Dissuasion : Le missile ASMP-A Rénové des Forces aériennes stratégiques va entrer en production

Dissuasion : Le missile ASMP-A Rénové des Forces aériennes stratégiques va entrer en production

 

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Pour rappel, l’ASMP-A est le successeur de l’ASMP qui, mis en service au milieu des années 1980, avait été associé au Mirage IVP, puis au Mirage 2000N. D’une longueur d’environ cinq mètres pour une masse de 800 kg, il vole à la vitesse d’au moins Mach 2, grâce à son statoréacteur. Muni d’une tête nucléaire de 300 kt, sa portée est de plus ou moins 500 km. L’une de ses particularités est qu’il peut avoir plusieurs trajectoires [basse altitude, très basse altitude et haute altitude].

Quoi qu’il en soit, cette modernisation de l’ASMP-A, désormais appelé « ASMP-A Rénové », a été menée dans les temps, avec un premier tir de qualification – sans charge militaire – effectué par un Rafale en décembre 2020. Le dernier vient d’avoir lieu, selon un communiqué du ministère des Armées.

« Florence Parly, ministre des Armées, exprime sa grande satisfaction après le succès le 23 mars 2022 du tir de qualification du missile stratégique Air-sol moyenne portée amélioré [ASMPA] rénové, dépourvu de sa charge militaire. Elle adresse ses vives félicitations à l’ensemble du personnel du ministère des Armées, des entreprises MBDA et Dassault Aviation et de l’ONERA qui ont œuvré à sa réussite », affirme le texte.

Comme en décembre 2020, l’ASMP-A rénové a été tiré par un Rafale ayant décollé de la base aérienne 120 de Cazaux. « Tout au long de sa phase de vol, [il] a été suivi par les moyens de la Direction générale de l’armement [DGA] « Essais de Missiles » à Biscarosse, Hourtin et Quimper », ainsi que par le bâtiment d’essais et de mesures Monge, avec la participation de DGA Essais en vol.

Après ce succès, la phase de production de l’ASMP-A rénové va pouvoir commencer. Ce qui signifie que sa mise en service au sein des Forces aériennes stratégique [FAS] et de la Force aéronavale nucléaire [FANu] devrait être effective d’ici quelques mois.

« Ce programme d’armement répond à la volonté du président de la république qui s’est engagé pour ces forces ‘à prendre les décisions nécessaires au maintien de leur crédibilité opérationnelle dans la durée, au niveau de stricte suffisance requis par l’environnement international’ », souligne le ministère des Armées.

L’ASMP-A rénové sera remplacé en 2035 par le missile air-sol nucléaire de quatrième génération [ASN4G]. Deux pistes sont actuellement considérées par l’ONERA et MBDA pour ce nouvel engin, comme l’avait indiqué le député Christophe Lejeune, dans son dernier avis budgétaire concernant la dissuasion.

En effet, il s’agira soit d’un missile à statoréacteur issu du Plan d’études amont [PEA] « Camosis », soit d’un missile à super statoréacteur hypervéloce issu du PEA Prométhée. « La solution technologique qui devrait être retenue prochainement pourrait être un missile hypersonique manœuvrant à même de garantir la capacité de pénétration des défenses, dans un contexte de déni d’accès [A2/AD] croissant. La prochaine étape sera le lancement de la phase de la réalisation, prévu en 2025 », avait expliqué le député.

Photo : archive

La France va-t-elle être obligée de revoir le format de ses forces stratégiques?

La France va-t-elle être obligée de revoir le format de ses forces stratégiques?

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Depuis l’effondrement de l’Union soviétique et la fin de la Guerre Froide, le format des forces stratégiques françaises, sur lesquelles reposent la dissuasion nucléaire, a drastiquement été réduit. Le programme de missile à courte portée Hadès [successeur du Pluton] fut dans un premier temps réduit, puis totalement abandonné en 1996. Même chose pour les missiles balistiques à portée intermédiaire sol-sol S3 mis en œuvre depuis le plateau d’Albion par l’armée de l’Air [et de l’Espace].

Quant à la Force océanique stratégique [FOST], elle reçut quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins [SNLE] de type « Le Triomphant » au lieu des six initialement prévus. Cependant, la Marine nationale put conserver la Force aéronavale nucléaire [FANu], qui est dite « intermittente » car seulement employable quand un porte-avions est en mer.

Puis, à la fin des années 2010, et alors qu’elles se composaient de 9 unités dotées de bombardiers Mirage IV à la fin des années 1970, il fut décidé que les Forces aériennes stratégiques [FAS] ne compterait plus que deux escadrons dotés du missile ASMP-A [Air Sol Moyenne Portée Améliorée] à la faveur du remplacement du Mirage 2000N par le Rafale B, contre trois jusqu’alors.

Par ailleurs, en 1992, la France finit par rejoindre le Traité de non prolifération nucléaire [TNP], alors qu’elle en respectait les dispositions depuis 1968. Puis elle ratifia, comme le Royaume-Uni, le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires [TICEN], le programme « Simulation » devant alors prendre le relais des expérimentations réalisées à Mururoa. Enfin, elle cessa la production de matières fissiles pour les armes nucléaires.

Avec ces mesures, la France compte actuellement moins de 300 têtes de nucléaires, trois lots de 16 missiles M51 destinés aux SNLE et 54 ASMP-A. Tels sont les chiffres qui avaient été rendu publics en 2015 par le président Hollande.

La dissuasion nucléaire française repose sur cinq principes qui concourent à sa crédibilité : la permanence, l’indépendance nationale [ou autonomie stratégique], la défense des intérêts vitaux, lesquels doivent être assez flous pour un adversaire potentiel mais dont on sait, depuis le discours prononcé par M. Macron à l’École militaire en février 2020, qu’ils ont désormais une « dimension européenne », capacité à infliger des « dommages inacceptables » et, enfin, la notion « stricte suffisance ».

Le Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale de 2008 donne une définition précise de cette notion, qui sera reprise par celui de 2013. « La France continuera à maintenir ses forces nucléaires à un niveau de stricte suffisance. Elle les ajustera en permanence au niveau le plus bas possible compatible avec sa sécurité. […] Le niveau de ses forces ne dépendra pas de celui des autres acteurs dotés de l’arme nucléaire, mais seulement de la perception des risques et de l’analyse de l’efficacité de la dissuasion pour la protection de nos intérêts vitaux ».

Et d’ajouter : « Le niveau de suffisance continuera à faire l’objet d’une appréciation à la fois quantitative, concernant le nombre de porteurs, de missiles, d’armes, et qualitative, prenant en compte des défenses susceptibles d’être opposées à nos forces. Cette appréciation est régulièrement présentée au Président de la République et actualisée dans le cadre du conseil de défense restreint sur les armements nucléaires ».

