La mission Clemenceau 2022 que s’apprête à mener le groupe aéronaval français [GAN, encore appelé Task Force 473 ou bien encore, et c’est nouveau, « French Carrier Strike Group »] aura un profil particulier par rapport à celles qui ont été conduites durent ces dernières années.
En effet, le porte-avions Charles de Gaulle n’aura pas à traverser le Canal de Suez pour naviguer, avec son escorte, dans l’océan Indien ou dans le golfe Persique… Pas plus qu’il ne se rendra dans l’Atlantique Nord, comme en 2020. Et pour cause : il ne quittera pas la Méditerranée. Et ce n’est pas une surprise, quand on se souvient des propos tenus par le président Macron, le 13 juillet 2020.
« La zone Méditerranée sera le défi des prochaines années tant les facteurs de crise qui s’y conjuguent sont nombreux : contestation des zones maritimes, affrontements entre pays riverains, déstabilisation de la Libye, migrations, trafics, accès aux ressources », avait résumé le locataire de l’Élysée, avant d’en appeler à une « véritable politique européenne pour la Méditerranée ».
Et d’insister : « La Méditerranée ne peut construire une paix durable sans nous, nous ne pouvons accepter que notre avenir soit construit par d’autres puissances ».
Lors du point presse du minsitère des Armées, le 20 janvier, l’amiral Gilles Boidevezi, commandant de la zone maritime Méditerranée [CECMED], a rappelé que, au-delà des conflits et des tensions, cette mer, qui ne représente que 1% de la surface des océans, est le lieu de transit de « nombreux flux, tant licites [25% du trafic mondial et 65% de flux énergétiques des pays de l’Union européenne] qu’illicites [migrations, stupéfiants, armes, traite d’êtres humains], ce qui n’est pas sans conséquence(s) sur la sécurité du Vieux Continent.
« La présence française dans la zone s’avère donc nécessaire pour défendre nos intérêts économiques et sécuritaires » ainsi que pour « réaffirmer notre attachement à la liberté de circulation aérienne et maritime comme au respect du droit international », a expliqué l’amiral Boidevezi.
Le porte-avions Charles de Gaulle appareillera de Toulon au début du mois de février, avec, à son bord, un groupe aérien embarqué [GAé] composé d’une vingtaine de Rafale M F3R des Flotilles 12F et 17F, de deux E-2C Hawkeye de la Flottille 4F et de plusieurs hélicoptères [Dauphin de la 35F et Panther de la 36F]. L’un des quatre NH-90 NFH belges devrait le rejoindre en cours de mission.
D’ailleurs, la composition de son escorte n’est pas figée. Au départ, celle-ci réunira la Frégate multimissions à capacité de défense aérienne renforcée [FREMM DA] « Alsace », récemment admise en service, ainsi que la Frégate de défense aérienne [FDA] « Forbin », la FREMM « Normandie », le pétrolier-ravitailleur « Marne » [avec un hélicoptère Alouette III de la 34F] et un sous-marin nucléaire d’attaque [SNA].
La présence de ce dernier devant être intermittente, il sera suppléé par un avion de patrouille maritime Atlantique 2 basé à Chypre ou en Crète et un sous-marin grec, dont le type n’a pas été précisé.
Au fil de sa mission, le porte-avions Charles de Gaulle sera aussi rejoint par le « destroyer » américain USS Ross et par la frégate espagnol SPS Juan de Borbon [classe F-100] et une frégate grecque. En outre, des officiers allemands, italiens et canadiens seront insérés au sein de l’état-major du GAN.
Le programme de la mission Clemenceau 2022 sera assez copieux. Il se résume en cinq points : lutter contre le terrorisme, renforcer la capacité autonome française d’appréciation de la situation, affirmer la liberté de navigation, tant maritime qu’aérienne, appuyer l’effort de défense européen, coopérer avec les alliés et partenaires de la France.
Ainsi; le groupe aéronaval sera engagé dans l’opération Chammal [nom de la participation française à l’opération Inherent Resolve dirigée, au Levant, par les États-Unis contre l’État islamique]. Puis, il prendra part à la mission européenne Irini, laquelle consiste à faire appliquer l’embargo sur les armes décidé par les Nations unies à l’égard de la Libye. Il se rendra en mer Adriatique, où des actions de coopération avec des pays de la région, notamment la Croatie, sont prévues.
Toujours au chapitre des coopérations, le GAN se rendra en Grèce puis à Chypre. Et le Charles de Gaulle aura à manœuvrer avec le porte-aéronefs italien Cavour [désormais en mesure d’accueillir des avions F-35B] et un porte-avions américain.
Mais l’une des parties de ce déploiement qui sera sans doute la plus délicate, au regard des tensions avec la Russie, sera la « coopération en mer Noire », où certains « moyens navals et aériens » du GAN se déploieront au début du mois d’avril, pour des exercices avec les forces roumaines.
Pour rappel, lors de son premier déploiement, l’an passé, le groupe aéronaval britannique formé autour du porte-avions HMS Queen Elizabeth avait fait la même chose. Et cela avait donné lieu à un incident ayant opposé le « destroyer » HMS Defender à la marine russe.
À noter, d’ailleurs, que le début de la mission Clemenceau 2022 coïncidera avec des exercices navals russes de grande ampleur, lesquels se tiendront dans toutes les zones d’intérêt de Moscou. La Méditerranée et la mer Noire en font partie.
La semaine passée, le gouvernement malien de transition a dénoncé la violation de son espace aérien par un avion militaire de transport français A400M « Atlas » ayant assuré une liaison entre Abidjan [Côte d’Ivoire] et Gao [Mali], alors qu’il venait de fermer ses frontières en réponse aux sanctions prises à son égard par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest [Cédéao].
Sauf que, comme l’a rappelé le général Laurent Michon, l’actuel commandant de la force française Barkhane, les accords militaires conclus entre Bamako et Paris, en particulier celui du 7 mars 2013 sous forme « d’échange de lettres » entre les deux gouvernements, garantissent une « pleine liberté de circulation sur le territoire et dans l’espace aérien malien des véhicules et des aéronefs, militaires et civils, du personnel du détachement français ainsi que des détachements non français de la force [européenne] Takuba ».
