Pourquoi amener l’effort de défense français à 3 % PIB couterait moins de 6 Md€ par an ?

Pourquoi amener l’effort de défense français à 3 % PIB couterait moins de 6 Md€ par an ?

De nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer les insuffisances de l’effort de defense français face à la montée en puissance des menaces internationales, alors que l’encre de la Loi de Programmation Militaire 2024-2030, votée en juillet dernier, est à peine sèche.

Entre le spectre d’une Chine surpuissante, la renaissance de la puissance militaro-industrielle russe, les perspectives pessimistes concernant la guerre en Ukraine, les tensions au Moyen-Orient et le possible retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, plus que jamais depuis la fin de la crise des Euromissiles, le rôle des armées françaises, pour garantir la sécurité du pays, mais aussi de ses alliés, est aujourd’hui crucial.

La LPM 2024-2030, en reprenant le format des armées conçu en 2013 par un Livre Blanc structuré autour d’une menace dissymétrique, et en ne visant que le plancher d’investissement fixé par l’OTAN de 2 % du PIB, ne répond ni en volume, ni dans son calendrier, aux défis qui s’accumulent face aux armées françaises.

Sommaire

Pour autant, les arguments avancés pour expliquer ce manque d’ambition et de moyens, apparaissent raisonnables, avec un déficit public chronique ne parvenant que difficilement à passer sous la barre des 3 %, une dette souveraine s’approchant des 120 % de PIB, et une économie encore chancelante avec une croissance limitée et un chômage vivace, le tout venant caper les capacités d’investissements de l’État.

Alors, est-il illusoire de vouloir amener l’effort de défense français au niveau requis pour effectivement répondre aux enjeux sécuritaires ? Comme nous le verrons dans cet article, tout dépend de la manière dont le problème est posé.

Une LPM 2024-2030 à 2 % PIB est objectivement insuffisante pour répondre aux enjeux sécuritaires à venir

Si la LPM 2024-2030 s’enorgueillit d’une hausse inégalée des dépenses de défense sur sa durée, avec un budget des armées qui passera de 43,9 Md€ en 2023 à 64 Md€ en 2030, l’effort de défense, c’est-à-dire le rapport entre ces dépenses et le produit intérieur brut du pays, demeurera relativement stable, autour de 2 %.

Hélicoptère gazelle
Certains équipements des armées, comme les hélicoptères Gazelle, devront jouer les prolongations bien au-delà du raisonnable, du fait des limitations de la LPM 2024-2030

De fait, en de nombreux aspects, cette hausse annoncée des crédits sera en trompe-l’œil, puisqu’en grande partie compensée par les effets de l’inflation, comme ce fut d’ailleurs le cas lors de la précédente LPM, fortement érodée par celle-ci.

Dans un précédent article, nous avions montré qu’il serait nécessaire, pour la France, de produire un effort de défense supérieur ou égal à 2,65 % PIB pour répondre aux enjeux du moment. Depuis sa rédaction, plusieurs facteurs sont venus aggraver les menaces, donc le calendrier des besoins pour les armées, et avec eux, les besoins d’investissement.

Répondre au besoin de recapitalisation des armées françaises

D’abord, avec un effort à 2,65 % tel qu’il a été préconisé, la recapitalisation des armées françaises, après 20 années de sous investissements critiques, se voulait relativement progressive. En effet, le pic de menaces alors évalué se situait entre 2035 et 2040, ce qui laissait une quinzaine d’années à l’effort de défense pour combler les lacunes constatées, et remplacer les matériels les plus obsolètes comme les hélicoptères Gazelle, les Patrouilleurs Hauturier, et bien d’autres.

Or, le tempo s’est considérablement accru ces derniers mois, sous l’effet conjugué d’une Chine de plus en plus sûre d’elle dans le Pacifique, d’une Russie qui a renoué avec une puissance militaro-industrielle de premier ordre, d’un axe de fait qui s’est formé entre ces deux pays, l’Iran et la Corée du Nord, et la menace désormais très perceptible du retour de Donald Trump à la Maison-Blanche à l’occasion des élections présidentielles américaines de 2024.

Donald Trump
Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche est désormais une hypothèse crédible avec laquelle il convient de composer dans la planification stratégique en France comme en Europe.

En d’autres termes, là où l’on pouvait considérer un délai de 15 ans pour recapitaliser les armées françaises il y a quelques mois, il est aujourd’hui nécessaire de faire de même sur un délai sensiblement plus court, le pic de menace pouvant débuter entre 2028 et 2030.

Assurer la transformation conventionnelle vers le théâtre européen

Sur ce même intervalle de temps, les armées françaises doivent aussi assurer une profonde transformation d’une partie significative de leurs forces, pour répondre aux besoins spécifiques du théâtre centre-Europe face à la Russie.

En effet, à ce jour, une part majoritaire des armées françaises, et plus spécifiquement de l’Armée de Terre, est conçue et organisée pour répondre aux besoins de projection de puissance sur des théâtres dissymétrique, en Afrique notamment. Légères et très mobiles, ces unités ont démontré une grande efficacité en Irak ou dans la zone Sud-saharienne.

Toutefois, force est de constater que les VBCI, VAB et même les VBMR et EBRC plus récents, manquent de puissance de feu et de protection pour évoluer face à un adversaire symétrique comme peut l’être la Russie, alors que dans le ciel, les forces aériennes souffrent de ne disposer d’aucune capacité avancée de guerre électronique ou de suppression des défenses aériennes adverses.

Étendre les armées et leur résilience

Non seulement les armées françaises apparaissent « trop légères » pour un affrontement en Europe centrale, mais elles souffrent, dans le même temps, d’un format trop réduit pour envisager de s’engager dans un affrontement conventionnel symétrique. Ainsi, avec seulement 200 chars de combat, moins de 120 tubes d’artillerie, et au mieux, deux brigades lourdes pouvant répondre à ce type d’engagement, les armées françaises n’ont pas même la possibilité d’engager une division mécanisée sur un éventuel front oriental.

Garde nationale 24ᵉ régiment d'Infanterie
Le 24ᵉ RI est le seul régiment français exclusivement composé de réservistes. En revanche, il n’est que très légèrement équipés, ne disposant d’aucun véhicule de combat blindé en propre.

Pire encore, une fois les deux brigades engagées, l’Armée de terre ne dispose d’aucune réserve matérielle pour assurer la rotation des forces, alors qu’un effort a été fait lors de la LPM 2024-2030, pour tenter d’accroitre les forces de réserves, afin de renforcer la résilience humaine des armées.

La situation n’est guère meilleure dans les autres armées, avec une flotte de chasse limitée à 185 appareils pour l’Armée de l’air, un unique groupe aéronaval pour la Marine, et une flotte d’escorteurs de premier rang trop réduite pour effectivement assurer la sécurité des grandes unités majeures que sont le porte-avions et les 3 PHA.

Renforcer l’industrie de défense nationale

Si la guerre en Ukraine a montré, de manière évidente, les insuffisances de format des armées françaises, elle a aussi mis en évidence le sous-dimensionnement et la vulnérabilité de l’industrie de défense nationale, qui peine à produire ne serait-ce qu’une partie des munitions nécessaires à l’Ukraine pour tenir face à la puissance retrouvée du complexe industriel militaire russe.

Sur ce même intervalle de temps réduit allant jusqu’en 2028, 2030 au mieux, il serait donc aussi indispensable de reformater l’ensemble de l’outil industriel de défense français, afin de pouvoir répondre aux besoins de reconstruction et d’extension des armées, mais aussi de pouvoir soutenir, dans la durée, les opérations militaires des armées françaises engagées dans un conflit conventionnel symétrique.

Il convient aussi de prendre en considération que l’industrie française, par sa position géographique, et par le statut spécifique du pays disposant d’une dissuasion, pourrait avoir un rôle tout particulier à jouer pour soutenir les armées européennes dans un tel engagement, et pas uniquement les armées françaises, en charge d’une portion seulement de la ligne de défense.

Renforcer la dissuasion française face à la menace sino-russe

Enfin, il s’avère très probablement nécessaire de revoir le format et les moyens à disposition de la dissuasion française, aujourd’hui construite sur le principe de stricte suffisance, mais en temps de paix.

SNLA Le Triomphant
Le passage d’une flotte de 4 à 5 ou 6 SNLE s’avèrerait plus que bienvenue pour contrebalancer les 12 SNLE Boreï et Boreï-A russes.

En effet, la Russie a explicitement fait savoir qu’elle n’était plus engagée par les accords internationaux post-guerre froide, alors que la Chine est engagée dans un effort sans précédant pour renforcer sa triade nucléaire, et la mettre au niveau des Etats-Unis et de la Chine.

Ne pouvant écarter un possible retour de l’isolationnisme américain, et devant anticiper un engagement total des forces US dans le Pacifique face à la Chine, il revient donc à la France, et à la Grande-Bretagne, d’assurer le parapluie dissuasif des pays européens.

Or, pour ce faire, les deux pays souffrent d’un déficit de moyens pour contrer la menace russe qui peut s’appuyer sur une triade nucléaire forte de 12 SNLE (contre 8 franco-britanniques), de 110 bombardiers stratégiques (contre une vingtaine de Rafale/ASMPA français), et de plusieurs centaines de missiles ICBM et SRBM terrestres (contre 0 dans les deux pays).

Un effort de défense à 3 % PIB comme point d’équilibre entre besoins immédiats et à venir

Relever le défi préalablement esquissé, d’ici à 2030, nécessiterait une étude approfondie et un effort national dépassant de beaucoup le seul périmètre du ministre des Armées, mais aussi de cet article.

En revanche, sur la base d’un point d’équilibre moyen établit autour de 2,65 % de PIB, comme analysé dans de précédents articles, on peut estimer qu’un effort de defense transitoire à 3 % du PIB s’avèrerait nécessaire, dans les années à venir, pour financer l’ensemble des mesures requises pour y parvenir.

Effort de defense munitions Nexter
La production française de munition est très loin d’être suffisante pour permettre aux armées françaises de soutenir un engagement symétrique durable.

Or, dans la situation budgétaire actuelle du pays, qui peine déjà à financer les 45 Md€ des armées valant 2 % du PIB 2023, comment peut-on espérer amener cet effort de défense à 70 Md€ (2023), soit 3 % du PIB ?

Combien coute à l’État le budget des armées 2023 à 45 Md€ ?

Pour répondre à cette question, il convient dans un premier temps d’estimer la soutenabilité de l’effort de défense à 2 % du PIB en 2023, valant 45 Md€. Pour répondre à cette question, il est nécessaire d’introduire la notion de retour budgétaire, c’est-à-dire les recettes et économies budgétaires réalisées par sur le Budget de l’État, en application des investissements consentis sur le budget des armées.

La notion de retour budgétaire

Pour calculer ce retour budgétaire, il convient dans un premier temps d’effectuer une découpe synthétique du budget des armées, comme suit :

  • 20 Md€ pour les frais de personnels militaires et civils
  • 18 Md€ pour les acquisitions, R&D et entretient des équipements des armées
  • et enfin 7 Md€ pour la dissuasion, dont 3 Md€ pour les couts de personnels, et 4 Md€ pour les investissements industriels et technologiques.

De fait, on peut décomposer le budget des armées en deux catégories, 23 Md€ pour les couts de personnels, et 22 Md€ pour les investissements industriels. Or, chacune de ces catégories produit un retour budgétaire propre.

Ainsi, les recettes d’état concernant les dépenses de personnels peuvent s’évaluer au travers du taux de prélèvement moyen sur PIB français calculé par l’OCDE, qui s’élève à 47 % en 2022. Ainsi, les 23 Md€ qu’auraient dû investir les armées pour les couts de personnel en 2023 si l’effort de defense avait atteint 2%, auraient généré 10,8 Md€ de recettes fiscales et sociales dans le pays.

Les plus attentifs auront certainement remarqué que ce calcul prend en compte des recettes sociales qui, logiquement, ne s’impute pas au budget de l’État. Toutefois, dans la mesure où les comptes sociaux sont structurellement déficitaires en France, et compensés chaque année par le budget de l’État, il est possible, par simplification, de considérer que toutes les recettes s’appliquant aux comptes sociaux, diminuent d’autant la compensation de l’État chaque année, et donc s’imputent à son budget.

