États-Unis : l’hégémonie ou l’échec

États-Unis : l’hégémonie ou l’échec

par Michael BRENNER* – TRIBUNE LIBRE N°156 / juillet 2024 – CF2R

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*Professeur émérite d’affaires internationales à l’Université de Pittsburgh et membre du Center for Transatlantic Relations à SAIS/Johns Hopkins. Michael Brenner a été directeur du programme de relations internationales et d’études mondiales à l’université du Texas. Il a également travaillé au Foreign Service Institute, au ministère américain de la Défense et à Westinghouse. Il est l’auteur de nombreux livres et articles portant sur la politique étrangère américaine, la théorie des relations internationales, l’économie politique internationale et la sécurité nationale.

La nouveauté amène les observateurs à fouiller dans leur inventaire d’idées et de concepts pour en trouver un qui corresponde à la situation internationale que nous connaissons. Son application est censée donner un peu de sens aux nouveaux phénomènes qui apparaissent. Nombreux sont ceux qui se contentent de cela, même si leur description comporte des dénominations inappropriées ou des connotations ambiguës. Il en va ainsi de concepts tels que « populisme », « fascisme » et « hégémonie ». Tous sont en vogue ; tous sont employés à toutes les sauces si bien que ces termes ont perdu toute capacité de clarification pour expliquer les phénomènes en question.

Examinons le dernier en date : l’hégémonie. Ce terme occupe une place centrale dans le discours actuel sur la place des États-Unis dans le monde : ce qu’elle a été, sa durabilité et la manière qu’ils ont de formuler les intérêts nationaux du pays.

 

Hégémonie 

L’hégémonie est la domination sur des lieux, des élites politiques, des institutions de manière à contrôler ce qu’un État fait dans son propre intérêt. Cette domination peut varier en termes de portée, de méthodes et de degrés de contrôle. L’hégémonie américaine, dont on a beaucoup parlé après la Seconde Guerre mondiale, était géographiquement délimitée par le bloc communiste qui se trouvait en dehors de son champ d’action. Après 1991, elle a pris une dimension mondiale, l’objectif étant de consolider la primauté et la domination des États-Unis. C’est toujours le cas aujourd’hui. (Elle a été énoncée pour la première fois dans le fameux mémorandum Wolfowitz en février 1992, qui est devenu depuis lors le modèle de la politique étrangère américaine[1]). Pendant la Guerre froide, la préoccupation des États-Unis était la sécurité, leurs moyens étant principalement militaires – bien qu’étayés par un réseau dense de relations économiques favorables partiellement institutionnalisées. Au cours des trente années qui ont suivi (1992-2022), l’accent s’est progressivement déplacé vers la stratégie politico-économique à multiples facettes du néolibéralisme. Ce changement dans l’équilibre entre puissance « dure » et « semi-douce » n’a jamais éclipsé les considérations purement militaires, comme en témoignent :

  1. a) l’engagement publiquement déclaré du Pentagone en faveur d’une supériorité militaire à large spectre afin d’assurer une domination par escalade dans chaque région contre tout ennemi imaginable,
  2. b) les interventions dispersées menées au nom de la guerre mondiale contre la terreur,
  3. c) l’expansion incessante de l’OTAN.

La volonté de Washington d’utiliser la force pour imposer sa volonté, qui s’exprime aujourd’hui par une attitude agressive à l’égard de la Russie et de la Chine, n’a pas éteint la croyance idéaliste kantienne selon laquelle la propagation de la démocratie constitutionnelle, accompagnée des récompenses tangibles promises par l’indépendance économique mondiale, est la garantie la plus sûre de la stabilité internationale. Une stabilité supervisée par une Amérique bienveillante. L’accomplissement de cette téléologie présumée, cependant, a dicté l’utilisation de la puissance dure pour contrecarrer ou subjuguer ceux qui pourraient la défier.

Aujourd’hui, les élites politiques américaines se trouvent dans une position où l’objectif de l’hégémonie mondiale est devenu inaccessible – selon toute norme raisonnable, pour des raisons objectives. Pourtant, elles ne veulent pas – ou ne peuvent pas – accepter cette conclusion logique. Cette réticence est à la fois intellectuelle, idéologique et émotionnelle. La psychologie complexe d’une grande puissance en déclin qui jouissait d’un respect sans précédent au-delà de ses frontières, fondée sur la croyance en une exception innée la destinant à être le point de mire d’idées qui allaient remodeler le monde, rend l’analyse de ce comportement déconcertante. Ce que nous pouvons dire, c’est que la perspective d’un statut réduit est intolérable, même si la sécurité et le bien-être du pays ne sont pas directement menacés. La quête compulsive d’une sécurité absolue et d’une supériorité naturelle imaginaires ne permet pas aux Américains de se contenter de ce qu’ils ont accompli chez eux et à l’étranger. En effet, ce à quoi le pays aspirait et qu’il se sentait sur le point d’accomplir est en train de lui échapper. Le fossé entre les aspirations et la réalité se creuse d’année en année. C’est là que le bât blesse.

L’affaiblissement des performances est l’une des choses les plus difficiles à gérer pour l’être humain, qu’il s’agisse d’un individu ou d’une nation.  Par nature, nous apprécions notre force et notre compétence ; nous redoutons le déclin et ses signes d’extinction. C’est particulièrement vrai aux États-Unis où, pour beaucoup, l’individu et la personnalité collective sont inséparables. Aucun autre pays n’essaie aussi inlassablement de vivre sa légende que les États-Unis. Pour de nombreux Américains – à l’ère de l’anxiété et de l’insécurité – le sentiment d’estime de soi et de valeur personnelle est fondé sur leur association intime avec l’appartenance à une nation vertueuse et dotée d’un pouvoir unique. Aujourd’hui, des événements se produisent qui contredisent le récit américain d’une nation au destin exceptionnel. Cela crée une dissonance cognitive et un malaise[2].

La remarquable uniformité de pensée parmi les membres influents de la classe politique empêche d’affronter ce dilemme de front. Il n’y a pratiquement aucun débat sérieux sur les objectifs et les moyens de la politique étrangère – du moins, parmi ceux qui ont accès aux couloirs du pouvoir décisionnel. Tous observent la même écriture sainte et chantent le même cantique. Résultat : une pensée de groupe profondément ancrée, imperméable aux preuves contradictoires qui sont ignorées, rejetées ou déformées pour correspondre aux idées préconçues. Cela soulève une question troublante : la conduite des États-Unis sur la scène internationale doit-elle être comprise comme une détermination raisonnée à suivre la voie choisie, quelles que soient les chances d’atteindre son objectif ambitieux ? Ou bien observons-nous des actions compulsives enracinées dans des émotions et des états d’esprit profondément ancrés, réifiés dans l’hégémonie doctrinale ?

 

Pourquoi l’hégémonie ?

La préoccupation première de tout État est sa sécurité. Cela découle de la nature intrinsèque des affaires internationales. La caractéristique distinctive de cet environnement est que chaque entité détermine quand et comment elle peut utiliser la force pour atteindre ses objectifs – il n’y a pas d’autorité supérieure qui fixe et applique des règles de comportement. D’où l’omniprésence de situations de conflit potentiel auxquelles les États doivent se préparer. C’est la caractéristique des relations internationales. Ce truisme soulève toutefois des questions fondamentales. La situation dans laquelle se trouve un État n’est pas figée ; il existe une multitude de configurations stratégiques, chacune ayant ses caractéristiques propres. De même, il existe un éventail de politiques qu’un État pourrait suivre pour se protéger dans l’une ou l’autre de ces conditions.

Évidemment, ces options théoriques sont limitées par la force relative des parties concernées, les ressources nationales, les degrés de cohésion interne, les idéologies dominantes, etc. Néanmoins, il existe d’autres façons de définir ses besoins en matière de sécurité et de formuler des stratégies pour y répondre. Cela vaut même lorsque le « potentiel de réponse discrétionnaire » est limité par des conditions objectives.

La détermination de ce qui constitue une situation de sécurité satisfaisante est fonction des jugements portés par les principaux décideurs dans le contexte et l’histoire propres à leur pays. À une extrémité du continuum se trouve la recherche de la sécurité absolue – ou d’une certaine approximation de celle-ci. Même dans ce cas, il convient d’évaluer le calendrier réalisable/préférable. Une sécurité absolue à perte de vue stratégique ? Pour cette génération ? Jusqu’à ce qu’un changement envisagé dans l’équilibre des forces se produise ?

La pensée dominante aux États-Unis se situe vers ce point absolutiste du continuum. En outre, elle penche fortement vers le long terme, voire la permanence. C’est compréhensible. Pendant les quelque 130 premières années de leur existence, les États-Unis ont été protégés par la géographie contre les menaces pesant sur leur intégrité physique et politique. La seule exception était le danger planant posé dans les premières années par une Grande-Bretagne qui nourrissait l’espoir d’un châtiment et d’une restauration, comme cela s’est manifesté lors de la guerre de 1812. Au cours du siècle suivant, les Américains ne se sont engagés dans des conflits avec d’autres États qu’en raison de leurs propres ambitions d’étendre leurs territoires. (contre l’Espagne en 1819 et 1898 ; contre le Mexique en 1848). Il s’agissait de choix, en aucun cas d’une nécessité. Il en va de même pour l’entrée dans la Première Guerre mondiale. Les dirigeants de Washington étaient manifestement plus à l’aise avec le statu quo d’avant-guerre qu’avec une Europe dominée par une Allemagne triomphante. Néanmoins, l’évaluation de la menace était plus abstraite que concrète et – telle qu’elle était – ne pouvait pas être réalisée dans un avenir proche. C’est donc à juste titre qu’elle a été qualifiée de « guerre de choix » plutôt que de guerre de nécessité sécuritaire. Il était naturel, sinon prédestiné, que les États-Unis reviennent au néo-isolationnisme pendant l’entre-deux-guerres.

La confiance des Américains dans leur insularité face à des menaces tangibles pour leur sécurité a ensuite été ébranlée par trois événements : Pearl Harbor ; l’explosion d’une bombe nucléaire par l’Union soviétique ; et le 11 septembre 2001. Ce dernier événement est survenu dix ans après la disparition de la menace de l’URSS. Au cours de la décennie écoulée, les élites politiques des États-Unis se sont senties rassurées par le fait que la sécurité quasi absolue du pays pouvait être rétablie. Le défi consistait à exploiter les conditions favorables à l’échelle mondiale pour établir une hégémonie américaine bienveillante dans laquelle aucune menace ne pourrait se matérialiser. Une stratégie multiforme était nécessaire pour étendre et approfondir l’influence américaine, pour affirmer l’allégeance et la déférence des autres États, et pour se préparer à l’utilisation de la force si nécessaire pour prévenir l’émergence de tout rival militaire potentiel. Telle est la logique sous-jacente de la doctrine Wolfowitz.

À l’heure actuelle, son enracinement dans l’esprit des dirigeants du pays est illustré par notre attitude de confrontation à l’égard de la Russie, de la Chine, de l’Iran et d’une série d’États moins redoutables que Washington considère comme hostiles ou antagonistes, d’une manière ou d’une autre. Comme l’a déclaré Joe Biden le 5 juillet 2024 : « non seulement je fais campagne, mais je dirige le monde ». Cela peut sembler une hyperbole, mais nous sommes la nation essentielle du monde. Interpolation : Nous devrions diriger le monde entier – pour le bien du monde et pour le nôtre.

L’expression « notre intérêt » implique un besoin. Quelle sorte de besoin ? Il ne s’agit pas d’un besoin de sécurité manifeste puisqu’il n’existe pas de menace manifeste pour l’intégrité territoriale ou l’intégrité politique des États-Unis. Il ne s’agit pas non plus d’une menace pour nos principaux alliés ou partenaires, même si l’on s’imagine que Poutine est un autre Hitler et qu’il existe un complot diabolique de la Chine pour nous remplacer en tant que suprématie mondiale. Ce qui est menacé, c’est l’hégémonie américaine telle que la conçoit Wolfowitz. Cette hégémonie est nécessaire non pas pour des raisons de sécurité, mais plutôt pour confirmer le droit des États-Unis à l’exceptionnalisme et à la suprématie, ancrés dans la psyché et le credo nationaux.

Tel était l’état des lieux lorsque l’équipe Biden, composée de néo-conservateurs et de nationalistes purs et durs, est arrivée au pouvoir. Ils ont ressenti un sentiment d’urgence. Trump avait été trop erratique dans ses relations avec Moscou et Pékin, en dépit d’une batterie de sanctions. Pendant qu’il « tergiversait », la Chine et la Russie se sont renforcées, ce qui exigeait une réaction rapide de peur que leur progression n’échappe à tout contrôle. Ces deux nations avaient le couteau entre les dents ; elles avaient un plan. Les principaux acteurs internationaux partageaient alors une carte cognitive claire – bien qu’unidimensionnelle – de l’environnement mondial : l’objectif était gravé dans le granit et leur croyance en l’efficacité de la puissance américaine était sans réserve. Les principaux éléments étaient les suivants. La Russie devait être neutralisée en tant que grande puissance, soit en l’incitant à s’abriter sous l’aile de l’Occident afin de se protéger du vorace « péril jaune » à sa frontière, soit en l’affaiblissant gravement par une combinaison d’expansion de l’OTAN et de sanctions économiques, dans l’espoir que cela conduise au remplacement de Poutine par un dirigeant plus conciliant. Joe Biden en mars 2022 : « Cet homme doit partir« . La Chine devait être contenue par la formation d’une ceinture d’alliances dirigées par les Américains en Asie, associée à des mesures destinées à restreindre son accès aux marchés, aux technologies et aux finances de l’Occident. En outre, des mesures concrètes seraient prises pour promouvoir l’indépendance de Taïwan tout en renforçant ses défenses. Les « Bidens » s’attendaient à ce qu’une telle stratégie entraîne une stagnation de l’économie chinoise et une diminution proportionnelle de l’influence de la Chine sur la scène internationale. Quant aux autres parties hostiles, elles pourraient être traitées en mobilisant l’arsenal  de coercition militaire de l’Amérique contre elles.

Cette stratégie de grande envergure impliquait un changement fondamental non seulement dans les objectifs, mais aussi dans le calcul des risques. Pendant la Guerre froide avec l’URSS, les calculs de Washington étaient tempérés par la prudence. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Un historien de l’Antiquité caractérisait ainsi les relations entre les deux grands empires de Rome et des Parthes : « Chaque empire devait respecter les sensibilités de l’autre. Pousser trop loin risquait d’entraîner une guerre bien plus grave qu’aucune des deux parties ne souhaitait »[3]. Les dirigeants américains d’aujourd’hui, qui ne ménagent pas leurs efforts, considèrent cette attitude comme un souvenir désuet d’une époque révolue.

Ces plans de Washington à l’égard de la Russie et de la Chine ont eu en commun 1) d’être fondés sur une profonde méconnaissance des deux pays ; et 2) de surestimer grossièrement la puissance de l’Occident par rapport à ses rivaux présumés. La démonstration brutale, par la débâcle de l’Ukraine et la résistance économique de la Chine, que toutes les hypothèses de Washington étaient fausses n’a pas encore été assimilée par la communauté américaine des affaires étrangères.

La vérité évidente est que la force croissante du bloc sino-russe rend impossible la réalisation de l’objectif hégémonique. En effet, la trajectoire actuelle indique un changement inexorable des lieux de pouvoir et d’interaction internationaux vers un système mondial différent (bien que toujours interdépendant), multinodal – pour reprendre le terme approprié de Chas Freeman.

Le sentiment exalté qu’a l’Amérique d’elle-même est le principal obstacle qui l’empêche d’accepter cette réalité inconfortable. Elle a suscité l’envie de se prouver à elle-même (et au reste du monde) qu’elle reste le paladin mondial en lançant une série d’entreprises destinées à repousser ses ennemis et ses rivaux tout en revigorant les liens avec ses vassaux et ses fidèles. Cette ambition audacieuse et vouée à l’échec de s’assurer une domination mondiale n’est pas le fruit d’un jugement stratégique froid. Il s’agit plutôt de la matérialisation de fantasmes nés au plus profond de la psyché collective américaine. C’est la stratégie de la fuite en avant d’un pays souffrant d’une profonde dissonance cognitive aggravée par une crise d’identité collective.