En clair, la France entend maintenir sa dissuasion nucléaire au plus bas niveau possible au regard de son évaluation du contexte stratégique.

Dans son livre « Opération Poker », le général Bruno Maigret, ancien commandant des Forces aériennes stratégiques, souligne que le « concept de stricte suffisance prévient tout risque de course aux armements qui pourrait faire perdre à la France son équilibre doctrinal comme financier ». Plus loin, il ajoute, en citant M. Macron : « La stricte suffisance des forces nucléaires n’est pas dimensionnée par l’arsenal des autres acteurs, mais bien par l’impératif du « maintien de leur crédibilité opérationnelle dans la durée, au niveau […] requis par l’environnement international’. Cela signifie que ce qui dimensionne nos forces aujourd’hui et demain est le niveau de la défense adverse qu’elles devront savoir percer ».

Le contexte international doit donc être pris en compte pour déterminer le niveau de « stricte suffisance ». Du moins fait-il partie de l’équation… Or, l’invasion de l’Ukraine par la Russie, avec la menace nucléaire agitée par Moscou rebat les cartes. En outre, de nouvelles puissances nucléaires sont apparues depuis le début des années 1990, dont le Pakistan, la Corée du Nord et l’Inde. D’autres pays ont tenté de développemer un arsenal nucléaire… Et la Chine a visiblement l’intention d’accroître significativement le sien. Qui plus est, les armes hypersoniques ont fait leur apparition, certaines passant pour être opérationnelle. Et il faut composer avec les défenses antimissiles, le traité ABM [Anti-Ballistic Missile, signé à Moscou en 1972, ndlr] ayant été dénoncé par les États-Unis en 2002.

Étant allé beaucoup plus loin que la France en matière de désarmement nucléaire, avec une dissuasion ne reposant plus que sur une composante océanique [dont l’existence est « garantie » par les États-Unis], le Royaume-Uni a pris la mesure de cette évolution en annonçant, en mars 2021, son intention d’augmenter la taille de son arsenal nucléaire de 40%, le nombre de ses armes « stratégiques » devant ainsi passer de 180 à 260. Durant la Guerre Froide, les forces britanniques disposaient de 500 têtes nucléaires…

Pour justifier cette annonce, venue après une reprise en main de son industrie nucléaire, Londres avait mis en avant une « panoplie croissante de menaces technologiques et doctrinales » et une « menace active » incarnée par la Russie ainsi qu’un « défi systémique » posé par la Chine. Et d’ajouter : « Une dissuasion nucléaire minimale, crédible et indépendante, affectée à la défense de l’Otan, reste essentielle pour garantir notre sécurité ».

Dans ces conditions, l’évolution du contexte international invite-t-elle à reconsidérer le seuil de « stricte suffisance »? La France devrait-elle revoir le format de ses forces stratégiques, en profiter de la modernisation de ses deux composantes nucléaires, avec le SNLE de 3e génération et le missile ASN4G? Le développement d’une arme hypersonique – comme le V-MAX – peut-elle être une réponse?

Sans doute que la campagne électorale qui s’ouvre permettra d’aborder ce sujet, la dissuasion nucléaire étant du seul ressort du président de la République. En attendant, il se dit qu’un deuxième SNLE a quitté la base de l’Île-Longue peu après l’invasion de l’Ukraine. Cela ne s’était plus vu depuis la crise des Euromissiles, au début des années 1980.

La main sur le glaive pour garantir la paix. 57 années d’alerte nucléaire dans les Forces aériennes stratégiques

La main sur le glaive pour garantir la paix. 57 années d’alerte nucléaire dans les Forces aériennes stratégiques



La main sur le glaive pour garantir la paix. 57 années d’alerte nucléaire dans les Forces aériennes stratégiques

par Jean-Patrice Le Saint – Aerion24 – publié le 4 mars 2022

 

Pour ces raisons, mais aussi parce que la mission de dissuasion nucléaire repose sur un subtil équilibre entre ce qui se dit et ce qui se tait, entre ce qui se montre et ce qui se cache, les FAS sont toujours l’objet d’une forme de mythification, y compris au sein des forces armées. À rebours de l’image parfois tenace d’un grand commandement structuré par une doctrine sclérosée, dont la « sanctuarisation » des moyens hypothéquerait les capacités d’action conventionnelle de nos armées, les FAS n’ont cessé de s’adapter au contexte stratégique et de se diversifier. Toujours dimensionnées selon le principe de stricte suffisance, elles prennent aujourd’hui toute leur part aux missions conventionnelles des armées, et ont atteint un niveau de polyvalence, de cohérence et d’efficacité sans doute inégalé dans leur histoire.

Une mutation continue

Dans son essence, la raison d’être des FAS n’a jamais varié depuis leur premier jour d’alerte, le 8 octobre 1964 : crédibiliser la capacité opérationnelle de la France à imposer des dommages inacceptables à toute menace d’origine étatique qui s’en prendrait à ses intérêts vitaux, d’où qu’elle vienne et qu’elle qu’en soit la forme ; être en mesure d’appliquer ces dommages dans les délais prescrits, sur ordre du président de la République. La structure de force et les modes d’action de la Composante nucléaire aéroportée (CNA) ont cependant constamment évolué au fil du temps. Les mutations du contexte international et des menaces pour nos intérêts, le progrès technique, la montée en gamme de nos forces nucléaires et les inflexions doctrinales qui en ont découlé ont eu logiquement des traductions très concrètes pour les FAS, en matière de renseignement, de planification, d’équipement et de préparation opérationnelle. L’évocation des trois générations du triptyque « arme/porteur/ravitailleur » en est la meilleure illustration.

Le développement des intercepteurs et des missiles soviétiques au cours des années 1960 a en effet imposé aux bombardiers bisoniques à haute altitude Mirage IV de la première génération d’adopter à partir de 1967 un profil de pénétration à très basse altitude, en emportant une arme légèrement modifiée pour ce nouveau profil de vol. Au début des années 1970, la mise en service du premier poste de tir du 1er GMS (1) sur le plateau d’Albion puis du premier SNLE a permis de relâcher la contrainte temporelle des délais de réaction des Mirage IV, puis de réduire le format de leur flotte. L’arrivée du Mirage 2000N à partir de 1987 a conduit au remplacement par trois escadrons équipés de cet appareil des cinq escadrons de Jaguar et Mirage IIIE qui assuraient la mission nucléaire tactique depuis le milieu des années 1970. La fin de la guerre froide a entraîné le renoncement au nucléaire « tactique » : les Mirage 2000N ont été intégrés aux FAS en 1991, dont ils constituent la deuxième génération de porteurs. Le Mirage IV a abandonné la mission nucléaire en 1996, l’année même du démantèlement du plateau d’Albion. Dernier changement d’ampleur, le Livre blanc de 2008 annonçait l’évolution des FAS vers leur format actuel, avec le passage de trois à deux escadrons de combat ayant vocation à accueillir le Rafale, troisième génération de porteurs. Que de chemin parcouru depuis l’achèvement de la première génération, et ses neuf escadrons de Mirage IV…

