La construction de l’appropriation de l’esprit de défense par la société civile est un processus continu qui nécessite une volonté politique, une écoute active et une ouverture au dialogue. Elle ne peut se décréter. Elle se construit dès le temps de l’école.
Avant toute chose, il convient d’écouter les préoccupations de la société civile et de bâtir ensuite des politiques à long terme et non d’inventer des recettes aux relents électoralistes. Acteurs de terrain que nous sommes, nous les associations patriotiques, pouvons chacun selon nos missions et nos moyens, nous inspirer du plan d’action ci-dessous et nous préparer à :
Communiquer de façon transparente : il est essentiel de communiquer de manière transparente avec la société civile pour expliquer les enjeux et les raisons qui justifient l’esprit de défense qui n’est pas l’apanage des militaires.
Organiser des séances d’information, des conférences et des débats ouverts pour sensibiliser les citoyens aux questions de défense et pour répondre à leurs questions et préoccupations.
Éduquer et sensibiliser : mettre en place des programmes d’éducation et de sensibilisation qui permettent aux citoyens de comprendre l’importance de la défense nationale et de l’esprit de défense. Cela peut inclure des cours, des ateliers, des simulations et des activités interactives.
Impliquer la société civile : encourager la participation active de la société civile dans les décisions liées à la défense. Organiser des consultations publiques, des groupes de discussion et des forums où les citoyens peuvent exprimer leurs opinions et contribuer aux politiques de défense. Impliquer également les médias, les ONG et les organisations locales pour promouvoir un dialogue ouvert.
Rendre la défense pertinente : mettre en évidence le lien entre la défense et les préoccupations quotidiennes des citoyens. Montrer comment la sécurité nationale est liée à la stabilité économique, à la protection des droits et à la préservation de la paix. Faites comprendre que l’esprit de défense est une responsabilité partagée qui profite à tous.
Établir des partenariats : collaborer avec des organisations de la société civile, des universités, des entreprises et d’autres acteurs locaux pour développer des initiatives communes axées sur la défense. Cela renforcera les liens entre les forces armées et la société civile, favorisant ainsi une meilleure compréhension et acceptation mutuelle.
Valoriser les anciens combattants : honorer et valoriser les anciens combattants pour leurs services rendus à la nation. Mettre en avant leurs histoires et leurs contributions, ce qui aidera à créer un lien émotionnel entre la société civile et les forces de défense.
Utiliser les médias et les réseaux sociaux : les médias et les réseaux sociaux sont des outils puissants pour atteindre un large public. Utilisez-les pour partager des informations sur la défense, pour promouvoir des initiatives et pour susciter des discussions constructives. Créer des contenus attrayants et engageants pour susciter l’intérêt et la participation.
Renforcer la confiance : développez des politiques et des mécanismes de responsabilisation pour renforcer la confiance entre les forces de défense et la société civile. Montrez que les décisions sont prises de manière éthique et transparente, et que les intérêts de la nation et de ses citoyens sont pris en compte.
En initiant une démarche structurée telle que celle proposée ci-dessus, nous saurons faire adhérer petit à petit jeunes et moins jeunes pour qui les mots « Nation, Patrie, Engagement, Servir » n’ont pas ou peu de sens.
En encourageant nos interlocuteurs à persévérer dans la recherche d’une réponse à la question « que puis-je apporter à mon pays ? », nous pourrons contribuer à la construction de la cohésion nationale qui nous fait tant défaut aujourd’hui.
Enfin et surtout, progressivement, communauté militaire et société civile découvriront à leur grande surprise que la « défense des valeurs », dont « l’esprit de défense » est l’illustration, fait partie du patrimoine de chaque français et non le privilège du seul ministère des armées.
Professeur agrégé, docteur habilité en Histoire des relations internationales et stratégiques contemporaine, président de l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS), François Géré étudie depuis 1985 les opérations psychologiques (propagande, désinformation). Il a publié une vingtaine d’ouvrages, notamment aux éditions Economica La guerre psychologique (1995), La guerre totale (2001), La pensée stratégique française contemporaine (2017). Membre du Conseil scientifique qui soutient le Diploweb.com
L’information à l’heure d’Internet ouvre de nouvelles possibilités, y compris de manipulation. Il importe de saisir comment les progrès techniques ont renforcé la place de l’information dans notre quotidien et ses enjeux, désinformation comprise. Dans le contexte des élections à venir, tous les citoyens attachés à la démocratie y trouveront matière à réflexion. Porter un regard critique sur les sources et mode de communication est probablement le thème le plus exigeant du programme de spécialité HGGSP de la classe de Première. C’est pourquoi le Diploweb.com donne la parole à un expert à même d’éclairer les enseignants… et leurs élèves. François Géré a signé « Sous l’empire de la désinformation. La parole masquée », Paris, Economica. Propos recueillis par Pierre Verluise, Fondateur du Diploweb.com.
P. Verluise (P. V) : Comment évaluer le rôle d’Internet dans la mondialisation et l’individualisation de l’information ?
En plein développement, l’âge informationnel se caractérise par une double transformation simultanée et étroitement interactive : l’une, la panmédiatisation, est d’ordre psycho-biologique, l’autre, le multimédia, relève de la technique et de l’économie.
La panmédiatisation
Elle questionne les mutations induites par l’avènement de l’âge informationnel sur l’esprit et le corps humain. En quoi, comment et jusqu’à quel point changeons nous ? En effet, la multiplicité des médias disponibles crée un environnement nouveau qui affecte le sujet humain : le rapport au réel ainsi qu’à son apparence, le rapport au temps et enfin, le rapport à soi et à l’autre. Jusqu’à quel point l’attraction grandissante du monde virtuel influe-t-elle sur la psychè, les comportements l’éducation et l’acquisition du savoir ?
La fabrication d’une nouvelle temporalité permet de disposer d’une chronologie décalée et flexible. Entre l’enregistrement et la consultation d’une information s’intercale un temps différé. Grâce à la « retransmission », au podcast par exemple, l’homme peut croire ou espérer maîtriser la gestion de son temps. En est-il modifié et dans quelle mesure ?
Simultanément, des prothèses s’accolent à son corps, se branchent sur ses sens et vont même jusqu’à le pénétrer. Elle comporte des incidences psychologiques sur la nature de l’ego. Faut-il parler de narcissisme exacerbé par un nouvel avatar, le « blog » ? S’il sort de la massification médiatique, l’être humain est-il rendu à sa liberté intellectuelle ? N’est-ce pas, à l’inverse, l’occasion de s’insérer dans des réseaux nouveaux, tout aussi aliénants ? On constate le renforcement de l’appartenance et parfois de la dépendance à l’égard d’un groupe, fondé sur des croyances, des superstitions, des particularismes, régionalismes et autres communautarismes.
L’essor d’un bien de consommation mondial : le multi-média
Une telle transformation ne pourrait s’incarner et développer ses effets sans le concours d’outils techniques, de vecteurs, toujours plus nombreux, divers, séduisants et performants.
L’emploi de ce terme « médias » tend à devenir obsolète en raison de l’extrême hétérogénéité technique et géographique de ce qu’il recouvre. Presse écrite, radio, télévision, cassette audio, cassette-vidéo, photos numériques, caméra embarquée, fichier MP3, Internet produisent chacun des effets propres et font l’objet d’utilisations très différentes selon les pays, les cultures, les classes sociales et les buts poursuivis par les organisations politico-idéologiques.
Ce double phénomène est créateur d’un homme différent non pas au sens génétique du terme mais au niveau sensoriel de son appareil perceptif. Quelles en sont exactement les composantes ? Et les incidences prévisibles dans chacun des moments de l’existence des individus et des sociétés, notamment en ce qui touche à l’affrontement, au rapport entre la paix et la guerre ? Un individu mieux informé, plus confiant en soi, serait-il moins agressif ? Ou bien largement désinformé, plus facilement manipulable, devient-il potentiellement plus incertain, imprévisible et dangereux ? Le développement à grande vitesse des plates-formes et des vecteurs de communication loin d’apporter des réponses satisfaisantes relance le questionnement en créant des problèmes supplémentaires.
P. V. : Quel est le rôle spécifique d’Internet dans l’accompagnement de ces mutations ?
F. G. : Voici déjà longtemps, dans les années 1970, les grands laboratoires de recherche scientifique comme le MIT de Boston, la DARPA du Pentagone ainsi que le CERN de Genève ont recherché des moyens de communication nouveaux correspondant aux possibilités offertes par le développement rapide de l’électro-informatique. La création d’Internet a mis à disposition d’un nombre croissant d’utilisateurs un nouveau vecteur qui, depuis ses origines, s’est voulu une avancée de la libre parole et de la transmission de la connaissance à travers le monde. Ainsi en revient-on à un principe fondamental : un vecteur n’est ni bon ni méchant, tout dépend des finalités qui président à son usage. Néanmoins dans l’âge de l’information Internet, de par ses propriétés remarquables, constitue une « révolution dans la révolution ». La souplesse et la facilité d’emploi, la rapidité de la communication, la formation d’une toile de dimension mondiale (world wide web) en font un outil exceptionnel de propagande et de possible désinformation. Qui pouvait rêver d’un aussi puissant moyen de propagation de rumeurs et de critiques fondées ou non ?
P. V. : En quoi la communication est-elle affectée par Internet ?
F. G : L’irruption rapide d’Internet, son ampleur, sa diversité créent, au regard de l’information une tendance de fond : la « réindividualisation » (réappropriation individuelle) et la « démassification ». Elle va dans le sens du « panmédiatisme » mais aussi de la possible réappropriation par l’individu de l’information par le biais d’une sélection critique, celle de ses goûts (on peut les conditionner) mais aussi celle de ses intérêts, plus difficiles à cerner de l’extérieur. Internet parachève le phénomène déjà perceptible de sortie des médias de masse vers l’information individualisée, ciblée, productrice de rassemblements d’informés ou d’informés qui se fédèrent librement.
Cela affecte notre vie quotidienne à savoir la manière dont nous travaillons, dont nous consommons, dont nous interagissons. Cela touche également les producteurs et les contrôleurs traditionnels de l’information tels que l’Etat, les grands groupes financiers, mais aussi les nouveaux producteurs d’information à savoir les organisations non gouvernementales humanitaires mais parfois radicales et violentes. Reste à savoir qui, de tous ces acteurs, tire le meilleur parti de cette décentralisation portée par une mutation du rapport au temps et à l’espace.
Internet est devenu un outil économique et financier à travers lequel circulent des milliards de dollars. C’est donc un moyen de spéculation et bien évidemment de manœuvres de désinformation économique. C’est aussi une forme de dépendance considérable des individus dans leur vie privée, dans leur existence professionnelle. Internet n’est pas encore à la disposition de tout le monde : de fortes disparités géographiques et sociales persistent. Les plus défavorisés pourraient se trouver écartés de cette chance et retomber dans la misère particulière des laissés pour compte de l’âge de l’information.
Mais c’est aussi un théâtre d’affrontement : un espace où l’on espère gagner et risque de perdre et pas seulement de l’argent. Est mise en jeu l’influence sur l’état des cœurs et des esprits qui affecteront les comportements et induiront des pressions sur l’autorité politique, donc sur la décision finale.
On comprend le désarroi des appareils d’Etat, des organisations lourdes et des bureaucraties ankylosées face à ce déferlement d’inconvénients pour leur discours officiel mais aussi d’opportunités qu’ils savent encore mal exploiter. Ce n’est certes pas un hasard si Internet a été immédiatement utilisé par les organisations non gouvernementales, humanitaires ou violentes, afin de diffuser leurs messages. L’utilisation d’Internet est presqu’immédiatement familière aux organisations militantes –indépendamment de leurs objectifs- car elle correspond aux techniques de la guérilla : concentration soudaine, surprise, action, disparition, réapparition, changement de terrain (de thèmes). Internet permet de créer des forums temporaires qui font leur œuvre dans les esprits avant même qu’il soit possible de vérifier la véracité de l’information. Les journalistes sont également pris de vitesse et doivent suivre, n’arrivant que trop tard pour attester de l’existence du fait ou constater son caractère fictif.
Sur les forums, à travers les « chats », dans les commentaires sur les « blogs » se livre une étrange bataille, nouvelle en ses formes bien que traditionnelle en sa nature. La nouveauté profonde tient à ce que le traditionnel s’insère dans un environnement différent qui valorise et amplifie cette intervention. Hier, propagande et contre propagande se développaient en « contre » mais en parallèle, s’interpellant sans se rencontrer directement. Caricaturons : s’il y avait rencontre entre distributeurs de tracts ou colleurs d’affiches, les adversaires passaient directement au pugilat. Aujourd’hui, Internet forme un théâtre d’affrontement virtuel dont l’issue immatérielle détermine le moral des combattants dans les espaces de guerre directe de plus en plus rares et dans les zones grises de violence recourant aux modes d’action dégradés mais bien réels et très opératoires que constituent le terrorisme et la guérilla.
On peut sur de nombreux terrains et dans bien des circonstances très différentes multiplier les exemples qui permettent de constater combien le préjugé de départ pèse sur la capacité à accepter ou refuser l’information et la désinformation. En 2007, durant deux jours, l’économie estonienne fut paralysée par une attaque massive sur Internet qui satura l’ensemble du réseau, rendant impossible toute transaction. Suivit une campagne d’information désinformation pour établir d’où provenait l’agression, le gouvernement estonien accusant la Russie qui bien évidemment répliqua en retournant ces accusations comme un regain de provocation de la part de Tallin dans un contexte diplomatique fort tendu.
MM. Ben Laden et Zawahiri diffusent leurs messages via Internet, même s’ils ne négligent pas le transfert de la bonne vieille bande vidéo (voici encore une vérification de l’axiome : un medium n’en supprime jamais un autre).
Depuis 2008 l’Afghanistan voit se développer sur Internet une guerre de l’information-communication. Les Talibans sont capables de déverser un flot d’informations tantôt exactes, tantôt absolument fausses, essentiellement dirigées vers les pays de l’OTAN mieux dotés en Internet que les guerriers du Waziristan. Il suffit d’implanter le germe de la discorde auprès d’internautes de pays où l’on doute sérieusement de la nécessité de cette intervention militaire.
Mais il existe aussi d’innombrables rumeurs sur l’espionnage de la « toile » par le Pentagone, par le réseau Echelon, par tous les services secrets. En 1998, Bill Gates fut accusé de collusion avec la National Security Agency (NSA), responsable de toutes les écoutes électroniques, tout simplement parce que les logiciels édités par Microsoft sont vendus à des utilisateurs qui ignorent les conditions de fabrication du produit alors que les services américains en auraient été informés. Un monopole s’est constitué grâce au contrôle des noms de domaines (DNS) par une sorte d’annuaire qui enregistre les identités des accédants.