Les États-Unis se sont enfermés dans une voie qui ne permet aucune déviation, aucune adaptation, aucune décélération.  Tout ou rien : l’hégémonie ou l’Armageddon. Cette détermination sans faille les rend aveugles aux développements qui modifient les chances de cette issue. Ces évolutions ne se produisent pas seulement dans la partie du monde où se trouvent les BRICS. La performance honteuse de l’Amérique en tant que complice des crimes odieux commis contre les Palestiniens a dissous la position des États-Unis dans le monde en tant que force morale, en tant que pays intègre et animé d’intentions décentes. C’est la fin du soft power tel qu’il existait. Bien sûr, les souhaits de Washington sont toujours considérés comme des ordres autoritaires par sa coterie de vassaux dénaturés dont le degré collectif de contrôle sur leurs propres affaires, ainsi que sur les mots, se réduit encore plus vite que celui de leur suzerain.

 

Une alternative est possible

Il existe une autre alternative, radicale, fondée sur la conviction qu’il est possible d’élaborer une stratégie à long terme visant à entretenir des liens cordiaux avec la Russie et la Chine et à favoriser les domaines de coopération. Cette stratégie reposerait sur la reconnaissance commune qu’un engagement mutuel en faveur du maintien de la stabilité politique et de l’élaboration de mécanismes de prévention des conflits sert au mieux leurs intérêts à long terme. Cette idée n’est pas aussi farfelue qu’on pourrait le croire à première vue.

L’idée d’un concert des grandes puissances vient à l’esprit. Toutefois, nous devrions envisager un arrangement assez différent du concert historique de l’Europe qui a vu le jour à la Conférence de Vienne au lendemain des guerres napoléoniennes (1815). D’une part, l’objectif ne serait pas de renforcer le statu quo par la double stratégie consistant à s’abstenir de tout conflit armé entre les États signataires et à réprimer les mouvements révolutionnaires susceptibles de mettre en péril les régimes en place. Les caractéristiques de ce concert étaient les suivantes : la concentration du pouvoir entre les cinq grands cogestionnaires du système, l’étouffement des réformes politiques dans toute l’Europe et le mépris des forces apparaissant en dehors de leur champ d’action.

En revanche, un concert contemporain entre les grandes puissances assumerait la responsabilité de prendre la tête de la conception d’un système mondial fondé sur les principes complémentaires d’ouverture, d’égalité souveraine et de promotion de politiques qui produisent des résultats à somme positive. Plutôt que d’être dirigées par un directoire, les affaires internationales seraient structurées par :

  1. a) des institutions internationales dont la philosophie serait modifiée, ouvertes à la prise de décision multilatérale et adoptant des mesures de déconcentration qui donneraient des pouvoirs aux organismes régionaux ;
  2. b) un modèle de consultation entre les gouvernements qui, par leur poids économique et leurs capacités militaires, devraient tout naturellement jouer un rôle informel dans le fonctionnement du système ;
  3. c) des mesures visant à régulariser la participation d’autres États.

Quid de la légitimité ? Elle doit être établie par la conduite et la performance. La chute drastique du respect pour le leadership mondial américain facilitera ce processus – comme le démontrent déjà les succès des BRICS.

Le point de départ crucial d’un tel projet est une rencontre des esprits entre Washington, Pékin et Moscou – accompagnée d’un dialogue avec New Delhi, Brasilia, etc. Il y a des raisons de croire que les conditions, objectivement parlant, sont propices à une entreprise de cet ordre depuis plusieurs années. Cependant, l’Occident ne l’a jamais reconnu et l’a encore moins sérieusement envisagé – une occasion historique perdue.

Le facteur suffisant le plus important est le tempérament des dirigeants chinois et russes. Xi et Poutine sont des dirigeants rares. Ils sont sobres, rationnels, intelligents, très bien informés, capables d’une vision large et, tout en se consacrant à la défense de leurs intérêts nationaux – avant tout le bien-être de leurs peuples -, ils ne nourrissent pas d’ambitions impériales. En outre, ils sont chefs d’État depuis longtemps. Ils disposent du capital politique nécessaire pour investir dans un projet d’une telle ampleur et d’une telle perspective. Malheureusement, Washington n’a pas eu de dirigeants au caractère et aux talents similaires.

Les réunions au sommet de Bush, Obama, Trump ou Biden se sont toujours concentrées sur des questions de détail ou sur des instructions concernant ce que leur homologue devrait faire pour se conformer à la vision américaine du monde. Dans les deux cas, il s’agit d’une perte de temps précieux par rapport à l’impératif de promouvoir une perspective mondiale commune à long terme. Pour entamer un dialogue sérieux, il serait judicieux qu’un président doté de qualités d’homme d’État s’assoie seul avec Poutine et Xi et leur pose la question suivante : « Que voulez-vous, président Poutine/président Xi ? Comment voyez-vous le monde dans 20 ans et la place de votre pays dans ce monde ? » Seraient-ils prêts à donner une réponse articulée ? Poutine, certainement. C’est exactement ce qu’il a proposé depuis 2007, à de nombreuses reprises, de vive voix ou dans ses écrits. Au lieu de cela, il s’est vu opposer une fin de non-recevoir et, depuis 2014, a été traité comme un paria menaçant qu’il faut diffamer et insulter personnellement. 

Voici le point de vue de Barack Obama : Le président russe est un homme « physiquement banal« , comparé aux « patrons de quartier durs et rusés qui dirigeaient la machine de Chicago« . Ce commentaire, tiré du premier volume des mémoires publiées par Obama[4], en dit plus long sur son propre ego, à la fois gonflé et vulnérable, que sur le caractère de Poutine. En fait, c’est la machine de Chicago, ainsi que l’argent et les encouragements du réseau Pritzker[5], qui ont fait d’Obama ce qu’il est devenu. Contraste : lorsque Bismarck a rencontré Disraeli lors de la conférence de Berlin de 1878 – allant même jusqu’à l’inviter deux fois à manger chez lui, alors qu’il était juif – il n’a pas harcelé le Premier ministre britannique au sujet des restrictions commerciales imposées aux exportations allemandes de textiles et de produits métallurgiques, ni au sujet des mauvais traitements systématiques infligés par les Britanniques aux travailleurs des plantations de thé dans l’Assam. Il n’a pas non plus commenté son physique. Bismarck était un homme d’État sérieux, contrairement aux personnes à qui nous confions la sécurité et le bien-être de nos nations. 

Le résultat est que Poutine et Xi semblent perplexes quant à la manière de traiter avec leurs homologues occidentaux incapables qui ignorent les préceptes élémentaires de la diplomatie. Cela devrait également nous préoccuper – à moins, bien sûr, que nous n’ayons l’intention de mener notre « guerre » de manière linéaire, en faisant peu de cas de la réflexion des autres parties

Le vitriol que ses homologues occidentaux jettent sur Poutine avec une telle véhémence a quelque chose d’énigmatique. Cette attitude est manifestement disproportionnée par rapport à ce qu’il a fait ou dit, même si l’on déforme l’histoire sous-jacente de l’Ukraine. La condescendance d’Obama suggère une réponse. Au fond, son attitude reflète l’envie dans le sens où il a inconsciemment reconnu en Poutine quelqu’un qui lui est clairement supérieur en termes d’intelligence, de connaissance des questions contemporaines et de l’histoire, d’éloquence, de sens politique et – très certainement – d’habileté diplomatique. Essayez d’imaginer l’un de nos dirigeants imitant la performance de Poutine en organisant des séances de questions-réponses de trois heures avec la presse internationale ou avec des citoyens de tous bords, répondant directement, en détail, de manière cohérente et de bonne grâce. Biden ? Trudeau ? Scholz ? Sunak ? Starmer ? Macron ? Von der Leyen ? Kaja Kallis ? Même pas Barack Obama qui nous servirait des sermons en conserve dans un langage de haute voltige n’ayant pas grand-chose à voir avec la réalité. C’est pourquoi la classe politique occidentale évite assidûment de prêter attention aux discours et aux conférences de presse de Poutine – loin des yeux, loin du cœur. Elle préfère agir en se référant à la caricature plutôt qu’à l’homme réel.

Aujourd’hui, à l’ère de l’Ukraine, le consensus rigide de Washington est que Vladimir Poutine est la quintessence du dictateur brutal – fou de pouvoir, impitoyable et n’ayant qu’une prise ténue sur la réalité. En effet, il est devenu courant de l’assimiler à Hitler, comme l’ont fait des figures de proue de l’élite du pouvoir américain telles que Hillary Clinton et Nancy Pelosi, ainsi que des « faiseurs d’opinion » à foison. 203 titulaires du prix Nobel ont mêm prêté leur cerveau collectif et leur notoriété à une « lettre ouverte » dont la première phrase associe l’attaque de la Russie contre l’Ukraine à l’assaut d’Hitler contre la Pologne en septembre 1939. 

Malheureusement, l’argument selon lequel ceux qui prennent des décisions cruciales en matière de politique étrangère devraient se donner la peine de savoir de quoi ils parlent est largement considéré comme radical, voire subversif. En ce qui concerne Poutine, il n’y a absolument aucune excuse pour une telle ignorance à son égard. Il a présenté son point de vue sur la manière dont la Russie envisage sa place dans le monde, ses relations avec l’Occident et les règles d’un système international souhaité. Il a fait cela  de manière complète, éclairée par l’histoire et plus cohérente que n’importe quel autre dirigeant national que je connaisse. Les déclarations à l’emporte-pièce « nous sommes le numéro un et nous le serons toujours – vous feriez mieux de le croire » (Obama) ne sont pas son style. Le fait est que l’on peut être troublé par ses conclusions, mettre en doute sa sincérité, soupçonner des courants de pensée cachés ou dénoncer certaines actions. Mais cela n’a de crédibilité que si l’on s’est intéressé à l’homme en se basant sur les éléments disponibles et non sur des caricatures de dessins animés. De même, nous devrions reconnaître que l’attitude de la Russie n’est pas du spectacle et qu’il nous incombe de prendre en compte la réalité plus complexe de la gouvernance et de la politique russes.

Le président chinois Xi a échappé à la diffamation personnelle dont Poutine a fait l’objet – jusqu’à présent. Mais Washington n’a pas fait plus d’efforts pour engager avec lui une discussion sur la forme future des relations sino-américaines et sur le système mondial dont ils sont destinés à être ensemble les principaux gardiens. Xi est plus insaisissable que Poutine. Il est beaucoup moins direct, plus réservé et incarne une culture politique très différente de celle des États-Unis ou de l’Europe. Pourtant, ce n’est pas un idéologue dogmatique ni un impérialiste avide de pouvoir. Les différences culturelles peuvent trop facilement devenir une excuse pour éviter l’étude, la réflexion et l’exercice d’imagination stratégique qui s’imposent.

L’approche décrite ci-dessus vaut les efforts – et les faibles coûts – qu’elle entraine. En effet, ce sont les accords entre les trois dirigeants (et leurs collègues de haut rang) qui sont de la plus haute importance. En d’autres termes, il s’agit de s’entendre sur la manière dont ils perçoivent la forme et la structure des affaires mondiales, sur les points où leurs intérêts s’opposent ou convergent, et sur la manière de relever le double défi consistant à : 1) gérer les points de friction qui peuvent surgir ; et 2) travailler ensemble pour assurer les fonctions de « maintenance du système » dans les domaines de l’économie et de la sécurité.

À l’heure actuelle, il n’y a aucune chance que les dirigeants américains aient le courage ou la vision nécessaire pour s’engager dans cette voie. Ni Biden et son équipe, ni leurs rivaux républicains ne sont à la hauteur. En vérité, les dirigeants américains sont psychologiquement et intellectuellement incapables de réfléchir sérieusement aux conditions d’un partage du pouvoir avec la Chine, avec la Russie ou avec n’importe qui d’autre – et de développer des mécanismes pour y parvenir à différentes échéances. Washington est trop préoccupé par l’équilibre naval en Asie de l’Est pour réfléchir à des stratégies générales. Ses dirigeants sont trop complaisants à l’égard des failles profondes de nos structures économiques, et trop gaspilleurs en dissipant des billions dans des entreprises chimériques visant à exorciser un ennemi mythique pour se préparer à une entreprise diplomatique du type de celle à laquelle une Amérique égocentrique n’a jamais été confrontée auparavant.

Nous sommes proches d’un état qui se rapproche de ce que les psychologues appellent la « dissociation ».  Elle se caractérise par une incapacité à voir et à accepter les réalités telles qu’elles sont pour des raisons émotionnelles profondes. La tension générée pour une nation ainsi constituée lorsqu’elle est confrontée à la réalité objective n’oblige pas à une prise de conscience accrue ou à un changement de comportement si la caractéristique dominante de cette réalité est constituée par les attitudes et les opinions exprimées par d’autres personnes qui partagent les illusions sous-jacentes.


[1] Le credo de Wolfowitz anime presque tout le monde : les néo-cons classiques, les néo-cons machistes et les néo-impérialistes bruts. Les quelques non-croyants n’ont rien à voir avec le discours de politique étrangère de l’Amérique. Si vous préconisez un engagement avec Téhéran et un dialogue avec Poutine, vous êtes rejeté comme hérétique – comme les gnostiques, puis les Cathares, sauf que ces derniers ont au moins reconnu le Christ (l’exceptionnalisme américain) et Satan (Poutine/Khamenei) avant qu’on ne leur administre leur juste châtiment.

Ce récit historique met en évidence deux caractéristiques tout à fait remarquables du consensus actuel des élites, qui porte l’empreinte du modèle Néo-Con/Wolfowitz :

– premièrement, sa conquête presque totale de l’esprit américain a réussi malgré un record inégalé d’échecs – dans l’analyse et dans l’action : Afghanistan, Irak, Libye, Syrie, Iran, Yémen, Somalie, Mali, Biélorussie, Venezuela, Bolivie – le tout couronné par la catastrophe en Ukraine que nous avons chorégraphiée (erreur fatale de lecture de la Russie) ;

– deuxièmement, l’administration Biden a presque officiellement annoncé que nous étions désormais engagés dans une guerre hybride globale contre un bloc sino-russe – un rival puissant qui a vu le jour parce que nous avons fait tout ce qui était concevable pour l’encourager. Pourtant, l’élite de la politique étrangère, la classe politique et le public ont accueilli la nouvelle de ce combat titanesque sans broncher. Le pays s’est engagé sur une voie funeste dans un état d’inconscience induit par une coterie volontaire de vrais croyants inspirés par un dogme enveloppé d’ignorance et poursuivis dans une incompétence stupéfiante.

[2] Sur le plan psychologique, cette approche est compréhensible, car elle joue sur la force des États-Unis : une confiance en soi démesurée associée à une force matérielle – perpétuant ainsi les mythes nationaux d’être destiné à rester le numéro un mondial pour toujours, et d’être en position de façonner le système mondial selon les principes et les intérêts américains. Le président Obama s’est exclamé : « Laissez-moi vous dire quelque chose.  Les États-Unis d’Amérique sont la nation la plus puissante de la planète.  Un point c’est tout. Cette période est loin d’être finie [répété trois fois !]« .  Et alors ?  S’agit-il d’une révélation ? Quel est le message ? À qui s’adresse-t-il ?  Est-ce différent de quelqu’un qui crierait : Allah Akbar ! Les mots qui ne sont ni un prélude à l’action, ni une incitation à l’action, ni même une information, ne sont que du vent.  En tant que telles, elles constituent un autre moyen d’évitement – une fuite de la réalité. Elles ne trouvent pas d’oreilles attentives à Londres, Bruxelles, Berlin et Canberra. Lors des sommets de l’OTAN et du G7, on entend la récitation en chœur de la Shahada : « Il n’y a qu’un seul Dieu – l’Oncle Sam – et Wolfowitz est son prophète ». Pourtant, aucun président n’ose répéter l’exclamation d’Obama à Moscou, Pékin, New Delhi, Brasilia, Riyad, Brasilia, Jakarta ….

La tension associée à la rencontre d’une nation ainsi constituée avec la réalité objective n’oblige pas à une prise de conscience accrue ou à un changement de comportement si la caractéristique dominante de cette réalité est l’attitude et les opinions exprimées par d’autres personnes qui partagent les illusions sous-jacentes. Ce phénomène s’accompagne d’une appréhension croissante dans le pays que la suprématie des États-Unis dans le monde est en train de s’évanouir, de la sensation de perdre ses prouesses nationales, de voir sa maîtrise menacée. Cela génère une préférence pour la recherche de résultats clairs dans un délai relativement court, qui rassurent en confirmant la croyance optimiste en l’exceptionnalisme américain.

