Guerre
J comme Juin
J comme Juin
par Michel Goya – La Voie de l’épee – publié le 9 juin 2023
https://lavoiedelepee.blogspot.com/
La multiplication des raids et des frappes depuis un mois avec une accélération ces derniers jours indiquait clairement que l’on entrait dans une autre séquence de la guerre. Nous y sommes désormais complètement.
Le retour de la guerre de corsaires
Il y a eu d’abord la multiplication des raids profonds dans la 3e dimension (3D), avec du côté russe près de 200 drones Shahed, qu’il faut considérer comme des missiles de croisière low cost à faible puissance, et une centaine de missiles, soit les quelques dizaines de missiles de première catégorie fabriqués dans le mois et des missiles « reconvertis », dont surtout des S300 utilisés pour frapper près de la frontière.
La « campagne V » contre le réseau électrique ukrainien lancée en octobre 2022 jusqu’au mois de mars 2023 est définitivement terminée et, comme c’était largement anticipé, a échoué. S’il faut toujours considérer les bilans de victoire ukrainiens avec précaution, le taux d’interception de missiles est désormais très élevé et en conjonction avec une capacité de frappes de missiles de première catégorie limitée à ce qui est produit, cela donne au bout du compte désormais très peu de coups au but. Pourquoi s’obstiner alors puisque cela paraît stérile avec une charge totale explosive arrivant sur cible qui ne doit pas dépasser 10 tonnes en un mois ? Parce que parfois cela passe et permet d’infliger quelques coups, comme sur le QG de l’état-major des armées à Kiev ou le dernier navire un peu important de la flotte ukrainienne à Odessa, et que cela peut peut-être gêner la préparation de l’opération offensive ukrainienne.
Il s’agit peut-être surtout d’épuiser la défense aérienne et fixer dans la défense des villes et des bases des moyens à courte portée qui pourraient être utilisées sur le front. L’affaiblissement de la défense faute de munitions donnerait peut-être plus de liberté d’action aux forces aériennes russes (VKS), ce qui pourrait changer la donne, les VKS étant encore un actif sous-utilisé. Peut-être faut-il voir l’insistance ukrainienne à obtenir et engager des avions F16 comme un moyen de renforcer la défense aérienne avec des plateformes de tir volantes et dont les munitions air-air sont abondantes.
Les Ukrainiens ne sont pas en reste avec une série de frappes utilisant là encore tous les moyens disponibles, depuis de vieux missiles Tochka-U jusqu’aux modernes missiles Storm Shadow en passant par les drones ou l’artillerie à longue portée. L’objectif principal de cette campagne est clairement vers le bas (le 2D) avec une série de destructions d’infrastructures (voie ferrée, dépôt, bases, etc.) à Mélitopol, Berdiansk, Marioupol, Crimée (par drones) ou même le territoire russe à Krasnodar ou Belgorod. L’attaque sur Moscou le 30 mai par plusieurs dizaines de drones, avec de très faibles charges explosives, visait sans doute plutôt la 5e couche (5D) de la communication et de l’influence pour reprendre la classification du Centre de doctrine et d’enseignement du commandement (CDEC). Autrement dit il s’agissait surtout de frapper les esprits russes (« vous n’êtes pas défendus ! ») et ukrainiens (« nous pouvons rendre aux Russes la monnaie de leur pièce ! »). Il en est de même pour le faux discours de Poutine de quarante minutes diffusé sur certains écrans russes le 5 juin dernier en piratant les antennes TV et radio de la Mir (4D, électromagnétique, à destination de la 5D)
Il en est de même au sol (2D) avec les raids dans la région de Belgorod. Dans l’absolu, les Ukrainiens seraient tout à fait légitimes à attaquer le territoire russe puisqu’ils ont eux-mêmes été envahis. On aurait pu même imaginer une prise de gages en Russie, visiblement plus faciles à conquérir que le territoire ukrainien à libérer, en vue d’un échange éventuel de territoires par négociations. Dans le cadre de leur confrontation avec la Russie, les Occidentaux – les Américains surtout – ont peur de rétorsions russes sur leur propre territoire et d’une escalade directe entre les deux camps, aussi sont-ils très réticents à ce que la guerre sorte du territoire ukrainien, surtout si cela s’effectue avec les équipements majeurs qu’ils ont fournis aux Ukrainiens. Ces derniers ont contourné le problème une première fois en lançant des opérations purement clandestines du service de renseignement extérieur ukrainien (SZR) ou des Forces spéciales, puis en ne frappant le territoire russe qu’avec des matériels made in Ukraine, et enfin en utilisant des auxiliaires, des milices russes en l’occurrence pour lancer des raids ouverts. L’emploi de cette nouvelle carte opérationnelle paraît plutôt habile puisqu’on ne peut reprocher à des Russes d’être en Russie et que cela témoigne de l’existence d’une opposition interne armée à Vladimir Poutine et bien sûr, malgré la discrétion officielle, tout cela est organisé par l’armée ukrainienne et appuyé par son artillerie. Les effets militaires sont faibles, sauf à obliger les forces russes à détourner des moyens du front ukrainien pour protéger le nouveau front russe, mais les effets dans la couche médiatique sont importants. On oublie la prise de Bakhmut par les Russes et l’entrée facile d’assaillants sur le sol russe est évidemment une humiliation. Pour autant, cela nourrit aussi le discours officiel d’une grande menace justifiant la guerre préventive et défensive lancée depuis février 2022. Il n’est jamais question cependant dans les discours du fait qu’il s’agit de Russes, mais simplement d’Ukrainiens (ce qui est faux) nazis (ce qui est en partie vrai). Le plus étonnant est la persistance de ces raids, qui n’ont d’ailleurs pas commencé le 22 mai, et la création d’un véritable nouveau front. Peut-être les Ukrainiens peuvent-ils effectivement continuer à alimenter ce front tout en restant en arrière en engageant de nouveaux volontaires russes, l’action actuelle faisant office d’« opération d’appel », et surtout en engageant d’autres unités de la région, tchétchènes, géorgiennes, etc. ou en utilisant des sociétés privées dont on nierait connaître les activités. Après avoir mis le pied dans la porte et si ce front perdure peut-être finiront-ils aussi de l’accoutumance par y engager aussi et ouvertement des unités régulières.
Encore une fois tout cela relève de la guerre de corsaires, faite de coups et non de conquête du terrain. Cela peut constituer une stratégie en soi visant à l’usure de l’adversaire et le renforcement de son propre moral ou de celui des Alliés, avec le risque d’une montée aux extrêmes par la spirale attaques-représailles. L’expérience historique tend à montrer que cela suffit rarement à gagner une guerre, mais on y reviendra peut-être par défaut si le front reste figé. En attendant, tous ces coups et ces frappes s’inscrivent dans la préparation ou la contre-préparation de l’opération offensive ukrainienne, que l’on a baptisé X, visant à percer le front quelque part.
Rendez-vous avec X
On a déjà beaucoup spéculé sur la zone où pourrait être porté l’effort principal ukrainien, pour aboutir à la conclusion qu’il ne pourrait y avoir que deux zones possibles : la province de Louhansk et celle de Zaporijjia. Par l’ampleur des obstacles (Dniepr) et des fortifications (province de Donetsk), il paraît impossible en effet de percer ailleurs, or on le rappelle une nouvelle fois les Ukrainiens sont obligés de percer le front pour espérer atteindre leur objectif stratégique de libération complète du territoire. Cela n’empêche pas de préparer des opérations secondaires en périphérie de l’effort principal afin de leurrer, fixer des forces russes ou de profiter d’un affaiblissement ennemi au profit de la zone principale.
Les attaques ukrainiennes au nord et au sud de Bakhmut s’inscrivent sans doute dans ce cadre, en profitant peut-être justement de l’affaiblissement du secteur russe par la relève de Wagner par des unités qui ne connaissent pas le terrain et sont peut-être de moindre qualité tactique. Peut-être y a-t-il là la possibilité d’une victoire de substitution en cas d’échec de l’offensive X sur la zone principale.
Une autre option périphérique pourrait être l’occupation éclair de la Transnistrie, cette région de Moldavie occupée par une toute petite armée russe. L’intérêt serait d’infliger sans engager beaucoup de moyens une défaite facile aux Russes et de récupérer des stocks considérables de munitions. Bien entendu cela ne pourrait se faire qu’à la demande du gouvernement moldave et en coopération de la petite armée moldave. Cela constituerait cependant l’élargissement de la guerre à un pays voisin alors que, encore une fois, les Américains s’efforcent de contenir autant que possible les opérations en Ukraine. Cette carte pourrait aussi être jouée en cas d’échec de X.