Calcul du retour budgétaire sur le budget théorique des armées 2023 à 2 % PIB

Le taux est sensiblement différent pour ce qui concerne les investissements industriels, et ce, pour plusieurs raisons. En premier lieu, le taux de TVA appliqué à toutes ces prestations est fixe à 20 %, là où le taux moyen de recette de TVA par rapport au PIB n’est que de 12 %. En d’autres termes, la simple application systématique d’un taux de TVA à 20 % fait croitre le taux de prélèvement moyen sectoriel appliqué à l’industrie de défens de 8 %, pour atteindre 55 %.

Industrie de défense Chaine d'assemblage Rafale
L’industrie de défense française s’appuie sur une chaine de sous-traitance riche et efficace. Ainsi, la team Rafale se compose de pas moins de 500 entreprises allant de groupes internationaux, comme Safran, Thales et Dassault, à des PME de quelques salariés.

En second lieu, l’industrie de défense est, par nature, beaucoup moins exposée que le marché national aux importations, de sorte que l’immense majorité de son réseau de sous-traitance est, lui aussi, national.

S’applique donc un coefficient multiplicateur de recettes supplémentaires pour l’état, que l’on peut aisément ramener par défaut à 65 % des investissements consentis, en lien avec le coefficient multiplicateur keynésien ramené à ce seul secteur industriel. Sur cette base, les 22 Md€ d’investissements industriels et technologiques des armées, génèrent donc 14,3 Md€ de recettes et économies sur le budget de l’État.

Ainsi, sur les 45 Md€ investis initialement par l’état, nous venons de montrer que le cout résiduel ne serait que de 45 – (10,8 + 14,3) = 19,9 Md€. Ce cout doit encore diminuer. En effet, les industries de defense françaises exportent, en moyenne chaque année, l’équivalent de 50 % des investissements nationaux réalisés.

Ainsi, si 22 Md€ sont investis par l’État, cette règle empirique, mais aisément confirmée sur les 20 dernières années, voudrait qu’en moyenne, les industries de defense françaises exportent chaque année pour 11 Md€ d’équipements de defense. Déduction faite de la TVA, et des productions locales, ces exportations rapportent 40 % des sommes investis en taxes et cotisations sociales au budget national, soit 4,4 Md€.

Au total, donc, sur les 45 Md€ investis, l’état récupère ou économise en moyenne 29,5 Md€, et ne doit abonder ce budget par d’autres sources de financement qu’à hauteur de 15,5 Md€.

Combien couterait à l’état un budget des armées (2023) à 3 % PIB (70 Md€)

Sur les mêmes hypothèses, il est possible de calculer quel serait le surcout réel engendré par une hausse de l’effort de defense de 2 à 3 % du PIB, soit un budget des armées à 70 Md€ sur la même hypothèse de travail 2023.

Leclerc VBCI VAB Armée de Terre
Avec seulement 200 chars Leclerc et 120 tubes d’artillerie, l’Armée de terre n’a pas la puissance de feu et la protection requise pour s’engager durablement sur un théâtre symétrique.

L’approche la plus triviale serait de s’appuyer sur une croissance homothétique des couts, c’est-à-dire des couts de personnels passant de 20 à 30 Md€, des couts industriels de 18 à 36 Md€, et une dissuasion passant de 7 à 14 Md€, dont 6 Md€ de couts de personnels. Ainsi poser, le reste à charge de l’État passerait de 19,5 à 29,25 Md€, soit une hausse de 9,75 Md€.

Cette hypothèse est pourtant aussi peu efficace que peu crédible. En effet, passer les dépenses de personnels totales de 23 Md€ à 36 Md€ n’aurait aucun sens, les armées ne parvenant déjà pas à remplir leurs objectifs de recrutement aujourd’hui. En outre, les besoins identifiés en début d’article, porte davantage sur de nouveaux équipements, et de nouvelles capacités industrielles et opérationnelles, que sur des forces simplement augmentées de 50%.

Hypothèse d’une croissance budgétaire optimisée

Prenons donc une hypothèse différente, à savoir des couts de personnels passés de 20 à 25 Md€, une dissuasion amenée à 10 Md€ dont 4 Md€ pour les personnels, et les investissements industriels et technologiques passant de 18 à 30 Md€. Ce découpage génère un investissement total RH de 29 Md€, pour un investissement industriel total de 36 Md€.

En appliquant les mêmes données que lors du calcul précédent, nous obtenons donc un retour budgétaire RH de 13,6 Md€, et un retour budgétaire industriel de 23,4 Md€, soit un total initial de 37 Md€. En reprenant l’hypothèse de croissance homothétique des exportations à 50 % des investissements industriels, nous atteignons 7,2 Md€ supplémentaires.

ordre serré
La ressource humaine est aujourd’hui la ressource la plus difficile à maitriser et à étendre pour les armées.

Au total, donc, les 70 Md€ initialement investis, couteraient un retour budgétaire de 44,2 Md€, soit un cout marginal de 25,8 Md€. En comparaison des 15,5 Md€, le surcout du reste à charge de l’État n’augmenterait que de 10,3 Md€.

Un surcout budgétaire de 10 Md€ surévalué

Ce solde est toutefois très supérieur à ce que le budget de l’État devrait effectivement supporter en termes de charges supplémentaires. En effet, en passant de 23 à 36 Md€ d’investissements, les industries de défense vont être amenées à créer de 100.000 à 130.000 emplois directs, et autant d’emplois indirects et induits, soit un total de 200.000 emplois créés en hypothèse basse, auxquels il convient d’ajouter 100.000 emplois supplémentaires liés à la hausse des exportations.

Ces 300.000 créations d’emplois vont, évidemment, venir alléger les dépenses sociales de l’état et des collectivités locales, en soutien aux chercheurs d’emplois. Avec un cout moyen par chercheur d’emplois estimé aujourd’hui autour de 15 000 € par an pour les différents services de l’État, ces 300 000 nouveaux emplois représentent 4,5 Md€ d’économies sur le budget de l’État.

Ainsi, le reste à charge net de l’état, pour avoir amener le budget des armées de 45 Md€ et 2 % du PIB, à 70 Md€ et 3 % du PIB, n’atteindrait que 6 Md€ par an, soit à peine plus de 0,27 % du PIB français.

Applications et contraintes du modèle présentée

Bien évidemment, l’approche proposée ici, n’est pas exempte de faiblesse. La plus évidente d’entre elles, est le fait de considérer qu’un constat empirique puisse être transposé comme une règle. Ainsi, si effectivement, sur les décennies passées, les exportations de l’industrie de défense française ont respecté, en moyenne, le principe des 50 % des investissements nationaux, rien ne garantit qu’une hausse des investissements dans ce domaine puisse être, automatiquement, suivi par une hausse similaire des exportations.

Défilé Maistrance
Les armées peinent de plus en plus à recruter des personnels qualifiés répondant à leurs attentes

Pour sécuriser cet aspect, il sera, en effet, nécessaire que les armées adoptent une stratégie d’équipement plus favorable aux exportations, et ainsi garantir que la hausse des crédits disponibles s’accompagne d’une hausse des marchés adressables par l’industrie de défense française.

On notera également que pour répondre aux enjeux sécuritaires, il sera nécessaire d’augmenter les effectifs des armées, par l’intermédiaire d’une extension rapide de la Garde Nationale. Cela suppose non seulement que la garde nationale vienne renforcer les unités existantes de l’armée de terre comme aujourd’hui, mais qu’elle puisse donner naissance à des unités autonomes et intégralement équipées, à l’instar de la Garde Nationale US.

En outre, il sera indispensable, dans cette hypothèse, aux armées technologiques, Marine nationale et Armée de l’Air, de mener une réflexion pour intégrer efficacement le potentiel RH de la Garde Nationale et de la Réserve, pour étendre les capacités opérationnelles, et pas simplement pour les suppléer.

Conclusion

On le voit, amener l’effort de défense de la France à 3 % du PIB, ce qui paraissait hors de portée des finances publiques à l’entame de cet article, semble bien plus accessible à la fin de celui-ci.

Pour y parvenir, il faut cependant accepter de profondément faire évoluer le paradigme fort encadrant l’effort de défense national, à savoir de ne considérer celui qu’au seul prisme des dépenses, sans jamais considérer, dans sa conception et son équilibrage, les recettes qui seraient générées par ces investissements.

Usine Sukhoï Su-57
La Russie s’est mise en économie de guerre, consacrant une part très importante de son PIB à la fabrication d’armement et au soutien des armées.

Ce dogme, hérité d’un gaullisme qui n’avait connu que la croissance forte et des budgets excédentaires, ne peut plus, aujourd’hui, répondre aux enjeux spécifiques qui encadrent le financement des armées françaises.

Toutefois, contrairement à de nombreux pays, la France dispose d’un atout pour augmenter ses dépenses et investissements dans ce domaine, une industrie de défense globale capable de produire la presque totalité des équipements de defense des armées. Cette industrie est, par ailleurs, largement exportatrice, et faiblement exposée aux importations, en faisant un outil exceptionnel en matière d’efficacité de l’investissement public.

Évidemment, 6 Md€ de surcouts, ce n’est pas rien, ce d’autant qu’il faudra très certainement une période de croissance et d’adaptation pour que les équilibrés évoqués se stabilisent. Pour autant, l’effort à consentir, pour effectivement transformer les armées françaises en une force de protection répondant aux enjeux du moment, apparait parfaitement à la portée des finances publiques d’un pays comme la France, qui plus est en les mettant en perspective des risques associés à l’inaction, ou à une action trop timorée.

Reste que si l’innovation technologique est plébiscitée au sein du ministère des Armées, et plus globalement, de la fonction publique, les modèles disruptifs venant bousculer des décennies de planification, certes inefficaces, mais confortable, sont beaucoup plus difficiles à imposer, ou simplement à faire valoir.

Article du 5 décembre en version intégrale jusqu’au 6 janvier 2024


Fabrice Wolf  Fabrice Wolf

Ancien pilote de l’aéronautique navale française, Fabrice est l’éditeur et le principal auteur du site Meta-defense.fr. Ses domaines de prédilection sont l’aéronautique militaire, l’économie de défense, la guerre aéronavale et sous-marine, et les Akita inu

Pourquoi amener l’effort de défense français à 3 % PIB couterait moins de 6 Md€ par an ?

Pourquoi amener l’effort de défense français à 3 % PIB couterait moins de 6 Md€ par an ?

De nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer les insuffisances de l’effort de defense français face à la montée en puissance des menaces internationales, alors que l’encre de la Loi de Programmation Militaire 2024-2030, votée en juillet dernier, est à peine sèche.

Entre le spectre d’une Chine surpuissante, la renaissance de la puissance militaro-industrielle russe, les perspectives pessimistes concernant la guerre en Ukraine, les tensions au Moyen-Orient et le possible retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, plus que jamais depuis la fin de la crise des Euromissiles, le rôle des armées françaises, pour garantir la sécurité du pays, mais aussi de ses alliés, est aujourd’hui crucial.

La LPM 2024-2030, en reprenant le format des armées conçu en 2013 par un Livre Blanc structuré autour d’une menace dissymétrique, et en ne visant que le plancher d’investissement fixé par l’OTAN de 2 % du PIB, ne répond ni en volume, ni dans son calendrier, aux défis qui s’accumulent face aux armées françaises.

Sommaire

Pour autant, les arguments avancés pour expliquer ce manque d’ambition et de moyens, apparaissent raisonnables, avec un déficit public chronique ne parvenant que difficilement à passer sous la barre des 3 %, une dette souveraine s’approchant des 120 % de PIB, et une économie encore chancelante avec une croissance limitée et un chômage vivace, le tout venant caper les capacités d’investissements de l’État.

Alors, est-il illusoire de vouloir amener l’effort de défense français au niveau requis pour effectivement répondre aux enjeux sécuritaires ? Comme nous le verrons dans cet article, tout dépend de la manière dont le problème est posé.

