Planisphère. L’Asie – Pacifique, vraiment le nouveau centre du monde ? Avec C. Lechervy

Planisphère. L’Asie – Pacifique, vraiment le nouveau centre du monde ? Avec C. Lechervy

Par Christian Lechervy, Emilie Bourgoin, Pierre Verluise – Diploweb – publié le 9 avril 2025 

https://www.diploweb.com/Planisphere-L-Asie-Pacifique-vraiment-le-nouveau-centre-du-monde-Avec-C-Lechervy.html


Ambassadeur Christian Lechervy, Co-auteur de « L’Asie – Pacifique : nouveau centre du monde », Odile Jacob. Secrétaire permanent pour le Pacifique – Ambassadeur de France auprès de la Communauté du Pacifique (CPS ) (2014 -2018). Conseiller pour les affaires stratégiques et l’Asie -Pacifique du Président de la République (2012 – 2014). Directeur adjoint de la Prospective au ministère des affaires étrangères (2010 – 2012).
Interview organisée et conduite par Pierre Verluise, docteur en Géopolitique, fondateur du Diploweb, il produit Planisphère sur Radio Notre Dame et RCF depuis septembre 2024. Cette émission a été diffusée le 8 avril 2025.
Synthèse par Émilie Bourgoin, étudiante en quatrième année au BBA de l’EDHEC et alternante au sein de la cellule sûreté d’un grand groupe. Elle est en charge du suivi hebdomadaire de l’actualité des livres, revues et conférences géopolitiques comme de la rédaction des synthèses des épisodes de l’émission Planisphère pour Diploweb.

Comment l’Asie-Pacifique prend-elle sa part dans la désoccidentalisation du monde ? Mais c’est quoi l’Asie-Pacifique ? L’Asie-Pacifique rassemble 17 pays, du Nord au Sud : de la Mongolie au Timor-Leste, d’Est en Ouest, de la Chine au Japon. Ces 17 pays ont bien sûr des caractéristiques différentes, mais ils sont tous reliés au bloc de civilisation sinisée. L’Inde et l’Australie n’en font pas partie. L’Asie – Pacifique, est-elle vraiment le nouveau centre du monde ? Pour répondre à cette question nous avons l’honneur de recevoir l’Ambassadeur Christian Lechervy, co-auteur de « L’Asie – Pacifique : nouveau centre du monde », aux éditions Odile Jacob.
Podcast, vidéo et synthèse rédigée, validée par C. Lechervy.

Cette émission [1], Planisphère, L’Asie – Pacifique, vraiment le nouveau centre du monde ? Avec C. Lechervy, sur RND

Synthèse de cette émission, Planisphère, L’Asie – Pacifique, vraiment le nouveau centre du monde ? Avec C. Lechervy. Rédigée par Emilie Bourgoin pour Diploweb.com . Relue et validée par C. Lechervy

L’ASIE-PACIFIQUE est aujourd’hui au cœur des dynamiques économiques et stratégiques mondiales. Avec 17 pays allant de la Mongolie au Timor oriental, et de la Chine au Japon, cette région se distingue par une histoire commune marquée par la civilisation sinisée. Mais en quoi cette région peut-elle être qualifiée de « nouveau centre du monde » ? L’ambassadeur Christian Lechervy, co-auteur de « L’Asie-Pacifique, nouveau centre du monde » (éd. Odile Jacob), éclaire cette question.

Une région en pleine structuration

Contrairement à l’idée reçue selon laquelle les États-Unis domineraient l’Asie-Pacifique, la réalité est plus complexe. La région s’est organisée en particulier à partir de l’Association des nations d’Asie du sud-est (ASEAN), notamment à partir du moment où la Birmanie, le Cambodge, le Laos et le Vietnam se sont joints à elle, donnant ainsi le sentiment à la région d’avoir (re)trouvé son unité. Cette organisation régionale favorise la coopération intra-asiatique entre les pays d’Asie du Sud-Est eux-mêmes mais également avec l’Asie du Nord-Est (Chine, Japon, Corée) mais encore avec le reste du monde : l’Europe, le Proche et Moyen-Orient, les États des Amériques voire l’Afrique et le Pacifique.

La région connaît une forme de régionalisation en propre dans la mondialisation : elle s’intègre progressivement à l’économie mondiale tout en développant des mécanismes de coopération économiques, commerciaux et financiers internes.

Planisphère. L'Asie - Pacifique, vraiment le nouveau centre du monde ? Avec C. Lechervy

La compétition stratégique sino-américaine

L’une des tensions majeures en Asie-Pacifique réside dans la rivalité entre la Chine et les États-Unis. La Chine a considérablement renforcé ses capacités militaires, notamment navales, pour projeter sa puissance bien au-delà de ses frontières, vers l’océan Indien, le Pacifique central et l’Arctique. Toutefois, son accès aux océans reste contraint par des barrières naturelles comme le détroit de Malacca ou le détroit de Taïwan.

Pour les États-Unis, cette expansion représente un défi stratégique majeur. Washington cherche donc à maintenir une présence forte dans la région, en renforçant ses alliances et en développant des stratégies de containment.

Une contestation des règles de la mondialisation

Depuis la fin de la Guerre froide (1990-91), l’Asie-Pacifique a cherché à s’émanciper des cadres occidentaux de la mondialisation pour établir ses propres mécanismes de coopération. Toutefois, dès la Conférence de Bandung en 1955, une volonté d’indépendance vis-à-vis des puissances occidentales s’est manifestée. Aujourd’hui, cette tendance se poursuit à travers des groupements comme les BRICS auxquels l’Indonésie, la Malaisie et la Thaïlande viennent de se joindre au Global South, qui visent à redéfinir les règles économiques et politiques mondiales.

L’Asie-Pacifique se positionne ainsi comme un acteur central, demandant à être mieux reconnue, cherchant à négocier avec l’Europe et les Amériques sur un pied d’égalité.

Une montée en puissance pacifique ?

Historiquement, l’essor des puissances européennes a souvent été marqué par des guerres. En Asie-Pacifique, la montée en puissance des nations s’est faite, jusqu’à présent, de manière relativement pacifique. Bien que des tensions interétatiques persistent (notamment en mer de Chine méridionale ou entre les Corées), les conflits armés entre les nations sont devenus rares. L’essor économique et l’intégration régionale semblent jouer un rôle stabilisateur

L’Asie du Sud-Est, pivot de l’Indo-Pacifique

Avec ses façades maritimes sur l’océan Indien et le Pacifique, l’Asie du Sud-Est occupe une position stratégique. L’ASEAN s’est imposée comme un acteur central, facilitant la coopération entre les nations asiatiques et établissant des dialogues institutionalisés réguliers avec tous ses partenaires de par le monde.

L’ASEAN+3 (incluant la Chine, le Japon et la Corée du Sud) renforce cette dynamique et illustre une approche souple de l’intégration régionale, qui diffère du modèle supranational européen.

Le rôle de la France et de l’Union européenne

La France, grâce à sa présence dans l’océan Indien et le Pacifique via ses territoires d’outre-mer (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Wallis-et-Futuna, Clipperton), possède une influence directe en Asie-Pacifique. Paris a initié plusieurs forums ministériels pour structurer le dialogue entre l’Union européenne et la région, notamment pour favoriser des partenariats économiques et diplomatiques sur les enjeux globaux (ex. climat, océan).

Toutefois, l’influence européenne reste limitée par un manque d’engagements de ses États et de moyens. Pour peser davantage, l’Union européenne devra renforcer sa présence et sa coopération politique avec toutes les nations de la région et leurs institutions.

Les effets indirects de la guerre en Ukraine

La guerre d’Ukraine a révélé les liens croissants entre la sécurité de l’Asie-Pacifique et de l’Europe. La Corée du Nord fournit par exemple des armes et des soldats à la Russie en échange de soutiens diplomatiques et technologiques conséquents. De même, la Chine est accusée d’aider la Russie à contourner certaines sanctions internationales.

Sur le plan diplomatique, les votes des pays asiatiques aux Nations unies sont scrutés de près, car ils reflètent leur positionnement sur les tensions géopolitiques mondiales.

L’impact du second mandat de Donald Trump

Les partenaires asiatiques ont suivi de près la campagne et la réélection de Donald Trump. Dès son retour à la Maison-Blanche, plusieurs dirigeants, comme le Premier ministre japonais, le Secrétaire général du parti communiste vietnamien et la Première ministre thaïlandaise, ont cherché à établir, par exemples, un dialogue direct avec lui.

Toutefois, des incertitudes demeurent sur la politique économique et commerciale américaine en Asie – Pacifique. D. Trump pourrait adopter une approche protectionniste, impactant les échanges avec les nations émergentes de la région. La réduction des aides publiques au développement américaines et des programmes de coopération pourrait également redéfinir les rapports de force au profit de la Chine.


Ressources recommandées

Pour approfondir ces enjeux, trois lectures sont recommandées :

. Christian Lechervy et Sophie Boisseau du Rocher, « L’Asie-Pacifique, nouveau centre du monde » (éd. Odile Jacob).

. Delphine Alès et Christophe Jaffrelot, « L’Indo-Pacifique » (éd. Presses de Sciences Po). L’ouvrage aborde les dynamiques politiques et économiques de la région.

. Valérie Niquet et Marianne Paix, « Indo-Pacifique, nouveau centre du monde » (éd. Tallandier). Le livre analyse l’évolution géostratégique de l’espace Indo-Pacifique.

Ces ouvrages offrent une vision approfondie des mutations de l’Asie-Pacifique et de son rôle croissant sur la scène mondiale.

Copyright pour la synthèse Avril 2025-Bourgoin/Diploweb.com


Plus

. Christian Lechervy et Sophie Boisseau du Rocher, « L’Asie-Pacifique, nouveau centre du monde » (éd. Odile Jacob)

4e de couverture

L’Asie-Pacifique va-t-elle devenir le nouveau centre du monde ?
Aujourd’hui, l’Asie-Pacifique produit 60 % du PIB mondial et 66 % de la croissance mondiale. Cette montée en puissance, loin de se limiter à la Chine, concerne l’ensemble de la région.

Forte de ses atouts – sa position à la charnière des océans Indien et Pacifique, son savoir-faire dans la gestion des flux extérieurs, ses compétences, sa force de travail –, l’Asie-Pacifique teste, ébranle, défie notre positionnement, notre capacité d’influence et nos prétentions universalistes.