Bien entendu, le camp russe a également tout intérêt à mener à son tour des opérations de contre-préparation. On peut même se demander sur l’opération que l’on avait baptisée Donbass 2 en pensant qu’il s’agissait de conquérir complètement le Donbass n’était pas une vaste opération de contre-préparation visant simplement à solidifier le front russe en occupant notamment des bases de départ possibles pour une offensive ukrainienne. On peut difficilement expliquer autrement l’obstination, toujours mise en échec, à s’emparer de Vuhledar.
C’est logiquement dans le cadre de cette contre-préparation qu’il faut comprendre le sabotage du barrage de Nova Kakhovka, même s’il n’est pas exclu qu’il s’agisse d’un accident. L’inondation est un procédé défensif aussi vieux que les digues. Les Ukrainiens l’ont utilisé, à petite échelle, au tout début de la guerre dans le nord-ouest de Kiev afin d’entraver la progression des 35e et 36e armées russes. Le barrage de Nova Kakhovka, dont on rappellera qu’il est tenu et surveillé par les forces russes depuis le mois de mars 2022, est tel par ses dimensions et sa configuration qu’il ne peut être détruit par un projectile aérien ou d’artillerie. Tout au plus peut-on espérer un tel effet par une série de frappes, dont on ne voit pas comment elle aurait pu échapper à l’attention des Russes. La destruction que l’on a pu constater n’a pu être réellement effectuée que par le placement précis d’une très forte charge d’explosif, ce qui réduit quand même largement le champ des possibles coupables. Tout cela avait déjà été évoqué au mois d’octobre lors du repli russe de la tête de pont de Kherson. Les Russes s’étaient alors contentés de détruire la route d’accès sur la rive ouest et de préparer le sabotage du barrage en cas d’approche ukrainienne.
La destruction du barrage leur permet finalement de neutraliser militairement le secteur en empêchant toute manœuvre un tant soit peu importante à travers la zone inondée. Cela les soulage d’une opération secondaire ukrainienne de raids à travers le fleuve ou le long de la côte, ou peut-être de pouvoir joindre, à partir de la région de Nova Kakhovka justement, une offensive ukrainienne venant de Zaporijjia en direction de la centrale nucléaire d’Enerhodar. Cela crée par ailleurs et à court terme un désastre humanitaire à gérer pour les Ukrainiens, puis à plus long terme la ruine d’une partie de l’agriculture ukrainienne très dépendante de l’irrigation depuis l’immense lac artificiel formé par le barrage. Le prix à payer, la coupure de la fourniture en eau potable de la Crimée par le canal de Crimée du Nord, relevant plus de la gêne que du sacrifice, les Russes ayant appris à se passer de cette eau, qui n’arrivait depuis des années que par intermittence et même plus du tout depuis 2019.
Ce sabotage intervient logiquement alors que la phase d’assaut de X commence.
X à Zaporijjia
Tout indique désormais que les Ukrainiens ont choisi de porter leur effort principal dans le secteur central du front entre le Dniepr et Vuhledar, que pour simplifier on appellera secteur de Zaporrijia même s’il déborde sur la province de Donetsk.
On avait déjà identifié la mise en place d’une dizaine de brigades en arrière du secteur éclaté en bataillons dans les rares forêts et nombreuses localités de la région. On retrouve désormais certaines de ces unités en renforcement des brigades de première ligne, signe clair que les choses sérieuses ont commencé.
Rappelons rapidement le défi : le secteur de Zaporijjia-Vulhedar est tenu par quatre armées russes et un corps d’armée (sur un total de 19 en Ukraine), totalisant a priori 28 brigades/régiments de combat et neuf brigades/régiments d’artillerie. Cet ensemble est organisé en trois niveaux : une première position de plusieurs lignes (une ligne = échiquier de points d’appui au cœur d’obstacles, mines, tranchées, etc.) de densité croissante sur plusieurs kilomètres de profondeur ; une deuxième position reliant les points clés arrière comme Mykhaïlivka, Tokmak, Polohy et enfin la réserve arrière à Mélitopol. Le tout peut encore bien sûr être appuyé en avant de la ligne de contact par l’artillerie à longue portée et drones ainsi que par des forces aériennes toujours actives sur la ligne de front.
La phase actuelle est donc celle du bréchage. Tous les axes du secteur sont attaqués simultanément depuis deux jours par une douzaine de groupements tactiques (bataillons renforcés) ukrainiens. Tout cela est conforme à l’opération prévue. Ce qui est important est de constater est qu’il s’agit d’attaques surtout menées par les unités en ligne, avec néanmoins le renfort de plusieurs brigades de la réserve de manœuvre dont la 33e Méca équipée de Léopard 2 et peut-être aussi la 3e brigade blindée (3e BB) à côté de la 1ère BB, la plus puissante unité ukrainienne déjà sur place. La présence de la 3e BB, si elle est confirmée, indiquerait clairement qu’il s’agit du secteur principal puisqu’elle était stationnée jusque-là près de la province de Louhansk, l’autre option envisagée. Le deuxième échelon n’est pas encore complètement engagé. Les combats sont durs, comme c’était prévisible et il faudra attendre au moins une semaine pour commencer à estimer une tendance.
La progression ukrainienne est plutôt conforme aux normes attendues, mais les images montrant une embuscade d’artillerie réalisée sur une compagnie blindée-mécanisée ukrainienne, sans doute de la 46e brigade mécanisée, approchant de la ligne de contact est beaucoup plus inquiétante. On y voit en effet une colonne de chars de bataille Léopard 2 et de véhicules de combat d’infanterie à quelques mètres seulement de distance les uns des autres coincés sur une route de part et d’autre de zones minées. La colonne n’était pas protégée des drones de l’artillerie russe qui a pu ainsi effectuer frapper les engins groupés. Les pertes sont relativement limitées, un Léopard 2 et sans doute deux M 113, mais le plus important est que cette affaire montre qu’une des compagnies les plus puissantes de l’armée ukrainienne, avec des Léopard 2, n’est pas commandée par un officier du meilleur niveau tactique. Le capital principal d’une armée n’est pas son stock matériel, mais son capital d’officiers et sous-officiers en nombre et en valeur. On sait que ce capital de cadres a fondu du côté russe du fait de pertes considérables ce qui explique la difficulté à organiser des opérations complexes de ce côté. La chose est plus difficile à appréhender pour le côté ukrainien et en cela, cette bataille en cours sera un révélateur de la véritable valeur de l’armée ukrainienne.
La ligne Fabergé, redoutable système défensif russe, sous le feu de l’armée ukrainienne
La ligne Fabergé, redoutable système défensif russe, sous le feu de l’armée ukrainienne
par La Voix du Nord – publié le 9 juin 2023
Après des semaines de préparation, l’armée ukrainienne pourrait avoir finalement lancé le gros de son offensive pour tenter de percer les défenses russes dans l’espoir d’un succès indispensable pour la suite de la guerre.
Conformément à leur ligne depuis plusieurs jours, les autorités ukrainiennes restent très vagues sur leurs actions, entretenant le brouillard de la guerre. Les Russes affirment eux avoir repoussé une offensive ukrainienne dans la région de Zaporijjia, et assurent avoir infligé de lourdes pertes à Kiev.
« Le contre-offensive ukrainienne a commencé », estiment de nombreux observateurs dont le centre d’analyse américain Institute for the Study of War (ISW), qui précise toutefois ne pas s’attendre à « une seule grande opération » mais à une série de différentes actions coordonnées, comme c’est le cas actuellement.
« Vu l’emploi des matériels occidentaux, il semble que l’offensive ukrainienne est en cours », estime l’analyste américain Michael Kofman, cité dans le quotidien britannique The Financial Times.
Dans la région de Zaporijjia où les Russes disent avoir repoussé une attaque, le « front est largement fortifié mais moins densément que dans la région de Donestk. Or si vous atteignez Melitopol, c’est un objectif stratégique : vous coupez le front en deux. Tous les indices convergent vers cette région », indiquait en début de semaine à l’AFP l’historien militaire français Michel Goya.