Finalement les seuls à avoir osé défier le monopole américain sur l’Internet sont les Chinois en s’affranchissant du DNS américain. Pékin a créé à grands frais un système à deux étages qui permet l’accès dans la représentation par idéogrammes mais qui contrôle l’accès et institue de ce fait une remarquable censure selon que l’internaute est privé des informations qui circulent en dehors du système de reconnaissance des identités. C’est aussi une forme de repérage des tentatives pour tourner le système. Cet ensemble de dispositions porte le nom de « bouclier doré ».
P. V. : Quel rôle jouent les réseaux sociaux ?
F. G : Désormais incontournables, ils ont démultiplié la quantité de communication au détriment de la qualité de l’information. La quantité de messages s’en est trouvée augmentée à l’échelle de l’humanité en fonction de la vitesse de l’émission-réception. Or, quels que soient les immenses bienfaits économiques et culturels de ce saut quantitatif, les effets négatifs sont apparus, qui contribuent à tempérer sérieusement l’optimisme.
En pensant pouvoir s’affranchir des médias de masse, notamment de la télévision, qui imposaient l‘information, on a voulu et espéré créer, chacun pour soi, et avec son réseau particulier de correspondants familiers, une information autonome, fiable et satisfaisante. Or les réseaux sociaux ont démultiplié la quantité de communication au détriment de la qualité de l’information. Tout en créant l’illusion de la liberté individuelle, en flattant l’ego (à cet égard, le selfie constitue un avatar caricatural de cette involution), ils ont provoqué une grégarisation aliénante favorisée par l’appât du gain. De fait, Facebook, par le filtrage, regroupe les personnes qui partagent les mêmes opinions. Ils communiquent entre eux sans égard pour ceux qui pensent différemment. Il n’y a donc aucun dialogue, aucune confrontation d’idées mais une juxtaposition temporaire de groupes d’opinion parallèles et de bulles de croyances enfermées sur elles-mêmes. On ne partage pas l’information ; on se conforte dans ses croyances en construisant un communautarisme informationnel. Ces nouvelles sectes, ne recevant que les informations qui les satisfont, abandonnent tout esprit critique et toute velléité de vérification de l’authenticité. Elles sont particulièrement réceptives à la propagande et réceptives à la désinformation.
P. V. : Quel est le rôle actuel de la propagande et de la désinformation ?
F. G : Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la propagande a mauvaise réputation. L’usage qui en a été fait par le fascisme et le nazisme explique le rejet d’une activité très ancienne, longtemps considérée comme légitime. La propagation de la foi constitue pour de nombreuses religions une mission pour les prédicateurs. L’histoire du christianisme sous l’empire romain s’apparente à une formidable entreprise de propagande étonnamment réussie. La raison de la péjoration contemporaine de la propagande tient au fait que les régimes totalitaires ont délibérément confondu information et propagande tandis qu’ils contrôlaient étroitement les sources d’information et interdisaient la diffusion d’informations contradictoires et l’expression d’opinions divergentes.
La propagande accompagne toutes les situations d’affrontement. Elle a joué un rôle éminent durant les deux guerres mondiales. C’est en 1914-1918 qu’apparut l’expression « bourrage de crâne » pour qualifier l’énormité des exagérations de la propagande française en faveur de la guerre. Durant la Guerre froide Voice Of America, Radio Free Europe ou la BBC avaient pour tâche de fournir une information exacte et de promouvoir les valeurs démocratiques du monde libre qui s’opposaient, par nature, à l’idéologie communiste. On peut considérer qu’une des raisons de l’échec des Etats-Unis dans la guerre du Vietnam tient à l’impact de la propagande pacifiste qui rendit le conflit impopulaire notamment parmi les jeunes qui, soumis à la conscription, devaient risquer leur vie dans un conflit dont les buts, mal identifiés, paraissaient illégitimes.
La propagande se divise en trois catégories.
La propagande ouverte dite blanche, dont la source est déclarée, diffuse une information fondée sur les faits et l’analyse créée par des émetteurs identifiables. En ce sens elle ne diffère pas de la presse d’opinion qui affiche clairement sinon son affiliation à un parti politique (ce qui est de plus en plus mal vu) du moins son soutien à un corpus de valeurs (une « ligne » éditoriale) plus ou moins nettement défini. Même si elle présente les faits avec des inflexions analytiques conformes à un point de vue, elle ne se cache pas. Elle ne cherche pas à tromper mais à influencer l’état d’esprit et les modes de pensée d’une audience déterminée dans un but d’adhésion ou de bienveillance à l’égard de la thèse que l’émetteur cherche à défendre.
La propagande grise dont la source de l’information est indéterminée n’est revendiquée par aucun organisme. Elle est diffusée de manière neutre. C’est une retransmission sans point de vue, sans objection. Elle se rapproche de l’information simple mais aussi de la rumeur.
Enfin la propagande noire qui dissimule sa source ou fabrique une fausse origine. On peut l’assimiler à la désinformation car elle est secrètement préparée, organisée, planifiée et exécutée en vue de produire un effet de déstabilisation psychologique sur une cible considérée comme l’ennemi.
Il existe trois catégories de « cibles » ou de « destinataires »-récepteurs :
. son propre camp dont on veut renforcer les convictions et protéger contre la propagande adverse ; . l’ennemi dont on cherche à saper le moral ; . les « tiers » : neutres, alliés, communauté internationale……que l’on cherche à gagner à sa cause. Le message propagandiste varie en fonction des spécificités de chacune de ces cibles.
Quant à la désinformation, elle s’entend comme l’élaboration et la communication délibérées d’une fausse information soigneusement travestie afin de présenter les apparences de l’authenticité. Elle vise à égarer le jugement du récepteur-cible, à l’inciter à prendre des décisions inappropriées et à l’engager dans des actions contraires à son intérêt. La désinformation, ainsi entendue, a existé de tous temps. Mais elle joue un rôle de plus en plus important à la mesure du développement de l’information et de la multiplication des vecteurs de communication. Le phénomène des informations falsifiées (fake news) a rapidement pris une ampleur considérable en investissant les réseaux sociaux. Il correspond à la dissémination d’une information fausse par les canaux médiatiques (presse, radio, web). Il peut s’agir d’une entreprise délibérée (désinformation) mais aussi d’une honnête erreur ou d’une négligence (mésinformation).
L’essor du phénomène s’explique par la multiplication en très peu de temps des réseaux sociaux (Linkedin, Facebook, You Tube, Twitter et Instagram ont vu le jour entre 2003 et 2010), et la puissance des moteurs de recherche (Google). En intensifiant la circulation de l’information, ils ont favorisé la diffusion de la propagande et de la désinformation. Ils présentent quatre propriétés majeures d’un grand intérêt pour le désinformateur :
. l’anonymat de la source ; . l’accès à une audience illimitée (1 milliard d’utilisateurs de Facebook en une journée) ; . un faible coût technologique ; . la possibilité d’une dénégation plausible. Une page facebook est perçue comme un divertissement par les utilisateurs et une source de revenus pour les annonceurs des nombreuses publicités. Malheureusement, ces pages sont truffées de fausses informations. Une enquête du Monde a montré que sur une centaine de pages on relevait 233 messages renvoyant à une fausse information.
L’invasion des réseaux sociaux par les informations falsifiées, aggravée par l’appropriation illégale des données de la vie privée prend la forme de véritables campagnes visant à tromper l’opinion et à fausser le fonctionnement normal des élections. Certains Etats utilisent ces vecteurs à des fins d’ingérence dans la vie politique. En 2016, le referendum britannique sur le Brexit et les élections présidentielles américaines ont été gravement polluées par l’injection de rumeurs mensongères et de calomnies distillées par des officines masquées pour fausser l’esprit des électeurs.
Ainsi, confronté à la prolifération croissante de messages truqués, incertains, invérifiables, le citoyen est frappé de désarroi et parfois sombre dans la mécréance. Il finit par douter de la vérité, de l’objectivité et, même, de la réalité. Afin d’éviter cette corruption des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques, mais aussi la corrosion de toute connaissance scientifique, il importe d’éduquer le citoyen en sorte qu’il prenne en main avec un esprit critique et quelques outils adaptés, -notamment les systèmes comme Désintox ou Décodex récemment créés par les médias-, son destin au sein de la société de l’information. Il faut désapprendre l’usage étourdi, grégaire et purement ludique des réseaux sociaux pour construire sérieusement, de manière responsable, son information et sa communication : savoir comparer, recouper, vérifier, prendre le temps de la réflexion en s’interrogeant sur la valeur des messages.
P. V. : Assiste-t-on à un essor des théories du complot ?
F. G : Ce terme possède de nombreux synonymes tels que la « conjuration » de Catilina, au premier siècle avant JC, exposée par Salluste… ou la « conspiration » des Egaux de Gracchus Babeuf, en 1798. Le suffixe « com »suggère une entreprise concertée réunissant secrètement plusieurs personnes afin d’agir contre un ennemi et de servir leurs propres intérêts. Souvent ils se lient symboliquement par un serment solennel. Toute entreprise de subversion par un coup d’Etat, par des actions terroristes implique un complot. C’est pourquoi dans sa forme moderne, la loi française entend punir une « association de malfaiteurs liée à une entreprise terroriste ».
Durant les périodes révolutionnaires ou à l’occasion de profonds changements institutionnels, le complot constitue à la fois une réalité et une obsession ainsi qu’une forme de manipulation des opinions et un outil de provocation au service d’une stratégie de prise de pouvoir. Loin d’avoir été épargnés par les tumultes révolutionnaires idéologiques, tant politiques que religieux, les Anglais durant le XVIIème siècle vécurent dans une ambiance de complots. A ce point même qu’une « culture » s’est durablement établie à travers la célébration festive de guy fawk (responsable de la conspiration des poudres ourdie par les Catholiques) par les enfants qui en font une cérémonie de réjouissance, réminiscence légère d’un bûcher.
Toutes les périodes d’incertitude engendrent cette psychose du complot de l’intérieur soutenu par l’étranger hostile. Le révolutionnaire parvenu au pouvoir sans légalité voit l’ennemi partout : complot des aristocrates contre la République française, menées de la CIA… en Iran, au Chili etc.
Des personnalités éminentes ont privilégié le complot comme mode d’action politique. Louis Napoléon Bonaparte passa le plus clair de la première partie de son existence à comploter jusqu’à la réussite du 2 décembre 1851 qui allait faire de lui l’empereur Napoléon III. Le retour au pouvoir du général de Gaulle et le passage de la IVème à la Vème République se sont effectués dans une ambiance de complots entrecroisés.
Quasi éternelles, les théories du complot ont pris une importance croissante dans l’ère informationnelle. Le principe repose sur une explication d’événements exceptionnels et donc mystérieux par le complot soi-disant révélateur de leur vérité cachée. Il s’agit d’une propension persistante du jugement humain, systématiquement entretenue par ces médias grand public surnommés « tabloïds ». Il fournit un déterminisme simpliste, une logique démonstrative à ce qu’il est difficile de comprendre. L’explication par le complot bénéficie d’une vertu d’évidence, rassurante en ce qu’elle désigne un bouc émissaire responsable de tous les maux. De ce fait la recherche pénible de responsabilités partagées et dérangeantes n’a plus lieu d’être. C’est aussi la porte ouverte pour tous les négationnismes. La désinformation en fait donc un de ses procédés ordinaires de prédilection.
Le catalogue des thèses complotistes expose des dizaines de milliers d’ouvrages et des millions de messages électroniques qui se propagent et s’enflent par contagion et rumeur associative. En voici quelques exemples [1] : « Les Juifs et les Franc-maçons se sont acharnés à diviser et affaiblir la France, ce qui explique le désastre de juin 1940.
Les Etats-Unis ont poussé Saddam à envahir le Koweit en 1990 pour se débarrasser de lui.
Le complot sioniste relayé par ses lobbies et la ploutocratie juive investirait le monde entier conformément au Protocole des Sages de Sion, document datant de 1903, reconnu factice et cependant toujours diffusé.
Lady Diana a été assassinée.
L’administration Bush a organisé le 11 septembre 2001.
Hillary Clinton appartient à la secte des Illuminati qui cherche à dominer le monde… » et ainsi de suite.
La difficulté consiste à établir une ligne de partage rigoureuse et fondée entre la réalité d’actions clandestines hostiles et la rumeur qui court sur de telles entreprises. La désinformation procède à de telles manipulations afin de mettre en difficulté la diplomatie des pays adverses voire à déstabiliser des gouvernements ou des hommes politiques. Etre simplement soupçonné de travailler pour la CIA ou d’entretenir des contacts avec le FSB (ex KGB) pèse lourd dans la réputation d’une personnalité.
Le recours systématique à l’accusation de complot caractérise les régimes despotiques ou totalitaires. L’invention de complots de toutes pièces constitue un système de gouvernement afin d’éliminer des personnes ou des factions ayant acquis trop de pouvoir. Ce peut être aussi une façon de manipuler l’opinion notamment en suggérant « la main de l’étranger » comme cause toutes les difficultés en réalité imputables au régime lui-même. La manipulation de l’opinion populaire pour en détourner le mécontentement sur des « boucs émissaires » constitue une manière remarquable de gouvernement par la désinformation permanente. Les services de police fabriquent des preuves, ou obtiennent des aveux par le chantage, la corruption ou la torture. Le NKVD de L. Béria, peu avant la mort de J. Staline (1953) avait fabriqué un « complot des blouses blanches » supposé attenter à la vie des dirigeants soviétiques. Les Juifs et, en général, toutes les petites communautés culturellement allogènes, ont souvent été les cibles de cette désinformation provocatrice de déchaînements de fureur de masse (pogroms). Ce phénomène se retrouve en Asie où, fréquemment, les minorités chinoises se sont vues accuser de comploter afin de s’emparer du pouvoir.
Plus la liberté d’information est bridée, plus l’investigation critique est difficile, plus les théories du complot se développent. Cela dit dans les sociétés où l’information circule à flot, il y a aussi place pour toutes les explications fantaisistes ou délirantes par le complot. On relèvera deux variantes : le canular et le négationnisme.