Dans une logique de stricte suffisance, cette contraction du format a été rendue possible par l’amélioration constante de la performance globale des FAS. La portée, la précision de l’ASMP‑A (2) et sa capacité à s’affranchir des menaces n’ont rien à voir avec celles de l’antique bombe AN‑11. N’imposant plus le survol de l’objectif, la portée se mesure désormais en centaines de kilomètres et les performances autorisent le ciblage de centres de pouvoir, en déjouant les menaces les plus évoluées. Le système d’armes du Mirage 2000N, lui aussi plus sophistiqué et plus fiable que celui du Mirage IV, avait introduit une certaine polyvalence, dont la capacité au tir de munitions conventionnelles. Celui du Rafale ouvre l’accès à l’ensemble des missions de l’aviation de combat et, dans l’exécution du raid nucléaire, à une capacité de pénétration et d’autodéfense exceptionnelle. Avec l’arrivée de l’Airbus A‑330MRTT Phénix qui remplace progressivement les Boeing KC‑135, l’allonge du raid s’est aussi considérablement étendue : il est aujourd’hui courant de réaliser des missions de plus de 12 heures, deux fois plus longues que celles envisagées à l’époque du tandem Mirage IV/KC‑135.

Plus puissantes et plus cohérentes que jamais

En 2021, et pour la première fois de leur histoire, les FAS disposent ainsi à la fois d’un missile extrêmement performant (21 tirs d’évaluation réussis sur 21 réalisés), d’un porteur omnirôle éprouvé sur tous les théâtres d’opérations et d’un ravitailleur polyvalent et évolutif, assurant aussi des missions de transport stratégique (3). La dualité conventionnel/nucléaire de leurs capacités a atteint un niveau inédit.

Leurs escadrons de combat étaient autrefois les plus spécialisés de l’armée de l’Air, ils sont aujourd’hui les plus polyvalents. Outre leur mission première, ils remplissent toutes celles de l’aviation de combat, sur le territoire national, où ils tiennent également l’alerte de défense aérienne, comme à l’extérieur, où ils sont pleinement engagés dans les opérations (Libye, Sahel, Levant). Cet aguerrissement, qui s’étoffe jour après jour, est de nature à renforcer leur performance et leur crédibilité dans l’exécution quotidienne de leur mission principale. Lorsqu’elle ne lui est pas consacrée, leur activité aérienne contribue d’ailleurs à la préparation opérationnelle des équipages à l’exécution du raid nucléaire. Les exercices de ravitaillement en vol, de combat air-air, de pénétration à très basse altitude ou encore d’entraînement au tir de missiles de croisière SCALP (4) sont autant de « briques » indispensables à l’édification du savoir-­faire qu’il serait nécessaire de mobiliser le jour J.

La proportion des missions conventionnelles est encore très supérieure pour les unités de KC‑135 et de Phénix, placées la plupart du temps sous le contrôle opérationnel d’autres « employeurs » : entraînement au ravitaillement en métropole, relèves de personnel en opération, ravitaillement sur les théâtres extérieurs, exercices majeurs à l’étranger, évacuations sanitaires (5), etc.

Ce large spectre d’expertise repose sur 2 100 personnes environ, soit 5 % du personnel de l’armée de l’Air et de l’Espace (AAE), et sur une organisation aussi lisible que rationnelle. L’état-major est implanté en région parisienne. Établie à Taverny (Val-­d’Oise), une brigade des opérations assiste le général commandant les FAS (GCFAS) dans ses attributions de commandant opérationnel de force nucléaire, qu’il exerce sous l’autorité du chef d’état-­major des armées. Adossée à un centre d’opérations, le Commandement des FAS (COFAS), qui suit en permanence la localisation et la disponibilité des moyens et dirige leur manœuvre, elle fédère les compétences nécessaires à l’appréciation de situation, à la planification et à la conduite des opérations de la CNA. L’arrivée du MRTT Phénix et la prise en compte totale par les FAS de la mission de transport aérien stratégique en septembre 2021 ont donné naissance à une division chargée de coordonner la participation et l’emploi de ces moyens avec les organismes interarmées nationaux et internationaux susceptibles de les solliciter.

Guerre en Ukraine : quel est le pouvoir de l’AIEA face au risque nucléaire ?

Guerre en Ukraine : quel est le pouvoir de l’AIEA face au risque nucléaire ?

Explication

Depuis le début de la guerre en Ukraine, premier conflit à se dérouler dans un État nucléarisé, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) alerte sur le risque grave d’un accident, sans toutefois pouvoir influer concrètement.

par Esther Serrajordia – La Croix – publié le

https://www.la-croix.com/Monde/Guerre-Ukraine-quel-pouvoir-lAIEA-face-risque-nucleaire-2022-03-07-1201203643


En s’emparant du site de Zaporijjia dans la nuit du jeudi 3 au vendredi 4 mars, la Russie est devenue le premier pays à prendre possession d’une installation nucléaire civile ennemie. La guerre en Ukraine est le premier conflit à se dérouler dans un État nucléarisé. L’Ukraine dispose en effet de quinze réacteurs dans quatre centrales. Celle de Tchernobyl, lieu de la pire catastrophe nucléaire de l’histoire, en 1986, est tombée aux mains des troupes russes la semaine dernière.

Face à cette situation inédite, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) multiplie les prises de parole et alerte sur le risque d’un grave accident nucléaire. « Il faut comprendre que nous faisons face à une situation inédite. Habituellement, en diplomatie, il convient de regarder dans le passé pour y trouver des solutions. Ici, nous évoluons en eaux troubles », a déclaré le directeur général, Rafael Mariano Grossi.

Un réel pouvoir ?

Le conseil des gouverneurs de l’AIEA a ainsi adopté jeudi 3 mars une résolution appelant la Russie à « cesser immédiatement les actions contre les sites nucléaires ukrainiens ». Le lendemain, lors d’une conférence de presse organisée en urgence à Vienne, Rafael Mariano Grossi s’est dit prêt à se rendre en Ukraine « dès que possible » afin de négocier une solution pour garantir la sécurité des sites mis en danger par la guerre, notamment à Tchernobyl.

Dernière déclaration en date, dimanche 6 mars, le gendarme onusien du nucléaire a exprimé sa « profonde inquiétude » à la suite d’informations concernant l’interruption des communications avec la centrale de Zaporijjia et a rappelé les sept piliers indispensables à la sûreté nucléaire. Parmi eux, garantir le maintien de l’intégrité physique des installations, mais aussi faire en sorte que le personnel qui y travaille ne soit pas sous stress.

