La France bonne élève d’une NATO Response Force en pleine évolution

La France bonne élève d’une NATO Response Force en pleine évolution

 

– Forces opérations blog – publié le

Une année d’effort exceptionnel au profit de la NATO Response Force (NRF) s’achève pour la France. L’engagement a été tenu à la lettre dans un contexte marqué par le conflit russo-ukranien et alors que s’amorce une évolution profonde du principal instrument militaire de l’Alliance.

La France, « bonne élève » de la NRF

Contrat rempli pour les plus de 8000 militaires mobilisés cette année par la France au profit de la NRF. Cette contribution française « était particulièrement élevée par l’effet du cycle rotationnel », déclarait ce jeudi le général François-Marie Gougeon, chargé de mission auprès du chef d’état-major des Armées (CEMA). Au moment où le conflit en Ukraine éclate, elle commande en effet les piliers terrestre et aérien de la NRF et arme l’essentiel de la Very High Readiness Joint Task Force (VJTF) et de la Task Force NRBC. Activée pour la première fois depuis sa création, la NRF est alors la seule force opérationnelle dont dispose le commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR), le général américain Tod D. Wolters.

« Fiable, crédible et solidaire », le partenaire français actuellement près de 3000 militaires à terre, en mer et dans les airs pour renforcer la façade orientale de l’Europe. Les premiers, des éléments belges et français du bataillon fer de lance de la NRF, sont arrivés en Roumanie moins de quatre jours après le déclenchement du conflit russo-ukrainien. En parallèle, la France actait d’autres décisions, à l’instar du maintien d’une présence dans les États baltes plutôt que de poursuivre l’alternance avec d’autres armées alliées.

Le sommet de Madrid de juin dernier aura ensuite renforcé la posture en engageant les États à renforcer « leur » bataillon jusqu’au niveau de la brigade en cas de détérioration de la situation. Depuis, un élément avancé de poste de commandement de brigade a été envoyé en Roumanie, détachement préfigurateur renforçable sur très court préavis et dont la mise en place s’est terminée il y a peu.

La force de ce bataillon multinational désormais installé dans la durée ? Le choix d’une structure qui s’appuie d’abord sur des partenaires belge et néerlandais « avec lesquels on s’entraîne et que nous connaissons », relevait le général Gougeon. L’interopérabilité est dès lors particulièrement élevée, au bénéfice de l’efficacité opérationnelle. « D’autres partenaires sont étudiés, en fonction des contributions qu’ils souhaitent amener », complétait-il lors d’un point presse du ministère des Armées, le premier consacré à l’OTAN depuis mars.

Loin des classements sur l’aide matérielle apportée à l’Ukraine, la France aura assumé ses responsabilités à la lettre vis-à-vis de la NRF. Comparaison n’est pas raison, mais « toutes les nations armant la VJTF n’ont pas fait l’effort qu’a réalisé la France pour armer l’intégralité des composantes de cette VJTF », ajoutait le général Gougeon, celui précisant que  « par volonté délibérée de la France, le taux d’armement de la NRF a été particulièrement élevé ». De l’ordre de 95%, un résultat certainement dicté par le contexte sécuritaire dégradé mais néanmoins « salué par SACEUR parce qu’il était inhabituellement haut par rapport aux années précédentes ».

« L’objectif pour le chef d’état-major des Armées était d’être certain de pouvoir disposer d’une force qui soit opérationnellement crédible et fiable ». Objectif à première vue atteint. Cette contribution française se poursuivra en 2023. Elle conservera une prise d’alerte mais avec un délai différé, cédant son rôle de premier plan dans la VJTF à une brigade sous commandement allemand. Un engagement réaffirmé, à l’heure où se poursuit la construction d’un nouveau modèle de force au sein de l’OTAN.  

La France maintient un SGTIA de 300 militaires sur le sol estonien, dont une partie a été engagée sur l’exercice ORKAAN 16 (Crédits : EMA)

De l’expéditionnaire à la défense collective

« Comme cela a été démontré en début d’année, faire reposer la réponse de l’Alliance sur une force unique face à une menace venant potentiellement de plusieurs directions et ne prenant pas en compte les forces nationales alors que ce sont elles qui sont sensées absorber le premier choc était un non-sens stratégique », relevait le général Gougeon. Après s’être focalisé depuis deux décennies sur la contre-insurrection et la lutte contre le terrorisme, le dispositif militaire de l’OTAN a été revu en profondeur lors des réunions de Bruxelles et de Madrid.

« Le pilier opérationnel de l’Alliance est aujourd’hui engagé dans une phase de transition vers un nouveau modèle consacré par le sommet de Madrid en juin dernier », explique le chargé de mission. « L’idée générale, c’est de prendre en compte non plus seulement une force de réaction – la NRF – mais aussi l’ensemble des forces disponibles dans les nations » pour concevoir un nouveau modèle « plus adapté à la défense collective et à la haute intensité ». Quand cette NRF permettait de mobiliser jusqu’à 40 000 militaires, le modèle en construction – particulièrement ambitieux – entreprend de porter le réservoir de force à 800 000 soldats.

Ce réservoir sera structuré selon trois échelons progressifs de réactivité, en misant en particulier sur les armées « qui seraient amener à encaisser le premier choc en cas d’attaque russe ». Les deux échelons initiaux, les Tier 1 et Tier 2, activeraient environ 300 000 soldats en 30 jours, dont 100 000 en moins de 10 jours issus des pays frontaliers de la Russie et des forces de l’OTAN qui y sont présentes. Un bataillon comme celui dirigé par la France en Roumanie devra donc être en mesure de réagir en moins de 10 jours. « Avec des implications sur leur autonomie opérationnelle et sur leur réactivité », garanties au travers d’une préparation continue et conjointe.

Le Tier 3, grosso modo « le reste des forces disponibles dans l’Alliance » et « en particulier celles qui pourraient venir du continent américain », gonflerait le volume d’au moins 500 000 soldats supplémentaires en l’espace de six mois. Des forces qui viendront « soit défendre, soit restaurer la souveraineté des pays de l’OTAN sur leur territoire ». À terme, l’OTAN aura évolué d’un modèle dit de régénération de force à celui d’une « mobilisation différenciée ».

Les bataillons multinationaux établis dans huit pays de la façade orientale de l’Europe, des structures préfiguratrices du nouveau modèle de force de l’OTAN (Crédits : EMA)

Réponses à la mi-2023

Cette transition est « la plus importante transformation militaire engagée par l’Alliance depuis 1949 », relevait le président du comité militaire de l’OTAN, l’amiral néerlandais Rob Bauer, cet été à Madrid. L’enjeu dans les prochains mois sera de parvenir à convaincre, toute capacité de réponse continuant de dépendre de la bonne volonté des États membres à y contribuer. « C’est l’objet des discussions qui ont lieu actuellement entre les nations au SHAPE et au siège de l’OTAN »et dont l’aboutissement sera détaillé via des déclarations nationales volontaires. Ce faisant, les armées « s’engageront à tenir les délais et s’exerceront, s’entraîneront sur ces dispositifs ».

