y a toujours eu des exceptions depuis le début de la Ve République », avait dit le ministre, à l’occasion d’une audition parlementaire, en janvier dernier. Et, citant le LRU, « qui n’est pas de marque française », son « remplaçant est plutôt le HIMARS », avait-il ajouté.

À l’Assemblée nationale, le 2 mai, le Délégué général pour l’armement [DGA], Emmanuel Chiva, a confirmé l’intérêt pour le M142 HIMARS… tout en esquissant une possible solution « souveraine », qu’elle soit « nationale » ou « européenne ».

« Compte-tenu du retour d’expérience de l’Ukraine, cette modernisation de la capacité de frappe longue portée est évidemment indispensable, d’autant plus que cette capacité LRU française arrive dans les dernières étapes de son cycle de vie et sera bientôt frappée d’obsolescence. Et nous acccentuons cela avec la cession d’un certain nombre de systèmes à l’Ukraine. Donc, bien évidemment, nous avons des travaux en cours sur la détermination du réel besoin opérationnel », a d’abord expliqué M. Chiva.

Pour répondre à ce besoin, a-t-il poursuivi, « nous aurons deux solutions : une première qui consisterait à prendre sur étagère le HIMARS américain », qui a l’avantage d’être sur le marché mais qui « introduit un risque de dépendance », ou de « développer une solution souveraine nationale ou européenne » puisque « nous avons, dans notre Base industrielle et technologique de défense [BITD] des compétences qui existent dans ce domaine ».

Et M. Chiva de citer « MBDA, Ariane et Safran » avec qui la Direction générale de l’armement [DGA] est « déjà en discussion pour une solution nouvelle », laquelle présenterait « l’avantage de préserver notre souveraineté et également de renforcer notre base industrielle, qu’elle soit française ou européenne ».

Quoi qu’il en soit, selon M. Chiva, la décision se fera en fonction des délais et des coûts. « On va demander à nos industriels de faire leur meilleure proposition en fonction de l’expression des besoins pour une solution souveraine. Et nous aurons un point de passage en 2027 », a-t-il dit.

« En tout état de cause, ce qui est prévu, c’est d’avoir 600 millions d’euros consacrés à ce sujet sur la période de la LPM, avec 13 systèmes disponibles dès 2028 et une cible finale qui pourrait atteindre plusieurs dizaines », a ensuite indiqué le Délégué général pour l’armement. En tout cas, a-t-il conclu, « notre savoir-faire sur les programmes des segments de frappe longue portée ‘air’ et ‘naval’ pourrait nous apporter une technologie souveraine pour la frappe longue portée terrestre ».

L’invention de ce militaire a séduit les forces spéciales françaises et américaines

L’invention de ce militaire a séduit les forces spéciales françaises et américaines

Armurier à la BA105 d’Évreux, Killian Pezet est revenu d’une mission avec l’envie de créer un établi mobile pour entretenir les différents équipements. Son innovation a été primée.

 

Artac
Killian Pezet, lors de la présentation de son invention à un salon d’innovation militaire. ©Photo fournie par Killian Pezet.

Militaire à la base aérienne 105 d’Évreux (Eure), Killian Pezet se définit comme quelqu’un de discret. Pourtant, depuis quelques jours, il se retrouve sous les projecteurs grâce à son invention primée lors d’un prestigieux salon dédié à l’innovation militaire.

Originaire de Cherbourg, le jeune homme de 24 ans est arrivé à la BA105 il y a cinq ans et demi. Un brevet professionnel en poche, il a suivi les traces de son père et est devenu armurier. Un poste « assez rare » (il y en a quatre ou cinq par base) qui consiste à entretenir, réparer et modifier les armes, du pistolet au fusil d’assaut utilisé en mission.

Une armurerie mobile

C’est lors d’une opération extérieure (Opex) dans le Sahel que les premières graines de son innovation ont germé. En tant qu’armurier, il est installé sur une grande base, quand bon nombre de militaires sont situés dans des avant-postes à deux heures de vol.

Lorsqu’ils ont besoin de réparer leurs armes, ces derniers sont obligés d’attendre la fin de leur mission et doivent se déplacer avec tout leur équipement jusqu’à la base. Une galère logistique.