En outre, et s’agissant plus précisément des mouvements d’aéronefs, une part croissante des sorties aériennes de Barkhane se font au profit des Forces armées maliennes [FAMa].
Aussi, la protestation du gouvernement malien de transition pouvait alors être perçue comme un mouvement d’humeur à l’égard de la France, le président Macron ayant approuvé les sanctions de la Cédéao.
Cela étant, et alors que la présence de « formateurs » militaires russes aux côtés des FAMa est de plus en plus visible, les relations entre Bamako et Paris tendent à devenir « explosives ». Et les propos qu’a tenus Choguel Kokalla Maïga, le Premier ministre malien, dans un entretien diffusé le 16 janvier par l’Office de radiodiffusion télévision du Mali [ORTM], risquent bien de mettre le feu aux poudres.
Ainsi, M. Maïga a revisité les faits qui ont conduit à déclencher l’opération française Serval, le 11 janvier 2013. Pour rappel, celle-ci avait été lancée contre les groupes jihadistes qui occupaient le nord du Mali, à la suite d’une demande d’aide adressée la veille par Dioncounda Traoré, alors président du Mali par intérim, à la France et au Conseil de sécurité de l’ONU, au titre de l’article 51 de la charte des Nations unies relatif à la légitime défense.
Jusqu’alors, les relations militaires entre la France et le Mali relevaient d’un simple accord de coopération technique, signé en 1985 et dont le champ d’application se limitaire à la formation des militaires maliens dans les écoles militaires françaises. Aussi était-il insuffisant pour encadrer l’opération Serval.
D’où la signature d’un nouvel accord par échanges de lettres les 7 et 8 mars 2013. Celle-ci a ensuite été suivie par un traité [.pdf] afin de refonder le cadre juridique de la coopération entre la France et le Mali en matière de défense. Signé le 16 juillet 2014, ce texte a été ratifié deux ans plus tard.
Et, le dernier de ses 26 articles précise que ce traité est « conclu pour une durée de cinq ans » et qu’il est « renouvelable par tacite reconduction pour de nouvelles périodes de cinq ans, à moins que l’une des Parties notifie à l’autre son intention de mettre un au traité six mois avant son expiration ».
Lors de son entretien à l’ORTM, M. Maïga a surtout évoqué la lettre envoyée par M. Traoré pour demander l’aide de la France. Et d’assurer qu’ »aucune copie n’existe ni à la présidence, ni au ministère des Affaires étrangères », l’original étant en France. « Quant on a eu besoin récemment, c’est sur le site du Sénat Français qu’on l’a trouvé. Parce que nous voulions relire les Accords, qu’il estime « déséquilibrés » car ils font « de nous un État qui ne peut même pas survoler son territoire sans l’autorisation de la France ».
En réalité, et même si la force aérienne malienne est faible, il s’agit d’éviter un incident entre ses aéronefs et ceux de Barkhane dans une région donnée. C’est ce que l’on appelle un « accord de déconfliction ».
Se référant toujours à la lettre du « 11 janvier 2013 » [qui a donc été envoyée la veille], M. Maïga a assuré qu’elle indiquait « clairement » un « appui aérien et en renseignement » qu’elle ne prévoyait « pas des militaires français sur notre terre ». Et d’ajouter : « Ils ont amené 4000 militaires français […]. Ils ont fait venir d’autres Africains, ils ont fait venir la MINUSMA, interdit à l’armée malienne d’accéder à une partie de son territoire, alors qu’ils proclament que c’est pour recouvrer l’intégrité du territoire. Donc, il y a un discours apaisant, lénifiant, en attendant le réveil brutal et la réalité ».
Aussi, a conclu M. Maïga, le gouvernement « a décidé que nous n’allons plus demander d’autorisation à qui que ce soit pour survoler notre territoire. Et à moins de 7 mois de la rectification de la transition, nous avons les moyens de survoler et aller partout sur notre territoire sans autorisation ».
Le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, a confirmé à Wassim Nasr, de France24, la volonté de Bamako de revoir les accords de défense conclu avec Paris. « Le Mali a demandé la révision du Traité en matière de défense qui le lie à la France. Les amendements ont été formellement soumis », a-t-il dit. « Certaines dispositions violent la souveraineté du Mali et notre Constitution. Par exemple, l’Etat Malien ne peut survoler certaines parties de notre propre territoire. Le gouvernement a cessé d’observer cette disposition », a-t-il ajouté.
Pour le moment, les autorités françaises n’ont pas encore réagi aux propos de M. Maïga et à cette demande de « révision » des accords de défense liant la France au Mali. Sans doute que les « Vœux aux Armées » seront l’occasion pour le président Macron de faire une mise au point.
Quatre soldats français ont été blessés au Burkina Faso lors de l’explosion d’un engin explosif improvisé (IED) au passage de leur véhicule. L’explosion a eu lieu dans le nord du pays, a annoncé à l’AFP mardi soir l’état-major français.
« Le véhicule tout-terrain a explosé sur un IED à la sortie de l’aéroport de Ouahigouya« , a indiqué l’état-major, précisant qu’il s’agissait d’une « unité de Barkhane en mission de reconnaissance ».
Cet aéroport a été attaqué dans la nuit du 12 au 13 janvier:
Quatre soldats ont été blessés dont un grièvement. « Ils ont été immédiatement évacués vers Gao », au Mali. Deux de ces soldats ont été évacués vers la France. Pour les deux autres, la décision n’avait pas encore été prise ce mercredi matin.
La zone au sud des Trois frontières est plutôt fréquentée par les djihadistes du GSIM (ou JNIM,nébuleuse jihadiste affiliée à Al-Qaïda). Mais « c’est une zone de transit, nous n’avons pas de certitudes » sur l’origine de l’engin, a précisé l’EMA. Le Sahel est aussi la proie des jihadistes de l’EIGS, liés au groupe Etat islamique.
Actualisé. Il circule une rumeur ce matin disant que c’est un véhicule tactique Polaris MRZR qui aurait été touché. Ce type d’équipement appartient aux FS, dans ce cas probablement de la TF Sabre. Pas de commentaires du ministère des Armées.