L’AIEA a été créée en 1957 au sein des Nations unies. « Après Hiroshima et Nagasaki, il y a eu une prise de conscience de l’ensemble des politiques et des pays qu’il fallait des gendarmes du nucléaire au niveau international », explique Emmanuelle Galichet, enseignante-chercheuse au Conservatoire national des arts et métiers et spécialiste de la physique nucléaire. Le principal objectif de l’AIEA est donc de promouvoir les usages pacifiques de l’énergie nucléaire et de limiter ses implications militaires.

Peu d’influence concrète

Mais quel est le réel impact de cette organisation ? Comme l’ONU, l’AIEA n’a pas de pouvoir de contrainte, ce qui ne l’empêche pas d’avoir une influence importante en temps de guerre. « L’AIEA a raison de faire tout ce qu’il est en son pouvoir pour essayer de calmer le jeu, mais si la Russie veut prendre les centrales d’Ukraine, elle ne peut rien y faire », analyse Emmanuelle Galichet.

→ EXPLICATION. Guerre en Ukraine : à quoi sert l’iode face au risque nucléaire

Même si l’AIEA ne peut donner que des recommandations, sa fonction « est vraiment importante pour montrer aux Russes que le monde est conscient de la gravité, des enjeux de cette guerre, et que les centrales nucléaires font partie des ouvrages et des installations auxquels on n’a pas le droit de toucher », explique l’enseignante-chercheuse, invoquant la convention de Genève de 1949.

« L’AIEA va avoir un rôle essentiel sur la transparence de l’information et la diplomatie pour contrôler que tout est en ordre dans l’exploitation des réacteurs. C’est inédit », ajoute Nicolas Goldberg, expert énergie chez Colombus Consulting.

La Russie met ses forces stratégiques en alerte

Dans son allocution télévisée annonçant le lancement de l’offensive contre l’Ukraine, le président russe, Vladimir Poutine avait prévenu : Ceux « qui tenteraient d’interférer avec nous doivent savoir que la réponse de la Russie sera immédiate et conduire à des conséquences que vous n’avez encore jamais connu ».

Évidemment, il était difficile d’y voir autre chose qu’une référence à l’arme nucléaire… Cependant, avant d’en arriver là, la Russie dispose d’autres moyens susceptibles de provoquer les « conséquences » évoquées par le chef du Kremlin.

Ainsi, l’usage d’une arme anti-satellite, comme celle testée en novembre 2021, pourrait infliger des dommages considérables aux économies des pays occidentaux. De même qu’une action contre les câbles sous-marins de communication. Un autre possibilité est l’emploi d’un missile hypersonique, des MiG-31K, doté du missile Kinjal, ayant été repéré à Kaliningrad, d’où ils pourraient atteindre la quasi-totalité des capitales européennes.

Quoi qu’il en soit, le 24 février au soir, Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères, a répondu à la menace de M. Poutine en affirmant que celui-ci devait « aussi comprendre que l’Alliance atlantique est une alliance nucléaire ». Au passage, la France ne fait partie du Groupe des plans nucléaires de l’Otan…

En tout cas, ce 27 février, soit trois jours après le début de l’invasion de l’est de l’Ukraine par ses troupes et la décision des Occidentaux d’infliger de lourdes sanctions économiques contre la Russie, le président russe Poutine a ordonné de mettre en alerte les forces stratégiques russes. Et cela, alors que plusieurs pays ont annoncé qu’il livrerait des armes aux forces ukrainiennes.

« Les hauts responsables des principaux pays de l’Otan font des déclarations agressives contre notre pays. C’est pourquoi j’ordonne au ministre de la Défense et au chef d’état-major général de mettre les forces de dissuasion en régime spécial d’alerte au combat », a déclaré M. Poutine, lors d’une réunion au Kremlin. En outre, il a aussi qualifié les sanctions prises contre son pays « d’illégitimes ».

En 2015, M. Poutine avait confié avoir envisagé l’option nucléaire en cas d’intervention occidentale au moment de l’annexion de la Crimée, un an plus tôt. « Nous étions prêts à le faire […] et à faire face à la tournure la plus défavorable qu’auraient pu prendre les événements », avait-il affirmé, lors d’un entretien diffusé par Rossiya1. « On ignorait alors » si les Occidentaux allaient intervenir militairement. C’est pourquoi j’ai été obligé de donner les instructions qu’il fallait à nos forces armées […] de donner des ordres sur l’attitude de la Russie et de nos forces armées en toutes circonstances », avait-il ajouté.

Pour rappel, cinq jours avant le début de l’offensive en Ukraine, toutes les composantes de la dissuasion nucléaire russe [terrestre, océanique, aérportée] ont pris part à l’exercice Grom 22, dont l’objectif était de vérifier leur état de préparation et la fiabilité de leurs armes nucléaires et conventionnelles.

Reconstruire la défense opérationnelle du territoire pour crédibiliser la dissuasion

Reconstruire la défense opérationnelle du territoire pour crédibiliser la dissuasion



Pour le général de division (2S) Vincent Desportes l’urgence est à une forte évolution de notre modèle pour l’adapter à la réalité géopolitique actuelle.

Nos belles armées ont d’immenses qualités, dont celle de l’excellence. Elles ont quelques défauts, le moindre n’étant pas leur manque d’épaisseur, donc leur manque de résilience et de capacité à durer dès lors que les opérations changeraient de nature, de volume et de rythme.

Mais elles en ont un autre, beaucoup plus grave. Le système de forces est organisé sur un modèle dépassé, dont l’économie générale n’a pas varié depuis un quart de siècle. L’environnement, lui, a changé ; profondément. Les risques ont grandi et muté ; drastiquement. Pourtant, le modèle de forces est resté identique, ne subissant que de marginales évolutions, techniques et non stratégiques.

Nos forces armées doivent certes changer rapidement d’échelle à l’instar des menaces, mais également intégrer non par défaut mais par volonté la menace directe sur le territoire national, avérée et permanente aujourd’hui, menace qui d’ailleurs s’amplifierait dramatiquement en cas de conflit de haute intensité.

Il faut donc revaloriser l’idée de défense opérationnelle du territoire : prenant l’Histoire à contre-pied, elle est devenue aujourd’hui un concept creux, sans substance, puisque dépouillé de moyens d’action sérieux. La puissance de nos armées doit au contraire reposer sur une base arrière solide, dotée de forces d’active dédiées à sa protection.

Des modèles dépassés

Quel est le problème des armées françaises — qui est en fait celui de la France ? C’est que leur modèle, inchangé depuis la professionnalisation des armées il y a 25 ans, est fondé sur un monde qui a aujourd’hui disparu.

