Invasion de l’Ukraine par la Russie : « c’est quoi, gagner la guerre » ? 1/2 – une Russie en déroute et déroutante

Invasion de l’Ukraine par la Russie : « c’est quoi, gagner la guerre » ? 1/2 – une Russie en déroute et déroutante

par Stéphane Audrand – Theatrum Belli – publié le

 

Huit mois après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la situation militaire s’est profondément modifiée. Déjouant les analyses, le conflit a évolué d’une façon inattendue. La Russie, qu’on pensait colosse militaire et nain économique, a tout raté militairement mais tient encore bon économiquement. On parle maintenant de la possibilité d’une victoire ukrainienne en lien avec la contre offensive en cours… Mais que signifierait vraiment « gagner » cette guerre ? Comment obtenir la victoire ?

S’il ne fait guère de doute que l’armée russe est aujourd’hui incapable de remporter la décision, notamment parce qu’elle a usé ses forces vives et ne sait plus apprendre à s’adapter, au contraire de son adversaire, est-ce suffisant pour que la Russie « perde » la guerre ? Et quelle forme pourrait prendre une victoire ukrainienne ? Quels sont les espoirs de terminer le conflit et quels sont les risques d’un retournement de la situation au profit de la Russie ? 

Au cours de deux articles, je vous propose un point sur l’évolution de ce conflit hors normes, pour mettre en perspective la défaite militaire russe et son relatif succès dans la résistance de court terme aux sanctions internationales. Cet état des lieux permettra dans un second temps de nous pencher sur l’Ukraine, là encore sur ses succès mais aussi ses fragilités, pour tenter de répondre à la question « c’est quoi, gagner la guerre ? »

 

Une guerre qui a déjoué les pronostics – un échec russe militaire indiscutable.

Tout comme l’attaque russe du 24 février 2022 a pris, par son ampleur, la plupart des analystes par surprise (moi y compris), les anticipations du début de l’invasion ont également été vite déjouées. D’emblée, il semblait impossible d’arrêter l’armée russe avant le Dniepr. S’il était évident que la Russie n’avait pas aligné les effectifs nécessaires pour s’emparer de villes comme Kyiv par la force, il semblait peu probable que l’armée ukrainienne puisse arrêter l’invasion ou échapper à la destruction et on était probablement voués à voir le pays rapidement ravagé, occupé, et ses grandes villes bombardées sans merci. Le plan russe avait d’ailleurs été dans les grandes lignes correctement anticipé par des rapports du RAND ou du CIS.

 

Scénario d’invasion prévu par le CIS et positions russes au 25 février identifiées par l’ISW

Après les réformes tant vantées de l’appareil militaire russe et mises en œuvre en Syrie, on attendait un haut niveau de coordination interarmes qui n’a pas vraiment existé. Sur le champ de bataille, l’insuffisance des effectifs d’infanterie, les lacunes de la logistique, le manque d’initiative des échelons inférieurs, la division du commandement de théâtre, la mauvaise gestion de la campagne aérienne, la désorganisation des unités du fait du refus d’engager le contingent, l’usure des troupes par trois mois de déploiement en plein hiver ont (entre autres problèmes) considérablement pénalisé une opération d’invasion qui ne disait pas son nom et qui, de fait, n’avait que la capacité d’occuper sans trop de combats un pays considéré comme artificiel, de briser un Etat considéré comme fantoche et de désarticuler un appareil militaire considéré comme corrompu et non combatif. A la sous-estimation colossale de l’adversaire s’est ajoutée une surestimation de ses propres capacités, mais aussi un gaspillage de certaines capacités par un mauvais emploi.

La Russie pouvait difficilement faire pire dans le nord et l’est de l’Ukraine. La phase initiale, illustrant avec succès la théorie française de la « non bataille », a été un bain de sang pour l’armée russe qui aurait du conduire, au bout de quelques jours, à un arrêt des opérations pour réévaluation du plan global. Il n’en a rien été et l’entêtement dans l’erreur est devenu la marque de fabrique de l’armée russe depuis le 24 février, qui semble ne savoir renoncer que trop tard.

Si la Russie a peu a peu dû adapter la mission à la force faute de savoir faire l’inverse en se concentrant sur le Donbass, cela n’a pas remis en cause l’acharnement militaire suicidaire, qui a consisté à prendre quelques grandes villes par le feu, sacrifiant dans des combats couteux des unités de valeur et usant le potentiel de l’armée russe jusqu’à la corde sans jamais prendre le temps de régénérer ses troupes. Un grand classique des dictatures qui voient partout la bataille décisive, le « dernier combat », le besoin de « sacrifice ultime », pour un rendement militaire très médiocre et des violations systématiques du droit international humanitaire.

L’invasion russe est tout de même parvenue, surtout dans le sud, à se saisir d’une large portion du territoire ukrainien tout en coupant le pays de l’accès à la mer par un blocus de facto. Et partout, le pays a été bombardé, même si la campagne aérienne russe a été déroutante par son irrégularité et ses revirements. L’impact de cette invasion et des destructions matérielles ne doit cependant pas être sous-estimé. L’Ukraine est aujourd’hui un pays affaibli, amputé d’une grande partie de sa population, de ses ressources et de ses capacités de production, et qui tient grâce à un soutien occidental pour l’heure sans faille, autre grande et désagréable surprise de cette invasion pour Vladimir Poutine.

 

Une résistance économique russe aux sanctions (pour l’heure) tout aussi indiscutable

Or l’aide occidentale n’était pas initialement envisagée comme décisive sur le plan militaire. Ayant refusé — pour ne pas provoquer la Russie — de livrer depuis 2014 du matériel lourd à l’Ukraine, les Occidentaux pensaient que le conflit serait trop bref pour qu’il soit utile de livrer autre chose que des armes légères et des missiles portatifs ainsi que des armes datant de l’ère soviétique, que les Ukrainiens savaient immédiatement utiliser. Les menaces de Moscou faisaient en outre hésiter à livrer des armes plus lourdes. Le grand espoir de l’Occident pour faire cesser l’invasion russe rapidement était de prendre des sanctions économiques « immédiates et massives », menace brandie par Joe Biden avant l’invasion et toujours réitérée, notamment lors des pseudo-référendums d’annexion. Or, force est de constater que, là encore, les pronostics initiaux ont aussi été déjoués. D’abord parce que les sanctions sont lentes à mettre en application, ensuite parce qu’elles ont été au final partielles et incomplètes, et, surtout, parce qu’elles se sont en partie trompées de cibles.

Les conséquences ont été qu’aux échecs militaires imprévus ont répondu une résistance économique tout aussi imprévue. Alors que le monde occidental promettait et espérait un effondrement rapide de l’économie russe du fait des sanctions, la capacité de Moscou à encaisser les restrictions économiques a, pour l’heure, répondu à l’incapacité militaire du pays à triompher d’un adversaire à priori plus faible militairement. Par le biais d’une politique monétaire assez adroite, la Russie a empêché l’effondrement de son système bancaire. Les réserves de change diversifiées, et l’aide opportune de pays refusant les sanctions occidentales (Chine, Turquie, Inde en particulier) ont assuré à Moscou une capacité à faire « tourner » son économie. La carte MIR a permis sur le plan intérieur de se passer des cartes Visa et Mastercard et il a fallu de nombreux mois avant de convaincre enfin un certain nombre de pays limitrophes de ne plus les accepter (Arménie, Vietnam, Kazakhstan, Turquie, Ouzbékistan).

Evolution du commerce international russe depuis le début de l’invasion (New York Times du 30 octobre 2022)

S’il est certain que, sur le long terme, l’Europe va s’éloigner durablement de la Russie sur le plan économique et que cela nuira à l’économie russe, il semble encore trop tôt pour dire si cela sera source d’un affaiblissement critique du régime de Vladimir Poutine. En tous cas, pour l’heure, l’objectif des sanctions massives et immédiates n’a pas été atteint : la population russe n’est pas descendue dans les rues pour chasser le maître du Kremlin et l’invasion n’a pas été stoppée par hypoxie économique.

De même que la Russie a accumulé les erreurs militaires et mal estimé la résistance de son adversaire ukrainien, les Occidentaux ont sans doute utilisé un mauvais prisme d’analyse face à la Russie pour l’application des sanctions. Il a été cherché la détérioration d’indicateurs considérés en zone OCDE comme cruciaux pour la santé d’une économie moderne tertiarisée : la consommation des ménages, l’inflation, la croissance du PIB, la production automobile… On a oublié sans doute que, sur le plan historique, ces indicateurs ne sont pas constitutifs d’une capacité à faire tourner une économie de guerre. Pour alimenter un effort de guerre, il faut une production industrielle importante, un accès aux matières premières, un système de transport qui fonctionne, une main d’œuvre ouvrière abondante, des sources d’énergie amples et peu couteuses et une capacité à piloter la masse monétaire pour éviter les phénomènes de surinflation. Autant de facteurs que la Russie maintient pour l’heure à un niveau suffisant non pas pour le maintien de son PIB, mais pour la continuation de son effort de guerre. N’en déplaise à nos ministres de l’économie européens, la production d’acier et les usines chimiques comptent d’avantage pour produire des obus que le nombre de startups ou de fintechs. Quant au maintien d’une consommation croissante de la part des ménages dans l’économie, il n’est crucial que dans les systèmes occidentaux dépourvus de ressources primaires et désindustrialisés, qui reposent sur des transferts massifs de flux économiques via la TVA d’une part et sur l’accès abondant à des biens de consommation pour garantir la paix sociale d’autre part, et ce dans un contexte de fort endettement public. C’est ce qui explique, entre autre, l’incapacité des pays européens à envisager sérieusement un rationnement, notamment des carburants.

Mais l’histoire de la Russie a montré, depuis 1991 et même avant, que la population ne se révolte pas à cause d’un recul de quelques pourcents de la consommation ou du PIB. L’inflation en 2014 était plus forte et le régime n’a pas vacillé. Il en faudra sans doute bien d’avantage pour déstabiliser un pouvoir qui, en outre,  a une forte capacité de contrôle social, via des médias soumis et des forces de sécurité omniprésentes et qui trouve des solutions de contournement et des soutiens hors de l’Occident. Aujourd’hui, le principal frein à la production industrielle russe reste interne, mélange de corruption et d’inefficience. Les sanctions l’aggravent, mais pas au point de tout bloquer.

Même les sanctions contre les oligarques, vantées par les opposants aux sanctions globales, ont vite montré leurs limites. Dans ce domaine comme d’autres, les sanctions montant « à petit feux » depuis 2014 ont encouragé les Russes à trouver des canaux alternatifs et jouer sur les zones grises. Pour l’heure, l’oligarchie russe n’a pas été ruinée, mais se trouve relativement coupée de l’Occident et se tourne vers l’Asie. Une vague « d’accidents » (la « défenestroïka ») a en outre bien signalé aux plus critiques qu’on attendait d’eux un silence loyal. Stigmatiser les oligarques et les traiter comme des criminels est sans doute moralement et juridiquement juste. Mais cela n’a aucune chance de les retourner contre un régime qui est maintenant la seule garantie de survie de leur fortune.

Enfin, on a sans doute mal évalué les vulnérabilités de l’industrie de défense russe à court terme. L’idée qu’en privant son industrie de composants électroniques on allait paralyser son effort de guerre s’est heurtée à deux problèmes : la substitution et les stocks. D’une part, la dépendance à des composants ultramodernes occidentaux est plus limitée qu’espérée. Oui, les systèmes russes emportent massivement des composants issus de fabricants occidentaux. Mais il s’agit le plus souvent de composants anciens, de modèles courants, dont on peut trouver facilement les équivalents en Chine. Ainsi, les rapports du RUSI et de CAR sur les composants des missiles, drones et autres systèmes russes démontés en Ukraine montrent que dans bien des cas la substitution ne serait pas insurmontable. Pour l’heure, si la Chine a refusé tout soutien militaire direct à la Russie, le commerce continue et la valeur des échanges en augmentation montre que la Chine prend, avec l’assentiment de Moscou, les places laissées par les Occidentaux dans de nombreux secteurs industriels. Les constructeurs automobiles et les fabricants d’appareils électroniques chinois remplacent leurs homologues occidentaux. Il en est certainement de même dans l’industrie de l’armement, via la fourniture de composants civils courants à double usage.