Les mises en garde de la France et de ses partenaires européens engagés avec elle au Sahel, ainsi que celles des États-Unis et de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest [Cédéao] n’auront eu aucun effet sur les autorités de transition maliennes. En effet, celles-ci ont, semble-t-il, donné leur accord à l’arrivée au Mali de la société militaire privée [SMP] russe Wagner, proche du Kremlin.
Dans un communiqué conjoint publié le 23 décembre, soit environ une semaine après la force française Barkhane a rétrocédé son emprise de Tombouctou aux Forces armées maliennes [FAMa] dans le cadre de la réorganisation de son dipositif au Sahel, quinze pays [*], dont la France, ont « condamné fermement le déploiement de mercenaires sur le territoire malien ».
Et d’estimer que ce déploiement « ne peut qu’accentuer la dégradation de la situation sécuritaire en Afrique occidentale, mener à une aggravation de la situation des droits de l’homme au Mali, menacer l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger et entraver les efforts de la communauté internationale pour assurer la protection des civils et apporter un soutien aux forces armées maliennes ».
Ces quinze pays ont également dit regretter « profondément » la « décision des autorités de transition maliennes d’utiliser des fonds publics déjà limités pour rétribuer des mercenaires étrangers au lieu de soutenir les forces armées maliennes et les services publics au bénéfice du peuple malien». Les États-Unis, qui ne font pas partie des signataire de ce communiqué, n’avaient pas dit autre chose dans une mise en garde adressée à Bamako, le 15 décembre dernier.
En outre, le communique souligne « l’implication » du gouvernement russe dans le soutien matériel à ce déploiement du groupe Wagner au Mali, avant d’en appeler la Russie à « adopter un comportement responsable et constructif dans la région ».
Le rapprochement entre Bamako et Moscou a commencé un avant l’arrivée de la junte actuellement au pouvoir, notamment avec le don de deux hélicoptères aux FAMa, en 2016, puis, trois ans plus tard, avec la signature d’un accord de coopération militaire. Entre-temps, des associations, comme le « Groupe des patriotes au Mali », ont demandé l’implication militaire de la Russie au Mali, tandis qu’une campagne de dénigrement des forces françaises commençait à prendre de l’ampleur.
Quoi qu’il en soit, selon une source gouvernementale française citée par l’AFP, il a été constaté « des rotations aériennes répétées avec des avions de transport militaire appartenant à l’armée russe, des installations sur l’aéroport de Bamako permettant l’accueil d’un chiffre significatif de mercenaires, des visites fréquentes de cadres de Wagner à Bamako et des activités de géologues russes connus pour leur proximité avec Wagner ». Ce que semble accréditer les données de suivi du trafic aérien.
Probablement que ces développements sont à l’origine de l’annulation du déplacement que devait faire le président Macron à Bamako, le 20 décembre [officiellement, la raison serait liée à la pandémie de covid-19…].
En attendant, n’ayant pas vu venir le double coup d’État [août 2020 et mai 2021] du colonel Assimi Goïta et su trouver la parade à lutte d’influence menée depuis Moscou, la France se trouve devant un dilemme. Retirer ses troupes du Mali, comme elle avait menacé de le faire? Cela laisserait le champ libre au groupe Wagner, donc à la Russie, et compliquerait les opérations de contre-terrorisme au Sahel, en particulier dans la région dite des trois frontières [car située aux confins du Mali, du Niger et du Burkina Faso]. Les maintenir? Cela les placerait dans des situations impossibles, avec le risque d’être accusées des exactions que les mercenaires russes pourraient commettre.
En outre, l’arrivée du groupe Wagner au Mali est de nature à remettre en cause tous les efforts consentis jusqu’ici pour « européaniser » l’action militaire au Sahel que ce soit via le groupement de forces spéciales Takuba ou la mission européenne de formation des FAMa [EUTM Mali]. À noter que l’Allemagne a déjà fait connaître son intention de relocaliser ses instructeurs engagés dans cette dernière dans un autre pays de la région en avançant des impératifs de sécurité.
Pour autant, le communiqué des quinze pays ne va pas dans le sens d’un désengagement du Mali.
« Nous ne renoncerons pas à nos efforts pour répondre aux besoins de la population malienne. Conformément aux objectifs de la Coalition internationale pour le Sahel, nous réaffirmons notre détermination à poursuivre notre action en vue de protéger les civils, de soutenir la lutte contre le terrorisme au Sahel et de contribuer à instaurer la stabilité à long terme en appuyant le développement durable, le respect des droits de l’homme et le déploiement des services publics », y est-il en effet écrit.
[*] Allemagne, Belgique, Canada, Danemark, Espagne, Estonie, France, Italie, Lituanie, Norvège, Pays Bas, Portugal, République Tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Suède
Les derniers soldats français ont quitté la ville sainte malienne en début de soirée mardi.
Ce mardi, en début de soirée, le dernier avion français a quitté la base militaire de Tombouctou, au Mali, avec à son bord quelques dizaines de soldats, mettant fin à presque neuf ans de présence française dans cette ville sainte de l’islam, inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco. C’est également dans cette ville que le président François Hollande avait officialisé le début de l’opération Barkhane, le 2 février 2013. Ce qui renforce d’autant plus la symbolique du départ de mardi.
Le 28 janvier 2013, un millier de soldats français et 200 soldats maliens étaient entrés en héros dans cette ville, après neuf mois d’occupation jihadiste.
Changement d’orientation
Après Kidal et Tessalit, Tombouctou est donc la troisième ville malienne à voir partir l’armée française, qui se replie sur Gao, sa dernière base dans ce pays d’Afrique de l’Ouest. Un départ qui s’inscrit dans « la transformation profonde » de l’opération Barkhane voulue par Emmanuel Macron.
Symboliquement, l’opération Barkhane passe sous la barre des 5000 militaires engagés. Ils étaient 5200 à la rentrée, et sont désormais 4800. Une réduction des effectifs marquée par un profond changement d’orientation de l’opération.
« On ne part plus au combat, on entre dans une logique d’accompagnement des troupes sahéliennes », a déclaré à BFMTV l’Etat-major des armées.
