L’ Ukraine et la GRH de guerre par Michel Goya

L’ Ukraine et la GRH de guerre

par Michel Goya – La Voix de l’épée – publié le  15 janvier 2025

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Les nations anticipent rarement avoir à mener des guerres longues et s’obligent donc, le plus souvent, à improviser la manière de gérer les hommes qui la font. La réussite de cette gestion des ressources humaines « de guerre » conditionne ensuite largement celle des forces armées sur le front. Une des infortunes de l’Ukraine est qu’elle n’a pas réussi à dépasser les dysfonctionnements de son État pour instaurer une GRH de guerre aussi efficace qu’elle aurait dû et pu être. Il est désormais bien tard, mais tout n’est pas perdu pour autant, à condition de prendre des mesures fortes.

Maintenir le capital humain dans le chaos

Le but premier de la GRH de guerre est de maintenir le capital humain des grandes unités sur le front. Il ne s’agit pas simplement de remplacer « homme pour homme » toutes les pertes, mais uniquement celles qui sont définitives : tués, prisonniers, disparus et blessés graves. Pour le reste, plus de la moitié des absents des unités sont des blessés légers, qui sont normalement destinés à revenir dans les rangs, en permissions ou en formation si la situation le permet, ou enfin des déserteurs de plus ou moins longue durée. Les unités sur le front, comme les brigades ukrainiennes, sont donc déjà systématiquement en sous-effectif par rapport à leur structure réglementaire, censée représenter l’organisation tactique optimale. On peut imaginer, comme dans certaines armées du passé, faire appel à un pool d’ « intérimaires » pour combler, au moins temporairement, ces trous. Cependant, outre que c’est un exercice très délicat sous le feu, les unités ukrainiennes n’ont pas le luxe de ce surplus.

Une fois que l’on a une idée des besoins humains, il faut ensuite s’efforcer d’envoyer les bons individus au bon endroit, et donc associer des compétences à des postes, avec cette difficulté supplémentaire que les postes peuvent aussi changer au cours d’une guerre longue. De nouvelles spécialités peuvent émerger, comme l’emploi des drones, qui nécessitent de plus en plus de personnel. D’autres peuvent au contraire décliner, car devenues moins utiles ou simplement parce qu’à effectifs constants ou croissants faiblement, on ne peut satisfaire tout le monde. On assiste donc le plus souvent à une bataille des spécialités pour obtenir la meilleure part possible d’une ressource humaine presque toujours insuffisante à toutes les satisfaire en volume et en qualité.

Il s’agit de mettre en place ensuite une structure de recrutement et de formation à l’arrière capable de satisfaire ces besoins humains changeants et cette structure elle-même a besoin de ressources matérielles, des camps et des équipements d’instruction, et surtout humaines, des cadres en particulier. Cette structure arrière entre donc elle-même dans l’équation complexe de l’allocation des ressources humaines en compétition avec toutes les autres. Elle s’efforce ensuite de « produire » des soldats au cours de formations plus ou moins longues, avec cette contradiction permanente entre l’urgence et la qualité, et dans le cas ukrainien avec la menace permanente de frappes aériennes dès qu’une concentration d’hommes peut être repérée par l’ennemi. Par principe ces formations arrière se trouvent presque toujours en décalage avec les évolutions très rapides sur le front et nécessitent des formations complémentaires assurées par les grandes unités réceptrices. On s’efforce alors de transformer des bleus en individus capables d’assurer un nouveau métier dans les dangers du front. L’affaire est donc extrêmement complexe et d’autant plus délicate que l’on traite là non seulement de métiers et de compétences mais aussi de la vie et de la mort. Elle nécessite donc un réseau particulier permettant d’ajuster le moins mal possible la demande du front et l’offre de l’arrière. La forme idéale que doit prendre ce réseau est bien connue depuis la Première Guerre mondiale et disons-le tout de suite, l’armée ukrainienne en est très éloignée.

La meilleure manière de gérer ce désordre obligatoire est de disposer d’état-major intermédiaires entre les unités engagées directement sur le front et l’état-major général ou le ministère à l’arrière, et qui servent de relais et de transformateurs. Ces états-majors, de division ou de corps d’armée dans le cas ukrainien, doivent gérer simultanément les opérations des brigades qu’elles commandent et en même temps s’efforcer d’assurer leurs besoins dans tous les domaines. Ces états-majors permanents connaissent les unités qu’ils commandent, d’autant plus que les officiers qui les arment en sont issus ou y sont affectés. Ils connaissent donc leurs besoins et sont capables de les traduire à l’arrière, dans leur province d’affectation, en recrutements et formations les plus adaptés possibles, car c’est aussi leur intérêt à l’avant d’avoir des brigades efficaces. Rien de tel en Ukraine, où la plupart des brigades sont commandées par des états-majors ad hoc, dont les officiers, tournants pour quelques mois, ne connaissent rien des unités qu’ils commandent et sont surtout là pour éviter les problèmes. Le soutien, et notamment la GRH, leur échappe complètement, étant géré par l’administration centrale et les provinces. Circonstance très aggravante : dans ce système encore très soviétique, où l’aveu d’une erreur, d’une faiblesse ou d’un échec est synonyme de sanction, l’information remontant la hiérarchie est très souvent fausse, ce qui est source à la fois de nombreux problèmes opérationnels et d’un accroissement du désordre dans la gestion. La confiance n’excluant pas le contrôle, l’armée française de la Première Guerre mondiale doublait le processus normal de comptes rendus du bas en haut par un service de contrôle du haut en bas assuré par des inspecteurs généraux ou de spécialités et des officiers de liaison du Grand Quartier Général. Ce n’est pas le cas en Ukraine.

Au bout du compte, on demande aux provinces ukrainiennes de remplir des quotas de recrutement mais elles ne sont pas directement concernées par le résultat final de leur recrutement. Le problème premier consiste donc à réaliser ces chiffres avec des volontaires et des conscrits. Les premiers sont évidemment beaucoup plus rares qu’en 2022 et, au-delà d’un patriotisme toujours évident, sont largement motivés par la possibilité de choisir leur affectation, qui se trouve rarement en première ligne dans l’infanterie. Le choix des seconds ressemble beaucoup à la conscription par tirage au sort du XIXe siècle, où on ne retient finalement que les « mauvais numéros », ceux qui ne peuvent pas payer. On envoie ensuite ces mauvais numéros dans les centres de formation de base plus ou moins actifs cette population de pauvres et de « vieux », puisqu’il s’agit aussi des conscrits en moyenne les plus âgés de l’histoire. Les plus qualifiés sont plutôt envoyés dans les armes les plus techniques, tandis que les moins qualifiés apprennent qu’ils vont rejoindre l’infanterie, là où l’on meurt ou où l’on se fait mutiler en masse. Comme la surveillance et la coercition sont assez faibles en Ukraine, on comprend qu’il puisse y avoir une certaine évaporation avant d’arriver dans les bataillons d’infanterie, qui restent ainsi toujours aussi désespérément usées et en sous-effectif et c’est bien le problème majeur.

La crise de l’infanterie ukrainienne

Le triple problème de l’infanterie ukrainienne, comme beaucoup d’autres infanteries dans l’histoire, est qu’elle est à la fois indispensable, négligée et mortelle. Indispensable, car ce sont les fantassins qui assurent la principale charge de la conquête, du contrôle et de la tenue du terrain. Négligée, car les fantassins sont souvent considérés comme les ouvriers non qualifiés du combat — grave erreur — et sont les derniers servis dans les programmes d’équipement ou les affectations de recrues. Mortelle enfin, car l’infanterie subit environ 70 % des pertes en Ukraine (comme dans pratiquement toutes les guerres modernes), ce qui rend l’apprentissage sur le terrain difficile et l’ensemble de la tâche peu attractif. Les unités d’infanterie ont ainsi beaucoup plus de mal à monter en gamme que les autres, car pour capitaliser sur l’expérience, il est préférable de survivre.

En résumé, l’armée sur le front demande surtout des fantassins il en manque peut-être 80 000 en Ukraine – alors que l’arrière a beaucoup de mal à lui en envoyer. Les besoins sont tels que les brigades d’infanterie – c’est-à-dire majoritairement composées de fantassins – doivent de plus en plus faire appel à des artilleurs, logisticiens ou autres non-fantassins pour combler les trous dans les compagnies d’infanterie. C’est une triple catastrophe. Cela affaiblit d’autant les indispensables unités d’appui et de soutien autour des bataillons d’infanterie, cela réduit la confiance des volontaires dans le système puisqu’ils peuvent être finalement affectés à des unités où ils ne veulent pas aller. Surtout, cela produit plus de pertes et de désertions que de bons fantassins.