Cette posture renforcée aura forcément des conséquences sur les attentes de l’OTAN vis-à-vis de ses membres « en termes de capacité, de réactivité, de posture ou de responsabilités ». Le défi est notamment logistique. Ce futur dispositif repose autant sur une réponse initiale robuste que sur un renforcement rapide depuis la « profondeur européenne ». Il exige donc « une organisation dont nous avions perdu l’habitude qui est celle de la mobilité opérative à l’intérieur du territoire européen », rappelait le général Gougeon.

Renforcer la mobilité militaire, l’Europe s’y est engagée dans le cadre du projet « Military Mobility » de la Coopération structurée permanente (CSP). Un projet visant à moderniser les infrastructures et à faciliter les procédures interétatiques, et d’emblée ouvert aux États tiers. Les États-Unis, la Norvège, le Canada l’ont déjà rejoint. Le Royaume-Uni a reçu l’aval récemment, tandis que la candidature de la Turquie progresse dans la bonne direction. Le sursaut est également financier, avec 292 M€ investis l’an prochain et près de 1,7 Md€ sur la période 2021-2027.

Ces travaux portant sur l’organisation, les processus et les modèles auront par ailleurs des conséquences sur la transformation capacitaire de l’Alliance, « puisque va s’ouvrir en 2023 un nouveau cycle capacitaire ». Soit, des décisions qui se traduiront par de nouvelles cibles capacitaires attribuées à chaque nation, elles mêmes fonctions d’une directive politique en théorie validée en juin lors d’une ministérielle OTAN. Avec, à la clef, l’identification de carences et de rééquilibrages qui, côté français, pourraient influencer l’écriture de la prochaine loi de programmation militaire.

Quelle part y prendra la France ? Cette transition d’une logique expéditionnaire à celle d’une défense collective devrait être achevée en 2023, annonçait l’OTAN en juin. « Il y a encore beaucoup de travail en cours », indique le général Gougeon, et il est donc trop tôt pour préjuger de l’ampleur de la contribution française. Des décisions importantes sont attendues au premier semestre de l’année prochaine. Elles culmineront avec le sommet de l’OTAN organisé les 11 et 12 juillet 2023 à Vilnius, en Lituanie. D’ici là, le dispositif renforcé tel qu’il se présente aujourd’hui est finalement « un assez bon préfigurateur des décisions qui seront prises ». Il met en tout cas « le doigt sur un certain nombre de sujets qui seront traités par ces décisions ».

Guerre en Ukraine : Les stratégies de stockage des armées françaises

Guerre en Ukraine : Les stratégies de stockage des armées françaises

GUERRE EN UKRAINE : Les stratégies de stockage des armées françaises
par ASAF et IFRI – publié le mardi 06 décembre 2022

Stocks militaires : une assurance-vie en haute intensité ?

La guerre en Ukraine rappelle la place de l’attrition d’un conflit en haute intensité à des armées européennes taillées au plus juste après trois décennies de réduction budgétaire. L’ensemble des forces européennes ont dû réduire leurs stocks au strict minimum. En conséquence, le soutien à l’Ukraine s’est traduit par d’importants prélèvements sur leurs capacités opérationnelles. Une quantité non négligeable de systèmes retirés du service a également été donnée, par manque d’épaisseur des parcs opérationnels.

La Russie a, quant à elle, mobilisé les vastes stocks hérités de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) pour soutenir son effort de guerre après l’échec initial de son « opération militaire spéciale ». Le processus de rénovation des systèmes les plus anciens est également accru, alors que la production russe de matériel moderne reste insuffisante.

Le conflit en cours voit donc s’affronter des parcs mixtes composés de systèmes très modernes et d’autres beaucoup plus anciens – voire obsolètes – issus de stocks de long terme. Cette situation incite à s’interroger sur les stratégies de stockage des armées françaises et à les comparer à celles qui existent ailleurs.

 

Focus stratégique n° 113 ci-joint ou disponible à l’adresse suivante : https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/peria-peigne_stocks_militaires_2022.pdf

Lire et télécharger : Stocks militaires une assurance-vie en haute intensité IFRI 12 2022

Roumanie: pas d’étoiles pour Cincu au « Michelin » des camps militaires

Roumanie: pas d’étoiles pour Cincu au « Michelin » des camps militaires

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par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 8 novembre 2022

http://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/


Dans un article du 3 novembre paru sur Mediapart, ma consœur Justine Brabant affirme que « les soldats français déployés en Roumanie ont froid et faim » (c’est le titre de son sujet). Elle y décrit le quotidien, pas très enviable, des quelque 700 soldats tricolores qui stationnent sur le camp de Cincu (photos AFP).

Les témoignages de soldats font état de couchage déplorable, de nourriture chiche, d’une hygiène défaillante. Le tout exacerbé par les défaillances de l’Etat hôte. Cincu aurait tout d’un bivouac improvisé.

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La réplique de l’EMA, alors que le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, se rendait à Cincu, n’a pas tardé sur les réseaux sociaux (voir ci-dessous). Il s’agissait de montrer que les conditions s’amélioraient et que les critiques n’avaient plus lieu d’être. Tout y est passé: l’ordinaire plus copieux, le logement mieux adapté, l’assainissement et l’énergie plus efficaces… Tant mieux, surtout si ces améliorations se poursuivent et que l’accueil devient rapidement satisfaisant.

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Au-delà de l’article et  des mises au point officielles, voici quelques réflexions personnelles:
qu’on laisse de côté la rhétorique de la rusticité et les remarques du genre « ils sont là pour en chier » trop souvent entendues. Un peu de dignité et de confort ne font pas de mal.

ce n’est pas la première fois qu’il faut regretter les mauvaises conditions de vie de soldats français déployés hors de leur garnison. Deux exemples: Sangaris et Sentinelle. Pour ces deux missions (opex pour l’une, opint pour l’autre), des militaires ont exprimé leurs griefs, relayés par les médias, dénonçant des locaux insalubres, des sanitaires déficients et une nourriture indigne. Prenons Sangaris: le 8 avril 2014, j’ai rédigé un post titré « L’opération Sangaris: entre rusticité et indigence« . Lire aussi ici.
Prenons Sentinelle: le président du Haut comité d’évaluation de la condition militaire, Bernard Pêcheur, avait dénoncé les conditions « parfois très incorrectes » d’hébergement des soldats à Paris au début de l’opération de sécurisation intérieure.  