Le canular est une forme de désinformation en version aimable et humoristique. Le principe est identique qui consiste à faire croire à la réalité d’une fiction, à la vérité d’un mensonge élaboré avec soin de manière à présenter toutes les apparences de ce qu’il n’est pas. On parle de « poisson d’avril », de « hoax ». Le procédé exploite la crédulité mais aussi les préjugés, les superstitions qui créent un milieu favorable à la réussite du canular. La loi du genre veut que le faux soit rapidement avoué à ceux que l’on a abusé. Ce n’était qu’une bonne plaisanterie et la personne trompée s’amuse de sa propre crédulité, bien que parfois elle puisse rire « jaune ». Mais on constate à quel point la frontière est ténue. Orson Welles l’avait expérimenté, dans une émission radiophonique présentant en direct l’invasion des Etats-Unis par les Martiens. L’annonce du canular arriva trop tard pour enrayer la panique. Certains théories complotistes voisinent avec le canular tant l’affirmation est énorme. « Personne n’est jamais allé sur la lune » apparaît comme l’envers de l’invasion des Martiens.
Le négationnisme constitue un travail de réécriture et de réinterprétation d’un passé –qui n’a pas encore précipité en Histoire parce qu’il reste des témoins, des survivants, parce que les archives n’ont pas encore été intégralement ouvertes…. Ou, à l’inverse, à la mort de tous ceux qui pouvaient avoir vécu les faits commence une entreprise de négation dès lors que plus personne ne peut objecter. La démarche consiste, en principe, à rétablir la vérité sur des faits antérieurement présentés de manière erronée involontairement ou non, ou incomplète partielle ou partiale en démontrant que ce qui était tenu pour avéré ne correspond pas à la réalité des faits. Somme toute cette entreprise critique n’a en soi rien de répréhensible, bien au contraire. Toutefois, dans sa version extrême, caricaturale, le négationnisme finit par prétendre que tel ou tel événement n’a pas eu lieu : « les chambres à gaz n’ont pas existé ; personne n’a jamais marché sur la lune, aucun avion n’a touché le Pentagone le 11 septembre 2001 ».
Copyright Mars 2019-Géré-Verluise/Diploweb.com
Publication initiale 24 mars 2019
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François Géré, « Sous l’empire de la désinformation. La parole masquée », Paris, éd. Economica.
4e de couverture
Différente de la propagande, la désinformation se définit comme une entreprise secrète de conception, de fabrication et de diffusion d’un message falsifié dont le but est de tromper le récepteur-cible afin de l’induire en erreur et de le faire agir contre son intérêt. Toutes les époques et tous les régimes en ont fait usage. La guerre froide en a fait un instrument privilégié. Pratiquée par des spécialistes discrets, la désinformation est restée une arme de guerre psychologique originale dont les effets étaient difficilement mesurables. Le succès de la désinformation se mesure à notre ignorance de son action mystérieuse. Nul ne parlait encore de « réalité alternative » ni de fake news. Or en l’espace de quelques années, profitant de l’Internet, de réseaux sociaux prédateurs comme Facebook et des nouvelles plates-formes, la désinformation s’est introduite dans la vie quotidienne des citoyens et dans les relations entre les États. Elle s’insinue dans l’esprit de chacun à coup de tweets en cascade. Elle devient un instrument d’ingérence majeure pour fausser le choix des électeurs. Elle corrompt la démocratie, déstabilise l’équilibre des pouvoirs et mine la crédibilité de l’information. Les notions de réalité, de vérité et de fait authentique sont bousculées. Le soupçon et le doute nourrissent un scepticisme malsain où se dissout le libre arbitre de l’individu responsable. L’empire de la désinformation connaîtra donc des phases d’expansion et de rétraction mais la lutte entre vérité et mensonge, entre lucidité et aveuglement ne cessera jamais. C’est de ce nouveau combat, essentiel pour l’avenir de chacun de nous, que ce livre cherche à rendre compte.
Professeur agrégé, docteur habilité en Histoire des relations internationales et stratégiques contemporaine, président de l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS), François Géré étudie depuis 1985 les opérations psychologiques (propagande, désinformation). Il a publié une vingtaine d’ouvrages, notamment aux éditions Economica La guerre psychologique (1995), La guerre totale (2001), La pensée stratégique française contemporaine (2017).
Le ministère de la Culture a publié au printemps dernier un Rapport au Parlement sur la langue française (2023), émanant de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France. Ce document, pour le moins surprenant, a échauffé la bile de notre auteur qui nous livre ici tout le mal qu’il en pense.
Depuis qu’en 2008 fut introduit dans la Constitution l’article 75-1 qui dit que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France », l’État (entendez l’argent des contribuables) soutient, encourage et finance le développement et l’emploi d’autres langues que le français. L’effet d’une telle politique est désormais connu.
En réponse à une enquête du CREDOC (2020-2022) sur la perception de la langue française, 89 % seulement des Français jugent que l’emploi du français est utile pour garantir la cohésion sociale. Les autres considèrent sans doute que parler les langues régionales, le corse, le breton, l’alsacien, l’occitan, le basque, ou les langues non-territoriales que le rapport énumère, l’arabe dialectal, le maghrébin, l’arménien occidental, le berbère, le judéo-espagnol, le romani et le yiddish (et pourquoi pas le swahili et on ne sait quel autre volapuk), permet d’être Français et favorise l’unité nationale.
Il est permis d’en douter. Ne pas parler français en toute circonstance publique contribue au contraire à défaire la Nation française. L’histoire et l’actualité montrent les risques qu’il y a à ne pas parler la même langue dans un même pays.
Si le rapport consacre deux pages à l’ordonnance de Villers-Cotterêts, c’est pour conclure que, « ciment de la société, la langue française est un sujet sensible chez nombre de nos concitoyens. Le soin que nous prenons collectivement de notre langue contribue au lien républicain. » Comprenne qui pourra !
Au service militaire
Au début du XXe siècle, le français était enseigné aux enfants avec détermination par l’instruction publique, mais dans beaucoup de familles on ne parlait que le patois. Arrivés au service militaire, la plupart des fils de paysans, faute de le pratiquer, avaient oublié le français depuis qu’ils avaient quitté l’école à l’âge de treize ans, et parfois plus tôt quand leurs parents les gardaient pour travailler la terre. « Ils s’exprimaient mal mes cavaliers d’escorte », dit Louis-Ferdinand Céline, se souvenant de son expérience de maréchal de logis au 12e régiment de cuirassiers. « Ils parlaient à peine pour tout dire. C’étaient des garçons venus du fond de la Bretagne pour le service, et tout ce qu’ils savaient ne venait pas de l’école, mais du régiment. »
À son tour, le sous-lieutenant Jean Hugo, arrière-petit-fils de Victor, raconte dans ses souvenirs : « Mes soldats étaient pour un tiers de très jeunes montagnards des Alpes, […] obéissants et endurants. Ils ne savaient ni lire ni écrire et ne parlaient guère le français. Ils se mettaient en cercle à l’écart et se racontaient en provençal des histoires de leurs montagnes. » Plus tard, il voit arriver une troupe venue le relever ; un chef de section s’avance vers lui et se présente : « Aspirant Lartigue du 18e de ligne. Puis il s’adressa à ses soldats en une langue inconnue. » Ce régiment stationné à Pau en temps de paix comptait de nombreux Béarnais dans ses rangs.
Si dans ces circonstances l’armée, et plus encore la France, ne se défont pas, c’est à la présence de l’encadrement qu’elles le doivent, à qui elles imposent de parler lui aussi ces idiomes régionaux. Les pertes subies au combat sont comblées par des renforts prélevés sur des dépôts hors des régions d’origine des régiments, obligeant tous les hommes à parler français, mettant en évidence, s’il en était besoin, le rôle indispensable d’un creuset où se fondent les particularismes locaux en unité nationale.
Deux exemples
Au moment où la Finlande devient indépendante le 5 décembre 1917, une guerre civile se déclenche. Les habitants des îles Ahvenanmaa, tous descendants de Suédois, veulent être rattachés à la Suède. Le gouvernement suédois accède à leur demande et envoie ses marins dans les îles. Le conflit s’achève en avril 1918 par leur désarmement par les troupes finlandaises débarquées à leur tour. Après de longues négociations entamées lors de la conférence de la Paix à Paris et poursuivies à la Société des Nations, une large autonomie au sein de la République finlandaise est accordée aux îles en 1921, garantissant l’emploi du suédois à leurs habitants et retirant toute troupe nationale. Les dissentions entre les deux groupes finnois et suédois, animant les partis politiques qui les portent, ne cessent pas pour autant, d’aucuns allant jusqu’à demander la reconnaissance de l’existence de deux peuples vivant dans un même pays, ayant des droits égaux, impliquant des frontières linguistiques intérieurs et le droit à l’autodétermination. L’animosité dure jusqu’à ce que la Seconde Guerre mondiale fasse passer au second plan ces rivalités.
La constitution belge actuelle s’exprime ainsi : « La Belgique est un État fédéral qui se compose des communautés et des régions » (art. 1er) ; comprend « trois communautés : la Communauté française, la Communauté flamande et la Communauté germanophone » (art. 2), « trois régions : la Région wallonne, la Région flamande et la Région bruxelloise » (art. 3) et « quatre régions linguistiques : la région de langue française, la région de langue néerlandaise, la région bilingue de Bruxelles-Capitale et la région de langue allemande » (art. 4). On y parle aussi de nombreuses langues régionales, comme le brabançon, le champenois, le flamand occidental, le flamand oriental, le francique ripuaire, le luxembourgeois, le lorrain, le picard, le wallon ou le brusseleer. Cette diversité linguistique est grosse de conflits soutenus par des groupes politiques qui s’affrontent sur presque tout et parviennent parfois à paralyser le pays. Certains envisagent même la partition du pays.
Ces deux exemples des risques créés par la perte de l’unité langagière doivent faire réfléchir.
Confusion
Qu’un Français veuille dans l’intimité parler le patois de sa région ou tout autre langue lui est loisible. Cela reste une affaire privée qui n’engage pas l’État ni les Français dans leur ensemble. Mais le soutien accordé à l’emploi privé conduit à vouloir son emploi public. Le tribunal administratif de Bastia, s’appuyant sur le texte de la Constitution de 1958 qui établit dans son titre premier, à l’article 2, alinéa 1, que « la langue de la République est le français », a retoqué les articles des règlements intérieurs de l’Assemblée de Corse prévoyant que les débats pouvaient se faire en français ou en corse.
Dans un communiqué commun, le président de l’Exécutif Gilles Simeoni et la présidente de l’Assemblée de Corse Marie-Antoinette Maupertuis considèrent que cette décision du 9 mars 2023 « revient à priver les élus de la Corse du droit de parler leur langue à l’occasion des débats au sein de l’Assemblée de Corse, du Conseil exécutif de Corse, et des actes de la vie publique». Derrière la revendication en faveur de la langue se cache mal celle de l’indépendance, prélude à des demandes similaires d’autres régions et, au bout du compte, à l’anéantissement de la France.
Le rapport adressé au Parlement par le ministère de la Culture, tant dans sa forme que dans son vocabulaire, est écrit dans le jargon de la communication, si éloigné du français classique. Il ne manque pas non plus de céder à la lubie du moment avec un article intitulé : « Féminisation de la langue et écriture inclusive : une question de pratique », façon d’entériner son emploi officiel.
Sans doute ce rapport est-il un des effets d’une pensée plus confuse que complexe qui anime désormais le gouvernement, à la suite du candidat Emmanuel Macron devenu président de la République, qui déclarait le dimanche 5 février 2017 : « il n’y a pas de culture française ». Son diagnostic était en avance sur la réalité, mais il s’emploie depuis à le rendre patent.
(*) Christian Benoit, saint-Cyrien, ancien officier du Service Historique des Armées, poursuit sa vocation d’historien en s’intéressant plus particulièrement à l’organisation de l’armée française à la veille et pendant la première guerre mondiale. Auteur de plusieurs ouvrages, il a codirigé en 2021 la publication de L’Empire colonial français dans la Grande Guerre, un siècle d’histoire et de mémoire. Son dernier livre, Un artilleur de marine sous l’Empire, les souvenirs de Pierre-François Le Maire, 1780-1848, est paru l’an dernier.
Avec un PIB par habitant supérieur à 128 000 dollars en 2023, le Luxembourg caracole en tête du classement des pays les plus riches de la planète depuis des années. Petit par sa taille, ce pays jouit d’une immense fortune.
Contenu :
0.1 Quels sont les 10 pays les plus riches du monde ?
0.2 Quels sont les 10 pays les plus riches en 2023 ?
1 Quels sont les 10 pays les plus riches d’Europe ?
2 Quelles sont les 7 grandes puissances mondiales ?
2.1 Est-ce que la France est un pays riche ?
2.2 Quel est le pays le plus développé du monde ?
2.2.1 Pourquoi la France est un pays riche ?
2.3 Quel est le pays africain le plus riche ?
2.4 10 Pays les plus riches au monde en 2022
2.4.1 Qui est l’homme le plus riche du monde ?
3 Est-ce que la Russie est un pays riche ?
4 Qui est la personne la plus riche au monde ?
5 Quel pays a l’arme la plus puissante ?
5.0.1 Quelle est l’armée la plus puissante au monde ?
5.0.2 Qui domine le monde aujourd’hui ?
5.1 Est-ce que la France a une armée puissante ?
5.2 Quelle est l’armée le plus puissant en 2023 ?
6 Quelle est la puissance de l’armée française ?
6.1 Est-ce que la France est un pays riche ?
Quels sont les 10 pays les plus riches du monde ?
Classement PIB 2023 : Les pays les plus riches en fonction du PIB par habitant –
Rang
Pays
2022
1
Luxembourg
127 579,81
2
Norvège
106 328,41
3
Irlande
103 175,70
4
Suisse
92 371,45
5
Qatar
84 424,83
6
Singapour
82 807,65
7
États-Unis
76 348,49
8
Islande
73 998,14
9
Danemark
66 516,08
10
Australie
65 526,12
11
Pays-Bas
56 489,07
12
Suède
55 689,40
13
Canada
55 085,45
14
Israël
54 710,34
15
Autriche
52 264,87
16
Émirats arabes unis
51 305,69
17
Finlande
50 655,13
18
Belgique
50 114,40
19
San Marino
49 555,37
20
Hong Kong SAR
49 225,86
21
Allemagne
48 636,03
22
Nouvelle-Zélande
47 208,36
23
Royaume-Unis
45 294,81
24
France
42 409,05
25
Andorre
41 931,03
Le PIB par habitant est calculé en divisant le PIB d’un pays par le nombre d’habitant en 2022. Cet indicateur donne une vision complémentaire du niveau de développement d’un pays et est fortement apprécié par les économistes. Sans surprise, le Luxembourg se place à la 1ère position des pays avec le plus fort PIB par habitant pour l’année 2022.
Il s’élève ainsi à 127 579 dollars (contre 126 000 dollars en 2021).
La Norvège remonte à la 2e place avec un PIB par habitant de 106 328 dollars par habitant.
L’Irlande tombe à la 3e position du podium.