Engagés sans compétences – et le combat d’infanterie en exige beaucoup – et sans confiance réciproque avec des camarades de combat qu’ils ne connaissent pas, les bleus envoyés directement sur le front meurent ou s’effondrent en moyenne quatre fois plus que les anciens placés dans les mêmes conditions. On avait compris cela dès le début de la Première Guerre mondiale, où les divisions d’infanterie françaises avaient mis en place des bataillons de dépôt à l’arrière pour apprendre progressivement le front aux nouveaux. Les Ukrainiens ont mis du temps à retrouver ces principes, ce qui témoigne encore du problème du retour d’expérience et de la circulation de l’information. Ils n’en ont pas encore forcément tiré toutes les conclusions. De leur propre initiative, plusieurs brigades ukrainiennes ont créé leur propre bataillon de formation, mais il faudrait que cela puisse se passer un peu plus en arrière, au niveau des divisions ou des corps d’armée permanents, qui comme on l’a vu n’existe pas à quelques exceptions près comme celui des marines.

L’Ukraine a par ailleurs fait le choix de former 14 brigades d’infanterie nouvelles plutôt que de renforcer les anciennes. Cela peut s’expliquer par la nécessité de disposer d’une réserve stratégique permettant de faire face aux problèmes urgents, de saisir éventuellement des opportunités offensives ou simplement de permettre aux brigades de se reposer et se reconstituer à l’arrière. Il s’agit aussi de constituer des produits d’appel à l’aide matérielle occidentale. C’est probablement une erreur. Le combat est avant tout une affaire de qualité humaine. Même si, sur le papier, les choses peuvent apparaître semblables, une brigade d’infanterie expérimentée l’emportera toujours sur une brigade constituée à partir de rien, avec, comme pour la brigade de Kiev, seulement 150 hommes sur les 2 400 déployés en France avec plus d’un an d’expérience militaire (et encore, pas d’expérience du combat). Quitte à créer de nouvelles brigades, autant les former à partir d’anciennes qui seront doublées et dont on tirera les cadres parmi les anciens.

Une bureaucratie qui doit se transformer en méritocratie

Sans grande surprise, on s’aperçoit historiquement qu’une armée encadrée par des gens qui ont fait leurs preuves au feu est plus efficace qu’une armée encadrée uniquement par des gens qui ont réussi un concours à vingt ans et ont ensuite monté mécaniquement la hiérarchie. Trois des plus belles armées de la France, sous le 1er Empire, en 1918 ou à la Libération, sont des armées qui ont fait exploser le carcan administratif pour faire place à des hommes souvent jeunes et toujours courageux, énergiques et excellents tacticiens. Cela ne s’est pas fait sans douleur, mais cela s’est avéré indispensable et très efficace.

L’armée ukrainienne comme l’armée russe ont commencé la guerre avec des cadres supérieurs issus du monde post-soviétique, avec son mélange de rigidité à l’ancienne et de clientélisme nouveau, la pire combinaison possible. Il a manqué ensuite à l’Ukraine un Joffre remplaçant 40 % des généraux en exercice en 1914 par des officiers ayant réussi l’épreuve initiale du feu. Il est vrai que Joffre, contrairement à Zaloujny ou Syrsky, avait une vue à peu près claire de ce qui se passait sur le front. Aussi l’Ukraine compte-t-elle toujours dans ses rangs des commandants de brigades ou de bataillons incompétents mais qui parviennent à le cacher. Il faut là encore imaginer les ravages opérationnels et psychologiques d’une telle situation à l’intérieur même des brigades mal commandées ou dans celles d’à côté, qui découvrent par exemple que leur voisine a soudainement décroché de sa position sur le front, parfois parce que les hommes en ont marre de leur chef imbécile et se sont repliés d’eux-mêmes. Une bonne partie des quelques succès russes d’importance est le résultat de tels problèmes de mensonges et de mauvaise coordination par des états-majors qui ont une connaissance très imparfaite de ce qui se passe réellement.

En résumé, il est probable que le principal gisement de ressources pour les Ukrainiens ne soit pas forcément l’aide occidentale, mais bien la gestion de leurs hommes et de leurs femmes sous l’uniforme. Quand on voit le courage de l’immense majorité des soldats ukrainiens et l’ingéniosité de certaines unités, on se plaît à imaginer ce que donnerait la même armée avec une structure de commandement bien organisée et transparente, mais aussi des décideurs politiques courageux capables de prendre des mesures impopulaires dans l’opinion et douloureuses dans l’administration. Le chantier est déjà engagé, mais l’inertie et les résistances sont telles que les progrès sont très lents alors que les hommes tombent et que les Russes pressent sur le front.

Ajoutons pour conclure qu’il serait bon aussi que les forces armées françaises et la nation dans son ensemble se posent quelques questions sur ce qui se passerait si nous étions placés devant la même situation.

Protection du combattant et résilience des transmissions, deux impératifs capacitaires pour l’infanterie de demain

Protection du combattant et résilience des transmissions, deux impératifs capacitaires pour l’infanterie de demain

– Forces opérations Blog – publié le

Quels équipements pour le fantassin de demain ? C’est à cette question qu’ont cherché à répondre des Journées nationales de l’infanterie placées sous le prisme de « la technologie au centre, le fantassin au coeur ». Deux impératifs sont désormais dans le collimateur de l’armée de Terre, l’un portant sur la protection du combattant et l’autre sur la résilience des systèmes d’information.

Intercepteur i-X, robot HE441, brouilleur SPART ou encore munition téléopérée ORQA. Ces noms n’évoqueront sans doute rien et ce ne sera pas surprenant, car aucun de ces systèmes n’est en service dans l’armée de Terre. Du moins, pour l’instant, car chacun représente néanmoins une piste de réflexion pour adapter l’équipement de l’infanterie française à l’heure où celle-ci se transforme en profondeur. C’est avec cet enjeu d’adaptation capacitaire en tête que l’armée de Terre et une soixantaine d’industriels français et étrangers se sont prêtés au jeu de la prospective lors d’une démonstration sur le camp de Bergerol des Écoles militaires de Draguignan (Var). Temps fort des JNI, trois tableaux ont exploré ce que pourrait être la mission de reconnaissance offensive d’un groupement tactique interarmes à dominante infanterie dans un futur proche. L’occasion de revenir sur plusieurs dizaines de matériels novateurs susceptibles d’accroître l’efficacité opérationnelle de l’infanterie. 

« Il y a des opportunités d’innovation et d’évolution qui sont très importantes. Il y a un intérêt à saisir l’esprit de ces évolutions, de cette innovation pour distinguer celles qui seront vraiment utiles et qu’on pourra intégrer pour qu’il y ait ensuite une évolution tactique », constatait le chef d’état-major de l’armée de Terre, le général Pierre Schill, en marge de cette démonstration. Deux priorités se démarquent selon lui pour l’infanterie : la protection du combattant et la résilience des systèmes d’information opérationnelle et de commandement (SIOC). 

Face à la transparence du champ de bataille, mieux se protéger « serait, pour l’infanterie, la priorité absolue aujourd’hui ». Se protéger en leurrant ou en brouillant l’adversaire, en se dispersant, en privilégiant le mouvement, en se cachant autrement, en exploitant l’environnement : qu’importe la carapace, blindage et camouflage ne suffisent plus pour contrer « cette menace aérienne qui est de plus en plus prégnante, qui fait que des drones démultiplient la façon de voir le champ de bataille ».

Ainsi, la section d’infanterie motorisée montrée aux JNI agissait sous la protection d’un boîtier individuel HADDES que MC2 Technologies a conçu pour détecter et discriminer les drones jusqu’à une portée de 3 km. Une fois détectée, la menace 3D doit ensuite être neutralisée selon « le critère du moindre coûts financier ». Hormis l’arme laser HELMA-P de Cilas et son tir à « quelques euros », l’auto-protection du groupe de combat pourrait s’élargir à quelques idées simples, immédiatement disponibles et souvent à usage multiple. C’est le cas d’un fusil semi-automatique de calibre 12 ETD. Tirant de la grenaille de plomb, sa portée en lutte anti-drones limitée à une cinquantaine de mètres est contrebalancée par  un panel d’effets allant du combat en localité à la neutralisation d’individus par l’utilisation de munitions non létales.

La grenaille de plomb, autre solution pour protéger le fantassin face à la menace des drones

Se pose en parallèle la problématique de la survie des SIOC, la réactivité du commandement étant intimement liée à leur résilience et à leur efficacité. D’autres voies sont à l’étude pour compléter un socle constitué, à l’échelon du GTIA, de la radio CONTACT et du système d’information du combat SCORPION. Illustration avec cette section d’aide à l’engagement débarqué (SAED) équipée du système radio SILVUS commercialisé par FGH. Ce réseau multidomaine permet d’interconnecter tous les intervenants, jusqu’aux équipements cynotechniques. Son réseau maillé haut débit transmet autant la phonie que les données, les flux vidéo et la géolocalisation amie (Blue Force Tracking). Ce BFT était pour l’occasion amené par les balises individuelles AGENA-M de SYANS. Chiffrée, cette capacité est générée de manières autonome et furtive par l’émission d’un signal court et très faible à une échéance pré-déterminée en amont. Les réseaux civils offrent une opportunité indéniable pour transmettre des données mais représentent aussi un risque, notamment en matière d’interception. C’est pourquoi Thales a planché sur un kit d’hybridation intégré sur véhicule et permettant d’utiliser les infrastructures existantes en sécurisant les communications pour diminuer ce risque tout en conservant une capacité militaire durcie. 

