La France peut-elle conserver son rang de puissance sans puissance financière ? Le coût de la puissance est-il supportable ou bien doit-elle changer son modèle ? Analyse des enjeux de la puissance française.
Nous connaissons les deux principaux attributs de la puissance française : le hard power, incarné par l’arme nucléaire et la force de son armée professionnelle, et le soft power, lié à son réseau diplomatique et à sa richesse culturelle. Pourtant, bien des commentateurs déclinistes nous renvoient à nos échecs, expliquant que la France de Diên Biên Phu n’est plus celle du Grand Siècle, et qu’au regard de l’état de nos finances publiques, nous sommes sur le chemin annoncé dès 1987 par Paul Kennedy, dans son ouvrage The Rise and Fall of Great Power, qui expliquait que sans le golden power, la décadence est inéluctable lorsque le coût de la puissance n’est plus supportable. En synthèse et par oxymore, le Président Giscard d’Estaing parlait alors de la France comme d’une « grande puissance moyenne ».
Nouvelle puissance
À défaut de pouvoir rester une puissance dominante, façon américaine ou chinoise, le général de Gaulle avait compris que la seule ambition lucide pour la France était de soutenir une politique de grandeur raisonnée, dont le succès, et même la popularité internationale, devait tenir à un sens élevé de l’indépendance. Celle-ci devait donner force et authenticité aux coopérations et aux alliances, et elle inspirait le courage dans les difficultés et dans les crises. Mais aujourd’hui, avec la fragmentation et la conflictualité croissantes du système international, avec la montée en puissance d’acteurs régionaux et l’exacerbation de l’adversité stratégique sino-américaine, avec les difficultés socioéconomiques qui s’accumulent chez nous et en Europe, il peut sembler absurde de poursuivre le discours français sur la mission d’universalité et sur notre rôle de puissance d’équilibre.
Néanmoins, l’évolution du monde et des sociétés humaines rend de plus en plus utile ce positionnement français, et un regard panoramique sur les grandes tendances globales montre que la ligne politique et diplomatique défendue traditionnellement par la France est la plus adaptée aux aspirations profondes des peuples et de la classe moyenne mondiale qui englobera bientôt cinq milliards de citoyens.
Questions économiques
Sur le terrain économique, l’erreur classique de la remise en cause de la puissance française consiste à s’arc-bouter sur la baisse de la France dans le classement mondial du PIB nominal. Toutefois, cela ne constitue en rien un indicateur de déclin, d’autant que la croissance des chiffres d’autres pays est fortement tirée par la démographie, et que cela n’est corrélé ni avec l’importance du rôle international réel ni avec la prospérité, qui suppose un niveau élevé de bien-être, de bonne gouvernance et de sécurité. L’analyse des classements internationaux dans diverses catégories (compétitivité, R&D, tourisme, investissements étrangers, infrastructures ou connectivité, par exemple) montre au contraire que la France reste dans le haut du panier pour un très grand nombre d’indicateurs formant un tableau holistique de la prospérité et de la puissance, ce qu’on ne peut dire que d’une vingtaine de pays sur les deux cents que compte notre planète – et ce malgré nos grèves, nos longues vacances, nos 35 heures, notre très généreuse solidarité sociale et notre addiction aux attitudes négatives et défaitistes.
Imité plutôt que craint
Sur le terrain militaire, si l’on considère la puissance dans son acception large et sur le très long terme, on s’aperçoit que le soft power l’emporte sur le hard power, et qu’on est en définitive plus influent en étant désiré et imité qu’en étant craint et haï. Or, la France est une championne du soft power dans tous les classements spécialisés, et a même raflé leur première place aux États-Unis lors de la présidence de Donald Trump. Cette dimension planétaire et surtout durable de la puissance française est extraordinairement importante. En cela, la France avait été visionnaire en se faisant, avec succès, le défenseur de la diversité culturelle à l’OMC et dans les négociations commerciales de l’UE.
Ailleurs, notre école de mathématiques, aux premiers rangs mondiaux, est devenue un joker à l’ère de la robotique financière, des algorithmes, et de l’intelligence artificielle. Notre force éditoriale et nos créateurs de jeux vidéo, tout comme notre système d’aide à la production télévisuelle et cinématographique, nous avantagent dans l’expansion infinie des activités de contenus. En tant que superpuissance culturelle et créative, la France profite à plein du poids croissant des industries culturelles dans le monde, l’un des secteurs économiques en développement le plus rapide, que l’UNESCO chiffre à 4,3 trillions de dollars de revenus annuels, et plus de 30 millions d’emplois très qualifiés, la plupart étant occupés par des jeunes de 15 à 29 ans.
Quant à la francophonie économique, elle s’inscrit dans un ensemble en croissance constante, soit 321 millions de locuteurs dans le monde en 2022, et elle représente 14 % des ressources mondiales minières et énergétiques et plus de 20% des échanges commerciaux mondiaux.
La question des valeurs
Sur le plan fondamental de la gouvernance humaine, alors que l’aspiration à la dignité s’est répandue dans le monde, des Indignados à Occupy Wall Street, de la place Tahir aux gilets jaunes, les droits humains et les valeurs universelles portées par la Déclaration universelle des droits de l’Homme sont contestés vigoureusement par certaines puissances, qui livrent une véritable guerre informationnelle et cognitive à l’Occident en visant particulièrement la France.
La Chine fait la promotion d’un agenda illibéral alternatif, avec cette idée paradoxale d’un universalisme aux caractéristiques chinoises, donc tout sauf universel. La Russie lui emboîte le pas, en dénonçant une idéologie européano-américaine qui ne serait que l’instrument d’une géopolitique fondamentalement impérialiste et coloniale, nourrissant d’ailleurs le sentiment anti-français en Afrique, un sentiment de moins en moins artificiel malgré sa naissance à grand renfort d’astroturfing néo-soviétique. Or, révoltes et militants partout sur la planète, de Hong-Kong au Venezuela, du sud au nord du globe, attestent que si les valeurs sont universelles, ce n’est pas parce que cette universalité relèverait d’un agenda caché des Occidentaux emportés par la France, fille des Lumières et grande civilisatrice, mais parce que c’est bien la nature humaine elle-même qui aspire universellement à la liberté, à la justice et au bonheur. Et si les revendications à mener une vie digne s’étendent désormais à l’environnement et au climat, ce n’est pas parce que la France, « gardienne » de l’Accord de Paris, ou les Occidentaux, voudraient, comme le distillent des propagandes, brider la croissance des pays en développement en défendant opiniâtrement un agenda ambitieux de soutenabilité, mais parce que c’est l’intérêt universel et commun de l’humanité que de vivre dans un environnement et sur une planète préservés.
L’ultime réserve à considérer la France comme puissance vient de la considération que nous manquerions de moyens, par exemple pour déployer de vraies capacités en Indo-Pacifique, ou de poids, par exemple pour soutenir nos propositions de programmes européens d’armement. Il est vrai que nous ne sommes plus une grande puissance au sens classique. Mais là encore le général de Gaulle avait répondu aux interrogations par sa sagacité volontariste, dans son discours du 22 mai 1949 à Vincennes : « On peut être grand même sans beaucoup de moyens, mais il faut savoir être au niveau de l’histoire, ou sans cela on disparaît ». En fait, il n’y a pas vraiment de grands et de petits pays, il y a ceux qui jouent un rôle et les autres. Et la France est un pays moyen par divers critères, qui peut jouer de très grands rôles. La France serait alors un acteur véritablement global qui mise davantage sur la puissance d’entraînement que sur la force dominatrice, coercitive ou destructrice, mais armé de sa dissuasion nucléaire et jouissant à la fois de l’autorité conférée par son siège de membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations-Unies et des leviers d’influence de son vaste réseau diplomatique, de son domaine maritime et des outre-mer, de sa place prééminente dans les organisations internationales, comme de son rôle-clé au sein des institutions de l’Union européenne, le tout formant une architecture d’influence et de puissance, y compris normative, absolument unique.
C’est à travers ce cadre que l’on peut aussi mesurer l’apport continuel d’éléments d’équilibre par la France au système international. C’est ainsi qu’en 2015, sous les yeux des commentateurs qui n’ont pas bien compris le changement de paradigme historique que cela représente, la France a officialisé, lors de la négociation de l’Accord de Paris, le rôle de la société civile dans la Convention-Cadre des Nations-Unies sur le Changement climatique qui régit le processus des négociations des COP. C’est la naissance d’un multilatéralisme hybride, caractérisé par la coopération institutionnalisée entre les acteurs étatiques et non-étatiques (ONG, territoires et métropoles, grande philanthropie, fondations, universités et think-tanks…), à qui l’on confère désormais un rôle global et pour ainsi dire co-normatif. Fruit de la vision et de la diplomatie françaises, c’est l’instauration d’un équilibre entre la puissance souveraine et régalienne, et la puissance civile, qui accède ainsi à un niveau inédit de participation et d’influence dans les grandes négociations internationales.
Un acteur qui compte
Autre illustration de cette vocation de puissance d’équilibre à fort impact normatif, les politiques impulsées par la France dans l’Union européenne depuis 2017, avec succès : concept de souveraineté européenne et économique, aussi nommée « autonomie stratégique », extension du domaine des solidarités européennes, taxation des GAFAM et des multinationales (dans un cadre élargi à l’OCDE), meilleure protection des données personnelles et régulation renforcée de la sphère digitale, inclusion de l’énergie nucléaire dans la taxonomie et maintenant dans le Net-Zero Industry Act, création de l’Alliance nucléaire avec quinze autres États membres, inclusion de critères climatiques dans la négociation d’accords commerciaux, mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, et, tout récemment, le « AI Act » européen, première mondiale à la portée immense, menée par le Commissaire Thierry Breton, pour donner des règles aux développements vertigineux de l’intelligence artificielle.
Appuyée sur une doctrine favorisant les coopérations et promouvant, des décennies avant que ce terme ne devienne à la mode avec les BRICS, le « multi-alignement », qui a toujours voulu dire indépendance et coopération entre égaux dans la vision tricolore, la France est restée une puissance-modèle qui ne s’enivre pas de conquérir et de dominer, mais s’attache à exceller, inspirer, entraîner.
C’est aussi une France modèle de puissance, car elle offre par ses actions, par ses alliances, de la plus profonde, l’Union européenne, aux plus récentes, sur les pôles, les océans ou les forêts tropicales, une large panoplie d’ingénierie méthodologique et institutionnelle adaptée à la complexité, à l’interconnexion, à l’interdépendance et aux mutations du monde.
En fait, la France continue tout simplement à faire la politique du bien commun, et non pas la guerre ou seulement des affaires, ce que font, par contraste, les grandes puissances actuelles et les puissances régionales émergentes, en restant fidèle aux intentions du général de Gaulle qui disait en avril 1969 que « c’est parce que nous ne sommes plus une grande puissance qu’il nous faut une grande politique »
Les militaires français de la Finul face à la dégradation de la sécurité dans le Sud-Liban
« On se retrouve en plein cœur des tirs »: le capitaine Paul, membre de la Finul, s’inquiète de la nette dégradation de la sécurité dans le Sud-Liban depuis l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre.
Deir Kifa (Liban) Courrier international – (AFP) – Publié le 02/01/2024
« On se retrouve en plein cœur des tirs« : le capitaine Paul, membre de la Finul, s’inquiète de la nette dégradation de la sécurité dans le Sud-Liban depuis l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre.
« On est passé d’une zone relativement calme à une zone volatile où tout est très dépendant de la moindre déclaration politique« , poursuit le capitaine devant son véhicule de patrouille (VBL) peint en blanc avec le sigle « ONU » bien en vue sur la base de Deir Kifa, à une dizaine de kilomètres de la frontière entre Israël et le Liban.
Dans cette zone de collines, les échanges de tirs entre Israël et le Hezbollah libanais, qui affirme agir pour soutenir le Hamas, son allié, sont quasi-quotidiens depuis le début de la guerre entre le mouvement islamiste palestinien et Israël dans la bande de Gaza.
Les soldats français de la Force intérimaire de l’Onu au Liban (Finul) y ont depuis quasiment « doublé » leurs patrouilles quotidiennes, passant de quatre à sept par jour, selon l’officier au casque bleu en charge des opérations de la base.