Si Taiwan a bien le monopole des puces les plus avancées, elles ne sont pas nécessaires dans les systèmes militaires. On a beaucoup raillé le fait que les Russes utilisent maintenant « des composants de machine à laver dans leurs missiles ». C’est méconnaitre les systèmes militaires et l’ouverture d’un missile occidental de même génération que le 3M-14E Kalibr ou le 9K720 Iskander montrerait sans doute qu’ils contiennent des puces assez similaires. Sans doute plus spécialisées, d’une architecture moins ouverte, mais pas beaucoup plus puissantes ou modernes : un missile n’a pas besoin d’une capacité de calcul équivalente à celle de votre smartphone. Le plus souvent, le processeur attend que la servocommande agisse, ce qui laisse le temps de calculer de nouveaux paramètres. Ce qu’il faut aux systèmes militaires, c’est une électronique rustique, capable de supporter vibrations, changements de température et de pression, perturbations électromagnétiques et humidité. Autant de caractéristiques qui se trouvent dans votre machine à laver plutôt que dans votre tablette tactile. La question n’est donc pas « est-ce que la Russie peut parvenir à substituer à terme les importations de technologies occidentales », mais « combien de temps cela prendra-il ? » et « le pays sera-t-il à court de munitions avant d’y arriver ? ». Il n’est pas certain que la réponse soit favorable à l’Ukraine, vu l’usage massif des stocks de matériels anciens et l’achat de matériels en Iran.

Les amples stocks russes d’armes et de munitions sont l’autre grand amortisseur qui a donné à la Russie la capacité d’encaisser pertes militaires et arrêt des importations occidentales. Par exemple, l’utilisation pour frapper des objectifs au sol de missiles antinavire Kh-22 produits dans les années 1960 à l’époque pour la lutte antinavire à longue portée permet de préserver les stocks de missiles de croisière les plus modernes qui sont sans doute ceux que la Russie a un peu de mal à produire aujourd’hui (comme le Kalibr). Bien entendu, la précision est aléatoire, les interceptions fréquentes et les dégâts collatéraux immenses. Mais sur des infrastructures civiles, cela a un impact. Et des missiles de croisière plus précis comme le Kh-55 continuent de tomber en Ukraine, même s’ils ne sont plus produits, preuve que les stocks, s’ils sont sans doute maintenant bas, étaient bien plus élevés qu’espéré quand on parlait des premières pénuries de missiles, fin mars. De même, au sol, les stocks de chars, de canons et d’obus ont permis de faire face aux pertes matérielles colossales qu’a encaissé l’armée russe tout en soutenant les méthodes offensives brutales qui ont été de mise au Donbass et qui peuvent se résumer par « l’artillerie écrase, l’infanterie occupe ».

Face aux pertes blindées énormes — plus de 1 400 chars, le pays prévoit ainsi de revaloriser 800 chars T-62. Ce chiffre est à mettre en perspective avec la production annuelle avant guerre d’environ 175 chars neufs par an par l’unique usine d’Uralvagonzavod, fort gênée par les sanctions. Certes les productions neuves sont sans doute entravées du fait des sanctions, mais on voit que la revalorisation des stocks est bien plus rapide et significative pour l’effort de guerre que les productions neuves. Bien entendu, les T-62 sont très anciens, mais les équiper d’une nouvelle conduite de tir, de blindages réactifs et de caméras thermiques (composants pouvant sans doute être achetés en Chine ou en Inde) permettrait, en théorie, d’en faire des matériels encore utiles face aux T-64 et T-72 de l‘armée ukrainienne qui ne sont plus récents que d’une génération. A condition bien entendu que la corruption ne mine pas cet effort industriel (ce qui est souvent le cas) et que la Russie prenne le temps de former des équipages, ce qui ne semble pas le cas. A la préparation matérielle russe répond une impréparation humaine qui est aujourd’hui une des causes les plus saillantes de l’échec de Moscou : le pays a des stocks de vieux chars, aucun stock de vieux sergents, or c’est ce qui fait le plus défaut aux forces russes.

 

Des vulnérabilités économiques réelles mais complexes

Pourtant, les vulnérabilités économiques russes sont bien réelles, mais elles supposaient pour être attaquées à la fois une analyse plus technique et moins financière d’une part et d’autre part une volonté plus immédiate de frapper « là où ça fait mal », quitte à souffrir nous même. Ainsi, l’humble roulement à billes pour wagons de fret constitue sans doute une des plus grandes vulnérabilités actuelles. Produits seulement par quelques entreprises, suédoises ou américaines, ces roulements sont cruciaux et peu substituables. La Russie mettra des années à gérer le problème induit par l’arrêt de leur livraison. Le fait qu’ils n’aient été identifiés que tardivement dit certainement la perte de savoir faire en matière de logistique ferroviaire dans les armées occidentales. D’autres pièces critiques existent sans doute. Il ne s’agit pas d’ailleurs de prétendre que l’industrie de défense russe va « bien » et qu’elle pourrait aider à retourner la situation militaire sur le front. Miné par la corruption et l’inefficience, ayant fait des choix discutables de fermetures de sites, s’étant trop consacré à l’export, le complexe militaro-industriel russe peine à combler tous les besoins de l’armée, d’autant plus colossaux que les défaites en Ukraine accroissent la demande en matériel. Ainsi, le remplacement des futs d’artillerie est presque devenu mission impossible. Mais la question n’est pas « la Russie peut-elle reconstruire une force pour envahir l’Ukraine », mais plutôt « la Russie est-elle capable de poursuivre son agression encore longtemps ? »

La réponse est sans doute que oui, même si la qualité et la quantité des matériels diminue.

Sur le plan économique, l’affaiblissement ne pourrait venir que de la baisse significative des revenus liés aux hydrocarbures. L’espoir actuel est que feront défaut à l’avenir, du fait des sanctions, les technologies de forage profond et d’exploitation des hydrocarbures en conditions extrêmes, qui sont principalement maîtrisées par les groupes occidentaux. Mais le risque est que, le temps que les sanctions fassent effet, la Russie ne parvienne à trouver une aide via les compagnies publiques des pays du Golfe, auprès desquels les Occidentaux — Américains compris — n’ont plus guère d’influence coercitive. La production de pétrole russe n’a baissé que de 10% environ depuis le début de la crise, il faudrait qu’elle baisse de moitié encore pour vraiment gripper la « pompe à liquidités » qui maintien Poutine à flot. Les pays du Golfe ont intérêt à maintenir des cours du pétrole élevé et une certaine stabilité de la production mondiale, pour ne pas user prématurément leurs réserves à vil prix.

La sanction immédiate la plus sévère en mars 2022 aurait été un arrêt rapide et complet des livraisons de gaz et de pétrole russe à l’espace européen. Mais les Européens n’y étaient clairement pas prêts et n’ont pas souhaité s’y risquer. Il y avait encore l’idée chez nos dirigeants que les sanctions ne devaient faire mal qu’à la Russie et pas à nous-mêmes. Or, seuls les Etats-Unis, du fait de leurs ressources énergétiques et de la faiblesse de leurs importations russes, pouvaient se permettre de sanctionner sans (trop) souffrir. La conséquence de ce besoin de nous préparer, notamment en Allemagne et en Italie, contre les conséquences de nos propres sanctions a été de donner à Vladimir Poutine du temps. La reconfiguration des flux pétroliers mondiaux au printemps et à l’été l’a montré. Grâce à la ristourne de 25 à 30 dollars par baril qu’ils consentent, les Russes rendent rentable l’achat de pétrole par l’Inde et son raffinage avant revente en Europe, ou même l’achat par l’Arabie saoudite, premier producteur mondial, pour sa production électrique locale, ce qui libère ses ressources nationales pour l’export (vers nos pays). Seul une baisse mondiale de la demande de produits pétroliers aurait le potentiel, en faisant mécaniquement baisser les cours, de rendre les opérations russes non rentables. Mais si cela est souhaitable et nécessaire sur le plan climatique, cela signifierait d’abord une profonde récession des grands acteurs économiques, au moins pour un temps. Ruiner la Russie sur le plan pétrolier dans un contexte où la production mondiale stagne est un casse-tête qui a clairement bénéficié à Vladimir Poutine.

Conclusion — perspectives russes

La Russie se révèle donc économiquement et industriellement plus résiliente que prévu, notamment parce qu’une grande partie des grands pays émergents ont souhaité continuer de commercer avec elle, moins sans doute par haine de l’Occident que par opportunisme économique dans un monde aux ressources énergétiques et matérielles de plus en plus contraintes. Pour Moscou, cette résistance économique s’accompagne d’un déclin prévisible de long terme de ses productions énergétiques, ayant passé son pic pétrolier. Le risque est une soumission croissante du pays à la Chine qui, à la faveur de son isolement, deviendrait pour Pékin une forme de « grande Corée du Nord », fournisseur de matières premières et dépendant de Pékin pour toutes les importations technologiques. S’il est certain que la coupure d’avec l’Occident n’arrangera rien aux problèmes inhérents à l’industrie russe, entre inefficience, corruption et dépendances à l’étranger, cela ne veut pas dire que le pays ne sera plus  en capacité de continuer à frapper l’Ukraine dans un avenir proche, mais s’il est un peu près certain qu’il ne pourra pas pour autant renverser le cours des choses sur le plan terrestre. Une Russie qui ne peut plus gagner donc, mais qui peut continuer à frapper, sanctuarisée dans son territoire par sa dissuasion nucléaire et maintenant suffisamment de revenus grâce aux pays émergents pour maintenir une forme de paix sociale, entre propagande, chèques aux ménages et matraquage des opposants.

Vladimir Poutine peut-il d’ailleurs sérieusement nourrir l’espoir que les sanctions seraient rapidement levées, même en cas de retrait immédiat d’Ukraine et de Crimée ? L’histoire des sanctions occidentales suggère le contraire et il se trouve un peu dans la situation de Cortès ayant brulé (un peu involontairement) ses vaisseaux. Il n’y a plus de retour en arrière possible pour le pouvoir russe en place, uniquement l’espoir d’un approfondissement des échanges vers l’Asie et le Moyen-Orient pour substituer autant que possible les importations ne venant plus d’Europe et d’Amérique du nord. Un pari dont il est difficile de dire s’il sera perdu ou gagné.

Pourtant, sur le champ de bataille, les Ukrainiens gagnent. Mais où en est vraiment l’Ukraine ? Dans le prochain volet de cet article, je m’interrogerai sur l’état de santé de la victime de l’invasion et sur ce que signifierait « gagner » cette guerre si déroutante.

Stéphane AUDRAND

Stéphane Audrand est consultant indépendant spécialiste de la maîtrise des risques en secteurs sensibles. Titulaire de masters d’Histoire et de Sécurité Internationale des universités de Lyon II et Grenoble, il est officier de réserve dans la Marine depuis 2002. Il a rejoint l’équipe rédactionnelle de THEATRUM BELLI en décembre 2019.

Londres confirme le déploiement de deux MiG-31K russes et de missiles hypersoniques Kinjal en Biélorussie

Londres confirme le déploiement de deux MiG-31K russes et de missiles hypersoniques Kinjal en Biélorussie

http://www.opex360.com/2022/11/01/londres-confirme-le-deploiement-de-deux-mig-31k-russes-et-de-missiles-hypersoniques-kinjal-en-bielorussie/


 

Pour rappel, faisant partie des six « armes invincibles » et « stratégiques » dévoilées par le chef du Kremlin, Vladimir Poutine, en mars 2018, le Kinjal [code Otan : AS-24 « Killjoy »] est un missile aérobalistique, dérivé de l’Iskander. Doté d’une ogive à fragmentation de 500 kg ou d’une tête nucléaire, il peut frapper une cible à 2000 km de distance. Aussi, le déploiement de MiG-31K à Kaliningrad mettait alors la plupart des capitales européennes à sa portée.