Derrière les unités connues, les JNI revenaient également sur l’émergence de la section de renseignement et de guerre électronique (SRGE), cette « section des effets spécialisés » préfiguratrice de ce que pourrait être l’unité robotisée d’infanterie de demain et dont le volet capacitaire plus spécialisé demeure embryonnaire. Agile et discrète, cette SRGE à double visage requiert de se pencher autant sur sa dotation en munitions téléopérées et robots terrestres qu’en outils de brouillage local, de leurrage et de localisation. Des systèmes dont l’infanterie est dépourvue, mais pour lesquels des solutions existent. En témoigne ce module de déception conçu par Spherea. Monté sur un drone, il reproduit à l’identique les signaux électromagnétiques et autres communications amies. De quoi, par exemple, faire croire à l’ennemi qu’un sous-GTIA blindé manoeuvre en deuxième échelon de la force qui s’infiltre dans son dispositif. Il devra donc mobiliser des moyens et perdra du temps à infirmer l’information. 

Contre les drones, la SRGE pourrait bénéficier d’un capteur STM4000 de Flying Eye capable de discriminer les drones amis des ennemis jusqu’à 10 km en analysant les gammes de fréquence utilisées. Une fois détecté, le système adverse pourra être brouillé par le système SPART de MC2 Technologies. Le tout, doté d’une réelle agilité par l’emport sur un 4×4 léger Masstech S4 de Technamm ou sur le HUTP de Haulotte, deux véhicules non protégés mais peu onéreux, rapides et rustiques. 

Le Masstech S4 de Technamm, l’un des véhicules susceptibles de répondre à l’exigence de légèreté et de discrétion des SRGE

« Ce qui m’intéresse dans certains aspects de cette démonstration, ce sont justement des technologies qui sont peu chers, accessibles mais qui vont démultiplier l’efficacité », résumait le CEMAT. Ce dernier en est cependant conscient : la technologie ne s’oppose pas à la masse et va de pair avec la rusticité. Il s’agit dès lors de construire « des unités qui soient capables d’utiliser au maximum la technologie tout en gardant la capacité de se replier vers des capacités plus traditionnelles et rustiques, mais avec lesquelles elles iront moins vite ». L’exemple type, c’est celui du GPS et de la boussole.

« Il y a aujourd’hui un bouillonnement technologique absolument extraordinaire, qui est poussé notamment parce que, malheureusement, il y a une guerre », poursuivait le CEMAT. Ce bouillonnement, l’armée de Terre cherche à l’exploiter au mieux en privilégiant davantage les achats en boucle courte. Une logique de « patchs successifs » matérialisée à partir de solutions disponibles sur étagère pour répondre aux besoins urgents sans pour autant éluder la conduite de grands programmes structurants. Ce rééquilibrage entre l’immédiat et le futur, l’armée de Terre l’a déjà matérialisée par l’acquisition de drones DT-46 et d’engins de bréchage mécaniques de zone minée avec le soutien de la force d’acquisition réactive de la Direction générale de l’armement. L’expérience pourrait tout à fait être reproduite pour « saisir les innovations qui permettraient de démultiplier ce que nous avons », indique le CEMAT. 

Exploratoire, la démonstration des JNI n’aboutira sans doute pas à l’adoption de l’ensemble des moyens présentés à Draguignan. Plusieurs questions restent en effet en suspens face à un panorama technologique « très intéressant mais à sédimenter, à réfléchir ». « Est-ce que cela fonctionne vraiment et en quoi cela apporte quelque chose aux unités ? », souligne un chef d’état-major pour qui se pose aussi la problématique du volume. « J’ai une armée de 77 000 hommes et femmes. Comment passe-t-on, le cas échéant, à l’échelle ? ». Sans oublier « l’importance de combiner un socle cohérent et complet » et d’ « utiliser au mieux les moyens octroyés dans un contexte budgétaire difficile », rappelait le général Schill jeudi dernier lors de la Présentation de l’armée de Terre. Autant d’enjeux dont s’emparent désormais les acteurs concernés, l’École de l’infanterie et la STAT en tête.

Avec ses AMX-10RC, le 4e Régiment de Chasseurs va s’entraîner au combat blindé de haute intensité en montagne

Avec ses AMX-10RC, le 4e Régiment de Chasseurs va s’entraîner au combat blindé de haute intensité en montagne

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Depuis 2022, au titre de la mission Aigle, la France est la nation-cadre d’un groupement tactique multinational déployé en Roumanie dans le cadre du renforcement de la posture défensive et dissuasive de l’Otan en Europe de l’Est. Or, ce pays est traversé par le massif des Carpates, lequel compte plusieurs sommets culminant à plus de 2500 mètres d’altitude.

Aussi, les forces françaises participent régulièrement à des exercices de combat en montagne avec leurs homologues roumaines, l’objectif étant d’améliorer leur interopérabilité et de partager leurs savoir-faire respectifs.

Cela étant, le combat en montagne n’est pas la seule affaire des fantassins. En effet, parmi ses unités, la 27e Brigade d’Infanterie de Montagne [BIM] compte le 4e Régiment de Chasseurs, dont la spécialité est le combat blindé en milieu montagneux. Et celui-ci s’apprête à mener un exercice « grandeur nature », appelé « Edelweiss 24 ».

Devant se dérouler en terrain libre, plus précisément sur les cols de la Bonette, de la Cayolle et d’Allos ainsi que dans les vallées de l’Ubaye et du Drac, entre les 13 et 18 octobre, cet exercice « inédit » de « combat blindé en montagne » sera l’occasion pour le 4e Chasseurs de « déployer l’ensemble de ses unités au profit d’un entraînement interarmes, interarmées et interalliés », explique l’armée de Terre.

Outre les « cavaliers des cimes », ces manœuvres mobiliseront d’autres unités de la 27e BIM ainsi qu’un détachement du Light Dragoons de la British Army.

Au total, 450 soldats y prendront part, avec plus d’une centaine de véhicules, dont des quads Polaris MV850 [le 4e Chasseurs en compte huit], des motos, des Véhicules blindés légers [VBL] et, évidemment, des AMX-10RC. Des drones seront aussi de la partie, l’un des objectifs étant de préparer le régiment aux « évolutions technologiques et tactiques », comme celles constatées en Ukraine.

« Cette manœuvre en terrain libre de cinq jours aura pour objectif d’entraîner le 4e Régiment de Chasseurs dans son milieu de prédilection à l’heure où les conflits en zones montagneuses se multiplient [Caucase, Liban, etc.] », résume l’armée de Terre.

À noter que la communauté de communes de Vallée de l’Ubaye Serre-Ponçon se félicite de la tenue de cet exercice sur son territoire, ce qui mérite d’être souligné. « Du 13 au 18 octobre , les forces militaires seront présentes dans le col de Restefond dans le cadre de l’exercice Edelweiss 24. […] Ce site, marqué par son histoire militaire, retrouve son rôle stratégique pour un entraînement de grande ampleur. […] Cette manœuvre rappelle le lien fort qui unit notre vallée à ses racines militaires et l’importance de l’entrainement des forces armées », rappelle-t-elle.

Photo : armée de Terre / sengager.fr

L’École militaire de haute montagne compte une nouvelle unité dédiée à l’aguerrissement

L’École militaire de haute montagne compte une nouvelle unité dédiée à l’aguerrissement


Jusqu’à la fin des années 2000, afin d’acclimater ses unités au milieu montagnard, l’armée de Terre disposait de deux centres d’aguerrissement implantés dans les Alpes. Ainsi, héritier du 159e Régiment d’Infanterie Alpine [RIA], le Centre national d’aguerrissement en montagne [CNAM] tenait garnison à Briançon tandis que, ayant repris les traditions du 24e Bataillon de Chasseurs Alpins [BCA], le Centre d’instruction et d’entraînement au combat en montagne [CIECM] était établi à Barcelonnette.

En 2008, il fut décidé de fusionner ces deux entités, le CIECM prenant alors l’appellation « CNAM – Détachement de Barcelonnette ». Pour l’armée de Terre, il n’était pas question de se passer des zones d’entraînements – uniques – qu’elle possédait alors dans les Alpes de Haute-Provence. Seulement, la Révision générale des politiques publiques [RGPP], avec la réforme de la carte militaire qu’elle portait, l’obligea à revoir ses plans.

Un an après, le CNAM fut dissous pour ensuite être remplacé par le Groupement d’aguerrissement montagne [GAM], établi à Modane [Savoie]. Seulement, au moment où la préparation au combat de haute intensité est l’une des priorités de l’armée de Terre, il peine à répondre à la demande, faute de capacités d’accueil suffisantes. Du moins était-ce le cas il y a deux ans.

« Le GAM accueille douze fois par an un groupe de stagiaires pour une durée de 3 semaines. Depuis plusieurs années, le nombre de stagiaires que souhaite aguerrir l’armée de terre au sein du GAM dépasse sa capacité d’accueil », avait en effet relevé un député, dans une question écrite adressée au ministère des Armées, en février 2022.