Singapour était à la troisième position l’an dernier et se trouve désormais à 6e place.
La France, 28e au sein du classement des pays par PIB par habitant en 2022, est désormais 24e en 2023.
Quels sont les 10 pays les plus riches en 2023 ?
Quel est le pays le plus riche du monde en 2023? Il est difficile de désigner un seul pays comme le plus riche du monde en 2023, car cela dépend des critères utilisés pour mesurer la richesse d’un pays. Cependant, selon les données fournies, les pays les plus riches en termes de PIB par habitant sont le Luxembourg, les Bermudes, l’Irlande, la Suisse, la Norvège, Singapour, les États-Unis, l’Islande, le Danemark et le Qatar,
Quels sont les 10 pays les plus riches d’Europe ?
Les autres pays européens les mieux classés en termes de richesse – Outre le Luxembourg, la Suisse et la Norvège, d’autres pays européens figurent parmi les plus riches du continent. Les Pays-Bas, l’Irlande, le Danemark, la Suède et l’Allemagne sont autant d’exemples de nations ayant un PIB par habitant élevé et offrant une qualité de vie supérieure à leurs citoyens.
Quelles sont les 7 grandes puissances mondiales ?
Historique et membres – En 1976, le Canada s’est joint aux dirigeants de l’Allemagne, des États-Unis, de la France, de l’Italie, du Japon et du Royaume-Uni pour discuter des réponses concertées à apporter aux crises mondiales. En 1977, l’Union européenne a été invitée à prendre part à ces discussions.
Le G7 n’a pas été fondé par un traité et ne dispose pas d’un secrétariat permanent.
Les 7 pays membres assument la présidence du groupe à tour de rôle pendant un an.
Il revient au pays qui assume la présidence d’établir les priorités pour l’année à venir en consultation avec les autres membres, et d’organiser et d’accueillir le sommet annuel des dirigeants.
À l’issue du sommet, les dirigeants publient habituellement une déclaration finale ou un communiqué qui fait la synthèse des initiatives convenues et des avancées politiques réalisées. Un certain nombre de réunions ministérielles peuvent également avoir lieu durant l’année; le nombre et le choix des réunions ministérielles sont la prérogative de la présidence du G7.
De plus, les réunions ministérielles débouchent généralement sur la publication de communiqués ministériels ou de plans d’action communs. En outre, des organismes indépendants de la société civile appelés « groupes de consultation du G7 » font habituellement des recommandations aux membres du G7 à une fréquence annuelle.
Ces groupes d’intervenants organisent souvent leurs propres sommets durant les mois qui précèdent le Sommet du G7. Ces groupes de consultation comprennent les groupes du :
Bien que les sommets du G7 et les réunions ministérielles soient les temps forts de toute présidence du G7, le G7 est actif toute l’année. Les dirigeants et les ministres du G7 convoquent des réunions supplémentaires au besoin pour faire face aux crises mondiales émergentes ou à d’autres défis internationaux pressants.
Est-ce que la France est un pays riche ?
Conclusion – La France demeure un pays riche dans lequel la production par habitant est très importante et l’espérance de vie élevée. Le pays a cependant accumulé qui n’a pas été utilisée en vue de l’investissement mais pour maintenir artificiellement le niveau de vie de la population.
Il s’agit d’un choix politique de gauche, initié à partir des années 1980, qui se heurtera tôt ou tard aux fondamentaux de l’économie.
Parmi ceux-ci, la capacité exportatrice est particulièrement révélatrice car elle rend compte de l’attractivité internationale de la production.
La France décline de façon extrêmement inquiétante dans ce domaine.
Le beau pays de France, perçu comme frivole à l’étranger, doit cesser de rêvasser à la magie politique, parfois même à la révolution, et se mettre au travail. : La France dans le monde : un pays riche en régression
Quel est le pays le plus développé du monde ?
Avec un PIB par habitant supérieur à 128 000 dollars en 2023, le Luxembourg caracole en tête du classement des pays les plus riches de la planète depuis des années. Petit par sa taille, ce pays jouit d’une immense fortune.
Pourquoi la France est un pays riche ?
A. La 2e puissance économique de l’Union européenne – L’économie française s’appuie sur des secteurs puissants et dynamiques :
L’agriculture a connu un développement spectaculaire depuis 1945. La France est aujourd’hui la 1re puissance agricole de l’Union européenne. Elle produit et exporte massivement (blé, viande, produits laitiers, fruits, vin).
L’industrie est aujourd’hui un secteur qui a su s’adapter à la montée de la concurrence internationale en se modernisant. La France connaît de nombreux succès industriels : les automobiles, l’Airbus, la fusée Ariane, les industries de pointe (pharmacie, pétrochimie).
Le point fort de la France réside incontestablement dans ses services, qui connaissent un grand succès à l’échelle mondiale (banques, assurances). C’est aussi le pays qui accueille le plus de touristes au monde, grâce à la richesse de son patrimoine historique et culturel (Paris, le Mont-Saint-Michel) et à la diversité de ses paysages (plages, montagnes).
L’économie française est ouverte sur l’Europe et sur le monde, grâce à des exportations importantes et à la présence d’entreprises françaises à l’étranger. Les échanges sont très intenses avec les pays européens, grâce à des moyens de communication efficaces et modernes (TGV, autoroutes, tunnels.) et grâce à l’Union européenne qui a fait progresser le commerce.
Quel est le pays africain le plus riche ?
Peu d’évolution à venir dans le Top 10 des pays les plus riches d’Afrique selon le FMI Le Fonds Monétaire International a mis à jour ses données relatives à la richesse mondiale mesurées sur la base du Produit intérieur brut (PIB), à prix courant, exprimé en dollar.
En tête du classement on retrouve le Nigeria, avec un PIB évalué à 477 milliards de dollars en 2022, suivi de l’Égypte, avec un PIB de 475 milliards de dollars, puis de l’Afrique du Sud, avec 406 milliards de dollars en 2022.
Les trois pays sont ensuite talonnés en termes de richesse par l’Algérie, le Maroc et le Kenya.
La Côte d’Ivoire et le Ghana quittent ce Top 10 alors que l’Angola fait son retour grâce à l’envolée du cours du baril de pétrole dont il est le second producteur africain et la RDC y fait son entrée grâce notamment à sa production minière et aux réformes structurelles mises en place par les autorités.
C’est l’histoire d’une guerre d’usure et cela se passe de mars 1969 jusqu’au mois d’août 1970 de part et d’autre du canal de Suez. S’il y a quelques prémices durant les deux années précédentes, les choses importantes commencent le 9 mars 1969 sur décision de l’Égypte de Nasser. L’objectif pour les Égyptiens est au mieux d’obtenir le repli du Sinaï, occupé depuis la fin de la guerre des Six Jours par les Israéliens, notamment par une ligne de fortins le long du canal (la « ligne Bar Lev »). Au pire, l’Égypte pourra restaurer son image après le désastre de la guerre des Six Jours et préparer le grand assaut sur le Sinaï. Pour les Israéliens, en défensive, il s’agit simplement de tenir la position au moindre coût et de faire renoncer les Égyptiens à leurs attaques.
Guérillas d’État.
La méthode utilisée par les Égyptiens est celle d’une guérilla d’État à grande échelle et permanente contre la ligne Bar Lev. Les Égyptiens veulent ainsi imposer un rythme lent et une usure constante à des Israéliens très supérieurs dans l’art de la manœuvre mais incapables, croit-on, de mobiliser longtemps la nation sur un effort important et beaucoup plus sensibles aux pertes humaines.
Tous les jours ou presque à partir du 9 mars le long de la centaine de de kilomètres de Port-Saïd à Suez, l’artillerie égyptienne lance des milliers d’obus sur la quarantaine de fortins et leurs abords le long de la ligne Bar Lev. En avril, les Égyptiens combinent ces tirs avec des infiltrations de sections d’infanterie légère qui franchissent le canal pour attaquer les fortins, sans espoir de les prendre, et surtout harceler les convois de ravitaillement et les patrouilles. Nulle recherche de conquête de terrain dans tout cela mais simplement le souci d’infliger des pertes aux Israéliens tout en se moquant d’en subir soi-même. Cela réussit. Tsahal perd environ 50 morts et blessés chaque mois dans une société où leurs noms et leurs visages sont dans les journaux quotidiens. La méthode est quantitative, mais il y a l’espoir pour les Égyptiens de pouvoir provoquer aussi de temps en temps des évènements qui infléchiront directement la politique adverse. C’est chose faite le 10 juillet 1969 lorsque les Égyptiens parviennent à tuer sept soldats israéliens et détruire deux chars Centurion lors d’une embuscade. C’est un choc en Israël, mais contrairement aux espoirs égyptiens cela provoque une réaction forte.
Le général Sharon propose une grande opération de franchissement du canal afin de détruire le dispositif militaire égyptien en Afrique, puis d’y établir une tête de pont qu’il sera possible de négocier ensuite contre la paix. Le gouvernement de Golda Meir refuse en considérant les difficultés matérielles d’une telle opération à ce moment-là, son caractère aléatoire – pourquoi les Égyptiens demanderaient-ils la paix ? – et la possibilité que l’URSS, principal allié d’une Égypte considérée de plus en plus comme un membre officieux du Pacte de Varsovie, saisisse l’occasion d’intervenir directement selon la Doctrine Brejnev. Ni Israël, ni les États-Unis, son principal et presque unique soutien, ne veulent de cette escalade alors que les Israéliens sont en train de constituer une force de frappe nucléaire.
Le 19 juillet, le gouvernement israélien décide donc de se contenter d’une contre-guérilla limitée à la région du canal, mais suffisamment violente pour dissuader les Égyptiens de poursuivre le combat. C’est fondamentalement le principe de la riposte disproportionnée censée calmer les ardeurs hostiles et détruire les moyens de nuire, au moins pour un temps.
Pour cela, les Israéliens qui ne disposent pas d’une artillerie aussi puissante que celle des Égyptiens et ne veulent pas renforcer la ligne Bar Lev de troupes de mêlée qui seraient surtout des cibles, disposent de deux atouts pour donner de grands coups depuis l’arrière.
Tsahal a d’abord la possibilité d’organiser des coups de main spectaculaires : assaut sur la base égyptienne de l’île verte à l’entrée du canal de Suez en juillet 1969, raid d’une compagnie blindée le long de la rive ouest pendant une journée entière (« la guerre des Dix Heures ») en septembre, capture d’un grand radar d’alerte soviétique P-12 en décembre, occupation de l’île Sheduan dans la mer Rouge en janvier 1970. Outre l’intérêt matériel de chacune de ces opérations, celles-ci sont suffisamment audacieuses pour faire la une des journaux et obtenir ainsi des effets psychologiques importants, y compris en provoquant une crise cardiaque chez Nasser. Derrière ces grands coups, les parachutistes mènent aussi des opérations héliportées plus discrètes, mais efficaces, comme les raids d’artillerie consistant à installer des bases de feux temporaires de mortiers jusqu’à 30 km au-delà du canal, ravager une position d’artillerie sol-air ou sol-sol égyptienne et se replier.
Mais l’atout israélien le plus important est la force de frappe aérienne, un capital jusque-là plutôt préservé pour faire face à des conflits de plus haute intensité et de plus d’enjeu, mais qui est contraint désormais de jouer le rôle d’artillerie volante. Pendant cinq mois à partir du 20 juillet 1969, l’aviation israélienne multiplie les raids contre les forces égyptiennes et lance plusieurs milliers de tonnes d’explosifs (sensiblement le même ordre de grandeur que tous les missiles russes lancés sur l’Ukraine) puis du napalm sur un rectangle de 100 km de long et 20 km de large. Les pertes égyptiennes sont très importantes. Le système de défense aérienne est brisé. L’aviation égyptienne, qui s’était essayée aussi à lancer des raids et à contester ceux des Israéliens, a perdu une cinquantaine d’appareils, dont plus de 30 en combat aérien, contre 8-10 israéliens, dont deux ou trois en combat aérien).
Et pourtant, la guérilla égyptienne continue et s’adapte. Au lieu des moyens de frappe – avions d’attaque et obusiers – les plus puissants mais aussi les plus vulnérables, les Égyptiens privilégient désormais l’emploi de centaines de mortiers, trop petits et mobiles pour constituer des cibles faciles à la force de frappe adverse. Mais surtout, ils multiplient les attaques d’une infanterie qui prend de plus en plus d’assurance. Commandos et parachutistes égyptiens mènent à leur tour des raids héliportés dans le Sinaï afin d’organiser des embuscades et surtout de miner les voies de passage. Les Israéliens continuent donc à subir des pertes. Ils déplorent ainsi plus de 160 morts et plusieurs centaines de blessés à la fin de l’année 1969. L’Égypte s’essaie aussi aux opérations spectaculaires. En novembre, deux destroyers mènent un raid de bombardement le long des côtes du Sinaï en toute impunité et des nageurs de combat sabotent des barges dans le port d’Eilat. Ces nageurs rééditeront l’exploit en février 1970.
Floraison
À la fin du mois de décembre, les deux adversaires constatent à leur grand étonnement qu’ils se trouvent toujours au même point. L’usure est un poison lent dont on peine à déterminer à quel moment il pourra, sans certitude d’ailleurs, faire émerger une décision stratégique. D’une manière comme de l’autre, on néglige la capacité d’encaisse de l’autre. Hors des coups-évènements, la souffrance quotidienne à absorber est finalement faible à l’échelle d’une nation et tant que le sacrifice du lendemain – marginal au sens économique – est accompagné de l’espoir qu’il peut servir à quelque chose, on continue. Cela peut durer ainsi des années, jour après jour.
À la fin du mois de décembre 1969, le gouvernement israélien décide d’« escalader pour désescalader » en allant frapper à l’intérieur même du territoire égyptien. Derrière les attaques de cibles militaires, l’objectif est d’atteindre des esprits maintenus à distance de la guerre par la politique de silence du gouvernement et l’évacuation des villes le long du canal. Les Israéliens s’étaient bien essayés à frapper des infrastructures – ponts, petits barrages, centrales – le long du Nil en 1968 et 1969, mais les moyens manquaient pour lancer de grandes charges explosives dans la grande profondeur du territoire. Il fallait, soit héliporter un commando à proximité avec les charges, soit larguer des futs d’explosifs depuis des avions de transport Noratlas, deux méthodes très incertaines, peu réalisables à grande échelle et surtout de faible effet psychologique. Le passage en vitesse supersonique au-dessus du Caire de deux Mirage III le 17 juin 1969 avait finalement eu plus d’effet, en montrant à tous y compris aux journalistes étrangers que l’Égypte n’était pas vraiment protégée.