Si, à l’époque, il n’avait rien dit au sujet de ce déploiement, le ministère de la Défense a fini par annoncer, le 18 août dernier, que trois MiG-31K « équipés de missiles hypersoniques Kinjal », venaient d’être « déplacés vers l’aérodrome de Chkalovsk, dans la région de Kaliningrad ». Et de préciser qu’ils seraient maintenus en alerte 24 heures sur 24.

Depuis, Moscou et Minsk ont décidé de créer un « groupement militaire régional » commun, en prenant le prétexte d’une « aggravation de la situation aux frontières occidentales de l’Union [russo-biélorusse] ». Et à cette fin, le ministère biélorusse de la Défense a annoncé l’arrivée, en Biélorussie, de « 9000 soldats russes » et « d’environ 170 chars ». Mais selon le site Gazeta.ru, des MiG-31 étaient aussi attendus.

Évidemment, et alors que la bataille de Kherson [sud] s’annonce, Kiev redoute une offensive russe menée depuis la Biéolorussie… alors que les infrastructures stratégiques ukrainiennes [électricité, distribution d’eau, etc] sont désormais régulièrement visées par Moscou.

Quoi qu’il en soit, l’information de Gazetu.ru vient d’être confirmée par le renseignement britannique, imagerie satellitaire à l’appui.

En effet, dans le point de situation qu’il a publié ce 1er novembre, le ministère britannique de la Défense [MoD] affirme qu »au moins deux MiG-31K étaient déployés, le 17 octobre, sur la base aérienne de Machulishchy, située près de MInsk, dans le centre de la Biélorussie. En outre, il fait état de la présence de caisses suffisamment grandes pour transporter des missiles Kh-47M2 Kinjal.

Comme le souligne le MoD, c’est la première fois que ce type de missile est déployé en Biélorussie, « probablement » pour en envoyer un message à l’Occident et souligner l’implication de plus en plus importante de Minsk dans la guerre.

Par ailleurs, qu’il soit déployé à Kaliningrad ou à Machulishchy, le missile Kinjal a toujours les capitales européennes à sa portée… La différence tient sans doute à une plus grande marge de manoeuvre pour les MiG-31K. En outre, ce mouvement vers la Biélorussie ne procure qu’un avantage limité s’il s’agit de frapper des cibles sur le territoire ukrainien. Telle est, en tout cas, l’estimation du MoD.

 

D’autant plus que les frappes menées contre des objectifs ukrainiens avec des missiles Kinjal n’ont pas eu d’effet significatif sur le cours de la guerre, comme l’a relevé le colonel David Pappalardo, dans le dernier numéro de la revue Vortex, de l’armée de l’Air & de l’Espace.

« La Russie a annoncé le 19 mars avoir utilisé pour la première fois son missile balistique aéroporté Kh-47M2 Kinjal tiré par un MiG-31 modernisé contre un dépôt de munitions en Ukraine. Là encore, la communication s’est essentiellement focalisée sur la nature hypervéloce de cette munition à des fins d’intimidation et de signalement stratégique vers l’Otan. Pour autant, le Kinjal n’est pas une arme de rupture conférant à la Russie une avantage opérationnel significatif dans la guerre en Ukraine. Il ne s’agit au contraire que d’une adaptation du missile balistique sol-sol Iskander M, déjà tiré à de nombreuses reprises depuis le début du conflit pour créer des effets militaires similaires », a en effet écrit le colonel Pappalardo.

En réalité, le caractère stratégique du Kinjal relève surtout de la charge militaire qu’il emporte… alors qu’il peut parcourir 2000 km en moins de dix minutes, ce qui le rend difficile à contrer.

Après le croiseur Moskva, la marine ukrainienne a visé le nouveau navire amiral de flotte russe de la mer Noire

Après le croiseur Moskva, la marine ukrainienne a visé le nouveau navire amiral de flotte russe de la mer Noire

http://www.opex360.com/2022/10/31/apres-le-croiseur-moskva-la-marine-ukrainienne-a-vise-le-nouveau-navire-amiral-de-flotte-russe-de-la-mer-noire/


 

Par la suite, les autorités russes ont fait part de leur décision de suspendre l’accord sur les exportations ukrainiennes de céréales et de leur intention de mettre à l’ordre du jour du Conseil de sécurité des Nations unies l’attaque contre Sébastopol ainsi que celle ayant visé les gazoducs Nord Stream 1 et Nord Stream 2, pour laquelle la partie russe prétend que le Royaume-Uni y a aussi tenu un rôle.

« La partie russe entend attirer l’attention de la communauté internationale, notamment par l’intermédiaire du Conseil de sécurité des Nations unies, sur la série d’attaques terroristes perpétrées contre la Russie en mer Noire et en mer Baltique, y compris avec l’implication de la Grande-Bretagne », a en effet déclaré Maria Zakharova, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères.

Quoi qu’il en soit, l’attaque ayant visé la baie de Sébastopol, qui n’a pas [encore] été revendiquée par Kiev, a probablement fait plus de dégâts que ceux admis par Moscou. Du moins, c’est ce que suggèrent plusieurs vidéos diffusées via les réseaux sociaux.

L’une d’elles se compose de deux séquences. Sur la première, on voit un drone naval [ou USV – Unmanned Surface Vessel] s’approcher d’une frégate appartenant à la classe « Amiral Grigorovich », probablement « l’Amiral Makarov », qui n’est autre que le navire amiral de la Flotte russe de la mer Noire depuis la perte du croiseur Moskva, en avril dernier. Selon ces images, on constate que le navire n’a mis en oeuvre aucune contre-mesure pour se défendre… Quant à la second, elle débute par un plan sur le dragueur de mines « Ivan Goloubets », qui a donc subi des dommages, comme l’a admis Moscou.

Un autre document montre un hélicoptère russe tirer en direction d’un drone naval supposé se diriger vers un navire croisant au large. Puis selon la séquence suivante, on le voit [ou est-ce un autre USV?] frôler un bateau de pêche. La vidéo se termine par une explosion au large de Sébastopol.

 

 

Selon des affirmations du ministère russe de la Défense, l’un des drones aurait été détruit après avoir été repéré par un marin de la frégate Ladny [classe Krivak], alors qu’il se dirigeait vers la baie de Sébastopol.

Pour le moment, il n’est pas possible de connaître les résultats des attaques lancées contre les navires russes visés par ces drones navals kamikazes. Cependant, et malgré un rapport de forces largement défavorable, la marine ukrainienne a visé à deux reprises le navire amiral d’une puissante force navale. Reste à voir si effectivement, la frégate « Amiral Makarov » a subi des dommages… À noter que ce navire a fait l’objet de plusieurs rumeurs au cours de ces derniers mois. Rumeurs qui n’étaient pas fondées.

Par ailleurs, et alors que les forces russes savent que la marine ukrainienne utilise des drones navals, comme en témoigne celui qu’elles ont récupéré sur une plage de Crimée, en septembre dernier, il est étonnant qu’aucune mesure n’ait été prise pour écarter une telle menace.

Cela étant, la suspension de l’accord sur les exportations de céréales ukraniennes serait motivée, selon Moscou, par le fait que les drones navals auraient navigué dans la « zone de sécurité du corridor céréalier »… Et que l’un d’eux aurait été mis à l’eau par « l’un des navires civils affrétés par Kiev ou ses maîtres occidentaux pour l’exportation de produits agricoles depuis les ports d’Ukraine ». Enfin, le ministère russe de la Défense a également affirmé que ces USV étaient équipés d’un module de navigation produit au Canada.

Guerre en Ukraine : pourquoi Israël refuse de livrer des armes à Kiev

Guerre en Ukraine : pourquoi Israël refuse de livrer des armes à Kiev

Mes dernières interventions ou contributions dans le Figaro.

LCI Midi ce mercredi 26 octobre (Cf. LCI Midi), une contribution au Figaro sur l’implication plutôt modérée d’Israël dans son soutien à l’Ukraine ce vendredi 28 octobre (Cf. Le Figaro ou ci-après), sans oublier cet échange sur Sud Radio dans l’émission de Jean-Jacques Bourdin, « Parlons vrai », ce vendredi sur l’évolution géopolitique en Europe suite à cette guerre sur notre continent (Cf. vidéo de 20 mn ou ce court extrait cf. Twitter).

En présence du sénateur Philippe Folliot, participation aussi à ce colloque international « Madrid 2022 : un sommet pivot pour l’OTAN ? » organisé au Sénat par l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée ce 28 septembre avec des échanges sur l’OTAN et la défense européenne, avec bien sûr en filigrane la question des conséquences de la guerre en Ukraine.

Guerre en Ukraine : pourquoi Israël refuse de livrer des armes à Kiev (Le Figaro du 28 octobre 2022)

Par Steve #Tenré

DÉCRYPTAGE – Depuis le début du conflit, Israël ménage la Russie et refuse d’accéder aux requêtes de Volodymyr Zelensky. L’État hébreu entretient une relation ambiguë avec Moscou.

Une «neutralité» qui fait enrager Volodymyr Zelensky. Alors que la guerre s’éternise, le président ukrainien a, lundi 24 octobre, sévèrement critiqué Israël, tout en accusant l’Iran de fournir à la Russie des drones kamikazes qui ont frappé l’Ukraine à de multiples reprises. « Cette alliance (entre Moscou et Téhéran) n’aurait tout simplement pas existé si vos politiciens avaient pris une décision à l’époque. La décision que nous demandions », a-t-il cinglé lors d’une conférence organisée par un média israélien.

Une déclaration qui fait suite à de nombreuses autres. En mars, Zelensky avait exhorté les députés israéliens à «faire un choix», jouant sur la corde sensible de la Shoah. « Le Kremlin utilise la terminologie nazie: les nazis parlaient de “solution finale” pour la question juive, et maintenant, Moscou parle de “solution finale” pour l’Ukraine », avait-il martelé. En septembre, il avait aussi déploré qu’« Israël ne nous a rien donné. Rien, nada ».

Face à ces accusations, Israël argue que des «tonnes» d’aide humanitaire sont livrées à Kiev. Le pays fournit aussi des renseignements pour mieux cibler les drones iraniens, ce qu’a salué mercredi Volodymyr Zelensky, voyant dans cette nouvelle collaboration une « tendance positive ». Israël a également condamné l’invasion fin février, rejeté le décret d’annexion russe de quatre régions d’Ukraine et dénoncé les bombardements russes de ces derniers mois.

Mais rien de plus. Le ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, a d’ailleurs répété lundi lors d’un échange avec son homologue ukrainien qu’Israël ne fournirait pas de «systèmes d’armements» à l’Ukraine. Et ce, quelques jours seulement après une mise en garde de l’ancien président russe Dmitri Medvedev, qui a assuré que toute livraison d’armes israéliennes « détruirait » les relations entre Tel-Aviv et Moscou. Qu’impliquent ces relations? Que craint l’État hébreu du Kremlin?

La nébuleuse syrienne

«Israël se veut neutre car le pays est englué dans une vaste toile d’araignée où se multiplient les intérêts régionaux», analyse pour Le Figaro François Chauvancy, général (2S) et consultant en géopolitique. Pour comprendre la position de l’État juif, il faut en premier lieu aborder la question syrienne, « élément central de cette neutralité affichée », abonde David Rigoulet-Roze, spécialiste du Moyen-Orient à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS).

En 2015, la Russie investit la Syrie, voisine d’Israël, sur demande du président Bachar al-Assad, pour faire face aux insurgés et au terrorisme islamique. Cette coopération permet à Moscou de faire main basse sur l’espace aérien du pays, plaçant des batteries de missiles sol-air sur tout le territoire. Or, la Syrie est également occupée par des milices pro-Iran et des agents du Hezbollah libanais, jugés terroristes par Tel-Aviv. L’État d’Israël, qui considère ces soldats comme un danger direct pour son intégrité, souhaite alors mener des frappes aériennes sur leurs positions, et passer outre les défenses anti-aériennes du Kremlin.