« Le site militaire de Modane constitue l’une des clés de voûte de la politique d’aguerrissement au combat des unités de l’armée de Terre et fait donc l’objet d’une attention particulière s’agissant de l’adaptation des conditions d’accueil des stagiaires, notamment en matière d’hébergement », lui avait répondu ce dernier, en précisant qu’une étude de faisabilité était en cours afin d’augmenter [sa] capacité d’accueil totale. Cependant, avait-il admis, « aucune nouvelle opération » n’était alors « inscrite au titre du plan hébergement ».

Quoi qu’il en soit, le GAM vient de connaître une nouvelle évolution, avec son rattachement à l’École militaire de haute montagne [EMHM], laquelle relève de la 27e Brigade d’Infanterie de Montagne [BIM].

Dans le cadre de sa transformation et « afin de renforcer l’excellence de la 27e BIM dans les opérations en montagne et dans le grand froid, l’École militaire de haute montagne s’est étoffée d’une 4e unité en intégrant le Groupement d’aguerrissement montagne de Modane et ses 35 militaires, aux côtés des divisions formation montagne et grand froid, formation tactique et du groupe militaire de haute montagne », a en effet indiqué l’armée de Terre, le 26 août.

Si elle paraît logique, cette intégration du GAM au sein de l’EMHM est cependant « l’aboutissement de travaux initiés depuis plusieurs années », précise l’armée de Terre. Et celle-ci d’ajouter : « En apportant ses capacités et ses compétences sur l’aguerrissement des unités non spécialistes du milieu, sur la survie et la mobilité motorisée en montagne et dans le grand froid, le GAM vient élargir les missions de l’EMHM et renforcer sa légitimité de pôle d’expertise militaire unique, de référence mondiale ».

Par ailleurs, les installations de Barcelonnette reprendront prochainement du service pour des exercices d’entraînement et d’aguerrissement, a rapporté Haute-Provence Infos, en avril dernier. Et cela, a priori, au profit du 4e Régiment de Chasseurs de Gap.

« Les zones de conflit nous amènent à poursuivre les entraînements en conditions extrêmes. Il se trouve que la configuration géographique de l’Ubaye correspond parfaitement aux caractéristiques qui nous sont nécessaires. La verticalité du relief permet les exercices d’entraînement au combat en montagne, avec la possibilité de manœuvres à pied. […] Le site sera réinvesti à partir de l’hiver 2024/2025 », avait justifié le général Thierry Laval, gouverneur militaire de Marseille, officier général de zone de défense Sud.

Photo : armée de Terre / archive

Le conflit ukrainien s’enlise-t-il du déséquilibre entre attaque et défense ?

Le conflit ukrainien s’enlise-t-il du déséquilibre entre attaque et défense ?

Sommaire

Les premières semaines du conflit ukrainien avaient été marquées par ce qui s’apparentait alors à une guerre de mouvement rapide, qui n’était pas sans rappeler les préceptes de la guerre eclair allemande ou l’offensive alliée en Irak en 1991.

Si la manœuvre russe contre Kyiv et Kharkiv se heurta à une résistance ukrainienne efficace et coordonnée, elle fut surtout handicapée par un manque évident de préparation des armées russes, qui s’attendaient, semble-t-il, à l’effondrement rapide des armées ukrainiennes.

Cette manœuvre rapide fut en revanche bien plus efficace dans le sud du pays, permettant en quelques semaines de faite la jonction avec le Donbass au nord, et la frontière russe à l’est, tout en s’emparant de l’ensemble des territoires au sud du Dniepr, et même au-delà, avec la prise de Kherson.

On pouvait remarquer, toutefois, qu’aucune offensive russe n’avait été engagée contre les défenses ukrainiennes fortifiées le long du Donbass. S’il pouvait alors s’agit d’une manœuvre de surprise, nombreux étant ceux qui attendaient une offensive russe limitée aux oblasts du Donbass, il est aussi probable que l’état-major redoutait les capacités de résistance des lignes défenses adverses.

La contre-offensive ukrainienne à l’été et à l’automne 2022, qui permit de libérer Kherson et de dégager Kharkiv, était aussi une manœuvre profonde. Néanmoins, celle-ci fut rendue possible par les lignes de défense et logistiques russes alors trop entendues, et non en raison d’une percée fulgurante ukrainienne sur le dispositif défensif russe.

Avancée russe conflit ukrainien
L’avancée russe dans le sud de l’Ukraine, lors des premières semaines du conflit, semblait encore donner la prévalence à la manœuvre offensive sur la posture défensive.

 

Le fait est, depuis le début de cette guerre, il apparait que le potentiel offensif et de manœuvre des deux armées, s’avère incapable de prendre l’ascendant sur le défenseur, qu’il soit russe ou ukrainien, sauf au prix de pertes bien trop excessives pour le gain obtenu.

L’échec des contre-offensives récentes du conflit ukrainien

Six mois après son lancement, force est aujourd’hui de constater que la contre-offensive ukrainienne de printemps, n’aura pas atteint les résultats spectaculaires promis. Évidemment, les attentes, visiblement excessives, autour de cette opération, fut davantage le fait des odalisques de plateaux TV, que des engagements pris par un état-major ukrainien conscient de la réalité de ses moyens, et connaissant le dispositif défensif déployé par les armées russes pour y résister.

Si des avancées ont, en effet, bien été enregistrées par les troupes ukrainiennes, notamment dans l’Oblast de Zaporojie, celles-ci furent obtenues au prix de nombreuses pertes, y compris concernant les précieux blindés et systèmes d’artillerie livrés avec parcimonie par les Européens et les Américains.

Les unités ukrainiennes se sont, en effet, retrouvées confrontées à un dispositif défensif russe bien mieux conçu que ne l’avait été l’offensive de février 2022, bien doté en force d’infanterie, épaulées par des unités blindées, particulièrement des chars, par une artillerie dense et positionnée, et renseignées par une multitude de drones, dans un environnement de guerre électronique intense.

offensive sur Kyiv
Le conflit ukrainien s’enlise-t-il du déséquilibre entre attaque et défense ? 9

 

Même les forces aériennes et d’appui aériens russes se sont montrées plus efficaces à défendre cette ligne, qu’elles ne l’avaient été initialement, spécialement en interdisant le ciel aux appareils ukrainiens, et en menant des frappes ciblées à l’aide d’hélicoptères Ka-52 et Mi-28, qui se sont montrées dévastatrices au début de la contre-offensive ukrainienne.

Si les Ukrainiens ne sont pas parvenus à percer durablement, les contre-offensives menées récemment par les forces russes, en particulier autour de Avdiivka, ne furent pas davantage couronnées de succès.

Des pertes insoutenables pour des gains limités

Dans les deux cas, les manœuvres offensives se heurtèrent à des défenses bien préparées, soutenues par une artillerie efficace, sans qu’il eût été possible ni de surprendre l’adversaire, ni d’en neutraliser les appuis par manque de munition de précision en nombre suffisant.

Il en a résulté des pertes insoutenables, pour des gains de territoires plus que limités, et un avantage tactique inexistant, d’autant que souvent, le terrain gagné dut être abandonné faute de réserve suffisante pour en assurer la défense.

Ainsi, selon le renseignement britannique, cette offensive russe autour de Avdiivka, menée par 3 brigades mécanisées, s’est soldée par la perte de 1000 à 2000 militaires, d‘au moins 36 chars et d’une centaine de véhicules, sans qu’aucun gain notable n’ait été enregistré.

Russia Suffers Heavy Losses in Avdiivka as Ukraine Frontline Stalls | WSJ News

Les couts exorbitants de ces tentatives, les résultats minimes enregistrés, ainsi qu’un certain entêtement politique à y recourir, engendrent depuis plusieurs mois d’importants mouvements de protestation au sein des armées russes.

C’est aussi le cas, depuis quelques mois, en Ukraine, ou l’on assiste à un certain essoufflement de la ferveur populaire, par ailleurs alimenté par des difficultés économiques croissantes dans le pays.

Vers un scénario coréen en Ukraine ?

Ces échecs répétés des manœuvres offensives, mais également la stabilisation du front dans la durée, et donc la multiplication des infrastructures défensives de part et d’autres, tendent vers un enlisement du conflit le long de la présente ligne d’engagement.

Surtout, il apparait que le taux d’échange pour faire face à une offensive, est à ce point favorable au défenseur aujourd’hui, que la persévérance dans une stratégie offensive, pourrait représenter le plus court chemin pour une victoire rapide… de l’adversaire.

Coree signature cesser le feu 27 juillet 1953
Signature de l’armistice le 27 juillet 1953 mettant fin aux combats en Corée.

De fait, ce premier conflit majeur du 21ᵉ siècle, se rapproche en de nombreux points, au conflit coréen, et notamment de la situation en 1952, lorsque les deux camps ne parvenait plus à prendre l’ascendant sur l’autre, amenant les Américains et les forces de l’ONU d’une part, et les Nord-coréens ainsi que leurs alliés chinois de l’autre, à signer un armistice le 27 juillet 1953, qui entérina le 38ᵉ parallèle comme frontière des facto entre les deux pays.