« C’est tendu, il y a des obus qui tombent tous les jours, ça s’entend, vous êtes dans une ambiance de guerre« , ajoute-t-il alors qu’il est possible d’entendre au loin le bruit d’un drone, survolant la zone.
Les forces françaises, présentes au Liban depuis 1978, comptent parmi les principaux contributeurs de la Finul, avec 700 hommes sur environ 10.000.
Photo diffusée le 1er janvier 2024 par l’armée libanaise sur son compte X (ex-Twitter) montrant le ministre français de la Défense Sébastien Lecornu (au centre à gauche) et le chef de l’armée libanaise Joseph Aoun (au centre à droite) qui visitent la base du contingent français de la Finul à Deir Kifa, dans le sud du Liban
Tirs de roquettes, obus, drones, « ce qui se passait avant sur trois-quatre ans se passe maintenant en une semaine », estime le gradé.
Une mission potentiellement dangereuse
Les affrontements dans le Sud-Liban sont largement limités aux zones frontalières mais Israël a mené des frappes plus en profondeur, jusqu’à une vingtaine de kilomètres de la frontière, au cours des derniers jours.
La mission du contingent français « peut potentiellement devenir très dangereuse », a estimé lundi sur la base le ministre français des Armées Sébastien Lecornu devant environ 700 soldats avant de partager avec eux un repas de Nouvel An.
Depuis le 7 octobre, les affrontements entre Israël et le Hezbollah ont fait près de 160 morts du côté libanais, dont plus de 110 combattants du Hezbollah.
Du côté israélien de la frontière, au moins 13 personnes ont été tuées, dont neuf soldats, depuis le 7 octobre.
« Notre passage va être semé d’incertitudes dans les semaines et jours à venir », a ajouté le ministre devant les troupes sous une grande tente aménagée en banquet.
Le ministre de la Défense Sébastien Lecornu le 2 novembre 2023 sur la base du contingent français de la Finul à Deir Kifa, dans le sud du Liban
Paris souhaite éviter toute escalade à la frontière libano-israélienne, et à ce titre, M. Lecornu tout comme la ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, se sont rendus plusieurs fois au Liban au cours des derniers mois.
Plusieurs incidents inquiétants qui ont effectivement touché la Finul ont été identifiés ces derniers jours.
Jeudi, la mission onusienne a demandé l’ouverture d’une enquête après une « attaque contre une de ses patrouilles« dans laquelle un Casque bleu a été blessé à Taybé.
Un second incident a été rapporté par l’agence officielle libanaise à l’encontre d’une patrouille du contingent français prise à partie « par un groupe de jeunes hommes« à Kfar Kila, laissant craindre une montée des incidents de ce type.
Le Hamas a mené le 7 octobre une attaque sans précédent sur le sol israélien, faisant environ 1.140 morts, essentiellement des civils, selon un décompte de l’AFP à partir des chiffres officiels disponibles.
Les frappes israéliennes de représailles dans la bande de Gaza ont fait environ 22.000 morts, majoritairement des femmes, adolescents et enfants, selon le ministère de la Santé du Hamas.
L’État Islamique du Grand Sahara (EIGS), des terroristes en puissance
Vidéo GEO : Quelle différence entre État islamique, Al-Qaïda et talibans ?
Né en 2015, l’État Islamique du Grand Sahara (EIGS), groupe armé djihadiste, ne cesse de se déployer dans le Sahel central, une zone reculée entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso.
En mai 2015, un djihadiste sahraoui prête allégeance à l’État Islamique. Adnane Abou Walid al-Sahraoui est le premier combattant du Sahel à se rapprocher de Daech. L’organisation terroriste dont le califat s’établit en Irak met un an à reconnaître officiellement cette entité éloignée qui au départ ne s’appuie que sur quelques hommes. L’État Islamique du Grand Sahara (EIGS) est lancé.
L’État Islamique du Grand Sahara, une naissance entourée de rivaux
Le premier bastion de l’EIGS se situe dans le nord-est du Mali. La région comme le reste du pays est en crise depuis 2012. Une guerre oppose l’état malien aux rebelles touaregs rejoints par les djihadistes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).
L’EIGS s’ajoute à ces acteurs déjà nombreux et s’engouffre donc dans cette spirale infernale en visant l’armée malienne, garante de l’état. Pendant un temps, ses actions sont limitées car l’armée française quadrille la zone. Paris a envoyé 5000 soldats, la force Berkhane.
L’ONU, quant à elle, mobilise aussi des milliers de Casques bleus avec la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali). Mais l’EIGS compte bien imposer son idéologie salafiste sur les populations et devenir le maître de la région. Les terroristes pratiquent l’extorsion de fonds auprès des populations civiles à travers la zakat, l’impôt religieux, dans les territoires qu’ils contrôlent. Avec leurs mines d’or artisanales, mais aussi l’argent qu’ils gagnent grâce à la contrebande de la drogue et des armes, l’EIGS devient autonome financièrement, ce qui n’est pas l’apanage de toutes les organisations djihadistes.
EIGS : une zone d’influence et de contrôle de plus en plus vaste
L’EIGS étend alors ses racines dans la zone dite « des trois frontières » aux confins du Niger, du Burkina Faso et du Mali. Terres éloignées des capitales des trois pays, peuplées de Peuls, traditionnellement des éleveurs, mais aussi d’agriculteurs, et surtout gigantesques par leur superficie, la stabilité n’y est pas une tradition.
Là, dans le delta intérieur du fleuve Niger, des milices se créent donc pour répondre aux conflits communautaires. Et l’EIGS de s’appuyer sur ces tensions pour asseoir progressivement son joug. Après deux ans d’activité, le groupe terroriste amplifie ses offensives en visant désormais les armées des trois pays du Sahel central, avec toujours la même optique : déstabiliser les pouvoirs en place.
Le scénario est identique. Des dizaines d’assaillants à moto ou en pick-up attaquent, mitraillettes en main, les postes militaires. Après avoir tué les soldats, ils repartent avec les stocks d’armes, puis disparaissent. À cette période et jusqu’en 2020, l’EIGS coexiste d’ailleurs avec l’autre courant djihadiste très présent sur place, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), affilié à Al-Qaïda. Les deux frères ennemis font cause commune, en tout cas, au départ.
Mais le 9 août 2020, un événement va faire connaitre l’EIGS au-delà du Sahel central. Six humanitaires français de l’ONG Acted, âgés de 25 à 31 ans, et leurs accompagnants, sont tués froidement lors d’une balade au milieu des girafes, dans la réserve naturelle de Kouré, au Niger. L’EIGS a commandité l’attentat et montre qu’elle vise aussi les Occidentaux.
2022, l’ascension de l’État Islamique du Grand Sahara (EIGS)
Le 16 septembre 2021, le président de la République française Emmanuel Macron et la ministre des Armées, Florence Parly, annoncent la mort d’Adnane Abou Walid al-Sahraoui, le chef de l’État islamique dans le Grand Sahara. Celui-ci a été abattu par drone quelques semaines auparavant avec une dizaine de ses hommes à l’est du Mali. Mais ces représailles ne vont pas affaiblir pour autant l’EIGS qui se dote d’un nouveau chef, Abou al-Bara al-Sahraoui.
Surtout, la France est en passe de quitter le Mali. La fin de l’opération Berkhane est annoncée le 17 février 2022. Le dernier soldat français quitte la zone le 15 août 2022. Parallèlement, le gouvernement de Bamako a souhaité limiter l’action de Minusma. L’EIGS a donc le champs libre sur ses zones d’influence et va même se renforcer et s’étendre encore plus. En décembre, une vidéo de propagande montre plusieurs centaines de combattants dans le désert. L’EIGS ne se cache plus et va amplifier son emprise…
Des milliers de victimes, dont des civils
Commerces et maisons brûlés, amputations en place publique, l’EIGS appliquent au grand jour des châtiments liés à la charia. Les massacres et tueries se multiplient dans les villages ce qui poussent de nombreux Maliens notamment à l’exil. D’après la ministre française des Armées Florence Parly, l’EIGS serait responsable de la mort de 2 000 à 3 000 civils au Mali, au Niger et au Burkina Faso, de 2015 à 2021. Fort d’un millier d’hommes, l’Etat Islamique du Grand Sahara a maintenant une quasi-hégémonie dans la zone des « trois frontières ». En 2023, ses attaques djihadistes n’ont fait qu’augmenter…
Docteur en histoire, professeur agrégé de l’Université, Patrice Gourdin enseigne à l’École de l’Air. Il intervient également à l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence. Membre du Conseil scientifique du Centre géopolitique, l’association à laquelle le Diploweb.com est adossé.
Quel est le rôle des accords internationaux lorsque des acteurs extérieurs interviennent dans la crise ou le conflit ? Quels outils pour étudier ces accords internationaux motivant ou justifiant une intervention extérieure sur le territoire ? Quelles informations recueillir ? Réponses avec Patrice Gourdin avec cet extrait gratuit de son célèbre « Manuel de géopolitique », éd. Diploweb, disponible au format papier sur Amazon.
Tout État contracte des accords avec l’ensemble et/ou une partie des autres pays. Il en résulte des droits, des garanties, des avantages et des obligations. Aux termes de ces dernières, il peut être amené à agir (ou à s’abstenir d’agir) en cas de crise ou de conflit. Le champ des engagements internationaux est très vaste. Très schématiquement, nous distinguons un accord universel, la Charte des Nations unies, des ententes régionales et des alliances bilatérales. Ils portent sur tous les domaines dans lesquels les États peuvent avoir des intérêts et rechercher une coopération, déterminer des règles ou fixer des limites. Cela fournit donc de multiples motifs d’intervention – directe ou indirecte – ou de non-intervention.
Un ou plusieurs États peuvent intervenir dans une crise ou un conflit afin d’honorer les engagements découlant de leur adhésion à l’Organisation des Nations unies. Base du droit international la Charte de San Francisco, adoptée en 1945, commence par ces mots : « Nous, les peuples des Nations unies, résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre ». Le premier objectif de l’ONU est de « maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin [de] prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d’écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte d’agression et autre rupture de la paix, et [de] réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l’ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix [1] ».
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Par conséquent, ratifier ce document impose d’œuvrer en faveur du maintien ou du rétablissement de la paix et de contribuer aux différentes actions menées pour assurer la sécurité collective : « Les Membres de l’Organisation donnent à celle-ci pleine assistance dans toute action entreprise par elle conformément aux dispositions de la présente Charte et s’abstiennent de prêter assistance à un État contre lequel l’Organisation entreprend une action préventive ou coercitive [2] ». « Tous les Membres des Nations Unies, afin de contribuer au maintien de la paix et de la sécurité internationales s’engagent à mettre à la disposition du Conseil de sécurité, sur son invitation et conformément à un accord spécial ou à des accords spéciaux, les forces armées, l’assistance et les facilités, y compris le droit de passage, nécessaires au maintien de la paix et de la sécurité internationales [3] ».
Les opérations de maintien de la paix sont mises en œuvre après approbation de l’ONU, ce qui suppose au préalable l’accord des cinq membres permanents (Chine – Taiwan jusqu’en 1971, République populaire depuis –, États-Unis, France, Grande-Bretagne, URSS – puis Russie à partir de 1991) du Conseil de sécurité : « Afin d’assurer l’action rapide et efficace de l’Organisation, ses Membres confèrent au Conseil de sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationale [4] ». « Les décisions du Conseil de sécurité […] sont prises par un vote affirmatif de neuf de ses Membres dans lequel sont comprises les voix de tous les Membres permanents [5] ».
Rappelons que, contrairement à une idée répandue, l’abstention ou l’absence d’un membre permanent ne comptent pas. En pratique, seul le vote négatif d’un ou de plusieurs membre(s) permanent(s) bloque une décision
L’histoire des interventions de l’ONU démontre clairement que celles-ci dépendent largement des intérêts des cinq “Grands“.