Je me suis demandé pourquoi l’armurerie n’irait pas au plus près de nos hommes.

Killian Pezet

De retour en France après cinq mois de mission, il propose son idée : « Condenser tous les moyens techniques et technologiques d’une armurerie dans un caisson d’un mètre cube. » Une armurerie mobile en somme. La boîte doit être transportable en avion et larguée sur les terrains de conflits si besoin.

Une fois déployée, elle devient une table de 2 m de largeur et de 70 cm de longueur composée de tiroirs comportant l’outillage nécessaire à la réparation et au nettoyage des armes, les pièces, les ingrédients (huiles, colles…), les tablettes (principalement utilisées pour indiquer la marche à suivre pour chaque arme), les éclairages, microscope et endoscope… « Chaque centimètre est utilisé pour caler et emporter le plus de choses », résume l’inventeur.

Une maquette avec des déchets

Dans un premier temps, ses collègues pensent à une blague. Pas de quoi désarmer le jeune caporal. « Il a fallu démontrer que j’y croyais fort. Au pire on m’aurait dit que c’était nul. Au mieux ça marchait », explique-t-il, simplement. Il prend ses soirées pour se former à la modélisation en trois dimensions afin de présenter son projet aux autorités.

Un sens de la débrouille qui fait mouche, puisqu’à l’automne 2021, son exposé suscite l’intérêt des autorités. Killian Pezet réalise une maquette en bois à peu de frais, notamment en se servant de déchets et en faisant appel aux menuisiers de la BA105, afin de montrer son concept.

Artac
L’établi Artac créé par Killian Pezet. ©Photo fournie par Killian Pezet.

Pour le prototype, il obtient un financement de la Direction générale de l’Armement (DGA), qui tient les cordons de la bourse. Ayant la possibilité de compter sur un budget imposant, le caporal se limite à 15 000 €. « Je n’avais pas besoin de plus », assure-t-il.

Un coût maîtrisé grâce aux capacités de recherche et de fabrication au sein même de l’armée française. Il met à contribution l’atelier industriel de la base de Bordeaux, unique en France, « qui peut tout construire ». Surtout, cette phase permet à son invention de passer entre les mains d’ingénieurs qui peuvent aller dans le détail.

« Être autonome à 100 % »

Si le caisson de l’inventeur ébroïcien est crédible, c’est avant tout parce qu’il est issu « de l’expérience du terrain et qu’il n’a pas été commandé dans un bureau ». Deux panneaux solaires dépliables permettent de recharger tablettes et éclairages si aucune prise n’est disponible. « L’idée, c’est d’être autonome à 100 % », appuie Killian Pezet.

Le côté table de camping pliable est totalement assumé par le jeune homme, qui a voulu rendre le tout simple d’utilisation.

On met moins de soixante secondes à le déployer. Le but, c’est que l’on ne se pose pas de question et qu’on ne le casse pas.

Killian Pezet

Le plan de travail, totalement magnétique, a lui aussi été pensé pour répondre aux exigences du terrain. « Il faut éviter que les petites vis tombent et roulent dans le sable », précise celui qui se définit lui-même comme un « bricoleur maladroit ». Seul véritable « point noir » du paquetage : son poids. Il pèse une centaine de kilos, mais le caporal a trouvé l’alternative en y ajoutant un système de chariot pour qu’un seul homme soit en mesure de le tirer, quel que soit le terrain.

« Mieux que le concours Lépine »

Fin mars, Killian Pezet a participé au salon SOFINS (special operations forces specials network seminar) à Bordeaux. Un événement très fermé qui se tient tous les deux ans et pour lequel il faut montrer patte blanche.

Ça réunit les forces spéciales du monde entier et les industriels qui fabriquent les gadgets à la James Bond.

Killian Pezet

Parmi la cinquantaine d’innovateurs présents, il a gagné le prix dans la catégorie GCOS (général commandant les opérations spéciales). « C’est mieux que le concours Lépine », assure-t-il. Un prestige, mais surtout « une crédibilité gigantesque » pour l’invention et l’inventeur.