Alors que le modèle américain se fissure et que la guerre gronde aux portes de l’Europe, l’Asie-Pacifique tisse un maillage dense et actif qui protège ses membres. C’est d’elle aussi que sont lancées les initiatives les plus réfléchies pour désoccidentaliser l’ordre mondial et créer éventuellement un effet d’entraînement dans le « Sud global ».

Quelles en seront les conséquences pour l’Europe ? L’Asie-Pacifique deviendra-t-elle le nouveau modèle postoccidental ?

Coopération militaire nordique dans l’Arctique à l’époque de Trump

Coopération militaire nordique dans l’Arctique à l’époque de Trump

Greenland national flag and coastal landscape with snow, winter, Greenland, Denmark, North America/ibxrpa07151937/imageBROKER.com/Reinhard Pantke/SIPA/2110191510

par Henrik Werenskiold – Revue Conflits – publié le 7 avril 2025

https://www.revueconflits.com/cooperation-militaire-nordique-dans-larctique-a-lepoque-de-trump/


La période où l’Arctique était une zone de faible tension géopolitique est révolue. Les pays nordiques doivent unir leurs forces pour protéger au mieux leurs intérêts dans une région de plus en plus importante sur le plan géostratégique.

Maintenant que la realpolitik et la politique de puissance font leur grand retour dans la politique internationale, l’importance géostratégique des régions nordiques – à mesure que la glace fond – est plus cruciale que jamais. Avec les récentes déclarations de Trump sur le Groenland, la vulnérabilité potentielle de l’Islande et la position géographique délicate du Svalbard, l’enjeu pourrait potentiellement se révéler immense pour les pays nordiques.

En tant que puissances arctiques naturelles à une époque marquée par une incertitude géopolitique croissante, les pays nordiques ne peuvent plus se fier aux solutions de sécurité d’hier pour relever les défis d’aujourd’hui et de demain. Le moment est donc venu de repenser – et d’agir – pour protéger au mieux les intérêts des pays nordiques dans une période de plus en plus troublée.

Il existe désormais un large consensus politique en Scandinavie sur la nécessité d’augmenter les investissements dans les capacités militaires maritimes, mais cela doit se faire dans un cadre nordique plus large et en tenant compte du contexte géopolitique plus vaste : il est donc temps de mettre en place une flotte pan-nordique permanente dans l’Atlantique Nord et les eaux arctiques.

Une flotte pan-nordique permanente, opérant régulièrement dans la mer du Groenland, la mer de Norvège, la mer de Barents et l’océan Arctique, pourrait servir plusieurs objectifs géopolitiques. Elle enverrait un message clair aux grandes puissances mondiales que les pays nordiques prennent la sécurité militaire au sérieux et qu’ils sont prêts à défendre leur souveraineté ainsi que leurs intérêts dans les régions nordiques – y compris par la force militaire si nécessaire.

Une position commune nordique dans l’Arctique

Les marines nationales nordiques ont diverses limites en ce qui concerne leur capacité de frappe si elles agissent seules, mais, ensemble, elles pourraient potentiellement former une force que personne ne pourrait ignorer – même pas les États les plus puissants. Un renforcement de l’intégration entre les marines nordiques améliorerait également l’efficacité, en évitant le chevauchement des capacités militaires et en garantissant la puissance de frappe la plus élevée possible pour chaque couronne investie.

En tant que pays nordiques détenant le plus grand contrôle sur des territoires arctiques – et ayant par conséquent le plus à perdre dans les régions nordiques –, les marines du Danemark et de la Norvège devraient former l’ossature d’une flotte pan-nordique intégrée. La Norvège, qui a à la fois le plus à défendre et les ressources financières les plus importantes, devrait assumer la responsabilité principale des investissements nécessaires pour rendre la flotte opérationnelle et efficace.

Même si la principale préoccupation sécuritaire de la Suède et de la Finlande se situe dans la mer Baltique, elles ont tout intérêt à soutenir la création d’une telle flotte pan-nordique de l’Atlantique et devraient contribuer avec du matériel militaire naval pertinent. Même les micro-États nordiques – l’Islande, les îles Féroé et le Groenland – devraient trouver leur place : l’Islande, qui n’a pas de marine militaire, peut fournir des navires de garde-côtes ou tout autre équipement pertinent, tandis que les îles Féroé et le Groenland peuvent apporter du personnel.

Utilité géopolitique

Outre l’effet symbolique considérable de l’unité nordique, tant pour les amis que pour les rivaux, une telle flotte commune pourrait atteindre plusieurs objectifs géopolitiques cruciaux. De manière générale, elle contribuerait à persuader les Américains que les pays nordiques prennent au sérieux leurs préoccupations quant à la volonté et la capacité de protéger le flanc nord de l’OTAN.

Plus précisément, elle permettrait de renforcer la surveillance des eaux groenlandaises afin de contrer l’augmentation de la présence militaro-navale russe et chinoise dans la région – affaiblissant ainsi l’argument principal de Trump pour revendiquer le contrôle de l’île. La flotte exercerait également un effet dissuasif contre une éventuelle agression russe – non seulement à l’encontre du Svalbard, qui pourrait potentiellement être la Crimée arctique de la Norvège, mais aussi dans les zones frontalières avec la Russie en Finnmark oriental et en Finlande du Nord.

La valeur géopolitique d’une flotte nordique commune est évidente. Néanmoins, il reste à voir si nos dirigeants politiques sont prêts à prendre une mesure aussi ambitieuse et tournée vers l’avenir. Si les pays nordiques veulent vraiment défendre leurs intérêts dans l’Arctique – avant que d’autres acteurs ne prennent l’initiative et, dans le pire des cas, ne nous évincent d’une partie du monde de plus en plus stratégique –, il faut agir dès maintenant.

Politique étrangère ou étrange politique ?

Politique étrangère ou étrange politique ?

par Jean Daspry* – CF2R – TRIBUNE LIBRE N°178 / avril 2025

*Pseudonyme d’un haut fonctionnaire français, docteur en sciences politiques

https://cf2r.org/tribune/politique-etrangere-ou-etrange-politique/


 

 

« L’avenir n’appartient à personne. Il n’y a pas de précurseurs, il n’existe que des retardataires » (Jean Cocteau).

On ne saurait mieux dire de la sidération de l’élite française face aux bouleversements actuels du monde depuis l’arrivée à la Maison-Blanche de Donald Trump. Pourtant, il fait ce qu’il dit depuis des mois et entend bien continuer sur cette voie ! En quelques semaines, il met à mal tous les paramètres de la gouvernance internationale d’un monde révolu. Il prend de court tous ceux qui avaient le tort de ne pas le prendre au sérieux sur des sujets comme le conflit russo-ukrainien, celui du Proche-Orient ou de la sécurité européenne. Pour avoir fait preuve d’une imprévoyance coupable, ils sont contraints, dans l’urgence absolue et dans l’agitation permanente, d’improviser d’improbables scénarios déconnectés du réel. Le temps des rêves des dividendes de la paix fait place au temps des cauchemars des dividendes de la guerre.

Le temps des rêves : les dividendes de la paix

Les accents joyeux de la symphonie d’un nouveau monde aux innombrables promesses conduisent à l’anesthésie d’une politique étrangère insouciante.

La symphonie d’un nouveau monde

Les trois décennies écoulées resteront dans l’Histoire comme celles d’un optimisme béat et d’une insouciance assumée. Avec la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’URSS, le monde entrerait dans une période de paix, de stabilité et de prospérité sans équivalent depuis des siècles. Le monde des bisounours où tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Le monde des fins (histoire, géographie, nations, frontières, protectionnisme, recours à la force, coercition, guerre…) et des commencements (universalisme, sécurité, liberté, doux commerce, recours au droit, coopération, paix éternelle…). Le monde allant vers la paix perpétuelle chère à Emmanuel Kant. En un mot, un monde qui récolterait, intérêt et principal, les dividendes de la paix. Un remake des mots du ministre des Affaires étrangères, Aristide Briand devant la Société des nations (SDN) à Genève en 1926 : « Arrière les fusils, les mitrailleuses, les canons ! Place à la conciliation, à l’arbitrage à la paix ! ». Dans cet environnement euphorique, tout questionnement sur l’imprévisibilité du monde de demain est incongru, pour ne pas dire saugrenu. Les empêcheurs de tourner en rond sont stigmatisés pour leur pessimisme de mauvais aloi alors que les marchands d’illusion tiennent le haut du pavé médiatique. Le fameux « gouverner, c’est prévoir » est oublié, balayé pour faire place au « gouverner, c’est communiquer » à longueur de journée, c’est-à-dire être actif sur les réseaux sociaux.

L’anesthésie de la politique étrangère

Il va sans dire, mais cela va mieux en le disant, que toute réflexion salutaire sur les linéaments de la politique étrangère du futur est proscrite tant l’avenir est radieux. Multilatéralisme à tout-va et Europe à tout bout de champ sont les marqueurs d’une action extérieure assoupie. A-t-on encore besoin de tous ces inutiles que sont les diplomates dont on ne devine guère la réelle valeur ajoutée ? Laissons-nous porter par l’air du temps qui passe ! Cessons de suivre les conseils de certains esprits retors qui nous incitent à nous interroger sur les adaptations requises par un monde nouveau ! Or, ce dernier n’est pas exempt de spasmes, de défis, de menaces telles que le terrorisme islamiste, l’accession à l’arme nucléaire de la Corée du Nord ou de l’Iran, le retour des conflits, l’affaissement du multilatéralisme… Le temps est à la paresse intellectuelle. Nos femmes et hommes politiques sont trop affairés à se quereller sur des questions intérieures pour perdre inutilement du temps à réfléchir aux surprises que pourrait nous réserver un avenir incertain, un ensauvagement inattendu d’un monde sans maître ni règles. Le temps est aux rêveries d’un voyageur solitaire aux quatre coins de la planète. Qu’il est doux de ne rien faire lorsque tout s’agite autour de vous ! Laissons-nous porter par les bienfaits éternels d’un monde merveilleux à perte de vue et d’un avenir réconfortant par toutes les promesses mirifiques qu’il laisse entrevoir à celui qui sait les attendre.

Or, il n’en est rien. Le rêve merveilleux tourne au cauchemar éveillé des dirigeants politiques français, des experts et des médias face à un changement d’ère qui était largement prévisible.