[3] Adrian Goldsworthy Rome and Persia : The Seven Hundred Year Rivalry, Basic Books, 2023.

[4] Une terre promise, Fayard, 2020.

[5] Famille de milliardaires américains qui joue un rôle majeur dans la vie politique des Etats-Unis depuis plusieurs générations.

L’Otan en Asie-Pacifique, la montée des tensions

L’Otan en Asie-Pacifique, la montée des tensions

Vilnius, LITHUANIA-12/07/2023//01JACQUESWITT_choixdeclaration012/Credit:Jacques Witt/SIPA/2307121719

par Alex Wang* – Revue Conflits – publié le 25 juillet 2024

https://www.revueconflits.com/lotan-en-asie-pacifique-un-reve-eveille-delirant-et-dangereux/


Lors du sommet de l’Otan à Washington, le communiqué final a ciblé à plusieurs reprises la Chine. Une dégradation des relations qui marque la hausse des tensions entre l’Otan et l’Asie.

Les déclarations contradictoires de l’Otan, à l’issue du Sommet de Washington, rappellent les cinq étapes de Kübler-Ross, en particulier la première étape : le déni de la réalité. [1] Le monde a changé, nous ne sommes plus dans la guerre froide ni dans l’unipolarité post-guerre froide. Refusant de l’accepter, l’Otan s’enlise dans des mensonges, inventant une réalité alternative pour lutter contre son angoisse grandissante, par exemple en rêvant d’établir son pendant en Asie-Pacifique. Cela ne manquera pas de créer plus de troubles et de conflits.

L’Otan (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord) a été créée en 1949 pour la défense de l’Atlantique Nord. Après la dissolution de l’Union soviétique, elle est devenue une organisation obsolète mais ne veut pas reconnaître et accepter cette réalité, cherchant (inventant) désespérément par tous les moyens sa nouvelle mission et devenant un faiseur de troubles (trouble maker).

Que dit l’Otan ?[2]

L’Otan a récemment célébré ses 75 ans en grande pompe à Washington. Cependant, la lecture de la déclaration issue du Sommet nous a laissés complètement stupéfaits. Nous ne savons pas si nous devons la considérer comme un document géopolitique ou comme un résumé de symptômes psychiatriques.

L’Otan est intimement convaincue qu’elle est une alliance défensive

Curieusement, pendant la guerre froide, l’Otan a largué très peu de bombes sur les pays étrangers. Depuis la fin de la guerre froide, l’Otan a largué une quantité massive de bombes sur de nombreux pays. Entre mars et juin 1999, les bombardements de l’Otan auraient tué 500 civils dans l’ex-Yougoslavie. Les frappes aériennes de l’Otan en Libye en 2011 ont entraîné le largage de 7 700 bombes et tué environ 70 civils.[3]

Malgré ses agissements offensifs et agressifs, l’Otan continue à s’apercevoir et se dire une alliance défensive. Certain résume tout cela en « 75 ans d’OTAN, 75 ans de déni » (75 years of Nato, 75 years of denial ».[4] L’Otan n’est pas une alliance défensive et nie la nature de ses comportements agressive racontant inlassablement ce mensonge à soi-même et créant un hiatus gigantesque psychique entre la réalité et la perception.

L’Otan désigne, contre toute évidence, la Chine comme « decisive enabler » (catalyseur décisif) dans la guerre en Ukraine

L’Otan est persuadée que la Chine « joue désormais un rôle déterminant dans la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine » en soutenant « matériellement et politiquement l’effort de guerre russe », notamment via le transfert « des biens à double usage, tels que des composants d’armes, des équipements et des matières premières, qui sont ensuite utilisés par le secteur de la défense russe ».

La Chine n’est pas à l’origine de cette guerre. Elle ne soutient pas ce conflit et prône la paix. Son commerce avec la Russie s’inscrit dans le cadre des échanges normaux entre les deux pays. En ce qui concerne les armes russes, il est important de noter que 95 % de leurs composants électroniques proviennent de l’Occident.[5] La Russie reste un fournisseur majeur d’uranium pour les États-Unis.[6] Il est également pertinent de mentionner le rôle de l’Inde en tant que grossiste de pétrole et de gaz russes, notamment pour les pays européens.[7] Ces accusations à l’adresse de la Chine apparaissent donc infondées.

L’Otan imagine, à sa guise, la Chine en tant que l’ennemi principal, prétendant qu’elle fait « peser des défis systémiques sur la sécurité euro-atlantique »

Selon elle, la Chine « affiche des ambitions et mène des politiques coercitives » contraires aux intérêts, à la sécurité et aux valeurs de l’Otan. Cette projection de ses propres caractéristiques sert de fondement à son dangereux rêve éveillé. Cet ennemi imaginaire justifie pleinement, à ses yeux, la création d’une Otan Asie-Pacifique.

Elle refuse de reconnaître les résultats des efforts de la Chine comme faiseur de paix dans le monde, tels que la médiation entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, entre les 14 factions palestiniennes, entre l’Israël et la Palestine, ainsi qu’entre l’Ukraine et la Russie.

L’Otan veut globaliser l’Otan notamment en Asie Pacifique en s’alliant avec le Japon, la Corée du sud, les Philippines, l’Australie et la Nouvelle Zélande

L’Otan est convaincu qu’elle vit encore dans un univers unipolaire, le monde obéit à sa baguette de chef d’orchestre. Peu importe que l’Otan se trouve en Atlantique Nord, il suffit qu’elle déclare que la Chine est l’ennemi principal, elle peut en toute légitimité amener la confrontation en Asie et en Indopacifique. Elle peut réunir les dirigeants de l’Australie, du Japon, de la Nouvelle-Zélande et de la Corée du sud et ceux de l’Union européenne pour parler des défis de sécurité communs et des domaines de coopération. Voilà son raisonnement soutenu par le sentiment de la toute-puissance.

Où est l’Otan ?

Les déclarations et les agissements contradictoires de l’Otan nous font penser aux 5 étapes de Kübler-Ross, notamment à la première étape qui est le déni de la réalité.

Le monde a changé, nous ne sommes plus dans une ère unipolaire. La Chine est également de retour. Mais l’OTAN refuse de reconnaître et d’accepter cette réalité. Elle reste plongée dans une mentalité de guerre froide et des constructions paranoïaques. Incapable d’accepter la réalité, elle a inventé une réalité alternative, une sorte de délire, pour éviter une destruction psychique totale.

Ce comportement de déni peut être dangereux. Le refus et la panique amènent des comportements désordonnés et paranoïaques qui provoqueraient, à leur tour, des réactions politico-militaires des puissances en présence, par exemple de la part de la Corée du Nord, la Chine et la Russie qui pivote activement vers l’Est.

Que veut l’Asie ?

Quelles sont les réactions des pays en Asie ? Les pays invités par l’Otan ne manifestent pas l’unanimité, par exemple, l’Australie n’pas envoyé son premier Ministre pour le 75e sommet.

La plupart des pays de l’Asean (la Malaisie, l’Indonésie, le Vietnam, le Thaïlande, etc.) sont contre la perspective de l’Otan en Asie, percevant son éventuelle présence comme une source de problèmes et de complications.

Citons Kishore Mahbubani qui reflète le sentiment général des pays asiatique, notamment celui de l’Asean. Dans son article intitulé « Asie, dites non à l’Otan » (Asia, Say no to Nato), republié le 12 juillet, il a très clairement affirmé que « C’est (…) le plus grand danger auquel nous sommes confrontés si l’Otan étend ses tentacules de l’Atlantique au Pacifique : elle pourrait finir par exporter sa culture militariste désastreuse vers l’environnement relativement pacifique que nous avons développé en Asie de l’Est. (…) Compte tenu des risques que fait peser sur l’Asie de l’Est l’expansion potentielle de la culture de l’Otan, toute l’Asie de l’Est devrait parler d’une seule voix et dire non à l’Otan ».[8]

A reality check

Les conséquences d’amener l’Otan en Asie pourraient ne faire qu’aggraver les spirales d’escalade existantes avec la Chine / la Russie et de les rapprocher davantage.

D’un autre côté, bien que les États-Unis aient déployé des centaines de bases militaires autour de la Chine[9]  et des missiles à moyenne portée aux Philippines, l’Otan ne peut pas rivaliser avec la puissance terrestre et maritime chinoise. Les États-Unis ne sortiraient pas victorieux d’une guerre contre la Chine, qui mobiliserait tous ses moyens pour défendre sa patrie, y compris les missiles hypersoniques de la série DF (DF17, DF21, DF26, DF41…),[10]  éléments clés de la stratégie A2AD (Anti-Access/Area-Denial). Il est également possible que la Russie ne reste pas passive en cas de conflit.

En parallèle, nous avons observé que certains membres de l’Otan conservent une certaine lucidité, comme la Hongrie, la Turquie et la France, qui s’était opposée en 2023 à l’ouverture d’un bureau de liaison de l’Otan au Japon. Il est probable que ce réveil se propage progressivement parmi d’autres pays membres de l’Otan, à l’instar de la Turquie, qui, refusant la logique de bloc, a exprimé son souhait de rejoindre les BRICS et l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS).


[1] Wikipedia : Elisabeth Kübler-Ross

[2] Otan : Déclaration du Sommet de Washington, le 10 juillet 2024.

[3] Kishore Mahbubani, Asia, say no to Nato, The Pacific has no need of the destructive militaristic culture of the Atlantic alliance, Straits Times, 25 June 2021 republié July 12, 2024

[4] Sevim Dagdelen, 75 years of Nato, 75 years of denial, Consortium News, July 9, 2024.

[5] La Tribune, Guerre en Ukraine : 95% des composants électroniques des armes russes proviennent d’Occident, dénonce Kiev, le 19 janvier, 2024

[6] Thomas DESZPOT, Uranium russe : les États-Unis ont-ils doublé leurs importations cette année ? TF1 Info, le 30 août 2023

[7] Clément Perruche, L’Inde importe toujours plus de pétrole russe, à prix bradé, Les Echos, le 3 juin 2023

[8] Kishore Mahbubani, Asia, say no to Nato, The Pacific has no need of the destructive militaristic culture of the Atlantic alliance, Straits Times, 25 June 2021 (July 12, 2024).

[9] Cécile Marin & Fanny Privat,  Présence américaine dans le voisinage chinois, « Manière de voir » #170, Avril-Mai 2020

[10] Fabian-Lucas Romero Meraner, China’s Anti-Access/Area-Denial Strategy, February 9, 2023


*Titulaire de deux doctorats (philosophie et ingénierie) et familier des domaines clés de la NTIC, Alex Wang est ancien cadre dirigeant d’une entreprise high tech du CAC 40. Il est également un observateur attentif des évolutions géopolitiques et écologiques.

Pourquoi amener l’effort de défense français à 3 % PIB couterait moins de 3 Md€ par an aux finances publiques ?

Pourquoi amener l’effort de défense français à 3 % PIB couterait moins de 3 Md€ par an aux finances publiques ?

De nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer les insuffisances de l’effort de defense français face à la montée en puissance des menaces internationales, alors que l’encre de la Loi de Programmation Militaire 2024-2030, votée en juillet dernier, est à peine sèche.

Entre le spectre d’une Chine surpuissante, la renaissance de la puissance militaro-industrielle russe, les perspectives pessimistes concernant la guerre en Ukraine, les tensions au Moyen-Orient et le possible retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, plus que jamais depuis la fin de la crise des Euromissiles, le rôle des armées françaises, pour garantir la sécurité du pays, mais aussi de ses alliés, est aujourd’hui crucial.

La LPM 2024-2030, en reprenant le format des armées conçu en 2013 par un Livre Blanc structuré autour d’une menace dissymétrique, et en ne visant que le plancher d’investissement fixé par l’OTAN de 2 % du PIB, ne répond ni en volume, ni dans son calendrier, aux défis qui s’accumulent face aux armées françaises.

Sommaire

Pour autant, les arguments avancés pour expliquer ce manque d’ambition et de moyens, apparaissent raisonnables, avec un déficit public chronique ne parvenant pas à passer sous la barre des 3 %, une dette souveraine s’approchant des 120 % de PIB, et une économie encore chancelante avec une croissance limitée et un chômage vivace, le tout venant caper les capacités d’investissements de l’État.

Alors, est-il illusoire de vouloir amener l’effort de défense français au niveau requis pour effectivement répondre aux enjeux sécuritaires ? Comme nous le verrons dans cet article, tout dépend de la manière dont le problème est posé.

Une LPM 2024-2030 à 2 % PIB est objectivement insuffisante pour répondre aux enjeux sécuritaires à venir

Si la LPM 2024-2030 s’enorgueillit d’une hausse inégalée des dépenses de défense sur sa durée, avec un budget des armées qui passera de 43,9 Md€ en 2023 à 67 Md€ en 2030, l’effort de défense, c’est-à-dire le rapport entre ces dépenses et le produit intérieur brut du pays, demeurera relativement stable, autour de 2 %.

Hélicoptère gazelle
Certains équipements des armées, comme les hélicoptères Gazelle, devront jouer les prolongations bien au-delà du raisonnable, du fait des limitations de la LPM 2024-2030

De fait, en de nombreux aspects, cette hausse annoncée des crédits sera en trompe-l’œil, d’autant qu’elle sera en partie érodée par les effets de l’inflation, comme ce fut d’ailleurs le cas lors de la précédente LPM.

Dans un précédent article, nous avions montré qu’il serait nécessaire, pour la France, de produire un effort de défense supérieur ou égal à 2,65 % PIB pour répondre aux enjeux du moment. Depuis sa rédaction, plusieurs facteurs sont venus aggraver les menaces, donc le calendrier des besoins pour les armées, et avec eux, les besoins d’investissements.

Répondre au besoin de recapitalisation des armées françaises

D’abord, avec un effort à 2,65 % tel qu’il a été préconisé, la recapitalisation des armées françaises, après 20 années de sous investissements critiques, se voulait relativement progressive. En effet, le pic de menaces alors évalué se situait entre 2035 et 2040, ce qui laissait une quinzaine d’années à l’effort de défense pour combler les lacunes constatées, et remplacer les matériels les plus obsolètes comme les hélicoptères Gazelle, les Patrouilleurs Hauturier, et bien d’autres.

Or, le tempo s’est considérablement accru ces derniers mois, sous l’effet conjugué d’une Chine de plus en plus sûre d’elle dans le Pacifique, d’une Russie, en pleine confiance, qui a renoué avec une puissance militaro-industrielle de premier ordre, d’un axe de fait qui s’est formé entre ces deux pays, l’Iran et la Corée du Nord, et la menace désormais très perceptible du retour de Donald Trump à la Maison-Blanche à l’occasion des élections présidentielles américaines de 2024.

Donald Trump
Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche est désormais une hypothèse crédible avec laquelle il convient de composer dans la planification stratégique en France comme en Europe.

En d’autres termes, là où l’on pouvait considérer raisonnable, un délai de 15 ans pour recapitaliser les armées françaises il y a quelques mois, il est aujourd’hui nécessaire de faire le même effort de modernisation et de transformation, sur un délai sensiblement plus court, le pic de menace pouvant débuter dès 2028, voire avant cela, selon les prévisions les plus pessimistes.

Assurer la transformation conventionnelle vers le théâtre européen

Sur ce même intervalle de temps, les armées françaises doivent aussi assurer une profonde transformation d’une partie significative de leurs forces, pour répondre aux besoins spécifiques du théâtre centre-Europe face à la Russie.

En effet, à ce jour, une part majoritaire des armées françaises, et plus spécifiquement de l’Armée de Terre, est conçue et organisée pour répondre aux besoins de projection de puissance sur des théâtres dissymétrique, en Afrique notamment. Légères et très mobiles, ces unités ont démontré une grande efficacité en Irak ou dans la zone Sud-saharienne.

Toutefois, force est de constater que les VBCI, VAB et même les VBMR et EBRC plus récents, manquent de puissance de feu et de protection pour évoluer face à un adversaire symétrique comme peut l’être la Russie, alors que, dans le ciel, les forces aériennes souffrent de ne disposer d’aucune capacité avancée de guerre électronique ou de suppression des défenses aériennes adverses, pour s’opposer à une défense antiaérienne performante, dense et structurée, comme c’est le cas dans les armées russes.

Étendre les armées et leur résilience

Non seulement les armées françaises apparaissent « trop légères » pour un affrontement en Europe centrale, mais elles souffrent, dans le même temps, d’un format trop réduit pour envisager de s’engager dans un affrontement conventionnel symétrique.