C’est à cette occasion que Killian Pezet a choisi le nom d’Artac (Armurerie tactique). Un intitulé plus punchy que Caisse projetable d’entretien des armes (CPEA), et surtout plus facile à dire. « Je bégayais beaucoup, j’aurais loupé la prononciation », confie l’inventeur ébroïcien. Pourtant, pendant les quatre jours du salon, son handicap ne l’a pas gêné : « Je savais exactement de quoi je parlais, ça a aidé. »

Killian Pezet
Le caporal Pezet a gagné le prix dans la catégorie GCOS (général commandant les opérations spéciales) lors d’un salon dédié à l’innovation militaire. ©Photo fournie par Killian Pezet


Artac killian pezet évreux
L’armurerie mobile de Killian Pezet peut être larguée depuis un avion. ©Photo fournie par Killian Pezet

Des entreprises intéressées

L’armée française a déposé le brevet pour son usage et Killian Pezet peut en faire ce qu’il veut pour le civil. Il a déjà été approché par des entreprises qui gèrent des pipelines au Moyen-Orient qui voudraient utiliser le caisson.

Car la structure pourra s’adapter à différents clients en fonction de leurs besoins : armes spécifiques aux différents corps (armée conventionnelle, forces spéciales, GIGN, Raid…), réparation de drones, réparation d’hélicoptères, camions…

L’invention a d’ailleurs beaucoup plu aux forces spéciales américaines.

Mais avant de penser à la vendre, Killian Pezet travaille sur sa version finale, « qui doit être efficace sur le terrain ». Pour ça, pas de secret : l’expérience. « On essaye de le malmener », s’amuse l’inventeur. Le caisson est confié à d’autres personnes « un peu plus brutales » pour tester sa solidité. Prochaine étape : un largage en avion.

Ce que peut faire l’Élysée pour sauver l’industrie de défense

Ce que peut faire l’Élysée pour sauver l’industrie de défense


Lors de ses vœux 2023 aux armées, Emmanuel Macron a annoncé un effort budgétaire de 400 milliards d’euros sur la période 2024-2030. A l’heure de la guerre en Ukraine et alors que les stocks d’équipement sont au plus bas, les armées (et notamment l’armée de terre) avaient quelques raisons d’espérer un coup d’accélérateur sur les commandes d’armement « classique ». Espoir douché par la réalité, puisque les grands gagnants de la nouvelle LPM sont le cyber, l’espace et l’outre-mer. Si l’industrie de défense et de sécurité terrestre ne bénéficiera pas de plus de commandes, plusieurs pistes s’offrent à l’Élysée pour maintenir la compétitivité de cette industrie.

Doper l’innovation de la défense

La transition d’un modèle d’armée vers la haute intensité nécessite de disposer de capacités de haute technologie couplées à une production de masse. Le conflit en Ukraine est un cas représentatif. Les taux de pertes enregistrés ont démontré la nécessité de disposer d’une épaisseur capacitaire très importante. Dans cette optique, la guerre a confirmé qu’un petit nombre d’effecteurs high-tech n’auraient pas nécessairement l’avantage sur une masse d’équipements plus rustiques. Il n’en demeure pas moins que l’usage d’équipements technologiques (liaisons de données, drones, etc.) s’est imposé dans la conduite des opérations.

La nomination d’Emmanuel Chiva, ancien directeur de l’Agence de l’innovation de Défense du ministère des Armées, à la tête de la DGA l’année dernière illustre d’ailleurs l’importance accordée à cette dimension par Emmanuel Macron. Toutefois, l’affectation des ressources peut parfois laisser à désirer, comme dans le cas des drones, où la France est en retard alors que les leçons du Haut Karabagh et de l’Ukraine montrent leur caractère déterminant. Jean-Louis Thiériot, vice-président de la Commission de la Défense à l’Assemblée nationale, propose d’ailleurs de simplifier l’accès aux mécanismes de soutien à l’innovation et de poursuivre des projets disruptifs dont l’intérêt n’apparaîtrait pas immédiatement. Une perspective qui s’étend bien au-delà des seules industries du secteur, et pourrait s’intégrer aux réflexions menées sous l’égide de Matthieu Landon, conseiller industrie et innovation de l’Élysée pour optimiser les synergies entre start-up et grandes entreprises.