Durant la Guerre froide, le blocage réciproque devint la règle : chaque “bloc“ se défendait contre l’autre, protégeait ses alliés contre ceux de l’autre. Entre 1945 et 1989, le veto fut utilisé 90 fois par l’URSS (notamment 35 fois pour bloquer l’admission de nouveaux États à l’ONU), 63 fois par les États-Unis (en 1970, pour la première fois, dont 30 au sujet du Proche-Orient, souvent contre les résolutions hostiles à Israël), 29 fois par la Grande-Bretagne (les deux premières fois en 1956 lors de l’expédition de Suez, seulement une autre fois avant 1970), 16 fois par la France (les deux premières et uniques fois avant 1974, en 1956 lors de l’expédition de Suez ; jamais sous les présidences du général de Gaulle et de Georges Pompidou) et 1 fois par la Chine (la République populaire refusant l’admission du Bangladesh, en 1972) [6]. Méfions-nous d’une lecture littérale de ces chiffres : si l’effet paralysant ne fait aucun doute, il convient également de tenir compte du contexte d’affrontement entre deux systèmes à vocation universelle. Cela fournit une autre clé de lecture : en contraignant l’autre au veto, chacun des deux “Grands“ rendait visible ce qu’il présentait comme le refus de son adversaire de participer à l’œuvre collective de paix. Ainsi, toutes les résolutions rejetées entre le 16 février 1946 et le 3 septembre 1963 le furent par la seule URSS.
La situation s’inversa à partir de 1970, lorsque la diplomatie américaine décida d’user à son tour de son droit de veto : sur 79 résolutions rejetées entre le 17 mars 1970 et le 23 décembre 1989, 63 le furent par les États-Unis (38 par eux seuls et 25 avec au moins un allié) et le détail montre un camp occidental sur la défensive face à l’avancée soviétique dans le tiers-monde [7].
Le capital de sympathie de l’auteur du veto pouvait s’en trouver écorné. La pacification des relations internationales voulue par M. Gorbatchev et les Occidentaux se traduisit, entre 1989 et 1994, par un fonctionnement – enfin – efficace du système de sécurité collective institué en 1945. La multiplication des opérations de maintien de la paix en témoigne : 20 furent alors autorisées et le nombre des soldats impliqués (les Casques bleus) passa de 11 000 à 75 000. Il s’agissait, dans beaucoup de cas, de liquider les graves séquelles guerrières de la Guerre froide. Les échecs enregistrés dans des conflits suivis par le grand public (ex-Yougoslavie, Somalie, Rwanda) révélèrent les faiblesses du système et les carences des États, notamment des cinq membres permanents du Conseil de sécurité.
La défiance américaine, dans un premier temps, après l’échec en Somalie, en 1995 ; ensuite, le durcissement simultané de la Russie et de la Chine, depuis la guerre du Kosovo, en 1999 ; enfin, le choix de l’unilatéralisme assumé par Washington après les attentats du 11 septembre 2001, combinèrent leurs effets.
Assortis d’une insuffisance de moyens, ils ramenèrent l’ONU à une certaine impuissance : 20 opérations de la paix entre 1990 et 1994 ; 19 entre 1995 et 2000, mais dont 10 prolongeaient des opérations engagées durant la période précédente ; 9 entre 2001 et 2009, mais dont 3 pour le seul conflit du Darfour et 3 prolongeaient des opérations engagées durant la période précédente, en Haïti et au Timor Leste. En outre, des dizaines de cas d’“exploitation sexuelle“, de fraude, de corruption et de mauvaise gestion entach(èr)ent les opérations de maintien de la paix [8]. Sans en diminuer la gravité intrinsèque ni l’effet ravageur pour la réputation d’une institution de pouvoir (« la femme de César doit être irréprochable »), il convient de tenir compte du fait que ces crimes et délits arrangent certains acteurs.
En effet, nombre d’États, pour des raisons diverses, ont intérêt – sans l’avouer ouvertement – au discrédit des opérations militaires de l’ONU. Par exemple, ceux qui la trouvent déjà trop interventionniste, ceux qui l’estiment trop coûteuse, ceux qui doutent de son efficacité et souhaitent avoir raison pour agir en dehors d’elle de manière légitime sinon légale, ceux qui pourraient un jour s’y trouver confrontés et la souhaitent donc la plus impuissante possible. Un élément supplémentaire vient compliquer encore l’affaire : l’avis des États peut varier au gré du temps et/ou de leurs intérêts. Dans l’analyse du rôle de l’ONU, il ne faut donc pas se borner aux différends ou conflits dont elle traite.
En février 1992, dans le traité de Maastricht, l’Union européenne posa le principe d’une politique étrangère et de sécurité commune (PESC) dont les objectifs sont : « – la sauvegarde des valeurs communes, des intérêts fondamentaux et de l’indépendance […] ;
le renforcement de la sécurité […] ;
le maintien de la paix et le renforcement de la sécurité internationale […] ;
la promotion de la coopération internationale ;
le développement et le renforcement de la démocratie et de l’État de droit ainsi que le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales [9] ».
Pour ce faire, les États membres prévoyaient d’instaurer une « coopération systématique [10] » de leurs diplomaties respectives, de « mettre graduellement en œuvre […] des actions communes [11] » et demandaient à « l’Union de l’Europe occidentale (UEO) [née des accords de Paris, en 1954], qui fait partie intégrante du développement de l’Union européenne, d’élaborer et de mettre en œuvre les décisions et les actions de l’Union qui ont des implications dans le domaine de la défense [12] »
Le 19 juin de la même année, à Petersberg, les États membres de l’UEO définissaient ses missions : humanitaires ou d’évacuation de ressortissants, de maintien de la paix, de forces de combat pour la gestion des crises y compris des opérations de rétablissement de la paix. À partir de 1997, ces dernières, insérées (Article 17) dans les traités d’Amsterdam (1997) puis de Nice (2001), relevèrent de l’Union européenne. Mais l’UEO resta prioritairement vouée à la sécurité collective. En effet, en novembre 2000, les compétences opérationnelles de gestion de crise de l’UEO furent intégrées dans l’Union européenne (Accord interministériel de Marseille) qui développa finalement des structures et des capacités propres dans le cadre de la “politique européenne de sécurité et de défense“. Cette dernière résulte d’une décision prise en 1999, lors du Conseil européen de Cologne, en application de l’article J.4 du Traité instituant l’Union Européenne qui prévoyait « la définition à terme d’une politique de défense commune, qui pourrait conduire, le moment venu, à une défense commune [13] ». Le Traité de Lisbonne (2008), reprend l’ensemble des dispositions des textes antérieurs, moyennant quelques formulations revues ou corrigées et quelques précisions. L’action de l’Union européenne sur la scène internationale repose sur « les principes qui ont présidé à sa création, à son développement et à son élargissement et qu’elle vise à promouvoir dans le reste du monde : la démocratie, l’État de droit, l’universalité et l’indivisibilité des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le respect de la dignité humaine, les principes d’égalité et de solidarité et le respect des principes de la charte des Nations unies et du droit international [14] ».
Elle entend privilégier le multilatéralisme et se fixe plusieurs objectifs : défense de sa souveraineté, promotion de la démocratie et des droits de l’homme, actions en faveur de la paix, soutien au développement durable, intégration économique de l’ensemble des pays, préservation de l’environnement, assistance en cas de catastrophe naturelle. Quant à la “politique de sécurité et de défense commune“, qui « inclut la définition progressive d’une politique de défense commune de l’Union [, e]lle conduira à une défense commune, dès lors que le Conseil européen, statuant à l’unanimité, en aura décidé ainsi [15] ».
Elle « fait partie intégrante de la politique étrangère et de sécurité commune. Elle assure à l’Union une capacité opérationnelle s’appuyant sur des moyens civils et militaires. L’Union peut y avoir recours pour des missions en dehors de l’Union afin d’assurer le maintien de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale [16] ».
Les missions définies à Petersberg demeurent, tout en s’élargissant à la prévention des conflits, aux opérations de stabilisation à la fin des conflits, au conseil et à l’assistance militaire, au désarmement et à la lutte antiterroriste [17].
L’Union européenne mène, depuis 2003, des opérations dans ce cadre juridique et opérationnel. Par exemple, elle intervint durant l’été 2003 en Ituri afin de soutenir l’action des Nations unies pour le rétablissement de la paix en République démocratique du Congo. Mais l’exécution de missions de ce type ne va pas toujours sans encombre. L’Union européenne déploya ses forces opérationnelles (EUFOR), de janvier 2008 à mars 2009, aux confins du Tchad, de la République centrafricaine et du Soudan, suite à l’adoption de la résolution 1778 (25 septembre 2007) du Conseil de sécurité de l’ONU sur le conflit au Darfour. Comme ses partenaires soupçonnaient la France de vouloir les entraîner dans un conflit auquel elle est, aux côtés du Tchad, déjà partie prenante, le déploiement du dispositif militaire de l’Union européenne prit du retard [18]. L’union demeure un combat et l’articulation des intérêts communs avec les intérêts nationaux s’avère toujours délicate.
L’ampleur des exactions commises contre les populations civiles durant la Seconde Guerre mondialepar les puissances de l’Axe, avec en point d’orgue l’extermination de plusieurs millions de Juifs par les nazis, provoqua une internationalisation des droits de l’homme. Le respect de ces derniers, en temps de paix comme en temps de guerre, devint un des objectifs de l’ONU. En 1948, « considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde [19] »,
l’Assemblée générale adopta une Déclaration universelle des droits de l’homme qu’elle proclama « comme l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations afin que tous les individus et tous les organes de la société […] s’efforcent, par l’enseignement et l’éducation, de développer le respect de ces droits et libertés et d’en assurer, par des mesures progressives d’ordre national et international, la reconnaissance et l’application universelles et effectives [20] ».
Ainsi se développa, notamment, le droit international humanitaire, applicable en cas de conflit armé, y compris dans le cadre des guerres civiles. Les conventions de 1949 reprirent les règles préexistantes (Convention de Genève de 1864, protégeant les victimes militaires des combats – les blessés, les naufragés, les prisonniers –, et Conventions de La Haye de 1899, révisées en 1907, fixant les droits et les devoirs des combattants) et intégrèrent la protection des personnes civiles. Les protocoles additionnels de 1977 améliorèrent encore la protection des civils. Contraire aux principes de la Charte de l’ONU, laquelle stipule qu’ « aucune disposition de la présente Charte n’autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un État, ni n’oblige les Membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente Charte [21] »,
le “droit d’ingérence humanitaire“ évoqué au début des années 1990 fit place, en 2001, au concept de “responsabilité de protéger“, ainsi justifiée : « Quand une population souffre gravement des conséquences d’une guerre civile, d’une insurrection, de la répression exercée par l’État ou de l’échec de ses politiques, et lorsque l’État en question n’est pas disposé ou apte à mettre un terme à ces souffrances ou à les éviter, la responsabilité internationale de protéger prend le pas sur le principe de la non-intervention [22] ».
Parallèlement, émergea une répression internationale. Elle apparut d’abord comme exceptionnelle, avec les tribunaux militaires internationaux de Nuremberg (1945), pour juger les responsables de crimes contre la paix, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis par les nazis, et de Tokyo (1946), pour juger leurs homologues japonais. Le texte fixant le statut de ces tribunaux définissait ces différents crimes : « ‘Les Crimes contre la Paix‘ : c’est-à-dire la direction, la préparation, le déclenchement ou la poursuite d’une guerre d’agression, ou d’une guerre en violation des traités, assurances ou accords internationaux , ou la participation à un plan concerté ou à un complot pour l’accomplissement de l’un quelconque des actes qui précèdent ; « ‘Les Crimes de Guerre‘ : c’est-à-dire les violations des lois et coutumes de la guerre. Ces violations comprennent, sans y être limitées, l’assassinat, les mauvais traitements et la déportation pour des travaux forcés ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés, l’assassinat ou les mauvais traitements des prisonniers de guerre ou des personnes en mer, l’exécution des otages, le pillage des biens publics ou privés, la destruction sans motif des villes et des villages ou la dévastation que ne justifient pas les exigences militaires ; « ‘Les Crimes contre l’Humanité‘ : c’est-à-dire l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux […] [23] » .
En 1948, une convention définit le crime de génocide : « l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : a) Meurtre de membres du groupe ; b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; e) Transfert forcé d’enfants d’un groupe à un autre groupe [24] ».