«Dès lors, Moscou et Tel-Aviv concluent un accord tacite de “déconfliction”», affirme au Figaro Milan Czerny, chercheur spécialiste de la Russie. Autrement dit, l’armée russe ferme les yeux sur les frappes de Tsahal (l’armée israélienne) en Syrie, et Tsahal laisse des appareils russes survoler l’espace israélien pour bombarder des positions proches de la frontière. Cet accord, toujours en cours et qui se matérialise par l’ouverture d’un canal de communication, permet d’éviter tout accident entre les deux armées. Et si la Russie laisse implicitement Israël cibler des positions affiliées à l’Iran, pourtant pays partenaire du Kremlin, c’est qu’il y a « parfois une convergence opportuniste d’intérêts entre Moscou et Tel-Aviv sur la question de la présence iranienne en Syrie, décrypte David Rigoulet-Roze. Vladimir Poutine ne souhaite effectivement pas que Téhéran prenne trop de place auprès du régime de Bachar al-Assad. »

En cas de livraison d’armes à l’Ukraine, Israël pourrait logiquement perdre cet avantage stratégique. Ses avions deviendraient des cibles pour les batteries de missiles russes — même si devenues rares en raison de leur transfert vers l’Ukraine —, ce qui pourrait entraîner des tensions armées entre les deux nations. Israël n’aurait en outre d’autre choix que de laisser s’installer le Hezbollah et des milices pro-Iran à ses frontières. « Les Russes pourraient aussi permettre un accroissement de la présence militaire iranienne en Syrie par le remplacement de leurs troupes au sol restantes », également engagée en Syrie et menace majeure pour Israël, avance prudemment François Chauvancy.

Le danger iranien

« La position qu’Israël affiche sur l’envoi d’armes à Kiev est ferme, mais elle s’infléchit de plus en plus » à la faveur de l’implication quasi-certaine de l’Iran dans le conflit russo-ukrainien, analyse David Rigoulet-Roze. « Ce que l’on voit actuellement avec les attaques de drones kamikazes, c’est un show technologique de l’Iran, qui entend manifester ses capacités opérationnelles. » Et de rappeler que les drones kamikazes ont à l’origine été créés pour briser le fameux « Dôme de fer », système de défense israélien conçu pour intercepter des roquettes tirées depuis la bande de Gaza. L’exécutif ukrainien demande d’ailleurs à Tel-Aviv de lui fournir les hautes technologies du dôme pour sa défense aérienne.

Mais pour Tel-Aviv, l’implication de l’Iran est à double tranchant. Si Israël appréhende que Téhéran utilise l’Ukraine comme terrain d’essai pour perfectionner ses engins, il craint également que les armes offensives et défensives éventuellement envoyées à Kiev soient détournées par les Russes, puis envoyées aux troupes iraniennes pour être étudiées. « Israël veut coûte que coûte garder ses capacités secrètes, et notamment son Dôme de fer, reprend Milan Czerny. Et il ne faut pas oublier que les armes sophistiquées d’Israël sont souvent conçues en partenariat avec les États-Unis. L’Amérique aussi refuse de livrer ce type de système… »

La communauté juive entre deux feux

Le refus de l’État hébreu s’explique par un dernier axe: la communauté juive russophone. « En Israël, les russophones (composés surtout d’Ukrainiens et de Russes, ces derniers étant légèrement en majorité, NDLR) forment la première communauté juive du pays, représentant près de 15% de la population », estime David Rigoulet-Roze. Parmi eux, certains ont pu être sensibles aux discours de « dénazification » de Poutine, mais la plupart ont été « pris d’un malaise voire scandalisés en entendant Sergueï Lavrov (le ministre des Affaires étrangères russes) dire qu’Hitler avait du sang juif » comme Zelensky, explique le chercheur de l’IRIS. En ce sens, « il reste difficile pour l’État israélien de prendre complètement parti dans ce conflit, où il a beaucoup plus à perdre qu’à gagner », affirme François Chauvancy.

Mais les livraisons israéliennes auraient surtout un impact sur les centaines de milliers de juifs de Russie. Outre des «relents d’antisémitisme» qui poignent dans le pays et pourraient s’intensifier, comme l’affirme le général, le Kremlin pourrait décider d’empêcher toute « Alyah ». « L’Alyah (l’immigration par un juif en terre d’Israël, NDLR) est importante pour Tel-Aviv car elle permet de renforcer sa démographie vis-à-vis de sa population arabe. La Russie pourrait entraver cette émigration en la soumettant à des négociations », continue François Chauvancy.

Israël va-t-il prochainement succomber à la pression des Occidentaux et de Volodymyr Zelensky ? « C’est peu probable. Et, en un sens, Israël a déjà choisi son camp en critiquant la Russie », s’avance Milan Czerny. Et à François Chauvancy d’ajouter : « Israël a de toute façon tout intérêt à ne pas s’impliquer ouvertement pour préserver une certaine liberté de manœuvre… »

Guerre russo-ukrainienne et propagande : la stratégie ukrainienne de communication par la peur face à la stratégie russe de la terreur

Guerre russo-ukrainienne et propagande : la stratégie ukrainienne de communication par la peur face à la stratégie russe de la terreur


 

Ceux qui prennent le parti de l’Ukraine aujourd’hui le font sans nuance et sans prise en compte de l’ensemble des faits, rendant les arguments peu crédibles notamment sur les questions militaires où les méconnaissances, sinon le manque d’humilité, expriment des réponses bien peu objectives et même contradictoires au fil des semaines. Cette situation au quotidien montre cependant une stratégie ukrainienne de communication par la peur dans le but de préserver le soutien des opinions publiques occidentales face à la stratégie russe effective de la terreur.

La propagande de guerre, un peu dans mon domaine d’expertise, conduit par exemple des intervenants (et ce n’est pas la première fois) à demander l’interdiction de la « parole » russe sur les plateaux médias français (Cf. LCI 15h-17h). Seules les positions pro-ukrainiennes devraient s’exprimer, oubliant peut-être que la France n’est pas en guerre contre la Russie et que le fonctionnement d’un État démocratique permet le débat… Si l’on suit notamment les réseaux sociaux aux commentaires peu élaborés et souvent émotifs, cette stratégie est toute aussi offensive, bien souvent avec une grande faiblesse argumentaire, pour faire taire ceux qui exprimeraient des avis contraires aux éléments de langage ukrainiens, privilégiant l’indignation, l’émotion et non la réflexion à partir de faits.

A ce titre, l’exemple de la communication sur la reprise possible de la ville de Kherson au sud de l’Ukraine par l’armée ukrainienne est un exemple intéressant. Cette ville sera vraisemblablement le lieu d’une bataille qui peut s’avérer majeure pour la suite du conflit. Ce cas concret, mais il y en a d’autres, montre la mise en œuvre de cette propagande à travers les « angles » de la population civile et du droit international : la population civile ukrainienne quittant la ville de Kherson n’est pas « évacuée » mais serait « déportée ». Certes, cela est une interprétation possible.

En soi, pour une raison militaire, cette évacuation est pourtant compréhensible et ne peut être assimilée à une déportation : cette population civile devenue « russe » par l’annexion du territoire, ce qui est aisément contestable, se trouve dans une zone de combat. Il semble légitime dans ce contexte d’éviter les pertes sinon de prendre en charge cette population qui est considérée comme russe par les Russes. Néanmoins, une partie de cette population n’accepte pas cette situation. La possibilité de rejoindre la partie contrôlée par l’armée ukrainienne aurait pu être organisée par la mise en place de corridors humanitaires certes à la sécurité loin d’avoir été prouvée par ailleurs dans ce conflit (Cf. Marioupol). Mais cette solution du point de vue militaire n’est pas acceptable car elle offrirait une forte capacité de renseignement aux Ukrainiens sur les positions militaires russes. Elle gèlerait en outre les opérations permettant aux uns et aux autres de réorganiser leurs forces.

En ce 24 octobre, le contexte militaire de Kherson amène donc trois hypothèses qui impliquent directement les populations civiles. Ainsi :

  1. Soit les forces russes se retirent de Kherson sans combat pour préserver des capacités militaires importantes et indispensables (10 à 15% des forces expéditionnaires) mais cela peut conduire à la chute politique de V. Poutine. Cette retraite paraît donc peu vraisemblable. Dans cette hypothèse néanmoins, les personnes au moins prorusses sont à évacuer. Peu de témoignages objectifs remontent aujourd’hui sur une contrainte physique exercée sur la population, peut-on se fier en effet aux chiffres annoncés par le gouvernement ukrainien ou bien les ONG qui n’ont pas accès à la zone des combats ? Restent les contraintes psychologiques : destruction du barrage de Kakhovka et menaces d’inondation massive selon les Ukrainiens, frappes d’artillerie sur la ville selon les Russes, frappe nucléaire russe sur Kherson selon l’ambassadeur d’Ukraine à Paris ce 22 octobre… Remarquons que la propagande de guerre autour des risques sur l’avenir du barrage est par bien des points similaires à celle qui dramatisait la situation de la centrale nucléaire de Zaporijiia d’août 2022, notamment dans la recherche par la partie ukrainienne d’une internationalisation du conflit. Autour de ces exemples, une étude comparée sur la propagande serait sans aucun doute bien intéressante ! De fait, prorusse ou non, la population est conduite à quitter cette zone potentielle de combat. Est-ce pour autant une déportation selon les termes employés par la propagande ukrainienne ou une évacuation selon la propagande russe ?
  2. Soit les forces russes adossées au Dniepr avec peu de renforts, de soutien logistique mais aussi de possibilités pour se retirer en ordre reçoivent l’ordre de se battre jusqu’au bout dans cette zone urbaine, sans exclure un siège par les forces ukrainiennes. Ce combat sera vraisemblablement favorable à des troupes russes retranchées, coûteux en soldats ukrainiens dans la reconquête d’une ville qui ne sera sans doute pas reconquise quelques semaines, c’est-à-dire avant la mauvaise saison, sauf si l’armée russe s’effondre. Dans ce contexte, les civils présents prorusses ou non seront soumis aux conséquences des combats. Le fait de les laisser quitter la ville est-il une forme de déportation ou simplement leur mise à l’abri certes dans des conditions discutables ? Puis-je rappeler qu’il y a quelques mois le président Zelenski avait demandé aux populations civiles ukrainiennes de ne pas quitter les zones de combat à l’Est de l’Ukraine.
  3. Une dernière hypothèse extrême ne peut être exclue : celle de l’abandon de la ville par les Russes pour laisser les troupes ukrainiennes s’installer pour les bombarder, les « noyer » ou les « nucléariser ». Ces solutions apparaissent pourtant peu crédibles : les bombardements classiques ont montré une efficacité limitée ; une inondation par la destruction du barrage Kakhovka pénaliserait chaque camp ; une frappe nucléaire, sinon une bombe « sale », amènerait des représailles conventionnelles américaines dont nul ne peut douter de l’efficacité mais aussi une contamination du Dniepr, certes inimaginable aujourd’hui sans toutefois en exclure l’hypothèse. Quelle que soit la solution choisie, la population présente doit quitter la zone pour sa survie.

Bref, évoquer la « déportation » des Ukrainiens de Kherson révèle une certaine forme de duplicité par l’instrumentalisation du droit international qu’il nous faut préciser dans ce contexte. Le droit issu principalement de la seconde guerre mondiale est d’influence occidentale, exprimé notamment dans les conventions de Genève et autres textes adoptés par la communauté internationale. A travers les guerres qui ont eu lieu depuis, chacun pourra constater que le temps de la guerre montre de graves défaillances dans l’application du droit, y compris par les occidentaux certes d’un niveau moindre. Il ne paraît plus adapté aux relations internationales d’aujourd’hui dans la mesure où un droit sans être garanti par la force laisse la place au seul recours à la force sans tenir compte du droit.

C’est ce que ne comprennent pas nos adeptes d’un droit international qui serait tout puissant oubliant qu’il n’est puissant et exécutoire qu’accompagné de contraintes efficaces sinon crédibles. La référence à des concepts et les mots afférents destinés à susciter l’émotion et le soutien de l’occident par l’indignation comme « crimes de guerre », « génocide », « déportation » aux fortes connotations avec la Seconde Guerre mondiale, n’ont pas tous les effets attendus au moins parce qu’ils sont instrumentalisés sans nuance par les deux camps. Il y a eu des crimes de guerre russes mais pour autant les civils restés dans les zones de combat, notamment dans les villes, sont-ils des victimes de crimes de guerre sauf s’ils sont visés sciemment comme c’est le cas de la stratégie russe de la terreur.