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– l’Etat hôte a-t-il failli? En Estonie, sur le camp de Tapa, les débuts ont été difficiles pour le bataillon franco-britannique. Mais grâce à une copieuse enveloppe US, les Estoniens ont pu construire des zones techniques et des zones de vie adaptées et performantes. L’allié roumain a clairement été dépassé par cet afflux de soldats et de matériel.
D’où la nécessité de penser/anticiper des réponses nationales en amont d’un tel déploiement.
On peut en effet s’interroger sur l’impréparation français et le manque d’anticipation. Ce n’est pas la première fois qu’une projection est décidée inopinément. Il n’existerait donc pas de structures prêtes en permanence (des camps clés en main existent et les prestataires civils ont démontré leur réactivité) pour accueillir dignement des soldats envoyés sur un théâtre étranger? Si, bien sûr la capacité existe (voir un de mes posts de 2013 sur un exercice otanien et l’externalisation par l’EdA des fonctions hébergement et restauration).
Faut-il attendre un nouvel appel d’offres et sa longue concrétisation pour disposer d’une réponse satisfaisante? Non.
Pour rappel, l’un des maîtres-mots du ministre des Armées, c’est l’autonomie… Donc évitons de trop compter sur les autres, même pour les fonctions de base.

– je ne suis pas allé sur place à Cincu en dépit de deux propositions de l’EMA que j’ai dû décliner pour des questions d’agenda. Mais mes interlocutrices de l’EMA m’avaient bien précisé que je devrais me rendre à Cincu par mes propres moyens et me débrouiller pour me loger. Ce qui dénote clairement un manque d’infrastructures d’accueil dans le camp, manque exacerbé bien sûr par l’arrivée des moyens blindés supplémentaires français.
J’ai eu une expérience similaire en 2006 au Liban lors de l’arrivée des renforts français envoyés par le président Chirac. La présence des Casques bleus français n’était pas récente (la FINUL date de 1978) mais l’arrivée de troupes et de matériels supplémentaires a induit un stress réel sur les capacités existantes (les soldats dormaient sous des bâches tendues entre les AMX-10P). D’où la nécessité pour mon photographe et moi de nous nourrir et de nous loger par nos propres moyens, à Tyr, très en dehors des emprises françaises.

– par ailleurs, je suis allé en Slovaquie en reportage au sein du bataillon otanien installé dans le massif de Lest. Ce bataillon, comme celui de Roumanie, est installé dans un camp d’entraînement où stationnait habituellement une présence permanente minime. Or, il a fallu en quelques semaines recevoir des contingents envoyés par les Tchèques (450 hommes), les Allemands (100), les Slovaques (40), les Slovènes (115) et les Américains (300). Vu l’état de certains bâtiments du camp, les conditions d’accueil initiales ont dû être minimales, du style camping rudimentaire. L’officier tchèque commandant le bataillon otanien n’a pas caché qu’il a dû relever un sacré défit pour héberger et nourrir ses hommes. Or ce spécialiste de la logistique a clairement choisi le welfare comme priorité. On peut critiquer la cuisine slovaque mais, lors de mon passage, le mess en dur fonctionnait parfaitement et les soldats ne se plaignaient pas de l’ordinaire (mais davantage de l’éloignement du premier bourg).

– à Cincu, des travaux d’aménagement sont en cours. C’est indiscutable. Ils portent sur les infrastructures d’accueil des matériels (dont les Leclerc qui auraient du mal à rejoindre la Roumanie). Voir mon post ici. Ils portent aussi sur l’accueil des soldats et leurs conditions de vie.
Preuve de cette volonté d’améliorer les conditions de vie: le maintien du contingent belge sur place. Selon mon camarade de l’agence Belga, Gérard Gaudin, « l’armée belge devrait prolonger d’un mois la mission d’une quarantaine de ses militaires – principalement du génie – présents en Roumanie pour construire, en collaboration des Français et des Néerlandais, des blocs de logements pour les troupes de l’Otan déployées dans ce pays du flanc oriental de l’Otan« . La mission belge, qui concerne une soixantaine de personnes, avait débuté le 8 juillet et devait se terminer fin octobre.  Mais la France, qui dirige le « groupement tactique de présence avancée » (BGFP) multinational de l’Otan en Roumanie, a demandé la poursuite de la mission, au moins pour une partie du détachement ». Dernière précision du cabinet de la ministre belge de la Défense en date de lundi: « La raison de cette prolongation est due à un retard d’avancement du projet de construction en raison de circonstances imprévues (conditions météorologiques défavorables et livraisons retardées des matériaux de construction) ».

– ce mardi à 16h30 lors du bureau de la commission de la Défense, deux élus LFI entendent saisir le président de la commission. Bastien Lachaud et Aurélien Saintoul estiment que « l’Assemblée doit s’emparer du sujet« .

Le mot de la fin est pour Sébastien Lecornu. Pour Ouest-France, le ministre des Armées a précisé ses exigences (voir son entretien paru dimanche sur ouest-france.fr).
Dans le cadre de la haute intensité, il s’agit de « ne manquer de rien sur les fonctions basiques et vitales. C’est par exemple le Service de santé des Armées, la restauration, la logistique qui ne peuvent pas être négligés. Sans oublier les munitions. On voit en Ukraine que ces fonctions-là ont une importance majeure sur la ligne de front.« 

Logistique, logistique… 

Jusqu’à quatre ans pour régénérer les matériels revenus de Barkhane

Jusqu’à quatre ans pour régénérer les matériels revenus de Barkhane


Après le défi logistique de la réarticulation de Barkhane, celui de la régénération des matériels désengagés du théâtre sahélien. Ceux du volet terrestre de l’opération nécessiteront parfois plus de quatre années de travail avant d’être à nouveau confiés aux régiments.  

D’après le directeur central de la Structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT), le général Christian Jouslin de Noray, plus de 700 matériels ont été identifiés et étaient en cours de tri sur place. À la mi-octobre, 180 avaient été rapatriés en France en priorisant ceux dont les forces ont le plus besoin, expliquait-il au cours d’une audition parlementaire sur le projet de loi de finances pour 2023.

« La réarticulation de l’opération Barkhane devrait redonner des marges de manœuvre à l’armée de Terre en termes de disponibilité des hommes et des matériels. Toutefois, l’état-major de l’armée de Terre anticipe d’importants surcoûts et un cycle de retrait et de régénération des véhicules très long », relève le député Renaissance François Cormier-Bouligeon dans un rapport pour avis sur le PLF 2023.

De fait, ces opérations de régénération pourraient prendre « entre 4 ans et 4 ans et demi », complète le député, chargé d’émettre un avis sur la préparation et l’emploi des forces terrestres. Principale cause avancée, la conjonction entre un terrain sahélien très abrasif, l’intensité et la durée des opérations et l’âge avancé de certaines flottes. La vitesse d’évacuation du théâtre, de même que les capacités des industriels à traiter les demandes sont d’autres facteurs qui peuvent peser sur le rythme de réinjection.

D’un parc à l’autre, les délais vont fortement varier. Si le cas du VAB est souvent cité, la patience est de mise en ce qui concerne VBCI, « dont un volume important projeté lors de l’opération Barkhane est en attente de régénération ». A contrario, les 32 Griffon envoyés au Sahel devraient être plus rapidement disponibles car ceux-ci n’ont été engagés qu’à partir de l’été 2021. Selon le rapporteur, la réinjection des matériels au sein des forces devrait débuter courant 2024.