Une trentaine de kilomètres de large
Le long du front, les Russes ont déployé « à peu près six lignes défensives », explique-t-on de source militaire française. Dans la zone de Zaporijjia, certains Russes ont baptisé ce dispositif « ligne Fabergé », en référence aux célèbres œufs, pièces de joaillerie réalisées au XIXe siècle pour les tsars.
« La première ligne, ce sont des points d’appui qui permettent de voir ce qui arrive, la deuxième, c’est davantage pour arrêter une attaque, c’est largement miné. Puis c’est l’artillerie, les premiers chars pour contre-attaquer, et enfin les réserves puis les postes de commandement et la logistique », détaille le haut gradé. Le tout sur une trentaine de kilomètres.
La zone se compose aussi de dents de dragons, qui empêchent le passage des blindés, de barbelés, de tranchées… Très peu d’éléments fiables peuvent être confirmés à ce stade de l’offensive.
Au moins un char Leopard détruit
Il semble toutefois que les forces ukrainiennes buttent encore ce vendredi 9 juin sur la première ligne de défense russe et enregistrent des pertes, sans que l’on puisse les estimer. La perte d’un char occidental Leopard 2A4 a été confirmée par une vidéo.
Interrogé en début de semaine sur la perspective d’une contre-offensive ukrainienne, Michel Goya disait à La Voix du Nord qu’« il n’y aura pas forcément d’assaut massif mais une multiplicité de petites attaques » comme à Kherson à l’automne 2022 « pour s’emparer des positions fortifiées russes ». « Ce ne sera pas simple de créer une brèche face à des lignes de défense sur plusieurs kilomètres de profondeur, avec des champs de mines, des unités de réserve… », ajoutait l’historien militaire. L’offensive ukrainienne lancée cette semaine pourrait durer des mois et coûter cher aux deux camps, mais il en va de l’avenir de cette guerre.
Ukraine : Poutine affirme que la contre-offensive de Kiev « a commencé »
Ukraine : Poutine affirme que la contre-offensive de Kiev « a commencé »
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a salué ce vendredi « l’héroïsme » de son armée, alors que d’intenses combats font rage dans le sud du pays.
l’Express – publié le 10 juin 2023
Le président russe Vladimir Poutine a affirmé, ce vendredi 9 juin, que la grande contre-offensive que l’Ukraine prépare depuis des mois avait « commencé » sur le front, mais que les forces de Kiev n’étaient pas parvenues à « atteindre leurs objectifs ».
« Nous pouvons totalement affirmer que cette offensive a commencé », a déclaré Vladimir Poutine dans une vidéo diffusée sur Telegram par un reporter de la télévision publique russe. « Les troupes ukrainiennes n’ont atteint leur objectif sur aucun des champs de bataille », a-t-il ajouté. « Toutes les tentatives de contre-offensive menées jusqu’à présent ont échoué, mais le régime de Kiev dispose encore d’un potentiel offensif », a ajouté le président russe, assurant que la réplique russe « sera basée sur ce constat ».
Est-ce le début de la contre-offensive de Kiev annoncée de longue date ? « A nos soldats, à tous ceux qui sont engagés dans des combats particulièrement durs ces jours-ci. Nous sommes témoins de votre héroïsme, et nous sommes reconnaissants pour chaque minute de votre vie », s’est contenté de lancer Volodymyr Zelensky dans son message quotidien.
La Russie affirme avoir repoussé plusieurs attaques ukrainiennes sur le front sud
La Russie a affirmé ce vendredi avoir repoussé plusieurs attaques ukrainiennes dans le sud de l’Ukraine, notamment dans la région de Zaporijia. « Au cours des dernières 24 heures, les forces ukrainiennes ont poursuivi leurs tentatives de mener des offensives dans les régions d’Ioujno-Donetsk et de Zaporijia », a ainsi indiqué le ministère russe de la Défense dans un communiqué. Celles-ci ont été repoussées grâce aux « actions décisives […] des unités des forces russes, de l’aviation et de l’artillerie », selon la même source.
Jusqu’à deux bataillons et des chars ukrainiens ont participé à ces offensives, a affirmé le ministère russe. Les forces russes ont également effectué des frappes avec des « armes de haute précision » sur des dépôts de munitions, d’armements et de matériel militaire de conception étrangère, notamment des drones en Ukraine, selon le communiqué. « Toutes les cibles fixées ont été atteintes », assure-t-il.
Des morts du côté ukrainien et russe
Au moins cinq personnes ont été tuées et 13 portées disparues dans les inondations provoquées par la destruction du barrage de Kakhovka dans le sud de l’Ukraine, a indiqué vendredi le ministre de l’Intérieur Igor Klymenko.
Au total, 48 localités sont inondées dont 14 dans les zones sous occupation russe et 2 412 personnes ont été évacuées côté ukrainien, a-t-il précisé sur Telegram.
De son côté, l’occupation russe fait état de huit personnes mortes dans les inondations dans la partie occupée par la Russie de la région de Kherson. La montée des eaux dans le Sud peut se poursuivre encore dix jours. « Au total, 22 273 maisons dans 17 localités sont inondées. Selon les prévisions, la montée des eaux peut durer encore 10 jours », a indiqué sur Telegram Vladimir Saldo, le chef de la partie occupée de la région de Kherson.
En Russie, un immeuble résidentiel touché par un drone dans le Sud, au moins deux blessés
Au moins deux personnes ont été blessées vendredi lorsqu’un drone s’est écrasé sur un immeuble résidentiel dans la ville de Voronej, située dans le sud de la Russie, ont indiqué les autorités locales. « Un drone est tombé à Voronej », a écrit le gouverneur régional Alexandre Goussev sur Telegram. « Deux personnes ont été blessées », a-t-il précisé, en soulignant que « toute l’assistance nécessaire leur a été apportée ». Alexandre Goussev a plus tard indiqué que trois personnes avaient été touchées par des éclats de verre et avaient reçu des soins sur place, mais il n’était pas clair si les deux blessés évoqués précédemment en faisaient ou non partie.
Des médias russes ont publié des photos et une vidéo montrant un immeuble d’habitation à la façade éventrée et noircie, et dont plusieurs vitres étaient brisées. La Russie est la cible depuis des semaines d’un nombre croissant d’attaques de drones et de bombardements d’artillerie que Moscou impute aux forces ukrainiennes.
Une explosion détectée lors de la destruction du barrage de Kakhovka
L’institut de sismologie norvégien (Norsar) a détecté « une explosion » provenant de la région du barrage ukrainien de Kakhovka au moment de sa destruction mardi, a indiqué un de ses hauts responsables vendredi.
Cette annonce, qui n’attribue pas d’origine à l’explosion, conforte l’idée selon laquelle le barrage hydroélectrique situé dans une zone sous contrôle russe n’a pas cédé du fait de dommages subis lors de bombardements au cours des mois précédents.
Zelensky salue les « résultats » obtenus dans l’est du pays
Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a salué, jeudi, ce qu’il a décrit comme des « résultats » obtenus dans la région de Donetsk, dans l’est de l’Ukraine.
« Les combats sont très rudes dans la région de Donetsk », a-t-il déclaré lors de son allocution quotidienne. « Nous obtenons toutefois des résultats et je suis reconnaissant envers ceux qui les accomplissent. Bien joué à Bakhmout. Etape par étape », a dit le président ukrainien.
À l’ONU, l’Ukraine et ses alliés condamnent les « attaques » sur les évacuations
L’Ukraine et ses alliés, dont les Etats-Unis, la France et le Japon, ont condamné jeudi les « attaques » contre les opérations de secours à Kherson, appelant la Russie à permettre l’accès « sans entrave » de l’aide après la destruction du barrage de Kakhovka.
« Nous condamnons fermement les bombardements des zones d’évacuation et appelons les autorités russes à cesser de telles attaques et à permettre aux équipes d’évacuation d’aider sans encombre les populations affectées », a déclaré à la presse l’ambassadeur ukrainien à l’ONU Sergiy Kyslytsya, entouré par ses homologues de plusieurs membres du Conseil de sécurité (Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Japon, Malte, Albanie) et d’Etats membres de l’Union européenne.
« Nous appelons également la Fédération de Russie à permettre un accès complet, sûr et sans entrave aux zones touchées sur la rive gauche du fleuve Dniepr qui est sous le contrôle de son armée, pour que les acteurs humanitaires, en particulier des Nations unies et du CICR (Comité international de la Croix-Rouge, ndlr), puissent aider les habitants », a-t-il ajouté.