Le temps des cauchemars : les dividendes de la guerre

Face à la cacophonie croissante d’un nouveau monde en éruption constante, la politique étrangère de la France est marquée au sceau d’une vacuité certaine.

La cacophonie du nouveau monde

Plus les années passent, plus le monde apparaît chaotique : attentats du 11 septembre 2001, guerre en Afghanistan, en Irak, conflit en Crimée, crise économique et financière, crise du Covid 19, guerre en Ukraine, éruption au Proche-Orient (Palestine, Iran, Israël, Liban), opposition Nord-Sud, retour des Empires, poussée des régimes autoritaires et des phénomènes migratoires, dégradation du système de sécurité collective, multiples obstacles à la liberté du commerce… Rien à voir avec la promesse de l’aube d’un monde pacifié. Mais, nous n’avions encore rien vu. Le second mandat présidentiel de Donald Trump achève de secouer l’édifice patiemment mis en place successivement après la Seconde Guerre mondiale et l’effondrement de l’URSS. En quelques semaines, l’homme à la mèche blonde provoque incompréhension et sidération chez ses alliés. Le monde ne parvient pas à se réveiller d’un cauchemar qui a pour nom États-Unis. L’Union européenne érige le fameux mur du déni pour conjurer le mauvais sort. Or, cette posture du chien crevé au fil de l’eau est de moins en moins tenable au fil des annonces du locataire malappris à crinière jaune de la Maison Blanche : l’OTAN n’est plus une assurance tous risques pour les mauvais payeurs ; l’article 5 du traité de Washington n’est plus d’application automatique ; la sécurité européenne doit être du ressort des Européens ; les problèmes sérieux se négocient entre les trois Grands (Chine, États-Unis, Russie), les va-nu-pieds n’ayant qu’à s’exécuter comme de vulgaires laquais. L’Europe devient un acteur mineur aux yeux de ses partenaires, alliés et concurrents, spectateur d’un monde en pleine recomposition. Elle ne fait qu’étaler son actuelle faiblesse. Notre pays ne fait pas exception[1].

La vacuité de la politique étrangère

Quels constats objectifs peut-on dresser de l’action internationale de la France conduite sous la férule exigeante de Foutriquet à une époque de relations internationales chaotiques et de l’émergence d’un monde nouveau ? L’élite française fait table rase de l‘un des enseignements du général de Gaulle pour qui la « France doit tenir compte de ce que l’avenir comporte d’inconnu et le passé d’expérience »[2]. Qui plus est, « Jamais le contraste n’a été aussi saisissant entre un ordre mondial et chancelant et l’impréparation des principales formations politiques hexagonales. Concentrées depuis des années sur des enjeux strictement nationaux (…) ils paraissent s’être isolés « dans une bulle »[3]. Certains y voient la conséquence d’un « sous-investissement politique et bureaucratique » dans la sphère internationale. Après avoir pensé que Donald Trump ne serait pas élu 47e président des États-Unis et avoir refusé de prendre ses propos au sérieux et au pied de la lettre, la nomenklatura germanopratine peine à prendre toute la mesure du changement de paradigme et à en tirer les conséquences qui s’imposent. Dans ce contexte, on imagine aisément que la politique étrangère (stratégie du long terme) – trop souvent confondue avec la diplomatie (tactique du court terme) – sous le second mandat empli de munificence de Jupiter 1er s’apparente à un ensemble vide, à une succession de gadgets comme celui de la dissuasion nucléaire partagée. Et cela au moment où la réalité – celle du rapport de force, du primat de la puissance – reprend ses droits. Heureusement, tout va changer avec la nomination d’un « Macronboy », l’illustrissime Clément Beaune au poste de « haut-commissaire au plan, commissaire général à la stratégie et à la prospective » en remplacement de François Bayrou[4]. Il annonce, aussitôt après avoir été choisi par Emmanuel Macron, disposer de pistes de réflexion pour donner consistance à sa fonction de stratège et de prévisionniste du XXIe siècle. Alléluia !

Chaos mondial et heure de vérité

« Il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va ! » (Sénèque).

Les pays du « Nord global » n’ont toujours pas digéré la grande désillusion du « monde d’après ». Qui plus est, il y a de fortes chances que la « cicatrice diplomatique » du tsunami Donald Trump ne se referme pas de sitôt. Face à un monde qui vacille sur ses assises anciennes, un sursaut salutaire est indispensable. Il passe avant tout par l’adoption d’une stratégie cohérente dans le temps et dans l’espace. Or, nous en sommes encore loin tant le temps est à l’agitation et à la communication débridées. Entre le dire et le faire, il y a la page blanche qu’il faut commencer par noircir de réflexions. Face aux menaces, la France éternelle doit choisir entre puissance et effacement. La France doit effectuer un choix crucial pour espérer conserver sa place dans le monde de demain : définir une véritable politique étrangère ou bien se contenter d’une étrange politique (étrangère) ?


[1] B. D., « Macron enfin populaire … », Le Canard enchaîné, 2 avril 2025, p. 1.

[2] Maurice Vaïsse, « Les propos gaulliens de 1959 collent à l’actualité », Le Monde, 7 mars 2025, p. 26.

[3] Claire Gatinois/Gilles Paris/Philippe Ricard, « Politique étrangère. Torpeur et tremblements dans les partis français », Le Monde, 9-10 mars 2025, pp. 20-21.

[4] Décret du 5 mars 2025, JORF du 6 mars 2025.

« Nous devons prendre au sérieux le plan de Trump sur le Groenland ». Kristian Søby Kristensen

« Nous devons prendre au sérieux le plan de Trump sur le Groenland ». Kristian Søby Kristensen

An Airbus A330 of Air Greenland lands in airport of Nuuk, Greenland, March 12, 2025. (AP Photo/Evgeniy Maloletka)/MAL102/25071541094829/STAND ALONE /2503121616

Danemark et Groenland sont sous les feux de l’actualité à la suite des propos de Donald Trump. Comment les interpréter et comment les Européens doivent-ils réagir ? Analyse de Kristian Søby Kristensen

par Kristian Søby Kristensen*- par Geopolitika – Revue Conflits – publié le 31 mars 2025

https://www.revueconflits.com/nous-devons-prendre-au-serieux-le-plan-de-trump-sur-le-groenland-kristian-soby-kristensen/

*directeur de l’Institut danois pour la Stratégie et les Études de Guerre. Propos recueillis par Henrik Werenskiold.


Lorsque des alliés traditionnels commencent à ressembler à des adversaires, il faut réévaluer d’anciennes stratégies. Le Danemark se trouve à un carrefour géopolitique à la lumière des récentes déclarations de Trump sur le Groenland.

Les multiples déclarations de Donald Trump au sujet de l’achat du Groenland ont provoqué une onde de choc dans la politique étrangère danoise – et révélé de profondes tensions dans les relations entre le Danemark et les États-Unis. Ce qui, au départ, semblait n’être qu’une mauvaise plaisanterie est devenu une réalité géopolitique qui oblige à la fois Copenhague et Nuuk à repenser leur position.

Alors que le Groenland voit dans les investissements étrangers la clé de son indépendance économique, le Danemark craint que la pression américaine ne compromette l’avenir de la communauté du royaume. Pour la première fois depuis 1949, les autorités danoises se sentent directement menacées par leur principal garant de sécurité.

Face à cette incertitude, le Danemark tente de renforcer ses liens avec l’OTAN, ses voisins nordiques et les puissances européennes. Mais la question demeure : Que veulent réellement les États-Unis – et pendant combien de temps l’Europe peut-elle compter sur la garantie de sécurité américaine ?

Dans cet entretien, Kristian Søby Kristensen, qui vient de prendre ses fonctions de directeur de l’Institut pour la Stratégie et les Études de Guerre au sein de l’Académie de Défense danoise, tente de faire le tri dans tout le bruit ambiant.

Que pensez-vous de l’avenir politique du Groenland, à la lumière des dernières déclarations de Trump ?

C’est une excellente question. Je crois que le gouvernement danois était conscient, déjà avant l’entrée en fonction de Trump, que le Groenland pourrait devenir un sujet pendant sa présidence. Mais qu’il occuperait une place aussi centrale, qu’il y reviendrait si souvent et exercerait une pression aussi forte sur le Danemark, cela a été une surprise.

Et le fait que cela façonne désormais le débat américain sur la présidence de Trump a également surpris le gouvernement danois. C’est une crise de politique étrangère de grande ampleur pour la nation danoise, car il est question de l’avenir de la communauté du royaume danois.

Le Danemark se retrouve dans une situation surréaliste, où il se sent menacé – et cela par la puissance qui, depuis 1949, garantit la sécurité et la souveraineté danoises. Je pense que cela a causé de nombreuses nuits blanches chez les diplomates et les fonctionnaires du système étatique et de la politique étrangère. Le problème, c’est que beaucoup disent de Donald Trump : « Oui, oui, il tient des propos hors norme, mais les choses finissent par se calmer, et au fond, c’est autre chose qu’il cherche. »

Mais il a été extrêmement difficile pour les responsables politiques danois de comprendre ce qu’il voulait vraiment. Les Américains ont déclaré qu’il s’agissait de sécurité militaire et de ressources naturelles, en estimant que la région arctique va prendre une importance stratégique croissante. S’ils s’intéressent aux ressources naturelles du Groenland, ils sont les bienvenus pour s’impliquer financièrement dans leur exploitation.

Cela fait partie intégrante de la stratégie économique de l’autonomie groenlandaise de faire venir des investissements étrangers dans le secteur minier. De plus, il existe un accord de défense entre le Danemark et les États-Unis datant de 1951, qui accorde aux États-Unis des droits militaires étendus au Groenland. Ainsi, l’économie leur est grande ouverte, de même que la coopération militaire, et on commence donc à penser, au Danemark, que c’est précisément l’objectif américain.

Que ce n’était pas une demande excessive visant seulement à ouvrir des négociations, mais que Trump envisageait réellement de prendre possession du Groenland. Il y a aussi cette idée que le Danemark n’a pas été à la hauteur ou n’a pas les capacités suffisantes pour répondre aux actions américaines au Groenland.

Mon analyse est que lorsque Trump dit qu’il veut récupérer le canal de Panama, faire du Canada le 51e État et que le Groenland devrait lui aussi faire partie des États-Unis, il le pense vraiment. C’est pourquoi nous sommes contraints de le prendre au sérieux.