Une LPM 2024-2030 à 2 % PIB est objectivement insuffisante pour répondre aux enjeux sécuritaires à venir

Si la LPM 2024-2030 s’enorgueillit d’une hausse inégalée des dépenses de défense sur sa durée, avec un budget des armées qui passera de 43,9 Md€ en 2023 à 64 Md€ en 2030, l’effort de défense, c’est-à-dire le rapport entre ces dépenses et le produit intérieur brut du pays, demeurera relativement stable, autour de 2 %.

Hélicoptère gazelle
Certains équipements des armées, comme les hélicoptères Gazelle, devront jouer les prolongations bien au-delà du raisonnable, du fait des limitations de la LPM 2024-2030

De fait, en de nombreux aspects, cette hausse annoncée des crédits sera en trompe-l’œil, puisqu’en grande partie compensée par les effets de l’inflation, comme ce fut d’ailleurs le cas lors de la précédente LPM, fortement érodée par celle-ci.

Dans un précédent article, nous avions montré qu’il serait nécessaire, pour la France, de produire un effort de défense supérieur ou égal à 2,65 % PIB pour répondre aux enjeux du moment. Depuis sa rédaction, plusieurs facteurs sont venus aggraver les menaces, donc le calendrier des besoins pour les armées, et avec eux, les besoins d’investissement.

Répondre au besoin de recapitalisation des armées françaises

D’abord, avec un effort à 2,65 % tel qu’il a été préconisé, la recapitalisation des armées françaises, après 20 années de sous investissements critiques, se voulait relativement progressive. En effet, le pic de menaces alors évalué se situait entre 2035 et 2040, ce qui laissait une quinzaine d’années à l’effort de défense pour combler les lacunes constatées, et remplacer les matériels les plus obsolètes comme les hélicoptères Gazelle, les Patrouilleurs Hauturier, et bien d’autres.

Or, le tempo s’est considérablement accru ces derniers mois, sous l’effet conjugué d’une Chine de plus en plus sûre d’elle dans le Pacifique, d’une Russie qui a renoué avec une puissance militaro-industrielle de premier ordre, d’un axe de fait qui s’est formé entre ces deux pays, l’Iran et la Corée du Nord, et la menace désormais très perceptible du retour de Donald Trump à la Maison-Blanche à l’occasion des élections présidentielles américaines de 2024.

Donald Trump
Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche est désormais une hypothèse crédible avec laquelle il convient de composer dans la planification stratégique en France comme en Europe.

En d’autres termes, là où l’on pouvait considérer un délai de 15 ans pour recapitaliser les armées françaises il y a quelques mois, il est aujourd’hui nécessaire de faire de même sur un délai sensiblement plus court, le pic de menace pouvant débuter entre 2028 et 2030.

Assurer la transformation conventionnelle vers le théâtre européen

Sur ce même intervalle de temps, les armées françaises doivent aussi assurer une profonde transformation d’une partie significative de leurs forces, pour répondre aux besoins spécifiques du théâtre centre-Europe face à la Russie.

En effet, à ce jour, une part majoritaire des armées françaises, et plus spécifiquement de l’Armée de Terre, est conçue et organisée pour répondre aux besoins de projection de puissance sur des théâtres dissymétrique, en Afrique notamment. Légères et très mobiles, ces unités ont démontré une grande efficacité en Irak ou dans la zone Sud-saharienne.

Toutefois, force est de constater que les VBCI, VAB et même les VBMR et EBRC plus récents, manquent de puissance de feu et de protection pour évoluer face à un adversaire symétrique comme peut l’être la Russie, alors que dans le ciel, les forces aériennes souffrent de ne disposer d’aucune capacité avancée de guerre électronique ou de suppression des défenses aériennes adverses.

Étendre les armées et leur résilience

Non seulement les armées françaises apparaissent « trop légères » pour un affrontement en Europe centrale, mais elles souffrent, dans le même temps, d’un format trop réduit pour envisager de s’engager dans un affrontement conventionnel symétrique. Ainsi, avec seulement 200 chars de combat, moins de 120 tubes d’artillerie, et au mieux, deux brigades lourdes pouvant répondre à ce type d’engagement, les armées françaises n’ont pas même la possibilité d’engager une division mécanisée sur un éventuel front oriental.

Garde nationale 24ᵉ régiment d'Infanterie
Le 24ᵉ RI est le seul régiment français exclusivement composé de réservistes. En revanche, il n’est que très légèrement équipés, ne disposant d’aucun véhicule de combat blindé en propre.

Pire encore, une fois les deux brigades engagées, l’Armée de terre ne dispose d’aucune réserve matérielle pour assurer la rotation des forces, alors qu’un effort a été fait lors de la LPM 2024-2030, pour tenter d’accroitre les forces de réserves, afin de renforcer la résilience humaine des armées.

La situation n’est guère meilleure dans les autres armées, avec une flotte de chasse limitée à 185 appareils pour l’Armée de l’air, un unique groupe aéronaval pour la Marine, et une flotte d’escorteurs de premier rang trop réduite pour effectivement assurer la sécurité des grandes unités majeures que sont le porte-avions et les 3 PHA.

Renforcer l’industrie de défense nationale

Si la guerre en Ukraine a montré, de manière évidente, les insuffisances de format des armées françaises, elle a aussi mis en évidence le sous-dimensionnement et la vulnérabilité de l’industrie de défense nationale, qui peine à produire ne serait-ce qu’une partie des munitions nécessaires à l’Ukraine pour tenir face à la puissance retrouvée du complexe industriel militaire russe.

Sur ce même intervalle de temps réduit allant jusqu’en 2028, 2030 au mieux, il serait donc aussi indispensable de reformater l’ensemble de l’outil industriel de défense français, afin de pouvoir répondre aux besoins de reconstruction et d’extension des armées, mais aussi de pouvoir soutenir, dans la durée, les opérations militaires des armées françaises engagées dans un conflit conventionnel symétrique.

Il convient aussi de prendre en considération que l’industrie française, par sa position géographique, et par le statut spécifique du pays disposant d’une dissuasion, pourrait avoir un rôle tout particulier à jouer pour soutenir les armées européennes dans un tel engagement, et pas uniquement les armées françaises, en charge d’une portion seulement de la ligne de défense.

Renforcer la dissuasion française face à la menace sino-russe

Enfin, il s’avère très probablement nécessaire de revoir le format et les moyens à disposition de la dissuasion française, aujourd’hui construite sur le principe de stricte suffisance, mais en temps de paix.

SNLA Le Triomphant
Le passage d’une flotte de 4 à 5 ou 6 SNLE s’avèrerait plus que bienvenue pour contrebalancer les 12 SNLE Boreï et Boreï-A russes.

En effet, la Russie a explicitement fait savoir qu’elle n’était plus engagée par les accords internationaux post-guerre froide, alors que la Chine est engagée dans un effort sans précédant pour renforcer sa triade nucléaire, et la mettre au niveau des Etats-Unis et de la Chine.

Ne pouvant écarter un possible retour de l’isolationnisme américain, et devant anticiper un engagement total des forces US dans le Pacifique face à la Chine, il revient donc à la France, et à la Grande-Bretagne, d’assurer le parapluie dissuasif des pays européens.

Or, pour ce faire, les deux pays souffrent d’un déficit de moyens pour contrer la menace russe qui peut s’appuyer sur une triade nucléaire forte de 12 SNLE (contre 8 franco-britanniques), de 110 bombardiers stratégiques (contre une vingtaine de Rafale/ASMPA français), et de plusieurs centaines de missiles ICBM et SRBM terrestres (contre 0 dans les deux pays).

Un effort de défense à 3 % PIB comme point d’équilibre entre besoins immédiats et à venir


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Ces commandes d’armements prioritaires anticipées en 2023

Ces commandes d’armements prioritaires anticipées en 2023

– Forces opérations Blog – publié le

L’anticipation, un terme plusieurs fois visible dans le budget 2024 de la mission Défense et que le ministère des Armées a traduit en actes en avançant plusieurs commandes inscrites dans la prochaine loi de programmation militaire, principalement au profit de l’armée de Terre.

Pourquoi reporter à l’an prochain ce qui peut être anticipé dès maintenant grâce aux 2,1 milliards de crédits ouverts en fin de gestion 2023 au bénéfice des armées ? C’est le choix défendu ce mardi par leur ministre, Sébastien Lecornu. 

« Cette somme nous permet d’anticiper certaines commandes prioritaires, rendues possibles par l’économie de guerre », expliquait le ministre en séance publique au cours des débats entourant l’adoption du PLF 2024. Des achats financés par le budget 2023 et qui, en s’intégrant aux tableaux d’équipement de la LPM 2024-20203, « rendront la première année de programmation soutenable et efficace, quant à la masse des équipements comme pour leur cohérence », ajoutait-il.

Ainsi, 226 M€ de crédits de paiement ont permis l’acquisition de 130 missiles sol-air Mistral, de 1300 missiles antichars (MMP) et de six canons CAESAR. Si ces derniers permettront de progresser dans le renouvellement du parc, l’effort sur les MMP est lui aussi significatif. D’un bloc, le ministère aura commandé l’équivalent de plus de 40% de la cible fixée d’ici à 2030 pour l’armée de Terre. 

« Une deuxième série d’anticipations de commandes correspond aux différents contrats opérationnels votés dans le tableau du rapport annexé à la loi de programmation militaire », complétait Sébastien Lecornu. Un bloc de 639 M€ comprenant notamment la commande de 35 véhicules blindés Griffon mais aussi de huit hélicoptères NH90 au standard FS, un complément aux dix exemplaires déjà prévus « qui constituait l’une des grandes urgences identifiées durant la préparation de la LPM ».

Pour le ministre, ces décisions et la « digestion » rapide des crédits qu’elles impliquent participeront à « assurer la continuité entre la LPM qui s’achève et celle qui s’ouvrira en 2024 ». « Tirant les leçons du passé, nous avons veillé à assurer de bonnes conditions d’entrée à la première année de la LPM 2024-2030 », concluait-il. 

Crédits image: État-major des armées

Un effort sur les munitions d’artillerie en 2024

Un effort sur les munitions d’artillerie en 2024

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Inscrite dans la nouvelle loi de programmation militaire pour 2024-2030, l’inflexion consentie pour consolider les stocks de munitions des armées se précise au fil des auditions parlementaires relatives au budget 2024.

Cette nouvelle LPM pour 2024-2030, ce sont 16 Md€ inscrits pour les munitions toutes armées confondues, dont 2,6 Md€ pour l’armée de Terre. L’essentiel, soit 1,6 Md€, sera consacré aux munitions non complexes. Entre masse et haute technologie, l’enveloppe permettra l’achat de plus de 16 millions de munitions de petit calibre, 300 000 obus de mortier, 3000 missiles MMP, 2000 munitions téléopérées ainsi que plusieurs dizaines de milliers d’obus de 120 mm pour les chars Leclerc.

Les premiers effets seront ressentis l’an prochain. La ligne accordée aux équipements d’accompagnement et de cohérence atteindra alors 261 M€ en crédits de paiement. Soit une hausse de 7% par rapport à 2023 pour un effort de 17 M€ correspondant à « l’acquisition de munitions supplémentaires pour répondre aux besoins de la haute intensité », pointait ce matin le député Renaissance François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis sur les crédits alloués à la préparation et à l’emploi des forces terrestres. 

Ces crédits permettront d’entamer la remontée de certains stocks critiques, « en priorité les obus de 155 mm et de mortier de 120 [mm] », et d’amener les munitions d’entraînement nécessaires au durcissement et au réalisme des activités de préparation opérationnelle. 

Cette première annuité de la LPM actera notamment la mise en place de contrats-cadres, dynamique répondant au besoin de visibilité des munitionnaires. Elle annonce ainsi la notification d’un marché pluriannuel de munitions pour mortier de 120 mm. De quoi accompagner dans la durée la création de 21 sections de mortiers de 120 mm parmi les régiments d’infanterie ainsi que la montée en puissance du parc de Griffon MEPAC.

Au vu du contexte, les volumes annuels de certaines références sont désormais confidentiels. C’est le cas des obus d’artillerie de 155 mm, désormais l’objet d’une opération dédiée baptisée « munitions gros calibres » (MGC). Introduite par la LPM 2024-2030, celle-ci couvre l’acquisition de munitions de 155 mm au travers d’incrément successifs. La première étape s’est concrétisée cette année et se traduira par la livraison de lots dès 2024, année de lancement en réalisation d’un second incrément.

