Étant donné que le ministère des Armées ne rend plus public le taux de disponibilité de ses aéronefs, les conclusions de la « mission flash » conduite par les députés Jean-Pierre Cubertafon et Jean-Jacques Ferrara au sujet des hélicoptères militaires est attendue. Et on a pu en avoir un aperçu lors de l’examen de leur rapport en commission, ce 15 juillet.
Ainsi, si la réforme du Maintien en condition opérationnelle aéronautique [MCO Aéro] lancée par la ministre des Armées, Florence Parly, en décembre 2017, va dans « le bon sens », avec une verticalisation des contrats de soutien et le recours à un prestataire unique, ses effets tardent à se faire sentir. Selon les derniers chiffres avancés par M. Cubertafon, seulement 33% des 438 hélicoptères en dotation au sein des trois armées seraient en état de voler actuellement.
Au-déjà de l’immobilisation d’appareils pour des visites périodiques ou des opérations de modernisation, cette situation s’explique par la sévérité des conditions d’emploi en opérations extérieures, le manque de mécaniciens et de techniciens [il en manque 200 à l’Aviation légères de l’armée de Terre – ALAT], le soutien industriel, qui a encore d’importantes marges de progression et, surtout, l’hétérogénéité de la flotte, avec 12 types d’hélicoptères différents [et 27 micro-parcs].
Or, souligne Jean-Jacques Ferrara, « l’évolution du contexte opérationnel et stratégique, comme les leçons tirées de nos engagements récents ou en cours soulignent l’exigence de disposer d’une composante héliportée robuste et performante, offrant notamment de nouvelles capacités de protection, de rayon d’action et de vitesse. » Et donc de « s’assurer de la cohérence du parc [d’hélicoptères] et de son adaptation à nos ambitions », a-t-il dit.
Pour les deux députés, il faut non seulement moderniser et renouveler la flotte d’hélicoptères mais aussi la renforcer, étant donné que, ont-ils fait observer, « l’intensité de nos engagements ont révélé ses fragilités, tant en quantité – son format est taillé au plus juste au regard des contrats opérationnels – qu’en qualité, en raison de l’obsolescence technique des appareils les plus anciens ».
Sur le premier point, M. Curbertafon estime que « la question de l’augmentation du nombre [d’hélicoptères NH-90] Caïman NFH [Marine, qui doit disposer de 27 exemplaires d’ici 2022] et TTH [ALAT, qui en attend 74 au total, dont 10 pour ses forces spéciales] mérite d’être posée », de même que celle d’un « retrofit » de ces mêmes appareils ainsi que des Caracal.
Quant à la qualité et, plus largement, à l’homogénéisation des flottes, les deux députés soulignent que le programme d’hélicoptère interarmées léger [HIL – Guépard] doit être lancé sans le moindre retard, avec les spécificités exigées par les trois armées. Et ils voient dans le plan de relance de l’économie ainsi que sur l’actualisation de la Loi de programmation militaire [LPM] 2019-25 autant d’occasions pour avancer sur ces sujets, dont aussi celui relatif à la modernisation des capteurs embarqués.
Par exemple, si le plan de soutien à la filière aéronautique, présenté en juin, prévoit l’acquisition de 8 hélicoptères neufs de type H225M Caracal, les rapporteurs proposent d’aller encore plus loin afin de remplacer la totalité des 20 Puma de l’armée de l’Air, dont les « faits techniques ne cessent de croître »;
« Une gestion de bon père de famille devrait nous conduire à commander non pas 8 mais 20 appareils neufs. Nous savons d’ores et déjà qu’il nous faudra renouveler l’ensemble de la flotte [des Puma]. Actuellement, il est envisagé de procéder à une location-vente de 12 appareils d’occasion afin de retirer du service les Puma. Nous risquerions de nous retrouver avec une flotte hétérogène, chère à rétrofiter et à entretenir et peu adaptée à nos opérations. En outre, une telle commande [de 20 Caracal] permettrait d’accentuer le soutien à Airbus Helicopters » tout en « réduisant le coût unitaire de chaque appareil », a fait valoir Jean-Jacques Ferrara.