Les raisons du déséquilibre entre attaque et défense

Toutefois, avant de pouvoir anticiper les évolutions possibles du conflit en Ukraine (ce qui sera fait dans la seconde partie de l’article), il est nécessaire de comprendre les raisons qui sont à l’origine de ce déséquilibre flagrant entre l’attaque et la défense dans ce conflit.

En effet, ce constat va à l’opposé des doctrines majoritairement employées, en particulier au sein des armées occidentales, plus particulièrement depuis l’opération Tempête du Désert en Irak en 1991, qui fut l’éclatante démonstration de l’efficacité de la doctrine occidentale basée sur la manœuvre et l’exploitation des moyens interarmes.

À l’inverse, la guerre en Ukraine se rapproche aujourd’hui de la guerre de Corée, de ses tranchées et de ses offensives aussi limitées que meurtrières, et avant elle, de la Première Guerre mondiale.

En effet, de nombreux facteurs techniques et opérationnels, expliquent cette situation, et son caractère par ailleurs non transitoire, et non circonscrit au seul conflit russo-ukrainien.

Le renseignement et la mobilité des forces

Le premier de ces facteurs, résulte d’importants moyens de renseignement déployés dans les airs, sans l’espace, dans le cyberespace et sur le spectre électromagnétique, par les deux camps et leurs alliés.

Drone reconaissance ukraine
L’utilisation intensive des drones de reconnaissance permit aux deux camps en Ukraine de se prémunir de toute surprise tactique.

Il est, de fait, virtuellement impossible pour l’un comme pour l’autre de surprendre l’adversaire lors d’une offensive de grande envergure, qui nécessite immanquablement la concentration de forces importantes ne pouvant passer inaperçue de l’adversaire.

En outre, les forces étant désormais très mobiles, il est aisé de redéployer ses moyens presque en miroir de l’adversaire, annulant toute possibilité d’attaque surprise, qui constitue bien souvent l’élément clé d’une manœuvre offensive, en l’absence d’un rapport de force trop déséquilibré.

Outre le renseignement stratégique, l’omniprésence et l’efficacité des moyens de détection, d’écoute électronique et de reconnaissance, alimentant d’importants moyens de frappe dans la profondeur, tend à neutraliser l’élément de surprise, y compris à l’échelle tactique, si ce n’est pour ce qui concerne quelques frappes exceptionnelles.

On peut se demander, à ce titre, si ce n’est pas davantage l’accès à cette qualité de renseignement de la part des deux belligérants, bien davantage que la mise en œuvre de tel ou tel type d’armement, qui caractérise le mieux la notion de conflit de haute intensité, et à l’opposée, de conflit dissymétrique.

Les performances des nouveaux armements d’infanterie

Les performances des nouveaux équipements et des armements employés par l’infanterie des deux belligérants, expliquent, elles aussi, le gel de la ligne d’engagement.

Infanterie ukrainienne javelin
A Ukrainian service member holds a Javelin missile system at a position on the front line in the north Kyiv region, Ukraine March 13, 2022. REUTERS/Gleb Garanich

En effet, là où l’infanterie était, ces 50 dernières années, principalement employée en soutien des moyens mécanisés dans le cadre d’un conflit de haute intensité, celle-ci dispose désormais d’une puissance de feu, et de moyens d’action et de protection, en faisant un adversaire redoutable aussi bien pour les blindés, les aéronefs et même l’artillerie adversaire, par l’utilisation des munitions rôdeuses.

Celle-ci dispose, par ailleurs, d’une compétence unique, celle de pouvoir s’enterrer, et de conserver une certaine mobilité dans les tranchées les protégeant des frappes d’artillerie et des bombardements adverses.

Le fait est, une majorité des blindés détruits en Ukraine, de manière documentée, résulte de tirs de munitions antichars d’infanterie, missiles ou roquettes, ou de frappes de munitions rôdeuses, elles aussi mises en œuvre par l’infanterie. C’est aussi le cas des hélicoptères abattus, là encore, le plus souvent par des missiles sol-air d’infanterie SHORAD.

Cette puissance de feu étendue, associée à la protection offerte par les tranchées et infrastructures défensives, et à sa mobilité tactique, confère désormais à l’infanterie une puissance d’arrêt sans équivalent depuis l’apparition de la mitrailleuse à la fin du 19ᵉ siècle, y compris contre la cavalerie.

L’utilisation intensive des mines

Un temps passée au second plan opérationnel suite aux efforts internationaux pour en prohiber l’utilisation, les mines, qu’elles soient antichars, antipersonnelles et même navales, jouent, elles aussi, un rôle clé dans l’enlisement du conflit ukrainien.

Russian tank is blown to pieces by hidden Ukrainian mine
Les mines sont intensivement employées en Ukraine

Le fait est, après 600 jours de conflit, la ligne d’engagement en Ukraine n’a plus grand-chose à envier, en termes de mines déployées, au 38ᵉ parallèle séparant Corée du Nord et du Sud, jusqu’ici réputé la zone la plus minée sur la planète.

En Ukraine, les mines font ce qu’elles sont censées faire, à savoir empêcher l’adversaire de déborder les lignes défensives déployées. Il n’est donc en rien surprenant que leur utilisation intensive, ait entrainé la fixation de la ligne d’engagement, même le long des côtes ukrainiennes. Ainsi, l’offensive amphibie russe sur Odessa dut être annulée, en raison du grand nombre de mines navales et terrestres déployées le long des plages ukrainiennes.

En outre, protégés par les lignes défensives garnies d’infanterie et par le feu de l’artillerie alliée, les champs de mines sont très difficiles à neutraliser, y compris par les moyens dédiés,

La neutralisation de la puissance aérienne

La plus grande surprise, concernant le conflit ukrainien, est incontestablement le rôle marginal de l’aviation de combat, y compris de la pourtant puissante et richement dotée force aérienne russe.

Su-27 abattu ukraine
La puissance aérienne tactique a presque été entièrement neutralisée en Ukraine, tant du côté russe qu’ukrainien.

La puissance aérienne avait, en effet, joué un rôle déterminant et majeur lors de tous les conflits de la seconde moitié du 20ᵉ siècle, allant des conflits israélo-arabes aux guerres du Vietnam et d’Afghanistan, en passant par les Malouines, les deux guerres du Golfe et l’intervention dans les Balkans.

À l’inverse, en Ukraine, l’extrême densité des défenses antiaériennes déployées de part et d’autres, aura suffi à interdire le ciel aux appareils russes et ukrainiens, contraints depuis un an à n’employer que des munitions de précision à longue distance, ou à mener des opérations très risquées à très basse altitude.

Même les hélicoptères de combat, exposés aux missiles antiaériens d’infanterie, peinèrent à accomplir leurs missions de tueur de char, sauf à de rares exceptions.

Il n’est, dès lors, pas question pour les unités engagées au sol, de pouvoir faire appel à un soutien aérien rapproché pour compenser un rapport de force défavorable, ni d’employer la force aérienne pour dégager un corridor de pénétration, neutralisant de fait le rôle clé que joua l’aviation de combat depuis l’arrivée des bombardiers tactiques en marge de la Seconde Guerre mondiale.

Les progrès de l’artillerie et l’arrivée des drones

Privées de puissance aérienne, les forces engagées en Ukraine ne pouvaient, dès lors, que se tourner vers l’artillerie, pour obtenir les effets souhaités. Fort heureusement, les deux camps disposaient d’une puissance d’artillerie sans commune mesure avec celle qui équipe aujourd’hui encore les armées européennes.

Si l’emploi massif de l’artillerie est au cœur des doctrines russes et ukrainiennes, toutes deux héritières de la doctrine soviétique, ce sont les progrès des nouveaux systèmes entrés en service ces dernières années, qui contribuèrent à accentuer son rôle fixateur dans ce conflit.

caesar Ukraine
Les systèmes d’artillerie modernes, comme le CAESAR, jouent un rôle clé dans le dispositif défensif ukrainien.

En effet, entre la portée étendue obtenue par les tubes allongés de 52 calibres et par les nouvelles roquettes longue portée, la précision des munitions à guidage GPS, et l’arrivée de munitions spéciales capables de cibler précisément les blindés ou les bunkers, l’artillerie devenait la principale menace sur le champ de bataille, que ce soit sur la ligne de front, et sur les lignes arrières.

Ce d’autant que les unités d’artillerie purent s’appuyer sur l’arrivée massive des drones de reconnaissance, susceptibles de détecter l’adversaire et de diriger des frappes précises pour le détruire.

Aux drones de reconnaissance virent s’ajouter, rapidement, les munitions vagabondes, ces drones armés d’une charge explosive, aptes à chercher une cible pendant plusieurs dizaines de minutes à plusieurs kilomètres derrière la ligne d’engagement, puis de le frapper en plongeant dessus et en faisant détoner la charge.

De fait, l’arrivée conjointe et massive de nouveaux systèmes d’artillerie plus précis et plus mobiles, et des drones capables de leur designer des cibles et même de les frapper directement, transforma l’ensemble du champ de bataille dans une bande allant de la ligne d’engagement à 25 à 30 km derrière celle-ci, dans laquelle tout mouvement s’avère extrêmement risqué.