Mais laGuerre froideexclut tout accord instituant une juridiction internationale compétente et ce, en dépit des multiples conflits qui l’accompagnèrent. Au demeurant, ni l’Est, ni l’Ouest, ni le tiers monde n’étaient irréprochables en la matière. Seule avancée durant cette période, la Convention de 1968 sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Après la pacification gorbatchévienne des relations internationales, en 1989, l’esprit de sécurité collective opéra un grand retour. Dans ce nouveau contexte et sous l’impulsion de l’émotion provoquée dans l’opinion publique mondiale par l’ampleur des exactions commises, le Conseil de sécurité créa deux tribunaux ad hoc pour l’ex-Yougoslavie (résolutions 808 et 827, 1993) et pour le Rwanda (résolution 955, 1994), puis des tribunaux nationaux “à caractère international“ au Timor oriental (résolution 1272, 1999) et en Sierra Leone (résolution 1315, 2000).
L’Assemblée générale des Nations unies recommanda, quant à elle, la création de “chambres extraordinaires“ auprès des tribunaux du Cambodge « pour juger les auteurs des crimes commis pendant la période du Kampuchea démocratique » (résolution 57/228, 2002).
En 2005, la Bosnie-Herzégovine créa un “Tribunal pour les crimes de guerre“, qui reprit certains dossiers du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Avec la Cour pénale internationale-CPI [25], instituée en vertu de la Convention signée à Rome en 1998, une structure permanente fonctionne depuis avril 2002, date à laquelle le seuil de 60 États ayant ratifié la Convention (désormais appelée Statut de Rome), nécessaire pour la mise en place de la CPI, fut atteint (le 22 juillet 2009, en ratifiant à son tour le texte, la République tchèque portait à 110 le nombre d’États membres des Nations unies parties au Statut de Rome, mais 82, dont les États-Unis, la Russie et la Chine, ne l’ont pas ratifié). Ne faisant pas partie du système des Nations Unies, la CPI traite des génocides, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des agressions postérieurs au 1er juillet 2002 [26]. Actuellement, elle enquête sur les crimes commis en Ouganda, en République démocratique du Congo, en République centrafricaine, en Côte-d’Ivoire et au Darfour. Ainsi, le procès de l’ancien chef de l’Union des patriotes congolais, Thomas Lubanga, arrêté en 2006, commença le 26 janvier 2009 et se présente comme le procès du recrutement et de l’utilisation forcés des enfants-soldats [27]. Le procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo fit arrêter Jean-Pierre Bemba à Bruxelles au printemps 2008. La CPI lui reproche les viols de masse commis par ses troupes lors d’une incursion en République centrafricaine, en 2002, ainsi que des atrocités perpétrées en Ituri, en 2003 [28]. Sans la coopération de nombreux États, de tels procès n’auraient pas lieu. Décision sans précédent, le Conseil de sécurité créa un “Tribunal spécial pour le Liban“ en 2007 (résolution 1757), après l’attentat qui coûta la vie à l’ancien Premier ministre, Rafic Hariri. Il a compétence pour 14 assassinats, tentatives d’assassinats et attentats ayant visé des personnalités libanaises anti-syriennes depuis octobre 2004.
Afin de promouvoir des relations amicales entre États, l’ONU encourage la constitution de regroupements économiques régionaux. La liste (non exhaustive) est déjà longue : Communauté économique européenne en 1957, Marché commun centre-américain en 1961, Union douanière et économique de l’Afrique centrale en 1964 (devenue Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale en 1969), Association des nations d’Asie du Sud-Est en 1967, Communauté andine en 1969, Communauté des Caraïbes en 1973, Groupe des pays Asie-Caraïbes-Pacifique en 1975, Communauté économique pour le développement des États de l’Afrique de l’Ouest en 1975, Conseil de coopération du Golfe en 1981, Association régionale pour la coopération en Asie du Sud en 1985, Union du Maghreb arabe en 1989, Coopération économique Asie-Pacifique en 1989, Marché commun des États d’Amérique du Sud en 1991, Union économique et monétaire ouest-africaine, Association de libre-échange nord-américaine en 1994. Chacune de ces associations suit son propre cheminement et en faire l’étude n’entre pas dans le propos de cet ouvrage. Toutefois, dans une perspective géopolitique, un trait domine la plupart de ces regroupements : le blocage. Dans les faits, de multiples rivalités entravent le rapprochement et la coopération : politiques, économiques, voire ethniques, tous sujets précédemment abordés.
Le jeu des alliances bilatérales se double d’engagements multilatéraux, souvent sur une base régionale. Les États peuvent s’associer pour de multiples raisons autres qu’économiques. Certains cherchaient à mettre en place un système régional de sécurité collective : Organisation de l’unité africaine créée en 1963 (devenue Union africaine en 2002), Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (1994). L’Union africaine tente des médiations lors de chaque conflit sur le continent et fournit des contingents à chaque mission de l’ONU. L’Union africaine a créé, en 2002, un Conseil de paix et de sécurité, voué à la prévention et à la gestion des conflits sur le continent africain (mise sur pied de forces d’intervention, les Forces africaines en attente, pour 2010). Mais ses moyens demeurent limités, ce qui le rend dépendant des aides extérieures : programme African Crisis Response Initiative-ACRI puis African Contingency Operations Training and Assistance-ACOTA des États-Unis, British Peace Support Team-BPST des Britanniques et Renforcement des Capacités Africaines de Maintien de la Paix-RECAMP des Français, élargi à l’Union européenne. Ajoutons que les désaccords politiques ne manquent pas, ce qui contribue à expliquer l’échec du “Mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits“ mis en place par l’OUA en 1993. L’OSCE engage des médiations dans les conflits eurasiatiques (sa compétence s’étend jusqu’en Asie centrale et s’arrête à la frontière chinoise) et veille au respect des droits de l’homme et du citoyen. D’autres regroupements essayent de défendre des intérêts spécifiques : Ligue des États arabes (1945), Organisation de la conférence islamique (1969), ou une conception particulière : Mouvement des non-alignés (1961). Durant la Guerre froide, les États-Unis cherchèrent à organiser leurs alliés de manière efficace : Organisation européenne de coopération économique (1948), pour gérer le plan Marshall ; Organisation des États américains (1948), pour resserrer les liens avec l’“arrière-cour“, par exemple. Depuis la chute de l’URSS, la Russie tente de restaurer sa puissance perdue : dès 1991, elle suscita une Communauté des États indépendants, espérant ainsi conserver un contrôle indirect sur son ancien empire. Au contraire, Washington, qui n’a aucun intérêt à la renaissance d’une Russie forte, encourage plus ou moins discrètement l’alliance des pays rétifs à l’influence de Moscou, comme celle nouée, en 1997, entre la Géorgie, l’Ukraine, l’Azerbaïdjan et la Moldavie : le GUAM. Dans un sens inverse, l’Organisation de coopération de Shanghai naquit, en 2001, du refus d’un monde unipolaire et de l’hostilité partagée de la Russie et de la Chine envers l’unilatéralisme américain. La recherche d’une régulation internationale se substituant à l’unilatéralisme américain justifie également le regroupement de la Russie (qui avait suggéré cette démarche en 1998), de l’Inde et de la Chine, le RIC, formé en 2002, puis élargi au Brésil, en 2006 pour constituer le BRIC, ensemble fort de 40 % de la population mondiale et créant 10 % de la richesse mondiale [29].
Un ou plusieurs États peuvent intervenir dans un conflit pour honorer des accords ou des traités défensifs, bilatéraux ou multilatéraux.
Ainsi, la France signa-t-elle, après la décolonisation de l’Afrique noire, une série d’accords bilatéraux, souvent en partie secrets, en matière de défense et de coopération militaire. Les accords dits “de défense“ impliquent une garantie française en cas d’agression. Cette dernière peut revêtir trois formes : des troubles internes – dits “circonstances graves“ – (cela était inclus dans les accords signés au début des années 1960 avec la Côte-d’Ivoire, le Gabon et le Tchad), des mouvements de rébellion soutenus de l’extérieur, une agression étatique. La mise en œuvre de ces accords ne revêt aucun caractère d’automaticité. Les accords dits “de coopération militaire“ assurent une formation de personnels, une assistance militaire technique et un soutien logistique [30].
Accords internationaux au 30 juin 2009
Diploweb
Ils constituèrent le cadre juridique des multiples interventions de l’armée française dans la région. Certains autorisent même l’intervention de la France en vue du maintien de l’ordre intérieur : Côte-d’Ivoire, Gabon, Togo. En septembre 2002, confronté à une rébellion organisée dans le nord du pays, le président de la Côte-d’Ivoire, Laurent Gbagbo, demanda le soutien de la France, dans le cadre de l’accord de défense de 1961. En l’absence de participation étrangère avérée, cela lui fut refusé. Seul fut mis en œuvre l’accord de coopération prévoyant la contribution des armées françaises à la formation et au soutien des troupes ivoiriennes. Il en résulta le déploiement de la force “Licorne“, le 22 septembre. Dans un premier temps, elle évacua les ressortissants étrangers, ensuite, elle apporta une aide logistique à l’armée régulière, enfin, elle s’interposa entre les belligérants afin de prévenir la guerre civile : le 17 octobre, les deux camps durent se résigner au cessez-le-feu. De même, lorsque la France intervint aux confins du Tchad, de la République centrafricaine et du Soudan, fin 2006 puis début 2007, elle honorait des accords bilatéraux conclus avec les deux premiers pays, menacés de déstabilisation à partir du Darfour voisin [31]. Durant les années 1990, la France signa également des accords de “coopération en matière de défense“ avec plusieurs États du Golfe Arabo-Persique inquiets des menées irakiennes et iraniennes [32] : Koweït (1992), Qatar (1994), Émirats arabes unis (1995). Dans le cadre des ces engagements et à la demande des Émirats arabes unis, la France décida, en janvier 2008, de créer une base permanente dans le port d’Abu Dhabi, « aux portes du détroit d’Ormuz, par où transite 40 % du pétrole mondial [33] ». Cela s’explique par le fait que, « pour ne pas s’enfermer dans un face-à-face étouffant avec les États-Unis, au demeurant mal perçu par leurs populations, les monarchies du Golfe s’attachent à diversifier leurs partenaires, tant pour les achats d’armes que pour les accords de coopération militaire [34] ». Les deux partenaires en tirent donc avantage. En 2009, l’inauguration de la base française à Abu Dhabi, baptisée “Camp de la paix“, coïncida avec la signature d’un nouvel accord de défense avec les Émirats arabes unis. Ce dernier allait plus loin qu’aucun autre signé par le passé (du moins pour ce que l’on peut en connaître). Un quotidien affirma même, quelques jours plus tard, savoir “de source sûre“ que Paris pourrait aller jusqu’à mettre en action ses armes nucléaires [35]. Extrapolation, ou fuite savamment calculée pour “dissuader“ l’Iran ? À la relecture, les propos du président de la République française ne comportaient rien qui permît de trancher : « Il est prévu que nous décidions en commun de réponses spécifiques et adaptées, y compris militaires, lorsque la sécurité, la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance des Émirats arabes unis sont affectés [36] ».
Mais n’est-ce pas là, précisément, tout l’art de la dissuasion ? Nicolas Sarkozy précisa, à l’occasion de cette inauguration, les objectifs de la France en expliquant que cette base se voulait : « le témoignage du dynamisme de la France et une illustration de la capacité de la France à s’adapter aux défis du monde contemporain, à la mondialisation, à la diversification croissante de nos partenaires politiques, économiques, stratégiques, militaires, voire culturels, au-delà de l’Europe, de l’Atlantique ou des pays issus de notre ancienne zone d’influence traditionnelle [37] ».
Quant à la presse, elle insista sur l’importance des enjeux : pétrole, contrats d’armement, échanges commerciaux, implantation à proximité de l’“arc de crise“ dans lequel la France est déjà impliquée – via l’Afghanistan, notamment – ; et aussi, peut-être, renforcement du lien transatlantique : « Abu Dhabi est une ancienne colonie britannique. L’installation d’une base française dans une région historiquement sous influence anglo-saxonne est chargée de symbole. Au moment où notre pays accomplit son retour dans le commandement [militaire] intégré de l’OTAN, il y a là la preuve concrète d’une volonté de s’insérer dans un effort collectif de défense. À Abu Dhabi, les militaires français seront notamment en contact avec leurs homologues américains et britanniques, présents dans les parages. Ils pourront participer à la collecte de renseignements et être prêts à toute éventualité [38] ».