Le Danemark a également investi 15 milliards de couronnes supplémentaires après que Trump est devenu le 47e président des États-Unis. Savez-vous à quoi ces fonds seront précisément affectés ?

Oui, c’est important. Une partie des critiques américaines portent sur le fait que le Danemark n’a pas fait assez. Mais si nous regardons ce que les États-Unis ont fait, ils n’ont pas non plus accompli grand-chose. L’accord de défense précise – comme les deux parties le reconnaissent que le Danemark ne peut pas, à lui seul, défendre le Groenland. Il s’agit donc d’une responsabilité partagée, avec une répartition des tâches entre le Danemark et les États-Unis concernant la défense du Groenland. Il est donc vrai que le Danemark n’est pas en mesure de tout assurer.

C’est la raison pour laquelle les États-Unis sont engagés dès le départ. Certes, ils ont souhaité un engagement militaire danois plus important sur le Groenland, mais cela fait partie d’une demande américaine plus générale à l’égard de l’Europe et du Danemark : augmenter les dépenses militaires et respecter l’objectif de 2 % au sein de l’OTAN. C’est du moins ainsi que c’est interprété au Danemark.

l est exact que le Danemark, dès 2021, avait déjà alloué davantage de ressources à l’Arctique. Avec le nouveau plan d’investissements de janvier, encore plus de moyens y ont été consacrés. D’autres suivront, mais tout cela était déjà prévu dans le cadre du renforcement général de la défense danoise, qui inclut aussi la région arctique.

Le principal défi pour le Danemark consiste à décider du degré de priorité à accorder à son propre territoire et à la mer Baltique, par rapport à l’Atlantique Nord, à l’Arctique, aux îles Féroé et au Groenland. On s’est d’abord concentré sur la mer Baltique, puis sur l’Arctique. Le nouveau plan inclut le remplacement des navires d’inspection renforcés pour évoluer dans les glaces, l’achat de drones de surveillance à longue portée et quelques autres éléments plus modestes. Je ne sais pas ce qui pourrait figurer dans un prochain plan. Peut-être des investissements supplémentaires dans les infrastructures.

Concernant le volet militaire, il a également été un peu difficile de savoir quelles étaient les priorités des Américains en matière de capacités danoises. Au départ, il était question d’une présence renforcée en mer Baltique, puis d’un renforcement général des capacités militaires conventionnelles danoises : défense antiaérienne, navires, contrôle des détroits danois, surveillance de l’espace aérien au Groenland, capacités de lutte anti-sous-marine dans le passage GIUK (entre le Groenland, l’Islande et le Royaume-Uni) ou encore des installations de base supplémentaires. Quel était l’objectif principal ?

Il a également été ardu, du point de vue danois, de déterminer comment répondre aux exigences américaines, qui préexistaient à Trump. Je pense que les Américains ont raison de dire qu’il existe un certain mécontentement quant à la manière dont le Danemark a tenté de prendre sa part de la défense militaire du Groenland.

Comment la Norvège, le reste des pays nordiques et les autres pays européens peuvent-ils coopérer avec le Danemark sur la question du Groenland ?

De manière générale, la coopération militaire nordique traverse actuellement une phase de renforcement dans presque tous les domaines, et la Norvège et le Danemark ont un intérêt commun pour l’Atlantique Nord et la zone qui s’étend jusqu’en mer de Barents, entre le Groenland et les côtes norvégiennes. Il existe déjà une collaboration entre la Norvège, le Danemark, l’Islande, le Royaume-Uni, le Canada et les États-Unis.

Mais la coopération militaire dépend aussi de la contribution de chacun. Le Danemark ne dispose pas des mêmes capacités que, par exemple, la Norvège. Nous n’avons pas d’avion de surveillance maritime digne de ce nom, comme le P8. Cela pourrait figurer dans un prochain plan pour l’Arctique. Il existe déjà une forme de coopération, et je pense qu’elle va s’intensifier.

L’une des stratégies danoises pour faire face à la pression américaine a consisté à demander aux alliés européens du Danemark de protester contre l’inacceptabilité du comportement américain, tout en cherchant aussi des solutions. L’une d’entre elles consiste à solliciter la France pour qu’elle déclare qu’il est nécessaire que l’OTAN joue un rôle plus important. Autrement dit, multilatéraliser le problème. Lorsque les Américains réclament une présence militaire accrue, le Danemark répond : « Oui, bien sûr, mais nous voulons aussi que l’OTAN assume davantage de responsabilités. »

Il a été question par exemple d’une présence militaire permanente de l’OTAN au Groenland comme un moyen de répondre aux demandes américaines. Concernant la coopération nordique, elle se renforçait déjà avant le 24 février 2022. Mais avec l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN, certains des derniers obstacles à une coopération approfondie ont disparu. Il existe désormais une collaboration très étroite – y compris au niveau politique.

Vous avez sans doute vu cette photo de Mette Frederiksen qui avait invité les quatre Premiers ministres nordiques chez elle, tous dans une ambiance très détendue, avec un intérieur au design minimaliste. Pas de cravate, pas d’apparat – juste des amis nordiques réunis pour un dîner dominical. C’est la même chose à tous les échelons, y compris dans l’armée : on se rencontre souvent et on entretient des relations confiantes et bien établies.

Pourriez-vous expliquer un peu comment le Danemark collabore militairement avec les différents pays nordiques, et comment nous pourrions mieux nous compléter afin de renforcer encore cette coopération ?

Il est évident que la géographie joue un rôle essentiel dans cette collaboration, puisque la sécurité de chaque pays est en jeu. La logique est différente d’une coopération visant à envoyer des troupes en Afghanistan. Bien entendu, des facteurs culturels et politiques rapprochent les pays nordiques. Mais en plus de la coopération politique, le Danemark occupe traditionnellement la position qui consiste à contrôler l’accès à la mer Baltique. C’est une collaboration naturelle avec la Suède et la Norvège, tandis que la Suède, la Norvège et la Finlande s’occupent davantage de la région autour de la Laponie.

On peut donc dire qu’il existe deux coopérations trilatérales dans le cadre nordique, déterminées par la géographie. Mais il existe également une collaboration plus générale, qui se renforce encore du fait que la Suède et la Finlande rejoignent l’OTAN. L’Islande en fait partie, même si c’est selon d’autres modalités.

On ne sait pas encore très bien à quoi ressemblera concrètement cette coopération au sein de l’OTAN. Pour l’instant, il semble que les quatre pays nordiques soient intégrés au commandement de Norfolk, tandis que les pays baltes, la Pologne et l’Allemagne relèvent de Brunssum. Le Danemark, la Finlande, la Norvège, la Suède et l’Islande sont rattachés à Norfolk. Cela pose des défis, car les forces terrestres danoises, par exemple, devraient être gérées par Brunssum – on prévoit qu’elles seraient envoyées en Estonie –, tandis que la marine et l’armée de l’air relèveront de Norfolk.

Vous avez mentionné que le Danemark ne dispose pas des mêmes capacités que la Norvège. Comment pourrions-nous simplifier l’organisation des forces nordiques et éviter les chevauchements inutiles, un problème répandu en Europe ?

La solution la plus simple serait peut-être d’acquérir les mêmes capacités que la Norvège, si l’on parle par exemple de l’avion P8. Certains, au Danemark, ont proposé de louer un des avions norvégiens à titre temporaire, ou au moins de profiter de leur expérience et de leurs installations. La Norvège met actuellement en service des hélicoptères Seahawk, un modèle déjà utilisé par le Danemark. Le personnel norvégien s’entraîne sur des bases danoises avant de les recevoir, de sorte qu’il soit rapidement opérationnel.

Si le Danemark décide d’acquérir le P8, j’imagine que nos pilotes et techniciens s’entraîneront sur les bases aériennes norvégiennes. Au niveau opérationnel, on peut se remplacer mutuellement, et cela se fait déjà dans une certaine mesure. Je peux très bien imaginer que, pour répondre aux nouvelles exigences de l’OTAN en matière de ravitaillement en vol, les pays nordiques puissent envisager un achat groupé, parce que c’est un investissement coûteux qui de toute façon serait utilisé collectivement. Il existe déjà une collaboration plus modeste, surtout dans le domaine aérien, où les quatre forces aériennes nordiques sont assez étroitement intégrées.

De plus, la coopération nordique prend aussi en compte la géographie : la Suède, la Norvège et la Finlande coopèrent autour de la Laponie, tandis que la Suède et le Danemark, pour leur part, doivent s’assurer que l’Øresund reste accessible aux forces alliées se rendant dans la mer Baltique. Les tâches opérationnelles sont nombreuses, et je pense que cette coopération se renforcera, pas à pas.

Est-ce que l’objectif final serait de créer une force de défense nordique intégrée, ou quelle est l’ambition ?

Non, je ne le crois pas. Les pays nordiques se caractérisent par le fait qu’aucun d’entre eux n’est une grande puissance militaire. Ils coopèrent tous étroitement, mais cherchent aussi, de diverses façons, à impliquer ou à tenir à distance les puissances environnantes, en particulier la Russie. Je pense que nous allons assister à un renforcement de la coopération nordique, mais toujours dans le cadre de l’OTAN, afin de s’intégrer avec le reste de l’Alliance. En outre, tous les pays nordiques cherchent à associer des puissances extérieures. Le Royaume-Uni, par exemple, dispose de la Joint Expeditionary Force (JEF), qui rassemble notamment les pays nordiques et les Pays-Bas. Je ne pense donc pas que nous verrons une force de défense nordique complètement autonome et entièrement intégrée.

Il est impossible de prévoir ce que fera Trump, ni de saisir ses intentions, y compris à propos de l’OTAN. Existe-t-il un plan au cas où les États-Unis décideraient de se retirer de l’Alliance ?

Pas à ma connaissance, du moins rien d’officiel. Mais une grande partie de ce qui se passe en Europe s’apparente à une tentative de se préparer à l’éventualité que les États-Unis ne soient plus aussi disposés à garantir la sécurité du continent. La dernière fois que Trump était président, j’ai rédigé un rapport de recherche sur la façon dont les pays européens géraient cette incertitude stratégique. Nous avions parlé d’« attente active » : on ne veut pas se couper des États-Unis, mais on essaie de se mettre dans une position permettant de gérer l’imprévisibilité qu’ils engendrent.