La discrétion devient également la norme pour les missiles MMP (Akeron MP) et Mistral. Seule certitude pour le premier, l’anticipation de commandes en 2023 « s’inscrivant dans une démarche d’économie de guerre » et l’augmentation de la quantité annuelle livrée, établie à 200 exemplaires en 2022. Les crédits 2024 permettront, enfin, l’acquisition de missiles air-sol Hellfire pour l’hélicoptère Tigre, projet pressenti au gré des annonces américaines.

Crédits image : armée de Terre

Projet de loi de finances 2024 Ce qu’il faut retenir

Projet de loi de finances 2024 Ce qu’il faut retenir

 

Le ministre des Armées a présenté le Projet de loi de finances (PLF) 2024, ce mercredi 11 octobre, devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat. Un budget en hausse de 7,5 % par rapport à 2023. Focus sur les 5 grands points à retenir.

Poursuivre la hausse des crédits

En 2024, le budget de la Défense s’élèvera à 47,2 milliards d’€ (hors pension), soit 3,3 milliards d’€ de plus que l’année précédente. Cette enveloppe représente une progression de 7,5% par rapport à l’année 2023. Pour la 7e année consécutive, le budget des armées française est en hausse mais cette marche de 3,3 milliards d’€ est la plus importante depuis 2017. Elle permettra de mettre l’accent sur les priorités définies avec le Parlement lors de la discussion sur la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 : « Au total, le budget de nos armées aura augmenté de 46 % entre 2017 et 2024. Cet effort considérable de la Nation pour sa défense nous oblige », souligne Sébastien Lecornu, ministre des Armées.

Poursuivre la réparation des armées et engager le chantier de leur transformation

Le PLF 2024 s’inscrit dans un mouvement engagé depuis 2017, qui vise à répondre à l’impérieuse nécessité d’engager la remontée en puissance de notre appareil militaire, pour faire face à la dégradation du contexte international. Il s’agit de réparer les composantes abimées par 3 décennies de désinvestissement budgétaire, désinvestissement engagé après la dissolution du pacte de Varsovie et la fin de la Guerre froide.

Le PLF 2024 est la première marche de la LPM 2024-2030 qui vise à moderniser et transformer nos armées pour leur permettre d’affronter tout le spectre des menaces actuelles et futures. À ce sujet, il fixe 6 priorités :

  •  Le renforcement de la préparation opérationnelle ;
  •  Le renforcement des capacités de soutien ;
  •   La modernisation des infrastructures ;
  •  La modernisation de notre dissuasion nucléaire ;
  •  La remontée globale des stocks de munitions et le renforcement des systèmes de défense sol-air ;
  • La fidélisation des personnels.

    Prioriser la cohérence à la masse pour remplir nos contrats opérationnels

    Devant la commission de la Défense et des Forces armées de l’Assemblée nationale, Sébastien Lecornu a tenu à rappeler qu’« il ne servirait à rien d’avoir des centaines de canons Caesar sur étagères, si nous n’avons pas les femmes et les hommes pour les armer, le MCO et les infrastructures pour les accueillir, les munitions, les heures de formations et d’entrainement opérationnel qui vont avec et enfin les moyens logistiques pour les déployer et les soutenir en opérations. »

Paris, le 12 octobre 2023

Ainsi, le PLF 2024 vient apporter une première réponse à une ambition forte de la LPM 2024-2030. Celle qui vise à agir conjointement sur différents leviers pour trouver la cohérence optimale de notre modèle d’armée plutôt que le caractère spectaculaire des commandes de masse sur les secteurs les plus visibles.
Pour l’année 2024, cette recherche de cohérence se traduit par la combinaison de 5 facteurs :

  • La livraison d’équipements majeurs : 13 Rafale, un sous-marin nucléaire d’attaque, une frégate de défense et d’intervention, 138 véhicules blindés Griffon et 103 véhicules blindés SERVAL ;
  • Le renforcement de la préparation opérationnelle : plus de matériels disponibles, plus de stocks de munitions, plus d’heures d’entrainement de « haut de spectre » ;
  • Une hausse nette des effectifs : 456 équivalents temps plein avec un ciblage assumé vers les secteurs prioritaires (soutien, cyber, renseignement, outre-mer…) ;
  • La montée en puissance de la réserve : recrutement dès 2024 de 3 800 réservistes avec des objectifs chiffrés à chaque échelon du ministère des Armées ;
  • La remontée en puissance des soutiens et des infrastructures. Préparer la guerre de demain

    Le contexte stratégique actuel se caractérise par l’apparition de nouveaux espaces de conflictualité que nos compétiteurs tentent de militariser. C’est notamment le cas du cyber, de l’espace et des fonds marins. À ce sujet, Sébastien Lecornu rappelle l’importance pour la France de réussir les sauts technologiques : « Rien ne serait plus dangereux que de nous préparer à la guerre de demain avec les moyens d’hier. Préparer les guerres de demain ne se mesure pas uniquement à l’aune des montants investis. Il s’agit également de s’organiser pour anticiper et innover. »

    Le PLF 2024 consacre donc, près de 600 millions d’€ pour renforcer notre présence dans l’espace, grâce notamment au lancement du satellite d’observation CSO ou encore 500 millions d’€ pour le renseignement.

    Le conflit en Ukraine nous a confirmé l’importance des drones et des munitions téléopérés. Il s’agit, dès 2024 de commencer à financer les ruptures technologiques pour permettre à la France de devenir leader dans les prochaines années. Près de 430 millions d’€ seront mis sur la table soit une hausse de 43% par rapport à 2023 avec la livraison de 8 drones sous-marins et de 4 drones Patroller.

    En 2024, anticiper et financer les sauts technologiques consistera à poursuivre une politique de recherche et de développement ambitieuse dans des domaines clés où les armées françaises ont plutôt pris de l’avance. Il s’agit de l’intelligence artificielle et de l’ordinateur quantique.

    Pour l’intelligence artificielle, le PLF 2024 va déployer 100 millions d’€ pour accélérer la cartographie des fonds marins et surtout pour commencer le déploiement d’Artemis IA. Cette plateforme de traitement de données massives renforcera considérablement les capacités d’analyse de la Direction du renseignement militaire et du Service de santé des armées.

    Aviver les forces morales de nos armées et de la Nation

    L’importance de la réussite des sauts technologiques ne doit pas nous faire oublier une réalité permanente des enjeux de défense. La guerre était, est et sera toujours létale. A travers la longue histoire de la France, ses chefs militaires les plus prestigieux n’ont jamais manqué de souligner l’importance des forces morales et du lien entre les armées et la Nation. Dans ce domaine, le PLF 2024 vise à conforter une spécificité française : nous sommes aujourd’hui l’un des rares pays occidentaux à accepter d’avoir des morts dans nos rangs, pour remplir les missions qui nous sont confiées.

    A ce sujet, le PLF 2024 fixe trois priorités :

  • La reconnaissance de la Nation à ses soldats en renforçant notamment l’accompagnement des blessés ;
  • La transmission de l’esprit de défense aux plus jeunes ;
  • La participation des armées aux grands évènements qui réuniront la Nation en 2024. Il s’agit notamment

    du 80e anniversaire du Débarquement et de la Libération ainsi que les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024.

Nb : Plaquette « Projet de Loi de Finances 2024 » en annexe.

Projet de Loi de Finances 2024 plaquette

Loi de programmation militaire : chronique d’une étrange défaite

Loi de programmation militaire : chronique d’une étrange défaite

La Loi de programmation militaire adoptée permettra de panser partiellement les plaies de l’armée mais pas d’assurer son développement, la France continuant à faire reposer sa sécurité majoritairement sur sa dissuasion nucléaire et sur l’Alliance atlantique.

Une image tirée de Unsplash

Par Romain Delisle – Contrepoints – Publié le 8 octobre 2023

https://www.contrepoints.org/2023/10/08/465045-loi-de-programmation-militaire-chronique-dune-etrange-defaite


Un article de l’IREF

En 1934, le général de Gaulle, alors simple colonel, avait publié un livre visionnaire, intitulé Vers l’armée de métier, sur l’état de l’armée française, et sur la nécessité de constituer une force blindée autonome pour percer les lignes ennemies.

À l’époque, la hiérarchie militaire et les gouvernements successifs avaient préféré parier sur la ligne Maginot pour défendre la frontière nord-est, route de toutes les invasions. Le maréchal Pétain notamment, avait écrit une préface au livre du général Chauvineau[1] pour appuyer l’option défensive de ce qui sera plus tard appelé la « maginotisation » de la France.

Cet exemple est assez révélateur de l’ambiance éthérée et confiante dans une paix perpétuelle, dont l’armée a été la victime, qui a sévi dans notre pays au moins jusqu’aux attentats de 2015, date à laquelle les coupes budgétaires sur la défense ont commencé à être freinées.

En avril 2023, deux mois après son annonce, le projet de loi de programmation militaire a été inscrit à l’ordre du jour du Conseil des ministres, puis voté sans trop d’encombres à la fin de la session parlementaire.

Dans le contexte de tensions internationales consécutives à l’invasion de l’Ukraine, il était très attendu et devait permettre la modernisation de notre outil de défense pour faire face aux fameux « conflits de haute intensité ».

Jusqu’en 2015, la Grande Muette a été la variable d’ajustement budgétaire de l’État

En mars 2023, les sénateurs Joël Guerriau et Marie-Arlette Carlotti avaient rendu un rapport pointant du doigt la baisse des effectifs et des équipements depuis la suspension du service militaire.

Depuis 2002, c’est-à-dire au moment où les effets de sa professionnalisation se sont dissipés, l’armée a perdu plus de 70 000 équivalents temps plein, l’effectif global n’étant plus que de 270 000 personnels civils et militaires. Aucun autre ministère n’a été capable de réduire ainsi ses effectifs, les autres administrations publiques embauchant même plus de 700 000 agents durant la même période.

À titre d’exemple, sous le mandat de Nicolas Sarkozy, entre 2009 et 2012, le nombre de postes a diminué de 7,1 %, contre 5,4 % pour le reste de la fonction publique d’État. En fait, l’armée a été sacrifiée parce qu’elle n’est jamais source de troubles sociaux ou de grèves en tous genres qui émaillent l’actualité hexagonale de manière récurrente.

Cette déflation d’effectifs pose de nombreux problèmes de cohérence et engendre un déficit de compétences dans certains domaines comme le déminage d’un champ de bataille, la protection des bases aériennes, ou la mécanique aéronautique.

En vingt ans, les équipements ont également fondu.

L’armée de terre a perdu près de 400 chars de combat (654 contre environ 220 aujourd’hui) et plus de trois quarts de ses canons (231 contre 58 canons CAESAR actuellement) ; la marine est passée de 87 navires à 79, l’armée de l’Air a également perdu près de 200 avions de chasse (387 contre 195), la moitié étant encore constituée de Mirages 2000 en voie d’obsolescence.

Comme nous l’avons déjà souligné, cette situation délétère a été la cause d’impréparation et de ratés dans de nombreux domaines, comme celui des drones ou des stocks de munitions.

Les trous capacitaires de l’armée française ne devraient pas être résorbés en 2030

Partant de ce constat, un arbitrage politique devait être effectué pour moderniser les forces armées tout en augmentant un minimum sa masse.

Or, selon un autre rapport du Sénat, il se susurre dans les travées du pouvoir que « le retour d’expérience de la guerre en Ukraine n’est qu’un élément de réflexion parmi d’autres »…

La Loi de programmation se contente donc de pallier les manques observés depuis 20 ans, sans véritable augmentation de la force de frappe de nos armées, et ce malgré 268 milliards d’euros consacrés aux équipements, contre 172 pendant la période de la précédente loi.

Un chiffre visiblement insuffisant eu égard à la baisse programmée du nombre de Rafales de l’armée de l’Air à 135, contre 185 actuellement, ou encore de celui des A 400 M (35 contre 50) et chars Leclerc (200 à 160). Le nombre de véhicules initialement prévus par le programme SCORPION (synergie du contact renforcée par la polyvalence et l’infovalorisation) baisse également de 21 % pour le Griffon et le Jaguar, et de 30 % pour le Serval (véhicules blindés de transports de troupes, de reconnaissance et d’appui feu).