La refonte toujours en cours de l’engagement au Sahel redonnera un peu de souffle à l’armée de Terre. Elle a déjà facilité l’envoi de moyens en Roumanie, « notamment des VBCI qui vont pouvoir être réinjectés plus facilement dans l’opération Aigle », et d’aborder plus sereinement un exercice Orion appelé à mobiliser beaucoup de potentiel.

Derrière, l’armée de Terre poursuit son effort d’amélioration de la disponibilité technique opérationnelle de ses matériels (DTO). Malgré « une légère atténuation de la cible cette année », le niveau de DTO s’élève à plus de 90% en moyenne en OPEX et plus de 70% en métropole. Et si des fragilités subsistent, celles-ci seront progressivement atténuées par des commandes de pièce de rechange, les nouveaux contrats de soutien et la poursuite des livraisons de véhicules SCORPION. L’effort est aussi financier, avec 184 M€ de crédits supplémentaires fléchés vers l’EPM en 2023.

Crédits image : EMA

Le renouvellement de la logistique ferroviaire dans le viseur de la DGA

Le renouvellement de la logistique ferroviaire dans le viseur de la DGA

– Forces opérations Blog – publié le

Entre une activité opérationnelle accrue, l’expérience du conflit ukrainien et l’arrivée de véhicules de nouvelle génération, la logistique est une fonction toujours plus cruciale pour les armées. La question est au coeur d’une nouvelle demande d’informations de la Direction générale de l’armement (DGA) axée sur le renouvellement des moyens de transport ferroviaire utilisés par les forces françaises.

Derrière cette DI baptisée « Wagons NG » et diffusée mi-octobre, un double constat. D’une part, « les transports ferroviaires représentent une part croissante et indispensable des acheminements stratégiques des armées sur le théâtre européen ». Le déploiement des véhicules SCORPION, par exemple, se traduit par « une augmentation des mouvements par voies ferrées au profit : des opérations, de partenaires internationaux ainsi que d’exercices de préparation opérationnelle en France et à l’étranger ». 

Et d’autre part, le parc actuellement en service « est constitué de vecteurs vieillissants qui s’avèrent inadaptés pour certains véhicules et matériels récemment mis en service dans les forces ». Ces wagons « ne permettent par le transport de conteneurs de type ’20 pieds’ », nécessitant de passer par une location auprès du secteur privé. 

Bien que non mentionné dans la DI, le conflit russo-ukrainien vient à son tour cristalliser les limites de l’outil ferroviaire français. Les Russes, de par les moyens logistiques « diversifiés et nombreux » dont ils disposent, peuvent réaliser des bascules d’effort et « relancer l’action offensive en fonction des choix tactiques ou des opportunités opérationnelles qui se présentent à eux », relevait l’état-major de l’armée de Terre dans un document publié en juillet dernier. Sans surprise, l’EMAT y place l’appui à la mobilité à côté des feux dans sa liste des « capacités à acquérir en nombre suffisant ». 

L’heure est dès lors au renouvellement et à la complétion des vecteurs existants par des « wagons polyvalents interarmées ». Des wagons doubles surbaissés aptes, a minima, au transport de conteneurs 20 pieds et de véhicules à roues Jaguar, Griffon, Serval, VBCI, CAESAR et PPT et l’ensemble de leurs variantes. Des plateformes qui doivent pouvoir être transportés même s’ils sont en panne ou victimes de dommages de guerre.

Sur le plan technique, ces wagons présenteront une largeur minimale de 3,1 m pour une charge utile minimale de 66 tonnes. De quoi permettre l’emport de deux véhicules blindés « suivants leurs dimensions » ou de quatre conteneurs 20 pieds. Un panachage véhicule-conteneurs n’est pas exclu. Ils seront par ailleurs dotés à terme d’un attelage automatique, un dispositif qui permet notamment de « numériser » le partage d’informations sur l’état de santé du train et de ses composantes.

S’il n’est nullement question d’une contractualisation pour l’instant, la DGA estime le besoin à 250 wagons à livrer en trois ans, au plus tard entre 2027 et 2029. Leur soutien sera assuré par la Structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT). Conçus pour pouvoir circuler partout en Europe, ils resteront en service dans les forces durant 40 ans, estime la DGA.

L’usage de plateformes surbaissées rappelle l’obligation de compiler avec le gabarit en croissance des véhicules de nouvelle génération. Le Griffon et le Jaguar du programme SCORPION, pour ne citer que ceux perçus par les régiments, dépassent leurs successeurs d’un bon mètre pour culminer à 3,6 m dans le cas du premier. Une donnée qui a déjà entrainé une évolution capacitaire dans le domaine du transport routier avec la fourniture de porte-engins blindés surbaissés (PEBS) aux régiments du train.

Le gain de réactivité est bien réel : le PEBS diminue la hauteur du convoi, qui n’est plus considéré comme exceptionnel et ne nécessite donc plus d’établir une demande administrative chronophage. Un PEBS a ainsi acheminé son premier Griffon début octobre à Versailles par l’entremise du 516e régiment du train. Un total de 40 PEBS seront livrés d’ici à juin 2023, et au moins autant viendront compléter cette dotation initiale.

Crédits image : CTTS

Un premier palier franchi en 2023 dans le remplacement des flottes logistiques ?

Un premier palier franchi en 2023 dans le remplacement des flottes logistiques ?

par – Forces opérations Blog – publié le

Après son apparition l’an dernier, le programme « flotte tactique et logistique terrestre » de remplacement des camions 4-6 t des armées disposera l’an prochain d’une ligne budgétaire. De quoi, sauf écueil majeur, permettre de notifier un premier incrément.

Comme expliqué l’an dernier, le programme FTLT adoptera une approche incrémentale « pour s’adapter à l’évolution du besoin capacitaire, de la menace, du vieillissement du parc en service et l’arrivée des nouvelles technologies ». Et comme expliqué l’an dernier, le premier incrément vise l’acquisition de camions citernes de nouvelle génération (CC NG). Les autres besoins feront l’objet d’incréments ultérieurs.

Le projet de loi de finances pour 2023 contient une ligne de 192 M€ pour amorcer ce renouvellement. La moitié de l’enveloppe sera engagée l’an prochain pour permettre la commande de camions citernes protégés au profit du Service des énergies opérationnelles (SEO). De source industrielle, entre 250 à 300 véhicules devraient être acquis au cours de cette phase. Le calendrier sera fixé lors du lancement en réalisation. Une quatrième performance opérationnelle majeure est par ailleurs venue s’ajouter à l’occasion du PLF, celle de parvenir à « garantir la compatibilité des véhicules avec la politique de carburant des armées ».

Cet incrément n’est qu’un segment minoritaire de l’appel d’offres « camions remorques nouvelles générations », volet contractuel de FTLT prévoyant l’attribution d’un accord-cadre sur 17 ans pour la livraison et le soutien 9400 camions et leurs remorques. Un seul opérateur sera sélectionné pour réaliser l’ensemble du marché.