Parfois, plus opaques encore, voire secrètes, des ententes expliquent le ralentissement ou le blocage d’un dossier. Ainsi, la République populaire de Chine et la Fédération de Russie en usent abondamment aujourd’hui, comme le firent, nous l’avons vu, les principaux protagonistes de la Guerre froide durant cinquante ans. La définition d’un statut pour le Kosovo, la pacification du Darfour, la résorption des sécessions en Géorgie, par exemple, n’aboutissent pas, du fait de la mauvaise volonté de Pékin et/ou de Moscou. Autre exemple : le partenariat stratégique des États-Unis avec l’État d’Israël ainsi que la sympathie qu’il lui manifeste sont considérés comme deux des causes de la paralysie du dossier palestinien et fournissent un argument aux adversaires de Washington, au premier chef Al Qaeda.
La Russie n’a jamais digéré l’intervention de l’OTAN au Kosovo en 1999. Elle considéra cette action comme une humiliation et affiche, depuis l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine, sa volonté de prendre une revanche éclatante. Moscou affiche donc un soutien sans faille à la Serbie contre les États-Unis et l’Union européenne. Toutefois, Belgrade, qui « ne jure plus que par le grand frère russe [39] » ne devrait pas trop s’illusionner : elle est instrumentalisée dans le bras de fer qui oppose les Russes et les Américains en Europe – élargissement de l’OTAN, système de défense antimissile, notamment. Si les seconds accordent aux premiers des contreparties suffisantes, le Kosovo sera vraisemblablement abandonné aux Occidentaux [40]. Dans le cas contraire, la Serbie risque de devenir un État tampon, comme l’ex-Yougoslavie le fut durant la Guerre froide, après la rupture entre Tito et Staline, et cela pourrait remettre en cause sa volonté d’adhésion à l’Union européenne. De la sorte, Moscou « disposerait au cœur de l’Union européenne d’une sorte de cheval de Troie. Elle empêcherait la continuité territoriale de l’UE élargie et se servirait de la Serbie comme d’une plate-forme pour déstabiliser les pays voisins [41] ». Cette instrumentalisation russe ne se limite d’ailleurs pas à la Serbie, mais englobe l’ensemble des Balkans. Cette région stratégique, constituée d’États faibles, offre au Kremlin, comme à l’Union européenne, un champ de manœuvre très propice au maniement de la carotte et du bâton. Le gouvernement russe, en l’occurrence, ressuscite la politique des zones d’influence qui se déploya dans la région tout au long du XIXe siècle [42].
Pas d’analyse géopolitique sans une étude attentive de la manière dont s’organise la communauté internationale. Les engagements pris, comme le refus d’y souscrire, les liens noués, dénoués ou refusés, ne dépendent pas uniquement de considérations juridiques. Ils revêtent une signification politique et nous les retrouvons dans tous les conflits, dans toutes les crises.
PROBLÉMATIQUE LIÉE AUX OBLIGATIONS INTERNATIONALES
Quel est le rôle des accords internationaux lorsque des acteurs extérieurs interviennent dans la crise ou le conflit ?
CHAMPS DE RECHERCHE
Outils pour étudier les accords internationaux motivant ou justifiant une intervention extérieure sur le territoire où se déroule la crise ou le conflit : . les ouvrages consacrés à l’histoire, aux relations internationales, au droit international et à la science politique.
Les informations recueillies servent à repérer quel(s) accord(s) international(aux) peu(ven)t entraîner dans les événements des acteurs extérieurs au territoire. Le plus souvent un ou plusieurs des éléments suivants :
. les obligation de la charte de l’ONU, . l’Union européenne, . les regroupements économiques régionaux, . les associations régionales autres qu’économiques, . les accords et les traités de défense, . les ententes, . les arbitrages.
La liste n’est pas exhaustive, mais elle recense les facteurs qui apparaissent le plus fréquemment.
Une information est pertinente lorsqu’elle contribue à éclairer la crise ou le conflit que l’on étudie.
Quel nouveau système de sécurité internationale pourrait être en mesure de répondre aux nouveaux défis conjoncturels ? Telle est la question à laquelle l’auteur apporte sa réponse argumentée. Un regard qui vient nourrir le débat. Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur.
?
« L’impasse peut devenir le début d’une voie » (René Barjavel). Encore faut-il faire preuve de clairvoyance ! La tâche n’est pas aisée. D’une impasse, il est difficile de sortir. Il en va ainsi de la crise du système multilatéral (surtout son obsolescence) que le monde traverse. Elle est expliquée, commentée, disséquée. Mais, au-delà d’un diagnostic souvent approximatif, évolutif, de vérités qui dérangent, le temps du remède ne semble pas encore venu.
Dans un nouvel espace international, les nouvelles règles régissant les rapports entre États tardent à se mettre en place. Si certains évoquent l’idée d’une nouvelle architecture (de confiance) et de sécurité, rares sont encore ceux qui en définissent une esquisse autour de quelques grands principes de base. Ce qui constitue le point de départ incontournable pour stabiliser le monde de demain. De notre point de vue, nous devrions nous inspirer des réflexions d’un architecte chargé de bâtir un nouvel édifice. Trois questions se posent alors, celles des fondations, des murs et du toit de notre éventuelle « Maison commune ».
LES FONDATIONS : LE CIMENT DE LA CONFIANCE
Aucun système organisationnel pérenne ne peut exister sans un minimum de confiance entre ses éléments constitutifs : les États dans la société internationale. Or, au XXIème siècle, la défiance prend le pas sur la confiance. Elle constitue l’un des meilleurs carburants de la conflictualité. Or, le retour à la confiance est indispensable pour bâtir un nouvel ordre international.
Nous en sommes encore loin en ce temps de conflit russo-ukrainien marqué par les habituelles imprécations des uns et des autres. S’y ajoute le conflit au Proche-Orient. Bâtir la confiance n’est jamais facile tant cela suppose persévérance et volontarisme. Cela passe par le recours à deux importants éléments constitutifs de la diplomatie : le dialogue et l’inclusion.
Comment imaginer de résoudre un problème en refusant de parler avec l’autre (celui avec lequel l‘on est en désaccord) et en l’excluant des cercles traditionnels de discussion (celui que l’on qualifie d’infréquentable) ? Ceci relève de l’évidence.
Les structures mises en place après la Seconde Guerre mondiale (système onusien) et durant la Guerre froide (système de la CSCE avec le document sur les mesures de confiance, puis de l’OSCE) en fournissent le meilleur exemple. Le voulons-nous ? Le pouvons-nous ? Tant que nous n’aurons pas franchi cette étape, il y a fort à parier que les fondations de l’édifice international demeureront fragiles, incapables de jouer leur rôle d’amortisseur de conflictualité. Une fois, ce cap délicat franchi, nous pourrons envisager d’édifier les murs de notre « Maison commune ».
LES MURS : LE CREUSET DE LA SÉCURITÉ
Si Emmanuel Macron évoque, à juste titre, depuis plusieurs années, l’indispensable mise en place d’une « architecture de confiance et de sécurité », c’est bien la preuve qu’existe une relation symbiotique entre les concepts de confiance et sécurité. Le second ne va pas sans le premier. Et, c’est alors que le problème se complique. Comment induire un sentiment – si subjectif soit-il – de sécurité chez votre rival s’il n’a pas confiance en votre parole ?
Dans ce domaine, les Occidentaux, Américains au premier chef – si prompts à s’ériger en donneurs de leçons – ne sont pas exempts de tout reproche. Ils mélangent souvent droit et morale, principe et opportunité, cris d’orfraie et indignation à géométrie variable. Ils affaiblissent eux-mêmes l’Etat de droit et les règles internationales. Il ne suffit pas de dresser le constat de la conflictualité croissante. Toutes choses faites pour affaiblir la confiance de votre partenaire, votre rival, votre ennemi, et, par voie de conséquence, la sécurité internationale. La sécurité se construit par des actes et non par des paroles creuses, caractéristiques de la société de la communication. Sans confiance, les traités ne sont que de vulgaires chiffons de papier que l’on peut déchirer à l’occasion d’une crise. Une maison aux murs montés de bric et de broc a de fortes chances de se fissurer au moindre vent mauvais. C’est ce que nous constatons malheureusement chaque jour aux quatre coins de la planète. Si tant est que nous montions des murs solides, que devrait-il en être de la toiture ?
LA TOITURE : LE COURONNEMENT PAR LE DROIT?
Va-t-on vers un monde sans droit ? La question n’est pas une hypothèse d’école dans un monde marqué par la prégnance des rapports de force, de puissance et de la désuétude de la loi universelle. Un monde fragmenté et contradictoire au sein duquel l’addition des menaces peut déboucher sur un conflit mondial. Un échiquier international dont les pièces ne cessent de bouger.
Mais, dans ce contexte de fluidité, quelles doivent être les caractéristiques de la norme internationale au XXIe siècle ? Plus qu’une fin en soi, elle doit être un moyen de parvenir à coucher sur le papier quelques principes clairs, reconnus par tous, bannissant le recours à l’ambiguïté constructive, ferment de moultes déconvenues. La norme ne crée pas la sécurité. Elle l’accompagne lorsque celle-ci s’est bien ancrée dans les esprits comme étant dans l’intérêt de tous et pas seulement des puissants. Elle la parachève au point que, dans un monde idéal, elle deviendrait inutile en dépit de l’adage latin « ubi societas,ubijus ».
Aujourd’hui, l’ONU, réduite à l’impuissance – en dépit de son stock impressionnant de conventions et de conférence (« Pacte sur le futur », septembre 2024, devant déboucher sur un agenda pour la paix) – exerce un magistère verbal dont nul ne craint les avertissements. Preuve en est que le droit ne constitue pas la panacée universelle aux maux du monde du XXIème siècle contrairement à la pensée dominante française habituée à l’inflation normative comme solution à tous les problèmes. Il nous faut en tenir compte dans la construction du toit de notre future « Maison commune ».
« La politique est l’art de concilier le désirable avec le possible » (Aristide Briand). La nature reste impénétrable et l’Histoire imprévisible.
Face à un monde en convulsions, il est temps de mettre fin au désordre international et de recréer les conditions d’un ordre pacifique et stable par un renouveau des institutions internationales.
Soyons originaux, créatifs pour adapter les principes à la réalité nouvelle ! Ne cédons pas à la tentation de la facilité, celle d’un droit soumis aux impératifs de la communication. Celle qui fait office d’action.
Il ne suffit pas de constater la recomposition en cours de l’ordre stratégique. Il ne suffit pas de dresser le constat d’échec d’un système multilatéral mis en place en 1945. Il faut le repenser pour redéfinir son logiciel sur la base d’un dialogue et d’une coopération concrète. Cessons de manipuler les mots pour échapper au réel. Après le temps des questions, vient celui des réponses sur des sujets fondamentaux. C’est à ces conditions que nous pourrons bâtir une architecture de confiance et de sécurité pour le monde du XXIe siècle !
(*) Vincent Gourvil est le pseudonyme d’un haut fonctionnaire, par ailleurs Docteur en sciences politiques.
Durant tout le temps de l’opération Noroit au Rwanda, le monde a considérablement changé. Plus d’Union soviétique, plus de guerre froide, et même plus de guerre tout court dans le « nouvel ordre mondial » décrit par le président H. W. Bush en septembre 1990. Il n’y a plus que de la police internationale sous l’égide d’un Conseil de sécurité des Nations-Unies (CSNU) qui n’est plus bloqué par les vétos. De fait, il n’y a plus d’interventions militaires que contre les « Etats voyous », comme on vient de le faire en 1991 contre l’Irak, ou pour gérer les crises à l’intérieur des États.
À ce moment-là d’« État voyou » en Afrique, la Libye de Kadhafi rentrant rapidement dans le rang avant de subir la foudre, mais beaucoup de crises internes, provoquées entre autres par la fin de l’aide des sponsors étrangers, la politique de démocratisation forcée associée à des fins toujours délicates de longs règnes mais aussi la politique imposée de désendettement public. La plupart des États africains s’affaiblissent et certains s’effondrent dans de très violentes guerres civiles.