Il s’agit d’une stratégie à deux volets : d’un côté, renforcer la coopération avec les Américains ; de l’autre, consolider la coopération nordique et les relations bilatérales avec les puissances européennes. Nous le constatons à nouveau aujourd’hui, à la fois en raison de la menace russe et de l’incertitude grandissante autour des intentions américaines. Prenons la Norvège : elle mise sur le concept de la JEF, mais a aussi conclu un accord avec l’Allemagne pour l’achat de sous-marins. C’est un bon exemple de démarche visant à s’allier à la fois avec des puissances régionales et de grandes puissances européennes.

Les États-Unis réclament que l’Europe investisse davantage dans sa défense, ce qui génère de nombreux achats d’armement. Du point de vue européen, on préférerait peut-être acheter européen. Comment les pays nordiques pourraient-ils unifier ou coordonner leurs industries de défense pour défendre leurs propres intérêts ?

C’est une bonne question. En tant que petits pays, nous risquons d’être écrasés entre les grands. Mais on peut aussi se replier sur une logique strictement nationale pour notre industrie de défense, afin de s’assurer un retour sur ces importants investissements. Dans ce cas, nous perdons les avantages d’échelle et la possibilité de rationaliser. C’est un équilibre.

Depuis des années, on discute de l’amélioration du partage des achats d’armement en Europe. Parfois on y parvient, d’autres fois moins. Il y a par exemple eu un achat groupé d’hélicoptères nordiques qui s’est terminé avec de gros retards, des problèmes techniques et des divergences sur les exigences et spécifications.

Il faut aussi disposer de la technologie pour concevoir et produire des équipements perfectionnés, souvent d’origine américaine. Par exemple, la défense européenne dépend beaucoup des données américaines et de leur surveillance par satellite. Sans ces ressources, nous nous trouverions affaiblis. Les avions F-35 sont, eux aussi, conçus pour être reliés aux systèmes d’information et de commandement américains. Nous dépendons donc très fortement des États-Unis.

Étant donné que l’avenir des États-Unis au sein de l’OTAN est aujourd’hui plus incertain que jamais, dans quelle mesure devrions-nous chercher à nous affranchir des composants américains dans nos équipements militaires ?

C’est un équilibre délicat. Si l’on devient trop indépendant, on risque d’éloigner les Américains, et de ce fait, de perdre l’engagement des États-Unis, lequel constitue depuis longtemps un pilier de la sécurité européenne. Le Danemark et la Norvège entretiennent traditionnellement des liens très étroits avec les États-Unis et comptent parmi les alliés les plus fidèles de l’Alliance. Dans le même temps, la présidence de Trump et l’invasion de l’Ukraine ont enclenché des processus plus profonds en Europe. Plusieurs pays européens – surtout les plus grands – s’interrogent de plus en plus sérieusement sur la capacité de s’appuyer davantage sur leurs propres moyens militaires, sans dépendre complètement des États-Unis.

Le Danemark et la Norvège ont depuis longtemps été très proches de Washington, mais aujourd’hui, on voit naître en Europe une prise de conscience : il faut être capable de défendre davantage nos propres intérêts si jamais le lien transatlantique se fragilise.

C’est un processus de longue haleine, car il faut du temps, une industrie solide, une volonté politique et des ressources financières. Mais l’incertitude autour de la stabilité et de la fiabilité des États-Unis, et leur attention croissante pour la région indo-pacifique et la Chine, ne disparaîtra pas, quel que soit le président en place à la Maison-Blanche. Nous voyons donc se dessiner en Europe une reconnaissance nouvelle : il sera nécessaire d’assurer nous-mêmes davantage de nos intérêts de sécurité si le lien transatlantique devait s’affaiblir.

Une base industrielle de défense transatlantique ? Deux analyses contrastées

Une base industrielle de défense transatlantique ? Deux analyses contrastées

Études – IFRI – publication du
par Jonathan CAVERLEY – Ethan B. KAPSTEIN – Élie TENENBAUM – Léo PÉRIA-PEIGNÉ

Couv Focus Transat

L’évolution du paysage de la coopération mondiale en matière de défense met la relation transatlantique au défi. Alors que les tensions géopolitiques augmentent et que l’environnement de menaces devient plus complexe, la capacité de l’Europe à assurer au mieux sa sécurité tout en maintenant sa relation avec les États-Unis est devenue primordiale. Ce Focus stratégique offre deux points de vue contrastés sur la dynamique des relations industrielles de défense entre les États-Unis et l’Europe, en soulignant les défis et les opportunités qui attendent les deux parties.

Drapeau des États-Unis et drapeau de l'UE
Drapeau des États-Unis et drapeau de l’UE © Shutterstock.com

L’évolution du paysage de la coopération mondiale en matière de défense met la relation transatlantique au défi. Alors que les tensions géopolitiques augmentent et que l’environnement de menaces devient plus complexe, la capacité de l’Europe à assurer au mieux sa sécurité tout en maintenant sa relation avec les États-Unis est devenue primordiale. Ce Focus stratégique offre deux points de vue contrastés sur la dynamique des relations industrielles de défense entre les États-Unis et l’Europe, en soulignant les défis et les opportunités qui attendent les deux parties.

Le premier texte, rédigé par Jonathan Caverley et Ethan Kapstein, expose une analyse qui souligne les limites de l’autonomie stratégique européenne en matière de défense. Ils affirment qu’en dépit de l’augmentation des dépenses de défense et d’initiatives telles que le rapport Draghi, l’Europe reste fortement dépendante des États-Unis en matière de technologie militaire avancée et de capacités industrielles. Ils suggèrent que l’Europe devrait accepter un statut de partenaire junior au sein de l’Alliance transatlantique et tirer parti de la supériorité technologique des États-Unis pour renforcer ses propres capacités de défense. Selon eux, cette approche permettrait à l’Europe de bénéficier des systèmes de défense les plus avancés tout en reconnaissant les réalités économiques et industrielles qui limitent sa capacité à atteindre une autonomie totale.

Dans le second texte, Élie Tenenbaum et Léo Péria-Peigné remettent en question les études trop pessimistes sur l’industrie européenne de la défense. Ils soulignent les succès et les avancées technologiques des entreprises européennes de défense, affirmant que l’Europe a le potentiel pour devenir un acteur important sur le marché mondial de la défense. E. Tenenbaum et L. Péria-Peigné remettent en question la fiabilité des approvisionnements américains en matière de défense, évoquant les retards de production, les limitations opérationnelles et les contrôles stricts des exportations. Ils plaident pour un partenariat transatlantique plus équilibré, où l’Europe peut affirmer ses capacités industrielles et son autonomie stratégique tout en continuant à coopérer avec les États-Unis.

Au final, ces deux analyses, écrites par des chercheurs américains et européens, s’inscrivent dans le débat de plus en plus vif sur la coopération transatlantique en matière de défense. Ils explorent les tensions entre le besoin d’autonomie stratégique de l’Europe et les avantages de l’exploitation des forces technologiques et industrielles des États-Unis. Alors que l’Europe est confrontée au défi d’assurer sa sécurité dans un monde de plus en plus incertain, ces perspectives offrent un éclairage précieux sur l’avenir des relations industrielles de défense entre les États-Unis et l’Europe.


Cette étude est disponible :

en français : IFRI – Une base industrielle de défense transatlantique – Deux points de vue contrastés 2025

en anglais.

CARTE. Guerre en Ukraine : aide militaire française, accord déjà menacé… Le point du jour

CARTE. Guerre en Ukraine : aide militaire française, accord déjà menacé… Le point du jour

De nouvelles frappes nocturnes poussent Kiev et Moscou à s’accuser de vouloir saboter l’accord annoncé mardi par les États-Unis, ce mercredi 26 mars. Emmanuel Macron, quant à lui, a annoncé une nouvelle aide militaire de 2 milliards d’euros pour l’Ukraine, réclamant également un cessez-le-feu « sans condition préalable ». Voici ce qu’il faut retenir de l’actualité liée à la guerre en Ukraine ce mercredi.

Emmanuel Macron (à droite) et Volodymyr Zelensky lors d’une conférence de presse conjointe, à Paris, le 26 mars 2025.
Emmanuel Macron (à droite) et Volodymyr Zelensky lors d’une conférence de presse conjointe, à Paris, le 26 mars 2025. | YOAN VALAT / AFP

L’accord annoncé mardi 25 mars 2025 par les États-Unis sur un cessez-le-feu en mer Noire entre Russie et Ukraine apparaît déjà bien fragile, ce mercredi 26 mars. Car les nouvelles frappes menées dans la nuit conduisent Moscou et Kiev à s’accuser mutuellement de vouloir saboter cet accord. Cet enjeu sera sûrement au menu des discussions, jeudi, lors du sommet international sur la sécurité prévu à Paris.

En attendant, le président ukrainien Volodymyr Zelensky est arrivé dès ce mercredi soir dans la capitale française, où il a été reçu par Emmanuel Macron. Le président français en a profité pour annoncer une nouvelle aide militaire de 2 milliards d’euros pour Kiev et réclamer à la Russie d’accepter un cessez-le-feu « sans condition préalable ». On fait le point sur l’actualité liée à la guerre en Ukraine ce mercredi.

Kiev et Moscou s’accusent de faire capoter l’accord conclu en Arabie saoudite

De nouvelles frappes ont eu lieu dans la nuit de mardi à mercredi, poussant Russie et Ukraine à s’accuser mutuellement de vouloir faire capoter l’accord conclu en Arabie saoudite et annoncé hier par les États-Unis, qui prévoit notamment un cessez-le-feu en mer Noire.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a indiqué que l’armée russe a lancé « 117 drones » explosifs contre les villes et villages d’Ukraine dans la nuit, « 117 preuves » de « la manière dont la Russie continue de faire traîner cette guerre ».

« Le lancement d’attaques d’une telle ampleur après les négociations de cessez-le-feu est un signal clair envoyé au monde entier que Moscou ne va pas œuvrer à une véritable paix », a-t-il dénoncé sur les réseaux sociaux.

Volodymyr Zelensky a en conséquence appelé ses alliés à faire « pression » sur le Kremlin, en particulier les États-Unis, dont le président, Donald Trump, a entrepris un rapprochement avec Moscou.

Côté russe, les militaires ont accusé l’Ukraine d’avoir lancé des opérations contre des sites énergétiques. « Malgré la déclaration publique de Zelensky acceptant les accords russo-américains […], le régime de Kiev a poursuivi ses attaques », ont-ils affirmé.