Protéger les entreprises des prédations

Dans son rapport de janvier 2023, la Direction générale des entreprises (DGE) dresse un panorama des menaces qui pèsent sur les entreprises françaises. Parmi celles-ci, une grande partie concerne l’acquisition d’entreprises par des sociétés étrangères (40 %). Comme dans le cas tout récent d’Exxelia. Cette entreprise fabrique des composants complexes et des sous-systèmes de précision dédiés à des environnements tel que le domaine spatial, l’aéronautique ou la Défense. Alstom, Latécoère et maintenant Exxelia ont en commun de disposer d’un savoir-faire précieux dans les domaines de souveraineté, et d’avoir été achetés par des entreprises américaines.

Face à ce type de menaces, les États-Unis et l’Allemagne ont assez tôt développé des stratégies d’intelligence économique. Le Committee on Foreign Investment in the United States (CFIUS) pourrait être un exemple à suivre dans la protection de nos entreprises. Cet organisme, chargé d’analyser les acquisitions d’entreprises US sensibles par des sociétés étrangères, demandait par exemple, en 2019, à l’entreprise chinoise Beijing Kunlun Tech Co Ltd. de vendre Grindr[1]. Il se disait en effet préoccupé par la détention d’une base de données de localisation, de messages et de statut VIH de l’utilisateur par une entreprise chinoise. Celle-ci avait finalement accepté en 2020, de céder sa participation à San Vicente Acquisition.

Une telle démarche implique pour les entreprises, et l’administration, d’être en mesure d’identifier en amont les attaques concurrentielles de différentes natures et notamment informationnelles. Ce qui par exemple ne semble pas avoir été suffisamment pris en compte lorsque Naval Group a subi la longue campagne de la presse australienne qui a contribué à l’annulation d’un contrat historique de 56 milliards d’euro pour la livraison de douze sous-marins à propulsion diesel. Ces mésaventures pourraient être anticipées par une stratégie de veille sur les risques et la concurrence qui prenne en compte la réalité de l’affrontement concurrentiel, même entre alliés géopolitiques.

Rapatrier les industries

Pour le Ministre des Armées, l’objectif est clair, « je n’ai pas d’état d’âme : je veux un agenda de relocalisation ». Le ralentissement des échanges mondiaux à l’occasion de la crise du Covid a mis en évidence nos multiples dépendances, touchant notamment des éléments de systèmes d’armes en service dans nos armées. Ils étaient produits hors du territoire national. « Si on est sur la souveraineté française, on ne peut pas comprendre qu’un certain nombre de pièces soient produites à l’étranger, parfois même par de potentiels concurrents ou compétiteurs. »  a-t-il poursuivi dans un discours aux principaux représentants de la Base industrielle et technologique de défense en septembre 2022.

Relocaliser est également l’assurance de préserver le savoir-faire nécessaire pour maintenir notre souveraineté. Il existe certains domaines de l’industrie où la main d’œuvre s’est perdue, imposant une nouvelle politique de formation. Jean-Louis Thiériot révélait que Naval Group n’arrive plus à recruter suffisamment de soudeurs et se voit donc contraint de recruter à l’étranger. Il plaide donc pour une formation ad hoc qui réponde aux difficultés de l’industrie.

Intensifier les commandes

L’une des leçons de la guerre en Ukraine est la nécessité de disposer d’une masse suffisante pour répondre à l’attrition causée par l’adversaire, et maintenir au contact un rapport de force favorable. Ainsi, en septembre dernier, la Russie aurait dépassé le cap des 1 200 chars hors de combat, sans toutefois épuiser ses capacités, loin s’en faut.

L’Allemagne et d’autres pays européens ont récemment reconnu l’importance de suivre ce mouvement et de réarmer. Toutefois, en faisant le choix d’avions F-35, la Belgique, la Pologne et plus récemment l’Allemagne, ont démontré que privilégier des fournisseurs européens n’était pas une évidence. Certains politiques mettent donc en avant un « Buy European Act » de la Défense afin de renforcer la « souveraineté européenne » en soutenant les solutions de défense de l’UE. Cependant, les entreprises françaises sont parfois ralenties sur leur propre territoire par des procédures juridiques d’appel d’offre complexes. Le remplacement du Famas au profit du HK 416 en est un exemple : les conditions de participation étant trop strictes, en 2015 Thales et Verney-Carron avaient été éliminés d’office.