Cette « idéologie juridique » occidentale de se rattacher à des principes, certes louables, qui ne peuvent en temps de guerre avoir une stricte application pratique sauf par nos États face à ceux qui ne respecteront pas ces règles, confirme que ce droit n’est plus adapté et sera de plus en plus contesté par les nouvelles puissances. Cela signifie aussi que nous ne devons pas nous enfermer « intellectuellement » dans nos principes face à la réalité de la guerre. L’usage inconsidéré de termes forts du droit international se rattachant à nos principes contribue à une propagande qui ne devrait pas exister dans nos démocraties et fragilise nos positionnements notamment face à nos opinions publiques qui ne sont pas dupes.

Sur le point particulier de la « déportation » des populations de Kherson, la question suivante se pose : pour rester en conformité avec le droit international prôné par la partie ukrainienne et tous leurs soutiens, ce qui peut se défendre dans l’absolu, doit-on laisser les civils sans protection en zone de combat ? Rappelons-nous toutes les critiques justifiées par ailleurs dénonçant des civils tués dans les villes conquises hier par les Russes. Ceux-ci, au moins pour des raisons militaires, évacuent la population ukrainienne sous autorité russe aujourd’hui. Qu’aurait-il fallu faire ? Les laisser sur place ?

Pour conclure, si personne ne veut que des civils soient tués dans les combats, ne faudrait-il pas mieux se battre hors des villes, zone qui focalise l’attention de beaucoup, ce qui est valable aussi bien pour les Ukrainiens que pour les Russes mais qui oublie que plus de 65% de l’humanité vit dans les villes sans que la guerre ne soit bannie. Cette proposition se heurte à la réalité des villes qui sont des objectifs primordiaux pour ce qu’elles apportent : protection, logistique, administration, population, économie… ? La guerre se fera dans les villes qu’on le veuille ou non.

Bref, la guerre continue y compris celle de l’information sur laquelle nous (« je ») devons être vigilants. Hormis les « fake news », une propagande efficace a toujours un fond de vérité, des faits le plus souvent mais que le propagandiste présente de telle façon que le sens en est biaisé pour influencer son public-cible. Cette guerre russo-ukrainienne est donc riche en exemples qui nous seront utiles pour choisir la réflexion et non l’émotion pour agir.

Enfin, je vous invite à écouter cette intervention de V. Fédorowski, sur Public Sénat : https://youtu.be/mstgOaabXns, notamment lorsqu’il aborde la propagande au début de son intervention.

Missiles, menaces et mensonges – Point de situation du 24 octobre 2022

Missiles, menaces et mensonges – Point de situation du 24 octobre 2022

 

par Michel Goya – La voie de l’épée – publié le 24 octobre 2022

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Commençons par quelques nouvelles du ciel.

Machines volantes et petite stratégie

Le plus visible dans l’évolution de la situation est la transformation de la campagne aérienne russe de frappes de théâtre (théâtre aussi au sens de scène) de ponctuelle à systématique. Il ne s’agit plus depuis le 10 octobre de frapper de manière irrégulière des objectifs fixes décelée dans la profondeur mais de produire d’abord un effet de masse avec l’emploi de plusieurs dizaines de missiles balistiques ou de croisière, accompagnés de drones-projectiles en plus grand nombre encore. Dans cet avatar de la théorie des cercles de Warden, ces 400 millions d’euros de projectiles quotidiens sont utilisés officiellement pour frapper les infrastructures du « système de vie » ukrainien et plus particulièrement son réseau énergétique.

En cela, cette campagne, menée uniquement avec des projectiles inanimés, rappelle immanquablement celle des armes « V » comme « vengeance » lancées par l’Allemagne nazie sur l’Angleterre puis les pays libérés à l’Ouest à partir de juin 1944. Comme à l’époque, ce sont des dizaines de projectiles qui sont lancés chaque jour sur les villes sans que l’on sache s’il s’agit vraiment d’une véritable stratégie de paralysie, de représailles après une série d’humiliations ou d’un acte de simple communication à l’usage des faucons du régime, de sa propre population ou de ses troupes que l’on tente ainsi de rassurer. On constatera d’abord qu’il est étrange de prétendre vouloir libérer une population d’un joug néonazi en frappant directement ou indirectement la vie de cette population. On rappellera surtout la vanité d’une telle approche.

Si l’objectif est d’obtenir la capitulation des peuples ou leur révolte contre des dirigeants incapables de les protéger, c’est-à-dire la même stratégie que les organisations terroristes, c’est aussi inhumain que stupide. Si les peuples entiers peuvent craquer et obliger leurs dirigeants à demander grâce, le phénomène est assez rare et semble même se limiter aux exemples russes et allemands de la fin de la Première Guerre mondiale après des années de privations, souffrances et surtout du spectacle de désastres sur le front. On notera que dans ces deux cas, ce n’est pas certainement pas parce que les civils allemands et russes ont reçu des projectiles venus du ciel – rares à l’époque – qu’ils se sont révoltés, mais bien parce que les sacrifices consentis ne s’accompagnaient plus d’un espoir que cela serve à quoi que ce soit. Les peuples ne se rebellent éventuellement contre leur gouvernement que lorsqu’il n’y a plus d’espoir de victoire militaire.

On en est loin des deux côtés dans la guerre actuelle en Ukraine et quand on espère encore la victoire, c’est surtout aux agresseurs du ciel que l’on en veut, un contexte propice à l’escalade. Il n’y a aucune raison que ceux que l’on frappe en représailles réagissent différemment que soi mais on le fait quand même. Les Ukrainiens frappent aussi les villes tenues par les Russes et même à Belgorod en Russie. C’est pour l’instant très ponctuel, cela pourrait devenir aussi une campagne systématique satisfaisant ainsi un désir de vengeance. Ce serait une grande erreur au profit du gouvernement russe qui cherche désespérément à mobiliser psychologiquement sa population avant de le faire réellement.

Les campagnes aériennes sur les infrastructures peuvent avoir plus d’intérêt en entravant la production de guerre, surtout en frappant sur certains secteurs clés. Cela a été le cas sur l’Allemagne, pendant la Seconde Guerre mondiale. Encore faut-il qu’il y ait quelque chose d’important à détruire. Quand on ravage des pays aussi peu industrialisés que la Corée du Nord ou le Nord-Vietnam, alors que leurs approvisionnements militaires viennent d’un étranger intouchable, cela ne sert pas à grand-chose sinon à ralentir un peu la manœuvre ennemie. Encore faut-il aussi déployer beaucoup de moyens. Les missiles russes font effectivement beaucoup de dégâts, mais ils sont peu nombreux à chaque fois et leur stock n’est pas illimité. Au moins 2 000 d’entre eux ont déjà été utilisés, soit une valeur totale de l’ordre de dix milliards d’euros, et ils en produisent très peu. Le fait que les Russes en soient réduits à utiliser aussi de vieux missiles anti-navires ou des missiles anti-aériens dans ce rôle témoigne déjà d’une crainte de dilapidation de cette précieuse force de frappe.

La fourniture par l’Iran ou la Corée du Nord de missiles balistiques pourrait peut-être changer la donne en permettant de prolonger la campagne V. Ces armes étant plutôt de faible précision, cette campagne dériverait donc de plus en plus vers une pure campagne anti-cités, à la manière du « bombardement de zone » cher au général britannique « Bomber » Harris. À défaut, seul l’engagement dans la profondeur de l’aviation russe pourrait permettre de continuer la campagne avec d’ailleurs plus d’efficacité et d’ampleur mais sans aucun doute au prix de pertes intolérables dans un environnement anti-aérien aussi dense. On est loin des flottes de milliers d’avions de la Seconde Guerre mondiale, une force aérienne de quelques centaines d’appareils vulnérables à une défense anti-aérienne moderne peut être détruite en quelques semaines.

En attendant, l’emploi des drones-projectiles Shahed-131 ou surtout 136, rebaptisés Geran (Géranium) 2 pour faire croire qu’ils sont russes, présentent l’intérêt d’être peu coûteux et donc nombreux. Mais avec une charge explosive de quelques dizaines de kilos d’explosif, il faut les considérer comme des obus de gros calibre semblables à ceux lancés par milliers chaque jour sur la ligne de front, mais avec une très grande portée. Ils seraient sans doute très utiles pour frapper des objectifs fixes dans la profondeur du champ de bataille, mais les Russes préfèrent les utiliser pour frapper les villes où ils produisent surtout du stress, ce qui renvoie à la question de l’objectif premier de cette campagne. Finalement, le seul intérêt militaire de l’emploi de ces drones contre les villes est de contraindre les Ukrainiens à consacrer des moyens matériels importants, comme des canons mitrailleurs, à la traque de ces V1 low cost.

Vers un Stalingrad sur Dniepr ?

Sur la ligne de front, la zone la plus critique actuellement se trouve du côté de Kherson où malgré un black out informationnel inédit plusieurs indices, comme le repli d’une partie de la population de la ville mais aussi semble-t-il de soldats russes, semblent indiquer une nouvelle phase active après deux semaines de préparation.

 

Sept brigades de mêlée ukrainiennes sont actuellement concentrées avec une brigade d’artillerie autour de la moitié nord de la poche russe contre seulement quatre dans la partie sud entre Kherson et Mykolayev. Avec les deux brigades territoriales en réserve à Mykolayev, c’est désormais un cinquième des unités de mêlée ukrainiennes – environ 40 000 hommes – qui se trouve concentré dans ce secteur, contre 12 brigades/régiments russes disparates, soit environ 20 000 hommes au plus fort du déploiement, peut-être moins maintenant, sous le commandement de la 49e armée.

Les forces d’appui, air et surtout artillerie, doivent être sensiblement équivalentes de part et d’autre pour harceler le dispositif ennemi et ses arrières, et ponctuellement appuyer une attaque ukrainienne ou au contraire lui faire barrage. La méthode ukrainienne est très classique dans un tel contexte de camp retranché à ciel ouvert et consiste en attaques de bataillon sur de petits espaces afin de « cabosser » le front et former de petites poches obligeant les Russes à un repli sur une nouvelle ligne. C’était la méthode utilisée par les Russes dans le Donbass. On parle donc maintenant d’un nouveau cabossage avec une seconde avance le long du fleuve, cette fois en direction de Mylove à 30 km au nord du point de passage de Nova Kakhovka, associée à une attaque latérale depuis Davidyv Brid. Si ces succès sont avérés, les Russes n’auront pas d’autre choix que de se replier à nouveau.

À ce stade, si on exclut la possibilité pour les Russes, par manque de moyens, de contre-attaquer et de reprendre le terrain perdu, il n’y a que deux options possibles pour eux. Le premier est le recul pied à pied vers le fleuve, au risque d’un effondrement soudain ou d’une prise au piège si les Ukrainiens continuent à progresser rapidement le long du fleuve et/ou s’ils progressent à nouveau directement vers Kherson. Le second est le repli rapide derrière la protection du fleuve, à la manière du repli des armées autour de Kiev fin mars. Reste la question de la ville même de Kherson, dont on imagine mal qu’elle soit abandonnée sans combat par les Russes. Il faut donc s’attendre à une grande bataille, un Stalingrad sur le Dniepr, qui pourrait commencer dans les prochains jours, les prochaines semaines ou peut-être jamais si la ville est évacuée.

Les forces ukrainiennes se trouveront ensuite devant le Dniepr et il est peu probable qu’elles puissent aller au-delà, au moins dans l’immédiat, ce franchissement devant prendre l’allure d’une opération amphibie tant le fleuve est large. En fait, le Dniepr marque déjà la ligne de démarcation entre les deux camps sur plusieurs centaines de kilomètres. Il est plus probable que les Ukrainiens déplacent la majeure partie de leurs brigades sur une autre partie du front.

Le front des accusations réciproques

La bataille de la poche de Kherson s’accompagne d’une nouvelle menace réciproque sur une grande infrastructure civile sur la ligne de contact, en l’occurrence le grand barrage de Kakhovka. Comme pour le cas de la centrale nucléaire de Zaporijjia personne n’a intérêt à la catastrophe mais tout le monde a intérêt à présenter l’autre comme voulant la provoquer.