Ainsi, avec seulement 200 chars de combat, moins de 120 tubes d’artillerie, et au mieux, deux brigades lourdes, et deux brigades moyennes, pouvant répondre à ce type d’engagement, les armées françaises ont tout juste la possibilité d’engager une division mécanisée complète sur un éventuel front oriental.

Garde nationale 24ᵉ régiment d'Infanterie
Le 24ᵉ RI est le seul régiment français exclusivement composé de réservistes. En revanche, il n’est que très légèrement équipés, ne disposant d’aucun véhicule de combat blindé en propre.

Pire encore, une fois les deux brigades disponibles engagées, l’Armée de terre ne dispose que de peu de réserves matérielles pour assurer la rotation des forces, même si un effort a été fait lors de la LPM 2024-2030, pour tenter d’accroitre les forces de réserves, afin de renforcer la résilience humaine des armées.

La situation n’est guère meilleure dans les autres armées, avec une flotte de chasse limitée à 185 appareils pour l’Armée de l’air, un unique groupe aéronaval pour la Marine, et une flotte d’escorteurs de premier rang trop réduite pour effectivement assurer la sécurité des grandes unités majeures que sont le porte-avions et les 3 PHA, encore moins d’assurer la sécurité des espaces maritimes dont elle a la charge.

Renforcer l’industrie de défense nationale

Si la guerre en Ukraine a montré, de manière évidente, les insuffisances de format des armées françaises, elle a aussi mis en évidence le sous-dimensionnement et la vulnérabilité de l’industrie de défense nationale, qui peine à produire ne serait-ce qu’une partie des munitions nécessaires à l’Ukraine pour tenir face à la puissance retrouvée du complexe industriel militaire russe. Rappelons , à ce titre, que la France a un PIB presque 60 % plus important que celui de la Russie.

Sur ce même intervalle de temps réduit, allant jusqu’en 2028, 2030 au mieux, il serait donc aussi indispensable de reformater l’ensemble de l’outil industriel de défense français, afin de répondre aux besoins de reconstruction et d’extension des armées, mais aussi pour soutenir, dans la durée, les opérations militaires des armées françaises engagées dans un conflit conventionnel symétrique, le cas échéant.

Il convient aussi de conscidérer que l’industrie française, par sa position géographique, et par le statut spécifique du pays disposant d’une dissuasion, pourrait avoir un rôle tout particulier à jouer pour soutenir les armées européennes dans un tel engagement, et pas uniquement les armées françaises, en charge d’une portion seulement de la ligne de défense.

Renforcer la dissuasion française face à la menace sino-russe

Enfin, il s’avèrerait probablement nécessaire de revoir le format et les moyens à disposition de la dissuasion française, aujourd’hui construite sur le principe de stricte suffisance, mais en temps de paix.

SNLA Le Triomphant
Le passage d’une flotte de 4 à 5 ou 6 SNLE s’avèrerait plus que bienvenue pour contrebalancer les 12 SNLE Boreï et Boreï-A russes.

En effet, la Russie a explicitement fait savoir qu’elle n’était plus engagée par les accords internationaux post-guerre froide, alors que la Chine est engagée dans un effort sans précédant pour renforcer sa triade nucléaire, et la mettre au niveau des Etats-Unis et de la Chine.

Ne pouvant écarter un possible retour de l’isolationnisme américain, et devant anticiper un engagement total des forces US dans le Pacifique face à la Chine, il revient donc à la France, et à la Grande-Bretagne, d’assurer le parapluie dissuasif des pays européens.

Or, pour ce faire, les deux pays souffrent d’un déficit de moyens pour contrer la menace russe qui peut s’appuyer sur une triade nucléaire forte de 12 SNLE (contre 8 franco-britanniques), de 110 bombardiers stratégiques (contre une vingtaine de Rafale/ASMPA français), et de plusieurs centaines de missiles ICBM et SRBM terrestres (contre 0 dans les deux pays).

Un effort de défense à 3 % PIB comme point d’équilibre entre besoins immédiats et à venir

Relever le défi préalablement esquissé, d’ici à 2030, nécessiterait une étude approfondie et un effort national dépassant de beaucoup le seul périmètre du ministère des Armées, et surtout de cet article.

En revanche, sur la base d’un point d’équilibre moyen établit autour de 2,65 % de PIB, comme analysé dans de précédents articles, on peut estimer qu’un effort de défense transitoire à 3 % du PIB s’avèrerait nécessaire, dans les années à venir, pour financer l’ensemble des mesures requises, sur le calendrier imposé par la détérioration de la situation internationale.

Effort de defense munitions Nexter
La production française de munition est très loin d’être suffisante pour permettre aux armées françaises de soutenir un engagement symétrique durable.

Or, dans la situation budgétaire actuelle du pays, qui peine déjà à financer les 47 Md€ des armées valant moins de 2 % du PIB 2023, comment peut-on espérer amener cet effort de défense à 70 Md€ (2023), soit 3 % du PIB ?

Combien coute à l’État le budget des armées 2023 à 45 Md€ ?

Pour répondre à cette question, il convient dans un premier temps d’estimer la soutenabilité de l’effort de défense à 2 % du PIB en 2023, valant 47 Md€. Il est nécessaire d’introduire la notion de retour budgétaire, c’est-à-dire les recettes et économies budgétaires réalisées par sur le Budget de l’État, en application des investissements consentis sur le budget des armées.

La notion de retour budgétaire

Pour calculer ce retour budgétaire, il convient dans un premier temps d’effectuer une découpe synthétique du budget des armées, comme suit :

  • 20 Md€ pour les frais de personnels militaires et civils
  • 19 Md€ pour les acquisitions, R&D et entretient des équipements des armées
  • et enfin 8 Md€ pour la dissuasion, dont 4 Md€ pour les couts de personnels, et 4 Md€ pour les investissements industriels et technologiques.

De fait, on peut décomposer le budget des armées en deux catégories, 24 Md€ pour les couts de personnels, et 23 Md€ pour les investissements industriels. Or, chacune de ces catégories produit un retour budgétaire propre.

Ainsi, les recettes d’état concernant les dépenses de personnels peuvent s’évaluer au travers du taux de prélèvement moyen sur PIB français calculé par l’OCDE, qui s’élève à 47 % en 2022. Ainsi, les 25 Md€ qu’auraient dû investir les armées pour les couts de personnel en 2023 si l’effort de defense avait atteint 2%, auraient généré 11,3 Md€ de recettes fiscales et sociales dans le pays.

Les plus attentifs auront certainement remarqué que ce calcul prend en compte des recettes sociales qui, logiquement, ne s’imputent pas au budget de l’État. Toutefois, dans la mesure où les comptes sociaux sont structurellement déficitaires en France, et compensés chaque année par le budget de l’État, il est possible, par simplification, de considérer que toutes les recettes s’appliquant aux comptes sociaux, diminuent d’autant la compensation de l’État chaque année, et donc s’imputent à son budget.

Calcul du retour budgétaire sur le budget théorique des armées 2023 à 2 % PIB

Le taux est sensiblement différent pour ce qui concerne les investissements industriels, et ce, pour plusieurs raisons. En premier lieu, le taux de TVA appliqué à toutes ces prestations est fixe à 20 %, là où le taux moyen de recette de TVA par rapport au PIB n’est que de 12 %. En d’autres termes, la simple application systématique d’un taux de TVA à 20 % fait croitre le taux de prélèvement moyen sectoriel appliqué à l’industrie de défense de 8 %, pour atteindre 55 %.

Industrie de défense Chaine d'assemblage Rafale
L’industrie de défense française s’appuie sur une chaine de sous-traitance riche et efficace. Ainsi, la team Rafale se compose de pas moins de 500 entreprises allant de groupes internationaux, comme Safran, Thales et Dassault, à des PME de quelques salariés.

En second lieu, l’industrie de défense est, par nature, beaucoup moins exposée que le marché national aux importations, de sorte que l’immense majorité de son réseau de sous-traitance est, lui aussi, national.

S’applique donc un coefficient multiplicateur de recettes supplémentaires pour l’état, que l’on peut aisément ramener par défaut à 65 % des investissements consentis, en lien avec le coefficient multiplicateur keynésien ramené à ce seul secteur industriel. Sur cette base, les 23 Md€ d’investissements industriels et technologiques des armées, génèrent donc 15 Md€ de recettes et économies sur le budget de l’État.

Ainsi, sur les 47 Md€ investis initialement par l’état à 2% du PIN, nous venons de montrer que le cout résiduel ne serait que de 47 – (11,3 + 15) = 20,7 Md€. Ce cout doit encore diminuer. En effet, les industries de defense françaises exportent, en moyenne chaque année, l’équivalent de 50 % des investissements nationaux réalisés.

Ainsi, si 23 Md€ sont investis par l’État, cette règle empirique, mais aisément confirmée sur les 20 dernières années, voudrait qu’en moyenne, les industries de defense françaises exportent chaque année pour 11,5 Md€ d’équipements de defense. Déduction faite de la TVA puisque exportés, et des productions locales, ces exportations rapportent 40 % des sommes investis en taxes et cotisations sociales au budget national, soit 4,6 Md€.

Au total, donc, sur les 47 Md€ investis, l’état récupère ou économise en moyenne 30,9 Md€, et ne doit abonder ce budget par d’autres sources de financement qu’à hauteur de 16,1 Md€.

Combien couterait à l’état un budget des armées (2023) à 3 % PIB (70 Md€)

Sur les mêmes hypothèses, il est possible de calculer quel serait le surcout réel engendré par une hausse de l’effort de defense de 2 à 3 % du PIB, soit un budget des armées à 70 Md€ sur la même hypothèse de travail 2023.

Leclerc VBCI VAB Armée de Terre
Avec seulement 200 chars Leclerc et 120 tubes d’artillerie, l’Armée de terre n’a pas la puissance de feu et la protection requise pour s’engager durablement sur un théâtre symétrique.

L’approche la plus triviale serait de s’appuyer sur une croissance homothétique des couts, c’est-à-dire des couts de personnels passant de 22 à 32,7 Md€, des couts industriels de 19 à 28,3 Md€, et une dissuasion passant de 8 à 11,9 Md€, dont 6 Md€ de couts de personnels. Ainsi posé, le reste à charge de l’État passerait de 20,7 à 37,7 Md€, soit une hausse de 17 Md€, sans tenir compte des exportations.

Cette hypothèse est pourtant aussi peu efficace que peu crédible. En effet, passer les dépenses de personnels totales de 23 Md€ à 32,7 Md€ n’aurait aucun sens, les armées ne parvenant déjà pas à remplir leurs objectifs de recrutement aujourd’hui. En outre, les besoins identifiés en début d’article, porte davantage sur de nouveaux équipements, et de nouvelles capacités industrielles et opérationnelles, que sur des forces simplement augmentées de 50%.

Hypothèse d’une croissance budgétaire optimisée

Prenons donc une hypothèse différente, à savoir des couts de personnels amenés à 28 Md€, une dissuasion amenée à 11 Md€ dont 5 Md€ pour les personnels, et les investissements industriels et technologiques passant de 19 à 31 Md€. Ce découpage génère un investissement total RH de 33 Md€, pour un investissement industriel total de 37 Md€.

En appliquant les mêmes données que lors du calcul précédent, nous obtenons donc un retour budgétaire RH de 15,5 Md€, et un retour budgétaire industriel de 24 Md€, soit un total initial de 39,6 Md€. En reprenant l’hypothèse de croissance homothétique des exportations à 50 % des investissements industriels, nous atteignons 7,4 Md€ de recettes supplémentaires.

ordre serré
La ressource humaine est aujourd’hui la ressource la plus difficile à maitriser et à étendre pour les armées.

Au total, donc, les 70 Md€ (2023) initialement investis, engendreraient un retour budgétaire de 47 Md€, soit un cout marginal de 23 Md€. En comparaison des 16,1 Md€ aujourd’hui, le surcout du reste à charge de l’État n’augmenterait que de 6,9 Md€.

Un surcout budgétaire de 7 Md€ surévalué

Ce solde est toutefois très supérieur à ce que le budget de l’État devrait effectivement supporter en termes de charges supplémentaires. En effet, en passant de 23 à 37 Md€ d’investissements, les industries de défense seraient amenées à créer de 100.000 à 130.000 emplois directs, et autant d’emplois indirects et induits, soit un total de plus de 200.000 emplois créés en hypothèse basse, auxquels il convient d’ajouter 100.000 emplois supplémentaires liés à la hausse des exportations.

Ces 300.000 créations d’emplois viendraient, évidemment, alléger les dépenses sociales de l’état et des collectivités locales, en soutien aux chercheurs d’emplois, si pas directement, tout au moins par transitivité, à termes.

Avec un cout moyen par chercheur d’emplois estimé aujourd’hui autour de 15 000 € par an pour les différents services de l’État, ces 300 000 nouveaux emplois représenteraient 4,5 Md€ d’économies sur le budget de l’État.

Ainsi, le reste à charge net de l’état, pour avoir amener le budget des armées de 47 Md€ et 2 % du PIB, à 70 Md€ et 3 % du PIB, n’atteindrait que 2,4 Md€ par an, soit à peine plus de 0,09 % du PIB français.

Applications et contraintes du modèle présentée

Bien évidemment, l’approche proposée ici, n’est pas exempte de faiblesses. La plus évidente d’entre elles, est le fait de considérer qu’un constat empirique puisse être transposé comme une règle.

Ainsi, si effectivement, sur les décennies passées, les exportations de l’industrie de défense française ont respecté, en moyenne, le principe des 50 % des investissements nationaux, rien ne garantit qu’une hausse des investissements dans ce domaine puisse être, automatiquement, suivie par une hausse similaire des exportations.

Défilé Maistrance
Les armées peinent de plus en plus à recruter des personnels qualifiés répondant à leurs attentes

Pour sécuriser cet aspect, il serait, en effet, nécessaire que les armées adoptent une stratégie d’équipement plus favorable aux exportations, et ainsi garantir que la hausse des crédits disponibles s’accompagne d’une hausse des marchés adressables par l’industrie de défense française.

On notera également que pour répondre aux enjeux sécuritaires, il serait nécessaire d’augmenter les effectifs des armées, probablement par l’intermédiaire d’une extension rapide de la Garde Nationale. Cela suppose non seulement que la Garde nationale vienne renforcer les unités existantes de l’armée de terre comme aujourd’hui, mais qu’elle puisse donner naissance à des unités autonomes et intégralement équipées, à l’instar de la Garde Nationale US.

En outre, il serait indispensable, dans cette hypothèse, aux armées technologiques, Marine nationale et Armée de l’Air, de mener une réflexion pour intégrer efficacement le potentiel RH de la Garde Nationale et de la Réserve, pour étendre leurs capacités opérationnelles, et pas simplement pour les suppléer.

Conclusion

On le voit, amener l’effort de défense de la France à 3 % du PIB, ce qui paraissait hors de portée des finances publiques à l’entame de cet article, semble bien plus accessible à la fin de celui-ci.

Pour y parvenir, il faut cependant accepter de profondément faire évoluer le paradigme fort encadrant l’effort de défense national, à savoir ne considérer celui-ci, au seul prisme des dépenses, sans jamais considérer, dans sa conception et son équilibrage, les recettes qui seront, ou sont, générées par ces investissements.

Usine Sukhoï Su-57
La Russie s’est mise en économie de guerre, consacrant une part très importante de son PIB à la fabrication d’armement et au soutien des armées.

Ce dogme, hérité d’un gaullisme qui n’avait connu qu’une croissance forte et des budgets excédentaires, ne peut plus, aujourd’hui, répondre aux enjeux spécifiques qui encadrent le financement des armées françaises.

Toutefois, contrairement à de nombreux pays, la France dispose d’un atout pour augmenter ses dépenses et investissements dans ce domaine, une industrie de défense globale capable de produire la presque totalité des équipements de defense des armées. Cette industrie est, par ailleurs, largement exportatrice, et faiblement exposée aux importations, en faisant un outil exceptionnel en matière d’efficacité de l’investissement public.

Évidemment, 2,4 Md€ de surcouts, ce n’est pas rien, ce d’autant qu’il faudra très certainement une période de croissance et d’adaptation pour que les équilibrés évoqués se stabilisent. Pour autant, l’effort à consentir, pour effectivement transformer les armées françaises en une force de protection répondant aux enjeux du moment, apparait parfaitement à la portée des finances publiques d’un pays comme la France, qui plus est en les mettant en perspective des risques associés à l’inaction, ou à une action trop timorée.