Et puis surtout, les États-Unis viennent de livrer une trentaine chasseurs-bombardiers F-4E Phantom, capables de larguer 7 tonnes de bombes tout en étant capables de se défendre contre n’importe quoi. Les États-Unis les ont livré pour accroître les moyens israéliens face à l’armée égyptienne sur le canal de Suez et ils sont très mécontents d’apprendre que les Israéliens ont décidé de les utiliser pour frapper sur le Nil.
L’opération Floraison est lancée le 7 janvier. Pendant trois mois, un raid de deux à huit A-4 ou surtout F-4E est organisé en moyenne tous les quatre jours (118 sorties au total et environ 600 tonnes de bombes) sur des objectifs militaires dans la région du delta du Nil et du Caire, où la population peut ainsi constater de visu l’impuissance de son gouvernement et de son armée. On espère ainsi qu’elle poussera son gouvernement à arrêter la guerre pour arrêter ces frappes. On imagine même que Nasser pourrait être renversé et remplacé par quelqu’un de plus conciliant. Cela ne fonctionne pas du tout. Les dégâts militaires sont réels mais pas essentiels et surtout ils n’aboutissent pas à l’érosion du soutien à Nasser, bien au contraire. Lorsque deux frappes accidentelles très meurtrières frappent des civils, dont une école, la population égyptienne réclame surtout vengeance. L’opération Floraison permet en revanche aux Soviétiques et comme le craignait les Américains de justifier une intervention directe.
À la frontière de la guerre ouverte soviéto-israélienne
Cette intervention directe, baptisée opération Caucase, est annoncée le 31 janvier 1970 alors qu’elle est déjà lancée, selon la méthode du « piéton imprudent ». La 18e division de défense aérienne débarque à Alexandrie en février et place tout le monde devant le fait accompli. À partir d’avril, le dispositif – dizaines de batteries de SA-2B et de SA-3, plus modernes, accompagnées d’un millier de canons-mitrailleurs ZSU 23-4 et de centaines de missiles SA-7 portables – est en place le long du Nil. Il y a au printemps 55 bataillons antiaériens (AA) soviétiques en Égypte. Le système d’écoute israélien repère aussi en avril des intercepteurs Mig-21, il y en a alors 70 et leur nombre augmente, dont les pilotes parlent russe. L’ensemble représente 12 000 soldats soviétiques, 19 000 à la fin de l’année, tous en uniformes égyptiens et présentés comme conseillers.
Soucieux d’éviter une confrontation, les Israéliens abandonnent mi-avril 1970 l’opération Floraison, tout en suggérant en échange aux Soviétiques de ne pas s’approcher à moins de 50 kilomètres du canal de Suez. L’effort aérien israélien redouble en revanche dans la région du canal où les combats atteignent un niveau de violence inégalé.
Au mois de juin et alors que des négociations sont en cours pour un cessez-le-feu, les Egypto-Soviétiques entreprennent de déplacer le bouclier de défense aérienne depuis le Nil jusqu’aux abords du canal. Les Égyptiens construisent un échiquier d’une multitude de positions vides qui sont ensuite occupées progressivement et aléatoirement (elles bougent toutes les nuits) par les batteries AA égyptiennes et soviétiques. L’aviation israélienne tente de freiner cette opération, en lançant plusieurs centaines de bombes et bidons de napalm par jour mais y perd cinq appareils. Dans la nuit du 11 au 12 juin, le général Sharon, désormais commandant du Secteur Sud, organise une opération de franchissement du canal par un bataillon entre Port-Saïd et Qantara, mais la tentative tourne court.
Parvenus au contact, les accrochages entre Israéliens et Soviétiques sont de plus en plus fréquents, avec les batteries au sol d’abord puis avec les Mig-21 qui ont également été rapprochés du front. Le 22 juin, on assiste à une première tentative d’interception soviétique. Le 29, les Israéliens organisent en réponse une opération héliportée sur une base aérienne occupée par les Soviétiques. En juillet, les choses s’accélèrent. Le 18, une batterie S-3 soviétique est détruite mais abat un F-4E Phantom. Le 25 juillet, après plusieurs tentatives infructueuses, un Mig-21 parvient à endommager un Skyhawk israélien. Tous ces combats sont cachés au public.
Alors que le cessez-le-feu se profile, le gouvernement israélien accepte l’idée d’infliger une défaite aux Soviétiques. Le 30 juillet, un faux raid israélien attire 16 Mig-21 au-dessus du Sinaï où les attendent 12 Mirage III aux mains des meilleurs pilotes israéliens. C’est le plus grand combat aérien du Moyen-Orient, là encore caché de tous. Cinq Mig-21 sont abattus et un endommagé, pour un Mirage III endommagé. Deux pilotes soviétiques sont tués. Le lendemain et une semaine après Nasser, le gouvernement israélien accepte le cessez-le-feu.
Le plan américain Rogers, à l’origine de ce cessez-le-feu, prévoyait une démilitarisation du canal de Suez d’armes lourdes. Égyptiens et Soviétiques ne le respectent en rien puisqu’au lieu du retrait, ils renforcent encore plus le dispositif de défense sur le canal. Trois frégates armées de missiles SA-N-6 sont mises en place également à Port-Saïd. Les Israéliens sont tentés un moment de reprendre les hostilités mais ils y renoncent, soulagés d’en finir après dix-huit mois et 500 tués et 2 000 blessés.
La guerre laboratoire
Au bout du compte, les deux parties, épuisées, ont accepté de cesser le combat en s’accordant sur leurs objectifs minimaux. C’est le « point de selle » de la théorie des jeux. Israël obtient l’arrêt des attaques et le maintien des Égyptiens à l’ouest du canal de Suez. Du côté égyptien, si le Sinaï n’a pas été évacué, l’armée égyptienne a montré qu’elle pouvait résister aux Israéliens. Ses pertes sont six fois plus importantes que celles des Israéliens, mais c’est sa meilleure performance en quatre guerres. C’est sur cette base qu’elle fonde la préparation de la guerre du Kippour en 1973.
Quant aux deux superpuissances, l’Union soviétique fait preuve de sa détermination à aller jusqu’au bord du gouffre en poussant jusqu’à la frontière de la guerre ouverte avec une puissance en cours de nucléarisation. Elle fait alors de même, à bien plus grande échelle, au même moment avec la Chine avec qui les combats sont violents depuis 1969 et contre qui les Soviétiques envisagent sérieusement une attaque nucléaire préventive. L’URSS utilise pour la première fois agressivement sa capacité de dissuasion nucléaire pour lancer des opérations offensives alors que les États-Unis sont encore empêtrés dans la guerre au Vietnam. En intervenant directement en appui de l’Égypte et face à Israël soutenu par les États-Unis, on se retrouve dans un scénario inverse de celui des guerres en Corée ou au Vietnam. Ils vont au maximum de ce que peuvent leur permettre les règles du jeu de la guerre froide. Après l’Égypte, l’Union soviétique interviendra à nouveau en Afrique, en liaison avec Cuba qui fournira cette fois le gros des troupes et des pertes humaines du bloc communiste, en Éthiopie et en Angola. Ils affronteront dans ce dernier cas l’Afrique du Sud, autre allié des États-Unis et petite puissance nucléaire en devenir. Avec l’engagement en Afghanistan, ils cloront l’époque des grandes interventions qui a sans doute plus contribué à leur perte qu’à leur gloire.
L’étude complète est disponible ici en version Kindle ou en version pdf sur demande.
“La France dépend faiblement de l’uranium du Niger”, déclare Étienne Giros, président du Cian
INTERVIEW – Avec le coup d’État au Niger, la France subit un revers important d’un point de vue stratégique et militaire dans la région du Sahel. L’évacuation des ressortissants français va débuter dès le 1er août. Quels sont les intérêts économiques des entreprises tricolores dans le pays ? Entretien avec Étienne Giros, président du Conseil français des investisseurs en Afrique (Cian), une organisation patronale qui rassemble les sociétés françaises présentes dans le continent africain.
Capital : Quels sont les intérêts économiques de la France au Niger ?
Étienne Giros, président du Conseil français des investisseurs en Afrique (Cian) : L’importance du Niger est très largement stratégique, politique et militaire avant d’être économique. Le Niger est l’un des pays les plus pauvres au monde. Il est classé 189e sur 191 en indice de développement humain. Mais la présence économique française au Niger n’est pas négligeable. Il y a 50 à 60 entreprises françaises implantées au Niger dans des secteurs variés : BTP, transport et logistique, alimentation, télécoms… On y retrouve des filiales de Vinci, TotalÉnergies et CFAO. Et comme le Niger est un pays enclavé, les marchandises transitent par des ports comme celui de Lomé au Togo ou d’Abidjan en Côte d’Ivoire. Tout cela représente un trafic important pour l’économie française. À travers AGL (ex-Bolloré Africa Logistics), la France est fortement engagée dans le commerce maritime en Afrique.
À quel point ces activités sont importantes pour la France ?
Le montant des échanges commerciaux entre la France et le Niger s’élève environ à 260 millions d’euros. Mais ce n’est pas parce que le pays est petit qu’il n’y a pas de potentiel. Au moment de son indépendance, en 1958, le Niger comptait 3 millions d’habitants. Aujourd’hui, le pays dispose d’une population très jeune de 25 millions d’habitants en croissance continue. En 2050, elle devrait passer à 70 millions puis à 100 millions à la fin du siècle. C’est l’un des pays du monde qui a la plus grande natalité. Ce sont autant de personnes à nourrir, à vêtir et à éduquer.
Le Niger est le cinquième producteur mondial d’uranium. Ils produisent 5 à 6 % de l’uranium mondial et 20 à 35 % de l’uranium français viennent du Niger. Le groupe français Orano (ex-Areva) exploite des mines sur place. Mais la France dépend faiblement de l’uranium du Niger. Elle dispose de stocks importants et elle peut compter sur une dizaine de pays fournisseurs, notamment l’Australie, le Kazakhstan et l’Ouzbékistan.
Selon certains experts, nous sommes en train d’assister à une érosion du postcolonialisme de la France en Afrique d’un point de vue militaire. Qu’en est-il d’un point de vue économique ?
Contrairement à une idée reçue, la France ne perd pas pied en Afrique sur le plan économique. Les échanges commerciaux sont en croissance tout comme le nombre d’entreprises françaises présentes. Mais depuis 25 ans, l’Afrique s’est ouverte au monde et elle est entrée dans la mondialisation. De nouveaux acteurs importants sont arrivés de Chine, de Turquie, d’Inde et du Moyen-Orient. Donc la France a perdu des parts de marché même si ses activités ont progressé en Afrique. En termes d’investissements directs, la France est deuxième en Afrique derrière le Royaume-Uni. Nous restons devant la Chine et les États-Unis.
Mais l’instabilité politique en Afrique pourrait-elle changer la donner ?
C’est le cinquième coup d’État dans le Sahel en deux ans, après les deux coups au Mali, celui au Burkina Faso et celui en Guinée. Cela s’accompagne parfois d’un sentiment anti-français cultivé par les juntes militaires et alimenté par certains pays étrangers. Mais l’Afrique a une capacité de résilience extraordinaire. Même après des crises profondes, les pays peuvent rebondir très vite. Il faut garder cet espoir.
Lorsqu’il arrive au 3e bureau (opérations) du Grand quartier général en 1917, le commandant et futur général Emile Laure est frappé de voir de grandes cartes à grande échelle sur les murs et tables et les officiers, normalement en charge de la conduite de grandes opérations, se féliciter de la prise d’un village, de quelques km2 ou de bilans chiffrés comme s’il s’agissait de grandes victoires. Il constate alors la dérive à laquelle a conduit la guerre de positions, avec le besoin d’apprécier les tendances, si possible de proclamer des succès et toujours de calmer son angoisse de l’inconnu, mais sans avoir de noms de villes connues à annoncer comme conquises ou perdues.
Il est ainsi logiquement pour la guerre en Ukraine et dans le grand GQG médiatique où, pour analyser et décrire au quotidien une guerre qui bouge peu depuis qu’elle s’est transformée en guerre de position en avril 2022, on transforme des prises de village ou des avancées de quelques kilomètres en évènements. Pour ceux qui se battent dans ces quelques hectares, les choses sont évidemment essentielles et même vitales, mais au niveau macroscopique, ces évènements tactiques doivent être nécessairement agglomérés afin d’avoir une vision plus claire des choses. Encore faut-il avoir le temps d’exposer cette synthèse.
Obus sur canons égale contre-batterie
Ces précautions étant prises parlons de la situation sur le front. L’offensive ukrainienne se poursuit avec ses trois axes de choc principaux et sa bataille arrière des feux, ainsi que la contre-offensive russe dans la province de Louhansk.
La bataille des feux est désormais la plus importante car elle conditionne largement le destin des manœuvres. Les uns et les autres poursuivent leurs frappes dans la profondeur et la zone d’artillerie. Sur le site de Ragnar Gudmundsson (lookerstudio.google.com) qui compile les données fournies par les sources officielles ukrainiennes (et donc à prendre avec précautions) on constate toujours une grande intensité des frappes ukrainiennes avec 580 strikes (on ne sait pas trop à quoi cela correspond) en juin et juillet, soit 1580 avec le mois de mai, c’est-à-dire autant de tirs que les sept mois précédents réunis. L’effet sur l’artillerie russe est indéniable avec, selon Oryx cette fois, 191 pièces russes comptabilisées détruites ou endommagées depuis le 8 mai, soit par comparaison 2,6 pièces par jour contre 1,8 pièce jusqu’au début du mois de mai 2023. Les batailles de contre-batteries sont par définition dans les deux sens et l’artillerie ukrainienne souffre aussi avec 69 pièces touchées depuis le 8 mai, et un passage de 0,7 à 1 pièce perdue par jour. Ces chiffres sont comme toujours en dessous de la réalité, et on peut sans doute les doubler pour s’en approcher. Ce qui est sûr, c’est que la bataille est féroce et tend peut-être même à s’intensifier avec dans les deux dernières semaines des pertes quotidiennes de 3 pièces par jour côté russe et 1,4 côté ukrainien. On notera l’écart qui se resserre entre les deux camps.
Coups de béliers au Sud
Mon sentiment était plutôt que le dispositif défensif arrière russe n’était pas encore assez affaibli pour espérer retenter des manœuvres de grande ampleur sur la ligne de front mais le commandement ukrainien, mieux informé que moi, en a jugé autrement. Peut-être s’agit-il d’un nouveau test de résistance ou de profiter des limogeages de généraux importants et surtout compétents dans le groupe d’armées russe attaqué.