Pour un meilleur accompagnement des industriels

La diplomatie française sait accompagner les industries de Défense pour décrocher d’importants contrats. Il existe de nombreux exemples en ce domaine ; la vente de 42 rafales à l’Indonésie, la vente de 3 frégates et 3 corvettes à la Grèce en 2021 et plus récemment les canons Caesar à la Belgique et la Lituanie. Mais cette aide est parfois inégale, plus souvent portée vers les segments aérien et maritime que vers le terrestre. Or les entreprises comme Nexter et Arquus doivent pouvoir tout autant s’appuyer sur un soutien de l’État à leur politique commerciale d’exportation, a fortiori quand la future loi de programmation militaire 2024-2030 ne leur semble pas particulièrement favorable.

S’il doit ses succès d’export à sa renommée opérationnelle, le Caesar lui-même mériterait sans doute un appui, qui lui aurait peut-être évité de se faire évincer, sur le fil, du marché colombien par son concurrent israélien Elbit, qui vient également de le chasser du Danemark courant février.

Enjeu financier autrement plus conséquent, puisqu’il pourrait se compter en milliards, Nexter est aussi toujours en négociations avec le Qatar pour la vente du VBCI, le véhicule de combat de l’infanterie française, dans une version améliorée. En 2019, l’affaire semblait très proche d’aboutir, mais le client potentiel a commencé à s’intéresser au Boxer allemand, pour des raisons apparemment plus proches des relations interétatiques que des choix militaires. Une conjoncture qui souligne derechef la pertinence d’un appui, si nécessaire du plus haut niveau, pour faire déboucher certains dossiers. À ce stade, Bruno Le Maire en visite récente dans le Golfe, ne semble pas avoir fait avancer les choses, pas plus que Patrick Durel, conseiller Moyen Orient de l’Élysée, en revanche impliqué dans les coulisses d’une vente de Rafale aux Émirats.

En définitive, c’est une implication de l’exécutif à la hauteur des enjeux, définis par ce dernier, dont cette industrie directement liée à notre souveraineté a besoin. Les plus hautes instances étatiques semblent ne pas encore en avoir pris toute la mesure. Ainsi, si l’intervention récente de Roland Lescure contre la délocalisation de Latécoère, groupe historique de l’industrie aéronautique française est louable, son caractère tardif montre un manque d’anticipation stratégique en la matière. Alors qu’elles sont solennellement appelées à s’adapter à une nouvelle « économie de guerre », les entreprises de la BITD attendent désormais de l’Élysée et des différents ministères de tutelle un engagement politique concret à la hauteur de ces exigences.


  1. https://news.bloomberglaw.com/bloomberg-law-analysis/analysis-cfius-scrutiny-forces-chinese-sale-of-grindr

Dissuasion : Le sous-marin nucléaire lanceur d’engins « Le Terrible » a tiré un missile M51 avec succès

Dissuasion : Le sous-marin nucléaire lanceur d’engins « Le Terrible » a tiré un missile M51 avec succès

par Laurent Lagneau – Zone militaire – publié le 19 AVRIL 2023

https://www.opex360.com/2023/04/19/dissuasion-le-sous-marin-nucleaire-lanceur-dengins-le-terrible-a-tire-un-missile-m51-avec-succes/


Quatrième et dernier sous-marin nucléaire lanceur d’engins [SNLE] de la classe « Le Triomphant » à avoir été admis au service [en 2010], le « Terrible » n’a plus effectué de patrouille opérationnelle depuis janvier 2021, date de son transfert au bassin 8 de la base navale de Brest pour son « grand carénage » [*] [ou « Indisponibilité périodique pour entretien et réparation » – IPER].

D’une durée de 14 mois, ces travaux, réalisés sous la maîtrise d’ouvrage du Service de soutien de la Flotte [SSF], ont concerné « l’entretien de la coque et des structures, l’énergie et la propulsion, la sécurité plongée, les systèmes de conduite et d’exploitation de la plate-forme, les servitudes liées à la vie à bord, la détection et la lutte contre les menaces et enfin le Système d’armes de dissuasion [SAD], selon Naval Group, désigné maître d’oeuvre de ce chantier. En outre 300 modifications étaient au programme, afin d’améliorer « la conduite et les performances » du sous-marin.