Le modèle de la guerre froide, ce sont :

  1. Quelques moyens destinés aux opérations extérieures liées soit à nos responsabilités africaines ou moyen-orientales soit aux manœuvres de contournement périphériques soviétiques ;
  2. L’outil central de la dissuasion nucléaires dans ses différentes composantes avec leurs vastes soutiens ;
  3. Un corps de bataille soit capable (très hypothétiquement) d’arrêter un flux blindé soviétique qui, du côté de Fulda ou de Munich, aurait percé les forces alliées de la « bataille de l’avant », soit destiné à être détruit de manière à justifier aux yeux du monde et des générations futures le déclenchement de l’Apocalypse. On conserva quelque temps des forces dites de Défense opérationnelle du territoire qui avaient toute leur nécessité mais qui, pour préserver le supposé essentiel et moderniser les parcs et flottes, furent bientôt offertes en sacrifice aux comptables de Bercy.

Retournement complet de situation à la chute du mur de Berlin. D’une part l’ennemi n’est plus à « une étape du Tour de France », selon l’expression du général De Gaulle, et, d’autre part, le constat est fait que les armées françaises se battront désormais à l’extérieur du territoire national pour des enjeux qu’il sera difficile de présenter comme vitaux aux citoyens-électeurs. Les présidents Mitterrand (à l’occasion de la guerre du Golfe) et Chirac prennent acte du fait que le modèle de la conscription est momentanément condamné, d’autant qu’aucune menace ne vise plus directement le territoire national et sa population : en 1996, décision est prise, à juste titre dans les circonstances du moment, de professionnaliser l’armée. Et d’en réduire drastiquement le format. D’abord, parce que les temps sont aux illusoires « dividendes de la paix » et à la dictature de l’État-providence. Ensuite, parce qu’une armée professionnelle coûte beaucoup plus cher qu’une armée de conscription ; et enfin, pour préserver les moyens de tenir notre rang, en particulier vis-à-vis de notre grand protecteur, dans la course ruineuse à l’hyper-technologie.

Année après année nos forces perdent de l’épaisseur, avec deux décrochages terribles sous les présidences Sarkozy et Hollande. Qui pourrait s’y opposer ? Il est impossible de prouver que leur volume est insuffisant pour les opérations somme toute modestes dans lesquelles elles sont engagées. Le modèle est donc celui :

  1. D’une dissuasion nucléaire réduite mais maintenue, ce qui est parfaitement raisonnable ;
  2. D’un corps expéditionnaire à trois composantes (terre, air, mer) apte à mener à bien des engagements interarmées mineurs mais incapable de conduire des opérations d’ampleur et même de protéger l’intégralité de l’espace national, qu’il soit terrestre ou maritime.

Adapter le modèle de force aux nouvelles circonstances de la guerre à venir

Le modèle qui vient d’être décrit n’a pas changé mais, pour leur part, les circonstances ont profondément évolué.

Il existe d’abord un problème de volume. Nous l’avons dit, nos forces conventionnelles ont d’ores et déjà un format inadapté à la montée des menaces et à la guerre qui vient. Les volumes qui peuvent être engagés à l’instant « T » sont certes à peu près appropriés à nos opérations courantes mais ils ne le sont pas du tout à celles que nous pourrions avoir à conduire dans un avenir plus proche que beaucoup ne le pensent. Elles manquent d’épaisseur pour être capables de faire face et de durer, mais aussi simplement pour être en mesure d’encaisser le premier choc puis de rebondir afin d’assurer leur mission première de protection de la France et des Français. Elles ne sont plus « résilientes » parce que la résilience suppose de l’épaisseur et qu’elles n’en ont pas ; or, la résilience est la vertu capitale des armées qui doivent continuer à opérer dans les pires conditions, lorsqu’autour d’elles plus rien ne fonctionne. Les armées doivent être dissuasives ― cela dépasse de très loin la force nucléaire qui n’est qu’une composante du système de dissuasion globale ― pour prévenir le danger mais être également capables de s’engager en force dans un conflit de haute intensité. Nous en sommes tellement loin que de simples adaptations incrémentales seraient irréalistes : il faut désormais changer d’échelle.

On peut jurer comme le ministre de la guerre de Napoléon III à la veille de l’infamante défaite de 1870 : « Nous sommes prêts et archi-prêts. La guerre, dut-elle durer deux ans, il ne manquerait pas un bouton de guêtre à nos soldats ». Ou encore affirmer haut et fort à l’instar du Président du Conseil Paul Reynaud en septembre 1939 (au moment où la France, malgré son armée inadaptée à la confrontation imminente, vient de déclarer la guerre à l’Allemagne) : « Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts ». Ces déclarations tonitruantes ne remplacent ni la clairvoyance ni les efforts ; la France, inclinant aisément à la posture de l’autruche en ce qui concerne ses politiques militaires, doit s’en rappeler. Maintenant !

Il y a ensuite ce problème de modèle. Les armées actuelles ont été construites à partir de 1996 sur la présupposition qu’il n’y avait ― et qu’il n’y aurait pas ― de menaces internes, et qu’elles n’auraient donc pas à s’engager sur le territoire national. Sauf à la marge. Dans ce cas, la ponction minime ponctuellement pratiquée sur les forces expéditionnaires n’en affecterait ni les capacités opérationnelles, ni l’entraînement. Ce postulat est faux depuis longtemps.

D’abord parce que la menace terroriste, loin de s’estomper, a changé de nature. Elle s’est déployée sur l’intégralité du territoire national et pérennisée sous la forme de frappes individuelles imprévisibles. Cette situation conduit aujourd’hui les armées à immobiliser soit directement sur le terrain, soit en réserve immédiate ou stratégique, 10 000 hommes environ. Ce prélèvement, bien qu’utile et légitime, diminue d’autant la capacité d’intervention externe mais surtout, en ce temps d’opérations extérieures permanentes, altère profondément la capacité à maintenir l’entraînement au niveau qu’exigent les opérations du moment sans parler de celles, beaucoup plus violentes et massives, qui sont à venir.

Ensuite, on ne peut imaginer un conflit de haute intensité qui se contenterait d’être un affrontement de laboratoire, hors sol, entre deux forces de haute technologie, un moderne « combat des Trente ». Immédiatement, l’ensemble du territoire national serait affecté. Il deviendrait la proie d’attaques ponctuelles dans la profondeur et le terrain de crises humanitaires volontairement déclenchées par la cyber-altération des réseaux, voire la cible d’éventuelles agressions d’une « 5e colonne » dont on aurait tort d’affirmer l’impossible émergence. Le gouvernement devrait assurer la défense aérienne et la défense maritime, mais également déployer sur de vastes zones des volumes de forces importants pour assurer l’ordre sur le territoire et la survie des populations, la sauvegarde des organes essentiels à la défense de la nation, le maintien de sa liberté et la continuité de son action.