Dans un communiqué relayé par l’Agence France-Presse (AFP), l’état-major de l’armée ukrainienne a estimé que « le pays agresseur » portait « des accusations fausses et sans fondement afin de prolonger la guerre » et de « tromper le monde ».

Emmanuel Macron annonce 2 milliards d’euros d’aide supplémentaire pour Kiev

Alors que Volodymyr Zelensky est à Paris, ce mercredi 26 mars 2025, avant un sommet sur la sécurité prévu jeudi, le président français Emmanuel Macron a détaillé le menu de leurs discussions lors d’une conférence de presse conjointe.

Rappelant que « nous avons changé d’ère » face à la menace russe qui « impacte très directement notre sécurité en Europe », le chef de l’État a annoncé une aide militaire supplémentaire de 2 milliards d’euros pour Kiev. L’armée ukrainienne recevra ainsi des missiles antichars Milan, des missiles de défense sol-air, ainsi que des blindés, des chars, des munitions téléopérées et des drones. Ces livraisons seront complétées par la « production d’équipements en Ukraine », a précisé Emmanuel Macron.

Le Président a également indiqué que les moyens qu’un « cessez-le-feu durable » soit « observé et respecté » seraient étudiés ce jeudi lors du sommet à Paris, de même que le format futur de l’armée ukrainienne, un format « crédible » qui permette de « dissuader toute nouvelle agression et résister à toute nouvelle attaque de l’armée russe ».

« À date, la Russie n’apporte aucune réponse solide » pour la paix, et « par ses actes, elle montre sa volonté de continuer la guerre », a regretté Emmanuel Macron, appelant Moscou à accepter un cessez-le-feu « sans condition préalable ». « Vous pourrez compter sur le soutien et l’engagement de la France à vos côtés », a promis le chef de l’État français à Volodymyr Zelensky.

L’Ukraine veut plus qu’une « simple présence » européenne après la guerre

Kiev a besoin de la contribution « sérieuse » de soldats européens prêts à combattre après la guerre et non d’une force de maintien de la paix, a déclaré à l’AFP ce mercredi un responsable ukrainien participant aux négociations pour un cessez-le-feu avec la Russie.

« Nous n’avons pas besoin d’une simple présence pour démontrer que l’Europe est là », a fait valoir Igor Jovkva, un conseiller du président ukrainien Volodymyr Zelensky. « Nous n’avons pas besoin de missions de maintien de la paix », a-t-il insisté. Et « ce n’est pas la quantité qui compte […]. C’est aussi leur disposition à se battre, se défendre, à être équipés et à comprendre que l’Ukraine est une partie incontournable de la sécurité européenne ».

« Chaque soldat doit être prêt à être impliqué dans un combat réel. C’est ce que les Ukrainiens font depuis trois ans, voire plus », a-t-il jugé, en suggérant que des forces européennes contribuent à sécuriser la frontière avec la Biélorussie, afin de libérer des troupes ukrainiennes qui pourraient se déployer dans des zones plus dangereuses.

L’UE pose ses conditions pour une levée des sanctions

« La fin de l’agression russe non provoquée et injustifiée en Ukraine et le retrait inconditionnel de toutes les forces militaires russes de l’ensemble du territoire ukrainien seraient les principales conditions préalables à la modification ou à la levée des sanctions », a déclaré un porte-parole de l’Union européenne.

Cette levée, au moins partielle, est réclamée par la Russie en préalable à toute application des accords obtenus au terme de pourparlers mardi à Ryad conduits par les États-Unis avec des délégations russe et ukrainienne.

Le Kremlin s’est quant à lui dit satisfait « de la manière pragmatique et constructive dont se déroule » le dialogue avec les États-Unis, ajoutant que des contacts « vraiment intensifs » étaient en cours avec Washington. Le secrétaire d’État américain, Marco Rubio, estime qu’un cessez-le-feu « prendra du temps ».

La ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, a exhorté de son côté la Russie à accepter un cessez-le-feu « sans condition » en Ukraine, appelant également à ne pas « se laisser leurrer » par le président russe Vladimir Poutine. « Il n’y a pas de situation de dialogue où un cessez-le-feu est constamment lié à des concessions et à de nouvelles exigences », a-t-elle affirmé.

Une journaliste russe tuée par une mine dans une région frontalière de l’Ukraine

Une journaliste de la télévision d’État russe est morte dans l’explosion d’une « mine ennemie » dans la région de Belgorod, frontalière de l’Ukraine, a annoncé son employeur ce mercredi sur son site internet.

« Anna Prokofieva, reporter de guerre de Pervy Kanal, a été tuée dans l’exercice de ses fonctions. Cela s’est passé dans la région de Belgorod, à la frontière avec l’Ukraine, où l’équipe de tournage […] a sauté sur une mine ennemie », a expliqué la chaîne de télévision publique, ajoutant qu’un caméraman avait pour sa part été blessé. Ce dernier, Dmitri Volkov, est dans un état « grave », a souligné Alexandre Khinchtein, le gouverneur de la région russe voisine de Koursk, où il est hospitalisé.

Anna Prokofieva, âgée de 35 ans, effectuait des reportages « dans la zone de l’opération spéciale », un euphémisme imposé en Russie pour évoquer l’assaut d’ampleur contre l’Ukraine lancé le 24 février 2022. La diplomatie russe a appelé la communauté internationale et les organisations telles que les Nations unies à réagir à ce décès.

Diplomates, corruption et compromission

Diplomates, corruption et compromission

par Jean DASPRY* – CF2R – TRIBUNE LIBRE N°177 / mars 2025

*Pseudonyme d’un haut fonctionnaire français, docteur en sciences politiques

 

 

 

Vous avez dit : International Security Force For Ukraine ?

Vous avez dit : International Security Force For Ukraine ?

par Blablachars – publié le 12 mars 2025

https://blablachars.blogspot.com/2025/03/vous-avez-dit-international-security.html#more


Au lendemain de la réunion à Paris des chefs d’état-major des armées (CEMA), les « garanties de sécurité » occidentales à l’Ukraine restent floues selon les termes employés par plusieurs médias. Parmi le « panel d’options » évoqué par le CEMA français figure la possible constitution d’une « International Security Force for Ukraine » selon les termes d’un « responsable militaire français. » Une telle force serait à dominante franco-britannique, stationnée dans un pays de l’Otan, à proximité de l’Ukraine, pour pouvoir s’y déployer rapidement si nécessaire. La création d’une telle force et son possible engagement en Ukraine ne manquent pas de soulever plusieurs interrogations relatives à sa composition, son stationnement et les moyens dont elle pourrait disposer. 

Sur le plan politique, l’ossature franco-britannique de cette force est quasiment imposée par le  refus de la Pologne, de l’Italie et de l’Allemagne de participer à une telle force, la privant de moyens conséquents dont un certain nombre de blindés qui pourraient se révéler fort utiles dans cet environnement. La position allemande illustrée par les propos d’Eva Högl, commissaire parlementaire aux forces armées, pour laquelle il est « prématuré » d’évoquer l’envoi de troupes en Ukraine pour la surveillance d’un futur cessez le feu est probablement motivée par des considérations de politique intérieure. Elle écarte aussi la perspective d’un engagement de la Bundeswehr, actuellement incapable d’envisager une telle opération au vu de situation actuelle. En effet, selon le Financial Times, une recrue sur quatre quitte l’armée six mois après son engagement, plaçant la Bundeswehr à un point de rupture et l’éloignant de son objectif de compter 203 000 soldats en 2031. 

 

Motivées par l’attitude attentiste ou opposée de plusieurs pays, c’est donc avec le Royaume-Uni que la France pourrait constituer cette force, hypothèse séduisante sur le plan politique, la coopération militaire entre les deux pays n’ayant cessé de croitre depuis la signature du Traité de Lancaster House en 2010. Cependant, l’aspect éminemment politique d’une telle éventualité ne doit pas masquer la réalité des faits et la situation dans laquelle se trouve l’armée britannique aujourd’hui. Les récentes annonces de Keir Stramer qui souhaite porter à partir de 2027, les dépenses de défense à 2,5% du PIB, pour leur permettre d’atteindre 3% dans un avenir plus lointain, ne suffisent pas à faire oublier les années de disette budgétaire et de réduction drastique des effectifs. L’augmentation annuelle du budget de la Défense de 16,1 milliards d’euros prévue par le Premier Ministre Britannique a d’ailleurs été rapidement revue à la baisse par le Secrétaire d’Etat à la Défense, John Healey qui a précisé dans un entretien à la BBC que la véritable somme serait voisine de 7 milliards d’euros en tenant compte de l’inflation. Quelle que soit la décision finale, l’armée britannique doit également composer avec son atrophie actuelle, résultat de plusieurs années de réduction d’effectifs pour arriver aujourd’hui  à un effectif voisin de 74 000 soldats, légérement supérieur à l’objectif de 72.500 hommes fixé par la revue intégrée de 2021, alors que la Revue Nationale de Stratégie de Sécurité de 2015 avait fixé à 82.000 soldats le format minimum de l’armée de terre. Sur le plan des équipements la situation de l’armée britannique n’est guère plus brillante comme l’illustrent les difficultés du  programme Ajax dont les premiers exemplaires commencent seulement à équiper les unités, quinze ans après le lancement du programme. Les revers rencontrés dans le développement de l’engin blindé ont d’ailleurs motivé Londres à prolonger la vie opérationnelle du Warrior jusqu’à 2030, alors que sa modernisation avait été abandonnée en 2021. Selon le chiffre officiel, l’armée britannique dispose encore de 213 chars Challenger 2 dont 148 doivent être portés au standard Challenger 3 par Rheinmetall BAE Systems Land (RBSL) pour équiper la 3ème Division. Cette  unité qui est la principale force déployable de l’armée britannique comprend deux régiments de chars d’active (Royal Tank Regiment et Queen’s Royal Hussars) équipés chacun de 56 Challenger 2. Ces chiffres pourraient cependant cacher une réalité légérement différente, puisque selon plusieurs médias britanniques, seuls 20 à 25 chars seraient aujourd’hui opérationnels, confrontant les tankistes locaux à une des pires crises de leur histoire. Ce chiffre tout comme celui de la vingtaine d’obusiers de 155mm AS-90 opérationnels (sur 89) rendent le déploiement d’une force britannique en Ukraine totalement irréaliste, symbole d’une capacité de réaction dont la restauration nécessitera de longues années et des investissements importants. 