L’eau du barrage continue à refroidir la centrale nucléaire de Zaporijia
La centrale nucléaire de Zaporijia, dans le sud de l’Ukraine, continue à pomper de l’eau du barrage de Kakhovka pour refroidir le combustible et éviter un accident, a déclaré jeudi l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). La destruction du barrage situé sur le fleuve Dniepr a provoqué l’évacuation de milliers de civils des zones inondées et suscité l’inquiétude pour le site de Zaporijia occupé par les Russes, qui se trouve à 150 km en amont.
Après examen, il s’est avéré que les opérations de pompage devraient « pouvoir se poursuivre même si le niveau descendait au-dessous du seuil actuel de 12,7 mètres », précédemment jugé critique, a expliqué l’instance onusienne dans un communiqué, qui fixe désormais la limite à « 11 mètres, voire plus bas ». « Dans ces circonstances difficiles, cela nous laisse un peu plus de temps avant d’éventuellement passer à d’autres sources d’approvisionnement », a souligné le chef de l’AIEA Rafael Grossi, attendu sur les lieux la semaine prochaine.
Biden dit qu’il aura « les fonds nécessaires » pour soutenir l’Ukraine « aussi longtemps qu’il le faudra »
Joe Biden a estimé jeudi qu’il disposerait des « fonds nécessaires » pour soutenir l’Ukraine dans sa guerre contre l’envahisseur russe « aussi longtemps qu’il le faudra (it) », lors d’une conférence de presse conjointe avec le Premier ministre britannique Rishi Sunak. « Je suis sûr que nous aurons les fonds nécessaires pour soutenir l’Ukraine aussi longtemps qu’il le faudra », a répondu le président à un journaliste qui lui demandait s’il recevrait le soutien du chef républicain de la Chambre des représentants pour voter l’allocation de tels fonds.
F1 : la justice britannique refuse de suspendre les sanctions contre le Russe Mazepin
La justice britannique a refusé jeudi de lever temporairement les sanctions liées à la guerre en Ukraine visant le pilote russe Nikita Mazepin, qui ne pourra donc pas se rendre au Royaume-Uni pour discuter avec des équipes de F1. Nikita Mazepin, 24 ans, avait été évincé de l’écurie de Formule 1 Haas après l’invasion russe en Ukraine. Il avait intégré en mars 2022 la liste des personnalités russes sanctionnées par Londres, au même titre que son père Dmitry Mazepin, propriétaire et PDG du fabricant de produits chimiques Uralchem.
Nikita Mazepin avait également été sanctionné par l’Union européenne mais le président du Tribunal de l’UE avait rendu en mars une ordonnance suspendant une partie des sanctions visant le pilote pour lui permettre de concourir en F1. Alors qu’il cherche une nouvelle écurie, Nikita Mazepin a entamé des poursuites contre Londres pour que les sanctions britanniques (gel des actifs, interdiction de se rendre dans le pays) soient levées.
M. Lecornu doute de la possibilité de financer un second porte-avions de nouvelle génération
M. Lecornu doute de la possibilité de financer un second porte-avions de nouvelle génération
« La majorité a été plus forte qu’en 2018 pour la précédente LPM », s’est félicité Thomas Gassilloud, le président la commission Défense. Ce résultat s’explique par le soutien des députés du Rassemblement national [pourtant critiques sur certains points du texte] et de ceux du groupe « Les Républicains ». Les élus socialistes se sont abstenus tandis que ceux de la France insoumise et du Parti communiste ont exprimé leur opposition.
Désormais, il appartient aux sénateurs de se saisir de ce texte tel qu’il a été modifié par les députés. Et, désormais, celui-ci prévoit des « études de coûts » devant permettre au gouvernement de « présenter au Parlement, en 2028, une estimation des crédits nécessaires à la réalisation d’un second porte-avions de nouvelle génération » [PANG], la construction du premier ayant été confirmée… non seulement pour des raisons opérationnelles et capacitaires.. mais aussi pour des impératifs industriels étant donné que ce programme doit « garantir la pérennité des compétences ‘propulsion nucléaire’, avec une attention particulière portée à la conception et à la fabrication des nouvelles chaufferies K22 ».
Si ces études peuvent être perçues comme ouvrant la voie à un second porte-avions, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, n’a pas voulu donner de faux espoirs, lors d’une audition au Sénat, le 7 juin.
« Je me suis […] engagé, pour des effets d’opportunité, à ce que l’on fasse la transparence, par un rapport au Parlement, sur la faisabilité et le coût d’un deuxième porte-avions. Je m’explique : cela ne veut pas dire que l’on en veut un deuxième – je pense qu’on n’est pas capable de le payer pour être très clair – mais pour des raisons de transparence », a affirmé le ministre. « Plus on va avancer, plus on va être capable de définir les coûts du PANG » et donc d’évaluer « ce que coûterait un second » [porte-avions]. Ce n’est pas parce qu’on demande le prix qu’on sait se le payer. C’est le principe du devis », a-t-il poursuivi.
Pour le moment, le coût du PANG, aux dires de M. Lecornu, est estimé à environ 10 milliards d’euros. Mais « ce sont les travaux qui vont être menés dans les dix-huit mois qui viennent qui permettront d’affiner les sommes, qui, je l’espère, ne seront pas en hausse », a-t-il précisé.
Un mois plus tôt, devant la même commission, Emmanuel Chiva, le Délégué général pour l’armement [DGA], avait évoqué des discussions « avec les industriels afin de garantir la notification de l’avant-projet détaillé fin avril ainsi que la synchronisation des prochains jalons à la lumière du prochain arrêt technique majeur du porte-avions Charles-de-Gaulle, et de son calendrier de retrait de service ».
Cette notification aurait dû se faire en présence de M. Lecornu, à l’occasion d’une visite sur le site de Naval Group à Indret [Loire-Atlantique], le 26 avril dernier. Visite qui a finalement été annulée à la dernière minute…
Quoi qu’il en soit, M. Chiva avait aussi indiqué que la phase de réalisation du PANG allait être lancée « fin 2025-début 2026 » afin de « ne pas décaler » son « admission au service actif à l’horizon 2028 », car un « décalage aurait des effets capacitaires sur la formation des équipages et l’acquisition des savoir-faire ». Aussi, avait-il ajouté, « nous avons donc responsabilisé les industriels sur ce résultat et nous allons réaliser les paiements à réception des prestations, demandant un effort de trésorerie aux industriels, conforme aux règles des marchés publics ».
En attendant, les études relatives aux catapultes électromagnétiques [EMALS] et au dispositif d’arrêt qui leur est associé [AAG – Advanced Arresting Gear], confiées à General Atomics, se poursuivent.
En effet, dans un avis publié le 7 juin, le Pentagone a indiqué avoir notifié, au nom du gouvernement français, un nouveau contrat à General Atomic pour mener à bien une « étude de cas » ainsi que des travaux de « recherche et de développement » à l’appui de l’achat « potentiel » de systèmes EMALS et AAG par la France, évalué à 1,321 milliard de dollars en 2021.
Pour rappel, et à cette fin, un premier contrat, d’une valeur de 8 millions de dollars, avait été attribué à General Atomics en septembre dernier. « Le contrat se terminera en 2023 par une revue des systèmes et une évaluation des fournisseurs français pour la fabrication potentielle de composants en France », avait alors précisé l’industriel américain.
Assaut à Zapo par Michel Goya
Assaut à Zapo
par Michel Goya – La Voie de l’épée – Publié le 8 juin 2023
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Ce n’est pas tout d’avoir une force de manœuvre. Il faut s’en servir efficacement. Il ne peut être question pour les Ukrainiens de « corriger » le front comme les Russes, mais bien de percer et de s’emparer d’un objectif lointain : Mélitopol, Berdiansk, Marioupol, Donetsk, Horlivka, Lysychansk-Severodonetsk ou Starobilsk. S’il n’y a pas au moins un de ces objectifs avec un drapeau ukrainien après l’offensive, celle-ci sera considérée comme une victoire mineure en admettant même que les Ukrainiens aient réussi à progresser de manière importante sur le terrain.
C’est une chose difficile. Deux percées seulement ont été réussies dans cette guerre : à Popasna par les Russes au mois de mai 2022 et surtout dans la province de Kharkiv par les Ukrainiens en septembre. Or les positions des deux côtés, surtout du côté russe, sont actuellement bien plus solides qu’elles ne l’étaient qu’à l’époque.