La destruction du barrage et la libération des 18 milliards de tonnes d’eau retenue provoqueraient une inondation gigantesque et dévastatrice en aval. On rappellera qu’un ouvrage civil de cette importance, de 30 mètres de haut et quelques mètres de large sur 3 km de long ne peut être détruit avec quelques obus d’artillerie, mais avec des tonnes d’explosifs bien placées. En d’autres termes, la destruction par les Ukrainiens nécessiterait une série de frappes aériennes très visibles, et il serait difficile dans ce cas pour eux d’accuser les Russes. Inversement, s’il n’y a qu’une seule grande explosion, le coupable sera forcément la Russie, seule à même de placer la charge, qui ne manquerait pas pour autant d’accuser les Ukrainiens du méfait. On ne voit pas en réalité qu’elle serait l’intérêt de dévaster ce qui pour chacun constitue son propre territoire. S’il s’agit de bloquer les troupes de l’autre camp, le Dniepr constitue déjà un obstacle majeur sans qu’il soit nécessaire d’en rajouter.

Le principal intérêt de cette accusation, comme celle d’emploi envisagé par les Ukrainiens d’une « bombe sale » (c’est-à-dire d’une munition lourde associée à des éléments radioactifs afin d’irradier toute une région) relève de la communication. Il s’agit de décrire l’autre comme un affreux prêt aux pires ignominies, y compris sur son propre territoire et son propre peuple. Cela permet de détourner l’attention, de légitimer un peu plus la guerre et de fournir des arguments à tous les sympathisants étrangers, qui reprendront intégralement les éléments de langage. Au pire, cela peut constituer une justification a priori à une escalade qui dans ce cas serait préventive. Au pire du pire, cela peut annoncer une opération réelle dont la responsabilité serait attribuée à l’adversaire, un exercice aussi cynique que délicat tant l’indignation obligatoire provoquée par de tels actes peut se retourner. Il est vrai que, comme après le massacre de Katyn en mars 1940 où l’arme de destruction massive (4 500 morts) s’appelait Vassili Blokhine, l’attribution du méfait à un autre, la négation forcenée devant les évidences et le soutien inconditionnel des militants peuvent permettre d’entretenir pendant très longtemps un doute salvateur.

Donetsk, Louhansk et X

 

L’autre zone active est le Donbass, avec une multitude de petits combats de la taille de la compagnie aux bataillons tout le long de la ligne de front. Les Ukrainiens ont l’initiative de ces attaques sur la frontière de la province de Louhansk et les Russes, en fait surtout Wagner et les brigades LNR/DNR, le long de celle de Donetsk. Les Russes semblent toujours s’obstiner à s’emparer complètement de la province de Donetsk, ou au moins à dégager la ville capitale. Ils progressent lentement autour de la petite ville d’Avdiïvka à quelques kilomètres de Donetsk comme ils (Wagner) ont progressé autour de Bakhmut depuis le mois de juillet avant de reculer à nouveau. En dehors d’un effondrement très improbable du front ukrainien qui serait par ailleurs peu utile tant les réserves russes manquent actuellement pour pouvoir réaliser une exploitation, il faudrait au moins deux ans à ce rythme pour conquérir le Donbass. Sans réserve, et donc sans supériorité numérique d’unités de combat de bonne qualité, ce genre de stratégie de type « Somme, 1916 » n’apporte pas grand-chose.

Du côté de la province de Louhansk, où réside leur deuxième effort après Kherson, les Ukrainiens ont réuni 13 brigades de mêlée de la frontière russe jusqu’à la zone forestière de la rivière Donets. En face, les Russes ont constitué un ensemble disparate de groupements tactiques issus de neuf divisions différentes (ils en ont quatorze) qui s’efforce de former une ligne solide. Il est très difficile d’évaluer la capacité de résistance de cet ensemble hétérogène qui reçoit prioritairement l’afflux des mobilisés, autant source de problèmes que renforcement. Les Ukrainiens disposant d’une supériorité de moyens dans la zone, on se trouve dans une phase de préparation, avec des reconnaissances offensives le long de la ligne en particulier dans le nord où la densité des forces est encore faible et où chacun essaie de déborder l’autre.

Cette phase de préparation est plus longue qu’anticipée mais on peut néanmoins considérer que les Ukrainiens vont reprendre des attaques de plus grande envergure soit vers Kreminna, une zone néanmoins difficile à prendre, soit plus probablement vers Svatove, directement ou par le nord. Avec Svatove entre leurs mains, Starobilsk, le point clé de tout le nord-ouest deviendrait accessible et tout le complexe urbain Kreminna – Roubijné – Severodonetsk – Lyssytchansk serait abordable par le nord.

Mais on peut imaginer aussi que les Ukrainiens décident aussi de basculer complètement leur effort sur la zone entre le Dniepr et Vouhledar (ligne DV) au sud-ouest de la ville de Donetsk, une zone plutôt calme jusqu’à présent. C’est la bataille X évoquée il y a un mois.

Les Ukrainiens disposent d’une soixantaine de brigades de mêlée. On peut en identifier 42 le long de la ligne de front. Où sont les autres ? Certaines sont en protection de Kharkiv et au nord de Kiev alors que les Russes procèdent à des gesticulations le long de la frontière russe et en Biélorussie pour en fixer un maximum. D’autres sont au repos. Il en reste cependant sans doute assez pour compléter les six déjà présentes sur la ligne DV.

Il faut toujours s’intéresser aux brigades blindées (BB) ukrainiennes, car ce sont leurs forces de choc dans les espaces un peu ouverts. Les 3e et 4e BB sont dans le Donbass, la 17e qui s’y trouvait a disparu des radars, ainsi que la 5e BB, formation de réserve intacte et équipée des chars T-72M1 fournis par la Pologne et des véhicules de combat d’infanterie YPR-765 néerlandais. Quant à la 1ère BB, la plus puissante de toutes, elle se trouve justement en arrière de la ligne DV. On note aussi dans le secteur la présence de deux brigades d’artillerie, une densité inhabituellement forte. En face, après la 58e armée russe, affaiblie par de nombreux prélèvements, on trouve aussi en réserve entre la centrale nucléaire d’Enerhodar et la Crimée les petites 36e et 5e armée, à moins qu’une ou une partie d’entre elles ait été rappelée au nord.

Une opération importante nécessite un état-major pour la planifier et la conduire. L’état-major de la zone Sud conduit la bataille de Kherson et celui de la zone Nord s’occupe de la bataille du Donbass. Il n’est pas évident que ce dernier ait la capacité de gérer une nouvelle offensive. Auquel cas, on peut concevoir l’appel à un autre état-major, celui de la zone ouest par exemple inactif depuis des mois. Il faut considérer aussi toute la logistique nécessaire à une troisième offensive. Il n’est pas évident que les Ukrainiens aient toutes ces ressources, et il sera peut-être nécessaire d’attendre l’arrêt d’une des deux offensives en cours, mais s’ils en disposent ils ont effectivement tout intérêt à attaquer entre Orikhiv, Houliaïpole et Vouhledar, prioritairement sur les deux premiers, car ce sont les points qui offrent le plus de possibilités. La prise de Tokmak serait déjà un grand succès, celle de Mélitopol marquerait le glas de la présence russe dans les provinces de Kherson et Zaporajjia et presque le retour aux lignes du 24 février, premier seuil stratégique.

Cartes de : War Mapper @War_Mapper

Paris, Londres et Washington rejettent les allégations russes sur l’éventuel emploi d’une « bombe sale » par Kiev

Paris, Londres et Washington rejettent les allégations russes sur l’éventuel emploi d’une « bombe sale » par Kiev

http://www.opex360.com/2022/10/24/paris-londres-et-washington-rejettent-les-allegations-russes-sur-leventuel-emploi-dune-bombe-sale-par-kiev/


 

Les propos tenus le 23 octobre par le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, à ses homologues français [Sébastien Lecornu], américain [Lloyd Austin] et britannique [Ben Wallace], ont de quoi être inquiétants dans la mesure où ils rappellent la méthode utilisée par Moscou pour dédouaner préventivement le régime syrien de la responsabilité des attaques chimiques qu’il était sur le point de commettre.

Tel a été le cas de l’affaire de Douma, en 2018. À plusieurs reprises, les autorités russes accusèrent les rebelles syriens, qui contrôlaient alors ce quartier de la Ghouta orientale, de préparer des « provocations aux armes chimiques » afin de donner un prétexte à la coalition anti-jihadiste dirigée par les États-Unis pour intervenir contre Damas. « La découverte d’un laboratoire fabriquant des armes chimiques dans le village d’Efteris, repris aux terroristes, le confirme », avait même affirmé le général Gerasimov, le chef d’Etat-major russe.

La suite est connue : le 7 avril, une attaque au chlore y fut menée par les forces syriennes… Ce qui motiva l’opération Hamilton qui, décidée par les États-Unis, la France et le Royaume-Uni, consista à frapper les installations du programme chimique syrien.

Peu après le début de la guerre en Ukraine, le ministère russe de la Défense a utilisé la même ficelle, cette fois-ci contre Kiev. « Nous savons avec certitude qu’avec le soutien des pays occidentaux, le SBU [Service de renseignement ukrainien, ndlr] prépare une provocation à travers l’emploi de substances toxiques contre des civils », avait en effet affirmé le général Igor Konashenkov. Et d’ajouter : « Le but de la provocation est d’accuser la Russie d’utiliser des armes chimiques contre la population ukrainienne ».

En outre, Moscou avait également affirmé avoir les preuves de l’existence d’un programme ukrainien d’armes biologiques, soutenu par les États-Unis. « L’objectif de ces recherches biologiques financées par le Pentagone en Ukraine était de créer un mécanisme de propagation furtive de pathogènes meurtriers », accusa le général Konashenkov.

En réalité, il s’agissait du programme de « réduction des risques biologiques » [Defense Threat Reduction Agency – DTRA] visant, avec l’aide de Washington, « à consolider et sécuriser les collections de pathogènes dangereux dans des laboratoires de référence ou des dépôts centraux, améliorer la sûreté et la sécurité des installations biologiques ». D’autres pays en ont d’ailleurs bénéficié, comme la Géorgie ou encore l’Ouzbékistan. Et, en mai, l’ONU a confirmé qu’il n’y avait « aucune trace d’un programme secret d’armes biologiques » en Ukraine.

Mais lors de ses entretiens avec ses homologues occidentaux, M. Choïgou a accusé l’Ukraine de préparer une attaque sur son territoire à l’aide d’une « bombe sale » [ou bombe radiologique] en vue d’en faire porter la responsabilité Moscou.

« Le ministre des Armées [Sébastien Lecornu] s’est entretenu ce dimanche 23 octobre avec son homologue russe, Sergueï Choïgou, à la demande de ce dernier. Sergueï Choïgou a dit craindre une frappe de bombe sale par les Ukrainiens sur leur territoire pour en faire porter la responsabilité à la Russie », a ainsi indiqué le ministère des Armées, via un communiqué.

Pour rappel, une bombe radiologique associe des explosifs à des matériaux radioactifs. Elle ne produit pas d’effet spectaculaire [ce que recherchent les organisations terroristes, dont certaines ont été accusées d’avoir cherché à en fabriquer]. En revanche, elle peut rapidement exposer la population à la radioactivité, comme l’a montré l’affaire de Goiania [Brésil], où, en 1987, il avait suffi de 20 grammes de césium trouvés dans un appareil de radiologie volé pour contaminer plus de 100’000 personnes en quelques heures [sept en mourront].

Aussi, au regard de l’expérience syrienne, la Russie prépare-t-elle une opération sous « fausse bannière » avec une « bombe sale »?

Selon le communiqué du ministère des Armées, M. Lecornu « a rappelé que la France refuse toute forme d’escalade, singulièrement nucléaire » et qu’elle « appelle la Russie à mettre un terme à sa guerre d’agression contre l’Ukraine et à tout mettre en œuvre pour contribuer à la désescalade ».

