La main sur le glaive pour garantir la paix. 57 années d’alerte nucléaire dans les Forces aériennes stratégiques

La main sur le glaive pour garantir la paix. 57 années d’alerte nucléaire dans les Forces aériennes stratégiques



La main sur le glaive pour garantir la paix. 57 années d’alerte nucléaire dans les Forces aériennes stratégiques

par Jean-Patrice Le Saint – Aerion24 – publié le 4 mars 2022

 

Pour ces raisons, mais aussi parce que la mission de dissuasion nucléaire repose sur un subtil équilibre entre ce qui se dit et ce qui se tait, entre ce qui se montre et ce qui se cache, les FAS sont toujours l’objet d’une forme de mythification, y compris au sein des forces armées. À rebours de l’image parfois tenace d’un grand commandement structuré par une doctrine sclérosée, dont la « sanctuarisation » des moyens hypothéquerait les capacités d’action conventionnelle de nos armées, les FAS n’ont cessé de s’adapter au contexte stratégique et de se diversifier. Toujours dimensionnées selon le principe de stricte suffisance, elles prennent aujourd’hui toute leur part aux missions conventionnelles des armées, et ont atteint un niveau de polyvalence, de cohérence et d’efficacité sans doute inégalé dans leur histoire.

Une mutation continue

Dans son essence, la raison d’être des FAS n’a jamais varié depuis leur premier jour d’alerte, le 8 octobre 1964 : crédibiliser la capacité opérationnelle de la France à imposer des dommages inacceptables à toute menace d’origine étatique qui s’en prendrait à ses intérêts vitaux, d’où qu’elle vienne et qu’elle qu’en soit la forme ; être en mesure d’appliquer ces dommages dans les délais prescrits, sur ordre du président de la République. La structure de force et les modes d’action de la Composante nucléaire aéroportée (CNA) ont cependant constamment évolué au fil du temps. Les mutations du contexte international et des menaces pour nos intérêts, le progrès technique, la montée en gamme de nos forces nucléaires et les inflexions doctrinales qui en ont découlé ont eu logiquement des traductions très concrètes pour les FAS, en matière de renseignement, de planification, d’équipement et de préparation opérationnelle. L’évocation des trois générations du triptyque « arme/porteur/ravitailleur » en est la meilleure illustration.

Le développement des intercepteurs et des missiles soviétiques au cours des années 1960 a en effet imposé aux bombardiers bisoniques à haute altitude Mirage IV de la première génération d’adopter à partir de 1967 un profil de pénétration à très basse altitude, en emportant une arme légèrement modifiée pour ce nouveau profil de vol. Au début des années 1970, la mise en service du premier poste de tir du 1er GMS (1) sur le plateau d’Albion puis du premier SNLE a permis de relâcher la contrainte temporelle des délais de réaction des Mirage IV, puis de réduire le format de leur flotte. L’arrivée du Mirage 2000N à partir de 1987 a conduit au remplacement par trois escadrons équipés de cet appareil des cinq escadrons de Jaguar et Mirage IIIE qui assuraient la mission nucléaire tactique depuis le milieu des années 1970. La fin de la guerre froide a entraîné le renoncement au nucléaire « tactique » : les Mirage 2000N ont été intégrés aux FAS en 1991, dont ils constituent la deuxième génération de porteurs. Le Mirage IV a abandonné la mission nucléaire en 1996, l’année même du démantèlement du plateau d’Albion. Dernier changement d’ampleur, le Livre blanc de 2008 annonçait l’évolution des FAS vers leur format actuel, avec le passage de trois à deux escadrons de combat ayant vocation à accueillir le Rafale, troisième génération de porteurs. Que de chemin parcouru depuis l’achèvement de la première génération, et ses neuf escadrons de Mirage IV…