Passation à l’armée malienne
Le camp où étaient basés les militaires français a été rendu à l’armée malienne, à l’issue d’une cérémonie en présence d’un petit comité de soldats français et maliens, ainsi que des autorités locales et onusiennes. Le général français Etienne du Peyroux, chef de l’opération Barkhane au Mali, a symboliquement offert une imposante clef en bois au nouveau commandant malien du camp.
La France « sera présente autrement », a affirmé le général du Peyroux, ajoutant que « c’est finalement le but de l’opération Barkhane: de permettre au Mali de prendre son destin en main […] mais toujours avec du partenariat ».
Ce retrait s’opère alors qu’en septembre, à la tribune de l’Assemblée générale des Nations Unies, le Premier ministre malien Choguel Kokalla Maïga, avait décrit le retrait français comme « un abandon en plein vol« , évoquant la nécessité de trouver « d’autres partenaires ».
Dans un communiqué, le ministère des Armées assure que « la France reste engagée dans la lutte contre les groupes armés terroristes, aux côtés des forces sahéliennes, en étroite coordination avec ses alliés européens et américain qui participent à la force Barkhane ou lui apportent un soutien précieux. Le partenariat avec les pays sahéliens en sort renforcé ».
Au moins 60 véhicules militaires français ont été bloqués par des manifestants sur le territoire burkinabé alors qu’ils se dirigeaient vers le Niger puis le Mali, en provenance d’Abidjan. Voir mon post.
Le convoi logistique a été ralenti à plusieurs reprises avant d’être stoppé à Kaya. Les véhicules ont pu gagner une « emprise grillagée » selon l’Etat-major français, emprise protégée par des gendarmes locaux et les militaires français de l’escorte.
Samedi, des tirs de semonce ont été effectués alors que des manifestants tentaient d’investir le site. Un peu plus tard, le convoi logistique bloqué par les manifestants s’est déplacé à quelques dizaines de kilomètres au sud de Kaya pour éviter de nouvelles tensions. Les médiations continuent, selon l’EMA qui précise que « des options sont à l’étude » pour permettre au convoi de gagner sa destination.
On notera que ce convoi achemine des Griffon (comme en témoignent des vidéos) qui viennent s’ajouter au 32 déjà sur le théâtre . Il pourrait s’agit des véhicules de commandement attendu par le GTD Korrigan.
Axe de désengagement.
Ces incidents ont eu lieu sur un axe routier que les forces françaises utilisent depuis des années et qui a été baptisé « voie sacrée » tant son importance rappelle celle de la fameuse route stratégique reliant Bar-le-Duc à Verdun pour alimenter l’armée française pendant la Grande Guerre.
Par ailleurs, ce coup de colère populaire intervient alors que la France est en pleine « transformation » de son déploiement en BSS.
Au Mali, les sites français de Tessalit et Kidal ont été vidés et rétrocédés. Tombouctou doit l’être d’ici à la mi-décembre. Tout l’équipement exfiltré de ces trois bases transite par le hub logistique de Gao où il est trié et reconditionné. S’il n’est pas redistribué à la force Barkhane ou cédé à l’armée malienne, il prendra la route de la métropole via le port d’Abidjan. Des convois routiers se lanceront alors sur la Voie sacrée. 2 000km éprouvant et risqués via Niamey (Niger), Kaya et Bobo-Dioulasso (Burkina Faso) et Ferkéssédougou, Bouaké et Yamoussoukro (Côte d’Ivoire), qui pourraient de nouveau être entravés par des barrages.
L’armée de Terre est désormais engagée dans une transformation de sa préparation opérationnelle qui doit conduire à forger des hommes et des femmes capables de combattre jusque dans les champs les plus durs de la conflictualité, conformément à la Vision stratégique du CEMAT. Au premier rang de cette impulsion, les 77 000 militaires subordonnés au commandement des forces terrestres (CFT), responsable de la mise en œuvre du contrat opérationnel de l’armée de Terre. Leur commandant, le général de corps d’armée Vincent Guionie (COM FT), revient sur les principaux enjeux de cette transformation à l’occasion de l’exercice Hull 2021, tenu du 5 au 12 novembre dans la plaine d’Alsace.
Bien qu’au cœur de la communication des Armées depuis près de 18 mois, la notion d’affrontement de haute intensité diffère d’un discours à l’autre et reste donc difficile à appréhender. Quelle serait, en tant que commandant des forces terrestres, votre définition de ce scénario ?
GCA Guionie :Derrière la haute intensité, nous entendons surtout la confrontation avec un ennemi à parité, qui utilise toutes ses capacités pour prendre l’ascendant. Dans ma génération, la référence, bien évidemment, c’est ce à quoi nous nous préparions dans le cadre de la guerre froide. C’est à dire un affrontement direct entre des divisions blindées complètes.
Cette référence n’est plus du tout celle des militaires des jeunes générations qui, eux, n’ont pas connu la guerre froide. Conceptualiser la haute intensité telle qu’elle se présenterait n’est pas un exercice évident. Je vais me référer à ce qu’en dit le général de corps d’armée Pierre Gillet, qui commande le Corps de réaction rapide – France et a beaucoup réfléchi à la question. Celui-ci caractérise la haute intensité autour de deux paramètres.
Le premier paramètre est la mise en déséquilibre régulière, voire très régulière de notre dispositif, chose à laquelle nous ne sommes pas habitués. Aujourd’hui quand nous intervenons au Sahel, hier quand nous intervenions en Afghanistan, nous n’avons jamais réellement été en déséquilibre : nos opérations ont été préparées et menées sans être perturbées. En haute intensité, nous serions mis en déséquilibre. Nous ne serions plus maîtres du contexte d’engagement, parce que cet adversaire à parité nous empêcherait de disposer de la latitude nécessaire pour garder cette maîtrise du tempo.
Le deuxième paramètre, également très parlant, relève des effets de saturation. Une saturation intervenant dans tous les domaines et aboutissant à des pertes massives. Certes, nous subissons des pertes aujourd’hui, qui sont systématiquement très douloureuses mais qui restent ponctuelles. Si nous sommes confrontés à un adversaire disposant de moyens létaux puissants, les pertes se compteront par dizaines, voire par centaines par jour. L’effet sur les flux du soutien santé serait sans commune mesure avec ce dont nous avons aujourd’hui l’habitude.