Au moins trois entreprises ou groupements industriels sont attendus dans les starting-blocks : Scania, un duo Soframe-Iveco et Arquus. Le premier a investi pour établir un nouveau pôle défense sur son site d’Angers, inauguré l’an dernier en présence de l’ex-ministre des Armées, Florence Parly. Il dispose d’une première expérience avec le SEO, notamment grâce aux camions CARAPACE et CCP10.

Le second, titulaire du marché « porteur polyvalent terrestre, peut jouer la carte de la continuité et de la cohérence. Arquus, enfin, mise sur sa gamme de camions 4×4, 6×6 et 8×8 ARMIS. Le groupe français a profité du dernier salon Eurosatory pour dévoiler son offre : une version « citernier » de son 8×8 conçue en partenariat avec TITAN Défense, le spécialiste des solutions d’avitaillement. Hormis une cabine blindée et un tourelleau téléopéré Hornet, il emporte une citerne de 18 m3 fournie par TITAN Défense.

Le conflit en Ukraine n’aura fait que produire des retours d’expérience motivant le renouvellement rapide du parc logistique français, rappelle un document émis en juin dernier par l’état-major de l’armée de Terre. Hormis les feux, la mobilité et la contre-mobilité, le sujet FTLT est placé dans les capacités à acquérir en nombre suffisant pour assurer la soutenabilité en carburant, munitions et maintenance et l’appui à la mobilité tactique et opérative.

Crédits image : SEO

Des liens plus étroits entre logisticiens français et américains

Des liens plus étroits entre logisticiens français et américains


Quelque peu bousculé par la crise sanitaire, le partenariat entre unités logistiques françaises et américaines est reparti de plus belle depuis le printemps dernier. Un volet parmi d’autres d’un effort conjoint poursuivi par le Commandement des forces terrestres (CFT) et le Commandement de l’US Army en Europe et en Afrique (USAREUR-AF).

Le 7 mars 2020, le CFT et l’USAREUR-AF actaient leur rapprochement par l’entremise de leur commandant respectif, les généraux Vincent Guionie et Christopher Cavoli. Formalisée au travers de l’ « Unit Partnership Program », la collaboration a pour enjeu principal de renforcer l’interopérabilité entre unités françaises et américaines dans tout le spectre d’opérations bilatérales et multilatérales.

Sur le volet logistique, par exemple, le Commandement de la logistique des forces (COMLOG) et le 21e Commandement de soutien de théâtre (21st TSC) se sont retrouvés fin août à Wiesbaden (Allemagne) pour discuter d’opérations conjointes et progresser vers les objectifs stratégiques fixés pour 2028. Un nouveau point d’étape après celui organisé en avril dernier par le COMLOG à Monthléry (Essonne).

Le COMLOG et le 21st TSC « s’efforceront de synchroniser leurs efforts pour établir des capacités homogènes dans tous les domaines et la possibilité de se déployer et de se soutenir mutuellement à l’échelle mondiale », explique l’US Army dans un communiqué. Des systèmes aux tactiques et procédures, les entraînements croisés contribueront ainsi à faciliter le soutien d’armée à armée.

Français et Américains ont notamment abordé la question de la transparence des outils logistiques de l’OTAN et la mutualisation du transport de matériels lourds. La France avait notamment fourni une aide logistique importante quelques mois après l’entrée en vigueur du partenariat. C’était en juillet 2020 à La Rochelle pour l’opération Mousquetaire, une manœuvre de débarquement d’équipements américains en appui du 21st TSC.

L’accord bilatéral facilite par ailleurs l’échange d’officiers. Un lieutenant du COMLOG aura par exemple participé à l’exercice Saber Junction 2022 dans les rangs du 21st TSC. Mené du 6 au 16 septembre, Saber Junction réunissait 4400 militaires de 14 pays membres ou partenaires de l’OTAN à Grafenwoehr et Hohenfels, dans le sud-est de l’Allemagne.

Le lieutenant Marc aura contribué aux processus décisionnels et fourni un soutien logistique au sein du centre opérationnel aux côtés du lieutenant-colonel John Abella, chef de corps de l’un des bataillons du 21st TSC.

D’autres rendez-vous sont attendus. Selon l’US Army, le COMLOG dispensera bientôt des cours sur la suite d’outils C2 logistiques LOGFAS de l’OTAN. Les exercices français majeurs Monsabert 2023 et Orion 2023 comprendront à leur tour un volet d’échange de personnels « afin de renforcer les liens, améliorer la logistique de l’OTAN et atteindre à terme un niveau adapté d’interopérabilité ».

Le front de Kherson

Le front de Kherson

 

par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 27 juillet 2022

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


L’organisation de la défense russe

La zone tenue par les Russes au nord du Dniepr est une poche de 20 à 50 km de large au-delà du fleuve et de 150 km de Kherson à Vysokopillya, la petite ville la plus au nord, soit environ 5 000 km2 et l’équivalent d’un département français. Cette tête de pont forme à la fois une zone de protection de la zone conquise au sud du Dniepr et de la Crimée, mais aussi une éventuelle base de départ pour d’éventuelles futures offensives russes, en particulier en direction d’Odessa. 

Le front de Kherson est tenu par la 49e armée russe venue du Caucase via la Crimée. Elle y a relevé la 58e armée qui avait conquis la zone au tout début de la guerre. La 49e armée ne comprend normalement que deux brigades d’infanterie motorisée (34e et 205e) et la 25e brigade de reconnaissance en profondeur (Spetsnaz), ainsi que ses brigades d’appui et une brigade logistique. En arrivant sur la zone au mois de mars, la 49e armée a pris sous son commandement le 22e corps d’armée fort de la 126e brigade de défense de côte, la 127e brigade de reconnaissance (les deux sensiblement organisées comme des brigades motorisées) et la 10e brigade de Spetsnaz, ainsi que la 7e division et la 11e brigade d’assaut aérien. Elle a reçu en renfort la petite 20e division d’infanterie motorisée (deux régiments) en provenance de la 8e armée ainsi peut-être qu’une brigade indépendante (4e) et surtout la 98e division aéroportée. En cas d’urgence, la 49e armée pourrait être renforcée de quelques brigades ou régiments de la 58e armée au repos dans la région de Melitopol, à 200 km de Kherson et avec le risque de dégarnir un front de Zaporijjia déjà peu dense.  

Comme toujours dans ce conflit et des deux côtés, on se retrouve avec un capharnaüm d’unités disparates : états-majors d’armée, de corps d’armée, de divisions ou de brigades autonomes, brigades et régiments motorisés, brigades et régiments d’assaut aérien ou aéroportés. Dans l’absolu c’est un ensemble assez puissant avec a priori 14 brigades ou régiments de combat répartis entre le commandement direct de la 49e armée à Kherson et celui du 22e corps d’armée plus au nord à Nova Kakhovka-Tavriisk, l’autre point de passage sur le Dniepr. Cette force de combat rassemble en théorie plus de 20 000 hommes. En réalité, beaucoup d’unités ont été engagées dans le secteur depuis le début de la guerre et ne disposent plus qu’au mieux 50 % de leur potentiel. Les unités nouvellement arrivées, comme la 98e division aéroportée, sont moins usées.