Les ministères des Affaires étrangères français, américain et britannique ont été encore plus précis, dans un communiqué publié conjointement. « Nos pays ont clairement indiqué qu’ils rejettent les allégations, à l’évidence fausses, de la Russie selon lesquelles l’Ukraine se prépare à utiliser une bombe sale sur son propre territoire. Personne ne serait dupe d’une tentative d’utiliser cette allégation comme prétexte à une escalade. Nous rejetons plus généralement tout prétexte d’escalade de la part de la Russie », ont-ils assuré.

De son côté, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a affirmé que « si la Russie appelle et dit que l’Ukraine serait en train de préparer quelque chose, cela signifie que la Russie a déjà préparé tout cela » et si elle « préparé une nouvelle étape dans l’escalade, elle doit voir maintenant, de façon préventive et avant un de ses nouvelles ‘saletés’, que le monde ne l’acceptera pas ».

Ukraine : dissuasion nucléaire en échec

Ukraine : dissuasion nucléaire en échec

 

par Bernard Norlain* -Esprit Surcouf – pubmié le 21 octobre 2022
Général d’armée aérienne (2s) – https://espritsurcouf.fr/defense_ukraine-dissuasion-nucleaire-en-echec_par_bernard-norlain_n199-211022/


Surprises, remises en cause, bouleversements, la guerre en Ukraine n’a pas fini d’interpeller notre politique étrangère et nos affaires militaires. Le général Norlain, qui milite depuis longtemps pour un désarmement nucléaire, y trouve une confirmation de ses idées un brin iconoclastes. Ses réflexions sont si denses que nous publierons son article en deux parties. Cette fois-ci un constat : la dissuasion nucléaire ne fonctionne pas.

 

La guerre qui se déroule actuellement en Ukraine, dans toute sa violence,  nous dit ce que devraient être les conflictualités du futur. Elle dessine les contours d’une nouvelle politique de défense et de sécurité pour notre pays. A la fois classique et moderne, multiforme, multi-espaces, elle se caractérise par sa diversité et sa complexité, opérationnelle, technologique, économique, politique, sociale.

Portée par la mondialisation et la numérisation, la complexité a envahi tous les champs de la praxis humaine, et particulièrement celui de la conduite des conflits et des politiques de défense. Or l’ennemi le plus grand de la complexité, particulièrement dans le cadre de la réflexion stratégique est celui de la pensée unique, érigée en doctrine. Edgar Morin le dit « Une théorie qui se ferme au réel devient doctrine. La doctrine est la théorie qui affirme que sa vérité est définitivement prouvée et réfute tous les éléments du réel ».

En France la dissuasion nucléaire, figée dans son concept, est devenue un mantra immuable, une religion,  célébrée  par une armée de prêtres, avec ses adorateurs et ses excommuniés.

La possibilité de la guerre nucléaire

Pourtant le réel vient frapper à notre porte. Parmi les enseignements que l’on peut d’ores et déjà tirer du conflit en Ukraine, il en est un qui s’impose : celui du retour en force de la menace nucléaire.

 En fait celle-ci n’avait jamais disparu, elle s’était en quelque sorte effacée dans un monde perçu comme apaisé, tout au moins d’un point de vue occidental. Elle semblait maitrisée par un concept et ses systèmes d’armes associés : celui de la dissuasion nucléaire.

Devenue en France la « clé de voûte » de notre politique de défense, la dissuasion nucléaire a envahi et stérilisé depuis des décennies le champ de la réflexion stratégique. Elle s’est imposée comme un principe sacré, loué par une longue théorie d’experts auto-proclamés, tous directement ou indirectement au service de la « force de frappe », et donc chargés de servir la communication officielle.

Or, la guerre en Ukraine montre que la possibilité d’une guerre nucléaire est vraisemblable. Au grand dam de tous les activistes de la Bombe qui se répandent dans les médias, pour expliquer que nous sommes toujours à l’abri derrière notre ligne Maginot nucléaire, et qu’il est donc inconcevable que le conflit débouche sur une guerre nucléaire. Ils oublient de dire que tout leur discours autour de « la garantie absolue de sécurité », du « non-emploi » de l’arme nucléaire, de la paix garantie par la Bombe, s’écroule dès lors que la guerre nucléaire rentre dans le champ des possibles. Ce que, en réalité, elle n’a jamais quitté. « La dissuasion nucléaire nous promettait la paix. Le président Poutine démontre avec la guerre en Ukraine que le risque d’escalade nucléaire est plus élevé aujourd’hui que pendant la guerre froide (Jean-Marie Guéhenno) » La syntaxe de la « grammaire » nucléaire a perdu ses règles et le dogme s’est brisé sur le roc des réalités.

 

Le nouveau missile nucléaire russe RS-28 Sarmat, ou Satan 2 pour l’OTAN. On dit qu’il pourrait souffler un territoire d’une superficie égale au Texas ou à la France.
Photo Kremlin.

L’échec de la dissuasion

On pourrait penser que la dissuasion, dans son principe même, apporte une autonomie stratégique, une capacité de défendre nos intérêts et nos valeurs, en l’occurrence de répondre à l’agression russe et aux menaces notamment nucléaires que ne cessent de proférer le président russe et ses séides. Au contraire, les États nucléaires démocratiques, terrorisés par le risque d’un affrontement nucléaire, sont inhibés dans leurs actions, prisonniers de leurs contradictions et, ce qui est le plus grave, privés volontairement de liberté de manœuvre. Alors que le chef des agresseurs multiplie les déclarations agressives, le mot « nucléaire » devient tabou, les exercices qui pourraient passer pour de la « provocation » sont annulés. Les « lignes rouges » sont imposées par le maître du Kremlin.

En réalité la possession de l’arme nucléaire révèle sa véritable nature : elle est un permis d’agresser. « Le fait que les autorités aient à leur disposition des forces d’une puissance quasi surnaturelle et apocalyptique ne les a pas conduites à la sagesse et à la modestie. Cela les a rendues arrogantes et violentes ».

 La menace nucléaire est brandie par l’agresseur pour dissuader l’agressé de faire appel à des recours. Ceux-ci étant eux-mêmes dissuadés de se porter au secours de l’agressé par crainte d’une escalade nucléaire. « En évoquant le risque d’une guerre nucléaire, Vladimir Poutine utilise la dissuasion à des fins offensives (Jean-Marie Guéhenno) »

Il ne s’agit plus de « dissuasion » mais de « persuasion ». Le volet défensif s’accompagne d’un volet offensif impliquant l’emploi possible de l’arme nucléaire, loin du « non-emploi » de la doctrine nucléaire française.

Une épée de Damoclès

A vrai dire tout ceci n’est pas nouveau. Depuis 1945, l’humanité vit avec cette épée de Damoclès au-dessus de nos têtes et danse au bord du gouffre. La guerre en Ukraine ne fait que révéler les contradictions attachées à l’arme nucléaire et aux concepts qui tentent de justifier son existence et sa possession.

Pour la première fois l’humanité s’est donné la capacité de se détruire elle-même. Elle a créé un monstre et pendant un temps les Etats qui se sont dotés de cette arme ont cru pouvoir apprivoiser et manipuler le monstre. Il aura suffi d’un apprenti sorcier pour que le monstre se réveille, échappe à ses mentors et les menace. « La crise ukrainienne et le nucléaire ne relève pas uniquement de la géopolitique. C’est la violence qui les manipule selon ses propres lois »

 

Montage photographique d’origine inconnue

En rendant perceptible la possibilité de la guerre nucléaire, et en révélant la vraie nature des doctrines censées la conjurer, la guerre en Ukraine nous place devant nos responsabilités. Faire face : réaliser qu’une catastrophe majeure est possible et tout faire pour l’éviter. Dans le cas de l’arme nucléaire et de ses conséquences dévastatrices pour la planète, il n’est d’autre solution que d’aller, à terme, vers un désarmement nucléaire selon un processus multilatéral, progressif et contrôlé. Processus faisant déjà l’objet de nombreuses propositions.

Ce n’est pas tout. Erigée en garantie absolue de sécurité, la dissuasion nucléaire a anesthésié l’esprit de défense chez ceux qu’elle est censée protéger. Le rôle du citoyen a été amoindri par la Bombe et la politique fondée sur la dissuasion, car il n’est plus en mesure de justifier ni de s’élever contre ce qui est fait en son nom. Il ne peut y avoir de sécurité sans participation, adhésion et responsabilité. C’est une éthique de responsabilité et donc une éthique de conviction qu’il faut développer.

Pourtant, jamais l’addiction à l’arme nucléaire n’a été aussi forte. Crispés sur leur statut, parfois usurpé, de grandes puissances, entraînés dans une concurrence mimétique technologique et opérationnelle, les États nucléaires, officiels ou non, s’engagent actuellement dans une nouvelle course aux armements de plus en plus dangereuse. Plus encore, les cinq États nucléaires signataires du Traité de Non-Prolifération (TNP),  arcboutés sur leurs privilèges, refusent de respecter leur engagement de désarmement nucléaire (objet de l’article VI). Par leur discours sur la garantie ultime de sécurité que procurerait la possession de cette arme, ils encouragent encore plus une prolifération qu’ils dénoncent par ailleurs.

Depuis les bombardements de Hiroshima et Nagasaki, le monde n’a plus subi de détonation nucléaire,  qu’elle soit intentionnelle ou accidentelle. Mais lorsque l’on fait le bilan des événements qui auraient pu conduire à un conflit nucléaire, ou plus simplement le nombre d’accidents ou d’incidents qui auraient pu provoquer une explosion (82 aux USA), on peut dire que le monde a eu de la chance. Mais la chance ne peut tenir lieu de stratégie. Le réalisme n’est pas de croire en une hypothétique « garantie absolue de sécurité » mais de penser la possibilité de la guerre ou de l’accident nucléaire. Il faut, selon le mot du philosophe JP Dupuy, « penser la nécessité de l’avenir et son indétermination »

A cette indétermination de l’avenir, amplifiée par l’évolution fulgurante et multiforme du paysage stratégique que nous connaissons, la réponse nucléaire reste figée dans ses concepts depuis soixante ans, tout au moins en France, et crispée dans son refus de toute remise en cause ou de toute réévaluation.

Il est temps de repenser la dissuasion

La suite de cet article, la dissuasion obsolescente, à lire dans notre prochaine publication.

* Bernard Norlain, général d’armée aérienne, totalise plus de 6 000 heures de vol. Il a commandé la base aérienne 118 de Mont-de-Marsan (1984-1986), la Défense Aérienne (1990-1992), la Force Aérienne tactique (1992-1994). Il a aussi été chef du cabinet militaire du premier ministre Jacques Chirac puis de Michel Rocard, directeur de l’Institut des Hautes Études de Défense Nationale, et directeur de la revue « Défense nationale ».Après son adieu aux armes, il a œuvré dans l’industrie, notamment comme directeur général de la Sofema (société française d’exportation des matériels aéronautiques). Le 15 octobre 2009, il a cosigné avec Michel Rocard, Alain Juppé et Alain Richard, une tribune dans le quotidien Le Monde pour plaider en faveur du désarmement nucléaire

Guerre en Ukraine et LPM-Le top 4 des enseignements de la guerre actuelle

Guerre en Ukraine et LPM-Le top 4 des enseignements de la guerre actuelle

(Tyler Hicks/The New York Times)

 

par  Michel Goya – La voie de l’épée – publié le 10/19/2022

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


La guerre en Ukraine n’est pas terminée, loin s’en faut, mais alors que l’on réfléchit à nouveau en France sur notre modèle d’armées et sur la future loi de programmation militaire, il n’est pas inutile de revenir sur ce qui parait déjà évident au regard des huit mois de conflit. C’est une appréciation évidemment personnelle et donc tout aussi évidemment critiquable avec des arguments.

1-20 % des ressources pour ceux qui font 80 % du travail, c’est peu

Les difficultés de la Russie à vaincre militairement l’Ukraine, un pays au budget de défense officiellement 13 fois inférieur (et officieusement bien plus encore, malgré l’aide américaine avant 2022) s’explique d’abord par un modèle d’armée inadapté au contexte.