Concrètement, il y a deux problèmes successifs à résoudre pour les Ukrainiens : s’emparer le plus vite possible des positions retranchées et exploiter cette conquête. Voyons ce que cela représente dans la province de Zaporijjia, la zone d’attaque la plus probable.
En position
Les positions retranchées sont un réseau de points d’appui de sections enterrés ou installés dans des localités, protégés et reliés par des lignes successives de mines, de tranchées et d’obstacles comme les « dents de dragon ». Normalement, si le terrain le permet, ces points d’appui sont organisés en triangle base avant (deux sections devant, une derrière – deux compagnies devant, une derrière, etc.) afin qu’ils puissent s’appuyer mutuellement et appliquer des feux sur ceux qui tentent de franchir les obstacles. À ce stade, mitrailleuses lourdes et mortiers sont les armes principales.
On se trouve loin des densités de lignes des deux guerres mondiales, mais une position retranchée russe peut avoir jusqu’à plusieurs kilomètres de profondeur. Pire, dans certaines zones, comme dans la province de Zaporijjia, on trouve une deuxième position parallèle cinq et à six kilomètres en arrière et des môles défensifs autour des villes. Cette deuxième position est alors occupée par le deuxième échelon des grandes unités en charge de la défense et parfois l’artillerie de division ou de brigade. Plus en arrière encore on trouve les unités de réserve de l’armée et l’artillerie à longue portée. Cette artillerie a évidemment pour double mission en défense de contre-battre l’artillerie ukrainienne et de frapper toute concentration de forces en avant de la première position de défense ou à défaut de placer des barrages d’obus devant elle.
Le « front » de Zaporrijia, au sens de structure de commandement russe, dispose ainsi d’un premier échelon composé d’une « division composite » (régiments DNR, Wagner) près du Dniepr et des 19e et 42e divisions motorisées de la 58e armée jusqu’à la limite administrative de la province. Cette première position s’appuie particulièrement à l’Ouest sur la ville de Vassylivka et les coupures des rivières qui se jettent dans le Dniepr, au centre sur un groupe de villages sur les hauteurs (150 m d’altitude) autour de Solodka Balka et à l’Est sur la ville de Polohy.
La deuxième position, de cinq à dix kilomètres en arrière, est organisée d’abord sur la ligne parallèle au front Dniepr-Mykhaïlivka-Tokmak, puis sur la route qui mène de Tokmak à Polohy. On y trouve deux régiments de Garde nationale, Wagner, la 11e brigade d’assaut aérien (à Tokmak) et peut-être la 22e brigade de Spetsnaz ainsi que la 45e brigade des Forces spéciales, utilisées comme infanterie, ainsi que l’artillerie des divisions et plus en arrière, celle de l’armée. Même si on ne connaît pas bien l’attitude de Wagner, on peut considérer l’ensemble du secteur sous la responsabilité de la 58e armée, qui sur place depuis les premiers jours de la guerre.
Plus en arrière encore, constituant sans doute les réserves du front, on trouve la 36e armée (deux brigades seulement) dans la région de la centrale nucléaire d’Enerhodar, le 68e corps d’armée avec 18e division de mitrailleurs et de la 39e brigade à Mélitopol et enfin la 36e armée (deux brigades) dans le carrefour de routes Verkhnii Tokmak 20 km au sud de Polohy et 30 km à l’est de Tokmak. Et si cela ne suffit pas, les Russes peuvent encore faire appel aux renforts de la 49e et à la 29e armée dans la province de Kherson ou, surtout, de la 8e armée à Donetsk, notamment dans le conglomérat de forces au sud de Vuhledar.
Dans la profondeur
Parvenir jusqu’à Melitopol à 60 km des lignes ukrainiennes demandera l’organisation de l’opération la plus complexe de l’histoire de l’armée ukrainienne. Elle devra concerner au moins l’équivalent de vingt brigades de combat ou d’artillerie et escadrons aériens organisés en trois forces soutenues par un réseau logistique particulièrement agile.
On qualifiera la première force de « complexe reconnaissance-frappes » (CRF), selon la terminologie soviétique. Elle est constituée d’un ensemble intégré de capteurs et d’effecteurs susceptibles de frapper de manière autonome dans la profondeur du dispositif ennemi. On y retrouve avions et hélicoptères de combat, missiles, drones, brigades d’artillerie à longue portée, forces spéciales et partisans. Le CRF ukrainien existe depuis l’été 2022. Sa mission avant le jour J de l’offensive sera d’affaiblir autant que possible l’ennemi en attaquant ses bases, ses postes de commandement, ses dépôts et flux logistiques, etc. C’est ce qui a été fait avec succès pendant la campagne de Kherson. Sa mission pendant le jour J sera d’interdire et au moins d’entraver tous les mouvements en arrière de la zone de combat principale.
Le CRF a connu un saut qualitatif important ces derniers mois avec la livraison de Mig-29 polonais et slovaques capables de tirer des bombes guidées JDAM-ER (plus de 70km de portée) et de GLSDB (Ground Launched Small Diameter Bomb) des bombes volantes GBU-39 de 270 kg qui peuvent être lancées par les HIMARS à 150 km avec une grande précision. On ne connaît pas en revanche la quantité réelle de munitions, celles-ci comme les plus classiques, alors que les besoins sont très importants. Si le stock de munitions est plutôt réduit, il faudra plutôt les réserver pour le jour J et se contenter de frapper en préalable les cibles repérées de plus haute valeur, avec aussi cette contrainte de frapper un peu partout sur la ligne de front pour ne pas donner d’indices sur la zone d’attaque.
Reste aussi la possibilité d’attaques au sol, de commandos et/ou de partisans en arrière de l’ennemi. La densité de forces russes sur un espace ouvert (peu de grandes conurbations ou de forêts) et la forte pression exercée sur la population (surveillance coercitive, représailles possibles) rendent compliquée la circulation clandestine de combattants et d’équipements. Il est donc également difficile d’organiser des attaques non-suicidaires (les attaques suicidaires sont très simplifiées par l’absence de repli, la partie la plus difficile à organiser). On ne peut exclure certains « coups » mais il ne faut pas s’attendre à une action importante de ce côté, comme pouvaient l’être les offensives de sabotage précédant les grandes opérations de l’armée rouge en 1943-1944. L’intérêt du réseau clandestin est surtout le renseignement.
Dans la boîte
La seconde force, qui n’est pas encore complètement en place, sera chargée de s’emparer des positions de défense. Elle doit être particulièrement dense et surtout constituée de brigades puissantes. Dans le secteur qui nous intéresse ici, face à la 58e armée russe on trouve six brigades ukrainiennes de Kamianske sur le Dniepr à Houliapole au nord de Polohy. C’est sans doute trop peu, mais l’arrivée soudaine de nouvelles brigades serait évidemment suspecte, à moins là encore que des renforcements interviennent aussi simultanément dans d’autres secteurs et notamment face à la province de Louhansk, l’autre secteur d’attaque probable. Huit brigades constitueraient une densité un peu plus appropriée.
Le plus important est que ces brigades soient suffisamment fortes pour avancer chacune de cinq kilomètres en profondeur dans une défense dense et sur une dizaine de kilomètres de large. On notera que sur les six brigades actuellement en place, on trouve deux brigades territoriales et une brigade de garde nationale, par principe destinées à défendre un secteur plutôt qu’à l’attaquer. Elles devraient être remplacées par des brigades de manœuvre, pas forcément parmi celles nouvelles formées, mais peut-être parmi les plus expérimentées et solides à condition de les avoir mis au repos après le retrait du Donbass. À défaut, on peut peut-être utiliser les brigades territoriales et de garde nationale comme masques, en les renforçant considérablement. Dans tous les cas de figure ces brigades d’assaut doivent être à effectif organique à peu près complet, mais également très renforcées afin d’être capables chacune de battre un régiment russe fortifié. Il leur faut absolument un bataillon de génie au lieu d’une compagnie et sans doute un deuxième bataillon d’artillerie ainsi qu’un bataillon d’infanterie mécanisée. Il serait bon afin d’organiser le combat très complexe qui s’annoncent que ces brigades d’assaut soient regroupées et commandées par des états-majors de divisions, ou corps d’armée, face à chacun des trois axes principaux de l’offensive : le long du Dniepr, au centre en direction de Tokmat et contre Polohy.