Le même constat est valable pour le spectre électromagnétique. Aujourd’hui, nos transmissions ne rencontrent pratiquement aucun obstacle. Face à un adversaire disposant de capacités de brouillage, nous serions en permanence perturbés car confrontés à une saturation de l’espace électromagnétique à laquelle nous ne sommes pas complétement habitués.
Très concrètement, nous aurions à gérer un théâtre sur lequel surviendraient, de façon ponctuelle mais répétée dans l’espace et dans le temps, à la fois des engagements de relative basse intensité, où l’on contrôlerait des zones face à une menace équivalente à ce que nous rencontrons actuellement, et, juste après ou juste avant, un déchainement de violence extrêmement brutal. Ce cas de figure a été rencontré en Ukraine, dans le Donbass, lorsqu’un bataillon ukrainien a été anéanti en quelques minutes par l’artillerie adverse.
Hull 2021 est l’un de ces exercices qui s’inscrivent dans cette volonté de durcissement de la préparation opérationnelle, préalable obligatoire pour « gagner la guerre avant la guerre ». Quelle importance revêtent-ils ?
GCA Guionie :Aujourd’hui, nous ne pouvons pas nous contenter de ne préparer que les opérations du moment. S’entraîner pour Sentinelle ou Barkhane, par exemple, est bien entendu essentiel, mais nous ne pouvons nous satisfaire que de cela. Il nous faut maintenant trouver le temps, trouver l’espace et disposer des ressources pour nous préparer à des engagements plus exigeants. Pour y parvenir, nous disposons de trois types d’espaces d’entraînement que nous essayons de combiner du mieux possible.
Il s’agit premièrement du terrain militaire, sur lequel nous avons beaucoup concentré notre énergie durant les 20 dernières années parce que nous pouvons y effectuer des tirs réels et reproduire des effets militaires impossibles à réaliser ailleurs. Le second espace reste le terrain libre, sur lequel nous sommes confrontés à des contraintes réelles qui obligent, par exemple, nos pilotes d’engins blindés à tenir compte d’interdictions réglementaires qui contribuent à complexifier davantage la manœuvre. Et le troisième espace est celui de la simulation. Aucun des trois ne permet à lui seul de reproduire exactement ce que l’on souhaite. Mais la combinaison de deux ou, dans l’idéal, de trois de ces espaces nous permettra de créer la masse et les circonstances pour travailler le maximum d’évènements possibles.
Hull 2021, par exemple, est un exercice à dominante terrain libre combiné avec du terrain militaire. D’autres lieux d’entraînement sont plus propices à une combinaison des volets terrain militaire et simulation. L’exercice majeur Orion prévu en 2023 dans la région des camps de Champagne combinera ces trois espaces.
Vous évoquiez récemment l’importance de la différenciation, donc l’acquisition d’une maîtrise individuelle et collective élevée de tous les savoir-faire. Qu’implique cet enjeu en matière d’entraînement ?
GCA Guionie : Avec la haute intensité pour horizon, nous devons tenir compte de trois paramètres importants en matière d’entraînement et de préparation. Le premier, c’est la guerre contre le temps. Pour combiner la préparation aux opérations en cours et développer l’ensemble des savoir-faire, il nous faut essayer de trouver, de conquérir de nouveaux espaces de temps, tout en permettant à nos militaires de conserver du temps pour eux.
Le second point est celui de la maîtrise des fondamentaux. Ces savoir-faire s’apprennent plutôt en garnison, mais il faut pour cela disposer du temps et des moyens disponibles sur place. Il y a là un réel effort à fournir. Le régiment de marche du Tchad en est un bel exemple. Grâce à Hull 2021, il peut s’entraîner dans son environnement proche et travailler les savoir-faire exigeants de toute unité d’infanterie.
Le troisième point relève effectivement de la différenciation. Plus l’engagement est complexe et violent, plus il nous faut maîtriser les savoir-faire du haut du spectre. Une opération comme Sentinelle, par exemple, exige des savoir-faire militaires simples. Nous pouvons donc y engager autant des fantassins que des artilleurs et des logisticiens. Tous partagent les savoir-faire du combattant suffisants pour remplir cette mission. Mais quand je vais engager une compagnie face à un escadron de chars de combat adverse, je vais demander à une unité comme le régiment de marche du Tchad et ses VBCI de maîtriser tous ses savoir-faire, tant tactiques que logistiques, pour faire face à cette redoutable menace.
Le chef d’état-major de l’armée de Terre, le général Schill, rappelait en septembre qu’un affrontement de haute intensité ne peut se conduire qu’en coalition. Un mois après Hull 2021, vous mènerez l’exercice Scorpion XI avec le partenaire belge, une preuve parmi d’autres que ce type de rapprochement est essentiel ?
GCA Guionie : Faut-il le rappeler, ce partenariat avec la Composante Terre belge est inédit. Nous nous engageons à partager la totalité du spectre, de la doctrine à l’entraînement en passant par les équipements et l’organisation des unités. À terme, nous atteindrons un niveau d’interopérabilité presque maximal. Si une décision politique venait à autoriser un engagement commun, tout se ferait alors de manière extrêmement fluide.
Ce partenariat est par ailleurs centré sur la notion d’échange. Le partenaire belge nous apprend, entre autres, à mieux travailler sous un format otanien. Il dispose également de savoir-faire performants en terme de formation. Ainsi, nos JTAC [joint terminal attack controller], ces spécialistes de l’appui aérien rapproché, réalisent systématiquement leur pré-formation auprès de l’armée belge, qui dispose d’outils et de compétences ayant réduit de moitié notre taux d’échec.
Ne reste qu’une année avant le lancement de l’exercice interalliés et interarmées Orion, comment les forces terrestres vont-elles s’y préparer et comment conciliez-vous cette montée en puissance avec les autres activités de préparation opérationnelle ?