Reste que si l’innovation technologique est plébiscitée au sein du ministère des Armées, et plus globalement, de la fonction publique, les modèles disruptifs venant bousculer des décennies de planification, certes inefficaces, mais confortables, sont beaucoup plus difficiles à imposer, ou simplement à faire valoir.

Article du 19 février 2024 en version intégrale jusqu’au 24 juillet 2024

Nouvelle-Calédonie : la tentation du développement séparé

Nouvelle-Calédonie : la tentation du développement séparé

Debris and burned cars used for blockades and now cleared from the roads, awaiting treatment.
NOUMEA, NEW CALEDONIA – 07/06/2024//JOBNICOLAS_job.0089/Credit:Nicolas Job/SIPA/2406101456

par Eric Descheemaeker – Revue Conflits – pubié le 16 juillet 2024

https://www.revueconflits.com/nouvelle-caledonie-la-tentation-developpement-separe/


Dans son allocution du 14 juillet, Sonia Backès, présidente de l’Assemblée de la province Sud de la Nouvelle-Calédonie, a évoqué l’autonomisation des provinces et un nouveau contrat social. Une intervention qui a fait réagir dans l’archipel et à Paris tant cela pose la question de l’unité de l’île et de ses habitants.

L’heure est grave en Nouvelle-Calédonie. Les « événements » ayant commencé le 13 mai 2024 ont certes largement perdu en intensité, et les caméras de télévision sont retournées en métropole. Pourtant, comme souvent, c’est après que les choses les plus sérieuses commencent : les événements les plus spectaculaires sont rarement les plus significatifs. Pour les observateurs de la situation locale, ce qui est en train de se passer est en réalité beaucoup plus grave que les blocus, les pillages et même les morts (une dizaine) depuis deux mois. Il est possible – en tout cas c’est une hypothèse à prendre avec le plus grand sérieux – que le rideau de l’Accord de Nouméa, déjà bien abîmé il est vrai, se soit déchiré sur l’île : autrement dit, que la conscience se soit faite que le « vivre-ensemble » entre indépendantistes et non-indépendantistes était en réalité une vue de l’esprit.

Vivre-ensemble il n’y aura pas ; au mieux un côte à côte dont on pourrait s’efforcer qu’il ne devienne pas un face-à-face.

Des tensions toujours aussi vives

En parallèle pourrait se dérouler un événement politique aussi majeur qu’invisible : le départ progressif des Calédoniens d’origine européenne, à commencer par ceux, extrêmement nombreux, dont les racines sur l’île sont récentes (les « z’oreilles », par opposition aux Caldoches, de bien plus vieille souche, qui ont souvent des ascendances mêlées et dont le rapport à la France est beaucoup plus complexe qu’on ne l’imagine en métropole). Un tel exode donnerait aux indépendantistes ce que les trois référendums leur avaient dénié : une majorité, à moyen terme, dans les urnes.

C’est à cette aune qu’il faut comprendre le récent et important discours de Sonia Backès, présidente de la province Sud – la province la plus riche, structurellement anti-indépendantistes, et où les Européens d’origine dominent – à l’occasion de la fête nationale. Avec la liberté de ton pour laquelle elle est connue, mais en ayant nous semble-t-il franchi un cap depuis le début des événements à la fois dans la forme et le fond de ses propos, la chef de file des anti-indépendantistes a pris acte de cette cassure entre deux camps antagonistes (deux « sensibilités politiques » et à vrai dire deux « civilisations »), ainsi que de ce possible exode, suggérant de la manière la plus claire que l’esprit de Nouméa était mort. Il n’y a pas de « destin commun » possible, quoiqu’ait pu en penser la gauche romantique d’alors (MM. Jospin et Christnacht). Tout au plus pourrait-il y avoir une cohabitation pacifique sur une même terre, une forme de développement séparé qui est celui que les Accords de Matignon-Oudinot (1988, dix ans avant celui de Nouméa) avaient tenté de matérialiser, à la suite du compromis historique entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou.

Un « développement séparé » ?

Le mot de « développement séparé » est employé par nous, non par elle. Le but est de mettre aussi directement que possible les pieds dans le plat : car développement séparé, bien sûr, est la traduction française habituelle de l’afrikaans « apartheid » ; et c’est bien de cela dont elle sera accusée. Mais il ne faut jamais céder au terrorisme des mots. Si la cohabitation joyeuse et « créolisée » des individus et des peuples est impossible, alors il nous faut renoncer au romantisme. Or, le moins que l’on puisse dire est que la situation insurrectionnelle de l’île et, surtout, les déploiements de haine à l’égard de l’autre des deux côtés tendraient à suggérer que ce que soit le cas. Les êtres humains, les collectivités politiques et les peuples sont infiniment plus complexes que la doxa pseudo-humaniste qui a dominé depuis plus d’un demi-siècle ne le suggère.

La question soulevée par Mme Backès est infiniment sérieuse et ne saurait être rejetée par simple moralisme.

À ceux qui voudraient la neutraliser à l’aide de références historiques infâmantes, on ne pourrait que demander ce qu’ils proposent en retour. Un Accord de Nouméa-II signé sur les ruines fumantes de Nouméa (la ville) et de Nouméa-I (l’accord) ? Revenir à la case départ d’un processus qui a démontrablement échoué ? Une question sérieuse doit faire l’objet d’une réponse sérieuse, et celle-ci l’est infiniment. L’heure est grave.

Les problèmes de Nouméa sont aussi ceux de Paris

Il ne s’agit pas en ces quelques lignes de proposer une solution : ce ne serait pas non plus sérieux. On se contentera de remarquer que les questions qui se posent là-bas sont très exactement les mêmes qui se posent déjà en métropole, et vont se poser avec une acuité de plus en plus grande dans les années et décennies à venir : comment faire tenir ensemble une société constituée de personnes pour qui les affiliations ethniques et religieuses (« ethnoculturelles » dans un sens large) sont diverses, divergentes, voire potentiellement hostiles ; mais qui comptent pour les personnes en question peut-être d’autant plus que la doxa républicaine leur répète incessamment qu’elles ne devraient pas (puisque nous sommes tous égaux sans distinction &c., &c.) ? Cette question est peut-être la plus importante à se poser à nous, d’abord à Nouméa puis à Paris. Le jacobinisme ayant montré l’étendue de son échec, on pourrait attendre de ses partisans une certaine retenue, et qu’ils laissent une chance à des visions beaucoup plus communautaires (« communautariennes », puisque le mot « communautaristes » semble être devenu un gros mot, sans qu’on ait bien compris pourquoi). Dans une certaine mesure, d’ailleurs, la Nouvelle-Calédonie s’était engagée sur cette voie, mais sans doute de manière très maladroite et inadaptée : il n’est pas certain, pour le dire simplement, que ce dont les Kanaks aient besoin soit d’un droit distinct des contrats ou de la responsabilité civile, comme la République le leur a concédé. Nous avons, quoi qu’il en soit, besoin d’une réflexion profonde sur ce qu’on pourrait appeler la France post-jacobine : cette réflexion commence à Nouméa, mais ne s’y arrêtera certainement pas.

En revanche, il y a un aspect du discours de Mme Backès auquel il convient de marquer une opposition claire : c’est celle de la provincialisation de l’île. Derrière le terme technique d’« autonomisation des provinces » se cache une réalité relativement simple : couper très largement entre elles – politiquement, financièrement, économiquement, socialement, et donc inéluctablement culturellement et humainement – les trois provinces de l’archipel : la province Sud, riche et européenne ; la province Nord, pauvre et kanake ; et les îles Loyauté (celles où eurent lieu en 1988 la prise d’otages d’Ouvéa), également pauvres et autochtones.

Le danger des ingérences étrangères

La tentation d’une telle proposition, nous la comprenons intimement. La province Sud, aux mains des Européens, est fonctionnelle. Elle paye pour les deux autres qui, aux mains des Kanaks, sont dysfonctionnelles et, non contentes d’être financées par « Nouméa la Blanche » et d’être considérablement surreprésentées au Congrès de Nouvelle-Calédonie, mordent constamment la main qui les nourrit, accusée d’être colonialiste. Pour comprendre l’étendue du problème, il suffit d’emprunter l’une des routes qui coupent l’île dans le sens de la largeur, du Sud vers le Nord.

Au moment où on change de province, au milieu des montagnes, la route à l’occidentale de la province Sud devient une voie digne du tiers-monde au Nord.

La tentation, après des décennies d’efforts, d’envoyer ces gens se faire voir est à la fois humaine et compréhensible.

Elle n’en demeure pas moins profondément erronée. Les raisons n’en sont pas difficiles à percevoir, même si elles sont plus faciles à admettre quand on n’est pas directement confronté, sur place, aux « événements » qui s’y déroulent (et dont on ne voit pas d’issue facile, au-delà d’un apaisement bien superficiel quand la fatigue gagnera les combattants).

Un vrai enjeu politique

La raison la plus évidente est d’ordre politique. La province Nord et les îles Loyauté – entités administratives au demeurant parfaitement artificielles, notamment la ligne de partage entre le nord et le sud de la Grande-Terre) – font tout autant partie de la France que la province Sud. On n’abandonne pas des territoires, pas plus là-bas qu’à Mayotte ou en Seine-Saint-Denis, parce qu’ils sont principalement source d’ennuis (ce qu’en un sens ils sont, mais pas que évidemment). C’est une question de principe à laquelle aucune statistique ne pourrait être opposée.

La seconde raison est d’ordre géopolitique. Certes, personne ne parle à ce stade d’indépendance des deux provinces majoritairement autochtones, mais il est parfaitement évident que plus on les coupera du Sud, de Nouméa, de la France, des richesses, de l’administration, etc., plus on les abandonnera à elles-mêmes (c’est l’objectif à peine déguisé) ; et plus on les abandonnera à elles-mêmes, plus on les livrera à des puissances étrangères qui ne nous veulent aucun bien. Comment croire que la Chine, qui lorgne déjà sans se cacher sur notre joyau d’outre-mer ; mais tout aussi bien l’Azerbaïdjan, dont on sait désormais le rôle qu’il joue dans la déstabilisation de la région, peut-être au profit de la Russie ; ou d’ailleurs l’Australie, dont la jalousie demeure tenace même si elle s’exprime moins ouvertement que par le passé, ne s’engouffreraient pas immédiatement dans la brèche ? Le déficit de la province Nord sera réglé par Pékin, qui en retour hypothéquera ses immenses ressources (minières, halieutiques, etc.) : le scénario est tellement bien rôdé dans la région qu’on se sent gêné de devoir même le rappeler. Inutile de dire que les biens hypothéqués ne sont jamais revus.

Non seulement une Nouvelle-Calédonie réduite, de facto, à sa province Sud, ne serait plus la Nouvelle-Calédonie, et n’aurait plus pour la France qu’une fraction de son intérêt géostratégique existant, mais on voit mal comment elle demeurerait viable à plus long terme. Vu la difficulté qu’a la République à maîtriser ce territoire aujourd’hui, on ne place guère d’espoir dans ses chances une fois que d’autres seront sur place.

Une territorialisation sans logique

La troisième raison est qu’il n’y a pas de logique intrinsèque à cette territorialisation. Mme Backès parle de laisser les deux « sensibilités politiques », et derrière elles les deux « civilisations », faire l’expérience de leur développement (séparément, donc). Certes, la province Sud est largement européenne et anti-indépendantiste, là où la province Nord et les îles Loyauté sont essentiellement autochtones et indépendantistes. Mais, d’une part, laisser la province Sud faire la démonstration de son évidente supériorité ne réglera rien à long terme ; surtout, l’équivalence implicitement dressée entre provinces et considérations ethno-politiques est extrêmement simpliste. Il y a un quart des habitants de la province Nord qui ne sont pas recensés comme Kanaks (ce qui statistiquement correspond à la proportion de non-indépendantistes) : il est moralement inacceptable de les abandonner à des gouvernants incompétents, au motif que ce serait là le modèle de développement qu’ils auraient choisi. Quant au Sud, les Européens n’y sont qu’en très relative majorité ; les personnes recensées comme kanakes forment un gros quart de la population, et celles venues de partout ailleurs – les éternelles oubliées, originaires de Wallis-et-Futuna, des autres îles du Pacifique, de Java, du Japon, d’Indochine, de Kabylie, des Antilles même – un gros tiers.

La province Sud n’est pas la Nouvelle-Calédonie européenne : c’est, pour le dire brutalement, la Nouvelle-Calédonie beaucoup plus fonctionnelle parce que les Kanaks n’y ont pas le pouvoir.

Ce n’est pas du tout la même chose. Ce qu’il faudrait espérer, ce n’est pas une sécession de ceux qui se portent encore relativement bien ; c’est de trouver le moyen d’étendre ce modèle de développement au reste de l’archipel. Cela impliquerait sans doute de revenir sur beaucoup des idées romantiques de l’Accord de Nouméa, qui pensait que beaucoup d’amour et de générosité financière à sens unique pouvait être la solution à tout, et notamment sur la surreprésentation (dans une mesure proprement scandaleuse) des provinces majoritairement kanakes et indépendantistes, et une péréquation parfaitement déresponsabilisante à leur égard. Pour le dire là encore très brutalement, l’erreur a été de « donner » les deux petites provinces de l’archipel aux Kanaks, dans l’espoir de satisfaire leur désir de pouvoir. C’est là-dessus qu’il faudrait revenir.

Les problèmes soulevés par Mme Backès et les loyalistes sont donc aussi réels que profonds. Ils méritent qu’on s’y intéresse en vérité, loin des slogans permettant de se donner bonne conscience à peu de frais, que nous voyons partir en fumée devant nos yeux.

La manière de faire coexister des populations ethnoculturellement diverses, voire dans certains cas hostiles, est la question fondamentale qui va se poser à la France, et se pose déjà avec une acuité particulière en Nouvelle-Calédonie. Mais la réduire à une dimension territoriale n’est pas juste ; elle est même dangereuse.

Elle est d’ailleurs une manière de contourner la question qui est plus importante et plus difficile, celle de la cohabitation de ces groupes sur un même territoire. C’est à celle-ci qu’il convient de réfléchir. La chose est complexe et délicate, mais elle est désormais urgente : il en va de la survie, à moyen terme, tant de la Nouvelle-Calédonie que de la France tout entière.


À propos de l’auteur
Eric Descheemaeker est professeur à l’Université de Melbourne

De l’Europe centrale à l’Indo-Pacifique, l’Azerbaïdjan sape l’effort de guerre de l’Ukraine

De l’Europe centrale à l’Indo-Pacifique, l’Azerbaïdjan sape l’effort de guerre de l’Ukraine

par Eduard Abrahamyan* – CF2R – publié en juillet 2024

https://cf2r.org/tribune/de-leurope-centrale-a-lindo-pacifique-lazerbaidjan-sape-leffort-de-guerre-de-lukraine/


*Docteur en sciences politiques (université de Leicester 2022), membre de l’Institut d’Analyse de la Sécurité (ISA) d’Erevan (Arménie), il a été conseiller en politique étrangère de l’ancien président arménien Armen Sarkissian. Il est également collaborateur régulier d’IHS Markit, de la Jamestown Foundation, de The National Interest, du Foreign Policy Research Institute et du Central Asia-Caucasus Institute.

 

 

Guerre en Ukraine : Vers l’escalade ?

par Philippe Condé,  -Géopragma – publié le 3 juillet 2024

https://geopragma.fr/guerre-en-ukraine-vers-lescalade/


Chaque jour qui passe, de nouveaux pays de l’OTAN autorisent les frappes sur le territoire russe avec leurs armes.

Pourtant, le secrétaire général de l’OTAN assure que l’Organisation n’est pas en guerre contre la Russie et ne recherche pas l’escalade.

A ce jour, dix pays européens ont donné l’autorisation de frapper le territoire russe avec leurs armes (Allemagne, Danemark, France, Pays Baltes, Pays-Bas, Pologne, République Tchèque et Royaume-Uni) ainsi que les États-Unis (utilisation de missiles à courte portée sur les régions russes frontalières de la région de Kharkov).

Pour le Danemark et les Pays-Bas, leurs avions F-16, une fois livrés à l’Ukraine, pourront frapper le sol russe sans restriction.