Le combat de ces brigades d’assaut consistera à combiner l’action de leur artillerie organique et de leur petite flotte de drones avec celle des bataillons d’assaut, mélange de génie pour franchir les obstacles, d’infanterie mécanisée lourdement blindée et équipée d’armes collectives dont peut-être des mortiers, pour protéger, reconnaître et occuper, et de chars servant de canons d’assaut. Chaque bataillon agit normalement dans une boîte de quelques centaines de mètres de large. Le schéma d’action classique y est le suivant :
1 Frappes d’artillerie sur les premières lignes ennemies afin de neutraliser les défenseurs et de détruire quelques obstacles.
2 Report des frappes d’artillerie au-delà de la boîte pour la fermer à toute intrusion ennemie à l’arrière. Pour appuyer les unités d’assaut dans la boîte, on s’appuie alors sur les tirs directs de canons et surtout de mitrailleuses lourdes placés sur les côtés du bataillon d’assaut. Au fur et à mesure de la progression de ce dernier, ces tirs directs s’écartent et finissent par cloisonner la boîte sur les côtés. Les tirs indirects en revanche, mortiers et parfois mitrailleuses en tir courbe, sont permanents devant les troupes d’assaut.
3 Les unités d’assaut avancent, peut-être précédées de drones harceleurs qui renseignent et frappent quelques dizaines ou centaines de mètres devant eux. La progression s’effectue fondamentalement au rythme des sapeurs qui ouvrent des passages dans les mines ou mettent en place des ponts. Les groupes de fantassins, où prédominent les mitrailleuses et les lance-roquettes antichars, protègent les sapeurs en saturant les défenses, et exploitent les petites brèches qu’ils effectuent. Le combat se fait autant que possible en véhicules très blindés et à pied lorsque que les véhicules ne peuvent passer.
Une progression de 100 mètres ou plus par heure dans une position fortifiée sera considérée comme fulgurante. Tout dépend en réalité de la valeur de la résistance. Celle-ci peut s’effondrer tout de suite, et les défenseurs s’enfuir comme cela s’est parfois vu lors de l’offensive de Kharkiv ou autour de la tête de pont de Kherson. Mais ils peuvent aussi résister, et s’ils résistent (en clair s’ils peuvent tirer avec des armes collectives sans être neutralisés) la progression est tout de suite beaucoup plus lente. Comme tout cela est un peu aléatoire, il faut s’attendre à la formation d’une ligne discontinue avec aucune avancée à certains endroits et des poches par ailleurs. Tout l’art consiste alors à manœuvrer non plus seulement axialement, mais également latéralement afin de menacer l’arrière des poches ennemies. La menace suffit généralement à les faire céder (à condition qu’ils sachent qu’ils sont menacés) mais cette manœuvre demande énormément de coordination ne serait-ce que pour éviter les tirs fratricides. Tout le combat de positions d’une manière générale demande énormément de compétences tactiques et de solidité au feu, ce qui ne s’acquiert que par l’expérience et un entraînement intensif, notamment sur des positions retranchées reconstituées à l’arrière. Les Ukrainiens disposent-ils de cette masse critique de compétences ? C’est la condition première de la réussite. On progresse ainsi jusqu’à obtenir des brèches dans la première position ennemie et si on a encore assez de forces jusqu’à la conquête de la deuxième position.
En avant
Dès qu’il y a la possibilité de progresser de quelques kilomètres, il faut foncer. C’est là qu’intervient la force d’exploitation, moins puissante que la force d’assaut mais plus mobile. Elle n’est pas nécessairement juste derrière la force d’assaut le jour J mais doit être capable de la rejoindre en quelques heures, comme la 1ère brigade blindée par exemple qui se trouve au nord de Hulvaipole ou les brigades mécanisées proches ou dans la grande ville de Zaporijjia. Il faut compter pour avoir une chance d’obtenir des résultats importants, au moins huit autres brigades, qui viendraient se raccrocher au dernier moment aux trois corps d’armée en ligne.
La mission de la force d’exploitation est de pousser le plus loin possible jusqu’à ne plus pouvoir avancer face à une nouvelle ligne de défense ou rencontrer les réserves ennemies, ce qui donne lieu à des combats dits « de rencontre ». Une première difficulté consiste déjà à franchir la première position ennemie conquise par la force d’assaut. On peut passer à travers cette dernière, mais c’est une manœuvre là encore très délicate ou exploiter un trou dans le dispositif pour « rayonner » ensuite sur tous les axes, avec des forces légères très rapides en tête pour renseigner et des bataillons de reconnaissance pour vaincre les résistances les plus légères. Derrière suivent les bataillons blindés-mécanisés, mélanges systématiques de compagnies de chars et d’infanterie.
Et là c’est la grande incertitude. Les combats aux deux extrémités à Vassylivka et à Polohy peuvent virer au combat urbain, très rapide ou au contraire très lent en fonction de la décision de résister ou non des Russes. Ce sont, surtout le premier, des points clés essentiels qui conditionnent beaucoup la suite des évènements. Les Russes devraient donc essayer de les tenir, mais on a vu dans le passé qu’ils hésitaient devant une défense urbaine qui pourrait se révéler être un piège. On ne sait pas trop qu’elle sera leur attitude. En revanche dans la grande plaine du centre, on peut assister au nord de Tokmak à des combats mobiles entre la force d’exploitation ukrainienne et les brigades russes engagées en contre-attaque, le tout survolé par les drones et les obus guidés. Ce serait une première à cette échelle en Ukraine. On peut miser dans ce cas plutôt sur une victoire des Ukrainiens, plus aptes, semble-t-il, à ce type de combat. Mais les Russes peuvent se contenter aussi de défendre sur une nouvelle ligne en faisant appel à tout leurs renforts. On assistera donc comme dans le cas de l’offensive à Kharkiv en septembre, à une course entre l’avancée ukrainienne et la formation de cette nouvelle ligne de défense.
A moins d’un effondrement de l’armée russe, qu’on pronostique régulièrement mais qui ne vient jamais, cette nouvelle ligne surviendra forcément. Si les Ukrainiens s’emparent de Vassylivka, Tokmat et Polohy, poussent peut-être jusqu’à Enerhodar et sa centrale nucléaire, puis s’arrêtent devant la résistance russe, cela sera considéré comme une victoire, mais loin d’être décisive. S’ils parviennent jusqu’à Mélitopol, ce sera une victoire majeure, mais là encore les Ukrainiens seront encore loin de leur objectif stratégique actuel de reconquête de tous les territoires occupés. Pour avoir un véritable effet stratégique, il faudra monter une nouvelle grande offensive, vers Berdiansk et Marioupol ? Vers la province de Kherson et la limite de la Crimée ? Dans une autre région ? Cela prendra encore beaucoup de temps à organiser, à condition que tout le potentiel offensif et notamment en munitions n’ait pas déjà été consommé. On pourrait cependant atteindre à nouveau les limites du début de la guerre. Comme pendant la guerre de Corée, cela pourrait servir de base à un armistice.
Trois scénarii possibles pour une contre-offensive ukrainienne
Avec SIGNAL, la Marine nationale se dote d’une stratégie de supériorité informationnelle pour la guerre navale
Avec SIGNAL, la Marine nationale se dote d’une stratégie de supériorité informationnelle pour la guerre navale
« Il y a trois ou quatre ans, avec l’arrivée des premiers bateaux numériques, nous avons eu l’intuition que la donnée en mer deviendrait un sujet majeur. Le Centre de services de la donnée Marine [CSD-M] s’est développé à la manière d’une start-up : nous travaillons avec des industriels, nous collectons les données des systèmes de combat, nous avons nos premiers data lakes et nous produisons des cas d’usage », a par ailleurs expliqué l’amiral Vandier aux députés.
Dans le même temps, la généralisation des technologies liées au numérique fait de l’espace informationnel un champ de conflictualité et de manœuvre à part entière. « Ce bouleversement technologique s’est traduit par un accroissement de la place des systèmes numériques pour l’appréciation de l’espace maritime, comme pour la conduite des opérations », résume la Marine nationale. En outre, si la supériorité technologie est une condition nécessaire pour espérer faire la différence au combat, elle peut ne pas être suffisante.