Autre exemple : la Marine nationale ne dispose que de 6 bâtiments de lutte anti-mines, soit autant que la Belgique ou les Pays-Bas, alors que notre pays possède la deuxième ZEE (zone économique exclusive) mondiale…

Il est patent que le gouvernement a centré ses choix sur le renseignement (+60 % de budget, soit 5,4 milliards), la cyberdéfense et la dissuasion nucléaire (dont le budget annuel passe de 5,6 à 7 milliards), et ce au détriment du combat direct.

Notons toutefois que, indépendamment des arbitrages financiers opérés ces dernières années, l’armée française a su conserver la majeure partie de ses compétences, dans un format extrêmement réduit mais permettant, le cas échéant, de les recouvrer à moyen terme. L’interopérabilité des armes et des munitions utilisés au sein des pays membres de l’OTAN facilite également la mise sur pied d’une coalition dans des délais relativement brefs, leur supériorité sur le champ de bataille ayant pu être observé lors de la guerre en Ukraine.

En somme, la Loi de programmation militaire adoptée permettra de panser partiellement les plaies de l’armée mais pas d’assurer son développement, la France continuant à faire reposer sa sécurité majoritairement sur sa dissuasion nucléaire, nouvelle ligne Maginot du XXIe siècle.

Dans le cadre d’une potentielle coalition militaire, le risque est de la voir perdre de son influence du fait de la faible ampleur de ses moyens conventionnels, en particulier si nos ennemis n’avaient pas la gentillesse d’attendre la fin de l’exécution de la prochaine Loi de programmation militaire en 2030. Dans un contexte de hausse effrénée de la dépense publique, il est difficile de comprendre que la sécurité des Français n’ait pas été une priorité pour les gouvernants successifs, justifiant la phrase prémonitoire du maréchal de Saxe : « Nous autres, militaires, nous sommes comme des manteaux dont on ne se souvient que quand vient la pluie ».

[1] Dont le titre était : Une invasion est-elle encore possible ?

LPM 2024-2030 : « rupture maîtrisée » ou « continuité vigilante » ?

LPM 2024-2030 : « rupture maîtrisée » ou « continuité vigilante » ?

 

Votée le 1er août 2023, la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 se substitue à la LPM 2019-2025, dont les deux dernières annuités avaient été laissées dans le flou.

Comme les précédentes, cette loi comporte une prévision de ressources financières année après année, une présentation générale de son contenu physique (effectifs, normes de préparation opérationnelle, équipements) et des dispositions normatives diverses, qui ne sont pas l’objet principal des commentaires qui suivent.

Un rappel préliminaire des limites de tout exercice de programmation budgétaire militaire n’est pas inutile, d’autant que quelques spécificités sont identifiables pour celui-ci.

  • Stricto sensu, les LPM ne s’imposent pas aux budgets annuels successifs, et, dans le passé, rares ont été les lois qui ont tenu leurs engagements. Force est cependant de constater que, jusqu’en 2023, la loi 2019-25 a tenu les siens année après année, tandis que le tuilage des deux lois sur 2024-25 se fait à une hauteur supérieure par rapport aux attentes initiales (3,3, puis 3,2 milliards, en regard des deux marches de 3 milliards attendues).
  • La loi « saute » l’élection présidentielle et les législatives de 2027 ; elle prévoit une actualisation en 2027. La période 2027-2030 reste donc soumise aux aléas de ces échéances. C’est un principe démocratique difficilement contestable !
  • De même que celles qui l’ont précédée depuis environ 25 ans, cette LPM est exprimée en crédits de paiement et ne comporte ni enveloppe ni échéancier d’autorisations de programme. D’un point de vue strictement financier, elle traduit donc une capacité à « payer des factures » et non à « passer des commandes ».
  • Dans ces conditions, il est normal de constater, comme cela a été fait avec une certaine approche polémique, qu’une grande partie des ressources de la loi servira à payer les commandes ou une partie des commandes des années passées. Si l’on prend également en compte le socle des « dépenses contraintes » du ministère (effectifs, entretien du patrimoine), il est tout aussi normal que seulement un quart à un tiers des crédits de paiement votés soient disponibles pour payer, en seconde partie de la loi, des besoins ou des commandes nouvelles. C’est la logique de la programmation en crédits de paiement.
  • Enfin, s’agissant des commandes et livraisons, cette loi ne prévoit aucun échéancier, seulement des cibles d’équipement à terminaison de la loi (même si ce calendrier existe sans nul doute dans les documents de travail du ministère). Cela peut s’expliquer par des annuités initiales qui, bien qu’en forte hausse, restent insuffisantes pour faire face aux commandes volumineuses des deux LPM précédentes et à l’incertitude créée par l’arrivée de besoins nouveaux urgents. D’ailleurs, pour la première fois, le concept de « marge frictionnelle » a été mis en avant par le Secrétaire général pour l’administration du ministère[1]: les aléas dans le déroulement des programmes, d’équipement comme d’infrastructure, permettent d’anticiper une certaine marge de gestion, qui rend inutile de fixer avec précision les flux de paiement, surtout en fin de période. C’est une réalité, au même titre que la « friction clausewitzienne » dans la conduite de la guerre !
  • On peut également noter que contrairement à la précédente, cette loi ne comporte pas d’échéancier de réduction du report de charges, sans doute une précaution vis-à-vis des effets attendus de l’inflation, dont l’impact sur le pouvoir d’achat du ministère a été intégré à hauteur de 30 milliards sur la période. 

Quelles sont les données brutes de la loi ?

Le maître mot de cette LPM est la « cohérence » entre toutes les composantes des capacités militaires. C’est au titre de cette cohérence que des étalements de livraisons touchent plusieurs des grands programmes en cours de réalisation, au bénéfice des munitions, des stocks de rechanges, de la préparation opérationnelle ou du lancement de nouveaux programmes dont le besoin est issu de l’observation du conflit en Ukraine, et d’autres tensions géopolitiques.

En augmentation de 40% par rapport à la précédente[2], l’enveloppe globale prévoit 400 milliards d’euros[3], avec un complément de 13,3 milliards de ressources extra-budgétaires (REX), dont plus de la moitié proviennent des remboursements de l’Assurance maladie de droit commun pour le fonctionnement du service de santé des armées. Le reliquat est fourni par les sources habituelles (produits de cessions de matériels ou d’aliénations immobilières). Le recours aux REX étant élevé en début de période, la discussion du texte a conduit à prévoir une clause de sauvegarde inscrite dans la loi : dans l’hypothèse où les ressources extra-budgétaires ne seraient pas à la hauteur des attentes une année donnée, le manque serait compensé par la loi de finances suivante, autre explication possible de l’absence de dispositions sur le report de charges. Un point d’attention, car l’inventivité budgétaire n’a pas de limite !

Le budget des armées passe ainsi de 43,9 milliards en 2023 à 47,2 milliards en 2024, en visant 67,4 milliards en 2030, soit une progression de plus de 50% par rapport à 2017, en euros courants. Les marches successives se situent entre 3,2 et 3,5 milliards selon les années[4].

Nul doute que les commentaires iront bon train pour comparer ce budget à celui des alliés anglais et allemands qui affichent des dotations plus importantes. Cependant, les différences dans l’équilibre entre les différentes composantes de ces budgets incitent à la prudence sur l’efficience des euros allemands et des livres anglaises, et aucun de ces deux pays n’a un « agrégat équipements » pesant plus de 50% de son budget[5].

Il est à noter que sous la pression du Sénat, les échéanciers initiaux ont été modifiés, ramenant 2,3 milliards vers l’avant sur la période 2024-2027. Ce décalage n’a pu être fléché que sur des besoins à faibles délais de réalisation (préparation opérationnelle, munitions, MCO) que des autorisations d’engagement suffisantes devront rendre possibles.

La loi et son rapport annexé mettent en avant des « efforts » qui sont autant d’axes de la communication ministérielle, permettant aux non spécialistes et au grand public de mettre du corps en regard de l’effort financier.

Dans le domaine capacitaire, sur la période de programmation, ces efforts sont les suivants (en milliards) :

Innovation 10
Renseignement 5
Défense sol-air 5
Cyber 4
Espace 6
Drones 5

En outre, quelques thématiques sont mises en avant, mais avec des recoupements avec les domaines capacitaires ci-dessus ou des programmes d’équipement mentionnés par ailleurs…

Munitions 16 (+45%)
Outre-mer 13
Forces spéciales 2

Le MCO est doté de 49 milliards, avec la reprise ad nauseam des incantations habituelles pour « des efforts de négociation rénovée entre les services de soutien et l’industrie, pour atteindre des niveaux de disponibilité plus élevés, une meilleure réactivité dans la fourniture des pièces de rechange, à coûts maîtrisés »

Pour les effectifs, 6 300 postes seront ouverts pendant la période couverte par la loi (portant les effectifs à 275 000 militaires et civils en 2030). Un effort est également promu concernant la réserve, avec un objectif de 80 000 en 2030 (puis 105 000 en 2035), et comme slogan ministériel « un réserviste pour deux militaires d’active »[6].

Prenant acte de la fin annoncée des grandes opérations en Afrique et des réflexions en cours sur l’opération Sentinelle, la loi réduit la dotation budgétaire pour les OPEX/MISSINT de 1 200 à 750 millions d’euros annuels.

Enfin, ni le Service national universel (SNU), ni le coût budgétaire de l’aide militaire à l’Ukraine ne sont inclus dans le texte et les dotations de la LPM. 

Quatre questions sur cette loi… 

Première question : rupture ou continuité ? 

Quasi unanimes ont été les responsables politiques, militaires, économiques, et nombre d’experts et d’observateurs également, à considérer que le « 24 février 2022 » marquait une rupture dans l’ordre mondial. C’est un fait indéniable, bien plus que le traumatisme du « 11 septembre 2001 ».

Présentée à l’automne 2022, la revue nationale stratégique (RNS) reprenait les orientations de celles de 2017, puis 2021, qui actaient l’évolution des menaces et le risque de glissement stratégique face à des États s’éloignant des normes des relations internationales mises en place à la fin de la Seconde Guerre mondiale et qui s’étaient maintenues, vaille que vaille, tout au long de la Guerre froide, puis de la recomposition géopolitique qui lui avait succédé.

Dans le contexte stratégique actuel, sans renier les engagements vis-à-vis de ses alliés, l’OTAN principalement comme le montre son action dans la suite de l’invasion russe en Ukraine, la France met en avant sa stratégie de « puissance d’équilibres » (avec un S)… Si la loi acte certaines évolutions capacitaires tirées de l’observation du conflit ukrainien, celles-ci demeurent marginales et ne font qu’accélérer des tendances déjà lancées. Plus que la capacité à s’engager massivement dans un « conflit de haute intensité » face à un acteur majeur, c’est l’option « gagner la guerre avant la guerre » qui prévaut, concept bâti par les armées elles-mêmes il y a peu.

Dans ce cadre, la dissuasion nucléaire autonome reste le pilier central de la défense nationale et constitue en fait l’effort réel de cette LPM, comme celui de celles qui l’ont précédée. Compte tenu des programmes en cours de réalisation et de leur environnement, la dissuasion appellera chaque année des ressources grandissantes, sans doute au-delà des 5,6 milliards du budget 2023. Conjuguée avec l’accent mis sur les outre-mer et l’Indo-Pacifique, elle a mécaniquement un effet d’entraînement sur les programmes conventionnels de la Marine, et dans une moindre mesure de l’armée de l’Air et de l’Espace.

La dissuasion nucléaire reste au cœur de la défense nationale pour des raisons qu’il ne faut pas négliger :

  • Elle est le fondement du positionnement stratégique « d’équilibre » de la France depuis le retour aux affaires du général De Gaulle, même si au fil des décennies le vocabulaire a évolué.
  • À ce titre, personne ne peut prendre la responsabilité de passer au compte des pertes et profits les investissements colossaux qui lui ont été consacrés depuis plus soixante ans.
  • Ce d’autant que la souveraineté de la dissuasion nucléaire est le premier facteur de la souveraineté de l’industrie de défense nationale, dans les domaines nucléaire, naval, aéronautique, électronique au sens très large, spatial… en dépit de ses évolutions capitalistiques.
  • Enfin, et c’est sans doute le fait nouveau du « 24 février 2022 », le comportement de la Russie a redonné toute sa place à la « dialectique du nucléaire » avec ce pays.