 

Comme partout ailleurs en Ukraine, le point fort russe dans le front de Kherson est la force de frappe à longue distance. La 49e armée dispose de ses deux brigades d’artillerie (artillerie automotrice, lance-roquettes multiples et antiaérienne), les trois divisions de leur régiment d’artillerie et chaque brigade indépendante ont un bataillon. On peut estimer que les Russes disposent d’environ 200-250 pièces d’artillerie diverses qui permettent pour les LRM de frapper depuis l’arrière du Dniepr jusqu’à 20-30 km au-delà de la ligne de front dans la profondeur du dispositif ukrainien. Les obusiers peuvent pour la plupart appuyer la défense du compartiment Sud depuis le sud du Dniepr alors qu’ils doivent être au nord pour appuyer celle des compartiments Centre et Nord, ce qui implique de faire traverser le fleuve aux camions d’obus. Les forces russes bénéficient également d’une capacité de plusieurs dizaines de sorties quotidiennes d’avions et d’hélicoptères d’attaque au-dessus de leur zone.

On est donc en présence d’un réseau de défense de 14 unités de manœuvre de 800 à 1 500 hommes qui tiennent un front de 150 km, soit une dizaine de kilomètres pour un millier d’hommes. C’est une densité assez faible qui est compensée par un terrain globalement favorable à la défense et qui est désormais aménagé depuis plusieurs mois. La défense est organisée en deux grands secteurs coupés par la rivière Inhulets.

Kherson est défendue en avant sur une ligne de contact de 40 km de la côte à l’Inhulets et 15 km de profondeur. Les Russes appuient leur défense sur plusieurs lignes successives organisées sur l’échiquier de villages transformés en points d’appui répartis tous les 2-3 km. Le secteur n’est traversé que de trois routes pénétrantes qui vont de Mykolayev et de Snihourivka vers Kherson, dont une, au centre, assez étroite. Hors de ces axes, des petites routes et un terrain ouvert de champs dont on ne sait trop s’il est praticable aux engins blindés.

Le secteur de Nova Kakhovka est un rectangle grossier de 50 km sur 100 qui s’appuie au sud et à l’ouest par la rivière Inhulets, avec la petite ville de Snihourivka comme point d’inflexion et tête de pont russe au-delà de la rivière et un espace plus ouvert d’Ivanivka au Dniepr. La défense russe s’appuie sur l’Inhulets et les petites villes qui le longent, puis sur un autre échiquier de villages moins dense qu’au sud, à raison d’un tous les 5 km. Le point d’entrée ukrainien de ce compartiment de terrain est le couple Davydiv Brid-Ivanika sur l’Inhulets d’où partent les seules routes pénétrantes vers le Dniepr vers Nova Kakhovka.

En résumé, le font russe est constitué d’une série de plusieurs dizaines de points d’appui de bataillons ou compagnies appuyés par une puissante artillerie, au sud du Dniepr pour le secteur Kherson et au nord pour celui de Nova Kakhovka, avec ce que cela implique comme flux logistiques. Le terrain est très plat et ouvert. Toute manœuvre un peu importante et impliquant des véhicules de combat est donc assez facilement depuis le sol ou le ciel, et frappable en dix minutes par l’artillerie ou les feux aériens. Le terrain ouvert et cloisonné en quelques grands axes étroits et droits est aussi un parfait terrain à missiles antichars. En fond de tableau, le Dniepr est un obstacle considérable, impossible à franchir à son embouchure complexe et très large par ailleurs. On ne peut le franchir qu’en s’emparant de Kherson (300 000 habitants avant-guerre) ou de Kakhovka-Tavriisk (100 000 habitants) qui peuvent constituer de solides bastions. Si les ponts sur le Dniepr sont rares, les Russes bénéficient cependant de deux rocades qui longent le fleuve au nord et au sud.

Possibilités et difficultés ukrainiennes

Le commandement ukrainien dispose de son côté d’un ensemble de forces tout aussi disparate. La 241e brigade territoriale, une petite brigade de marche d’infanterie navale et la 28e brigade mécanisée font face au compartiment Sud russe. Un deuxième groupement fort de trois brigades de manœuvre (36e infanterie navale, 14e mécanisée et 61e motorisée), une brigade territoriale (109e), le 17e bataillon de chars indépendant et un bataillon de milice font face aux forces russes du compartiment centre. Le compartiment Nord est de son côté abordé par la 108e territoriale, la 63e mécanisée et la 60e motorisée. On compte également deux groupements de réserve, le premier fort de deux brigades territoriales (123e, 124e) est à Mykolaev, le second est à Kryvyi Rhi à quelques dizaines de kilomètres au nord du front avec la 21e brigade de garde nationale surtout la 5e brigade blindée. 

Le commandement ukrainien, comme celui des Russes, gagnerait à réorganiser ses forces en divisions cohérentes regroupant des brigades plus homogènes. Cela viendra sans doute fait dès qu’il sera possible de préparer des forces plus en arrière.

Au total, les Ukrainiens alignent 15 brigades ou équivalents. Ces brigades ukrainiennes sont plutôt moins usées que les russes et d’un effectif généralement plus élevé (environ 2 000 hommes, parfois plus) mais pour autant le rapport de forces n’est pas très avantageux. Six de ces quinze brigades sont composées de territoriaux et gardes nationaux plutôt légèrement équipés et surtout bien moins encadrés et formés qu’une brigade de manœuvre. Restent neuf brigades de manœuvre et la 1ère brigade de forces spéciales. C’est peu pour 150 km de front.

L’artillerie ukrainienne est répartie dans les unités à raison d’un bataillon par brigade de manœuvre avec sans doute le renfort de la brigade du commandement de la région Sud. Ses équipements sont proches de ceux des Russes, mais de moindre volume (aux alentours de 150 pièces) et bénéficiant de moins d’obus. Le secteur de Mykolaev regroupe également la presque totalité des hélicoptères disponibles par les Ukrainiens et d’une escadrille de drones armés Bayraktar TB2, difficilement utilisable dans un ciel très défendu par les brigades antiaériennes russes. La grande nouveauté est l’arrivée croissante de l’artillerie occidentale, disparate, mais globalement d’une plus grande précision et parfois d’une plus grande portée que l’artillerie russe. La batterie de lance-roquette multiple HIMARS placée dans la région de Voznesensk est capable de frapper avec précision pourvu que l’on dispose de renseignement sur toute la zone russe et même au sud du Dniepr.