GCA Guionie : Orion sera un rendez-vous majeur qui, durant quatre mois, va nous permettre de retranscrire tout l’enchaînement d’une crise. Il démarrera en janvier avec le déclenchement de notre système d’alerte et comprendra plusieurs séquences successives, la séquence majeure pour l’armée de Terre étant la dernière, à savoir celle qui se déroulera au mois d’avril dans les camps de Champagne. Cette phase verra le déploiement d’une division dont l’objectif sera de figer une situation et d’empêcher un adversaire de mettre en œuvre une politique du fait accompli.
Nous créerons une animation de réseau permanente qui, chaque jour, engendrera des évènements sur l’ensemble de ce théâtre imaginaire et dans tous les champs de la conflictualité, qu’ils soient physiques ou immatériels.
En 2022, l’une des priorités majeures de la préparation opérationnelle, hormis les cycles relatifs aux OPEX et missions en cours, sera donc d’organiser toutes ces activités préliminaires à la tenue d’Orion. Cela impliquera de faire des choix, dont certains sont en train d’être fixés en ce moment-même, essentiellement sur le second semestre 2022. Nous nous approcherons alors d’Orion et il faudra effectivement donner la priorité à toutes les activités qui vont, peu ou prou, nous faciliter les choses.
Durant le premier semestre 2022, nous contribuerons aux exercices majeurs de l’OTAN Brilliant Jump et Cold Response. Ce déploiement sur le flanc nord de l’Europe est très important. Nous y armerons la composante terrestre avec le déploiement de la brigade VJTF [Force opérationnelle interarmées à très haut niveau de préparation, commandée par la brigade franco-allemande en 2022] et contribuerons avec un groupement à l’opération amphibie. Nous enverrons l’équivalent d’une brigade ainsi que l’état-major du Corps de réaction rapide – France. Ce sera aussi l’occasion de déployer nos Griffon et le système SICS [système d’information du combat Scorpion] au sein du 3e régiment de hussards et nos véhicules haute mobilité avec les chasseurs alpins. Ce faisant, nous démontrons notre solidarité envers l’OTAN et notre capacité à nous déployer sur le flanc nord. Ce sera aussi un test de projection important avant Orion.
Au deuxième semestre, nous jouerons un exercice de préparation autour du poste de commandement de la 3e division. Ce rendez-vous sera dédié à l’entraînement des différents échelons de commandement et comprendra un volet logistique, car il s’agira cette fois de tester l’organisation de la zone de déploiement opérationnel. En d’autres termes, il nous faudra éprouver notre capacité à accueillir et à soutenir les différentes unités françaises et alliées concernées par Orion, de manière à être parfaitement au rendez-vous quelques mois plus tard.
En février 2020, lors d’une audition au Sénat, l’ambassadeur du Mali en France, Toumani Djimé Diallo, s’était attiré les foudres de la diplomatie française – et de sa hiérarchie – pour avoir accusé les légionnaires de laisser libre court à de mauvais penchants dans les rues de Bamako. L’État-major des armées [EMA] avait alors immédiatement réagi à de tels propos en affirmant que la Légion étrangère n’avait jamais été « stationnée à Bamako ».
Mais cette sortie valut au diplomate d’être convoqué au Quai d’Orsay. Puis il fut rappelé par son gouvernement afin de renforcer les « relations d’amitié et de coopération » entre le Mali et la France. Seulement, si un tel épisode venait à se reproduire, il n’est pas certain que l’attitude des autorités maliennes actuelles soit la même…
Les relations entre Paris et Bamako ont en effet commencé à se dégrader après le renversement du président Ibrahim Boubacar Keïta [dit IBK] par un groupe d’officiers des Forces armées maliennes [FAMa], dirigé par le colonel Assimi Goïta, lequel a ensuite été à l’origine d’un second coup de force, en mai dernier.
Puis, l’annonce de la réorganisation du dispositif militaire français au Sahel, faite en juin, est l’argument avancé par le gouvernement malien de transition pour justifier son intention de recourir aux services de la société militaire privée [SMP] Wagner, proche du Kremlin. Pour Paris, il s’agit d’une ligne rouge que Bamako doit se garder de franchir…
« Même au Mali, nous ne sommes plus dans un face-à-face [avec les groupes jihadistes], nous sommes confrontés aussi à un autre compétiteur stratégique, la Russie, qui redistribue les cartes », a ainsi récemment résumé le général Thierry Burkhard, le chef d’état-major des armées [CEMA], selon Le Figaro.
Cela étant, à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, fin septembre, le chef du gouvernement malien de transition, Choguel Kokalla Maïga, n’a pas retenu ses critiques à l’endroit de la France, qui venait alors de perdre l’un de ses soldats lors de combats au Mali. « La nouvelle situation née de la fin de Barkhane, plaçant le Mali devant le fait accompli et l’exposant à une espèce d’abandon en plein vol, nous conduit à explorer les voies et moyens pour mieux assurer la sécurité de manière autonome avec d’autres partenaires », a-t-il affirmé, regrettant que le « principe de consultation et de concertation, qui doit être la règle entre partenaires privilégiés, n’ait pas été observé en amont de la décision ».
Au niveau politique, la ministre française des Armées, Florence Parly a vivement réagi à de tels propos, en disant y voir « beaucoup d’hypocrisie, beaucoup de mauvaise foi, beaucoup d’indécence ». Puis, plus tard, le président Macron s’est dit « choqué » par les mots de Choguel Kokalla Maïga, les qualifiants « d’inacceptables ». « Alors que hier nous avons présidé à l’hommage national au sergent Maxime Blasco [tué le 24 septembre au Mali, ndlr], c’est inadmissible. C’est une honte et ça déshonore ce qui n’est même pas un gouvernement », a-t-il affirmé, avant de souligner que « la légitimité du gouvernement [de transition malien actuel] était démocratiquement nulle ».
Les autorités de transition malienne auront pris le temps de réagir à leur tour. En effet, une semaine après la « charge » de M. Macron à leur endroit, elles ont indiqué avoir convoqué l’ambassadeur de France au Mali, Joël Meyer, pour lui faire part de leur « mécontentement » et de leur « indignation » après les propos jugés « inamicaux » et « désobligeants » du locataire de l’Élysée.