L’épuisement des deux camps

Enfin, un dernier facteur explique aujourd’hui la trajectoire probable vers un enlisement du conflit, l’épuisement des deux camps, sensible aussi bien en Ukraine qu’en Russie, bien que de manière différente.

Les deux armées ont, en effet, enregistré des pertes considérables, équivalentes peu ou prou, aux effectifs initialement engagés en février et mars 2022. À ces pertes humaines déjà très difficiles à compenser, s’ajoutent des pertes matérielles encore plus importantes.

Ainsi, avec plus de 2400 chars détruits, abandonnés ou endommagés, 4 000 véhicules de combat d’infanterie ou blindés de combat, ou encore 580 systèmes d’artillerie automoteurs, les armées russes ont perdu, en 600 jours d’engagement, près de 75 % des équipements de première ligne dont elle disposait le 24 février 2022.

enterrement miltiaire ukraine
Les pertes lourdes et les conséquences économiques et sociales mennent aujourd’hui les deux camps à l’épuisement.

Au-delà des pertes militaires, et de l’immense effort produit par Moscou pour les compenser par son industrie de défense, l’économie russe souffre terriblement du conflit, quoi qu’en disent les données macroéconomiques, avec un nombre considérable de faillites au sein du tissu économique local dans le pays.

De fait, bien que majoritairement soumise et exposée à un matraquage médiatique constant, l’opinion publique russe soutien de moins en mois l’opération spéciale militaire de Vladimir Poutine en Ukraine, et la contestation, encore en sourdine, devient de plus en plus audible, notamment sur les réseaux sociaux, si pas contre le régime, en tout cas contre la guerre et ses conséquences.

La situation est sensiblement similaire en Ukraine. Après un effort de défense qui fit l’admiration de tous au début du conflit, le soutien ukrainien à la stratégie offensive de Volodymyr Zelensky semble s’éroder au sein de l’opinion publique comme des armées.

Ainsi, le nombre de volontaires pour rejoindre les armées ou la Garde nationale tend à diminuer, alors que les difficultés économiques touchant la population et les entreprises, y compris au sein de la BITD, sont de plus en plus importantes.

Cet épuisement sensible, de part et d’autre, sensible même parmi les alliés de l’Ukraine, aussi bien dans les armées que les opinions publiques, et les difficultés économiques croissantes, tendent aussi à inciter les dirigeants et chefs militaires à plus de prudence, et donc à une posture plus défensive qu’offensive.

Conclusion

On le voit, l’ascendant très net constaté en Ukraine, de la posture défensive face à la posture offensive, ne résulte pas d’un unique facteur transitoire, mais d’une série de facteurs concomitants, aussi bien technologiques que doctrinaux et sociaux.

De fait, ce constat s’applique très probablement au-delà de ce seul conflit, et doit donc être considéré dans la planification militaire, y compris dans les différents conflits de même intensité en gestation dans le monde.

Article du 18 octobre en version intégrale jusqu’au 13 février 2024

Pour l’armée de Terre, s’entraîner avec des drones « ne doit pas être plus compliqué qu’une séance de tir »

Pour l’armée de Terre, s’entraîner avec des drones « ne doit pas être plus compliqué qu’une séance de tir »

https://www.opex360.com/2023/09/03/pour-larmee-de-terre-sentrainer-avec-des-drones-ne-doit-pas-etre-plus-complique-quune-seance-de-tir/


Et ils participent à la « transparence du champ de bataille » qui, associée à « l’hyper-destructivité assurée par la quantité disponible, la précision et la létalité des armements de tout type » que possèdent les forces ukrainiennes et russes, expliquerait en partie le « blocage tactique » que l’on observe en Ukraine depuis plusieurs mois. En tout cas, telle est l’appréciation de la situation que le général Pierre Schill, le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], a livrée via Linkedin.

« L’association de ces deux effets, schématiquement d’une détection simplifiée et d’une destruction facilitée, génère des pertes élevées au moindre mouvement, incitant les belligérants à privilégier la défensive », a expliqué le CEMAT. Aussi, a-t-il continué, « pour les limiter, les combattants recherchent une protection accrue via la dispersion tactique et le recours aux fortifications de campagne ». Ce qui fait que les « gains territoriaux sont rares » et que la « progression tactique est très lente ».

Quelques semaines plus tôt, le général Schill avait estimé que « si l’hélicoptère et le drone ne sont pas l’alpha et l’oméga du combat aéroterrestre », faire l’impasse sur de telles capacités serait « rédhibitoire ». Et que, par conséquent, une « armée de Terre de premier rang » se devait d’être « à la pointe de leur développement et de leur intégration dans la manœuvre ».

Seulement, l’armée de Terre a encore du chemin à faire pour s’approprier pleinement les capacités offertes par les drones, même si elle en comptera environ 4000 à l’horizon 2025 [SDT Patroller, SMDR, Anafi, NX-70, Black Hornet 3, etc.]. En effet, le retour d’expérience du récent exercice interarmées Orion, a révélé « d’importantes disparités d’utilisation » de ces appareils « entre les régiments ».

C’est en effet le constat que le général Schill a fait dans une lettre adressée en juillet aux commandeurs de l’armée de Terre pour y détailler ses priorités pour le second semestre 2023. Aussi leur demande-t-il d’accentuer la préparation opérationnelle en matière d’utilisation des drones. « Le virage de leur emploi régulier par nos unités, en exercice comme en mission, doit être pris sans délai au risque d’un retard qu’il deviendra difficile de combler », écrit-il.

Seulement, la réglementation en matière de sécurité aérienne ne facilite pas forcément les choses.

« Les aspects de la procédure ou de formation sont parfois contraignants mais ne peuvent constituer des obstacles rédhibitoires », estime le CEMAT, qui dit avoir « rappelé l’impératif de lever les freins inutiles dès lors qu’il ne sont pas directement liés à la sécurité », lors d’assises dédiées à cette question, le 5 juin dernier.

« Faire voler des drones ne doit pas être plus compliqué qu’une sortie terrain ou une séance de tir » et les « drones doivent voler dans les unités en 2023 », a conclu le général Schill.

Photo : Novadem

L’infanterie de ligne sera célébrée chaque 7 septembre

L’infanterie de ligne sera célébrée chaque 7 septembre

par – Forces opérations Blog – publié le

L’infanterie de ligne a maintenant elle aussi sa fête de tradition. Confiée au 152e régiment d’infanterie de Colmar, la première édition se tiendra début septembre sur le site alsacien du Hartmannswillerkopf. 

Camerone pour les légionnaires, Sidi-Brahim pour les chasseurs, Bazeilles pour les troupes de marine, le Garigliano pour les tirailleurs… ne manquait à l’infanterie qu’un temps pour célébrer ses régiments de ligne. C’est désormais chose faite avec l’instauration de la « fête de l’infanterie de ligne », fruit d’une initiative lancée par le général Ivan Martin, alors commandant de l’école de l’infanterie (COMEI), et avalisée par le chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT), le général Pierre Schill.

Le rendez-vous est fixé chaque 7 septembre, date anniversaire de la victoire remportée par les troupes napoléoniennes à proximité de la rivière Moskova (Russie). La Saint-Maurice, célébrée le 22 septembre, restera cependant la fête fédératrice de la « reine des batailles », toutes subdivisions confondues.

Le temps d’une journée, cette nouvelle fête fédérative rassemblera les drapeaux et leurs gardes, les chefs de corps et des représentants des unités ainsi que du personnel issu de ces régiments, qu’il soit d’active ou non.

Sept régiments d’active seront représentés : les 1er RI, 35e RI, 92e RI, 126e RI,152e RI, 14e régiment d’infanterie et de soutien logistique parachutiste et le 132e régiment d’infanterie cynotechnique. Ils seront rejoints par le 24e régiment d’infanterie, composé en majeure partie de réservistes et particulièrement mis à profit lors de l’exercice ORION 2023.

Ce sera aussi l’occasion de mettre en avant des unités trop peu médiatisées, que sont les six formations détentrices de la garde de drapeaux de l’infanterie et les six anciens régiments en double appellation, dont un 44e régiment d’infanterie opérant en soutien des personnels militaires de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE).

Plutôt que de se concentrer sur un lieu et un fait d’armes uniques, cette fête se « déplacera » chaque année auprès d’un régiment différent, auquel il sera laissé le soin de l’organiser sur un site emblématique de son choix.

L’honneur d’inaugurer ce cycle revient au 152e RI de Colmar qui, outre la Moskova, évoquera la bataille du Hartmannswillerkopt conduite en 1915-1916 face aux troupes allemandes. Ce sont en effet sur les pentes de cette montagne rebaptisée « Vieil-Armand » que les soldats du 15-2 ont gagné leur surnom de « diables rouges », en référence à leur résistance acharnée face aux assauts adverses.