Où les trouverait-il ? Elles n’existent pas ! Deux solutions s’offriraient alors à lui : soit effectuer des prélèvements importants sur le corps expéditionnaire et de ce fait, le rendre inapte à sa mission première, celle de gagner la bataille de haute intensité. Ou bien « laisser tomber l’arrière », ce qui se traduirait à court terme par l’effondrement de l’avant. Pour sortir de ce dilemme, il faut adapter le modèle.

Dans une logique purement comptable, nous avions, pendant la guerre froide, préféré faire l’impasse sur les forces du territoire en niant une menace pourtant avérée, celle des Spetsnaz, ces forces spéciales russes entraînées en nombre et que la doctrine soviétique prévoyait de déployer chez l’ennemi dès le début d’un conflit pour y assassiner les responsables ― politiques en particulier ― et y semer le chaos et la panique[1].

Peut-on reconduire aujourd’hui la même tromperie ? Porter nos maigres forces au niveau qui leur permettrait de conduire efficacement leurs combats de haute intensité, sans se préoccuper du problème de l’arrière ? Autant imaginer qu’un boxeur peut se passer de ses jambes !

Nos forces doivent donc être rapidement restructurées autour de trois composantes :

  1. Nucléaire ;
  2. Expéditionnaire « de haute intensité » avec leurs trois dimensions terre-air-mer ;
  3. Défense opérationnelle du territoire.

Seul ce système ternaire ― coordonné avec les remarquables capacités complémentaires de la gendarmerie dans le domaine de la défense intérieure ― est adapté à la réalité des menaces, donc à la dissuasion globale, à la résilience et à l’action. C’est possible, pour un coût minimal. Voici comment.

Mettre sur pied rapidement nos forces de défense dans la profondeur

Quelles forces, quel volume, quel équipement ?

L’effet à obtenir est d’être en mesure de déployer sur très court préavis des troupes suffisantes, organisées, sur un terrain reconnu afin de pouvoir quadriller, circonscrire, contrôler, éventuellement réduire ou bien tenir jusqu’à l’arrivée de forces plus puissantes. Il faut donc des forces territoriales, connaissant parfaitement leur terrain (campagne et agglomérations), rustiques et robustes, autonomes, équipées d’un matériel performant, mais sans sophistication inutile[2].

Le couple cavalerie légère/infanterie motorisée, accompagné de ses appuis organiques (artillerie, génie, transmission) est adapté à ces missions. Ces forces pourraient être regroupées soit en régiments interarmes, soit en régiments d’armes embrigadés, dotés de matériels performants mais rustiques, véhicules 4×4, mortiers, camionnettes et automitrailleuses en particulier. Il serait dans un premier temps raisonnable de disposer dès que possible du volume d’une demi-brigade à deux régiments et leurs appuis pour chacune des sept zones de défense et de sécurité. Elles seraient placées sous le commandement des Officiers généraux de zone de défense et de sécurité (OGZDS) pour la conduite de la défense d’ensemble, les cinq zones ultramarines faisant l’objet d’adaptations locales. La force ainsi constituée serait, dans un premier temps, de l’ordre de la vingtaine de milliers d’hommes.

D’où proviendraient ces forces ?

La solution la moins onéreuse serait, comme d’habitude en France, de faire appel à des réservistes locaux convoqués régulièrement pour entraînement. C’est parfaitement illusoire. Tous ceux qui ont vécu la chimère des régiments dérivés connaissent ce qu’ils coutaient en temps et en substance aux régiments dérivants ; ils savent que leur valeur opérationnelle était extrêmement faible voire nulle, qu’ils étaient équipés de matériels le plus souvent parfaitement vétustes et que leurs tableaux d’effectifs étaient aussi indigents que leur entraînement.

Par ailleurs, si haute intensité il y a, elle sera par nature brutale, foudroyante, ce qui est incompatible avec les délais de montée en puissance des régiments de réserve.

Méfions-nous, donc : la France a déjà trop souffert de sa croyance dans les réserves. La débâcle de 1940, c’est justement : nous tiendrons ; en cas de percée allemande, il y aura une deuxième Marne ; nous nous rétablirons ; à l’abri de nos casemates, nous monterons en puissance avec nos réserves pendant un à deux ans avant de refaire du Foch jusqu’à la victoire. Terrible illusion : le 24 mai 1940 à l’aube les chars allemands sont devant Dunkerque, le 14 juin le gouvernement français est à Bordeaux, le 16 juin Philippe Pétain devient président du Conseil. On connait la suite. Évacuons l’hypothèse. Ces forces de défense opérationnelles du territoire doivent être opérationnelles d’emblée, ce qui ne veut pas dire qu’elles doivent être professionnelles. La France compte en général sur sa chance mais c’est un pari risqué. « Ce n’est pas moi qui ai gagné la bataille de la Marne, c’est Von Kluck qui l’a perdue » avouait le maréchal Joffre : il serait criminel de jouer à chaque fois le destin de la France sur la désobéissance d’un général ennemi… La Wehrmacht ne nous a rien offert de semblable en 1940 !

On ne peut guère douter aujourd’hui que le rétablissement d’un service militaire volontaire, même limité à une quinzaine de milliers de recrues sélectionnées par an, trouverait un écho favorable à la fois dans le corps électoral et chez la jeunesse qui viendrait sûrement en nombre sous les drapeaux. L’exemple de la Suède est parlant. Prenant acte de la montée des menaces, la monarchie a non seulement décidé de gonfler ses dépenses de défense de 85 % en 10 ans (2014-2025) mais elle a rétabli le service militaire en 2017. Celui-ci n’a rien d’obligatoire, mais fournit sans difficulté le complément de forces dont la Suède a besoin. Le coût est faible : chaque recrue reçoit 500 euros par mois plus une prime de 5 000 euros à la fin du contrat[3].

Sur les volumes évalués supra, cela ferait moins de 200 millions d’euros par an, auquel il convient d’ajouter le coût de l’encadrement d’active, celui de la vie courante, de l’entraînement et de l’équipement (dont une bonne part peut initialement venir des parcs stockés). Coût global : après un faible investissement initial, probablement entre 0,6 à 0,8 milliards d’euros par an, un coût modéré comparé au risque mortel de l’impasse sur cette assurance « défense dans la profondeur ». Les préposés aux finances ne rencontreront aucune difficulté à préciser ces chiffres.

* * *

Le modèle proposé n’est pas glamour, il est juste nécessaire. Il ne permet pas de concevoir et construire de superbes programmes d’armement de haute technologie. Il permet juste que ceux que nous possédons soient utiles, que nos superbes forces expéditionnaires puissent conduire leur mission sans qu’à la moindre alerte on prélève sur leur chair les besoins nécessaires sur le territoire, qu’elles puissent gagner la nouvelle « bataille de l’avant » sans que celle de l’arrière soit automatiquement perdue.