« La relation entre tactique navale et technologie est aussi cruciale qu’elle est précaire et instable : la technologie ne peut pas se départir de la tactique sans laquelle elle erre sans but, tandis que la tactique doit s’alimenter en permanence aux sources de la technique, au risque de devenir sclérosée. Il en résulte une relation d’interdépendance mutuelle, que le tacticien a tout intérêt d’équilibrer », expliquent le capitaine de vaisseau Thibault Lavernhe et le capitaine de frégate François-Olivier Corman, dans leur livre « Vaincre en mer au XXIe siècle« .
D’où la stratégie de Supériorité Informationnelle pour la Guerre Navale [SIGNAL] que vient de dévoiler la Marine nationale, à Toulon.
« Dans le combat naval, l’avance technologique ne se traduit pas mécaniquement par un avantage tactique décisif. La profusion d’informations induit également des risques spécifiques pour les unités opérationnelles ou les structures de commandement. Ainsi pour intégrer efficacement les disruptions du numérique […], il convient de les équilibrer avec les besoins de résilience, d’autonomie et d’évolutivité propres aux plateformes navales », fait valoir la Marine nationale.
Cependant, celle-ci n’est pas entrée dans les détails de cette « stratégie de supériorité informationnelle », si ce n’est qu’elle se décline selon six axes.
Ainsi, le premier vise à « diversifier les sources de captation de données », en s’appuyant sur les possibilités offertes par le New Space [le secteur spatial privé, ndlr]. Ensuite, il s’agira d’augmenter les « capacités de connectivité, sans renoncer à leur résilience » tout en optimisant la fusion des « informations tactiques en temps réel » [ce qui fait penser à la « liaison des armes sur mer » de l’amiral Raoul Castex].
Et cela va de pair avec la valorisation des données embarquées afin de « renforcer la compréhension des situations et l’aide à la décision » ainsi qu’avec une circulation de l’information à la fois plus rapide et plus fluide en matière de commandement et de contrôle [C2]. Enfin, il est question d’ouvrir de « nouvelles capacités tactiques dans les domaines de lutte ».
Ce dernier point est crucial car, comme le soulignent le capitaine de vaisseau Thibault Lavernhe et le capitaine de frégate François-Olivier Corman, le « rôle du tacticien ne s’arrête pas à connaître ses armes et à chercher à les améliorer sans cesse, mais consiste aussi et surtout à rechercher la cohérence entre les tactiques qu’il compte mettre en œuvre et les équipements dont il dispose ou ceux dont il s’apprête à disposer ».
Loi de programmation militaire : vers une nouvelle réalité de la guerre pour la défense française ?
Loi de programmation militaire : vers une nouvelle réalité de la guerre pour la défense française ?
Depuis le début de la guerre en Ukraine, plusieurs États européens ont réagi en allouant des budgets supplémentaires à leurs armées avec différents objectifs. C’est le cas de la France qui, à travers sa nouvelle loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, entend s’attacher à de nouvelles ambitions militaires, ou tout du moins réajuster les précédentes.
Cette réforme est-elle l’incarnation d’une nouvelle stratégie d’action pour les armées françaises, ou ne s’agit-il que d’un mouvement logique au vu de la situation internationale ?
De nouveaux contextes de guerre
Dans la nouvelle loi de programmation militaire, trois éléments importants sont à noter : le maintien de la dissuasion nucléaire comme « le cœur de notre défense en protégeant la France », le pari sur les technologies futures (comme « le domaine du spatial, du cyber, des drones, du quantique ou de l’intelligence artificielle ») et « notre capacité à faire face à un engagement majeur et à des affrontements de haute intensité ». Il existe bien sûr d’autres points importants, par exemple la question des guerres hybrides, qui associent des opérations militaires conventionnelles (forces armées, cyberguerre) et non conventionnelles (désinformation, attentats).
On pourrait se dire que le fait de conserver la dissuasion nucléaire comme le centre de la stratégie militaire de la France n’entraîne pas un changement de paradigme. Cependant, si nous pouvions espérer que l’arme nucléaire empêche les conflits (du moins avec les nations qui en possèdent), l’histoire a su montrer le contraire. Ainsi, les États-Unis ont par exemple refusé d’utiliser la bombe atomique contre la Corée du Nord en 195. Pour comprendre cela, il faut revenir à une vision clausewitzienne(issu de Claustwitz, penseur militaire prussien du XIXe siècle, dont les travaux sont toujours hautement considérés de nos jours.
La guerre n’est pas un simple déchaînement de violence entre deux entités, elle répond en réalité à des strates de violences, qui peuvent s’escalader, se figer, ou se désescalader. L’on peut ainsi mentionner des guerres régionales (Haut-Karabagh), de guerres totales (première Guerre mondiale), de guerres d’extermination (seconde Guerre mondiale, sur certains théâtres d’opérations).
L’arme nucléaire apporte désormais une nouvelle strate de violence : la guerre nucléaire. Ainsi, deux nations peuvent s’affronter ouvertement sans qu’aucun des camps ne veuille escalader le conflit jusqu’à ce stade. C’est notamment le cas actuellement de la guerre en Ukraine. Bien que cette dernière n’en possède pas, la Russie, elle, menace régulièrement d’en faire usage. Les forces de l’OTAN, bien qu’elles ne participent pas activement au conflit, ont toutefois prévenu la Russie qu’elles interviendraient militairement si cette dernière venait à franchir le seuil nucléaire.Pour l’heure, la Russie n’a pas fait usage de ces armes, n’entraînant donc pas une guerre nucléaire, alors qu’elle en a la capacité.
De nouvelles technologies
Les investissements dans de nouvelles technologies et la préparation vers des conflits de haute intensité constitueraient un changement de paradigme pour la France sur ses façons de faire la guerre, et contre qui elle les mène. Selon Michel Goya, ancien colonel de l’armée de Terre, historien et penseur militaire, après la fin de la guerre froide, l’armée française a dû composer avec de nouveaux types de conflits au travers des OPEX (Opérations Extérieures).
Le but de l’armée n’était donc plus un affrontement avec une grande puissance mais la lutte contre ce que l’on nommera des guérilleras et des techno-guérilleras, pour reprendre les termes du politologue belge Joseph Henrotin. Ce fait a certainement constitué un changement de paradigme pour les armées, tant cela a affecté leur culture et leur vision de la guerre.
Les nouveaux défis de la loi de programmation ne visent plus à répondre à ce genre de conflit, mais à de nouveau faire face à des ennemis d’une puissance symétrique. Les nouvelles technologies occupent une place importante dans l’appréhension de ces conflits futurs.
Même si l’on ne peut encore tirer trop de leçons de la guerre en Ukraine, les drones semblent avoir pris une place importante dans les combats. La place nouvelle de ces engins n’est pas sans rappeler les travaux du philosophe Grégoire Chamayou, et les lourdes conséquences militaires et éthiques de leur emploi. D’autre part, certaines entités comme la société américaine Palantir, spécialisée dans la conception de logiciels de traitement de données au service de forces de police ou de renseignement, qui commencent à tester des IA (intelligence artificielle) capables de participer et d’aider aux décisions militaires. L’avenir nous dira si les réseaux d’informations, couplé aux IA et aux robots, formeront la base des armées futures, et ouvriront la voie sur de nouvelles manières de faire la guerre.
Vers une nouvelle réalité de la guerre ou une simple continuité de l’histoire ?
Pour l’heure, ces avancées technologiques sont encore très restreintes et ne s’ancrent que très partiellement dans les programmes de modernisation – comme le programme Scorpion, fer de lance de la modernisation des systèmes de communication de l’Armée de Terre.
Il faudra également voir quels dispositifs seront déployés pour les contrer (il existe déjà des systèmes de défense anti-drone comme le HELMA-P, capable de neutraliser un drone léger jusqu’à 1 kilomètre par un système laser. La guerre est toujours affaire d’adaptation et de riposte face aux nouvelles armes et méthodes de son adversaire (char/anti-char, mines/détecteur de mines, guerre sous-marine/guerre anti-sous-marine), et nous voyons peut-être dans ces nouveaux dispositifs ce même principe de riposte à une menace nouvelle.
Le fait d’investir ainsi dans ses armées pourrait être le signe d’une nation en guerre, ou d’une nation qui s’apprête à l’être. La question des évolutions budgétaires entre période de paix et de conflit a été étudié et conceptualisé sous le terme de « pause stratégique ».