Il a donc décidé de renouveler des attaques de brigades dans la zone Sud sur les mêmes points et par les mêmes brigades que le 6-8 juin. On note peut-être une plus grande concentration des efforts, avec du côté d’Orikhiv deux brigades seulement en premier échelon – 65e et 47e Mécanisées (BM) – et quatre en arrière, pour trois – 36e de Marine à l’ouest, 35e de Marine et 68e chasseurs au centre – et cinq en arrière dans le secteur de Velika Novosilki. Les secteurs d’attaque sont peut-être limités aux moyens de déminage disponibles ou peut-être s’agit-il simplement d’une manière générale de mieux accorder les moyens d’appui à ceux de la manœuvre. Ce qu’il faut retenir c’est une progression de la 47e BM relativement importante à l’est de Robotyne, au sud d’Orikhiv, ainsi que celle de la 35e BIM sud de Velika Novosilka avec la prise et le dépassement du village de Saromaiorske. On rappellera que les forces ukrainiennes agissent toujours dans les deux cas dans la zone de couverture russe et non la zone principale, la mieux défendue, et que les Russes y résistent également toujours tout en organisant des contre-attaques. Les autres secteurs de la zone – Piatkatky, Houliaïpole et Vuhledar – sont calmes ou font l’objet de combats minuscules.
Derrière les annonces, et on notera au passage combien les déclarations de la vice-ministre de la Défense Hanna Maliar brouillent et desservent la cause ukrainienne en se plaçant au même niveau d’exagération grossière que celles des officiels russes, il reste à voir si les Ukrainiens vont continuer à progresser à ce rythme. Les gains territoriaux sont très en dessous de la norme de 50 km2/jour qui indiquerait que les choses se passent bien, mais les opérations militaires ne sont pas linéaires mais fractales, du moins l’espère-t-on, quand on est justement en dessous de la norme. Ce n’est donc pas les villages de Saromaiorske ou de Robotyne qui sont importants, mais les tendances et ce qu’il faut espérer est que l’avance continue. L’hypothèse actuelle la plus probable, par projection de tendances, est celle de mois de combat avant de peut-être voir un drapeau planté sur une ville-victoire, et celle-ci a actuellement plus de chance d’être Tokmak ou Bilmak plutôt que Mélitopol ou Berdiansk. Les combats de la semaine peuvent modifier cette hypothèse s’il y a des petits succès répétés.
Alors que la ville-victoire se fait attendre dans le front sud, le troisième axe offensif ukrainien est autour de Bakhmut avec un effort particulier au sud de la ville et dans l’immédiat sur le village Klichkivka, une zone boisée et peu minée plus accessible à la manœuvre qu’au sud mais où les combats sont difficiles et les pertes importantes des deux côtés. Pour l’instant, la résistance russe est forte et les avancées minuscules. La projection actuelle la plus favorable aux Ukrainiens est donc là encore et malgré la petitesse du champ de bataille celle de mois de combat avant le planté de drapeau sur Bakhmut.
Un tout petit Uranus au Nord
La contre-attaque de revers sur un front différent de celui où on est soi-même attaqué est un grand classique de l’art opérationnel. Le 15 juillet 1918, les Français résistent à l’offensive allemande sur la Marne, le 18 juillet ils contre-attaquent de flanc à Villers-Cotterêts. En novembre 1942, les Soviétiques sur le reculoir à Stalingrad contre-attaquent sur les flancs de la 6e armée allemande et enferment celle-ci dans la ville (opération Uranus). Un an plus tôt, les divisions sibériennes faisaient de même au nord et au sud de Moscou attaquée. C’est le même principe qui s’applique ici dans la zone de Louhansk avec une contre-offensive assez réussie vers Koupiansk, l’est de Svatove et le sud-est de Kreminna.
Tenter une contre-attaque de revers signifie d’abord que l’on ne s’estime pas en danger dans la zone dans laquelle on est attaqué, sinon les réserves sont plutôt engagées dans ce secteur. L’existence de cette contre-attaque est donc plutôt un indice de confiance côté russe. Maintenant pour que cela réussisse vraiment, il faut un rapport de forces et de feux vraiment à l’avantage du contre-attaquant. Cela a été le cas dans les exemples cités plus haut, mais en grande partie parce que les Allemands s’étaient engagés à fond dans leur attaque principale, la Marne et Reims dans un cas, Stalingrad dans l’autre, et affaiblissant leur flanc ou en le confiant à des armées alliées peu solides. Cela n’est pas le cas en Ukraine. Les forces ukrainiennes ne sont pas enfoncées et fixées dans le front Sud et il reste par ailleurs suffisamment de brigades pour tenir tous les autres secteurs. Au bout du compte, il n’y a pas eu de renforcements russes massifs dans le secteur nord, par manque de moyens avant tout, et les déclarations ukrainiennes (voir plus haut) ont été très exagérées, comme pour excuser par avance un recul. On n’a pas entendu parler non plus de mise en retrait en recomplètement et en entrainement pendant des semaines de divisions russes. Les attaques russes sont donc toujours menées avec les mêmes capacités que celles qui n’ont pas permis de réussir durant l’offensive d’hiver. On ne voit donc pas très bien pourquoi cela réussirait mieux maintenant, à moins d’innovations d’organisation ou de méthodes cachées. Pour autant, les Russes attaquent beaucoup, avancent un peu et compensent finalement, si on raisonne en km2, les petites avances ukrainiennes au Sud. Cela n’a cependant pas d’impact stratégique puisque les Ukrainiens n’ont pas fondamentalement bougé leurs réserves du Sud au Nord et qu’ils poursuivent leur opération dans les provinces de Zaporijjia et Donetsk, On peut même se demander si les nouvelles attaques ukrainiennes au Sud ne sont pas aussi une manière de montrer que les attaques russes au Nord ne sont pas importantes.
Pour redonner des chiffres et en reprenant Oryx, ce qui frappe dans les pertes matérielles des deux opérations de manœuvre concurrentes, c’est leur ampleur. On comptabilise depuis 71 jours, 622 véhicules de combat majeurs (tanks, AFV, IFV, APC selon la terminologie Oryx) perdus soit une moyenne de 8 par jour. C’est en soi à peu près équivalent aux pertes quotidiennes moyennes avant l’offensive ukrainienne. Depuis deux semaines en revanche, le taux moyen est monté d’un coup à 11 par jour, sensiblement depuis la contre-attaque russe. Le taux moyen de pertes constatées des Ukrainiens en revanche a augmenté sensiblement dès le 8 mai, passant de 3,5 à 4,5 jours. Pire encore, il est passé à 6 par jour depuis deux semaines. Ces chiffres sont toujours difficiles à interpréter avec les difficultés de mesure, mais ils n’indiquent pas forcément, comme pour l’artillerie, une tendance favorable aux Ukrainiens. On est très loin des rapports de 1 à 4 du début de la guerre.
En résumé, on peut considérer les actions en cours sur le front comme un choc des impuissances ou, de manière plus élogieuse, un bras de fer indécis qui attend qu’un des protagonistes craque. C’est le moment du côté ukrainien de faire entrer sur le terrain les impact players, renforts, moyens nouveaux, opérations périphériques à Kherson, Belgorod, ou ailleurs pourvu que cela détourne l’attention et surtout les moyens russes. Il n’est pas exclu cependant que les Russes disposent aussi de quelques impact players. On y reviendra.
Les doctrines militaires, comme les paradigmes scientifiques, n’évoluent vraiment que lorsqu’elles sont très sérieusement prises en défaut. L’échec sanglant de l’offensive de Champagne fin septembre-début octobre 1915 constitue cette prise en défaut. En fait, c’est même une grande crise au sein de l’armée française où on perçoit les premiers signes de découragement, voire de grogne dans la troupe. En novembre 1915, le général Fayolle note dans son carnet : « Que se passe-t-il en haut lieu ? Il semble que personne ne sache ce qu’il faut faire […] Si on n’y apporte pas de moyens nouveaux, on ne réussira pas ». La crise impose de trouver de nouvelles solutions et on assiste effectivement à une grande activité durant l’hiver1915 dans le « monde des idées » qui aboutit à la victoire de l’« opposition » et de son école de pensée alors baptisée « la conduite scientifique de la bataille ».
Changement de paradigme
L’opposition ce sont d’abord les « méthodiques », comme Foch, alors commandant du groupe d’armées du Nord (GAN) et Pétain, commandant la 2e armée. Le rapport de ce dernier après l’offensive de Champagne, met en évidence l’« impossibilité, dans l’état actuel de l’armement, de la méthode de préparation et des forces qui nous sont opposées, d’emporter d’un même élan les positions successives de l’ennemi». Le problème majeur qui se pose alors est que s’il est possible d’organiser précisément les feux d’artillerie et l’attaque des lignes de la première position ennemie, cela s’avère beaucoup plus problématique lorsqu’il s’agit de s’en prendre à la deuxième position plusieurs kilomètres en arrière. Pétain en conclut qu’il faut, au moins dans un premier temps, se contenter d’attaquer les premières positions mais sur toute la largeur du front afin d’ébranler celui-ci dans son ensemble. Ce sera la doctrine mise en œuvre – avec succès – à partir de l’été 1918, mais l’idée de grande percée est encore vivace. Une nouvelle majorité se crée autour de quelques Polytechniciens artilleurs, avec Foch comme tête d’affiche, pour concevoir cette bataille décisive comme une succession de préparations d’artillerie-assauts d’infanterie, allant toujours dans le même sens position après position ( Autant de positions, autant de batailles selon Fayolle) et non pas latéralement comme le préconise Pétain et ce jusqu’à ce que « l’ennemi, ses réserves épuisées, ne nous oppose plus de défenses organisées et continues » (Foch, 20 avril 1916).
C’est une réaction contre les « folles équipées » de l’infanterie au cours des batailles de 1915, désormais « la certitude mathématique l’emporte sur les facteurs psychologiques». Une analyse de tous les détails photographiés du front doit permettre une planification précise de la destruction de tous les obstacles ennemis à partir de barèmes scientifiques. L’imposition de ce nouveau paradigme est la victoire de l’école du feu sur celle du choc mais aussi la revanche des généraux sur les Jeunes-Turcs du Grand quartier général (GQG). Ce sont les idées qui portent les hommes bien plus souvent que l’inverse, et changer d’idées impose souvent de changer les hommes. Les officiers du GQG, qui pour beaucoup avaient été les champions de l’« offensive à outrance » puis de l’ « attaque brusquée », sont envoyés commander au front. A la suite des décisions arrêtées en décembre 1915 à Chantilly entre les Alliés, cette nouvelle doctrine doit être mise en œuvre dans l’offensive franco-britannique sur la Somme prévue pour l’été 1916. Le groupe d’armées du Nord (GAN) de Foch est chargé de sa mise en pratique.
En attendant, toutes les idées nouvelles trouvent leur matérialisation dans le nouveau GQG qui passe l’hiver 1915-1916 à rédiger le nouveau corpus de documents doctrinaux sur l’organisation et les méthodes des différentes armes, infanterie et artillerie lourde en premier lieu ainsi que la coordination entre elles. Ce sera par la suite une habitude, tous les hivers on débat puis on rédige toute la doctrine, soit un rythme douze fois plus rapide qu’en temps de paix avant la guerre. Mais ce n’est pas tout de partir du bas, de faire du retour d’expérience, de débattre puis de voir émerger un nouveau paradigme au sommet, encore faut-il que les nouvelles idées redescendent et que l’explicite des documents se transforme en bas en nouvelles habitudes.
Tout le front est restructuré. On distingue désormais une ligne des armées, tenue désormais par le strict minimum de troupes, des réserves de groupes d’armées à environ 20-30 km du front et enfin des réserves générales encore plus loin. Il se met en place une sorte de « 3 x 8 » où les troupes enchainent secteur difficile, repos-instruction, secteur calme. L’année 1916 se partage ainsi, pour la 13eDivision d’infanterie, en 93 jours de bataille (Verdun et La Somme) contre plus de 200 en 1915, 88 jours de secteur calme et le reste en repos-instruction. Toute cette zone des réserves générales se couvre d’un réseau d’écoles, de camps et de centre de formation où on apprend le service des nouvelles armes et les nouvelles méthodes. On remet en place des inspecteurs de spécialités afin de contrôler les compétences de chaque unité mais aussi de rationaliser les évolutions alors que le combat séparé de chaque unité tend à faire diverger les pratiques. Une innovation majeure de la guerre est la création du centre d’instruction divisionnaire ou CID). Ce centre, base d’instruction mobile de chaque division permet d’accueillir les recrues en provenance des dépôts de garnison de l’intérieur, avant de les envoyer directement dans les unités combattantes. Elles y rencontrent des cadres vétérans, des blessés de retour de convalescence. Les cadres de leurs futures compagnies viennent les visiter. Les hommes ne sont pas envoyés directement sur une ligne de feu avec des compétences faibles ni aucun lien de cohésion avec les autres, mais acclimatés et instruits progressivement.
La transformation des armes
Cette approche permet une évolution plus rationnelle des unités. L’infanterie connaît sa deuxième mutation de la guerre après l’adaptation improvisée et chaotique à la guerre de tranchées. Elle devient vraiment cette fois une infanterie « industrielle ». Les structures sont allégées et assouplies. Les divisions d’infanterie ne sont plus attachées spécifiquement à un corps d’armée et commandent directement à trois régiments et non plus à deux brigades de deux régiments. Les bataillons eux-mêmes passent aussi à une structure ternaire mais la 4e compagnie, grande nouveauté, devient une compagnie d’appui équipée de mitrailleuses, de canons à tir direct de 37 mm et de mortiers. Encore plus innovant, les sections d’infanterie ne combattent plus en ligne mais en demi-sections feu et choc (les demi-sections deviendront identiques et autonomes en 1917, c’est l’invention du groupe de combat), et organisées autour de nouvelles armes comme les fusils-mitrailleurs et les lance-grenades. Les fantassins deviennent spécialisés et interdépendants. D’une manière générale, la puissance de feu portable de l’infanterie fait un bond considérable jusqu’à la fin de 1917. L’étape suivante sera l’intégration des chars légers d’accompagnement à partir de mai 1918.