L’analyse stratégique qui sous-tend cette loi n’occulte pas le risque d’être confronté un jour à un engagement débouchant sur les formes les plus exigeantes et violentes du combat conventionnel ; mais c’est surtout la dissémination rapide de technologies militaires très vulnérantes parmi un nombre croissant d’acteurs au profil indéterminé qui caractérise ce risque.

Face à des acteurs étatiques, la France mise sur la dissuasion nucléaire et son appartenance active à l’OTAN pour anticiper et éviter un engagement majeur destructeur et de longue durée. C’était d’ailleurs déjà la doctrine gaullienne lors de la guerre froide.

Par conséquent, au risque de décevoir tous ceux qui appelaient à l’urgence de « préparer la guerre de masse », la LPM poursuit sur la voie d’un modèle d’armée complet, unique en Europe et cousin lointain du modèle américain[7].

Confrontée à la réalité des ressources, même en augmentation, l’ambition de ce modèle (dissuasion nucléaire autonome, capacité spatiale complète, armées professionnalisées, « blue water Navy », capacité de projection stratégique, déploiement important et permanent sur cinq continents) ne peut que le faire apparaître en permanence imparfait ou du moins en construction…

C’est à ce titre que l’on peut identifier les grandes orientations capacitaires que porte la LPM 2024-30, dans la continuité, et non la rupture, si tant est qu’elle puisse être possible.

  • La préservation du modèle d’armée complet, plus par construction évolutive que par grandes ruptures, avec, inflexion notable, un rejet de la course à la masse au bénéfice de la cohérence capacitaire (le « DORESE »[8] mis en avant de longue date au sein de l’armée de Terre). Le prix à payer est le ralentissement de certains programmes majeurs.
  • Cette inflexion se traduit par des objectifs ambitieux en matière de réactivité d’engagement d’un volume plus important de forces des trois armées (ENU-R, FIRI…)[9], d’où l’accent mis sur les soutiens, les munitions et l’entraînement.
  • L’attachement à la capacité d’engagement et de « nation-cadre » au sein d’une coalition, prioritairement au sein de l’OTAN, capacité qui passe par les moyens de commandement et d’appuis au sens large.

Deuxième question : la loi prend elle en considération de « nouvelles menaces » ?

Les « nouvelles menaces » ont été décrites lors des exercices d’évaluation stratégique successifs et rappelées par la RNS 2022, la guerre russo-ukrainienne n’ayant en fait été qu’une concrétisation de certaines d’entre elles. Leur analyse était à l’origine de la stratégie de « gagner la guerre avant la guerre », afin de ne pas se laisser entraîner dans des spirales de confrontation nécessitant des moyens hors de portée.

En effet, le choc provoqué par l’irruption d’un conflit européen digne de la Seconde Guerre mondiale ne doit pas occulter les autres sources d’inquiétude pour la sécurité nationale et celle de l’Europe. On peut citer : les tensions dans l’espace Indo-Pacifique, la course mondiale aux capacités spatiales, l’échec relatif ou total de « la lutte contre le terrorisme » et le retrait qui s’en suit des Occidentaux de certaines parties du monde[10], l’exploitation des fragilités des sociétés européennes, ouvertes, transparentes et placées « hors du monde cruel » par plus de soixante-dix ans de paix interne.

Au niveau stratégique, la LPM 2024-30 poursuit les efforts entamés depuis une dizaine d’année dans les domaines du renseignement et des capacités regroupées sous le terme « cyber ». Comme pour le spatial, ces capacités ne sont plus considérées comme des « facilitateurs » des autres capacités, mais au contraire comme des moyens à placer au centre des modes d’action, y compris dans leur emploi offensif. Il en va de même de l’action dans les champs dit « immatériels ».

Toujours au niveau stratégique, la capacité de projection lointaine de volumes de forces bien calibrés relève également de cette stratégie. Qu’il soit nucléarisé ou non, un acteur étatique sera toujours plus réticent à engager la confrontation violente s’il sait d’emblée qu’il sera confronté aux forces d’une puissance nucléaire, qui plus est agissant dans le cadre de l’OTAN.

La projection graduelle des moyens décrits dans le rapport annexé, depuis les premiers modules du l’ENU-R jusqu’à la division à trente jours (pour ne parler que du domaine terrestre), joue en quelque sorte le rôle que le 2e corps d’armée stationné en Allemagne jouait durant la guerre froide : démontrer l’acceptation d’une confrontation conventionnelle pouvant déboucher sur des extrêmes mal définis (c’est la finalité du dispositif de « réassurance » aux confins orientaux de l’Europe auquel la France participe depuis une dizaine d’années. C’est également celle des déploiements aéronavals lointains dont la capacité est régulièrement démontrée, comme l’exercice réalisé en Indo-Pacifique pendant l’été 2023).

On peut dire la même chose de la capacité d’action dans les grands fonds marins qui, de prime abord, peut laisser perplexe. Comment peut-on avoir la prétention de savoir protéger l’ensemble les capacités numériques qui transitent par le réseau tentaculaire des câbles sous-marins ? L’intérêt n’est-il pas plutôt d’affirmer une capacité de créer un risque de contact direct dans ce nouvel espace de « guerre hybride », au-delà de la mise en évidence de la preuve ?

Au niveau tactique, le choc des images a donné aux opérations terrestres du conflit russo-ukrainien un écho propice à l’emballement des enseignements… Les effets meurtriers de puissants feux d’artillerie, la réduction des villes en tas de ruines, le blocage de toute progression par le minage intensif, autant de réalités qui renvoient aux images d’un lointain passé et à des capacités massives abandonnées en France faute de moyens (y compris humains) ou du fait des lois internationales (comme les mines).

Si l’approche par la masse est sans nul doute possible abandonnée par la stratégie de « gagner la guerre avant la guerre », la capacité de constituer des modules de forces plus agressifs, mieux appuyés et soutenus semble bien au cœur des efforts de la loi au titre de la cohérence déjà évoquée. Et quoique l’on en pense, l’effort à fournir ne doit pas être sous-estimé : pour l’armée de Terre, il faudra dès 2027 disposer de la capacité d’engagement d’une division à deux brigades à trente jours, avec en 2030 une capacité de la relever. C’est un objectif ambitieux dont il faudra suivre la réalisation tout au long de la période de programmation, en se souvenant que la projection durant l’hiver 2022 d’un bataillon en Roumanie, si elle a été rapide n’en a pas moins nécessité de faire appel à 80 points de perception pour réunir ses équipements[11].

Les autres armées ont également des objectifs ambitieux. Si la nature de leurs milieux d’évolution, plus homogène que le milieu terrestre, peut paraître leur créer moins de difficultés, les distances et la permanence seront leurs défis. En effet, alors que les forces terrestres doivent se préparer à des actions de force en Europe et au Moyen-Orient, les outre-mer et l’Indo-Pacifique prennent désormais une importance inédite dans les stratégies navale et aérienne.

Toujours au niveau tactique, un autre effet des moyens inscrits dans la loi réside dans ce que l’on pourrait qualifier de « descente » des capacités nouvelles (renseignement, cyber, influence, champs immatériels…) vers la plupart des niveaux tactiques. Sa concrétisation la plus visible est la « dronisation » de tous ces niveaux, y compris des cellules de base que sont, dans l’armée de Terre, le groupe de combat de 10 hommes ou le véhicule blindé. On pourrait en dire autant de la « guerre électronique ». D’où l’évolution des systèmes de commandement annoncés dans le prolongement de ces choix.

Il y a ici une question subsidiaire à poser : Quid des menaces anciennes ?

Les deux grands glissements stratégiques des dernières années, résurgence de la confrontation OTAN/Russie, militarisation progressive des tensions avec la Chine en Indo-Pacifique, n’ont pas pour autant fait disparaître les vecteurs des menaces ou des risques de crise qui ont marqué les engagements des armées françaises pendant trente ans depuis la chute du mur de Berlin.

Pour reprendre une question posée récemment par l’animateur d’un blog très suivi[12] : Est-on certain qu’en 2035, l’adversaire le plus probable ne sera pas toujours le terroriste (ou trafiquant) africain, armé d’une kalachnikov, d’IED et d’un smartphone avec une bonne liaison internet ?

Certes le désengagement du Sahel, la nouvelle stratégie africaine, une appréciation différente du risque sur le territoire national laissent aujourd’hui envisager le contraire, et la réduction des dotations budgétaires pour les OPEX va dans ce sens. Mais rien ne dit que la conjonction de la mauvaise gouvernance dans de nombreux pays, des tensions interétatiques, des effets dramatiques du dérèglement climatique sur des populations souvent pauvres, fragiles et de plus en plus nombreuses, notamment au sud du Sahara, n’ouvriront pas à nouveau un cycle d’engagements peut-être moins puissants mais toujours compliqués.

Bien sûr, des armées qui occupent le haut du spectre capacitaire ne devraient pas avoir de difficultés à s’engager un cran en dessous, « qui peut le plus, peut le moins »… À voir ! En tout cas, à surveiller, au travers de la formation, de l’entraînement, de certains équipements, de la doctrine d’emploi des forces spéciales et de leur environnement, ainsi que, pour l’armée de Terre, de l’atteinte de la capacité de maintenir une brigade interarmes disponible pour intervenir sur quatre théâtres d’opérations « secondaires ».

Troisième question : quels sont les effets de la loi sur l’écosystème de production des équipements militaires ?

Pour être caricatural, on peut confondre cet écosystème avec l’expression péjorative de « lobby militaro-industriel », heureusement tombée quelque peu en désuétude.

Destiné à produire les équipements constitutifs des capacités militaires et leur soutien, il regroupe et articule, d’une part les acteurs publics et leurs procédures, d’autre part le tissu industriel impliqué dans la défense, avec ses caractéristiques capitalistiques.

La loi inscrit d’emblée parmi ses objectifs la souveraineté de l’industrie de défense nationale. Ce terme doit être bien compris comme le souci qu’aura plus que jamais l’État français de maîtriser les capacités industrielles et de les piloter prioritairement dans le sens de ses intérêts. La création d’une « direction de l’industrie de défense » au sein de la DGA se rattache à cette priorité.

L’existence même de la programmation militaire fournit le cadre d’élaboration d’une vision partagée de l’avenir par l’administration (armées, DGA, ministère du budget) et l’industrie. La mise au point d’une LPM vise à fournir un outil de pilotage cohérent du déroulement des programmes d’équipement, notamment en assurant la crédibilité des engagements de l’État (c’est la raison pour laquelle, exprimée en crédits de paiement, la LPM doit garantir aux industriels le paiement des commandes passées lors des lois précédentes…).

Dans une perspective d’avenir, la loi doit également permettre à l’écosystème de le préparer au mieux, au-delà de la poursuite des programmes en cours. C’est tout le rôle des ressources consacrées à « l’innovation », terme qui recouvre désormais les études amont, les subventions aux opérateurs comme le CEA, le CNES, la recherche appliquée… En prévoyant un total de 10 milliards sur la période, la loi reste sur la tendance à la hausse imprimée depuis 2018, avec l’objectif de ne plus chercher à rattraper des retards, mais plutôt à promouvoir des « innovations de rupture »[13].

À priori, le décalage des commandes et livraisons de certains programmes majeurs, dont les cibles restent inchangées, n’est pas une préoccupation forte des acteurs industriels qui se sont exprimés lors de l’élaboration de la LPM 2024-30. Pour la plupart (surtout dans les domaines aéronautique, naval et munitionnaire), les plans de charge et le chiffre d’affaires bénéficient des succès à l’export des dernières années et des besoins de production pour alimenter l’Ukraine en équipements et munitions, financés en grande partie par l’Union européenne.