En réponse à ces autorisations, le 5 juin lors d’une Conférence de presse avec des journalistes étrangers, en ouverture du Forum économique international de St Petersburg, le président russe a annoncé que la Russie pourrait armer avec des missiles longue portée des pays en conflit avec l’Occident. On pourrait imaginer que Moscou livre des missiles à l’Iran ou aux rebelles Houthis afin de frapper les intérêts occidentaux au Proche Orient. Cela constituerait une réponse asymétrique de la part du Kremlin.

Lors de son intervention du 6 juin, Emmanuel Macron a annoncé la formation de 4500 soldats ukrainiens sur le sol français ainsi que la livraison de cinq Mirages 2000-5 et la formation des pilotes ukrainiens. En outre, les Mirage 2000 pourront, une fois livrés à l’Ukraine, frapper le territoire russe. La mise en garde russe de la veille ne semble pas avoir été entendue.

Une autre réponse asymétrique de la part de Moscou serait d’envoyer des bâtiments de guerre sur le continent américain, par exemple au Venezuela, au Nicaragua ou à Cuba. Ainsi du 12 au 17 juin, la frégate Amiral Gorshkov accompagnée du remorqueur Nikolaï Chiker, du pétrolier Akademik Pashin et du sous-marin à propulsion nucléaire Kazan pouvant embarquer des missiles hypersoniques, ont fait escale à La Havane. Les côtes de Floride ne sont qu’à 180 kilomètres.

Le risque d’escalade devient chaque jour plus grand d’autant plus que les dirigeants occidentaux continuent de faire la sourde oreille aux propos de Moscou.

Mais vu d’Occident, la Russie est l’ennemi à abattre. L’Ukraine n’est que l’instrument, l’arme de ce projet, ses soldats ne sont que des consommables.

Cependant, Moscou se dit chaque jour prête à négocier en tenant compte de la réalité sur le terrain.

Le 14 juin, lors d’un discours devant le corps diplomatique russe, soit la veille de la Conférence de paix qui se tiendra en Suisse, sans la Russie, Vladimir Poutine présente un Plan de paix en cinq points.

     1. Retrait total des troupes ukrainiennes du territoire administratif des régions de Lougansk (RPL), Donetsk (RPD), Zaparojié, Kherson. Le statut de ces régions russes, ainsi que de la Crimée et de Sébastopol devra être reconnu par des traités internationaux.

      2. Engagement de l’Ukraine à ne pas adhérer à l’OTAN.

      3. Statut neutre, non aligné et non nucléaire de l’Ukraine.

      4. Démilitarisation sur la base des accords d’Istanbul.

      5. Protection des droits des russes en Ukraine.

Il ajoute que si ces conditions sont rejetées, la responsabilité de la continuation du bain de sang incombera à l’Occident.

Sans surprise, ce plan de paix est aussitôt rejeté par le président ukrainien, le considérant comme un ultimatum mais aussi par l’OTAN, et les Etats-Unis, proclamant que cela ne ramènerait pas la paix et permettrait d’atteindre les objectifs russes.

Or ce plan semble plutôt réaliste et reprend les principales demandes russes formulées en janvier 2022, soit un mois avant le lancement de l’Opération militaire spéciale. La principale différence se trouve dans le premier point, c’est-à-dire la reconnaissance de la souvenait russe sur les régions de RPL, RPD, Zaparojié et Kherson. Ces dernières ont adhéré par référendum (23-27 septembre 2022) à la Fédération de Russie. Cette consultation est considérée comme une annexion et donc non reconnue par l’Occident.  Etant donné le rapport des forces sur le terrain, où l’armée russe continue d’avancer sur l’ensemble du front, ces régions semblent perdues pour l’Ukraine.

Pour Moscou, c’est un fait accompli d’autant plus que des investissements considérables sont réalisés comme la restauration des villes (Marioupol étant le symbole), la construction de nouvelles routes et de voies ferrées permettant d’intégrer ces nouveaux territoires au reste de la Fédération. La liaison ferroviaire, en voie d’achèvement, reliant Rostov sur le Don à Djankoi (Crimée) via Marioupol (RPD), Berdyansk et Melitopol (Zaparojié), constitue le plus grand symbole.         

Ces régions, au même titre que la Crimée, ne sont donc plus négociables. Elles font partie intégrante de la Fédération de Russie. D’ailleurs, selon Piotr Tolstoï, vice-président de la Douma, c’est la dernière proposition de paix de la Russie. La prochaine proposition sera la capitulation.

Sans surprise, la Conférence de paix qui s’est tenue en Suisse (15-16 juin) en l’absence de la Russie, mais aussi de la Chine, n’a apporté aucun élément nouveau permettant de mettre fin au conflit.

Sur les 90 délégations, environ la moitié n’était pas constituée de membres de haut rang, notamment les pays du Sud global. Les Etats-Unis étaient représentés par la vice-présidente Kamala Harris et le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan.

Seuls 78 Etats ont signé la déclaration finale (l’Inde, le Brésil, l ‘Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis, membres des BRICS, n’ont pas signé), qui apporte le soutien à la « souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale » ukrainienne mais reconnait aussi qu’il faudra inviter la Russie afin de parvenir « à une paix juste et durable ». Par ailleurs, le communiqué final appelle à garantir la liberté de navigation en Mer Noire et en Mer d’Azov (totalement contrôlée par Moscou) afin de sécuriser le commerce des produits alimentaires (notamment le blé). Enfin, les participants demandent que l’Ukraine reprenne le contrôle total de la centrale nucléaire d’Energodar (contrôlée par les russes depuis mars 2022) et exigent la libération de tous les prisonniers de guerre. Le communiqué n’appelle donc pas au retrait des forces russes ni au paiement de réparations, pourtant point clés du plan de paix Zelenski.

En somme pour le président ukrainien, les conclusions de cette conférence constituent un échec, auquel s’ajoute l’absence de la Chine et de Joe Biden. Les hostilités sur le terrain continuent donc sans espoir de voir la fin prochaine.

Pourtant, comme l’a affirmé, à plusieurs reprises déjà, le Haut représentant aux affaires étrangères européen, Josep Borell, il suffirait que l’Europe arrête de fournir des armes à l’Ukraine pour que la guerre se termine.  Aveuglés par une russophobie maladive, les européens et les occidentaux en général ne veulent (ne peuvent) reconnaître leurs erreurs…car ce conflit aurait pu être évité s’ils avaient accepté les Accords d’Istanbul début avril 2022.

Mais l’arrogance Occidentale, anglo-saxonne en particulier (le fameux voyage du 1er Ministre britannique Boris Johnson le 9 avril 2022), décida que l’occasion était trop belle pour détruire une fois pour toutes la Russie.

Cependant, deux plus tard, la Russie n’est pas détruite et tient fermement debout sur ses deux jambes en dépit des plus de 20 000 sanctions occidentales.

Ainsi en 2023, son taux de croissance a atteint 3,2% et a dépassé 5% au premier trimestre 2024.

La Russie est devenue la quatrième économie mondiale en 2023 en PIB PPA (parité de pouvoir d’achat), derrière la Chine, les Etats-Unis et l’Inde mais devant le Japon. Le taux de chômage est inférieur à 3%, l’économie est en pénurie de main-d’oeuvre, ce qui constitue le principal problème aujourd’hui. Afin de résorber cette situation, il faudra augmenter la productivité du travail et/ou augmenter la robotisation des entreprises et/ou faire appel à de la main d’œuvre étrangère. Les autorités semblent privilégier les deux premiers facteurs.

En somme, des performances économiques très honorables sous de très fortes contraintes, pour une station service déguisée en pays, selon les termes de l’ancien sénateur républicain et héros américain du Vietnam John Mc Cain.  

Or, un certain embarras semble, tout de même, gagner les capitales occidentales puisque l’économie russe ne s’est pas effondrée comme l’avait très imprudemment prédit Bruno Lemaire, le 1er mars 2022.

Que faire ? C’était la question que se posait Lénine dans son traité politique publié en 1902.

Elle s’applique totalement à la Russie s’agissant de la politique actuelle des pays occidentaux

Mais au lieu de se poser la bonne question comme Lénine à l’époque, les dirigeants occidentaux préfèrent la fuite en avant, l’escalade dans le conflit.

Ainsi, on continue de ne pas prendre au sérieux les mises en garde du Kremlin concernant l’utilisation éventuelle de bombes nucléaires tactiques (la Russie en possède plus de 4000).

La doctrine militaire russe est pourtant très claire : en cas de menace pour l’intégrité et la souveraineté du pays, la Russie se réserve le droit d’une frappe nucléaire.

Comme l’a fait remarquer John Mearsheimer dès le mois de mai 2022 : on ne joue pas impunément avec une puissance nucléaire. Ajoutons que la Russie est la première (5889 ogives) devant les Etats-Unis (5244 ogives) et très loin devant la France (290 ogives).

Pendant ce temps, l’Europe se perd, la France en tête. Le 31 mai, Standard and Poor’s a dégradé sa note de AA à AA-, en raison notamment de son taux élevé d’endettement (110,6% du PIB, soit plus de 3000 milliards d’euros) et de déficit budgétaire (5,5% du PIB en 2023, en hausse de 0,8 point par rapport à 2022). La croissance européenne reste inférieure à 1% par an, l’inflation reste supérieure à 2%, qui est la cible de la BCE. La désindustrialisation guette l’Allemagne puisqu’elle importe son énergie deux à trois fois plus chère que lorsqu’elle l’achetait à la Russie. La France ayant perdu son industrie depuis la crise de 2008.

L’écart économique entre l’UE et les Etats-Unis ne cesse de se creuser depuis la crise des subprimes.

Entre 2008 et 2022, le taux de croissance de l’UE a été de 2,8% contre 72% aux Etats-Unis.

De ce fait, l’économie européenne ne représente plus que 65% de son homologue américaine alors qu’elles étaient équivalentes en 1990. 

Dans les différents Etats membres, les campagnes pour les élections européennes n’ont pas été à la hauteur des enjeux. En France, on a vu beaucoup de listes (vingt-neuf) pour très peu d’Europe.

Victor Hugo n’est plus qu’un lointain souvenir brumeux. Absence de vision, absence de projet fédérateur, alors que l’UE cumule les retards dans les domaines de l’intelligence artificielle ou de l’automobile électrique face à ses rivaux américain et chinois.

Les résultats des élections européennes du 9 juin ont encore obscurci l’horizon du vieux continent.

Les partis d’extrême droite ont gagné en France, en Belgique, en Autriche et se sont classés deuxième en Allemagne et aux Pays-Bas. Emmanuel Macron s’est résolu à dissoudre l’Assemblée nationale entrainant le pays dans une incertitude totale.

Ces résultats constituent un signal aux pouvoirs en place : problèmes de pouvoir d’achat, avenir du système social, montée des inégalités, mais aussi la guerre en Ukraine qui est une situation perdante pour l’UE. Il y a donc urgence à prendre en compte ces problèmes lors des prochaines législatures française et européenne.

Dans les prochains mois, l’Occident, et l’UE en particulier, devra revoir radicalement son agenda en Ukraine.

La situation actuelle, après plus de deux ans de conflit, largement provoqué et alimenté par l’Occident, risque de conduire à une escalade et à un élargissement du théâtre des opérations. Le danger nucléaire n’est pas à exclure.

L’UE devrait donc convoquer une Conférence de paix afin de mettre fin à cette tragédie. Car la paix, c’est la vocation de l’Europe !

A défaut, la situation post-apocalyptique décrite par Dmitry Glukovsky dans le cadre de sa Trilogie Métro (2033, 2034, 2035) où les survivants d’une guerre nucléaire se terrent misérablement dans le métro de Moscou, depuis vingt ans, pourrait alors devenir réalité…

Philippe Condé, Docteur en Economie, spécialiste de la Russie.

Pourquoi Joe Biden ne peut remporter l’élection américaine de novembre

Pourquoi Joe Biden ne peut remporter l’élection américaine de novembre

Tribune
Par Barthélémy Courmont – IRIS – publié le 28 juin 2024

Le premier débat opposant les deux principaux candidats à l’élection présidentielle américaine de novembre 2024 s’est tenu le 27 juin soit, une fois n’est pas coutume, plus de cinq mois avant le scrutin. S’il fut comme prévu brutal, témoignant de la polarisation grandissante de la vie politique américaine et de l’animosité poussée à l’extrême entre les deux concurrents, il fut également, sans surprise, un exercice extrêmement difficile pour Joe Biden, qualifié de désastre ou de naufrage. Selon CNN, Donald Trump aurait ainsi « remporté » ce débat pour 67 % des personnes interrogées. Un résultat sans appel, quand on sait à quel point le candidat républicain est clivant.  Hésitant, parfois incompréhensible, Joe Biden a offert la prestation la plus catastrophique de cet exercice médiatique depuis le premier du genre, opposant John F. Kennedy et Richard Nixon en 1960. En cause son état de santé, de plus en plus fréquemment commenté dans les médias, mais aussi son incapacité à élever le débat et à sortir du piège tendu par son adversaire. Déjà perceptible depuis le début des primaires en janvier 2024, la possibilité de voir Joe Biden être reconduit à la Maison-Blanche relève aujourd’hui du fantasme, sauf à considérer une improbable mise à l’écart pour raisons juridiques de Donald Trump ou une encore plus improbable mobilisation de l’électorat démocrate – sans oublier le soutien des indépendants, dont les votes seront comme souvent déterminants – derrière le président sortant. Tandis que les conventions nationales animeront la vie politique américaine pendant l’été, le constat est sans appel : Joe Biden n’a quasiment aucune chance de remporter l’élection face à Donald Trump. Chronique d’une élection perdue d’avance, et libre désormais aux démocrates de trouver une solution.

Le moment d’ouvrir les yeux

Comme aucune autre, l’élection américaine passionne le monde entier. Cela s’explique bien sûr par le pouvoir qu’incarne le locataire de la Maison-Blanche, mais aussi par l’attention médiatique très forte, qu’on ne retrouve dans aucun autre scrutin étranger. En prenant l’exemple français, on voit ainsi que si les analyses et informations concernant la course à la Maison-Blanche restent très nombreuses, les médias se désintéressent d’élections en Allemagne, Italie ou Espagne, pour ne prendre que quelques exemples. Cette fascination pour l’élection américaine souffre cependant d’une forme d’appropriation des débats politiques outre-Atlantique par des médias qui se montrent désormais plus partisans que commentateurs, résultat d’une bipolarisation presque manichéenne et surtout déplacée – puisqu’en dehors des binationaux, les Français ne votent pas plus pour désigner le président américain que le chancelier allemand. Certes chacun est libre de prendre position, de commenter et de critiquer. Mais le rôle des médias doit aussi être d’informer et de dépasser ces prises de position pour présenter les faits et pas uniquement leur interprétation. On voit déjà la couverture médiatique de ce débat, faisant état – comment pourrait-il en être autrement ? – du naufrage de Joe Biden. Mais il est étonnant de devoir attendre fin juin, et les Primaires terminées, pour faire ce constat que les observateurs de la vie politique américaine ne peuvent avoir ignoré depuis des mois, voire plus.

Il est donc temps d’ouvrir les yeux sur le spectacle politique que nous offre la plus grande démocratie du monde. Pas qu’il faille en ricaner, surtout en France, mais il s’agit bien d’une leçon d’humilité pour tous ceux qui prennent leurs désirs pour des réalités, se focalisant sur les affaires judiciaires de Donald Trump et ignorant dans le même temps que son adversaire voit ses chances de victoire diminuer jour après jour.

Des États clefs qu’il sera quasiment impossible de conquérir

Le mode de scrutin américain se traduit par une attention toute particulière sur une poignée d’États qu’il faut remporter pour bénéficier du nombre suffisant de délégués. Inutile dès lors de regarder les chiffres à échelle nationale, qui n’ont au mieux qu’une valeur indicative – en l’occurrence, Trump devance Biden dans la majorité des sondages nationaux, ce qui renforce le constat de son avance, car les démocrates ont systématiquement plus d’électeurs à échelle nationale depuis plus de vingt ans, ce qui ne leur a pas permis de gagner à tous les coups. Or, on constate que dans la grande majorité de ces États clefs, Donald Trump fait la course en tête et a parfois même creusé de très larges écarts dont on voit difficilement comment ils pourraient être réduits. Ainsi, La Floride ou l’Ohio ne sont même plus désignés comme des États clefs, tandis que le Michigan et le Wisconsin, traditionnellement démocrates, le sont. Comment expliquer cette incapacité des démocrates à se mobiliser à échelle locale ?