Au début des années 1990, la première réponse à cette situation est l’opération humanitaire armée. C’est la grande époque du « soldat de la paix », venant à la fois aider les populations du monde en souffrance et geler les problèmes internes jusqu’à une paix négociée. La première de ces grandes opérations de paix en Afrique intervient en Somalie effondrée et chaotique. Le CSNU décide d’y lancer en avril 1992 une opération des Nations unies en Somalie (ONUSOM) afin de protéger l’aide humanitaire et de « faciliter la fin de la guerre » entre les factions. Armée seulement de bonnes intentions et sans effectifs, l’opération ne sert évidemment à rien. Elle est relancée en décembre 1992 par les États-Unis qui demande la formation d’une Force d’intervention unifiée (UNITAF) sous la direction des Nations-Unies mais avec un commandement opérationnel autonome des dix-huit États y participant avec l’autorisation d’employer « tous les moyens nécessaires », c’est-à-dire combattre.
La force principale de l’UNITAF est constituée par les 25 000 soldats américains de Restore Hope. La France, qui croit indispensable de participer aux affaires du monde, fournit la « brigade type » des grandes opérations extérieures : en l’occurrence 2 400 hommes venant de France, de Djibouti ou de l’Océan indien pour prendre en charge avec trois bataillons et un détachement d’hélicoptères la zone de Baïdoa au nord-est de Mogadiscio et la frontière avec l’Éthiopie. Avec cette opération, baptisée Oryx, on intervient pour la première fois en Afrique hors d’une ancienne colonie et d’une manière nouvelle puisqu’il s’agit de rétablir la sécurité dans une zone et d’y protéger l’action humanitaire. Le sort des populations s’améliore incontestablement et les Français s’acquittent particulièrement bien de cette mission, qui plaît alors énormément puisqu’ « on fait le bien » sans prendre trop de risques (il n’y a qu’un seul blessé français).
Le problème est que cela ne résout en rien le problème politique de la lutte entre les principales factions, en particulier celle opposant président par intérim Ali Mahdi Mohamed et le général Mohamed Farah Aïdid, principal seigneur de la guerre du Sud somalien.
Le 26 mars 1993, une nouvelle opération, ONUSOM II, est créée en remplacement d’UNITAF afin de poursuive la protection de l’aide humanitaire, mais aussi désormais de désarmer les factions. Mais c’est à ce moment-là que les États-Unis réduisent leur effort et se placent en réserve des bataillons de Casques bleus.
La France est toujours présente avec Oryx II, soit 1 100 hommes avec un GTIA, et plusieurs bataillons multinationaux sous son commandement (Maroc, Nigéria, Botswana) dans le sud-ouest du pays de l’Éthiopie jusqu’à Kenya. Les choses les plus importantes se passent cependant à Mogadiscio où en juin 1993 la situation dégénère en guerre ouverte entre l’ONUSUM II et le général Aïdid. La France y engage pendant dix jours un sous-groupement interarmes de 200 hommes, avec cinquante véhicules dont onze blindés et quatre hélicoptères. Cet engagement est l’occasion le 17 juin 1993 du combat le plus violent mené par des forces françaises depuis 1979. Le sous-groupement français reçoit pour mission de dégager un bataillon marocain encerclé par la foule et les miliciens d’Aïdid. Après une journée de combats, les Français qui déplorent trois blessés ont dégagé le bataillon marocain et éliminé une cinquantaine de miliciens d’Aïdid. C’est un succès dont les Français n’entendront jamais parler. C’est aussi pratiquement le seul de l’ONUSOM II alors que les accrochages se multiplient. Les Américains, qui mènent en parallèle leur propre guerre contre Aïdid perdent 18 soldats tués dans les combats du 3 et 4 octobre 1993. Le président Clinton décide alors unilatéralement du retrait américain. Sans l’appui des Américains, l’opération l’ONUSOM II s’effondre et connaît la même fin piteuse que la Force multinationale de sécurité de Beyrouth dix ans plus tôt. Les dernières forces françaises se replient de Somalie en décembre 1993.
Cette fin peu glorieuse calme les ardeurs. Lorsque se déclenchent en octobre 1993 les affrontements interethniques au Burundi après l’assassinat du président Ndadaye, la communauté internationale ne réagit pas malgré l’ampleur des massacres qui font entre 80 000 et 200 000 morts selon les estimations. Elle ne le fait non plus lorsque les massacres d’encore plus grande ampleur se déclenchent au Rwanda dès la mort cette fois du président Habyarimana et du nouveau président burundais, Cyprien Ntaryamira, le 6 avril 1994, dans un avion abattu par deux missiles antiaériens SA-16 au-dessus de Kigali. Le lendemain deux sous-officiers français en assistance technique et une épouse sont assassinés à Kigali. Les Hutus radicaux s’emparent du pouvoir et organisent l’assassinat des modérés ainsi que le massacre systématique et déjà préparé de la population tutsie. Le Front patriotique rwandais (FPR) lance de son côté une nouvelle offensive qui s’avère cependant beaucoup plus lente que les précédentes malgré l’absence des Français.
Ce chaos soudain désempare la communauté internationale qui vient donc à peine de sortir du fiasco somalien et se trouve empêtrée dans celui d’ex-Yougoslavie. Échaudés par l’expérience somalienne, les États-Unis, pourtant très informés des projets de massacres via l’Ouganda et le FPR, ne veulent plus bouger et ont même tendance à freiner les décisions du CSNU. À Kigali, la force des Nations-Unies, la MINUAR, en place depuis octobre 1993, est encore plus inefficace que l’ONUSOM à Mogadiscio. Elle est même incapable de protéger la Première ministre Agathe Uwilingiyimana, massacrée par la Garde présidentielle le 7 avril en même temps que dix Casques bleus belges. Le gouvernement belge ordonne le repli de son contingent à Kigali, ce qui finit de vider la MINUAR de sa force.
La France, alors en cohabitation politique, est partagée sur l’attitude à suivre. Mitterrand veut intervenir pour aider ses anciens alliés, alors que le Premier ministre Balladur est réticent. Les tergiversations retardent la décision et surtout aboutissent à une solution de compromis. Balladur accepte une intervention mais sous forme d’opération humanitaire armée, avec un mandat des Nations-Unies et sous commandement national. Il faut attendre le 22 juin 1994 pour que la résolution 929 du CSNU autorise la France à intervenir de « manière impartiale et neutre » afin d’aider autant que possible la population, mais sans réaliser d’interposition. L’opération Turquoise voit donc l’engagement de 2 500 soldats français accompagnés de 500 soldats venus de sept pays africains. Le mandat interdit tout contact des troupes françaises avec le FPR qui est en train de conquérir le sud et l’ouest du pays. Cela impose donc de réduire l’action à la zone sud-ouest du pays qui est transformée en « zone humanitaire sûre » (ZHS) où la population et les organisations humanitaires sont protégées alors que les bandes armées qui s’y trouvent ou qui y entrent sont désarmées.
C’est une mission impossible. Malgré tous les gages, il était naïf d’imaginer que l’on pourrait passer pour neutre dans un pays où quelques mois plus tôt, les soldats français étaient à côté des FAR contre le FPR. Il y a des contacts et donc des accrochages violents avec le FPR qui nous considère toujours logiquement comme un ennemi. Il est également impossible pour les Français de désarmer tous ceux qui fuient à travers la ZHS, ni même de pouvoir contrôler toute cette zone avec aussi peu de forces. Les Français n’ont par ailleurs aucun mandat pour arrêter qui que ce soit. Une grande partie des génocidaires mais aussi tous ceux qui pourraient craindre des représailles, soit plusieurs centaines de milliers de personnes, se réfugient au Congo, le plus souvent en passant par la ville frontière de Goma, à la frontière nord-ouest du Rwanda et donc hors de la ZHS protégée par Turquoise. Certains hauts responsables du pouvoir et du génocide se réfugient en France.
L’opération Turquoise se termine fin août 1994. Avec ses moyens réduits, elle a contribué à sauver la vie de 15 000 personnes et enrayé une épidémie de choléra. C’est une contribution énorme en soi, même si elle est faible au regard de l’ampleur des massacres passés, mais aussi à venir lorsque l’armée du FPR, devenue Armée patriotique rwandaise, envahit le Congo voisin en 1998 et s’y prend de manière épouvantable aux camps de réfugiés. Pour autant si l’opération Turquoise est une réussite humanitaire, c’est un désastre politique puisqu’elle nous a placés immanquablement en position de cibles non pas physiques, mais médiatiques.
Comment ne pouvait-on imaginer en effet que le FPR n’allait pas profiter de la situation pour accuser — non sans raison — l’Élysée de vouloir sauver ses anciens amis devenus génocidaires ? Par quel aveuglement, a-t-on cru que notre acharnement à soutenir le pouvoir en place au Rwanda, quel qu’il soit et quoi qu’il fasse, n’allait pas avoir des conséquences sur l’image de la France ? Par quelle naïveté n’a-t-on pas vu qu’en intervenant, même de bonne foi et avec les meilleures intentions avec Turquoise, que l’on serait forcément accusés de protéger les génocidaires en fuite, dont certains en France parmi les principaux responsables ?
Associé au fiasco parallèle en Bosnie, l’expérience des grandes opérations humanitaires armées, si séduisantes moralement mais si peu efficaces en réalité, se termine pour la France. Alors qu’il y avait 10 000 soldats français portant simultanément un casque bleu en 1992, la France refuse d’engager à nouveau de bataillon sous-direction onusienne, hormis l’éternelle Force intérimaire des Nations-Unies au Liban. Mais cela ne résout pas le problème de la France en Afrique : comment continuer à être présent militairement et agir éventuellement mais sans apparaître intrusif et colonial ? Comment, pour paraphraser Péguy, avoir les mains pures tout en ayant encore des mains ?
Daech, une menace relativement faible, mais à nouveau en expansion
La menace posée par Daech est au menu de la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU vendredi 25 août. (Photo : des soldats irakiens patrouillent près de Badoush, en Irak). Felipe Dana/AP
La menace posée par Daech est au menu de la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU vendredi 25 août. Si le groupe terroriste est plus faible qu’à son apogée, quand il contrôlait de vastes territoires en Irak et en Syrie, il est par endroit en expansion, notamment au Sahel.
Le Conseil de sécurité de l’ONU se réunit ce vendredi 25 août pour discuter de la menace posée aujourd’hui par Daech. Cette organisation terroriste, d’idéologie djihadiste, a connu son apogée en 2014, quand elle a formé un proto-État en Irak et en Syrie qu’elle a baptisé « État islamique ». Malgré son reflux, elle demeure active sur plusieurs continents.
Le « califat », fondé par l’organisation en 2014, achève de se désagréger en 2019, sous les coups de butoir conjoints de forces locales, notamment les Kurdes, et des Occidentaux. Plusieurs de ses chefs sont tués, ce qui contribue fortement à son affaiblissement.
Si l’organisation n’est plus « que l’ombre d’elle-même », selon la spécialiste du djihadisme Mina Al-Lami, citée par le média public américain NPR, elle n’a jamais disparu. Son dernier fait d’armes remonte au lundi 31 juillet, quand elle a revendiqué un attentat-suicide au Pakistan. L’attaque, qui visait le meeting d’un parti religieux conservateur, avait fait 54 morts, dont 23 mineurs.
« Toujours une menace »
Outre le Pakistan et l’Afghanistan, Daech demeure présent au Moyen-Orient et en Afrique. Le groupe prétend toujours former un califat mondial, mais, en réalité, il s’appuie sur des insurgés djihadistes locaux à qui il accepte de prêter son nom. Ceci permet aux locaux de gagner en légitimité, et à l’EI de pouvoir se targuer d’être présent partout dans le monde.
Au Mozambique, le nombre de ses combattants a fortement baissé, passant de 2 500 à 280 suite aux opérations menées par les armées régionales. En revanche, au Congo, le groupe s’est renforcé et il compte désormais 2 000 combattants. Il a également gagné 500 combattants en Égypte (1 000 en tout).