L’attention des industriels se polarise plus sur les dispositions désormais regroupées dans l’article 49[14] de la loi qui, au titre de « l’économie de guerre », institue à la fois des obligations de constitution de stocks stratégiques, à la charge financière des industriels, et un « droit de préemption » de l’État français sur la production industrielle, fusse au détriment des livraisons prévues à des clients étrangers. Quasi totalement privée, soumise tant aux règles du marché concurrentiel qu’à la surveillance de la Commission européenne, l’industrie rappelle que sa contribution à l’économie de guerre décrétée en France ne l’exonère pas des dangers de la guerre économique qu’elle conduit à l’international.

Au-delà du coût à supporter pour les stocks stratégiques, c’est le risque de se voir écarter des compétitions internationales qui est identifié comme le principal, les clients potentiels ne pouvant accepter de voir éventuellement leurs livraisons ne pas respecter les délais contractuels.

Les conditions de mise en œuvre de cet article de la loi seront vraisemblablement une des premières tâches de la direction de l’industrie de défense de la DGA. Une tâche qui comportera également le traitement de l’accès au crédit bancaire, sujet brûlant qui touche toute l’industrie de défense, avec des effets dévastateurs pour le tissu des PME sur lequel repose largement l’écosystème.

Quatrième question : la loi conforte elle le système humain des armées ?

L’affirmation du rôle premier des femmes et des hommes dans la robustesse du système de défense est dans la bouche de tous les responsables politiques et militaires… depuis des siècles, au moins pour les hommes !

La LPM 2024-30 apporte sa contribution à la consolidation de ce rôle, par une multitude de dispositions dont les objectifs sont tout à la fois l’attractivité des carrières pour fidéliser les militaires en service et recruter des compétences nouvelles, améliorer les conditions de la mobilité des familles et de leur implantation dans les territoires, enfin de poursuivre les actions de reconnaissance de la Nation vis-à-vis des blessés et des familles de militaires morts en service.

L’attractivité des carrières, en fait le combat du recrutement et de la fidélisation, passera par un prolongement de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) mise en œuvre par la précédente loi, notamment au niveau indiciaire pour compenser le « tassement vers le haut » de la grille indiciaire, qui se révèle un frein à l’attractivité des progressions volontaires de carrière.

Le « Plan Famille 2 » inscrit désormais dans la durée ce mode de pilotage d’ensemble de tous les éléments constitutifs de l’accompagnement familial de la fonction militaire (logement, aide à la petite enfance, environnement médico-social). C’est déjà en soi une avancée très appréciable, même si les situations particulières et le contexte de stationnement et d’emploi de chaque armée laisseront toujours subsister des manques et des insatisfactions. Le « Plan Famille 2 » est doté de 750 millions d’euros.

Un autre aspect du modèle RH décrit par cette LPM est la volonté de porter le nombre de réservistes à 80 000 en 2030, sur une trajectoire à 105 000 en 2035. L’effort de recrutement, de formation et de fidélisation à fournir est en lui-même un défi, avant que les armées ne précisent les missions et les équipements de cette réserve opérationnelle massive.

Le modèle RH porté par la LPM 2024-30 est donc cohérent avec les objectifs fixés aux armées et s’inscrit dans la continuité de la consolidation de l’armée professionnalisée décidée il a plus de 25 ans. Absorbant plus du quart des ressources financières du ministère, il est confronté à de multiples défis, notamment ceux liés à la montée en gamme des compétences recherchées sur un marché du travail tendu et à l’évolution sociétale qui fait de la fidélisation dans toutes les catégories de grade un combat permanent.

GCA (2S) Tristan VERNA


NOTES :

  1. Audition du SGA par la Commission de la défense de l’assemblée nationale, le 12 avril 2023, reprenant une expression utilisée par le Premier Président de la Cour des Comptes devant la même Commission.
  2. Taux de progression à prendre pour ce qu’il vaut : les deux périodes programmation n’ont pas la même durée, se superposent et l’inflation rend précaire toute comparaison…
  3. Tous les montants financiers sont exprimés en crédits de paiement.
  4. Cette progression permet de viser les 2% du PIB en 2025-2027, nonobstant la fragilité de cet indicateur emblématique lié à un agrégat, PIB, dont la réalité n’est connue qu’avec plusieurs années de décalage. Il est à noter que pour certains responsables du ministère, les 2% du PIB seraient dès à présent atteints, et en voie d’être dépassés.
  5. Sans oublier qu’en 2022, des officiels américains ont fait état d’un supposé déclassement des armées britanniques, tandis que ce sont les responsables militaires allemands eux-mêmes qui ont annoncé leur incapacité d’assurer leur mission de défense nationale.
  6. La limite d’âge de tous les réservistes est portée à 72 ans, mesure mise en œuvre dès l’été 2023 par l’armée de Terre.
  7. On peut objecter l’existence d’un modèle complet en Russie, mais quelle est sa véritable fiabilité ?
  8. Pour « Doctrine, Organisation, Rh, Entraînement, Soutien, Équipement ».
  9. Échelon national d’urgence renforcé, Force d’intervention rapide interarmées.
  10. Comme la perte progressive des bases françaises en Afrique.
  11. Audition du CEMAT par la commission de la défense de l’Assemblée nationale, le 12 avril 2023.
  12. Michel Goya, dans une interview sur France Inter.
  13. Cette formulation, en cédant à la facilité, aurait pu être lourde de conséquences pour certains systèmes d’armes majeurs bien installés dans le paysage actuel des armées. Ses effets sur l’avenir devront être suivis attentivement.
  14. Il s’agit des modifications à apporter au Code la défense pour ce qui concerne « l’industrie de défense ».

CERCLE MARÉCHAL FOCH

CERCLE MARÉCHAL FOCH

Le G2S change de nom pour prendre celui de Cercle Maréchal Foch, tout en demeurant une association d’anciens officiers généraux fidèles à notre volonté de contribuer de manière aussi objective et équilibrée que possible à la réflexion nationale sur les enjeux de sécurité et de défense. En effet, plutôt qu’un acronyme pas toujours compréhensible par un large public, nous souhaitons inscrire nos réflexions sous le parrainage de ce glorieux chef militaire, artisan de la victoire de 1918 et penseur militaire à l’origine des armées modernes. Nous proposons de mettre en commun notre expérience et notre expertise des problématiques de Défense, incluant leurs aspects stratégiques et économiques, afin de vous faire partager notre vision des perspectives d’évolution souhaitables. (Nous contacter : Cercle Maréchal Foch – 1, place Joffre – BP 23 – 75700 Paris SP 07).

Retour sur la LPM (Loi de programmation militaire)

Retour sur la LPM (Loi de programmation militaire)

 

par Victor Denis (*)
Etudiant en relations internationales
François Chauvancy (*)
Général de brigade (2s)

Esprit Surcouf – publié le 22 septembre 2023

https://espritsurcouf.fr/defense_retour-sur-la-lpm_par_victor-denis-et-general-francois-chavancy/


Quel regard porter sur les besoins de nos armées ? Quels choix budgétaires avons-nous fait ? Qu’est-ce que cette LPM raconte des relations entre politiques et militaires ? L’auteur nous propose quelques éléments de réponse dans son entretien avec le général François Chauvancy (2S).
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Après 90 heures de débat, l’Assemblée nationale s’est prononcée. A une écrasante majorité, les députés ont voté pour la loi de programmation militaire 2024-2030, désormais transmise au Sénat. Cette LPM alloue 413 milliards d’euros au budget des armées, un chiffre en hausse de 40% par rapport à la précédente. La raison ? Une prise de conscience du monde politique devant la montée des périls : retour de la guerre de haute intensité en Ukraine, menace d’escalade nucléaire, menace chinoise dans l’indopacifique, persistance du djihadisme en Afrique et au Levant…

A quoi notre armée est-elle prête ? Quelles sont ses limites et ses besoins ? Pour répondre à ces questions, l’étudiant trouve vite l’interlocuteur : un ancien militaire étoilé qui vient donner des cours dans son université, le général François Chauvancy, dont beaucoup de journalistes se souviennent pour l’avoir connu comme Off-Com (officier communication) hors normes au Sirpa ou en opérations.

Pour quoi faire

La réponse est claire et concise, le général semble rôdé à l’exercice : « Nos armées sont prêtes à intervenir sous des formats réduits, sous format de corps expéditionnaires. Nous pouvons projeter dans la durée environ une force mécanisée importante, interarmes, environ 5 000 hommes, contre un ennemi asymétrique et sous-équipé par rapport à nous. Au niveau aéro-maritime, nous sommes capables de projeter un groupe aéronaval avec une capacité de frappe au sol ou en mer. Nous pouvons contrôler une zone maritime importante ». « Concernant les forces aériennes, nous sommes sous-équipés. L’armée l’air estime qu’il lui faut 180 Rafales pour assurer ses missions, alors qu’elle n’en a que 130 ».

Le général ajoute : « Contre un ennemi peu équipé, ou équipé d’une manière légère, on est capables de faire. Toutefois, face à un ennemi traditionnel, ou conventionnel, comme en Ukraine, on voit qu’on n’a pas tous les équipements militaires adaptés et suffisants ». Il est vrai que nous avons négligé, en France, le retour des guerres conventionnelles. La fin de la guerre froide semblait abolir à jamais la menace d’un conflit symétrique à haute intensité. 

« La 1ère loi de programmation militaire [du président Macron] a été une LPM de réparation. Le chef d’Etat-major a essayé de préserver autant que possible une armée avec toutes ses capacités, même sous forme échantillonnaire ». Nous avons une armée « bonsaï », capable de faire de tout, mais en petite quantité. Là où d’autres pays créent une interdépendance des savoir-faire, ce qui, dans un contexte de coalition, n’est pas illogique, la France préfère quant à elle conserver ses capacités dans tous les domaines, quitte à produire moins.

Regard sur la LPM

Pour le général, « la 2ème LPM dépasse le niveau de la réparation. On en arrive à une forme de reconstruction pour se donner des capacités d’action ». Il met toutefois en avant des choix budgétaires contestables.

 

La loi de programmation prévoie des budgets conséquents pour la cybersécurité. Photo sgt Moreau Sirpa Terre

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Pour lui, il faut apprendre de la guerre en Ukraine. Il rappelle les chiffres : A Bakhmout, le nombre de morts russes est estimé à 20 000, contre 10 à 15 000 côté ukrainien. En France, nous disposons de 12 000 fantassins, ce qui paraît très peu. Quant aux réservistes : « Ce n’est pas parce qu’on nous promet 90 000 réservistes dans la LPM qu’ils sont utilisables en temps de guerre », ajoutant qu’il faut d’abord s’assurer de leur entrainement et de leur capacité opérationnelle.

Au regard de la vitesse de consommation des équipements militaires sur le terrain ukrainien, la question des équipements militaires se pose également : « L’argent qu’on met dans nos chars, qui sont coûteux, font-ils la différence avec des chars beaucoup moins chers et beaucoup plus nombreux ? Cela vaut-il le coup d’avoir des chars à plusieurs millions d’euros, qui peuvent être détruits par des missiles à quelques milliers d’euros ? ». Avec un constat global : nous manquons de chars et de Rafales, même s’il faut souligner la hausse du budget pour le maintien en condition opérationnelle.

Ces « manques » dans la LPM sont rapidement mis en parallèle avec les 13% des crédits alloués à la dissuasion nucléaire. Le général Chauvancy se questionne : « avons-nous besoin de perfectionner l’arme à ce point-là ? Les équipements qu’on met en place sont-ils totalement justifiés ? ». Qualifiés d’« excessifs », ces 13% signifient beaucoup quant à la place que tient le nucléaire dans notre stratégie. L’objectif affiché est de développer cette dissuasion, notamment par une modernisation des composantes aériennes et océaniques, afin de faire appel à moins de forces conventionnelles. Pourtant, pour le général, « nous ne ferons pas la guerre avec le nucléaire ». Il expose le risque de développer cette dissuasion aux dépends de nos capacités militaires. Pour lui, « il faut que les LPM, dans leur conception, montre notre détermination à être capables de se battre. Le fait d’être capable de se battre et de l’exprimer par la LPM et les moyens financiers qu’on y met, doit être capable de dissuader. Là ça a du sens, au même titre que la dissuasion nucléaire ». Et il émet quelques doutes sur la capacité de cette LPM à répondre à cette approche.