Cette IPER étant sur le point de se terminer, il était nécessaire de vérifier le système d’arme du « Terrible » avant son retour dans le cycle opérationnel. Ce qui a été fait ce 19 avril.

En effet, la Direction générale de l’armement [DGA] et la Marine nationale ont indiqué que le SNLE « Le Terrible » venait de tirer avec succès un missile balistique mer-sol M-51 [M51.2?] depuis la baie d’Audierne, au large du Finistère.

« Le missile a été suivi tout au long de sa phase de vol par les moyens de DGA Essais de missiles et ceux du bâtiment d’essais et de mesures Monge. La zone de retombées se situe en Atlantique Nord à plusieurs centaines de kilomètres de toute côte. Cet essai a été effectué sans charge nucléaire et dans le strict respect des engagements internationaux de la France », a expliqué la DGA.

Et celle-ci d’ajouter : « Ce tir valide la capacité opérationnelle du système d’armes global du SNLE Le Terrible et démontre à nouveau l’excellence de la haute technologie que les industries françaises mettent en œuvre dans ce domaine ».

Il s’agit du sixième tir d’un missile M51 effectué par un SNLE de la classe Triomphant. Le dernier jusqu’ici en date avait été réalisé par le SNLE « Le Téméraire », en juin 2020. Mais c’est surtout le premier depuis le début de la guerre en Ukraine… « Le succès de ce tir d’essai […], sans charge militaire, matérialise la crédibilité et la robustesse de notre dissuasion nucléaire », s’est félicité Sébastien Lecornu, le ministre des Armées.

Pour rappel, les missiles M51.2 emportent de nouvelles têtes océaniques [TNO] d’une puissance de 100 kilotonnes. La version suivante, appelée M51.3, est en cours de développement. Elle aura une portée plus élevée ainsi que de meilleures capacités de pénétration des défénses antimissiles adverses.

[*] Selon Naval Group, 30 mois de travail sont nécessaires à la réalisation de chaque IPER d’un SNLE, répartis entre l’Ile Longue et le bassin 8 de la base navale de Brest.FOSTIPER, SNA, Sous-marin, Le Terrible, M51, M51.2, Marine Nationale, Monge, SNLE, dissuasion,

Un pas de plus vers un Akeron MP « franco-suédois »

Un pas de plus vers un Akeron MP « franco-suédois »

 – Forces opérations Blog – publié le 

Moins de deux ans après la signature d’une lettre d’intention, la France et la Suède blindent davantage leur partenariat autour du missile antichar Akeron MP de MBDA. L’accord bilatéral signé hier matin ouvre désormais la voie aux études, acquisitions et développements communs. 

Le document, signé par par l’ingénieur général hors classe de l’armement Gaël Diaz de Tuesta, directeur du développement international de la DGA, et par le chef d’état-major de la FMV, le général Mikael Frisell, fait suite à la LoI signée en juillet 2021 et au rapprochement dans le cadre du projet européen EU BLOS

« Cet accord est une étape très importante pour l’approfondissement de la coopération avec la France dans le domaine de la défense », déclarait le général Frisell. Il s’accompagne d’un rapprochement acté hier également entre MBDA et le groupe suédois Saab. 

« Cet accord permettra de mettre à profit de la meilleure des manières la complémentarité des deux sociétés au profit du client final dans le domaine de l’Akeron MP », nous explique MBDA. « La combinaison de l’expertise, des compétences et des ressources de MBDA et de Saab dans le domaine du combat terrestre garantira que le système d’arme Akeron MP et ses solutions de formation évolueront en cohérence avec les exigences des conflits actuels et futurs », poursuit le groupe européen. 

L’Akeron MP, renommé « Rbs 58 » dans la nomenclature suédoise, est depuis l’an dernier l’objet d’expérimentations menées au sein du 12e bataillon d’infanterie motorisée du régiment des « Life Guards ». Les formations aux profit d’unités suédoises devraient démarrer « dès 2023 » selon la FMV. 

« Une campagne de tir majeure a été réalisée à l’automne, qui a fourni des valeurs d’entrée importantes pour les besoins finaux en vue de la commande [de munitions] de série », indique la FMV dans son rapport annuel. D’après le calendrier présenté par le service, une décision quant à l’acquisition du missile était envisagée pour cet été afin de percevoir les premiers exemplaires au plus tôt en 2025.