Leurs attaques, contrairement à celle qui a eu lieu au Pakistan, ne font pas toujours la Une des médias, car elles sont limitées et leur nombre a baissé. En Syrie, un pays dont le tiers du territoire était à une époque contrôlée par Daech, il est, selon les experts, contraint de se battre pour survivre. Pour autant, le groupe existe toujours et, selon Mina Al-Lami, il est « toujours une menace ».
Le désarroi des fidèles
Il est aujourd’hui principalement actif dans des milieux ruraux où l’autorité gouvernementale est moins présente. Bien loin, donc, de l’époque où il parvenait à conquérir des villes comme Racca, « capitale » de l’organisation entre 2014 et 2017, qui compte près de 200 000 habitants. Pour se financer, le groupe a recours au racket, au pillage et aux enlèvements.
La crédibilité du groupe est également mise à mal par l’instabilité apparente de sa direction. Depuis la mort de son fondateur, Abou Bakr Al Baghdadi, les chefs se sont enchaînés sans que leur identité ne soit jamais révélée. « C’est un gros coup pour le moral des membres du groupe, qui ne savent pas qui est leur leader et qui doutent même parfois de leur existence », affirme Mina Al-Lami.
Expansion au Sahel
Ce déclin de l’influence de Daech ne signifie toutefois pas qu’il faille ignorer le groupe, selon la spécialiste. Il pourrait justement profiter de ce désintérêt, renforcé par la guerre en Ukraine et les manœuvres chinoises autour de Taïwan, pour se renforcer. La montée en puissance de Wagner dans les pays africains et les exactions commises par les mercenaires sont également susceptibles de garnir les rangs du califat autoproclamé.
Un rapport de l’ONU daté de février 2023 estime d’ailleurs que son extension dans le Sahel constitue une évolution « particulièrement inquiétante ». En Irak et en Syrie, il n’est pas non plus entièrement sans ressource, sa trésorerie étant estimée entre 25 et 50 millions d’euros. Dans ces deux pays, il compterait entre 5 000 et 7 000 membres. Le groupe peut aussi compter sur des dons venant du monde entier, via les réseaux sociaux et les cryptomonnaies.
L’ONU a exprimé son désir de bannir l’usage de l’IA dans les armes de guerre autonomes à l’horizon 2026 et de réguler l’IA militaire à l’échelle mondiale. Antonio Guterres s’est dit favorable à la création d’un conseil spécifique à l’IA, ayant pour objectif d’aider à réguler, gérer l’usage de l’IA militaire et règlementer ses dérives potentielles.
La première réunion du conseil de sécurité de l’ONU dédiée à l’Intelligence Artificielle (IA) a eu lieu le 18 juillet 2023. Le Secrétaire Général des Nations Unies, Antonio Guterres a souligné les progrès spectaculaires de l’intelligence artificielle et de ses applications potentielles au bénéfice du développement commun, du recul de la pauvreté, de l’éducation, de l’industrie, de l’agriculture et de la résolution des grands problèmes environnementaux.
Il a également exprimé son désir de bannir l’usage de l’IA dans les armes de guerre autonomes à l’horizon 2026 et de réguler l’IA militaire à l’échelle mondiale. Selon lui, « l’utilisation malveillante de systèmes d’IA à des fins terroristes criminelles ou étatiques pourrait entrainer un nombre effroyable de morts et de destructions, des traumatismes généralisés et des dommages psychologiques profonds à une échelle inimaginable ». Ce constat posé, Antonio Guterres s’est dit favorable à la création d’un conseil spécifique à l’IA, ayant pour objectif d’aider à réguler, gérer l’usage de l’IA militaire et règlementer ses dérives potentielles.
La réunion dirigée par Antonio Guterres a donné lieu aux premières recommandations exprimées par certains membres de l’ONU montrant une volonté forte de régulation et d’interdiction future des systèmes armés autonomes.
Il faut tout d’abord saluer l’initiative du Conseil de Sécurité et l’organisation de cette réunion inaugurale car les révolutions IA-robotique vont transformer en profondeur l’ensemble des activités humaines. Il est donc important que les grandes puissances et les puissances secondaires puissent échanger librement au sein de l’ONU, et débattre sur les enjeux et les défis de l’IA.
Le volet militaire de l’IA nous fait a priori passer du « côté obscur de la Force ». La réunion dirigée par Antonio Guterres a donné lieu aux premières recommandations exprimées par certains membres de l’ONU montrant une volonté forte de régulation et d’interdiction future des systèmes armés autonomes. Les trois premières puissances militaires (USA, Chine et Russie) ont indiqué, l’une après l’autre, qu’elles se réservaient le droit de développer des systèmes d’armes intégrant de l’IA tout en précisant que ces systèmes devaient rester sous le contrôle humain. Derrière ces premières déclarations, Il faut comprendre qu’aucune de ces trois puissances dominantes n’a l’intention de signer un texte limitant l’usage de l’IA militaire ni de freiner ses investissements massifs (en dizaines de milliards de dollars) réalisés au titre de la recherche et du développement.
1 – Les quatre principes de réalité systémique de l’IA
Concrètement, la déclaration du Secrétaire Général de l’ONU sur l’IA militaire se heurte à quatre grands principes de réalité systémique associés à la diffusion et à l’usage du progrès technologique au bénéfice des activités humaines, civiles et militaires :
Principe n°1 : Le principe du sens unique temporel ou de non-retour en arrière face à une avancée technologique majeure, accessible, impactante et à fort pouvoir libérateur.
Principe n°2 : Le principe de diffusion maximale d’une technologie duale (ayant des applications à la fois civiles et militaires) ;
Principe n°3 : Le principe d’appropriation maximale des technologies efficaces dans un contexte de compétition mondiale et de concurrences géopolitiques.
Principe n°4 : Le principe d’emploi maximal de technologies apportant un avantage tactique ou stratégique sur un adversaire en contexte de guerre ou de guerre froide.
2 – L’intelligence artificielle comme moteur de la haute intensité du combat
Renseignement : collecte, traitement et analyse automatique des données, images satellitaires, imagerie drones, analyse de documents, traduction automatique, localisation, contextualisation à partir d’images, veille documentaire.
Logistique : préparation de missions, OPEX, aide au dimensionnement du dispositif, préparation du soutien, optimisation des approvisionnements (carburants, vivres, eau, munitions).
Simulation : simulation de déploiement, wargame, test d’hypothèses et de capacités, simulation de déploiement d’unités robotisées, entrainement des troupes au combat, entrainement sur de nouveaux systèmes d’armes.
Systèmes robotisés armés : Augmentation du niveau d’autonomie des systèmes, escadrilles et essaims de drones aéroterrestres, marins, sous-marins. Systèmes et boucliers anti-missiles autonomes, systèmes radars intelligents, Lutte Anti-Drones par essaims de drones anti-drones, Niveaux d’autonomie L0,L1,…L5
Cybersécurité et cyberdéfense : Emploi de l’IA pour sécuriser les applications, systèmes d’information et systèmes d’armes, SIEM UEBA (User and Entity Behavior Analytics (UEBA) and Security Information and Event Management (SIEM)), détection et remédiation automatique des attaques, maitrise du risque cyber. Opérations cyber offensives soutenues par l’IA.
PsyOps, opérations cognitives, ingérence et contre-ingérence : détection et remédiation des opérations d’influence, de fracturation des opinions, d’atteinte à l’image, de campagnes de FakeNews produites à partir des réseaux sociaux (fermes de bots), production d’ADFI (Architectures de Données Fictives Immersives) utilisées pour tromper ou influencer une cible.
3 – Les grands défis de l’IA militaire
La robotisation du champ de bataille, la préservation du sang du soldat humain, la réduction temporelle des toutes les étapes de la boucle OODA [O – Observe (observer), O – Orient (orienter), D – Decide (décider), A – Act (agir)], et la recherche de haute intensité au combat sont des objectifs prioritaires pour toutes les armées du monde. Chacun de ces objectifs s’appuie sur les progrès des sciences et technologies, en particulier sur ceux de l’intelligence artificielle qui apporte l’autonomie, la précision et la vitesse de réaction dans les systèmes. Si les défis de l’IA militaire sont multiples, deux d’entre eux apparaissent désormais comme prioritaires en retour d’expérience notamment de la guerre russo-ukrainienne :
Défi n°1 – l’IA-C2 (Command & Control) : l’IA intégrée au sein du système de commandement permet de prendre en compte l’ensemble des données qui remontent du terrain, du renseignement, des capteurs déployés, des unités à engager ou déjà engagées. L’apport de l’IA réside dans sa capacité à tester des hypothèses de manœuvre, à en mesurer les effets sur l’ennemi et sur ses forces, à évaluer le risque associé à une action militaire. La simulation numérique intégrant de l’apprentissage automatique et de l’apprentissage par renforcement donne la possibilité de jouer une séquence opérationnelle, de modifier ses paramètres, de rejouer la séance et de converger vers une solution optimale pour le chef militaire qui en tient compte dans son arbitrage.
Défi n°2 – l’IA embarquée dans les escadrilles et essaims de robots aéroterrestres : La guerre russo-ukrainienne est une guerre des drones aériens vecteurs d’une très forte attrition sur les chars et blindés des deux belligérants. Les premières escadrilles de munitions téléopérées navales ont été déployées par l’armée ukrainienne contre les navires russes. Des drones kamikazes sont régulièrement utilisés dans la profondeur par les deux armées. Ainsi, la question de la lutte anti-drones (LAD) devient prioritaire tout en restant techniquement complexe. L’avantage restant à l’attaquant, le défi de la LAD repose avant tout sur les capacités de détection, de suivi et de neutralisation des vecteurs ennemis. L’intelligence artificielle apporte des solutions très prometteuses pour contrer l’attaque d’un essaim aérien constitué de plus de 100 drones. La méthode de LAD consiste à mettre en œuvre un essaim de drones aérien « anti-essaim » composé lui aussi de plus de 100 drones « racers » qui vont chacun suivre un vecteur ennemi et le détruire par choc cinétique ou par détonation via une charge embarquée. L’action globale de l’essaim anti-essaim ne peut être dirigée que par l’intelligence artificielle.
Ces deux défis, qui reposent pleinement sur les progrès de l’IA, font l’objet d’investissements en R&D très conséquents (plusieurs dizaines de Milliards de dollars) en Chine et aux États-Unis. La course à la haute intensité et aux missiles hypersoniques repose elle aussi sur les apports de l’IA militaire. On comprend facilement que ni la Chine ni les Etats-Unis n’accepteront de limiter ou de renoncer à la course à « l’IArmement » si déterminant dans la recherche de puissance et d’ascendant sur l’ennemi. Le Secrétaire Général de l’ONU mesure parfaitement l’importance des enjeux géopolitiques qui accompagnent le développement de la robotique militaire. Il aura par contre toutes les difficultés à obtenir un moratoire ou un encadrement sur ce type d’armes.
La guerre est parfois enveloppée dans le brouillard de la duplicité, de la propagande ou, pour le moins, de la désinformation. Le Soudan n’est pas une exception et si la guerre d’Irak reste le summum du détournement de la preuve devant le Conseil de Sécurité de l’ONU, il n’en reste pas moins que les conséquences des « coups de semonce », comme celui de 1998, sont parfois ressenties de longues années plus tard.
Aujourd’hui la résurgence de graves turbulences au Soudan qui entraîne l’évacuation d’urgence des diplomates et ressortissants étrangers interroge sur la géostratégie du missile de croisière et la semence de risques insidieux en cascades.
En effet, en 1998, sous le mandat du Président Clinton, quatre missiles de croisière BGM-109 Tomahawk furent lancés depuis des navires de guerre américains positionnés dans la mer Rouge. L’un d’eux frappa et détruisit l’usine pharmaceutique d’Al-Shifa, à Bahri, au Soudan. À l’époque, les États-Unis accusaient le pays du président Omar al Béchir d’aider le leader terroriste Oussama ben Laden à se procurer des armes chimiques fabriquées dans cette usine.
Les preuves ne furent jamais formellement apportées. Quelques mois plus tard, alors que l’auteur était en mission à Khartoum, les ministres soudanais ne manquèrent pas de l’inviter à déjeuner à l’hôtel, construit par les Chinois, dont la terrasse domine le confluent du Nil Blanc et du Nil Bleu qui descend du lac Tana, situé dans les hauts plateaux tempérés d’Éthiopie. On apercevait, au loin, les restes du site de cette usine incriminée qui, selon leurs dires, produisait un inoffensif lait en poudre pour bébés dont le manque ultérieur provoqua de nombreuses morts de nourrissons (1) .