Le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, a « signifié au diplomate français l’indignation et la désapprobation du gouvernement du Mali et élevé une vive protestation contre ces propos regrettables, qui sont de nature à nuire au développement de relations amicales entre nations », a-t-il été expliqué dans un communiqué.
En outre, poursuit le texte, M. Diop a « invité les autorités françaises à la retenue, en évitant des jugements de valeur et appelé à une approche constructive basée sur le respect mutuel, en vue de se concentrer sur l’essentiel, notamment la lutte contre le terrorisme au Sahel ».
Cette convocation de l’ambassadeur de France au Mali est la seconde d’un diplomate français en quelques jours. En effet, l’Algérie en a fait de même pour protester contre la décision de Paris de réduire le nombre de visas accordés aux ressortissants algériens.
Puis Alger a ensuite rappelé son ambassadeur en poste à Paris en réponse à des propos tenus par M. Macron, ce dernier ayant évoqué une « rente mémorielle » entretenue par le « système politico-militaire » algérien et reposant sur une « histoire officielle » qui, « totalement réécrite », ne « s’appuie pas sur des vérités » mais sur « un discours qui repose sur une haine de la France ».
À peine 24 heures après l’annonce de la mort au combat du caporal-chef Maxime Blasco, du 7e Bataillon de chasseurs alpins [BCA] lors d’une opération menée par la force Barkhane dans le Gourma malien, le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a justifié le recours éventuel de Bamako aux services de la société militaire privée [SMP] Wagner, proche du Kremlin, par le fait que la France « veut réduire significativement ses forces militaires qui devaient combattre les terroristes à Kidal ». Et d’ajouter : Les Français « n’y sont pas arrivés et les terroristes continuent de régner dans cette région ».
Plus tard, à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, le chef du gouvernement de transition malien [dominé par les militaires à l’origine de deux coups d’État, ndlr], Choguel Kokalla Maïga, a critiqué la France pour sa décision de revoir son dispositif militaire au Sahel.
Pour rappel, la force Barkhane va s’effacer au profit du groupement européen de forces spéciales « Takuba », dont la mission est d’accompagner au combat les armées locales au combat, lesquelles seront appuyées par des moyens français [aviation, renseignement, logistique], notamment depuis Niamey. Enfin, les forces spéciales françaises réunies au sein de la « Task Force » [TF] Sabre restera engagée, de même que la mission européenne visant à former les soldats maliens [EUTM Mali]. Évidemment, dans le cas où Bamako passerait un accord avec la SMP russe Wagner, ce dispositif n’aurait plus lieu d’être…
Quoi qu’il en soit, cette évolution de la posture militaire française a été sévèrement critiquée par le Premier minisre malien. « La nouvelle situation née de la fin de Barkhane, plaçant le Mali devant le fait accompli et l’exposant à une espèce d’abandon en plein vol, nous conduit à explorer les voies et moyens pour mieux assurer la sécurité de manière autonome avec d’autres partenaires », a-t-il dit, notamment pour « combler le vide que ne manquera pas de créer la fermeture de certaines emprises de Barkhane dans le nord » [du Mali]. Et d’insister : Bamako « regrette que le principe de consultation et de concertation, qui doit être la règle entre partenaires privilégiés, n’ait pas été observé en amont de la décision ».
La réponse s’est faite en deux temps. Ainsi, le 27 septembre, devant la presse, le général Laurent Michon, l’actuel commandant de la force Barkhane, a d’abord rappelé que le « projet de quitter Kidal, Tessalit et Tombouctou date d’il y a à peu près deux ans » et qu’il a été « élaboré avec les chefs d’État de la zone G5 [G5 Sahel : Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, et Tchad], notamment à Bamako et à Niamey avec des autorités politiques qui connaissent le projet, qui le souhaitent, dans le cadre de l’Accord de paix » [au Mali, signé en 2015, ndlr].
Ce projet vise à concentrer les efforts sur la région dite des trois frontières [car située aux confins du Mali, du Burkina Faso et du Niger] afin d’empêcher les jihadistes d’étendre leur influence aux pays du golfe de Guinée. D’où le départ des forces françaises de Kidal, Tessalit et Tombouctou, villes toutes situées dans le nord du Mali, où les Touareg réclament plus d’autonomie par rapport à Bamako [si ce n’est l’indépendance de l’Azawad, ndlr].
« Si le Premier ministre [malien] évoque par là le fait que nous retirions notre présence symbolique dans ces trois garnisons, ce n’est absolument pas un abandon, c’est une relève sur position en termes militaires », a fait valoir le général Michon. « Dans ces trois garnisons, les unités de la MINUSMA [Mission des Nations unies au Mali] et surtout celles des FAMa [forces armées maliennes, nldr], y sont […] solidement implantées, et il ne s’agit nullement d’un abandon », a-t-il insisté. Et de souligner, en référence à « Takuba », que « la France, au lieu d’abandonner le Mali a eu comme succès politique de convaincre les Européens de venir se joindre à nous ».
Puis, dans un second temps, la ministre des Armées, Florence Parly, n’a pas caché son indignation face aux propos tenus par le chef du gouvernement de transition malien, lors d’une conférence donnée à l’Institut de Sciences politiques de Paris, le 27 septembre.
« Il n’y a pas de désengagement français, je tiens à commencer par rétablir des contre-vérités […] Quand on a 5000 soldats et qu’on se désengage de trois emprises, et qu’on a l’intention d’en laisser encore plusieurs milliers, lorsqu’on déploie au Sahel des blindés dernier cri [des Griffons, ndlr], ce n’est pas l’attitude normale d’un pays qui a l’intention de s’en aller », a commencé par faire valoir lundi Mme Parly, selon des propos rapportés par l’AFP.
Quant aux déclarations de Choguel Kokalla Maïga, Mme Parly a dit y voir « beaucoup d’hypocrisie, beaucoup de mauvaise foi, beaucoup d’indécence », surtout parce qu’elles ont été faites au lendemain de la mort d’un militaire français « ayant a donné sa vie pour combattre le terrorisme au Sahel ».