Comme sur les autres fronts ukrainiens, mais peut-être plus qu’ailleurs encore du fait de l’ouverture et de la visibilité du champ d’opération du bassin du Dniepr, il est difficile de concentrer des moyens sans être rapidement frappé et ce jusqu’à plusieurs dizaines de kilomètres au-delà de la ligne de contact. Cela limite considérablement les possibilités de manœuvre. Là comme ailleurs à Kharkiv, il serait possible pour les Ukrainiens de chercher à inverser d’abord le rapport de puissance de feu à longue portée grâce à l’aide occidentale avant de lancer des attaques de grande ampleur. Cela peut demander des mois, en admettant que ce soit possible.

À défaut, si le commandement ukrainien veut malgré tout récupérer la zone de Kherson au plus vite, il reste deux possibilités.

La première est d’essayer d’obtenir un affaiblissement général du dispositif ennemi par un harcèlement à grande échelle et de stériliser toute capacité offensive (objectif russe) ou d’imposer un repli (objectif ukrainien) à la manière de ce qui s’est passé autour de Kiev au mois de mars. Ce harcèlement consiste en une série de raids au sol par de petites unités de combat à pied ou en véhicules s’infiltrant dans le dispositif ennemi pour y effectuer des dégâts ou par une multitude de frappes (artillerie, drones, hélicoptères, avions) précises sur des objectifs identifiés. Ce mode d’action nécessite cependant beaucoup d’actions, et donc beaucoup de moyens, pour espérer obtenir un effet par ailleurs assez aléatoire et rarement rapide. En clair, il faudrait que les Ukrainiens frappent jour et nuit le dispositif russe avec tout ce qu’ils ont d’armes de précision et attaquent l’ensemble de la ligne toutes les nuits avec des dizaines de commandos pour rendre la vie intenable aux Russes au-delà du Dniepr au bout de plusieurs semaines. Les Ukrainiens n’ont ni les moyens, ni le temps d’y parvenir. Cela viendra peut-être par la suite, mais pour l’instant ce n’est pas le cas.

La seconde, par incompatible avec la première si on dispose de moyens adaptés, est de créer des espaces de manœuvre en neutralisant momentanément la puissance de feux adverses, par une contre-batterie efficace ou la destruction de la logistique ainsi que l’interdiction du ciel sur un espace donné par la concentration de batteries antiaériennes sur plusieurs couches, puis en « encageant » une zone cible (en coupant les ponts et les routes des renforts possibles), neutralisant la défense par des feux à plus courte portée (mortiers- tirs directs) et enfin en attaquant brutalement la position avec un ou deux bataillons. La zone conquise, généralement un village, est ensuite immédiatement organisée défensivement pour faire face aux contre-attaques. C’est la méthode des boîtes d’attaque utilisée par les Russes dans le Donbass, à cette différence près que les Ukrainiens ne peuvent ravager les villages ou les villes par leur artillerie avant de les attaquer. Contrairement à la première méthode, dont un espère voir émerger d’un seul coup un effet par cumul de petites actions indépendantes, il s’agit là d’agir en séquences de coups, chaque coup dépendant du résultat précédent. Autrement dit, il s’agit de marteler intelligemment le front en créant des poches de quelques dizaines de kilomètres carrés qui finiront par rendre des zones intenables pour l’ennemi sous peine d’encerclement. Les poches réunies deviennent alors des zones de centaines de kilomètres carrés et de zones en zone on peut ainsi avancer jusqu’à l’objectif final, en l’occurrence le Dniepr pour les Ukrainiens.

Pour cela, à défaut d’une supériorité numérique plus marquée, il n’est pas d’autre solution que de jouer sur une meilleure économie des forces en réunissant les bataillons d’artillerie de brigades dans un ou deux grands groupements d’appui à 20 km et en regroupant sous un même commandement cinq des neuf brigades de manœuvre face à un seul compartiment donné : face à Kherson au sud, au centre dans la région de la tête de pont de Davydiv Brid ou encore sur la limite nord. En restant sur la défensive ailleurs et en acceptant même de perdre du terrain dans les zones d’intérêt secondaire, il serait possible de ainsi espérer progresser village par village par un martèlement continu d’attaques de bataillons avec peut-être parfois des effets d’accélération si les avances d’encerclement des unités russes et les poussent au repli. Bien entendu ce processus ne se passera pas sans réaction russe, par un renforcement du secteur, peut-être des contre-attaques importantes, ou simplement en attaquant à nouveau dans le Donbass et placer ainsi les forces ukrainiennes sous tension avec l’obligation de venir renforcer le secteur Sloviansk-Kramatorsk.

Si les séries d’attaques ukrainiennes finissent par rencontrer une forte résistance, où en arrivant aux abords de Kherson ce qui nécessitera une reconfiguration des forces ukrainiennes en mode « combat urbain », le groupement d’artillerie d’appui doit pouvoir basculer très vite avec deux brigades de manœuvre sur un autre point d’attaque sur le front. S’il n’est possible de lancer de grandes attaques, il faut multiplier les petites actions que ce soit des attaques ou des manœuvres latérales. L’essentiel est de conserver l’initiative. À ce prix, les forces ukrainiennes peuvent seulement espérer atteindre le Dniepr à la fin du mois d’août. La prise de Kherson ou le franchissement du fleuve par ailleurs constitueront d’autres défis à relever, mais l’approche de l’artillerie à longue portée du fleuve ouvrirait de nouvelles perspectives et constituerait déjà une grande victoire. Ce sera cependant très difficile.

Au Sahel, l’armée française sera désormais « en soutien »

Au Sahel, l’armée française sera désormais « en soutien »

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par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 5 juillet 2022

http://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/


Voici la transcription d’un entretien réalisé par Daphné Benoit de l’AFP avec le général Laurent Michon, le commandant de l’opération Barkhane. L’armée française compte changer de mode d’action au Sahel après son retrait du Mali, offrant désormais d’intervenir « en soutien » et non plus en substitution des armées locales, selon le commandant de la force française Barkhane. Les militaires français ne seront plus que 2 500 environ au Sahel à l’issue de ce repli, qui ouvre une phase de coopération renforcée avec les autres pays de la région, en fonction de leurs besoins.

Près de cinq mois après la décision de la France de retirer ses troupes du Mali, où en est-on de ce désengagement hors norme?
Nous estimons que nous serons capables de quitter le Mali d’ici la fin de l’été comme demandé par la président de la République. Nous avons démonté les camps de Gossi et Ménaka et sommes passés en-dessous de 2 000 hommes au Mali. Et nous sommes maintenant en train de désengager la base de Gao. Au total, 4 000 containers et un peu moins d’un millier de véhicules doivent partir du Mali. Le dispositif de recueil au Niger est en place. Il ne s’agit pas de redéployer Barkhane au Niger, mais sur le plan logistique, on a besoin de passer par ce pays. La menace terroriste n’est pas si importante sur l’axe Gao-Niamey. Les groupes armés reprennent du poil de la bête, notamment l’EIGS (Etat islamique au Grand Sahara) car nous n’agissons plus contre sa colonne vertébrale. Donc la menace existe toujours, mais elle est plus maîtrisable car ce corridor est très fréquemment utilisé par la Minusma, l’armée malienne et (la force française antijihadiste) Barkhane. Pour moi, ce désengagement n’est pas un échec. Repartons des missions confiées: mettre l’ennemi à la portée des forces maliennes. L’armée malienne est passée de 7 000 à 40 000 hommes et Barkhane a participé à cette montée en gamme, tout en aidant à ce que les garnisons (…) cessent d’être submergées par les groupes terroristes, à qui nous avons fait baisser la tête.