Dans une logique de stricte suffisance, cette contraction du format a été rendue possible par l’amélioration constante de la performance globale des FAS. La portée, la précision de l’ASMP‑A (2) et sa capacité à s’affranchir des menaces n’ont rien à voir avec celles de l’antique bombe AN‑11. N’imposant plus le survol de l’objectif, la portée se mesure désormais en centaines de kilomètres et les performances autorisent le ciblage de centres de pouvoir, en déjouant les menaces les plus évoluées. Le système d’armes du Mirage 2000N, lui aussi plus sophistiqué et plus fiable que celui du Mirage IV, avait introduit une certaine polyvalence, dont la capacité au tir de munitions conventionnelles. Celui du Rafale ouvre l’accès à l’ensemble des missions de l’aviation de combat et, dans l’exécution du raid nucléaire, à une capacité de pénétration et d’autodéfense exceptionnelle. Avec l’arrivée de l’Airbus A‑330MRTT Phénix qui remplace progressivement les Boeing KC‑135, l’allonge du raid s’est aussi considérablement étendue : il est aujourd’hui courant de réaliser des missions de plus de 12 heures, deux fois plus longues que celles envisagées à l’époque du tandem Mirage IV/KC‑135.

Plus puissantes et plus cohérentes que jamais

En 2021, et pour la première fois de leur histoire, les FAS disposent ainsi à la fois d’un missile extrêmement performant (21 tirs d’évaluation réussis sur 21 réalisés), d’un porteur omnirôle éprouvé sur tous les théâtres d’opérations et d’un ravitailleur polyvalent et évolutif, assurant aussi des missions de transport stratégique (3). La dualité conventionnel/nucléaire de leurs capacités a atteint un niveau inédit.

Leurs escadrons de combat étaient autrefois les plus spécialisés de l’armée de l’Air, ils sont aujourd’hui les plus polyvalents. Outre leur mission première, ils remplissent toutes celles de l’aviation de combat, sur le territoire national, où ils tiennent également l’alerte de défense aérienne, comme à l’extérieur, où ils sont pleinement engagés dans les opérations (Libye, Sahel, Levant). Cet aguerrissement, qui s’étoffe jour après jour, est de nature à renforcer leur performance et leur crédibilité dans l’exécution quotidienne de leur mission principale. Lorsqu’elle ne lui est pas consacrée, leur activité aérienne contribue d’ailleurs à la préparation opérationnelle des équipages à l’exécution du raid nucléaire. Les exercices de ravitaillement en vol, de combat air-air, de pénétration à très basse altitude ou encore d’entraînement au tir de missiles de croisière SCALP (4) sont autant de « briques » indispensables à l’édification du savoir-­faire qu’il serait nécessaire de mobiliser le jour J.

La proportion des missions conventionnelles est encore très supérieure pour les unités de KC‑135 et de Phénix, placées la plupart du temps sous le contrôle opérationnel d’autres « employeurs » : entraînement au ravitaillement en métropole, relèves de personnel en opération, ravitaillement sur les théâtres extérieurs, exercices majeurs à l’étranger, évacuations sanitaires (5), etc.

Ce large spectre d’expertise repose sur 2 100 personnes environ, soit 5 % du personnel de l’armée de l’Air et de l’Espace (AAE), et sur une organisation aussi lisible que rationnelle. L’état-major est implanté en région parisienne. Établie à Taverny (Val-­d’Oise), une brigade des opérations assiste le général commandant les FAS (GCFAS) dans ses attributions de commandant opérationnel de force nucléaire, qu’il exerce sous l’autorité du chef d’état-­major des armées. Adossée à un centre d’opérations, le Commandement des FAS (COFAS), qui suit en permanence la localisation et la disponibilité des moyens et dirige leur manœuvre, elle fédère les compétences nécessaires à l’appréciation de situation, à la planification et à la conduite des opérations de la CNA. L’arrivée du MRTT Phénix et la prise en compte totale par les FAS de la mission de transport aérien stratégique en septembre 2021 ont donné naissance à une division chargée de coordonner la participation et l’emploi de ces moyens avec les organismes interarmées nationaux et internationaux susceptibles de les solliciter.