« L’objectif » du recours à la SMP Wagner est « de ne pas tenir les engagements pris vis-à-vis de la communauté internationale », a ensuite enchaîné la ministre, en faisant référence au calendrier de la transition malienne, lequel prévoit des élections législatives et présidentielle le 27 février 2022, afin de rendre le pouvoir aux civils. « J’ai l’impression que la date ne leur convient pas parfaitement, et qu’ils ont envie de faire durer la chose », a-t-elle accusé. « Mais de là à s’essuyer les pieds sur le sang des soldats français, c’est inacceptable », a-t-elle lancé.
Quoi qu’il en soit, la France a déjà prévenu que l’arrivée de Wagner au Mali [il est question d’un millier de mercenaires] serait incompatible avec sa présence militaire. L’Estonie, qui a engagé de troupes au sein de Barkhane et de Takuba est sur la même ligne. Le Niger ne voit pas non plus cette perspective d’un bon oeil, tout comme la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest [Cédéao]. Enfin, l’Union européenne a fait savoir que le recours à la SMP russe affecterait « sérieusement » ses relations avec Bamako.
Le 22 septembre, à l’appel du mouvement « Yèrèwolo débout sur les remparts », des milliers de Maliens ont manifesté à Bamako pour soutenir le gouvernement de transition, dominé par les militaires à l’origine de deux coups d’État au cours de ces derniers mois, et dénoncer les « ingérences extérieures » tout en ne se disant pas hostile à l’arrivée de mercenaires russes dans le pays.
En janvier, le mouvement Yèrèwolo s’était mobilisé pour exiger le départ des troupes françaises de l’opération Barkhane. Opération dont la fin a été annoncée par le président Macron, dans le cadre d’une réorganisation du dispositif militaire autour du groupement européen de forces spéciales « Takuba », dont la mission est d’accompagner les forces sahéliennes au combat.
Justement, cette évolution justifie, au yeux de Bamako, le recours aux services de la société militaire privée [SMP] russe Wagner. La France, le Niger [partenaire du Mali au sein du G5 Sahel], la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest [CEDEAO] et l’Union européenne ont clairement fait savoir au gouvernement de transition malien qu’une telle option n’était pas acceptable.
Ainsi, la semaine passée, la CEDEAO a dénoncé « fermement la volonté des autorités de la transition d’engager des compagnies de sécurité privées au Mali et est très préoccupée par les conséquences certaines sur la détérioration de la situation sécuritaire au Mali et dans l’ensemble de la région ».
« Il semble que les autorités de transition discutent de la possibilité d’inviter le groupe Wagner à opérer dans le pays. Nous savons bien comment ce groupe se comporte dans différentes parties du monde, cela affecterait sérieusement la relation entre l’Union européenne et le Mali », a fait valoir Josep Borrell, le Haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité.
Quant à la France, elle a fait savoir, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, que le recours à des mercenaires russes serait « incompatible notre présence » miliaire au Mali. L’Estonie, qui a engagé des troupes dans l’opération Barkhane, est sur la même ligne.
Dans un premier temps, le gouvernement de transition malien n’a pas voulu admettre qu’il discutait avec la SMP Wagner. Et d’évoquer alors des « allégations basées uniquement sur des rumeurs et des articles de presse commandités s’inscrivant dans le cadre d’une campagne de dénigrement [du Mali] et de diabolisation de [ses] dirigeants ».
Puis, dans une réponse ferme au Niger, qui lui reprochait une telle tentation, il a fait valoir qu’il ne permettrait « à aucun État de faire des choix à sa place et encore moins de décider quels partenaires il doit solliciter ou pas », son « souci » étant de « préserver l’intégrité territoriale » du Mali.
Seulement, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, le 25 septembre, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a confirmé que des discussions étaient bien en cours entre Bamako et des sociétés militaires privées russes tout en expliquant que Moscou n’était pas impliqué dans ces pourparlers.
« Les autorités maliennes se sont tournées vers une société militaire privée russe parce que, si je comprends bien, la France veut réduire significativement ses forces militaires qui devaient combattre les terroristes à Kidal », a relevé le chef de la diplomatie russe. Les Français « n’y sont pas arrivés et les terroristes continuent de régner dans cette région », a-t-il ajouté.
En outre, a-t-il assuré, « tout cela se fait sur une base légitime », entre un « gouvernement légitime, reconnu par tous » et des entités qui « fournissent des services à travers des spécialistes étrangers », a-t-il fait valoir. Et d’insister : « Nous n’avons rien à voir avec cela ».
Sauf que la SMP Wagner a des liens très étroits avec le Kremlin, que Paris a dénoncé à plusieurs reprises la « guerre informationnelle » menée par la Russie [et la Turquie] au Mali contre la force Barkhane et Moscou n’a eu de cesse de raffermir ses liens avec Bamako au cours de ces derniers mois.
Sur ce dernier point, M. Lavrov a estimé qu’il « serait mieux de synchroniser l’action de l’Union européenne et de la Russie dans la lutte contre le terrorisme, non seulement au Mali mais aussi dans la région du Sahel et du Sahara ».
Sans citer la SMP russe, le Premier ministre malien, Choguel Kokalla Maïga, s’en est pris à la décision de Paris de mettre un terme à l’opération Barkhane.
« La nouvelle situation née de la fin de Barkhane, plaçant le Mali devant le fait accompli et l’exposant à une espèce d’abandon en plein vol, nous conduit à explorer les voies et moyens pour mieux assurer la sécurité de manière autonome avec d’autres partenaires », a expliqué le chef du gouvernement de transition malien.
Il s’agit de « combler le vide que ne manquera pas de créer la fermeture de certaines emprises de Barkhane dans le nord du Mali », a-t-il continué, en déplorant un « manque de concertation » et une annonce « unilatérale » faite par Paris sans coordination avec l’ONU et les autorités maliennes de transition.
« Le Mali regrette que le principe de consultation et de concertation, qui doit être la règle entre partenaires privilégiés, n’ait pas été observé en amont de la décision », a insisté Choguel Kokalla Maïga, avant de réclamer une « une posture plus offensive » de la Mission des Nations unies au Mali [MINUSMA] qui, forte de 15.000 Casques bleus, n’a pas le mandat nécessaire pour mener des actions de contre-terrorisme.