Le politique et le militaire

Le général Chauvancy l’affirme : « Je suis très critique sur les relations entre le politique et le militaire sous la Vème République », évoquant notamment les LPM non respectées. Avant 2015, celles-ci étaient systématiquement bafouées. Il y a, dans l’esprit du politique, l’idée que le budget de la défense serait une forme de réserve permettant d’amortir le choc des conjonctures économiques. Les politiques, pensant que la guerre était devenue impossible depuis la chute du mur de Berlin, n’ont pas suffisamment préparé nos armées aux conflits contemporains. Le général met également en cause le rôle du chef militaire, qui est celui d’exprimer clairement les besoins de l’armée aux politiques.

Il revient alors sur la « séquence De Villiers » : « [Avec la démission du Général De Villiers], Emmanuel Macron découvre que l’armée a son mot à dire, lui qui ne connaissait pas le milieu militaire. L’armée attend que le pouvoir politique écoute […], les militaires savent qu’ils servent l’Etat et la nation, et que le politique n’est que l’expression d’une majorité à un moment donné », qualifiant le président de « locataire », à contrario des militaires qui ont une expérience plus longue. L’armée attend donc une forme d’humilité de la part du pouvoir politique.

Aussi, « le président Macron, qui ne connait pas trop le milieu militaire, profite de l’opportunité du 13 juillet 2017 au soir pour se faire le Général de Villiers. Le problème, c’est que ça ne se fait pas ». Alors, quand le général De Villiers quitte son bureau, après avoir démissionné, il est applaudi par le personnel militaire. Loin d’être anecdotique, cette séquence envoie un message fort au président de la République : « la communauté militaire a un sens global de la mission et du devoir et n’a pas du tout accepté le rôle du politique et son comportement vis-à-vis du CEMA », rappelle le général Chauvancy. Ce n’est qu’à la suite de cet épisode, qui frappe l’opinion publique, que les rapports s’améliorent entre politiques et militaires : la première loi de programmation militaire tient la route, et a globalement été respectée.

Le général Chauvancy revient sur les conséquences de la démission : « Le président Macron a découvert que le miliaire était une communauté particulière, où le sens de l’engagement réel, sans contreparties, est un fait. Il peut compter sur les militaires, puisqu’ils sont là pour les missions qu’on leur donne ». Il poursuit : « Les militaires sont le dernier recours de la République face aux menaces et aux extrémismes, face à la déstabilisation de l’Etat, et je reste convaincu que le président Macron l’a bien intégré. D’où la place des militaires, discrètes mais avec une reconnaissance : la LPM est un témoignage de reconnaissance envers les armées. C’est l’expression politique et financière de la reconnaissance du pouvoir politique envers les armées ».


(*) Victor Denis est actuellement étudiant en Master 2 « Conflictualités et médiation » à l’UCO. Il est diplômé d’une Licence d’Histoire avec pour spécialité les sciences politiques. Après de premières expériences en politique et au sein d’ONG, il choisit de s’orienter vers la géopolitique et la sécurité internationale.
(*) François Chauvancy, général de brigade (2S), est Saint-cyrien, breveté de l’Ecole de guerre et Docteur en sciences de l’information et de la communication. Il a servi en opérations au Liban, en ex-Yougoslavie, en Albanie, au Kosovo et en République de Côte d’Ivoire. De 2002 à 2012, il a été représentant français auprès de l’OTAN pour les opérations militaires d’influence, les opérations sur l’information, la communication stratégique et l’environnement humain des opérations. Il est aujourd’hui enseignant, et consultant en géopolitique, notamment sur LCI. Il anime un blog hebdomadaire « Défense et Sécurité ».

Avec la commande de 486 lanceurs HIMARS supplémentaires, la Pologne aura 60 fois plus de lance-roquettes que la France en 2030.

Avec la commande de 486 lanceurs HIMARS supplémentaires, la Pologne aura 60 fois plus de lance-roquettes que la France en 2030.


M142 HIMARS e1666970934572 Lance-Roquettes Multiple | Construction de véhicules blindés | Contrats et Appels d'offre Défense

 

Avec la commande de 486 lanceurs HIMARS supplémentaires, la Pologne aura 60 fois plus de lance-roquettes que la France en 2030.


C’était attendu depuis plusieurs semaines, et notamment depuis la visite de Mariusz Błaszczak sur le site d’assemblage des HIMARS de Lockheed-Martin de Camden, dans l’Arkansas, en mais dernier. C’est désormais chose faite.

Le 11 septembre, ce même Mariusz Błaszczak, le ministre de la Défense polonais, a annoncé avoir approuvé une très importante commande de systèmes HIMARS supplémentaires, ainsi que de munition, auprès de Lockheed-Martin, le tout pour une enveloppe pouvant atteindre 10 Md$.

486 lanceurs HIMARS et des milliers de munitions pour la Pologne

Selon le communiqué, la Pologne va donc commander, au travers du FMS, 486 lanceurs HIMARS, en plus des 20 déjà commandés en 2019, ainsi que plusieurs dizaines de milliers de missiles GMLRS, GMLRS-ER, ATACMS et PrSM, selon Lockheed-Martin.

Baptisés HOMAR-A (America), ces systèmes viendront ainsi renforcer les quelque 290 systèmes lance-roquettes K239 Chunmoo commandés il y a un an auprès de la Corée du Sud, et désignés par le nom de code HOMAR-K (Korea) dans les armées polonaises.

HIMARS en ukraine
La Pologne avait déjà commandé, en 2019, 20 lanceurs HIMARS, dont deux sont destinés à l’instruction.

Les HIMARS polonais viendront armer 27 escadrons d’artillerie à longue portée, dont l’immense majorité devront être créés dans les années à venir, dans la mesure où les armées polonaises n’exploitaient qu’une centaine de lance-roquettes multiples de conception locale ou soviétique jusqu’ici.

Le contour exact de la commande n’a pas encore été présenté par les autorités polonaises. On ignore notamment le calendrier des livraisons, ainsi que la part de conception locale qui sera négociée entre LM et les autorités polonaises.

Bien évidemment, cette nouvelle annonce ne peut être considérée en dehors du contexte électoral polonais, avec des élections législatives aux résultats incertains approchant de leur échéance le 15 octobre. De fait, le gouvernement polonais du PiS, multiplie les annonces de ce type, visant à flatter son électoral nationaliste.

En revanche, si cette annonce venait à se concrétiser, les armées polonaises disposeraient alors d’une puissance de feu trois fois plus importante que celle de l’ensemble des armées européennes réunies.

60 fois plus de lance-roquettes multiples que l’Armée de Terre française en 2030

Rappelons, à ce titre, que la LPM 2024-2040 prévoit, pour l’Armée de Terre française, le remplacement des 8 LRU actuellement en service, par 13 nouveaux systèmes lance-roquettes à longue portée en 2030, 60 fois moins que n’en auront les armées polonaises.

 

K-239 Chunmoo
La Pologne a déjà commandé 290 systèmes K239 Chunmoo sud-coréens baptisés HOMAR-K au sein des armées polonaises

 

Il sera, de toute évidence, beaucoup plus difficile pour les armées françaises de revendiquer le statut de « meilleures armées d’Europe », furent-elles plus expérimentées au combat par ses opérations extérieures.

Une bataille commerciale et industrielle avec l’Allemagne

Cette annonce risque aussi de couper l’herbe sous le pied de Rheinmetall, qui visait à devenir le partenaire privilégié de Lockheed-Martin en Europe afin de commercialiser un système dérivé du HIMARS produit dans le pays.

Il est, en effet, probable qu’avec une telle commande, Varsovie négociera une forme d’exclusivité territoriale pour le marché européen. Surtout, en mettant en œuvre un tel parc, la Pologne disposera de fait des infrastructures logistiques dimensionnées pour assurer la maintenance de large flotte.

On peut donc vraisemblablement s’attendre à ce que la France soit appelée à commander ses HIMARS auprès de Varsovie, si Paris décidait de se tourner vers ce système pour le remplacement des LRU.

LRU armée de terre
L’hypothèse d’un développement national, d’un remplaçant au LRU de l’Armée de Terre française est désormais improbable alors que le marché européen sera saturé d’offres d’ici à quelques années.

L’hypothétique remplaçant français du LRU face à un marché européen saturé d’offres

Quant à l‘hypothèse d’un développement national français, elle devient de plus en plus improbable, alors que le marché européen se structure très rapidement avec l’apparition conjointe des offres polonaises basées sur l’HIMARS américain et le Chunmoo sud-coréen, et le PULS israélien vers lequel Berlin se tournera probablement, maintenant que Varsovie a choisi l’HIMARS.

Dès lors, les opportunités commerciales, indispensables à l’absorption des couts de développement élevés de ce type de système, seront de toute évidence très limitées en Europe pour un système national français.

Sauf à se tourner vers des partenariats extra-européens porteurs d’une forte demande, comme l’Inde ou l’Égypte, les options pour une solution nationale française s’amenuisent à vue d’œil.

Reste qu’une nouvelle fois, il faudra attendre les résultats des élections d’octobre, pour se faire une idée de ce vers quoi les armées polonaises évolueront dans les années à venir.

Pour l’armée de Terre, il devient « impératif » d’utiliser tous les leviers pour enrayer la baisse de ses effectifs

Pour l’armée de Terre, il devient « impératif » d’utiliser tous les leviers pour enrayer la baisse de ses effectifs

 

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Et, visiblement, cette tendance n’est pas en train de s’inverser… au point que le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], le général Pierre Schill, a sonné le tocsin dans une lettre adressée le mois derniers « aux commandeurs et aux brigadiers », c’est à dire aux généraux à la tête des commandements spécialisés et des brigades.

« La priorité absolue concerne les effectifs. Jusqu’à l’an dernier, l’armée de Terre pouvait se targuer d’atteindre ses objectifs […] au prix d’efforts que je connais et que je salue », écrit le général Schill. Mais, poursuit-il, « les premiers mois de 2023 montrent une baisse inhabituelle des effectifs globaux de l’armée de Terre. En l’état actuel, les projections d’effectifs prévisionnels pour la fin de l’année sont mauvais ». Et effectivement, il serait question d’un « déficit » de 2’500 militaires…

« Cette inflexion peut s’expliquer par des raisons conjoncturelles comme structurelles que nous traiterons dans la durée » mais les « effectifs à terminaison de l’année 2023 constitueront néanmoins la base de départ des droits qui seront ouverts à l’armée de Terre en LPM [Loi de programmation militaire] 24-30 », rappelle le CEMAT.

Aussi, il n’y a pas de temps à perdre. Et, pour le général Schill, « il est donc impératif d’utiliser tous les leviers » dont disposent les « commandeurs » et « brigadiers » pour « corriger à la hausse les prévisions actuelles » de leurs unités car « chaque recrutement, chaque engagement, chaque renouvellement de contrat, chaque réengagement sera une victoire ».

En juillet, Europe 1 avait fait état de difficultés concernant le recrutement des trois armées. « À la fin de l’année, entre 1500 à 2000 jeunes n’auront pas été recrutés, par rapport aux objectifs fixés », avait affirmé la radio, avant d’évoquer des soucis de « fidélisation », avec « trop » de sous-officiers et de militaires du rang ayant tendance « à quitter l’institution pour rejoindre le privé ».

Et d’ajouter que, pour « sauver les meubles pour l’année 2023 », il était demandé, dans les régiments, aux partants de « prolonger de quelques mois pour étaler les départs sur 2024″… Ce qui ne ferait que décaler le problème sans le régler.

Ces difficultés concernent aussi la réserve opérationnelle de l’armée de Terre. Dans sa lettre, le général Schill a également demandé un effort « à la fois sur le recrutement et l’emploi » des réservistes, alors que, selon la LPM 2024-30, leur nombre est appelé à doubler d’ici 2030.

Aussi, écrit le CEMAT, « en 2023, les crédits d’activité des réserves » des unités « devront être intégralement employés et les effectifs de réservistes cesser leur décrue, voire entamer une hausse ». Et de conclure : « Il est impératif que la réserve opérationnelle de l’armée de Terre se sente intégrée et utile ».