L’artillerie a la part belle dans le nouveau paradigme. Pour Foch : « Ce n’est pas une attaque d’infanterie à préparer par l’artillerie, c’est une préparation d’artillerie à exploiter par l’infanterie » qui, ajoute-t-il plus tard, Foch ajoute que l’infanterie « doit apporter la plus grande attention à ne jamais entraver la liberté de tir de l’artillerie ». Dans une étude écrite en octobre 1915, son adjoint Carence écrit : « L’artillerie d’abord ; l’infanterie ensuite ! Que tout soit subordonné à l’artillerie dans la préparation et l’exécution des attaques ». Pour autant, le volume de cette arme augmente assez peu avec seulement 590 nouvelles pièces lourdes pour l’ensemble de 1916. Le grand défi pour l’artillerie est celui de l’emploi optimal de l’existant, c’est-à-dire l’artillerie de campagne et les pièces de forteresse récupérées, dans des conditions totalement différentes de celles imaginées avant-guerre. Pour y parvenir on commence par mettre en place de vrais états-majors d’artillerie capables de commander les groupements de feux de centaines de pièces. Le 27 juin 1916, est créé le Centre d’études d’artillerie (CEA) de Châlons chargé d’inspecter les régiments d’artillerie et de synthétiser leurs idées, définir la manœuvre, perfectionner l’instruction technique et faire profiter les commandants de grandes unités de toutes les innovations touchant l’emploi de l’artillerie. Un peu plus tard, on formera aussi des Centres d’organisation d’artillerie (COA), un par spécialité, qui constituent les matrices des nouvelles formations et où les anciens régiments viennent recevoir les nouveaux matériels et apprendre leur emploi. La troisième voie pour mieux maîtriser la complexité croissante des méthodes est la planification. Elle existe sous une forme embryonnaire dès 1915 mais elle connaît un fort développement en 1916 grâce à l’influence du CEA. Celui-ci codifie et vulgarise l’usage des « Plans d’emploi de l’artillerie » qui permettent de gérer les étapes de la séquence de tir. L’aérologie et la météorologie font d’énormes progrès. Le GAN dispose de sa propre section météo commandée par le lieutenant de vaisseau Rouch avec un vaste réseau de transmissions y compris sur des navires.
Le premier effort porte sur la maîtrise de la gestion des informations. Les Français mettent l’accent sur l’emploi de l’avion dans l’observation et la liaison entre les armes. Foch envoie le commandant Pujo à Verdun, la première grande bataille de 1916 et qui est très observée par le GAN qui prépare la seconde. Pujo reprend l’idée d’un « bureau tactique » charger de centraliser toutes les informations des escadrilles et des ballons d’observation (TSF, photos, écrits) afin d’actualiser en permanence un grand panorama photographique et cartographique de la zone de combat. A l’instar des drones aujourd’hui, l’aviation de l’époque est cependant surtout un système d’observation et de liaison en cours d’action, au service de l’artillerie afin de guider les tirs et d’en mesure les effets au-dessus des lignes ennemies, mais aussi de l’infanterie, qui dispose en 1916 de ses propres appareils. Pour l’offensive de la Somme, la 13e DI disposera par exemple d’une vingtaine d’appareils avec tout un panel de moyens de liaisons pour organiser les communications entre l’air, qui envoie des messages en morse ou message lesté, et le sol, qui répond avec des fusées de couleur, fanions ou projecteurs et indique ses positions avec des pots éclairants et ou des panneaux. Lorsque la division sera engagée sur la Somme, ses compagnies d’infanterie seront survolées par huit avions et appuyées par une quarantaine de mitrailleuses, huit canons d’infanterie ou mortiers et surtout 55 pièces d’artillerie…pour chaque kilomètre de front attaqué.
Le GAN reprend également deux grandes innovations de Verdun. La première est l’idée de supériorité aérienne sur un secteur du front. Dès le début de leur offensive sur Verdun, en février 1916, les Allemands concentrent 280 appareils de chasse sur la zone et chassent les quelques appareils français présents. L’artillerie française, qui dépend désormais de l’observation aérienne devient aveugle. Pour faire face à cette menace, les Français sont obligés de livrer la première bataille aérienne de l’Histoire. Le 28 février, le commandant De Rose reçoit carte blanche. Il constitue un groupement « ad hoc » de quinze escadrilles avec ce qui se fait de mieux dans l’aviation de chasse en personnel (Nungesser, Navarre, Guynemer, Brocard, etc.) et en appareils (Nieuport XI). Cette concentration de talents forme un nouveau laboratoire tactique qui met au point progressivement la plupart des techniques de la maîtrise du ciel. On expérimente également l’appui feu air-sol notamment lors de l’attaque sur le fort de Douaumont le 22 mai ou la destruction des ballons d’observation ennemies (fusées à mise à feu électrique Le Prieur d’une portée de 2000 m, balles incendiaires, canon aérien de 37 mm). A son imitation, le GAN groupe de chasse est constitué à Cachy sous le commandement de Brocard avec huit escadrilles Spad.
La seconde innovation est l’œuvre du capitaine Doumenc, l’« entrepreneur » du service automobile, subdivision qui appartient à l’artillerie comme tout ou presque ce qui porte un moteur à explosions. Grâce à lui et quelques autres, l’idée s’impose que le transport automobile peut apporter une souplesse nouvelle dans les transports de la logistique et surtout des hommes, leur évitant les fatigues de la marche tout en multipliant leur mobilité. Les achats à l’étranger et la production nationale permettent de disposer dès 1916 de la première flotte automobile militaire au monde avec près de 40 000 véhicules (200 fois plus qu’en 1914). Cette abondance de moyens autorise la constitution de groupements de 600 camions capables de transporter en 1916 six divisions d’infanterie d’un coup. L’efficacité de cet outil est démontrée lorsqu’il s’agit de soutenir le front de Verdun, saillant relié à Bar-le-Duc, 80 km plus au Sud, par une route départementale et une voie ferrée étroite. Le 20 février 1916, veille de l’attaque allemande, Doumenc y forme la première Commission Régulière Automobile (CRA), organisée sur le modèle des chemins de fer, et dont la mission est d’acheminer 15 à 20 000 hommes et 2 000 tonnes de ravitaillement logistique par jour par ce qui est baptisée rapidement la Voie sacrée. Le GAN copie l’idée et créé sa propre CRA sur l’axe Amiens-Proyart afin d’alimenter la bataille de la Somme, avec un trafic supérieur encore à celui de la Voie sacrée.
La déception de la Somme
En sept mois de préparation, aucun effort n’a été négligé pour faire de l’offensive sur la Somme la bataille décisive tant espérée. Loin des tâtonnements de 1915, la nouvelle doctrine a été aussi scientifique et méthodique dans la préparation qu’elle le sera dans la conduite. L’objectif de l’offensive d’été préparée avec tant de soins est de réaliser la percée sur un front de 40 km, pour atteindre ainsi le terrain libre en direction de Cambrai et de la grande voie de communication qui alimente tout le front allemand du Nord. Le terrain est très compartimenté avec, en surimposition des trois positions de défense, tout un réseau de villages érigés par les Allemands en autant de bastions reliés par des boyaux. La préparation d’artillerie, d’une puissance inégalée s’ouvre le 24 juin et ne s’arrête qu’une semaine plus tard, le 1er juillet après au moins 2,5 millions d’obus lancés (sensiblement sur 40 km tout ce que l’artillerie ukrainienne actuelle a lancé en 15 mois sur l’ensemble du front). L’offensive n’est ensuite n’est déclenchée qu’après avoir constaté l’efficacité des destructions par photographie. Comme prévu, l’aviation alliée bénéficie d’une supériorité aérienne totale, autorisant ainsi la coordination par le ciel alors que comme pour les Français au début de la bataille de Verdun, l’artillerie allemande, privée de ses yeux, manque de renseignements.
Dans cet environnement favorable, la VIe armée française de Fayolle s’élance sur seize kilomètres avec un corps d’armée au nord de la Somme en contact avec les Britanniques, et deux corps au sud du fleuve. Contrairement aux Britanniques, l’attaque initiale française est un succès, en partie du fait de l’efficacité des méthodes employées. Au Nord, le 20e corps d’armée français progresse vite mais doit s’arrêter pour garder le contact avec des Alliés qui, dans la seule journée du 1er juillet, paient leur inexpérience de 21 000 morts et disparus. Au Sud, le 1er corps colonial (un assaut que mon grand-père m’a raconté) et le 35e corps enlèvent d’un bond la première position allemande. En proportion des effectifs, les pertes totales françaises sont plus de six fois inférieures à celles des Britanniques, concrétisant le décalage entre la somme de compétences acquises par les Français et celle de l’armée britannique dont beaucoup de divisions sont de formation récente. Du 2 au 4 juillet, l’attaque, toujours conduite avec méthode, dépasse la deuxième position allemande et s’empare du plateau de Flaucourt. Le front est crevé sur huit kilomètres, mais on ne va pas plus loin car ce n’est pas le plan.
La réaction allemande est très rapide. Dès le 7 juillet, seize divisions sont concentrées dans le secteur attaqué puis vingt et une une semaine plus tard. La réunion de masses aériennes contrebalance peu à peu la supériorité initiale alliée. Dès lors, les combats vont piétiner et la bataille de la Somme comme celle de Verdun se transforme en bataille d’usure. La mésentente s’installe entre les Alliés et les poussées suivantes (14-20 juillet, 30 juillet, 12 septembre) manquent de coordination. Au sud de la Somme, Micheler, avec la Xe armée progresse encore de cinq kilomètres vers Chaulnes mais le 15 septembre Fayolle est obligé de s’arrêter sans résultat notable, au moment où les Britanniques s’engagent (et emploient les chars pour la première fois). Les pluies d’automne, qui rendent le terrain de moins en moins praticable, les réticences de plus en plus marquées des gouvernements, les consommations en munitions d’artillerie qui dépassent la production amènent une extinction progressive de la bataille. Après cinq mois d’effort, l’offensive alliée a à peine modifié le tracé du front. Péronne, à moins de dix kilomètres de la ligne de départ, n’est même pas atteinte. Les pertes françaises sont de 37 000 morts, 29 000 disparus ou prisonniers et 130 000 blessés. Celles des Britanniques et des Allemands sont doubles. En 77 jours d’engagement sur la Somme, la 13e DI n’a progressé que de trois kilomètres et a perdu 2 700 tués ou blessés pour cela.
La percée n’est pas réalisée et la Somme n’est pas la bataille décisive que l’on cherchait, même si elle a beaucoup plus ébranlé l’armée allemande que les Alliés ne le supposaient alors. C’est donc une déception et une nouvelle crise.
L’offensive de la Somme a d’abord échoué par excès de méthode. La centralisation, la dépendance permanente des possibilités de l’artillerie, la « froide rigueur » ont certainement empêché d’exploiter certaines opportunités, comme le 3 juillet avec le corps colonial ou le 14 septembre à Bouchavesnes devant le 7e corps. A chaque fois, ces percées, tant espérées l’année précédente, ne sont pas exploitées. Certains critiquent le manque d’agressivité de l’infanterie. D’un autre côté, pour le sous-lieutenant d’infanterie Jubert du 151e RI, « le fantassin n’a d’autre mérite qu’à se faire écraser ; il meurt sans gloire, sans un élan du cœur, au fond d’un trou, et loin de tout témoin. S’il monte à l’assaut, il n’a d’autre rôle que d’être le porte-fanion qui marque la zone de supériorité de l’artillerie ; toute sa gloire se réduit à reconnaître et à affirmer le mérite des canonniers ».
Les procédés de l’artillerie s’avèrent surtout trop lents. On persiste à chercher la destruction au lieu de se contenter d’une neutralisation, ce qui augmente considérablement le temps nécessaire à la préparation. Les pièces d’artillerie lourde sont toujours d’une cadence de tir très faible, ce qui exclut la surprise. De plus, le terrain battu par la préparation d’artillerie est si labouré qu’il gêne la progression des troupes et des pièces quand il ne fournit pas d’excellents abris aux défenseurs. L’artillerie avait le souci de travailler à la demande des fantassins mais ceux-ci ont eu tendance à demander des tirs de plus en plus massifs avant d’avancer, ce qui a accru la dévastation du terrain et les consommations de munitions. Compenser la faible cadence de tir nécessite d’augmenter le nombre de batteries, ce qui suppose de construire beaucoup d’abris pour le personnel ou les munitions et complique le travail de planification nécessaire pour monter une préparation de grande ampleur. Le temps d’arrêt entre deux attaques dépend uniquement de la capacité de réorganisation de l’artillerie. Or ce délai reste supérieur à celui nécessaire à l’ennemi pour se ressaisir.
Car la guerre se « fait à deux ». La guerre se prolongeant sur plusieurs années, phénomène inédit depuis la guerre de Sécession, les adversaires s’opposent selon une dialectique innovation-parade d’un niveau insoupçonné jusqu’alors. La capacité d’évolution de l’adversaire est désormais une donnée essentielle à prendre en compte dans le processus d’élaboration doctrinal qui prend un tour très dynamique. La puissance de feu de l’artillerie alliée terriblement efficace au début de juillet, est finalement mise en défaut. Les Allemands s’ingénient à ne plus offrir d’objectifs à l’artillerie lourde. Ils cessent de concentrer leurs moyens de défense sur des lignes faciles à déterminer et à battre. Constatant qu’ils peuvent faire confiance à des petits groupes isolés même écrasés sous le feu, ils installent les armes automatiques en échiquier dans les trous d’obus en avant de la zone et celles-ci deviennent insaisissables. En août, Fayolle déclare à Foch : « Enfin, ils ont construit une ligne de tranchés, je vais savoir sur quoi tirer ». Les Allemands vident les zones matraquées, amplifient le procédé de défense en profondeur, procédant à une « défense élastique » qui livre le terrain à l’assaillant, mais lui impose des consommations de munitions énormes et des attaques indéfiniment répétées. Malgré la puissance de l’attaque, ils réussissent ainsi à éviter la rupture de leur front.
L’échec de la « conduite scientifique de la bataille » entraîne donc sa réfutation en tant que paradigme et la mise à l’écart de Foch. Comme à la fin de 1915, l’échec de la doctrine en cours laisse apparaître les autres théories en présence. Pétain propose toujours la patience et le combat d’usure sur l’ensemble du front. Mais l’école du choc revient en force en soulignant la perte de dynamisme, issue selon elle de la sécurité relative qu’apporte un combat où toutes les difficultés sont résolues par une débauche d’artillerie. Elle fait remarquer que les pertes sont plus importantes dans les attaques qui suivent l’offensive initiale. Il est donc tentant de revenir à la « bataille-surprise ».
Extrait et résumé de Michel Goya, L’invention de la guerre moderne, Tallandier (édition 2014)
Des interpellations de casseurs à Lorient dans la nuit du 30 juin au 1er juillet par des militaires en civil agissant à titre personnel ont suscité de nombreuses et diverses réactions. D’un côté la population lorientaise qui a majoritairement applaudi cette initiative selon le Télégramme, et de l’autre, trois députés Bretons de la France insoumise qui ont effectué un signalement au parquet dans le cadre de l’article 40 du code de procédure pénale. (*) Les parlementaires émettent un doute sur l’intervention des militaires dans le cadre de l’article 73 du code de procédure pénale qui dispose que “dans les cas de crime flagrant ou de délit flagrant puni d’une peine d’emprisonnement, toute personne a qualité pour en appréhender l’auteur et le conduire devant l’officier de police judiciaire le plus proche”.