Crédits image : cellule communication du 152e RI

L’armée de Terre envisage un programme de véhicule blindé modulaire pour ses régiments d’infanterie

L’armée de Terre envisage un programme de véhicule blindé modulaire pour ses régiments d’infanterie


Le projet de Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30 ne dit pas un mot sur le programme TITAN de l’armée de Terre, qui doit prendre, à l’horizon 2040, le relai de SCORPION [qui n’est évoqué qu’indirectement dans le texte] pour « étendre l’ambition de combat collaboratif aéroterrestre au niveau interarmées et interalliés ». Mais pas seulement puisqu’il vise également à renouveler le segment « lourd » des blindés actuellement en service, notamment avec le projet MGCS [Main Ground Combat System – Système principal de combat terrestre], mené en coopération avec l’Allemagne.

Mais il sera également question de remplacer, à terme, le Véhicule blindé de combat d’infanterie [VBCI], dont 628 exemplaires sont en dotation au sein de l’armée de Terre. Et la Direction des études et de la prospective de l’Infanterie a d’ores et déjà avancé quelques pistes de réflexions au sujet des capacités que devront posséder les fantassins à l’horizon 2040.

« 2040 peut paraître loin, et réfléchir à l’équipement du fantassin à cet horizon peut être considéré comme une contingence alors que l’arme a déjà plusieurs besoins immédiats et urgents, et que certains des principaux changements attendus sont déjà là. Cependant, la temporalité a son importance : la recherche a besoin d’en moyenne vingt ans pour mener une technologie à maturité et l’intégrer à un projet d’armement. Dès lors, réfléchir au fantassin de 2040 n’est plus un exercice de l’esprit mais un impératif pratique », explique cette structure qui relève de l’École de l’Infanterie, dans le dernier numéro de revue Fantassins

Les besoins de l’infanterie se résument en cinq impératifs : survivre, se protéger, manœuvrer, combattre et vaincre. Et si le renouvellement des blindés du segment médian est en cours, avec le véhicules blindés multi-rôles [VBMR] Griffon et Serval, le VBCI devra être impérativement mis à niveau dans les années à venir… Et la question de son remplacement peut d’ores et déjà se poser. Et la direction de la prospective a des idées bien arrêtées à ce sujet.

D’abord, il n’est pas question de revenir à un blindé doté de chenilles. Si celles-ci « permettent un meilleur franchissement et une meilleure mobilité tactique », notamment en milieu dégradé, elles exigent un entretien plus important, souligne la Direction des études et de la prospective de l’Infanterie. D’où sa préférence pour la roue, qui fait des « progrès spectaculaires depuis plusieurs années », au point d’égaler, ou presque, les performances de la chenille.

« Le fantassin pourrait donc se déplacer sur roues, d’autant plus que dans les milieux dégradés, il sera principalement débarqué. Afin de gagner en mobilité tactique, il pourra aussi compter sur les robots, lesquels pourraient être chenillés et donc aptes à lui apporter au plus près tout l’appui [logistique, appui-feu…] dont il aura besoin, y compris dans les milieux destructurés », explique la Direction des études et de la prospective.

Quant à la question du blindage, celle-ci souligne que les véhicules actuels sont toujours de plus en plus lourds, au point d’arriver « aux limites de qu’un sol peut supporter en poids avant de se dégrader et pénaliser les mouvements futurs ».

D’où l’idée de regarder ce qui a pu être imaginé dans le passé… Et de ressortir des tiroirs un projet qui avait été lancé il y près de trente ans, c’est à dire avant le développement de l’actuel VBCI.

« L’une des pistes les plus prometteuses est la reprise d’un programme de véhicules modulaires comme le projet VBTT des années 1990 et l’idée originelle derrière le VBCI », avance la Direction des études et de la prospective. Et d’ajouter : « Le blindage ici serait donc limité aux compartiments du groupe de combat embarqué et aux pilotes, ce qui permettrait de réduire le poids total ».

A priori, il s’agirait donc de reprendre le concept de Véhicule Blindé Modulaire [VBM] à huit roues motrices, pour lequel Giats Industries [Nexter/KDNS aujourd’hui] et Renault Véhicules Industriels [devenu Arquus] développèrent respectivement le VEXTRA [pouvant être doté d’une tourelle modulaire légère de 105 mm] et le X8A [voir photo ci-dessus}. Les travaux menés à l’époque permirent de mettre au point le VBCI.

Photo : ARQUUS

L’Armée de Terre va créer de nouveaux régiments de réserve comme le 24ème Régiment d’Infanterie

L’Armée de Terre va créer de nouveaux régiments de réserve comme le 24ème Régiment d’Infanterie


L’Armée de Terre va créer de nouveaux régiments de réserve comme le 24ème Régiment d’Infanterie


En l’absence d’un nouveau Livre Blanc, et après une Revue Stratégique en certains aspects bâclée, le nouvelle Loi de Programmation Militaire 2024-2030 qui encadrera la trajectoire des armées françaises pour les 7 ans à venir, pouvait apparaitre terne et sans ambition.

Force est de constater que les choses ont considérablement évolué au cours du processus parlementaire, tant du fait des députés et sénateurs, que d’un ministère remarquablement proactif pour s’emparer des sujets et amener des éclaircissements.

C’est ainsi qu’au delà des aspects budgétaires qui doivent encore faire l’objet d’une dernière négociation en début de semaine prochaine lors de la commission paritaire mixte entre le Sénat et l’Assemblée Nationale, de nombreux objectifs des plus stratégiques pour l’avenir des armées et de l’industrie de défense ont été clairement tracés.

C’est notamment le cas dans le domaine des drones et de la lutte anti-drones, de la pérennisation pleine et entière du porte-avions de nouvelle génération, ou encore au sujet du très ambitieux programme Rafale F5 et de son drone de combat dérivé du programme Neuron, pour ne citer que les plus médiatisés.

La trajectoire en matière de ressources humaines pour les années à venir était, quant à elle, tracée dans les grandes lignes dès la première mouture du projet de loi. Ainsi, les effectifs des armées n’évolueront que peu dans les années à venir, si ce n’est dans certains domaines comme le renseignement ou le cyber.

Jamais, dans l’histoire récente, le processus parlementaire n’aura été aussi significatif dans l’amendement et l’adoption d’une Loi de Programmation Militaire en France

Pour faire face à la montée des tensions et des risques de conflit, le Ministère des Armées va en effet concentrer ses efforts d’ici 2030 autour de deux objectifs. D’une part, il s’agira de consolider les effectifs professionnels des armées, notamment pour faire face aux nombreuses difficultés que rencontrent toutes les armées occidentales dans le domaine des ressources humaines, de sorte à éviter la déflation des effectifs.

Dans le même temps, la montée en puissance sera assurée par le recrutement de plus de 40.000 réservistes opérationnels supplémentaires, soit le doublement de la réserve opérationnelle comme aujourd’hui, au travers d’une vaste de campagne déjà débutée pour amener les français à s’investir dans la Défense et la Sécurité nationale, que ce soit au travers de la Réserve Opérationnelle ou de la Réserve Citoyenne, selon les profils.

Jusqu’à présent, on ignorait comment ces nouveaux effectifs allaient être ventilés, et l’on pouvait craindre qu’à l’instar de ce qui se pratique aujourd’hui, l’essentiel des nouveaux réservistes viendraient renforcer la résilience des unités professionnelles existantes, au travers d’une ou plusieurs compagnies formées de réservistes évoluant au contact de leurs homologues professionnelles.

Si cette solution répondait bien aux besoins il y a quelques années, en conférant aux régiments des moyens humains supplémentaires mobilisables au besoin pour absorber une certaine attrition (de fatigue ou de combat), elle ne permet cependant pas d’accroitre la masse des armées à proprement parler, et donc leur caractère dissuasif.

Hérité d’un régiment créé en 1776 sous Louis XVI, le 24ème régiment d’Infanterie d’Ile de France est le seul régiment composé exclusivement de réservistes en France

Aujourd’hui, il n’existe qu’un unique régiment entièrement constitué de réservistes, le 24ème régiment d’infanterie basé à Vincennes et Versailles en région parisienne. Celui-ci fut recréé en 2013, précisément pour expérimenter la possibilité de mettre en œuvre des unités de la taille et de la fonction d’un régiment, entièrement constituées de réservistes, et pour en évaluer les performances et la capacité à s’intégrer dans un dispositif composé d’unités professionnelles.

Si dans ses premières années, le 24ème RI fut cantonné à des missions intérieures, il commença à participer à des opérations extérieures à partir de 2020, au travers de déploiements de courtes durées conformément à la nature de ses effectifs. Il participa également activement à la mission résilience en Ile de France lors de la crise Covid.

De toute évidence, l’expérience du 24ème RI s’est montrée satisfaisante, puisque le Ministère des Armées a annoncé que d’autres régiments de ce type allaient être créés lors de la LPM 2024-2030, sans toutefois en préciser le nombre ou la localisation.

Toutefois, de part leurs besoins importants en matière d’effectifs, on peut supposer que chacun d’eux sera déployé à proximité d’une grande agglomération comme Marseille, Lyon, Nantes, Lille, Toulouse, Bordeaux et Strasbourg.