La guerre est parfois enveloppée dans le brouillard de la duplicité, de la propagande ou, pour le moins, de la désinformation. Le Soudan n’est pas une exception et si la guerre d’Irak reste le summum du détournement de la preuve devant le Conseil de Sécurité de l’ONU, il n’en reste pas moins que les conséquences des « coups de semonce », comme celui de 1998, sont parfois ressenties de longues années plus tard.
Ainsi, sous la pression de la communauté internationale, et notamment des États-Unis, le Soudan subit en 2011 une partition géographique, ethnique et religieuse qui conféra au Sud la captation de ressources pétrolières imposantes. Mais des zones immenses, particulièrement au Nord dans le Darfour, sont laissées sans ressources et le taux de mortalité infantile est l’un des plus élevé du monde. Omar el Béchir, emprisonné, sur place depuis 2019, est sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour Pénale Internationale.
La guerre intérieure au Soudan qui vient de resurgir entre deux factions militaires, et la complicité de quelques forces de sécurité paramilitaires, attire de nouveau notre attention. Cette crise s’inscrit dans le vaste domaine de la géopolitique, de la diplomatie, de la puissance et de la résolution des crises initiées par une intervention internationale vieille d’un quart de siècle. Les géopoliticiens ne manqueront pas de souligner que ces pays meurtris par les conflits (Libye, Yemen et Soudan), aussi divers soient-ils et bien qu’à des milliers de kilomètres les uns des autres, ont en commun d’avoir un sous-sol immensément riche en hydrocarbures !
Partager des idées, les confronter, évoquer des solutions de sortie de crise n’est pas un simple exercice intellectuel mais un chemin vers la paix dans cette région du monde souvent oubliée. S’agissant du Soudan, territoire de l’ancien royaume de Nubie, il aurait hébergé sous l’ère du roi David, au XIe siècle avant notre ère, une des fameuses tribus perdues d’Israël. Reste donc à la civilisation de veiller à préserver l’histoire de notre humanité. Le sujet s’inscrit dans le large spectre de la géopolitique, de la diplomatie, de la puissance et de la résolution des conflits armés.
Pour nous Français, on ne peut pas manquer d’évoquer le souvenir douloureux de la mission Congo-Nil du capitaine Marchand. Le 19 septembre 1898, ce dernier fait face aux forces anglaises de Lord Kitchener qui vient de remporter la victoire d’Omdurman et ne compte pas se voir contester le contrôle du Nil, de son delta jusqu’à ses sources. Les Britanniques établissent alors un blocus autour de la place de Fachoda où s’est retranché le capitaine Jean-Baptiste Marchand et sa colonne de marche.
En janvier 1899, les deux pays trouvent un accord diplomatique et les troupes françaises doivent, non sans ressentiment, se replier. Un monument en l’honneur de la mission Marchand, réalisé en 1949 par les sculpteurs Léon René et Georges Baudry (1898-1978), a été érigé à Paris, Porte Dorée. Voilà une époque historique qui doit permettre de mener une réflexion audacieuse et constructive sur les faits d’aujourd’hui et ne saurait relever d’un esprit partisan.
« Les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts» disait Charles de Gaulle. Voilà pourquoi, additionnant les approximations, l’absence de considérations ethno- historiques et la confusion entre les effets et les causes, on pourrait aujourd’hui déboucher dans ce pays sur un désastre militaire et humain.
Dans un monde idéal, rien n’exonère le pouvoir politique de décisions géopolitiques prises ou volontairement omises.
1/ L’usine était la source première des médicaments au Soudan. Werner Daum, ambassadeur allemand de 1996 à 2000, estima que leur manque « provoqua probablement des dizaines de milliers de morts » dans la population soudanaise.
Après la victoire de l’Ukraine, il faudra mettre fin aux opérations d’agression et de déstabilisation de Moscou
OPINION. Défaire la Russie en Ukraine n’est qu’une étape. C’est à la politique agressive menée depuis des années par le régime de Vladimir Poutine dans plusieurs pays qu’il faut mettre fin. Cela passe par la réaffirmation des principes démocratiques et une refondation de nos institutions internationales. Par Nicolas Tenzer (*), président du Centre d’étude et de réflexion pour l’Action politique (CERAP), enseignant à Sciences-Po Paris.
Depuis 23 ans, Moscou a semé la mort et la destruction. Le régime de Poutine est responsable de centaines de milliers de morts en Tchétchénie, en Syrie, en Géorgie, en Afrique et bien sûr en Ukraine. Les victimes civiles du terrorisme d’État de Poutine sont même plus nombreuses que celles d’Al Qaida et de Daech mises ensemble. Après 22 ans où les démocraties ont laissé le Kremlin gagner toutes ses guerres, la guerre totale déclarée à l’Ukraine le 24 février 2022 a conduit, enfin, à une prise de conscience du danger premier que la Russie actuelle posait au monde. Quoique encore trop lentement, ils ont décidé de défendre l’Ukraine et, désormais, d’assurer sa victoire, en lui donnant des moyens pour le faire. On doit d’ailleurs espérer que les dernières restrictions dans la fourniture d’armes seront bientôt levées pour que la victoire puisse être totale et rapide.
En Géorgie, Moscou détient 20 % du territoire depuis 2008
Mais gagner la guerre en Ukraine ne suffira pas. C’est la défaite totale de Moscou qu’il faut assurer : en Géorgie, où Moscou détient de fait encore 20 % du territoire depuis 2008, en Moldavie, où elle conserve la Transnistrie, au Bélarus, où elle soutient à bout de bras le dictateur Loukachenko dans sa politique de répression, en Afrique, où, par son bras armé, les milices Wagner, elle assassine, pille les ressources naturelles et aide les dictatures, mais aussi en Birmanie, à Cuba, au Venezuela et au Nicaragua, et bien sûr en Syrie où, avec l’Iran, elle aide le régime Assad à perpétuer son emprise criminelle (1 million de morts depuis 2011).
Au sein des Nations unies, par sa politique systématique de veto, elle empêche la punition d’autres régimes criminels et veille à protéger sa propre impunité, alors même que Poutine a été inculpé de crimes de guerre par la Cour pénale internationale. Comme d’autres, nous avions d’ailleurs montré que, juridiquement et politiquement, elle pouvait être expulsée de son Conseil de sécurité dont elle demeure un membre permanent, voire de l’organisation elle-même. Il serait dangereux qu’elle essaie de s’acheter des soutiens pour l’éviter, notamment celui du Bélarus, largement sanctionné par la communauté internationale, mais qui semble tenter de se faire élire à son Conseil, quand bien même sa demande a peu de chance d’aboutir. Il est d’ailleurs frappant de voir comment le dictateur biélorusse, qui conduit une répression féroce dans son pays et qui a accepté que son pays serve de base arrière pour des opérations contre l’Ukraine, au point d’accueillir des armes nucléaires tactiques russes en violation de sa constitution et du Mémorandum de Budapest, essaie régulièrement de donner des gages, récemment encore en libérant certains prisonniers politiques. Se prêter à ce subterfuge serait dangereux : il reste plus de 1.500 prisonniers politiques dans les geôles du régime, le plus souvent torturés, et la cheffe de l’opposition en exil et sa présidente légitime, Svetlana Tsikhanouskayak, dont le mari, Siarhei, est en prison, vient d’être condamnée in absentia, à 15 ans de prison. Pour les pays du Sud en particulier, il ne faudrait pas que le Bélarus apparaisse comme une Russie plus acceptable.
Le cas africain est révélateur
Le moment est venu pour les démocraties de réaffirmer leurs principes, mais aussi de lutter plus sérieusement contre les manipulations de l’information. Le cas africain est assez révélateur : alors même que sa politique est néo-impérialiste et néocoloniale, la Russie a su user de tous les moyens, parfois soutenue par des gouvernements qui trouvaient un intérêt personnel à se rapprocher de Moscou, pour renforcer dans l’esprit d’une partie de la population africaine l’idée que l’Occident l’était. En réalité, sa politique de pillage des ressources de ces pays constitue un exemple de prédation dont même les plus fervents colonisateurs occidentaux n’auraient pas pu avoir l’idée. Elle a instillé la corruption en moyen d’action et favorisé les pires pratiques de mauvais gouvernement en opposition totale avec les principes de développement durable portés par les organisations internationales. Les démocraties doivent mieux montrer que la Russie finalement ne favorise que les élites les plus corrompues et fait finalement le malheur des peuples. C’est d’ailleurs ce que Poutine fait avec son propre peuple qui sombre de plus en plus dans la grande pauvreté et avec son propre pays qui tombe dans le sous-développement. Ce n’est évidemment en rien une politique susceptible de garantir la stabilité : tout au contraire, la Russie et ses milices ne font à terme que renforcer un sentiment de désespoir et un état d’anarchie, foyers de développement du terrorisme.
Que ce soit d’ailleurs en Europe, au Moyen-Orient ou en Afrique, cette emprise que les démocraties ont laissée à la Russie est porteuse de deux leçons pour l’avenir. D’abord, après l’Ukraine, il faudra savoir terminer le travail. La Russie doit être suffisamment défaite pour être conduite de lâcher pied là où elle dispose encore d’une présence et d’une influence. Il s’agit là d’une politique de long terme qui suppose que les Alliés et l’Union européenne n’abandonnent pas leur politique de sanctions, directes et secondaires, tant que la menace russe n’a pas disparu et que les coupables de crimes de guerre, contre l’humanité, de génocide et d’agression n’ont pas été livrés à la justice et les dommages de guerre payés à l’Ukraine. Ensuite, les démocraties occidentales doivent revoir leur politique internationale dans un sens de plus grande cohérence : nous avons été trop faibles vis-à-vis aussi d’autres dictatures au prétexte qu’elles servaient nos intérêts alors qu’elle bafouaient ceux de leurs propres peuples. Cela a contribué à rendre les propagandes russe et chinoise plus efficaces. Nous avons peu émis de pression contre les Etats arabes et du Golfe qui ont réhabilité le régime Assad, allié de l’Iran et de la Russie, au point de le réadmettre au sein de la Ligue arabe. Après la fin de la guerre, nous devons aussi proposer aux pays du Sud une politique plus durable en matière de sécurité alimentaire et énergétique.
Refonder les institutions internationales
En somme, la fin de la guerre devra non seulement rendre impossible le business as usual avec la Russie, mais aussi mettre un terme à la tentation de recommencer tout comme avant avec le reste du monde, notamment les pays en développement et en transition.
L’une des tâches majeurs sera aussi de refonder les institutions internationales, et en particulier l’Onu. Le moment est venu d’engager les pays du Sud dans cette entreprise et de conduire une politique menée par l’exemplarité. L’expulsion de la Russie du Conseil de sécurité serait un premier signe. Nous devons également nous montrer intraitables avec des Etats coupables de violations graves de droits au sein de l’organisation, ce qui vaut notamment pour la Syrie, l’Iran ou le Bélarus. Il faudra aussi réactiver l’article 27-3 de la Charte des Nations unies qui dispose qu’un Etat partie à un conflit ne peut faire usage de son droit de vote au Conseil de Sécurité – c’est d’ailleurs les puissances occidentales qui l’avaient rendu caducs dès les premières décennies d’existence de l’organisation de New York.
Un monde sans la Russie de Poutine sera indiscutablement meilleur, plus sûr, plus digne pour les peuples, moins porteur de menaces. Mais nous ne saurions nous arrêter là lorsque l’Ukraine aura gagné : nous devons nous mettre en mesure de bâtir un ordre différent, sur l’exemple de ce qu’avaient fait les fondateurs de l’Onu et concepteurs du droit international après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Sans doute, le moment n’est-il pas, conceptuellement et stratégiquement, si différent.
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(*) Nicolas Tenzer est l’auteur de trois rapports officiels au gouvernement français et de 22 ouvrages. Ses réflexions sur les questions internationales et stratégiques peuvent être consultées sur son blog, Tenzer Strategics.