Par ailleurs, la question des besoins des forces spéciales a été évoquée, d’autant plus que ces dernières ont souvent recours aux hélicoptères. À ce sujet, M. Ferrara a révélé que, au cours de ces deux dernières années, le 4e Régiment d’hélicoptères des Forces spéciales [RHFS] de l’ALAT a engagé des appareils au Levant, dans le cadre de l’opération Hydra. Sans doute pour des missions IMEX [IMmediate EXtraction] au profit des forces engagées en Syrie et en Irak.
Cela étant, le député a douché les espoirs du Commandement des opérations spéciales [COS] de disposer d’hélicoptères de transport lourd [HTL], qu’il réclame pourtant depuis plusieurs années.
« Alors que cette question des hélicoptères de transport lourd revient régulièrement dans les débats, nous pensons qu’il est temps d’acter que la France ne disposera pas d’une telle capacité de manière patrimoniale », même s’il « ne fait aucun doute que ce besoin est avéré, notamment pour les forces spéciales », a affirmé M. Ferrara. « L’acquisition de tels appareils ne semble pas soutenable en raison du coût d’acquisition, de mise en oeuvre et d’entretien », a-t-il continué.
« C’est donc au niveau européen qu’une telle question doit être traitée » même si cela « ne répond pas aux besoins du COS en rasion de la discrétion inhérente aux opérations spéciales », a ajouté M. Ferrara.
Pourtant, selon le dernier numéro d’Air Actualités, dédié justement à la modernisation des hélicoptères, l’état-major de l’armée de l’Air envisage de « se positionner sur ce segment via différentes études des location à court terme ou d’acquisition à moyen terme d’un HTL pour notamment le déployer en opération extérieure au profit du COS. » Et d’ajouter : « La réflexion sur le HTL se poursuit. L’armée de l’Air consulte ses alliés [Royaume-Uni, Allemagne] pour la mise en place d’un partenariat à l’image de l’escadron franco-allemand de C-130J qui verra le jour prochainement sur la base d’Évreux. »
L’idée de faire d’un escadron franco-allemand « inversé » par rapport à celui d’Évreux a les faveurs du député Ferrara. Sauf que cela nécessiterait sans doute l’acquisition d’hélicoptères de transport lourds par la France puisque l’unité de C-130J sera composée d’avions appartenant en propre à la Luftwaffe… À moins que Berlin [ou Londres] fasse une fleur à Paris dans ce domaine, en acceptant que ses appareils puissent être engagés au Sahel?
Quoi qu’il en soit, le plan de relance de l’économie, qui vise à soutenir l’emploi et l’industrie française, ne sera d’aucune aide : Airbus Helicopters, a expliqué le député, « n’est pas prêt à s’engager dans un programme d’hélicoptère de transport lourd compte-tenu de l’hégémonie américaine [Sikorsky, Boeing, ndlr]. » Cela étant, l’idée d’un assemblage de tels appareils sous licence, en France, n’a pas été évoquée par le député. Ni celle d’éventuelles « compensations industrielles » [offset] dont bon nombre de contrats d’armement sont désormais assortis.
Enfin, et c’est sans doute le côté le plus surprenant de ce dossier, M. Ferrara a indiqué que l’ALAT est « réservée » sur la question des hélicoptères lourds de transport, alors que l’armée de Terre peut en mesurer quotidiennement l’apport grâce à ceux déployés au Sahel par le Royaume-Uni et le Danemark.
« Je vous parle franchement de ce qui nous a été dit : l’ALAT remet en cause la nécessité d’avoir des hélicoptères de transport lourd, ce qui paraît surprenant […] sachant que nos opérations, qui montent en intensité, nécessitent des moyens supplémentaires, que les soldats au combat sont de plus en plus lourds, avec de plus en plus de matériel », a dit M. Ferrara.
En tout cas, le député a résumé la situation : « Il ne faut pas se raconter d’histoires. Nous n’aurons jamais une flotte patrimoniale d’hélicoptères de transport lourd » et « nous en avons pourtant besoin. Que fait-on? ».