 

 

Du côté français, la situation est certes meilleure mais l’absence d’une véritable composante blindée mécanisée pourrait constituer un obstacle sérieux à la réalisation de ce projet. Outre les difficultés inhérentes au terrain et l’existence de nombreux obstacles favorisant l’utilisation d’engins chenillés, ceux-ci conférerait en outre un caractère plus dissuasif à cette force, engagée dans la résolution d’un conflit qui a vu la mise en œuvre de nombreux engins blindés chenillés. Pouvant être déployée pour garantir l’observation d’un cessez le feu temporaire, cette force pourrait être confrontée à des actions de provocation, menées par l’une des deux parties en vue de discréditer l’adversaire mais aussi l’action internationale. Une telle hypothèse placerait les équipages dans des situations qui nécessiteraient une protection accrue face à des menaces de nature et d’intensité aléatoires. Dans ce domaine, les enseignements du conflit ukrainien montrent qu’en dépit des destructions subies, les blindés occidentaux fournis à Kiev ont préservé leurs équipages des effets des attaque subies, grâce à leur conception et leur fabrication. En dehors de cette mission d’interposition la « International Security Force for Ukraine » pourrait être déployée en réponse à une nouvelle agression russe, scénario qui impliquerait donc un engagement face à des moyens blindés, contre lesquels les seuls engins du segment médian pourraient ne pas faire le poids en dépit de leurs qualités et des compétences de nos soldats. Ces dernières ne seraient sans doute pas suffisantes pour compenser l’inaptitude au combat de haute intensité de ces engins, liée à leur conception placée sous le signe de la projection et de la mobilité stratégique. L’acheminement de cette force stationnée à proximité de l’Ukraine serait également source de problème, au regard des difficultés de déplacement des convois militaires en Europe, comme Blablachars l’a évoqué lundi soir sur France 2. Au-delà, des possibles difficultés que rencontrerait la mise en action de cette hypothétique force, il est fort probable que la participation française se traduirait par l’engagement d’un volume aussi significatif que possible de chars Leclerc, à l’instar de  ce qui avait été fait au Kosovo et au Sud-Liban, dans un environnement très différent. 

 

 

En évoquant ce possible déploiement, Blablachars ne peut s’empêcher d’avoir une pensée émue pour les partisans d’un « geste fort »qui en septembre 2022 prônaient le transfert de 50 Leclerc à l’Ukraine. Cette initiative (quasi suicidaire pour notre Cavalerie blindée) qui ne fut heureusement pas suivie d’effet aurait eu le mérite de nous priver aujourd’hui d’un quart de nos chars en parc et de pratiquement la moitié de nos chars disponibles. Avec les 25 Challenger 2 britanniques à nos côtés, cette force serait plus symbolique qu’efficace et surtout quasiment incapable de réagir efficacement à une dégradation significative de la situation. Il est donc heureux que les initiateurs de ce geste fort n’aient pas trouvé l’écho espéré, restant depuis cette date, comme ces dernières années, étonnamment silencieux sur la faiblesse de notre segment de décision. 

Les jours qui viennent seront déterminants pour la résolution du conflit en cours, qui pourrait mettre fin à un affrontement dont le côté technologique fait parfois oublier qu’il se déroule à hauteur d’homme avec tout ce que cela comporte. La constitution d’une force adéquate destinée à garantir le respect des dispositions adoptées pourrait nous placer en face des conséquences des choix effectués depuis plusieurs années, qui ont fait de l’armée de terre un roi nu, ne possédant que peu de moyens adaptés à une intervention en haute intensité sur un terrain difficile et truffé d’obstacles de toute nature. Il reste à espérer que l’évocation de création de cette force et son hypothétique déploiement puissent initier un véritable changement dans des mentalités encore tournées vers des opérations lointaines, désormais remplacées par des préoccupations plus continentales, nécessitant des moyens adaptés.

 

Europe, Ukraine : obstination sans issue

Europe, Ukraine : obstination sans issue

 

par Eric Denécé – Éditorial N°67 / mars 2025

 

Alors que la nouvelle administration américaine et les dirigeants européens s’opposent quant à savoir s’il faut mettre rapidement fin à la guerre d’Ukraine ou poursuivre le soutien à Kiev, il convient de rappeler que les trois acteurs à l’origine de ce conflit qui déchire l’Europe depuis février 2022 sont :

Les États-Unis, par leur volonté d’affaiblir – voire de démembrer – la Russie et d’accaparer ses ressources humaines et matérielles dans la perspective d’une possible confrontation avec la Chine. Depuis la chute de l’URSS, Washington n’a cessé de renier ses engagements vis-à-vis de Moscou, en procédant à une expansion continue de l’OTAN – allant jusqu’à installer ses missiles aux frontières de la Russie (Pologne et Roumanie) –, en sortant des traités de limitation des armements qui avaient permis de réguler la Guerre froide, en armant Kiev et en rejetant avec force tous les propositions d’une nouvelle architecture de sécurité en Europe proposées par Moscou.

L’Ukraine, dont le régime, rappelons-le, est issu d’un coup d’État antidémocratique organisé et soutenu par l’Occident (2014) et qui a lancé, le 17 février 2022, une opération de vive force pour la reconquête du Donbass, dont les populations russophones s’étaient révoltées face à l’interdiction de leur langue par Kiev et réclamaient une autonomie accrue dans le cadre de l’Ukraine – et non l’indépendance. Ce à quoi le régime de Zelensky et ses milices néonazies ont répondu par le recours à la violence (15 000 morts entre 2014 et 2021). De plus Kiev réclamait son adhésion à l’OTAN en dépit des mises en garde sérieuses et légitimes de Moscou.

La Russie, enfin, qui face à cette situation a d’abord décidé de s’emparer de la Crimée en 2014 (notamment parce que Kiev avait proposé de louer la base de Sébastopol à l’US Navy; puis n’ayant d’autres moyens de faire respecter ses intérêt de sécurité, Moscou a déclenché son opération militaire spéciale (et non une invasion) pour conduire l’Ukraine à changer de politique, renverser le régime de Zelenski et afin de protéger les population russophones du Donbass, persécutées par Kiev.

Ainsi, en dépit du narratif conçu par les Spin Doctors américains et ukrainiens et matraqué par des médias occidentaux aux ordres, les torts sont donc très largement partagés. Et dans ce tableau, l’Europe n’y est pas pour grand-chose. Certes, la France et l’Allemagne sont coupables d’avoir violé les accords de Minsk, avec l’assentiment de Washington. Mais les États de l’Union européenne n’ont fait qu’exécuter la politique américaine en acceptant de soutenir le régime corrompu de Kiev et en se pliant aux directives de l’OTAN.

Pourtant, c’est elle aujourd’hui qui s’obstine à la poursuite de la guerre et à soutenir le régime criminel de Kiev. Criminel car Zelenski et sa clique ont décidé de poursuivre l’envoi au front et à la mort de leurs concitoyens, alors même que l’issue du conflit et d’ores et déjà jouée. Criminel car les membres de ce régime, dont les turpitudes sont bien connues quoi que tues par nos médias (détournement, blanchiment, trafics d’armes, interdiction des partis et médias d’opposition, rafles et arrestations, suspension des élections, mensonges…), profitent très directement du soutien financier de l’Occident pour s’enrichir personnellement. Trump et son équipe l’ont très bien perçu et souhaitent mettre à terme à ce conflit autant qu’à cette comédie pseudo-démocratique et pseudo-héroïque.

Mettre un terme à la guerre

Force est de constater qu’après trois ans de conflit, la situation est dramatique pour les belligérants et leurs soutiens : morts, blessés, émigration massive, destructions des infrastructures, rupture politique et économique Russie/Occident, sanctions, crise énergétique et économique…

Ceux qui ont payé le prix fort sont bien sûr les Ukrainiens des deux camps. Puis suivent les Européens, pour lesquels le coût de cette guerre a été prohibitif, bien qu’ils n’en soient pas à l’origine – mais ils en sont devenus co-responsables par leur soutien inconsidéré à Kiev –, provoquant l’affaiblissement de leur économie et la destruction de leur industrie.

La Russie a également perdu beaucoup d’hommes et ses relations avec ses voisins européens sont devenues antagonistes. Mais sa situation économique n’a pas été altérée par les sanctions, en dépit des faux espoirs de l’Occident, et elle fait preuve d’une résilience remarquable. Le Sud Global ne l’a pas abandonné en dépit des pressions, conscient de la politique inique des Américains et de leurs auxiliaires européens. Au contraire, un ras-le-bol du diktat occidental, caractérisé par son « deux poids, deux mesures », se manifeste de plus en plus explicitement dans le monde. Surtout, les force russes en train de l’emporter militairement sur le terrain et d’atteindre des objectifs que Moscou n’avait jamais envisagé avant cette crise, car la Russie n’a jamais revendiqué le Donbass.

Pour les États-Unis, enfin, c’est un bilan en demi-teinte. Certes, ils ont réussi à provoquer la rupture durable des relations UE/Russie, à reprendre en mains l’OTAN et à vassaliser l’Europe, à affaiblir son statut de concurrent économique et à s’enrichir en lui vendant massivement du GNL en remplacement du gaz russe et des armements. Mais en réalité, c’est un échec majeur pour la stratégie initiée par les néoconservateurs qui n’a pas atteint son but principal : l’affaiblissement de la Russie. Au contraire, celle-ci apparait aujourd’hui plus forte qu’au début du conflit et le multilatéralisme prôné par les BRICS semble en voie de remettre en cause l’unilatéralisme américain.

Tout cela est clairement perçu de ceux qui sont capables d’analyser objectivement ce conflit. C’est d’ailleurs ce qu’ont fait Trump et son équipe qui ont compris que la politique de leurs prédécesseurs ne menait nulle part. D’où leur volonté de mettre un terme rapidement à cette boucherie qui ne sert plus leurs intérêts.

Rappelons qu’une première issue à ce conflit a failli avoir lieu fin avril 2022, six semaines seulement après le déclenchement de l’opération militaire spéciale russe. Kiev et Moscou étaient parvenus à un accord grâce à l’intercession d’Israël et de la Turquie. Mais les néoconservateurs de l’administration Biden s’y sont alors opposés et ont dépêché Boris Johnson à Kiev porter l’ordre de poursuivre la guerre. Cette décision insensée, à laquelle Zelensky s’est rangé sans attendre, les rend sans conteste co-responsables des centaines de milliers de victimes des trois années suivantes.