Développée par Michel Goya, la pause stratégique théorise que la puissance militaire des États chute fortement dans les périodes de paix, et surtout d’après-guerre. L’idée étant que la nation n’a plus besoin de conserver une grande armée, et doit juste veiller à maintenir une capacité de mobilisation. Ainsi, entre chaque guerre, les dépenses militaires diminuent avant de remonter pour le prochain conflit. Pour un exemple, durant la Première Guerre mondiale, on estime qu’entre 15 % à 25 % de la richesse de la France est injectée dans les armées. Ce nombre tombe à 9 % à 1920, puis à 3,2 % en 1930, avant de remonter à 8,5 % en 1938.
Il est cependant faux de dire que la France a été en paix après la chute de l’URSS. Au contraire, nous nous sommes engagés dans de nombreuses opérations extérieures de maintien de la paix. Ces missions ont consisté à faire intervenir nos forces armées comme des forces de police dans des régions en crise dont nous n’étions pas les protagonistes.
Malgré cela, nous pouvons bien constater une diminution des budgets alloués aux armées après la chute de l’URSS (3 % du PIB en 1988 contre 2 % en 2001). L’objectif annoncé de la réforme n’est pour l’instant que de revenir à la barre des 2 %.
La nouvelle loi de programmation militaire est-elle un indice sur le fait que nous sommes en train de sortir d’une pause stratégique ?
Plus qu’une nouvelle réalité de la guerre, qui serait faite par les drones et pilotée par des intelligences artificielles ; nous pourrions voir dans le réarmement de nombreux États du monde la fin d’une période de paix, et craindre le retour davantage de conflits ouverts. En parallèle de la guerre en Ukraine, beaucoup de regards inquiets se tournent vers Taïwan et les intentions affichées de la Chine de s’en emparer. Le Moyen-Orient semble également engagé dans une course à l’armement depuis quelques années sous fond de tensions diplomatiques.
Nous pourrions aussi penser que cette période de tension est passagère, ou que l’idéologie pacifique développée en Europe après les deux guerres mondiales nous protégera de tout conflit externe de grande envergure. Quelle que soit notre position, l’avenir nous apportera nos réponses, là où la nouvelle loi de programmation militaire se veut une garante de « notre autonomie stratégique ».
Un ours et un renard sont dans un livre
Un ours et un renard sont dans un livre
par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 31 mai 2023
https://lavoiedelepee.blogspot.com/
Après quelque temps préoccupé par d’autres affaires me voici de retour sur La voie de l’épée. Avant de revenir très vite sur la situation guerrière quelque part dans le monde, et plus particulièrement en Ukraine, commençons par un peu d’auto-promotion.
L’ours et le renard est née d’une idée de Jean Lopez, qui après le succès de La conduite de la guerre écrit avec Benoist Bihan, m’a proposé en septembre dernier d’utiliser la formule du dialogue pour parler du conflit ukrainien. Comment refuser ? J’étais un fan du « Rendez-vous avec X » de France Inter et je trouvais que cette manière de procéder était finalement à la fois la plus didactique qui soit et la plus agréable à lire alors que l’on parle de choses somme toutes complexes. Après avoir songé à compiler les articles de ce blog consacré à la guerre en Ukraine, à la manière d’Olivier Kempf et de ses chroniques hebdomadaires, c’était sans doute aussi la seule manière possible d’écrire un essai un peu complet sur un sujet aussi vaste en aussi peu de temps.
Nous avons donc commencé aussitôt un jeu de questions-réponses quasi quotidien pour accoucher d’une histoire, car les historiens, comme leur nom l’indique, sont d’abord des gens qui racontent des histoires. Et en bons historiens, nous avons commencé par le début et finit par la fin selon le bon conseil que l’on trouve dans Alice au pays des merveilles. Bien entendu, comme l’écriture du manuscrit a commencé en septembre, il a fallu faire un premier bond dans le temps pour expliquer les racines politiques longues du conflit jusqu’à la guerre de 2014-2015, que l’on peut considérer aussi comme la première phase de la guerre russo-ukrainienne. Cela a été alors l’occasion d’entrer en peu dans la machinerie militaire tactique (la manière de mener les combats) et opérationnelle (la manière de combiner une série de combats pour approcher de l’objectif stratégique). Il a fallu décrire ensuite les évolutions militaires entre 2015 et 2022, jusqu’à la position et la forme des « pièces au départ du coup » en février 2022. Je mesurais une nouvelle fois à cette occasion qu’à condition d’avoir un peu plus travaillé cette période au préalable, il aurait été possible de moins se tromper sur les débuts du conflit.
L’Histoire immédiate ne commence en fait qu’à la page 125 et au passage « Histoire immédiate » n’est pas un oxymore. Il s’est bien agi à ce moment-là d’analyser des faits récents avec suffisamment de sources et d’informations disponibles (le militaire parlera plutôt de « renseignements ») pour faire une analyse approfondie en cours d’action. Il aurait été impossible pour un historien de faire un tel travail il y a quelques dizaines d’années par manque justement d’informations disponibles. Maintenant c’est possible et il faut comprendre « Histoire immédiate » comme Histoire comme pouvant se faire avec des sources immédiatement disponibles. Comme avec Le Logrus du cycle des Princes d’Ambre chacun peut faire venir à soi de l’information en masse pour simplement se renseigner sur quelque chose, sélectionner ce qui corrobore nos opinions pour les militants et enfin faire un travail scientifique pour ceux qui ont le temps, l’envie et la méthode,
Pour ma part, j’ai commencé à faire de l’analyse de conflits – de la guerre du feu à la guerre en Ukraine – en 2004 en étant doctorant en Histoire et après été breveté de l’École de guerre, car au passage le militaire n’est pas seulement un spécialiste du combat comme j’ai pu le lire, mais aussi un spécialiste des opérations, et doit être capable aussi de réflexion stratégique, même s’il n’en a pas le monopole évidemment. Ce n’est pas une certitude d’infaillibilité, mais simplement une assurance pour que – si possible – les prévisions tombent juste à 70 %. Les vatniks (ceux qui gobent la propagande du Kremlin depuis l’Union soviétique) s’acharneront évidemment comme des piranhas sur les 30 % restants. Si l’un d’entre eux fait l’effort de lire L’ours et le renard, ce qui est peu probable, il pourra collecter des éléments (quitte à les déformer un peu ou simplement les décontextualiser) susceptibles de nourrir les autres.
Avoir pris le temps d’analyser les choses par écrit régulièrement sur ce blog m’a permis de répondre aux questions et aux commentaires de Jean à temps. Cela m’a permis aussi de m’auto-analyser rétrospectivement, un exercice toujours salutaire, et de voir si je m’approchais de la norme de 70 %. Quand ce n’était pas le cas, je me suis efforcé de rester dans l’esprit du moment pour comprendre il y avait eu erreur. A cet égard, l’intérêt d’un blog réside aussi dans les commentaires et que s’il ne m’est pas possible de les lire tous et encore moins d’y répondre, constitue quand même une source inestimable d’informations brutes ou simplement de ressentis, ce qui constitue aussi des informations. Il appartiendra aux historiens du futur, peut-être Jean et moi d’ailleurs, de compléter et de corriger cette histoire immédiate grâce à l’accès à d’autres sources, ou simplement en allant sur le terrain des combats.
Entre temps, la forme de cette guerre scandée en périodes assez différenciées de quelques semaines à quelques mois a permis de chapitrer assez facilement le livre : blitzkrieg, première offensive du Donbass, contre-offensive ukrainienne, seconde offensive du Donbass. La seule (petite) difficulté comme souvent aura été de concilier la description d’opérations séquentielles au sol et celle des opérations pointillistes et quasi permanentes dans les espaces dits « communs ». On a résolu le problème comme d’habitude en insérant un chapitre spécifique entre deux chapitres d’opérations terrestres.
Si le point de départ était à peu près clair, il a fallu déterminer ensuite où s’arrête ce qui suffit selon un vieux précepte bouddhiste. Cette fin nous l’avons finalement fixé au 6 avril 2023, avec évidemment le risque d’un décalage avec les évènements au moment de la publication le 25 mai. Le hasard des guerres a fait que finalement le livre ne se trouve pas dépassé dès sa sortie. Si le livre rencontre un public, et il semble que ce soit le cas, il y aura forcément un numéro deux. Nous sommes donc preneurs de remarques et corrections qui permettront de faire mieux la prochaine fois.
Dernier point : en voyant le titre proposé, je me suis immédiatement demandé qui était l’ours et qui était le renard entre Jean Lopez et moi. J’endosse volontiers le rôle de l’ours.