La Russie a voulu une armée de classe « Etats-Unis » avec un PIB à peine supérieur à celui de l’Italie et il a fallu forcément effectuer des arbitrages. Chacune de ses composantes a argué de son absolue priorité pour assurer la dissuasion nucléaire, la présence et le prestige du drapeau blanc-bleu-rouge dans le monde, le soutien à l’industrie et parfois pour gagner les guerres à mener.

Au bout du compte, la Russie a opté pour le maintien d’un arsenal nucléaire pléthorique, la modernisation massive de son aviation et de sa marine, une défense antiaérienne puissante, la création et le développement des forces spéciales et d’une force d’assaut aérien indépendante. Il ne restait plus que 20 % des ressources pour l’armée de Terre. La confrontation et éventuellement la guerre contre les pays occidentaux ont attiré les regards, les esprits et les budgets (toujours agiter la menace la plus forte pour attirer les finances) alors que la probabilité d’une telle guerre était et reste toujours très faible, dissuasion nucléaire oblige. Au nom du « plus permettant le moins », on a cru que ce modèle pouvait faire face à tout et cela s’est avéré un leurre lorsqu’il a fallu mener une vraie guerre et sans l’excuse de la surprise puisque c’est la Russie elle-même qui a déclenché cette guerre.

De la lutte contre des organisations armées à l’invasion d’un pays, on ne gagne pas les guerres en tuant tous les combattants ennemis à distance – une stratégie de riche Sisyphe qui ne veut pas prendre de risque – mais en occupant le terrain. Or, l’armée russe en charge de planter les drapeaux était bien inférieure à ce qu’elle aurait pu être au regard du potentiel du pays.

En face, par défaut de moyens et ambition limitée à la défense du territoire, l’armée ukrainienne a consacré 90 % de ses ressources à ses forces terrestres et aux moyens anti-accès. Alors qu’une grande partie du modèle d’armée russe ne pouvait être engagé contre l’Ukraine, le rapport de forces réel sur le terrain s’est donc retrouvé beaucoup moins déséquilibré qu’il aurait pu être. Peu importe de pouvoir gagner éventuellement des guerres hypothétiques, et d’autant plus hypothétiques qu’elles opposeraient des puissances nucléaires, si on n’est pas capable de gagner les guerres majeures du moment et notamment celles que l’on a décidées.

On ajoutera pour aller plus loin dans le détail du modèle que non seulement l’armée de Terre russe a été négligée, mais que le modèle même de cette armée de Terre, fondée sur la puissance de feu de l’artillerie et la puissance de choc des chars de bataille, s’est trouvé pris en défaut. Il n’est pas moyen de gagner une guerre majeure sans infanterie, la sienne ou celle des alliés que l’on soutient, nombreuse et de qualité, surtout lorsque le milieu est complexe et urbanisé comme l’Ukraine. L’armée de Terre russe disposait d’autant moins de cette infanterie nécessaire que les meilleurs éléments étaient pris par les forces aéroportées et les brigades d’infanterie navale, de bonnes unités, mais mal équipées et mal organisées pour combattre autrement que dans le cadre d’opérations aéromobiles/aéroportées/amphibies, qui se sont révélées rarissimes.

  1. Le stock, c’est la survie

Le rapport de forces était d’autant moins favorable aux Russes que les Ukrainiens disposaient de réelles réserves humaines au contraire d’eux. Pouvoir faire face à un changement radical de contexte, c’est être capable de remonter en puissance très vite ou au moins de pouvoir alimenter la puissance sur la durée. Russes et Ukrainiens ont eu l’intelligence de s’appuyer sur leurs stocks de vieux équipements majeurs hérités de l’armée soviétique. Rétrofités, ils ont permis de disposer de la masse matérielle. La différence est que les Ukrainiens ont mieux organisé la ressource humaine destinée à se servir de cette masse matérielle.

On ne peut remonter en puissance rapidement sans faire appel aux ressources du reste de la nation. L’Ukraine a organisé cet appel, pas la Russie. Les Ukrainiens disposaient de réelles réserves d’hommes expérimentés qui ont permis de compléter les brigades d’active, d’en former de nouvelles à la mobilisation et de constituer le cadre des brigades territoriales. Avec l’afflux des volontaires puis des mobilisés, les Ukrainiens ont disposé d’une masse d’hommes qui sont devenus des soldats au bout de plusieurs mois de formation et d’expérience. On peut ajouter que cet apport de la nation a aussi été un apport de compétences particulières et même d’équipements civils d’utilité militaire. Grâce à cet effort de mobilisation et avec l’aide matérielle occidentale, l’armée ukrainienne est devenue la plus puissante d’Europe à l’été 2022.

En face, rien de tel car rien n’a été prévu. Un peu comme la France dans la guerre contre l’Irak en 1990, la Russie a engagé un corps expéditionnaire uniquement composé de soldats professionnels, mais sans avoir prévu une réserve opérationnelle professionnelle de même ampleur pour le compléter ou le soutenir. Depuis le début de la guerre, la Russie improvise donc en la matière, du ratissage de volontaires jusqu’à la mobilisation partielle chaotique, et cela ne donne évidemment pas de bons résultats. On ne fait pas sérieusement de guerre de haute intensité, pour reprendre le terme désormais consacré, sans avoir au préalable simplifié les procédures administratives, organisé des stocks d’équipements et de ressources logistiques, des unités de réserves complètes, le recensement de tous les individus ayant une expérience militaire, la possibilité de réquisition d’équipements civils et planifié la transformation des chaines de production.

Ajoutons que même si, comme les pays occidentaux actuellement, on reste dans le cadre d’une confrontation et pas de la guerre, disposer au moins de stocks d’équipements et de structures de formation permet au moins d’aider matériellement beaucoup plus facilement le pays allié qui, lui, est engagé en guerre.

  1. Le ciel est-il devenu trop dangereux pour les humains ?

Une des caractéristiques de la guerre en Ukraine est qu’on y voit peu d’avions, les stars ( à 70 % américaines) des guerres en coalition que l’on menait pendant le « Nouvel ordre mondial ». Ce n’est pas complètement nouveau. Déjà la guerre de 2014-2015 dans le Donbass s’était faite pratiquement sans aéronefs pilotés, ainsi que celle entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie en 2020. La raison principale réside dans la difficulté à engager des engins pilotés à plusieurs dizaines de millions d’euros dans un environnement dense de défense antiaérienne sur plusieurs couches. Malgré la prudence dans leur emploi, les forces aériennes russes ont perdu à ce jour 63 avions et 53 hélicoptères, pertes documentées et donc inférieures à la réalité. Il existe par ailleurs des moyens alternatifs pour réaliser quand même les missions de ces aéronefs : drones en tout genre, artillerie à longue portée et missiles. La campagne russe de frappes dans la profondeur du territoire ukrainien est la première à être presque entièrement menée avec des missiles ou quasi missiles depuis celle des V-1 et V-2 allemands en 1944-45. Elle a sensiblement la même inefficacité.

On notera qu’après avoir placé toute sa confiance dans la certitude de disposer de la supériorité aérienne (avec l’aide américaine dès qu’il fallait faire quelque chose d’important et/ou de longue durée) et dans son souci d’économies à tout crin, la France a sacrifié à la fois son artillerie antiaérienne et son artillerie sol-sol ainsi que les drones, qui paraissaient ne pas avoir d’utilité dans un tel contexte dont on savait pourtant pertinemment qu’il aurait une fin. Si les forces aériennes américaines sont encore capables à grands frais d’évoluer dans un environnement aussi hostile, qu’en est-il réellement des forces françaises ?

Le problème se pose également pour les opérations amphibies ou simplement près des côtes, à portée de missilerie ou encore pour les opérations d’assaut aérien. Doit-on y renoncer au profit d’autres modes d’action ? Faut-il adapter les moyens pour les rendre capables de pénétrer malgré tout des défenses anti-accès puissantes ? Est-ce que cela vaut le coup ?

  1. L’atome, c’est la paix ou presque

On n’a jamais parlé autant de l’arme atomique depuis les années 1980. C’est l’occasion au moins de rappeler combien elle est utile pour empêcher les guerres entre les puissances qui la possèdent. Si l’arme nucléaire n’avait pas existé, nous serions non pas au seuil d’une troisième guerre mondiale, mais d’une quatrième, puisque la troisième aurait certainement déjà eu lieu durant entre l’OTAN, le Pacte de Varsovie et la Chine entre 1950 et 1990.

Il faut donc pour la France continuer à améliorer cet outil et conserver cette capacité de seconde frappe (être capable de répondre à une attaque nucléaire massive) qui seule permet réellement d’être dissuasif face à une autre puissance nucléaire. Le problème majeur est que cela a un coût, et même un coût croissant. Le coût supplémentaire du renouvellement des moyens de notre force de frappe nucléaire est en train de dévorer l’augmentation du budget des armées et donc, à moins d’augmenter encore ce budget, de produire des effets d’éviction.

C’est l’occasion de rappeler la nécessité d’avoir des moyens en fonction de ses ambitions – si on faisait le même effort de défense qu’en 1989 le budget des armées serait de 70 milliards d’euros – ou si ce n’est pas possible de faire l’inverse, sinon la France se trouvera dans la position actuelle de la Russie dès lors qu’il s’agira de faire réellement la guerre.

Ukraine: les besoins en sang augmentent depuis août, signes que les pertes s’alourdissent

Ukraine: les besoins en sang augmentent depuis août, signes que les pertes s’alourdissent

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par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 17 octobre 2022

http://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/


Il y a toujours aussi peu d’informations sur les pertes ukrainiennes. Le dernier chiffre date d’août. Environ 9 000 soldats ukrainiens ont été tués en six mois d’invasion russe, avait alors déclaré le commandant en chef de l’armée ukrainienne Valery Zaloujny, cité par l’agence Interfax-Ukraine. Rien alors sur le nombre des blessés.

Depuis août, aucun chiffre n’a été fourni par Kiev dont les pertes sont certainement élevées du fait des actions offensives lancées en fin d’été.

Le président Zelensky a rendu visite la semaine dernière à des soldats hospitalisés (photo ci-dessus: Ukrainian Presidential Press-Service) mais il n’a fait aucune remarque sur les pertes nationales qui, mathématiquement, devraient désormais s’approcher des 12 000 tués militaires (auxquels s’ajoutent 6 200 tués civils selon l’Onu).

Seul indicateur: les besoins en sang.
« La demande de sang a augmenté d’environ 20% à Kiev », expliquait la semaine dernière Vitaly Demsky, directeur du centre municipal de don du sang de la capitale ukrainienne. D’où des appels incessants aux dons. 

Parmi les nouveaux donneurs, Julia, 35 ans, venue pour la première fois: « J’ai beaucoup d’amis dans l’armée, ils pourraient en avoir besoin un jour« . 

Les dons de sang se multiplient depuis août, en particulier dans les villes proches du front sud, comme Odessa et Mykolaïv, ville où une collecte massive a eu lieu le 3 septembre.

L’effort est national. Ainsi début septembre, des employés du State Bureau of Investigation (le FBI ukrainien, photo ci-dessous) ont participé à une collecte dans leurs bureaux de Kiev. Vingt litre de sang ont été recueillis au profit des soldats blessés. 

 

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L’ONG ukrainienne Donor.UA multiplie elle aussi les appels au don de sang. Fin février, lors de l’attaque russe, l’ONG avait recensé 24 000 donneurs. Quatre mois plus tard, elle pouvait compter sur quatre fois de volontaires. Après un relatif répit en début d’été, Donor.UA a vu la demande augmenter du fait du lancement de la contre-attaque ukrainienne dans le Donbass et au sud, dans l’oblast de Kherson en particulier. Le système hospitalier a même connu des pénuries de sang du fait d’un nombre croissant de blessés militaires et civils. D’où de nouveaux appels pressants, comme à Odessa:

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Les entreprises ukrainiennes ne sont pas en reste. Ainsi DTEK Energy (60 000 employés) a annoncé le 10 septembre que 50 000 membres de son personnel avaient donné leur sang depuis mars.

Pour autant, les chiffres des pertes sont considérés comme confidentiels par l’état-major ukrainien qui restreint l’accès des médias aux centres de soins. Il est donc toujours impossible d’avancer des chiffres précis sur les morts, blessés et disparus ukrainiens.