Il ne s’agit pas non plus d’une armée « à deux vitesses ». Bien sûr, le slogan sera vite brandi, de même que l’argument du coût qui détournerait dangereusement, au profit d’un combat sale et rustique, des budgets indispensables pour rester dans la course, de plus en plus onéreuse, aux technologies dernier cri.

Ce qui compte, ce ne sont pas les éléments, c’est le système. À quoi serviraient une marine remarquable, mais condamnée à trouver sa fin à Toulon et Mers el-Kébir, une force aérienne de tout premier plan, mais obligée de se réfugier sur des plateformes ultramarines, une armée de Terre fantastique, mais sans arrière
pour s’y régénérer ?

Notre superbe armée, capable chaque jour du meilleur, doit changer d’échelle : c’est le premier pas. Le second est d’adopter un nouveau modèle adapté à la réalité de la menace et d’assurer, par des forces d’active, conséquentes et robustes, la défense dans la profondeur : sortons la tête du sable avant que la vague ne déferle !

Texte issu du dossier 27 du G2S « Dissuader aujourd’hui ou comment prouver sa détermination »


NOTES :

  1. S’agissant de la Russie, notons au passage que ces forces d’élite existent toujours et qu’elles ont récemment fait merveille tant en Géorgie, en Crimée, en Ukraine qu’au Moyen-Orient.
  2. Rechercher pour ces forces la même sophistication technologique que celle des forces expéditionnaires équivaudrait à tuer le projet dans l’œuf.
  3. Données : Le Monde, 16 décembre 2020.

La dissuasion et les forces morales

La dissuasion et les forces morales


 

Si la détermination d’un homme est essentielle, l’adhésion d’un peuple ne l’est pas moins. Comme l’écrit le général (2S) Dominique Trinquand, c’est bien ce combat des valeurs qu’il faut gagner aujourd’hui.

« La force de la Cité ne réside ni dans ses remparts, ni dans ses vaisseaux, mais dans le caractère de ses citoyens », Histoire de la guerre du Péloponnèse, Thucydide.

Alors que le sujet de ce dossier du G2S est la dissuasion, on pourrait s’attendre à une avalanche de chiffres sur le nombre de vecteurs, leur puissance, leur performance ainsi qu’à un énoncé de tous les systèmes d’arme contribuant à la dissuasion militaire.

Comme Raymond Aron, qui disait que « la dissuasion étant une relation entre deux volontés, l’équilibre de la dissuasion est un équilibre psychotechnique », on se doit d’aller au-delà de cette simple énumération. Il faut donc prendre en compte cet aspect psychologique et ainsi montrer que les « forces morales » sont au cœur de la dissuasion.

En effet, quelle que soit la qualité des outils militaires, l’organisation et le professionnalisme de ceux appelés à les mettre en œuvre, la crédibilité de la dissuasion repose avant tout sur la volonté de la Nation, qui est l’addition des volontés des citoyens. Si nous reprenons la définition du dictionnaire : « La dissuasion consiste à mener une action destinée à faire changer d’avis ». La dissuasion peut donc s’appliquer à beaucoup d’actions de natures très différentes et s’inscrire parfois dans l’action quotidienne. Tout ce qui concourt à l’expression de la volonté nationale peut alors être rangé dans la catégorie des actions de dissuasion.

Aujourd’hui en France, la volonté de la Nation s’exprime d’abord par la désignation du chef de l’État. En effet c’est lui qui, en dernier ressort, décidera de l’usage de la force. Il doit donc, par sa personnalité, présenter une stature fiable validée par le suffrage des citoyens. Cette volonté, exprimée par le vote d’un jour, ne peut suffire et doit s’incarner dans la durée. Pour cela les citoyens doivent démontrer leur attachement à la liberté et les sacrifices qu’ils sont prêts à consentir pour la conserver. Certains de ces citoyens poussent d’ailleurs cette logique jusqu’à s’engager au service du pays et deviennent soldats. Enfin, de nos jours, les médias et réseaux sociaux doivent être pris en compte, tant leur action est déterminante dans la perception de la volonté populaire et leurs effets sur celle-ci.

Le Président de la République, élu au suffrage universel direct, est l’incarnation de la volonté populaire. Une fois élu, il a bien sûr accès aux « codes nucléaires » (ultima ratio) et aussi, en tant que chef des armées, c’est lui qui décide seul de l’emploi de la force armée. Dans ce rôle, sa solitude peut paraitre exorbitante et pourtant n’est-elle pas l’expression de la capacité à décider vite lorsqu’il s’agit de la vie ou de la mort de la Nation ? Dans l’action quotidienne des armées, aussi bien sur le territoire national qu’en opérations extérieures, le Président aiguise sa volonté par la décision d’emploi de la force, qui est déjà un instrument de la dissuasion. Il dispose d’ailleurs d’un état-major particulier, courroie de transmission vers l’état-major des armées, pour être en lien direct avec les forces. Ainsi la volonté d’emploi peut s’exprimer quotidiennement et contribuer à démontrer à la fois la capacité personnelle du Chef de l’État à utiliser la force, mais aussi la fiabilité de la chaîne de commandement.

La solitude du Président, nécessaire pour les décisions réclamant de la réactivité, est maintenant tempérée par les validations régulières du Parlement qui assurent le lien dans la durée entre les actions engagées et les citoyens via les élus de la Nation. Ce système si particulier à la Ve République a fait ses preuves lors des nombreuses crises traversées depuis 60 ans. Il a démontré que non seulement le Président de la République est un élu disposant de la capacité « d’appuyer sur le bouton », mais aussi le chef des armées, pratiquant quotidiennement l’usage de la force. Cette incarnation de la volonté populaire au plus haut niveau de l’État nécessite naturellement un soutien de la Nation, qu’il est difficile et pourtant essentiel de mesurer par temps calme, si l’on veut pouvoir affronter le gros temps.

En effet, la volonté de la Nation ne se borne pas à une élection présidentielle, si importante soit elle, ni à la possibilité d’employer le feu nucléaire. À chaque occasion, la Nation doit démontrer sa capacité à affronter les épreuves. Ce fut le cas, en janvier 2015, après l’attentat contre Charlie Hebdo. La foule dans les rues de Paris et de nombreuses villes[1], qu’elle fût « Je suis Charlie » ou non, démontrait plus que toute autre action, la volonté du peuple français de résister au terrorisme. En revanche les tergiversations sur les bancs de l’Assemblée, comme dans les tribunes des journaux, sur la pérennité d’une opération dès qu’un soldat français est tué, peut faire douter de la capacité de résilience de la Nation. « Pourvu que le derrière tienne » disait Bernanos. La critique est tellement développée en France, qu’il est difficile de faire la part des choses entre le questionnement salutaire qui permet de se faire une opinion et la critique systématique, souvent objet d’une instrumentalisation politique, qui porte en elle le doute, créateur d’incertitudes.