Crédits image : FMV

Devant être livré au cours de l’été prochain, le sous-marin Duguay-Trouin a débuté ses essais en mer

Devant être livré au cours de l’été prochain, le sous-marin Duguay-Trouin a débuté ses essais en mer

https://www.opex360.com/2023/03/28/devant-etre-livre-au-cours-de-lete-prochain-le-sous-marin-duguay-trouin-a-debute-ses-essais-en-mer/


 

D’après le calendrier suivi par son précédesseur, on pensait alors que ce sous-marin débuterait ses essais en mer en janvier, voire en février 2023.

Finalement, le Duguay-Trouin a effectué sa première sortie en mer les 27 et 28 mars, au large de base navale de Cherbourg, avec son équipage « bleu » à bord. C’est en effet ce qu’a indiqué le ministère des Armées, via un communiqué diffusé ce jour.

« La première sortie à la mer, qui marque le démarrage des essais à la mer est un jalon majeur avant la réception du deuxième sous-marin de type Suffren », souligne-t-il.

Comme pour le Suffren [et ce sera aussi le cas pour les quatre SNA suivants], ces essais en mer, qui visent à vérifier les capacités techniques et opérationnelles, sont menés sous la supervision de la Direction générale de l’armement [DGA], de la Direction des applications militaires [DAM] du Commissariat à l’énergie atomique et des énergies renouvelables [CEA], de Naval Group et de TechnicAtome, les deux industriels étant par ailleurs les propriétaires du navire, jusqu’à sa livraison.

Le Duguay-Trouin est « placé sous la responsabilité de la Marine nationale pour son commandement opérationnel et en sa qualité d’exploitant nucléaire délégué. Maître d’ouvrage du programme Barracuda, la DGA et le CEA sont, quant à eux, responsables des essais jusqu’à la réception du navire et sa livraison à la Marine nationale », rappelle le ministère des Armées.

À noter que, depuis le 23 mars, le Duguay-Trouin est pourvu de ses deux équipages, le « rouge » ayant été officiellement créé lors d’une cérémonie au mémorial du Mont Faron, à Toulon.

« La première mission qui vous attend va être de transformer un sous-marin en essais en un bâtiment de combat apte à se déployer sur les théâtres d’opérations. Dans le sillage de l’équipage bleu, […] il va vous falloir à compter de l’été vous approprier le sous-marin, ses installations, ses modes de conduite, son système d’armes, afin de poursuivre la conquête du domaine d’emploi et avancer vers son admission au service actif. C’est une responsabilité véritablement extraordinaire, qui vous oblige véritablement, tant le niveau d’exigence, de complexité, d’attentes est élevé », a dit le capitaine de vaisseau Jérôme Colonna d’Istria, commandant l’escadrille des sous-marins nucléaires d’attaque [ESNA] aux sous-mariniers de cet équipage « rouge ».

Une fois livré à la Marine nationale, le Duguay-Trouin devra encore effectuer un déploiement de longue durée [DLD], au cours duquel ses capacités militaires seront mises à l’épreuve. Ce n’est qu’à l’issue qu’il sera officiellement admis au service actif pour remplacer le SNA Rubis, désarmé en novembre 2022.

Pour rappel, d’une longueur de 99 mètres pour un diamètre de 8,8 mètres et un déplacement de 5’300 tonnes en plongée, les SNA de la classe Suffren sont dotés des dernières technologies en matière de capacités sous-marines [automatisation, mât optronique, numérisation, recours à l’intelligence artificielle, etc]. Plus discrets et plus maneouvrables que leurs prédécesseurs de la classe Rubis, ils sont censés naviguer à plus de 300 mètres de profondeur. Enfinn ils emportent des missiles de croisière navale [MdCN], des missiles antinavires Exocet SM39 modernisés, des torpilles lourdes filoguidées F-21 et des mines.

« Les quatre autres sous-marins du programme Barracuda [Tourville, de Grasse, Rubis et Casabianca] sont actuellement à différents stades de construction, et leurs livraisons s’échelonneront jusqu’à l’horizon 2030 », a conclu le ministère des Armées.