Si on regarde les scrutins précédents, c’est dans l’élection de novembre 2016 qu’il faut chercher des clefs de compréhension, plus que dans celle de 2020, marquée par la pandémie de Covid-19. Hillary Clinton, candidate investie par le camp démocrate – et que les médias voyaient, pour les raisons évoquées précédemment, marcher triomphalement vers la Maison-Blanche – essuya à cette occasion un revers sérieux dans la majorité des États clefs, mais aussi dans des bastions traditionnels démocrates, le Michigan et le Wisconsin, où Trump l’emporta à la surprise générale. Surprise ? Pas tant que cela en fait. Lors des primaires démocrates, Hillary Clinton y avait été largement devancée par Bernie Sanders, et commit l’erreur impardonnable de ne pas y faire campagne, arguant du fait que si les électeurs de ces États démocrates votaient Sanders, il n’y avait aucune chance que Trump puisse l’emporter. Elle préféra donc se concentrer sur d’autres États, y compris ceux gagnés d’avance comme la Californie, tandis que Trump avait l’habileté de se déplacer dans ces États négligés par sa concurrente. Il convient ici d’être lucide : l’élection est gagnée sur le terrain plus que depuis la Maison-Blanche ou dans des grands quotidiens de la côte Est. Et on voit difficilement Joe Biden être en capacité d’enchainer les meetings de campagne, quand bien même cela serait suffisant.

Un électorat démocrate plus divisé que jamais

D’autant que si nombreux sont les républicains qui détestent Trump mais se sont résignés à sa troisième candidature consécutive, les démocrates sont aujourd’hui très divisés, et l’épisode des rassemblements propalestiniens sur les campus universitaires en témoigne. La mobilisation des démocrates derrière leur candidat est aujourd’hui le principal défi pour le parti de l’âne. Et Joe Biden n’est pas l’homme de la situation pour incarner la réunion de toutes les sensibilités politiques de son camp.

Paradoxe de cette élection : le bilan de Joe Biden n’est pas mauvais et il n’a pas à en rougir. Si les quatre dernières années furent marquées par de grandes difficultés en matière de politique étrangère (sur lesquelles il serait nécessaire de revenir en détail, parce qu’on ne peut qu’y trouver un très inquiétant signe de déclin), l’économie, qui est toujours au cœur des préoccupations des électeurs, a retrouvé une dynamique après les années de Covid. Sauf que de nombreux électeurs ne le voient pas de cette manière. Les écarts sociaux sont importants, et l’Amérique rurale et des États désindustrialisés continuent de souffrir de politiques qui les ont négligés depuis des décennies. La politique de l’administration Biden ne répond pas aux attentes de ces « gilets jaunes » américains qui pour beaucoup soutiennent le candidat républicain, et pour d’autres se détournent d’un parti démocrate qui ferait défaut sur sa politique sociale. Soyons clair, ne considérer que les chiffres de la croissance du produit intérieur brut (PIB) est très réducteur, aux États-Unis comme ailleurs, dès lors que les principaux intéressés, ceux qui voteront en novembre, ne voient pas d’amélioration sensible de leur condition.

La question doit être posée de manière brutale : de qui Joe Biden est-il le candidat ? Et au-delà, quelle Amérique incarne-t-il et quels démocrates le soutiennent ? De moins en moins visiblement.

Un autre candidat démocrate, mais qui ?

Depuis janvier, la rumeur d’une candidature autre que celle de Joe Biden pour redresser la barre circule dans les rangs démocrates. Celui qui a facilement, et sans faire campagne, remporté les primaires de son camp pourrait ainsi être désavoué et un autre candidat serait présenté à l’occasion de la convention d’août ? Mais lequel, et avec quelle chance de renverser la dynamique et remporter une élection trois mois plus tard ? Sans doute les luttes d’influence atteignent des sommets depuis la prestation désastreuse de Joe Biden lors du débat, mais il va falloir se mettre d’accord sur une candidature crédible, en plus de parvenir à convaincre le principal intéressé. En clair, si le parti annonce en août que Biden n’est pas candidat, cela signifie qu’il ne le juge plus capable de diriger le pays, et les conséquences seront lourdes. Les républicains ne manqueront pas ainsi d’attaquer le parti de l’âne sur la dissimulation de l’état de santé mentale du président.

Autre scénario, celui d’une démission avant novembre, pour raisons de santé par exemple. Ce n’est pas à exclure, ce qui se traduirait par une présidence de Kamala Harris – qui deviendrait ainsi la première femme présidente des États-Unis. Mais cela ferait-elle de l’actuelle vice-présidente la candidate naturelle en novembre ? Pas sûr, quand on regarde sa popularité actuelle et la difficulté qu’elle a éprouvée à s’imposer dans son rôle au cours des quatre dernières années. Dans un cas comme dans l’autre, la stratégie du changement de candidat serait une stratégie de la dernière chance, ce qui offre des chances, même minces, de victoire, mais peut, dans le même temps, totalement déstabiliser l’électorat.

Il va falloir également, et surtout, changer de registre : faire campagne sur les scandales de Donald Trump, fussent-ils financiers ou sexuels, ne marche pas. Il est même étonnant que les stratèges démocrates continuent de se focaliser sur une telle campagne, dont le principal bénéficiaire semble être celui qu’ils veulent porter au pilori. En d’autres termes, un autre candidat s’avère sans doute nécessaire, mais ce ne sera pas suffisant, puisque c’est bien d’une autre campagne dont les démocrates ont aujourd’hui besoin. Pendant ce temps, l’heure tourne, et la perspective de voir le locataire de la Maison-Blanche essuyer d’autres humiliations se profile à l’horizon, tout autant qu’une défaite annoncée.

C’est qui le chef ? par Michel Goya

C’est qui le chef ?

par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 27 juin 2024

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Dans les systèmes monarchiques, c’est le souverain qui, par tradition, commande les armées y compris normalement sur le terrain. Avec l’arrivée des régimes républicains, et de fait avec la constitutionnalisation des monarchies, les choses sont devenues un peu plus compliquées. La Constitution de 1848 en France indique par exemple dans son article 50 que le Président de la République (PR) élu au suffrage universel « dispose de la force armée, sans pouvoir jamais la commander en personne ». Les premiers projets de lois constitutionnelles de la IIIe République reprennent la formule, ce qui suscite la colère du « maréchal-président » Mac Mahon (élu par l’Assemblée en mai 1873). Devant sa menace de démission, l’amendement Barthe (1er février 1875) est repoussé et l’article 3 de la loi du 25 février 1875 indique seulement que le Président « dispose de la force armée ». Ce pouvoir est néanmoins limité par l’obligation de contreseing d’un ministre pour toutes les décisions du Président, la possibilité d’être poursuivi pour haute trahison et l’obligation d’assentiment des deux chambres pour déclarer la guerre.

Le maréchal de Mac Mahon a cependant suffisamment de latitude pour organiser un « domaine réservé », une expression de Chaban Delmas en 1959 pour désigner les prérogatives particulières qui devraient être accordées au PR en matière de défense et de politique extérieure. Mac Mahon accorde beaucoup de d’intérêt aux réformes militaires en cours et traite directement avec les ministres et les généraux de corps d’armée qu’il reçoit à l’Élysée. Il tient à désigner lui-même les ministres de la Guerre et de la Marine. La crise du 16 mai 1877 coupe court à cette interprétation. Avec la « constitution Grévy » et la révision de 1884, la France adopte un régime parlementaire et le Président de la République n’exerce plus qu’une « magistrature morale », ce qui permet à Poincaré d’imposer Clemenceau comme Président du Conseil en décembre 1917 mais ne suffit pas à Albert Lebrun pour empêcher la crise des institutions de juin 1940. Cette dernière crise et le désastre qui l’accompagne est en garder en tête pour comprendre l’esprit des institutions de défense de la Ve République.

Notons au passage que le général de Gaulle met en place dans la « France combattante » un système très simple, avec un chef du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) décideur unique avec sous ordres directs un État-major de Défense nationale pour la conduite des opérations et un ministre de la Défense nationale (et non quatre ou cinq ministères, de la Défense nationale, de la Guerre, de l’Air, de la Marine, de l’Armement). Le chef du GPRF est assisté d’un Conseil de défense nationale réunissant tous les ministres concernés par cette guerre désormais totale. Autant d’éléments que le général de Gaulle s’efforcera d’imposer dans les institutions et la pratique de la Ve République.

En attendant, l’expression « Chef des Armées » apparaît dans un décret du gouvernement provisoire de la République en date du 4 janvier 1946 avant d’être reprise, sur proposition du général Giraud alors député, dans la Constitution de 1946 (art. 33 « Le président de la République préside, avec les mêmes attributions [que pour le Conseil des ministres, c’est-à-dire faire établir et conserver les procès-verbaux], le Conseil supérieur et le Comité de la défense nationale et prend le titre de chef des armées. »). Mais l’article 47 précise que « le président du Conseil [qui devient une fonction en soi et non un ministre supérieur aux autres], assure la direction des forces armées et coordonne la mise en œuvre de la Défense nationale ». La gestion de la politique de Défense de la IVe République n’est finalement pas très différente de celle de la IIIavec ses qualités et ses énormes défauts, évidents lors de la guerre en Algérie.

La nouvelle paralysie institutionnelle qui apparaît à cette occasion impose une réforme profonde des institutions et une nouvelle Constitution. Pourtant, étrangement, cette constitution n’apparaît immédiatement pas très différente de celle de 1946 dans son organisation de la Défense nationale.  L’article 15 de la Constitution de 1958 (« Le Président de la République est le Chef des Armées. Il préside les conseils et comités supérieurs de la Défense nationale », sans préciser quelles sont les compétences qu’il exerce à ce titre) est peu différent de l’article 33 de la Constitution de 1946. De plus, l’article 19 (« Les actes du président de la République autres que ceux prévus aux articles 8 (1er alinéa), 11, 12, 16, 18, 54, 56 et 61 sont contresignés par le Premier ministre et, le cas échéant, par les ministres responsables. ») ne fait pas référence à l’article 15. Les actes du Président de la République en conseil de défense doivent donc normalement être contresignés par le Premier ministre. Si on ajoute l’article 20 (« le gouvernement dispose de l’administration et de la force armée ») et l’article 21 (« Le Premier ministre dirige l’action du gouvernement. Il est responsable de la Défense nationale ») de la Constitution mais aussi l’article 7 de l’ordonnance de 1959 (« la politique de défense est définie en conseil des ministres ») et son article 9 (« le Premier ministre, responsable de la Défense nationale, exerce la direction générale et la direction militaire de la Défense »), on obtient quelque chose de proche de l’esprit de la IIIe ou de la IVe République. 

Le général de Gaulle ne l’interprète pas de cette façon dans ses Mémoires d’espoir (« Il va de soi, enfin, que j’imprime ma marque à notre défense […] cela pour d’évidentes raisons qui tiennent à mon personnage, mais aussi parce que, dans nos institutions, le Président répond de « l’intégrité du territoire » [art.5], qu’il est « le Chef des Armées », qu’il préside « les conseils et comités de Défense nationale » »). La personnalité du nouveau président de la République et les évènements en Algérie – et pour le général de Gaulle le plus choquant d’entre eux est la rébellion d’une partie de l’armée – impose une centralisation des pouvoirs à son profit. À partir d’avril 1961, la dualité des pouvoirs entre le PR et du PM s’efface au profit du premier et d’une manière générale au profit des civils. L’état-major du Premier ministre redevient le Secrétariat général de la défense nationale à direction civile et le Chef d’état-major général de Défense nationale, l’actuel Chef d’état-major des armées (CEMA), perd beaucoup de ses prérogatives. L’ordonnance de 1959, finalement abrogée en 2004, perd une grande partie de sa substance. Et puis deux phénomènes particuliers sont apparus.

Arguant du caractère très particulier de l’arme nucléaire et de la nécessité de décision urgente, le décret du 14 janvier 1964 « relatif aux forces aériennes stratégiques » décide que le Président de la République a seul qualité pour décider l’emploi du feu nucléaire, ce qui est contradiction avec les dispositions de la Constitution et de l’ordonnance de 1959. Ce décret a été abrogé et remplacé par celui du 12 juin 1996 plus conforme aux textes constitutionnels et législatifs mais qui conserve un caractère ambigu. Dans son article premier, le conseil de défense doit définir « La mission, la composition et les conditions d’engagement des forces nucléaires » alors que le président chef des armées et président du conseil de défense « donne l’ordre ». Cela est considéré très majoritairement comme un « ordre de conduite » et non une décision nécessitant donc le passage par un conseil de défense et le contreseing du Premier ministre, mais pourrait être interprété différemment si une situation de crise plaçant la France devant un tel choix survenait en période de cohabitation hostile. On se demande si un président de la République pourrait réellement engager le feu nucléaire en premier (en riposte, la question ne se pose pas) alors qu’il doit faire face à un gouvernement, une majorité et donc un peuple hostile. Plus largement, la question se pose du maintien au pouvoir d’un président désavoué par le peuple. Le général de Gaulle avait tranché cette question à sa manière mais tout le monde n’est pas de Gaulle. 

Et puis, il y a eu la multiplication des opérations extérieures, rendues possibles justement par la centralisation des institutions. Une opex, c’est une opération décidée par le président de la République, et comme c’est très facile alors que la France a de nombreuses obligations internationales, elles deviennent très nombreuses. Cela pour premier effet de remettre les militaires dans la boucle décisionnelle. Premier ministre et ministre de la Défense/Armées ont leurs états-majors particuliers et le CEMA redevient premier conseiller militaire et membre du Conseil de défense tout en étant en ligne directe avec le PR pour la conduite des opérations. Mais cela a pour effet également de multiplier les conseils de défense dès lors que l’on considère que ces opérations extérieures sont importantes, or qui dit conseil de défense dit in fine approbation du Premier ministre. Cela ne pose pas de problème en cas de situation normale, ou s’il y a désaccord cela se traduit par une démission, comme celle du ministre de la Défense en 1990 au moment de la guerre du Golfe et de la décision de François Mitterrand d’y engager les forces françaises.

En cas de cohabitation c’est forcément plus compliqué et cela se traduit souvent par une négociation entre les deux têtes de l’exécutif. On se souvient des difficultés de lancer l’opération Turquoise au Rwanda en 1994, contrairement à l’opération Noroit au même endroit deux ans plus tôt en période « normale ». Turquoise est finalement engagée mais aux conditions du Premier ministre Édouard Balladur. En décembre 1999 en revanche, le Premier ministre Lionel Jospin s’oppose totalement à une opération de contre coup d’État en Côte d’Ivoire.

Depuis la réforme constitutionnelle de 2008 se pose aussi un autre problème. Avant l’engagement dans la guerre du Golfe (1990-1991), le PR avait ordonné au gouvernement de poser la question de confiance selon l’article 48.1 devant l’Assemblée nationale et de demander au Sénat l’approbation d’une déclaration de politique générale (art 49.4), afin d’asseoir la légitimité de son action. Mais il disposait alors de la majorité et le vote de confiance ne posait guère de difficultés. Désormais, le Parlement doit obligatoirement voter la poursuite ou non d’une nouvelle opération au bout de quatre mois. On imagine par exemple que l’envoi de militaires français en Ukraine soit jugé suffisamment important pour justifier d’un Conseil de défense, première étape, puis en cas d’approbation, d’un vote au Parlement. Quelle que soit la nouvelle configuration de l’Assemblée nationale le 7 juillet, on peut imaginer qu’on n’est pas prêt dans ce cas d’avoir des soldats français en Ukraine. Notons au passage que tous ces blocages éventuels sont des incitations au contournement en faisant appel aux services clandestins ou discrets et même, comme aux États-Unis aux sociétés privées.

Notons que si le Premier ministre ne peut déclencher lui-même d’opérations extérieures, il peut déclencher des opérations intérieures en tant que premier responsable de la sécurité du territoire. Dans la confrontation avec l’Iran qui s’est traduit notamment pas une série d’attentats terroristes sur le sol français en 1986, le Président de la République a déclenché quelques mois plus tard l’opération Harmattan dans le Golfe arabo-persique. Entre temps, le Premier ministre et rival pour la future présidentielle, Jacques Chirac, ne voulait être en reste et avait déclenché l’opération intérieure Garde aux frontières et envoyé des soldats renforcer douaniers et policiers de l’Air et des Frontières. Cela n’avait aucun intérêt opérationnel, mais cet engagement inédit de soldats sur le sol français métropolitains (le pas avait été franchi en Nouvelle-Calédonie) permettait au Premier ministre d’exister politiquement.