 

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Comment va évoluer la présence militaire française au Sahel et en Afrique de l’Ouest?

Après le retrait du Mali, il devait rester environ 2 500 soldats français au Sahel à la fin de l’été. Mais cela dépendra avant tout des souhaits des Etats africains (…). Des échanges sont en cours entre les capitales africaines, Paris et les capitales européennes. Nous et les Européens allons vers davantage d’opérations de coopération, conditionnées de façon plus stricte aux demandes des pays africains, et qui viendront +en soutien de+ et non pas +à la place de+. Le Mali est un bon exemple: nous avons certes fait monter en puissance l’armée malienne (…) mais nous avons parfois agi à sa place. On a créé en mars un PC de partenariat à Niamey, qui a pour but de travailler avec des officiers africains insérés. C’est une forme de continuité, en réalité. Au Niger, cela fait plus d’un an qu’il y a un groupement français (à la frontière malo-nigérienne, ndlr) sous les ordres du général nigérien qui commande cette zone d’opération.

S’agit-il de moins prêter le flanc à des critiques contre l’ancienne puissance coloniale ?

La manipulation des populations existe, des mensonges énormes sont répandus selon lesquels nous armerions les groupes terroristes, nous kidnapperions des enfants, nous laisserions des charniers. Il est facile d’agiter un bouc émissaire auprès de personnes qui vivent des situations extrêmement difficiles sur le plan sécuritaire et humanitaire. Il y a eu une manœuvre de désinformation sur les réseaux, avec des mercenaires de Wagner qui ont enfoui des cadavres à Gossi (pour accuser les militaires français, ndlr). Pour la première fois, l’armée française a décidé d’expliquer comment les choses se passent en vrai, en déclassifiant et en montrant des images de drone. Ils vivent sur le pays, pillent, commettent des exactions, ont mis la main sur l’appareil de commandement de l’armée malienne et font des choses dans le dos des chefs. La meilleure réaction (…), c’est le respect de nos propres valeurs, c’est être clairs sur ce qu’on fait et laisser les journalistes africains et européens venir voir, faire du fact-check. La meilleure arme, c’est l’information vérifiée, recoupée.

La France va livrer un nombre « significatif » de Véhicules de l’avant blindé à l’Ukraine


 

« Pour se déplacer rapidement dans des zones sous le feu ennemi, les armées ont besoin de véhicules blindés. La France va livrer, dans des quantités significatives, des véhicules de transport de ce type, des VAB, qui sont armés », a en effet affirmé le ministre.

Mis en service il y a plus de quarante-cinq ans au sein des forces françaises [et de l’armée de Terre en particulier], qui en ont reçu plus de 4000 exemplaires, le VAB se décline en plusieurs versions, dont celle dite ULTIMA, mise au point dans les années 2010. A priori, les blindés portés à ce standard ne font pas partie de ceux envoyés en Ukraine. Du moins, c’est ce que suggère la vidéo prise en Slovaquie.

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La flotte de VAB utilisés par l’armée de Terre se réduit d’année en d’année. Si certains de ces véhicules ont été cédés à la Gendarmerie nationale lors de l’engagement de celle-ci en Afghanistan, d’autres ont été détruits en opération quand ils n’ont pas été trop usés par les rigueurs de l’environnement sahélien. En outre, ils sont progressivement remplacés par les Véhicules blindés multi-rôles [VBMR] Griffon et Serval, dans le cadre du programme SCORPION. Ainsi, au 1er juillet 2021, il ne restait plus que 2500 exemplaires encore en service.

Par ailleurs, M. Lecornu a évoqué la livraison de CAESAr [Camions équipés d’un système d’artillerie de 155 mm] à l’Ukraine. « L’artillerie dans ce conflit est […] centrale : aussi, les canons français CAESAr – dont la réputation n’est plus à faire par leur précision et leur mobilité sur un théâtre d’opérations – ont été livrés. C’est la principale demande que les autorités ukrainiennes nous avaient formulée. Avec ces 18 canons, cela forme une unité d’artillerie complète », a-t-il soutenu.

Quant aux conséquences de ces livraisons sur les capacités de l’armée de Terre, le ministre a fait valoir que « jamais nous ne prendrions une décision qui priverait la nation française d’éléments décisifs à sa défense ». Et d’ajouter : « Ces 18 canons CAESAr peuvent contribuer à changer la vie des Ukrainiens… pour l’armée française, cela la prive d’une fraction limitée de matériels [près de 25% tout de même, ndlr] pour le cycle d’entraînement de court terme. C’est pourquoi nous demandons à nos industries de défense de se placer dans une ‘économie de guerre’ afin de reconstituer les stocks ».

En outre, et s’agissant toujours de l’Ukraine, M. Lecornu a dit avoir deux priorités. La première est d’aider l’armée ukrainienne « à tenir dans la durée ». Et, a-t-il dit, cela passe par les « stocks de munitions ».

Un sujet également sensible pour les forces françaises… qui préoccupe les parlementaires, dont Christian Cambon, le président de la commission sénatoriale des Affaires étrangères et de la Défense. En décembre dernier, celle-ci avait tiré le signal d’alarme en affirmant qu’en matière de munitions, les forces françaises ne disposaient que du « strict nécessaire ».

Plus récemment, dans leur rapport – remarqué – sur l’engagement de haute intensité, les députés Jean-Louis Thiériot et Patricia Mirallès qui, dans un rapport sur la « haute intensité », ont préconisé un « effort financer immédiat » pour reconstituer les stocks de munitions.

Quoi qu’il en soit, pour M. Lecornu, « la coordination entre alliés, notamment dans le cadre de l’Otan mais aussi de l’UE, est très importante ». Au passage, il a précisé que la possibilité de livrer à l’Ukraine des missiles anti-navires Exocet était à en cours d’examen. Et cela alors que la Marine nationale a régulièrement dit manquer de « munitions complexes » pour faire face au « durcissement des opérations navales ».

Enfin, la seconde priorité de M. Lecornu est la formation des soldats ukrainiens à « certaines techniques de combat et au renseignement militaire ». Ce qui, explique-t-il, est « primordial, car cela permet de bien utiliser les armes livrées et d’optimiser la performance des combattants, et donc de préserver leur vie ».

À noter que, sur ce point, et lors d’une visite à Kiev, le 17 juin, le Premier ministre britannique, Boris Johnson, a proposé de former jusqu’à 10’000 soldats ukrainiens tous les 120 jours au Royaume-Uni.

Photo : Archive