Illusions européennes et mirages ukrainiens

Il est aujourd’hui urgent de mettre un terme à cet affrontement dont le sort est militairement joué.

Pourtant, l’Europe et ses dirigeants affichent leur détermination à poursuivre leur soutien à Kiev, continuant à affirmer que l’Ukraine n’est qu’une victime et qu’elle doit recouvrer une intégrité territoriale sans véritables fondements historiques, et invoquant la forte probabilité d’une prochaine invasion russe de l’Europe, argument infondé et mensonger construit par l’OTAN.

Tous ces dirigeants qui s’opposent avec bravade à la politique de la nouvelle administration Trump, arguant de l’imprescriptible indépendance de l’Europe, et qui clament aujourd’hui en chœur que le Vieux continent ne saurait être le vassal des États-Unis, omettent ou veulent faire oublier le fait qu’ils ont été les exécutants obséquieux de la stratégie des néoconservateurs de l’équipe Biden depuis 2021. Mais ils n’en sont pas à une contradiction près.

Pourquoi s’obstinent-ils ? Plusieurs hypothèses existent : soit par idéologie, étant acquis aux idées néoconservatrices d’outre-Atlantique ; soit parce qu’ils veulent profiter de cette crise pour faire de l’UE un État fédéral dirigé par Bruxelles, en plaçant les peuples devant le fait accompli ; soit encore par intérêt personnel ; ou simplement par bêtise, ainsi qu’Edgar Quinet en soupçonnait certains politiques dès 1865 :

« Nous rejetons trop souvent sur le compte de la trahison et de la perfidie ce qui appartient à la sottise. Les historiens ne font pas jouer à celle-ci le grand rôle qui lui appartient dans les choses humaines. Est-ce faute de l’entrevoir ? Est-ce sot orgueil qui consent à se reconnaître criminel plutôt que dupe ? On aime mieux la trahison et le crime, parce qu’ils font de l’homme un sujet plus tragique, et qu’ils le haussent au moins sur l’échafaud.

Pour moi, je lui ai vu moins de grandeur de mon temps. J’ai vu dans les grandes affaires tant de déraison, une obstination si invétérée à s’aveugler, une volonté si absolue de se perdre, un amour si passionné, si instinctif du faux, une horreur si enracinée de l’évidence, et, pour tout dire, une si grande, si miraculeuse sottise, que je suis, au contraire, disposé à croire qu’elle explique la plupart des cas litigieux, et que la perfidie, la trahison, le crime, ne font que l’exception[1] ».

L’obstination des dirigeants européens est d’autant plus funeste que les trois années écoulées ont montré que ce conflit était dévastateur pour l’économie européenne et que ses États membres étaient incapables d’assurer eux-mêmes leur sécurité comme de soutenir efficacement l’Ukraine en matière d’armements.

Ce conflit prendra fin prochainement, avec ou sans la participation de l’Europe. L’administration Trump a déjà entamé des discussions avec la Russie, signe qu’il s’agissait bien d’une guerre américano-russe par Ukrainiens, OTAN et Européens interposés. Le nouvel hôte de la Maison-Blanche a déjà annoncé que l’Ukraine ne rentrerait pas dans l’OTAN et, à la suite de sa rencontre houleuse avec Zelensky à la Maison Blanche, il envisage sérieusement de suspendre le soutien financier et militaire à Kiev. Les États-Unis ont fait volte-face, ce à quoi leur politique pragmatique de défense de leurs intérêts nous a habitués depuis longtemps. Seuls les naïfs ou ceux qui méconnaissent l’histoire sont surpris. Après avoir entrainé Ukrainiens et européens dans le conflit, ils les abandonnent et valident une forme de victoire russe.

Soyons lucides : l’Ukraine ne récupérera pas la Crimée ni le Donbass. Souhaitons qu’elle n’intègre pas l’Union européenne, ce qui reviendrait à déstabiliser et à criminaliser davantage nos économies, déjà considérablement affaiblies par ce conflit. Seule la paix, le reconstruction du pays et sa neutralité sont des solutions réalistes. C’est la fin de la partie pour Zelensky. Mais ce dernier et ses complices européens ne l’ont pas encore compris.


[1] Edgar Quinet, La Révolution (tome 2, 1865), Belin, Paris, réédition de 1987, Livre XXIV, pp. 1030 à 1033.

ÉCONOMIE – La guerre économique des États-Unis contre l’Europe : Une attaque stratégique

Guerre économique entre les États-Unis et l'Europe
RéalisationLe Lab Le Diplo

Loin d’être une simple mesure commerciale, l’augmentation des droits de douane américains contre l’Europe s’inscrit dans une logique plus vaste et plus inquiétante : celle de la guerre économique. 

ÉCONOMIE – La guerre économique des États-Unis contre l’Europe : Une attaque stratégique

Depuis plusieurs décennies, les États-Unis ont perfectionné l’art de la coercition économique, utilisant le commerce, la finance et la technologie comme des armes pour défendre leurs intérêts stratégiques et affaiblir leurs concurrents. L’Europe, longtemps persuadée que l’ouverture des marchés garantissait la prospérité et la stabilité, se retrouve aujourd’hui prise dans un engrenage dont elle n’a pas mesuré la dangerosité.

L’analyse de Christian Harbulot, l’un des plus grands théoriciens de la guerre économique, permet de mieux comprendre la nature du conflit en cours. Contrairement à une vision naïve du commerce international, qui le présente comme un jeu d’échange mutuellement bénéfique, Harbulot démontre que l’économie est avant tout un terrain de confrontation où les rapports de force se jouent avec autant de brutalité que dans les conflits militaires. Si les armes conventionnelles restent silencieuses, la pression exercée sur les secteurs industriels stratégiques, la domination des infrastructures technologiques et la manipulation des règles du commerce international remplacent les batailles d’antan. Dans cette logique, les droits de douane ne sont pas de simples mesures de protection économique : ils sont des instruments de domination et d’affaiblissement ciblé.

La stratégie américaine, sous couvert de protectionnisme, poursuit un objectif clair : réduire la compétitivité des industries européennes pour forcer l’UE à dépendre davantage du marché américain. Ce mécanisme est d’autant plus insidieux qu’il s’accompagne d’un narratif habilement construit, celui d’une Amérique qui cherche à rétablir l’équilibre face à des pratiques commerciales supposément injustes. Pourtant, la réalité est bien différente. Derrière cette rhétorique, Washington impose des barrières à des secteurs où l’Europe excelle – de l’automobile aux technologies vertes, en passant par l’acier et l’aluminium – tout en attirant les industries européennes grâce à des subventions massives et des incitations fiscales. L’Inflation Reduction Act, conçu pour soutenir les entreprises américaines, fonctionne aussi comme un piège qui pousse les entreprises européennes à délocaliser outre-Atlantique, sous peine de perdre en compétitivité.

Mais ce qui frappe le plus, c’est la réaction – ou plutôt l’absence de réaction – de l’Europe. Face à cette offensive économique d’une ampleur inédite, Bruxelles se contente d’exprimer son mécontentement, oscillant entre indignation et vaines menaces de représailles. L’Union européenne, paralysée par ses divisions internes et sa culture du compromis, semble incapable de comprendre qu’elle est engagée dans une bataille dont elle n’a pas choisi les règles. Trop longtemps, elle a cru que la coopération transatlantique était fondée sur des intérêts partagés et une loyauté réciproque. Or, la réalité est toute autre : dans le monde impitoyable de la guerre économique, il n’y a ni amis ni partenaires durables, seulement des rapports de force à gérer.

L’Europe se retrouve donc dans une position critique. Si elle continue de subir sans réagir, elle risque de voir son industrie décliner, ses emplois disparaître et son influence économique s’éroder. Une désindustrialisation progressive, dictée par les règles américaines, la transformerait en simple marché de consommation, dépendant des importations étrangères pour ses biens de haute technologie et ses infrastructures énergétiques. Les États-Unis, maîtres du jeu, imposeraient leur modèle, obligeant les entreprises européennes à s’aligner sur leurs normes et leurs exigences.

Une autre issue serait celle d’une réaction tardive et désordonnée, où l’Europe tenterait, sous la pression des événements, de colmater les brèches en instaurant quelques mesures de protection économique, sans réelle stratégie d’ensemble. Mais ce sursaut ne suffirait pas. La guerre économique exige une vision de long terme, une capacité d’anticipation et une volonté politique qui, jusqu’à présent, ont cruellement manqué.

Pourtant, il existe encore une alternative, celle d’une prise de conscience radicale. Si l’Europe veut conserver son rang, elle doit cesser de jouer un rôle passif et adopter une posture offensive. Cela implique de renforcer ses outils de défense commerciale, de protéger ses industries stratégiques et de cesser de croire que les règles du libre-échange seront respectées par tous. Il s’agit aussi d’investir massivement dans les secteurs clés du futur – intelligence artificielle, semi-conducteurs, énergies renouvelables – et d’empêcher le pillage de ses technologies par des puissances rivales.

Mais plus encore, l’Europe doit comprendre que la guerre économique n’est pas un phénomène temporaire ou une aberration du système, mais bien une dynamique permanente des relations internationales. Le monde ne fonctionne pas sur des principes d’équité, mais sur des logiques de puissance. Tant que cette évidence ne sera pas intégrée dans la pensée stratégique européenne, l’UE continuera à subir les décisions prises ailleurs, incapable de défendre ses propres intérêts.

L’Europe a encore le choix. Mais le temps presse. Loin des discours de façade et des illusions de partenariat, elle doit accepter la réalité : dans le grand affrontement économique du XXIe siècle, seuls les blocs capables de défendre leur souveraineté industrielle et commerciale pourront prétendre à un avenir de puissance. Les autres, eux, seront condamnés à l’effacement progressif.


Guerre économique entre les États-Unis et l'Europe

Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d’études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d’étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l’accent sur la dimension de l’intelligence et de la géopolitique, en s’inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l’École de Guerre Économique (EGE)

Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/

avec l’Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l’Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/

Ouvrages en italien

Découvrez ses ouvrages en italien sur Amazon.

https://www.amazon.it/Libri-Giuseppe-Gagliano/s?rh=n%3A411663031%2Cp_27%3AGiuseppe+Gagliano

Ouvrages en français

https://www.va-editions.fr/giuseppe-gagliano-c102x4254171