Pour résumer, la reconnaissance d’un pouvoir entier et personnel du Président de la République comme chef des Armées ne peut plus être niée. La question a été tranchée dans ce sens par le Comité consultatif pour la révision de la Constitution dans son rapport du 15 février 1993. Le comité, tout en jugeant discutable l’expression « domaine réservé », a estimé que ; malgré certaines ambiguïtés, l’exercice de pouvoirs propres en matière de défense par le Président de la République correspondait à une « tradition trentenaire ». La tradition est ainsi devenue une source de droit en matière constitutionnelle à condition de justifier d’une application « paisible » pendant une certaine durée. On notera que le comité avait proposé de modifier l’article 21 de la Constitution comme suit : « Le Premier ministre dirige l’action du gouvernement. Il est responsable de l’organisation de la Défense nationale » afin de refléter la réalité des choses. Cela n’a pas été fait et le Premier ministre, s’il ne peut rien déclencher de vraiment nouveau en politique de défense, ni même sans doute mettre fin à quoi que ce soit d’important, conserve une grande capacité de blocage. Maintenant que la coïncidence des élections présidentielle/législatives n’existe plus et que les cohabitations risquent à nouveau de se multiplier, il n’est pas certain ensuite que l’interprétation actuelle, même confortée par une longue pratique, tienne éternellement.

Les grands conflits contemporains, une approche géopolitique

Les grands conflits contemporains, une approche géopolitique

 

par Bruno Modica – Revue Conflits – publié le 24 juin 2024


Cet ouvrage présente l’immense intérêt d’être très à jour sur les conflits en cours. Pour autant, surtout lorsque l’on subit le tourbillon des chaînes d’information en continu, cette publication permet de prendre du recul et de comprendre les ressorts des confrontations actuelles et à venir.

 Béatrice Giblin (Dir) Les grands conflits contemporains, une approche géopolitique. Armand Colin – Mai 2024. 

Une place privilégiée dans les différents articles, où l’on retrouve des spécialistes connus comme Frédéric Encel, Yves Lacoste, Myriam Benraad ou Philippe Subra, est accordée à ce que l’on appellera « les confrontations majeures ». La guerre en Ukraine ou le conflit israélo-palestinien relancé depuis le 7 octobre dernier, occupent évidemment une bonne place. Mais en réalité, l’orientation que la directrice de publication Béatrice Giblin a voulu donner à cet ouvrage échappe à cet écueil « journalistique », pour traiter les différents sujets au fond. Le premier enseignement que l’on trouvera est le suivant : « il n’y a pas de petits conflits géopolitiques ». Les conflits transnationaux comme l’Ukraine ou Gaza se trouvent en 5e partie, tandis que la première est consacrée à des conflits locaux urbains et ruraux à Marseille, Jérusalem, mais aussi dans les campagnes de France autour de « la question de l’eau », opposant agriculteurs et autres usagers.

La frontière comme lieu de confrontation est examinée sous l’angle des relations entre le Mexique et les États-Unis, mais également à propos de la guerre au Kivu, située à l’est de la république démocratique du Congo mais frontalière du Burundi, du Rwanda et de l’Ouganda. La guerre y est endémique depuis au moins 25 ans. Ce chapitre aurait pu d’ailleurs se situer dans la 4e partie de l’ouvrage qui traite de la conquête des ressources, en raison des enjeux miniers de ce territoire qui souffre de ce que l’on peut appeler la malédiction des matières premières. L’or et le diamant y sont évidemment convoités, au même titre que la cassitérite, le coltan ou le wolfram. Les usages de ces minéraux se retrouvent dans les composants électroniques comme dans les aciers spéciaux.

De la même façon, et surtout dans le contexte actuel envisager, comme le fait Frédéric Encel, Jérusalem comme une capitale frontière est d’autant plus pertinent qu’il ne sera pas possible d’évacuer le statut de cette ville dans l’hypothèse d’un règlement de la paix, même si ses perspectives s’éloignent.

Il n’y a pas de petits conflits, en effet, le premier article de l’ouvrage, après la mise en perspective de Béatrice Giblin, est consacré à Marseille. Son auteur, Simon Ronai, analyse avec beaucoup de soin les rapports de force entre la ville et son environnement, notamment celui des structures territoriales qui organisent la métropole avec 92 communes représentées par 240 membres. La périphérie se sent riche face à une ville centre appauvri. 

Frédéric Douzet et Thomas Cattin ne sont pas trop de 2 pour examiner la situation complexe de la frontière entre le Mexique et les États-Unis. 3 000 km, 40 points de passage, un fleuve comme le Rio Grande et des conurbations rendent cet espace qui sépare pays en développement et économie développée particulièrement sensible. 270 millions d’individus empruntent les points de passage, tandis que la circulation des biens, des capitaux, des informations et des produits illégaux a été largement favorisée par les différents accords de libre-échange.

Cette frontière est aussi un enjeu pour les élections majeures, au niveau des états concernés, comme pour l’élection présidentielle américaine.

La 3e partie aborde, après une introduction de Béatrice Giblin, les nationalismes régionaux. Le ressort est souvent le même, celui d’un sentiment de mépris subi de la part de l’État central, notamment pour ce qui peut concerner l’usage de la langue, la place des habitants dans les institutions de l’État, les politiques de développement.

Pour autant, les conflits engendrés peuvent être très différents, allant de l’affrontement comme au Kurdistan à la confrontation démocratique pour l’Espagne avec la question basque et catalane.

Yves Lacoste et Béatrice Giblin abordent pour leur part le nationalisme régional de la Kabylie. L’unité imposée par le FLN suscite un mécontentement qui peut s’exprimer par la revendication linguistique, une sorte de nationalisme culturel, avec dans le fond une certaine forme de résistance à une arabisation normalisatrice que la jeunesse refuse.

La 4e partie aborde 2 questions qui seront très largement étudiées par les candidats de la filière lettres du concours de l’école militaire interarmes, à savoir « les guerres de l’eau en question », avec un article de Leïla Oulkebous, et celui de « l’avenir géopolitique du pétrole à l’horizon 2050 », par Benjamin Augé

Paradoxalement, la volonté de diminuer les émissions de carbone, car les ressources naturelles qui permettent de développer les technologies bas-carbone suscitent des convoitises et bien souvent des phénomènes de corruption, des conflits environnementaux, et au final des affrontements.

Béatrice Giblin et Yves Lacoste traitent respectivement de la guerre en Ukraine et à Gaza, des sujets qui pourraient largement être développés plus longuement. Ce qu’il faut surtout noter à propos de ces 2 articles d’une trentaine de pages, c’est surtout celui de leurs conséquences géopolitiques à moyen et à court terme. La Russie joue son destin dans ce conflit, tout comme Israël d’ailleurs. Car il s’agit là de guerres existentielles, celles dans lesquelles les belligérants remettent en cause l’existence même de leur ennemi. La guerre du Nagorny Karabagh qui se termine en 2023 par la disparition d’une entité existant depuis plusieurs siècles aurait pu figurer dans cet inventaire.

Le dernier article de l’ouvrage, rédigé par Frédéric Douzet et Aude Géry, nous permet d’aborder une nouvelle dimension. « L’extension continue du champ de la conflictualité dans le cyberespace », cet environnement créé par l’interconnexion planétaire des systèmes d’information et de communication, est une dimension de plus en plus prise en compte par les militaires. Cela trouve son application au plus petit niveau, celui du groupe de combat ou de l’équipe, et celui que l’on a longtemps appelé le caporal stratégique est également un acteur de la guerre électronique, au même titre qu’un groupe informel ou un état. 

En un peu moins de 300 pages, cet ouvrage qui est condamné à vieillir, en raison des événements à venir, devrait quand même être précieusement conservé en référence. Car au-delà de l’actualité qui passe, les fondamentaux demeurent. Et puis l’immense mérite de tous les auteurs est celui qui consiste à prendre le risque de la prospective, avec un horizon au milieu du siècle, ce qui reste tout de même assez proche.

On me permettra pour conclure un souvenir personnel, celui de mes rencontres avec Béatrice Giblin et Yves Lacoste, dans une autre vie.

J’ai pour ces deux géographes qui ont accompagné ma formation une immense admiration pour leur savoir, mais aussi leur disponibilité et leur sens de l’écoute.


Bruno Modica est professeur agrégé d’Histoire. Il est chargé du cours d’histoire des relations internationales Prépa École militaire interarmes (EMIA). Entre 2001 et 2006, il a été chargé du cours de relations internationales à la section préparatoire de l’ENA. Depuis 2019, il est officier d’instruction préparation des concours – 11e BP. Il a été président des Clionautes de 2013 à 2019.
 

Comment évaluer la posture stratégique française?

Comment évaluer la posture stratégique française?

par Cyrille Bret – Telos – publié le 22 juin 2024https://www.telos-eu.com/fr/politique-francaise-et-internationale/comment-evaluer-la-posture-strategique-francaise.html


Dans un essai[1] nourri par sa connaissance ancienne et détaillée des forces armées françaises, Jean-Dominique Merchet nous confronte, en dix chapitres, à une question redoutable : la France est-elle prête pour affronter un ennemi dans un conflit de haute intensité ? Rédigé fin 2023 au moment où la guerre à grande échelle avait malheureusement confirmé son retour dans l’espace stratégique européen, ce livre analyse sans complaisance la doctrine, la posture stratégique, la structure capacitaire, les structures de commandement et le moral des armées françaises actuelles.

Il réalise cet examen principalement à la lumière de trois étalons, d’une part, la dernière Revue nationale stratégique de 2022, d’autre part, la Loi de Programmation Militaire (LPM) adopté pour la période 2024-2030 et enfin une évaluation des risques sécuritaires et militaires pesant sur la France en général et son territoire métropolitain en particulier.

La France et l’Ukraine, mêmes dangers?

D’évidence, la France n’est pas exposée à une menace militaire du type de celle qui s’est abattue sur l’Ukraine en 2022 : non seulement elle dispose de la dissuasion nucléaire mais en outre, elle fait partie de la plus puissance alliance militaire au monde, l’OTAN, deux assurances vies solides contre une agression. Pour Merchet, la dissuasion nucléaire française est devenue une véritable colonne vertébrale pour la défense nationale : elle absorbe près de 15% des crédits de défense, élève le niveau technologique de toutes les armées et de beaucoup d’entreprises de la BITD, garantit une forme d’autonomie stratégique et surtout, comme le montre l’exemple ukrainien, la préserve contre une attaque d’une grande puissance.

En effet, aux termes du Memorandum de Budapest, en 1994, l’Ukraine avait accepté de se départir de son arsenal nucléaire, s’exposant trente ans plus tard à l’invasion de la Russie. Toutes choses égales par ailleurs, l’arme nucléaire l’aurait protégée, comme elle protège aujourd’hui le régime de Pyongyang.

Toutefois, la différence entre France et Ukraine se heurte plusieurs limites : la guerre en Ukraine a montré que la masse d’équipement et d’hommes compte dans les guerres actuelles. Or, selon son contrat opérationnel, la Force Opérationnelle Terrestre (la somme des unités combattantes de l’Armée de terre) ne réunit que 77 000 hommes (contre plus de 200 000 en Ukraine) et n’est donc capable, selon les normes actuelles, de tenir qu’un front de 80 km (pour 1000 km de front en Ukraine). La qualité ne suffit pas, or la France est encore défendue par une armée « bonsaï » excellente techniquement mais quantitativement insuffisante entre dehors d’opérations extérieures (OPEX) contre des ennemis plus faibles et dans des zones circonscrites. Même après le début de la guerre en Ukraine, les forces armées françaises en restent au modèle de force expéditionnaire qui s’est généralisé en Occident entre la fin de l’URSS, en 1991, et l’invasion de l’Ukraine. Autrement dit, l’armée française est prête à opérer contre un ennemi technologiquement beaucoup plus faible, contre un adversaire qui ne dispose pas de forces aériennes et contre un opposant n’ayant pas de structures étatiques fortes.

L’autre limite est, selon Merchet, que la dissuasion nucléaire à la française isole la France en Europe : si le pays a rejoint en 2009 le commandement intégré de l’OTAN, il n’a pas, en revanche, fait son entrée dans la structure de planification nucléaire de l’OTAN qui constitue le véritable parapluie nucléaire de l’organisation. En d’autres termes, la dissuasion nucléaire française protège bel et bien le territoire national d’une attaque massive et permet aux forces conventionnelles de rester peu nombreuses (200 avions de combat, 200 chars lourds et une vingtaine de navires de premier rang). Mais elle ne lui permet évidemment pas de mener une guerre de haute intensité.

L’économie de guerre, un slogan loin de la réalité

De nuancé, le tableau se fait sombre quand il s’agit d’évaluer les capacités des forces armées françaises. Si l’avion Rafale, le canon mobile CAESAR et le porte-avions sont des équipements de premier ordre pour garantir la France contre des attaques, la base industrielle et technologique de défense (BITD) française est aujourd’hui dans un état inadapté au niveau des menaces : elle ne dispose plus de capacités industrielles pour la production de chars lourds, pour les fusils d’assaut ou encore pour les munitions.

En cas de conflit, elle serait dépendante des industries allemandes ou coréennes qui ne l’alimenterait pas en priorité… De même, la production de drones (tactiques ou d’endurance étendue) a constitué un véritable fiasco national et européen. Alors que les combats au Karabakh, en Ukraine et à Gaza soulignent l’importance de toutes ces capacités, la France de 2024, malgré les déclarations présidentielles de 2022 sur « l’économie de guerre » ne dispose pas des équipements nécessaires pour se défendre dans un conflit terrestre d’attrition.

Une France résiliente

La France dispose toutefois d’atouts que Merchet considère comme confirmés. Les forces françaises ont réussi leur professionnalisation et l’ont éprouvée au feu au fil des OPEX (plus de 700 soldats décédés en OPEX depuis la fin de la guerre d’Algérie). Hormis chez certains nostalgiques, le service militaire universel n’apparaît plus comme un outil indispensable à la sécurité nationale : le prochain défi sera d’instaurer de fortes coopérations entre les troupes actives et les troupes de réserves, à l’instar de ce que la Finlande, la Suisse et la Suède ont réalisé. En outre, la résistance aux cyberattaques a été régulièrement développée au sein d’une stratégie associant l’Etat (ANSSI) et entreprises. Enfin et surtout, l’esprit de défense est désormais peu contesté : les antimilitaristes sont bien moins nombreux que dans les années 1970 et le soutien aux armées est massif dans la population sondage après sondage.

Implacable sur les conservatismes et les biais cognitifs des états-majors français, l’essai de Merchet se fait moins incisif et moins original quand il s’agit d’évaluer les menaces actuelles et futures pesant sur la France, ses citoyens et ses intérêts. En effet, l’approche est très « terrienne » au sens où la sécurité nationale est envisagée avant tout comme l’inviolabilité du territoire national. Les menaces sur les espaces marins, cyber ou informationnels sont considérées comme de second plan. Ainsi, pour Merchet, les prochaines menaces viendront du Maghreb, du Sahel et de Russie. Du Maghreb au sens large car la Libye est à 1200 km de Toulon : au vu des capacités des drones et missiles mis en œuvre en Mer Rouge, la France a sur son flanc sud une véritable vulnérabilité que sa défense anti-aérienne ne comble pas. Du Sahel car le rejet de la France peut tout à fait, selon Merchet, déboucher sur un retour du terrorisme international contre la France à partir de cette zone. De la Russie, pour des raisons rendues évidentes depuis 2022.

C’est ce qui conduit Merchet à conclure, dans une conclusion bien succincte, à un acte de foi assumé : la France est prête pour la guerre, ou du moins elle saura l’être quand les dangers menaceront le territoire national.

Récusant la complaisance de l’esprit « fanamili », tordant le cou à des approximations chauvines sur les vertus militaires et critiquant sans réserve les certitudes des états-majors et des groupes de défense issus de la Guerre Froide, cet essai a le mérite de jeter une lumière crue sur la réalité de l’appareil de défense français, de ses atouts et de ses faiblesses. Mais il aurait sans doute mérité un examen plus détaillé des nouvelles menaces et des capacités françaises à y répondre.

[1] Jean-Dominique Merchet, Sommes-nous prêts pour la guerre ? Robert Laffont, 2024, 215 pages.