La formation française à l’esprit critique est à la fois une bonne chose et un danger. C’est une bonne chose car elle permet de ne pas « avaler des couleuvres » et de contester ce qui pourrait s’apparenter à de la propagande. C’est un danger car, si elle ne repose pas sur une solide culture, elle ne permet pas de prendre une position réellement rationnelle.

Le danger qui guette actuellement notre pays est très bien décrit par Jérôme Fourquet dans L’archipel français[2]. La disparition d’un socle commun fondé sur une culture partagée peut faire que les citoyens ne partageant plus des valeurs communes présentent une cohérence réduite face à la menace. Par définition, l’archipel est fait d’îles et l’infiltration entre ces îles permet de réduire la capacité de résistance de la Nation.

Le caractère des citoyens ne fait plus bloc. La dissuasion repose sur la capacité de la Nation à montrer un front uni du haut en bas de l’État. Le socle constitué du caractère des citoyens est donc le premier élément qu’il faut renforcer. « La véritable école du commandement est la culture générale. Au fond des victoires d’Alexandre, on retrouve toujours Aristote » disait le général De Gaulle. De nos jours le commandement concerne tous les citoyens. Le fond dont ils ont besoin pour remplir leur part de commandement est la culture générale. Celle-ci les mettra en capacité certes de critiquer mais aussi de se faire une opinion qui résistera aux pressions extérieures. Ils constitueront ainsi la volonté qui tiendra lieu de remparts.

Pour renforcer la volonté de la Nation il faut d’abord développer l’éducation des citoyens, l’éducation qui développe des qualités intellectuelles et morales. Alors que depuis plus de cinquante ans le relativisme est prépondérant, la remise en cause et le doute semblent être les seuls objets recherchés. Permettre d’avoir un esprit critique ne veut pas dire douter de tout mais au contraire s’appuyer sur une bonne connaissance qui permet ensuite de sélectionner. On le voit, l’action première à engager pour renforcer les forces morales consiste à remettre l’éducation sur la bonne voie pour qu’elle forme des citoyens éduqués et conscients.

Toutefois, l’époque des « hussards de la République » n’est plus d’actualité, les moyens d’informations se sont considérablement développés sous différentes formes et il faut les prendre en compte.

Aujourd’hui, les citoyens sont soumis à un matraquage médiatique incessant. Nos démocraties doivent prendre en compte ce cinquième pouvoir à l’effet redoutable : les médias. De plus, récemment, l’information instantanée, rarement sourcée, et continue par le biais de chaînes « d’information » et l’accroissement des réseaux sociaux, propagateurs de balivernes, ont pris une place démesurée. En France, l’information en ligne constitue 64 % des sources d’information et 39 % des Français s’informent sur les réseaux sociaux[3]. L’information sous toutes ses formes en fonction de la ligne éditoriale choisie et de la fréquence des reprises peut changer complétement la perception que le citoyen a d’un événement. Elle peut le pousser à réagir en privilégiant l’émotion et non plus la raison. « Le cœur d’un homme d’État doit être dans sa tête », disait Napoléon.

Quand il s’agit de la défense du pays chaque citoyen doit réagir en homme d’État. Certes une bonne culture générale donne des outils pour résister intellectuellement, mais elle ne suffit pas. Il faut aussi fournir une information non pas fondée sur une étude de marché et un audimètre, mais sur une lumière qui fait appel à l’intelligence et explique les réalités internationales clairement et correctement pour permettre de réagir avec discernement. L’espace médiatique est donc à reconquérir pour que le citoyen puisse être bien informé et réagisse non pas sous le coup de l’émotion, mais de manière raisonnée. La pédagogie est bien sûr nécessaire mais dans un espace où le martèlement est devenu la règle, il faut non seulement de la qualité, mais aussi de la quantité.

En effet, aujourd’hui, le public a accès à une grande gamme d’informations. Cette plus grande diversité dans les sources d’information change la relation de l’individu à l’information. Sur les réseaux sociaux il n’y a pas de place pour la nuance et l’anonymat permet de raconter n’importe quoi. Il faut donc prendre position dans cet espace et expliquer avant, pendant et après les tenants et les aboutissements d’une crise. Il faut également techniquement entrer dans le flot des informations pour rendre facilement accessible l’information, versus les ʺfake newsʺ et la propagande. Il faut anticiper les menaces par une présence constante et active dans les médias et sur les réseaux.

Face aux menaces de quelques natures qu’elles soient, un plan de communication doit être établi prenant en compte tous les vecteurs médiatiques. L’information ainsi diffusée permettra aux citoyens de mieux comprendre, puis de s’exprimer avec discernement sur les enjeux. Au lieu de suivre le courant, un outil médiatique situé au cœur des réseaux sociaux permet de lutter contre « la plus grande pente » et contribue à la résilience de la Nation.

Le caractère des citoyens énoncé par Thucydide trouve un merveilleux exemple dans le discours de Churchill lorsqu’en 1940 il annonçait aux Britanniques : « Je n’ai à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur ! » Les citoyens sont prêts à affronter les difficultés s’ils ont la possibilité de comprendre et d’être informés. En 2021, en France, contrairement à l’Angleterre de 1940, nous ne sommes pas sur une île affrontant une menace immédiate. L’archipel français d’aujourd’hui doit d’abord reconstituer son unité, armer moralement et intellectuellement ses citoyens pour affronter le pire danger qui soit, celui de la dissolution de la Nation. Cela passe par l’éducation, mais aussi une information de qualité, qui s’adresse à des esprits et non à des objets de consommation. Le caractère des citoyens constituera alors la meilleure dissuasion.

« Celui qui peut moralement tenir le plus longtemps est le vainqueur : celui qui est vainqueur, c’est celui qui peut, un quart d’heure de plus que l’adversaire, croire qu’il n’est pas vaincu. » Clemenceau, mars 1918.

Texte issu du dossier 27 du G2S « Dissuader aujourd’hui ou comment prouver sa détermination »

NOTES :

  1. Les manifestations, dans 265 villes dénombraient plus de 4 millions de personnes, dont plus d’1,5 million
    à Paris, ce qui en fait le plus important rassemblement de l’histoire moderne du pays.
  2. Jérôme Fourquet, L’archipel français – Naissance d’une nation multiple et divisée, Éditions du Seuil, 528
    pages, 2020.

Moscou veut associer Paris et Londres aux discussions sur la maîtrise des armes nucléaires

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http://www.opex360.com/2021/08/03/moscou-veut-associer-paris-et-londres-aux-discussions-sur-la-maitrise-des-armes-nucleaires/

Espace : Pourquoi l’avenir de la dissuasion française est lié à la santé d’ArianeGroup

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La Chine construit une seconde base pouvant abriter au moins 110 silos de missiles à capacité nucléaire