La Voix du Gendarme a sollicité l’analyse de l’un de ses conseillers, le général de division (2S) Bertrand Cavallier, expert en maintien de l’ordre, mais aussi ancien chef militaire ayant exercé de multiples commandements dans la Gendarmerie départementale et dans la gendarmerie mobile et ancien instructeur à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr et instructeur commando.
La Voix du Gendarme : à votre sens, des militaires qui, à titre personnel, ont arrêté des émeutiers, auraient-ils agi sans aucune espèce de loi, ou de règlement, qui le permet, comme le prétend le ministre de l’Intérieur ?
Bertrand Cavallier : dans la nuit du 30 juin au 1er juillet, à Lorient, le centre de la ville, mais aussi certains quartiers ont été la proie de plusieurs dizaines d’émeutiers qui se sont livrés aux casses de commerces, à des multiples dégradations notamment par l’effet d’incendies. Comme dans nombre d’autres communes, les forces de l’ordre ont été confrontées à des troubles d’une ampleur et d’une intensité inédite, rendant ainsi plus complexe leur capacité à rétablir l’ordre.
Dans ce contexte dégradé, qui a sidéré la population, quelques personnes ont procédé à l’interpellation des fauteurs de troubles, et les ont remis aux fonctionnaires de la police nationale.
Que ces jeunes gens soient des militaires ou non, la question centrale n’est pas là. Dès lors que ces personnes ont interpellé des auteurs de délits flagrants punis d’emprisonnement (incendies volontaires…), et qu’ils les ont mis à disposition, en l’occurence de fonctionnaires de police, ils ont possiblement agi dans le cadre de l’article 73 du code de procédure pénale (*), ce qui est principalement l’objet de l’enquête judiciaire ouverte.
LVDG : pour bon nombre de nos compatriotes , il s’agit d’actes de civisme exemplaire, mais il semblerait que cela ne soit pas un avis partagé. Qu’en pensez-vous ?
BC : selon les informations qui sont ouvertes, il semblerait que ce soit bien des individus appartenant à des unités militaires de la Marine nationale implantées localement, lesquelles en tant qu’entités sont étrangères à ce qui s’est passé. L’action de ces militaires, hors service – il faut le rappeler-, aurait relevé d’une initiative personnelle qui est celle de citoyens prêtant main forte aux forces de l’ordre. Ce serait là plutôt, de mon point de vue, un acte de bon citoyen. Il tranche évidemment avec la passivité générale que l’on constate aujourd’hui dans la population, mais qui est compréhensible eu égard aux risques physiques mais aussi juridiques pris – l’actualité le révèle souvent – pour ceux qui prennent de telles initiatives.
LVDG : en tant que chef militaire, que ce soit lors de votre passage comme instructeur à Saint-Cyr, où lors de vos commandements en gendarmerie mobile et en gendarmerie départementale, comment auriez-vous réagi ?
BC Je n’ai point besoin de rappeler tout d’abord qu’un chef soutient ses subordonnés. J’ajoute cependant que je suis attaché à la loi, mais également que j’ai acquis une certaine expérience s’agissant du courage d’une grande partie des politiques, mais aussi de la haute fonction publique.
Dans des circonstances analogues, je les aurais donc félicités pour leur audace, en cohérence avec l’essence même de leur engagement professionnel : servir leur patrie, protéger la nation. En cohérence, également, avec l’élan inhérent à la jeunesse, du moins ce qu’elle devrait être plus largement, dans cette société rabougrie et conservatrice.
Je les aurais aussi mis en garde. Car dans l’état actuel de notre société, et de ses faiseurs d’opinions, ils se seraient ainsi exposés physiquement, juridiquement, mais également socialement.
LVDG : quels enseignements tirez-vous de cet évènement ?
BC : tout d’abord, je prends acte du soutien massif qu’apporte la population à ces marins d’élite, héritiers de Léon Gauthier dont on vient d’honorer la mémoire au niveau national, qui ont ainsi agi. J’ajoute que les retours des policiers et Gendarmes engagés à Lorient, cette nuit là, n’ont pas été négatifs, loin s’en faut.
D’autre part, je fais confiance aux magistrats. Leur sagesse et leur indépendance seront précieuses pour apprécier les faits considérés avec justesse.
Mais au-delà, ces actions doivent nous inciter à nous poser les vraies questions. Des questions évidemment dérangeantes.
Ces émeutes constituent un nouvel épisode de la dégradation de la situation notre pays, de son affaiblissement, de la généralisation de la violence, de l’expansion continue de zones dites de non droit, y compris au coeur de territoires jusqu’ici préservés…Ces violences sont révélatrices d’une nouvelle oppression, qui contraint dans le quotidien les populations, qui réduit leurs libertés fondamentales. Qui peut nier cela aujourd’hui ? Qui peut nier l’émergence d’un phénomène hybride, qui combine le goût de l’argent facile, le désir de conquête, un suprémacisme contestant nos valeurs culturelles ?
Un pays où, depuis des décennies – le mal est profond -, l’on recommande aux militaires de ne plus se circuler en tenue, du fait du risque élevé de se faire agresser, notamment dans certaines zones.
Cette lâcheté rationalisée – nous nous sommes soumis – donne un goût amer à ces cérémonies marquant le sacrifice de ceux s’étant battus pour une France souveraine, pour un peuple libre, le sacrifice de ceux ayant osé résister. Que n’entends-je point des dites élites, des dits intellectuels, sur ce qui serait incompréhensible, inimaginable, dans la majorité des nations que j’ai l’honneur de visiter fréquemment. Je pense au Maroc, à la Suisse, à l’Allemagne, à l’Italie…?
Les forces de l’ordre ont été massivement engagées, mais elles ont été, en maints endroits, objectivement dépassées.
L’ordre républicain, le pacte social républicain, ont été sérieusement ébranlés. Dans certaines communes, des maires, désemparés, ont désormais évoqué leur objectif de mieux armer leur police municipale, de la doter de drones, de doubler les effectifs… Mesure compréhensible compte tenu de leur désarroi et de celui de leurs administrés, notamment de humbles commerçants, mais dénaturant cependant le principe d’une police municipale, et qui ne saurait régler le problème de fond.
L’ordre républicain, plus globalement, le pacte républicain, doivent être impérativement restaurés. Partout et en tout temps. Comme je l’ai maintes fois dit, cela va nécessiter des mesures éminemment politiques, énergiques, radicales et globales, telles qu’un Georges Clémenceau pourrait les prendre. Mesures qui ne sauraient d’ailleurs, même si ce n’est qu’un aspect du problème, exempter les forces de sécurité d’une vraie réflexion sur leur productivité et la réalité de leur proximité avec la population.
Une prochaine crise, qui serait pire, doit être impérativement écartée. À défaut, avec l’effondrement du dit monopole de la violence légitime de l’État, le peuple pourrait être tenté de l’assumer.
Cette éventualité nous renvoie à des questionnements essentiels sur la conception de notre société, qui ont marqué notre histoire, et qui ont notamment opposé Robespierre et Condorcet en 1793. Le premier affirmant que “quand la garantie sociale manque à un citoyen, il entre dans le droit naturel de se défendre lui-même”, le second rappelant que “ dans tout gouvernement libre, le mode de résistance à l’oppression doit être réglé par la constitution”.
Philosophiquement, sans évoquer mon état d’ancien Gendarme, je serais davantage dans le principe rappelé par Condorcet. Mais qui tient à l’existence d’un gouvernement vraiment libre, c’est à dire dégagé des inhibitions, apte à réellement agir pour protéger les bons citoyens de l’arbitraire, dans le quotidien comme en situation de crise. Cette majorité immense de gens paisibles, d’anonymes qui travaillent, mais dont le silence cache une grande colère.
(*) Article 40 du CPP Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs.
Le nucléaire est la seule énergie susceptible de donner à la France une indépendance énergétique
OPINION. Depuis les trente glorieuses, la part industrielle du PIB de la France a été réduite de moitié passant d’un peu plus de 30% en 1960 à 16% en 2021*. Ce chiffre est bien inférieur à la moyenne mondiale (27,6%) mais aussi à celle de l’UE (proche de 23%). Si l’heure est à la réindustrialisation, celle-ci ne pourra intervenir seule, une industrie souveraine reposant en priorité sur une vraie sécurité énergétique. Par Philippe Charlez, Expert en questions énergétique, Institut Sapiens.
Le projet de « loi pour l’industrie verte » présenté le mercredi 16 mai 2023 en Conseil des Ministres est le principal volet du plan de réindustrialisation souhaité par le Président de la République. Si le projet est louable, l’amalgame réindustrialisation/décarbonation est très critiquable. Même si 80% des jeunes associent industrie et pollution, leur vendre l’industrie comme levier de décarbonation tient au mieux de la naïveté au pire de l’imposture.
La dépendance minière des énergies vertes
Verdir l’industrie impose le remplacement des énergies fossiles, encore très présentes dans l’industrie lourde par des vecteurs électriques : hydrogène en sidérurgie, four à arc électrique en cimenterie et en verrerie. Face à des pays émergents, dont le verdissement de l’économie n’est qu’une lointaine priorité, ce bouleversement renchérira les coûts de production. De plus, d’inévitables normes se superposeront à un outil juridico-administratif déjà très contraignant et dégraderont un peu plus la rentabilité d’entreprises déjà plombées par un excès de charges. Dans ce contexte, la France éprouvera les pires difficultés à massivement ramener au pays des activités délocalisées faute de rentabilité. L’amalgame réindustrialisation/décarbonation est d’autant plus regrettable que l’Hexagone possède déjà l’un des mix énergétiques les plus vertueux du monde.
La décarbonation (au sens large – transports, habitat) reposant en grande partie sur le remplacement d’équipements thermiques par des équipements électriques (pompes à chaleur, éoliennes, panneaux solaires, batteries, voitures électriques, piles à combustible), l’exécutif mise surtout sur le déplacement des activités industrielles traditionnelles vers cette industrie verte dont une partie écrasante (>60%) est aujourd’hui produite dans le sud-est asiatique. La ramener en Europe n’est pas seulement un problème industriel. Il s’agit aussi d’un problème de dépendance minière.
Depuis les années 1950, le fonctionnement de notre société de croissance est intimement lié aux importations de pétrole et de gaz et donc fortement dépendante des pays producteurs. Si la nature a offert gratuitement le soleil et le vent à tous les terriens, il n’en n’est pas de même des métaux critiques indispensables pour construire les équipements verts. Ainsi, la complexité croissante des réseaux électriques liée à la multiplication des ENR a fortement tendu les marchés du cuivre dont plus de la moitié de la production mondiale provient du Chili, du Pérou, de la Chine et de RDC. L’explosion de la demande de batteries a aussi fortement boosté les marchés du Cobalt (64% provient de RDC), du lithium (53% est produit en Australie et 21% au Chili) et du graphite (60% provient de Chine). Quant aux terres rares et autres métaux précieux présents dans les éoliennes, dans les panneaux solaires et les électrolyseurs, 60% de leur production est concentrée en Chine. La croissance verte qui nous donne l’illusion d’une indépendance énergétique retrouvée ne fera que déplacer notre dépendance pétrolière vers une dépendance minière encore plus marquée. L’Europe en général, la France en particulier, sont-elles prêtes à faire face aux foudres écologistes et à rouvrir massivement des mines ? Rien de très concret en ce sens ne figure dans le plan de réindustrialisation pour des projets qui, sans doute, se heurteraient à une puissante contestation.
Recyclage du combustible nucléaire : vraie clé de l’indépendance énergétique
Bien que la France ne produise plus d’Uranium [les principaux producteurs sont le Kazakhstan (36%), le Canada (17%), l’Australie (11%) et le Niger (8%)], la génération électrique nucléaire possède un important avantage concurrentiel par rapport au gaz : dans le prix du MWh nucléaire, l’uranium compte pour moins de 5% (le coût des installations compte pour 95%) alors que pour le MWh gazier le combustible compte pour 90%. Contrairement au gaz, le MWh nucléaire est donc peu sensible aux aléas économiques et géopolitiques des matières premières et confère à un pays une sécurité énergétique beaucoup plus robuste. D’autant que la France, à travers Orano, dispose d’un contrôle complet sur l’ensemble de la chaîne du combustible. Une expérience recherchée, vectrice d’influence à l’export.
Mais, une donnée physique supplémentaire tranche définitivement de débat : le recyclage du combustible usé. Contrairement à l’enrichissement initial consistant à concentrer la part d’Uranium fissible contenue dans le minerai naturel, le recyclage purifie le combustible usé contenant encore une part très significative de matières valorisables (les réacteurs actuels n’utilisent que 1% du potentiel du combustible). Selon la SFEN, les réserves de combustible nucléaire usé stockés en France auraient la capacité de produire de l’électricité propre pendant près d’un millénaire. Orano fabrique ainsi à partir de combustible usé du Mox (mélange d’oxydes d’Uranium et de Plutonium) qui est utilisé dans les centrales françaises et européennes. Toutefois, depuis la catastrophe de Fukushima et compte tenu des prix faibles de l’Uranium, les électriciens ont souvent préféré s’approvisionner dans les mines plutôt que de recycler du combustible usé. Toutefois, les cours croissants de l’Uranium (il a dépassé les 50 dollars/livre au cours des dernières semaines), la guerre russo-ukrainienne et les limites de stockage devraient faire évoluer les mentalités.
L’autre difficulté du recyclage concerne la technologie. Une partie significative du combustible usé contenant du Plutonium est davantage adaptée à la surgénération de quatrième génération (type Superphénix et Astrid) qu’à la technologie à eau pressurisée (seconde et troisième génération type EPR). Superphénix et Astrid ayant été définitivement abandonnés (sauf nouveau revirement !) par l’exécutif, il y a donc peu d’espoir que ce potentiel gigantesque puisse être valorisé à moyen terme.
Dommage que la politique l’ait une fois encore emporté sur la science et la raison. Le recyclage du combustible usagé dans une nouvelle génération de réacteurs aurait permis de fournir en abondance l’électricité décarbonée mais pilotable dont la France aura besoin au cours des décennies à venir (la consommation devrait doubler d’ici 2050) mais aussi de réduire significativement le problème crucial des déchets en ramenant la plupart des produits de fission à un niveau de radioactivité comparable à celui du minerai d’uranium naturel.
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* Source World Development Indicators | DataBank (worldbank.org)