Reste que, pour l’heure, l’expérience du 24ème RI n’est pas aboutie à ce jour. En effet, si celui-ci dispose des effectifs, et d’une certaine manière de l’entrainement requis, il est particulièrement faiblement équipé, n’ayant ni armement lourd ni véhicules blindés, loin de l’inventaire des régiments d’infanterie professionnels.

De fait, pour aller au bout du raisonnement en matière de masse, il sera nécessaire que ces nouveaux régiments soient équipés à l’instar des régiments professionnels, de sorte à pouvoir être projetés totalement ou partiellement à l’identique de ‘n’importe quelle unité de même arme.

Pour représenter une réelle alternative à la masse, les nouveaux régiments de réserve devront être équipés à l’identique des régiments professionnels selon leur arme

En outre, il serait probablement souhaitable que ces nouveaux régiments couvrent l’ensemble des besoins, plus spécifiquement en matière d’engagement de haute intensité, et donc disposer des équipements et de l’entrainement nécessaire pour cela. Jusqu’à présent, certaines réticences au sein même de l’Etat-major entravaient cette approche.

On peut espérer que la démonstration de force réalisée par les armées ukrainiennes, presque entièrement constituées de conscrits et de réservistes, aura permis de faire évoluer les opinions à ce sujet, et qu’effectivement, ces nouveaux régiments composés de réservistes seront les répliques des régiments professionnels en tous points, comme c’est notamment le cas des bataillons de la garde nationale américaine.

Reste que la plus grande difficulté qui devra être surmontée par le Ministère des Armées dans ce dossier, sera incontestablement de parvenir à convaincre et fidéliser 40.000 réservistes opérationnels supplémentaires, de sorte à donner corps à cette ambition.

Le général Schill précise la nouvelle organisation des brigades interarmes de l’armée de Terre

Le général Schill précise la nouvelle organisation des brigades interarmes de l’armée de Terre

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Cependant, lors de son passage devant les députés de la commission de la Défense, le général Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], a donné une autre justification au report des livraisons de 1200 blindés [Griffon, Jaguar, Serval et autres Leclerc portés au standard XLR].

« Pour ce qui concerne […] le programme SCORPION, les cibles ne sont pas réduites et notre objectif à terminaison reste d’atteindre les volumes précédemment définis. L’atteinte de ces cibles est néanmoins reportée au-delà de 2030. Nous devions faire un choix et je l’assume totalement, même si dans un monde idéal, j’aurais évidemment souhaité à la fois maintenir le rythme prévu et acquérir des capacités supplémentaires qui n’étaient pas prévus que nous avons pu financer », a d’abord expliqué le général Schill.

« J’ai proposé moi-même que les munitions téléopérées, les charges actives cyber, certains blindés destinés à notre défense sol-air, l’accélération de la lutte antidrones et les unités de robots soient financées en contrepartie d’un lissage du programme SCORPION », a-t-il ensuite affirmé.

Plus précisément, ces nouvelles capacités réclamées par le CEMAT se traduiront par la livraison de munitions téléopérées, de 24 Serval équipés d’une tourelle MISTRAL [missile transportable anti-aérien léger] et de 12 Serval de lutte anti-drone qui viendront complérer 12 Véhicules de l’avant blindé [VAB] de type ARLAD. Il est aussi question d’acquérir de nouveaux radars de détection afin de « maitriser l’espace et les menaces aériennes au-dessus des forces terrestres ».

Plus généralement, l’armée de Terre va de nouveau se « transformer », selon le plan « Une armée de Terre de combat« , que le général Schill a succinctement évoqué sur les réseaux sociaux. Et, lors de son audition, il a livré quelques éléments supplémentaires.

« Ma priorité portera sur le commandement : en veillant à ce que chaque échelon soit à sa bonne place, en donnant de l’autonomie, en réintroduisant de la subsidiarité, c’est-à-dire en tendant vers le respect du triptyque ‘une mission, un chef, des moyens’ pour mieux fonctionner. La maîtrise du risque, l’obligation de résultat et le succès de la mission sont la contrepartie à la subsidiarité », a-t-uil fait valoir.

Ainsi, le commandement des forces terrestres [CFT] va être réorganisé, en vue d’obtenur un « gain de cohérence », ce qui passera, a détaillé le CEMAT, par un « poste de commandement de niveau corps – le CRR-FR – et deux PC de division, chaque division possédant en propre son bataillon de commandement et de quartier général, en mesure de préparer le combat et le diriger ».

En outre, a-t-il poursuivi, il y aura « trois commandements pour apporter aux divisions les capacités nécessaires dans les domaines du renseignement, des opérations dans la profondeur, des actions spéciales, de l’hybridité, du cyber, des appuis et de la logistique ». Et le tout reposera sur « des brigades interarmes et spécialisées, plus autonomes ».

Parmi celle-ci, les régiments d’infanterie verront leur format réduit… mais leurs capacités seront « significativement renforcées […] dans tous les champs », a indiqué le général Schill. Ainsi, et comme l’a déjà suggéré M. Lecornu lors de ses récents déplacements, ils compteront une section de mortiers de 120 mm ainsi qu’une section « d’attaque électronique » [et non pas « d’appui électronique]. En outre, ils disposeront d’unités dotés de « munitions téléopérées, de robots terrestres » et de « capacités anti-char » renforcées.

« Bien sûr, les Griffon et les Serval continueront à remplacer les véhicules d’ancienne génération. Demain, la transition de la [Peugeot] ‘205’ à la voiture connectée sera achevée. Cela fait plus de 40 ans que les VAB équipent nos régiments d’infanterie, les GRIFFON et SERVAL arrivent et sont dès à présent déployés en Roumanie et en Estonie », a assuré le CEMAT.

Quant aux régiments de l’Arme Blindée Cavalerie [ABC], leurs « capacités d’agression » seront renforcées, avec, là aussi, des munitions téléopérées. Il en ira de même pour leurs moyens de renseignement [drones, radars]. Enfin, ils diposeront eux aussi e nouvelles unités dédiées à la guerre électronique et/ou au renseignement technique. « Une majeure partie de nos chars Leclerc [160 sur 200, ndlr] sera rénovée autour d’une pérennisation de leur motorisation, d’une meilleure protection, d’une connectivité modernisée et de nouveaux viseurs », a promis le général Schill.

Par ailleurs, l’artillerie pourra remplacer ses 13 LRU [dont au moins deux ont été cédés à l’Ukraine] par autant de lanceurs de nouvelle génération d’ici 2030. Cette dotation pourrait doubler en 2035. Mais, d’après le CEMAT, chacun de ses régiments disposera de 16 CAESAr NG [Camions équipés d’un système d’artillerie de nouvelle génération], de 8 motiers embarqués sur Griffon pour l’appui au contact [MEPAC] et de munitions téléopérées de type LARINAE à l’horizon 2028. Et sans oublier de « nouveaux moyens d’acquisition et de renseignement avec une quinzaine de véhicules d’observation artillerie, des radars de surveillance terrestre, et des drones SDT-L complémentaires aux SMDR [Système de mini-drones de renseignement] déjà livrés et au SDT du 61e régiment d’artillerie ».

Le SDT-L [Système de drones tactiques légers] ne figure pas dans le projet de LPM 2024-30. Cependant, la Direction générale de l’armement [DGA] a émis une demande d’information [RFI] pour un drone à décollage vertical [si possible] de moins de 150 kg et d’une autonomie de 14 heures et capable d’assurer des missions de renseignement image et électronique, voire de désignation laser.

Enfin, le Génie va être réorganisé, tout en bénéficiant d’un renforcement de ses effectifs. Cela « lui permettra de recréer des unités disparues spécialisées dans le minage, le contre-minage et le franchissement » ainsi que « de densifier des capacités échantillonnaires aujourd’hui comme l’ouverture d’itinéraire, le franchissement fluvial », a expliqué le général Schill. Et d’ajouter : « En plus des premiers engins du combat du génie et des 8 premières portières de franchissement SYFRALL, l’arrivée des GRIFFON et SERVAL Génie assurera la mise sous blindage des unités de combat du génie ».

L’objectif de cette réorganisation est « d’accroître l’autonomie » des brigades interarmes, composées pour la plupart de trois régiments d’infanterie, deux de cavalerie, d’un d’artillerie et d’un du génie, en vue de « déployer une unité de combat opérationnelle sur le terrain ». Et cela selon trois axes.

Le premier portera sur le « ciblage tactique », grâce à la mise en réseau des moyens de renseignement » [grâce aux drones et aux radars] ainsi qu’aux capacités d’action afin d’établir « une chaîne de frappe efficace ». Le second se contrera sur l’hybridité, avec « pour objectif de progresser dans l’action spéciale terrestre, l’influence, le partenariat et les actions de déception, pour fournir aux divisions ou aux corps d’armée déployés des capacités accrues et plus cohérentes dans ce domaine ».

Enfin, a expliqué le CEMAT, le troisième axe concernera la logistique « au sens large ». Et c’est une leçon rappelée par la guerre en Ukraine. « Il faut sortir de l’idée que ‘la logistique suivra’ » et il est « primordial que notre capacité d’autonomie et de soutien logistique monte en gamme pour construire une véritable manœuvre », a-t-il soutenu.